Junod dans son ouvrage Décision médicale ou la quête de l’explicite [104] donne des outils
pour rendre la décision la plus rationnelle possible et basée sur les données actuelles de la
science (démarche EBM ou médecine factuelle). L’analyse décisionnelle peut concerner le
choix d’examens ou la décision d’initier un traitement. Elle est constituée de différentes étapes
: définition des probabilités et des caractéristiques des tests (sensibilité, spécificité, valeurs
prédictives positive et négative), définition de l’évolution spontanée de la maladie, définition
des coûts et bénéfices du traitement et définition de l’utilité. L’utilité est une valeur numérique
accordée aux différents états de santé, qui tient compte de l’espérance de vie et de la qualité
du vécu. Toutes ces données sont utilisées dans le cadre d’un arbre de décision, qui est un
outil décisionnel permettant de calculer parmi les options présentées, celle qui est
objectivement la meilleure. Au cours de l’exercice quotidien, l’utilisation de cet outil semble
complexe et peu réalisable en consultation. Cependant sa connaissance peut être une aide
pour éviter des biais dans le raisonnement (mauvaise estimation de la prévalence…).
Dans ce même ouvrage, Junod parle des "modulateurs ou parasites" de la décision médicale
qui viennent perturber notre "faculté à gérer les problèmes de façon rationnelle, lucide et
objective" et qui souvent modulent inconsciemment les décisions et donc la prise en charge
des patients.
Parmi ces modulateurs, il dégage les facteurs intrinsèques inhérents au médecin, que sont sa
personnalité, ses attributs et ses fantasmes.
Il dénonce aussi le risque des heuristiques médicales qu’il définit comme des "automatismes
de pensées, générés par des expériences et assomptions personnelles, la tradition, les idées
reçues, qui permettent de fulgurants raccourcis dans l’analyse d’une situation et [qui], dans
l’omission inconsciente des éléments impliqués problématiques, confèrent une rapidité de
jugement que d’aucuns prennent pour de la sûreté". Ces heuristiques sont souvent appliquées
de façon appropriée ; cependant ce mode de fonctionnement, relevant de l’automatisme, peut
aisément mener à l’erreur de jugement. L’heuristique de représentation, par exemple, est
l’établissement erroné d’une analogie entre un cas et une catégorie diagnostique, sans prise
en compte de la probabilité réelle de la maladie. Ce fonctionnement met les maladies rares au
même niveau que les maladies fréquentes.
Junod met également en garde contre le poids du phénomène de la représentation dans les
décisions médicales. Il a été montré que la présentation du patient influence de façon
importante la décision du médecin. Le sociologue Pierre Bourdieu parle du corps comme d’un
produit social : "le corps fonctionne comme un langage par lequel on est parlé, plutôt qu’on ne
le parle". [101] Ainsi le médecin aura une attitude différente face à deux femmes de même
âge, aux antécédents similaires, décrivant la même histoire de douleurs thoraciques avec
l’usage des mêmes mots, l’une ayant une présentation de femme d’affaires, l’autre une