Frédéric Turpin, « L’Union pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine : un rêve de
puissance évanoui dans les sables algériens ? (1958 – 1961) », Histoire@Politique. Politique, culture,
société, N°10, janvier-avril 2010, www.histoire-politique.fr
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L’Union pour la Nouvelle République
et la Communauté franco-africaine :
un rêve de puissance évanoui dans les sables algériens ?
(1958 – 1961)
Frédéric Turpin
Le 14 juillet 1959, la toute jeune Ve République fête, en grandes pompes, place de la
Concorde, l'empire devenu Communauté. Le spectacle est à la hauteur des attentes et
espoirs du président de la République et du gouvernement : « une séance de style
napoléonien réglée par Malraux » au cours de laquelle le général de Gaulle remet les
drapeaux de la Communauté aux gouvernements des États-membres1. « Toute
l'Afrique française – se souvient Roger Belin alors secrétaire général du
gouvernement – est là : magnifique et émouvante vision d'une France impériale 2. »
Le grand succès populaire de cette cérémonie, hautement symbolique, révèle
combien, dans l’esprit des contemporains, le mythe de la France impériale est encore
bien vivant. Le propos vaut tout particulièrement pour le chef de lÉtat, son Premier
ministre, Michel Debré, le gouvernement et l’ensemble du mouvement gaulliste
réuni, pour l’essentiel, au sein de l’Union pour la Nouvelle République (UNR). Cette
construction, qui lie organiquement la République française aux anciens territoires
d’outre-mer d’Afrique subsaharienne pour un temps espéré d’au moins une décennie,
n’est pas, pour eux, un mot convenu à remiser au rayon des gloires démodées. Elle
constitue assurément un gage de puissance et de rayonnement mondial de la France.
À peine un an plus tard, au printemps 1960, la fin prématurée de la Communauté ne
paraît pas déchaîner les passions à l’intérieur de l’UNR. L’historien ne constate pas
les mêmes divisions et ruptures que celles provoquées par le devenir de l’Algérie. Le
fait mérite réflexion : il surprend lorsque l’on considère l’attachement du mouvement
gaulliste, depuis les premières heures du Rassemblement du peuple français (RPF)
en 1947 jusqu’à la fondation de la Ve République, à une conception de la puissance
française encore largement fondée sur le pilier impérial. Cette apparente unité
derrière le Général cache probablement le poids déchirant du drame algérien dans les
consciences gaullistes. Il souligne aussi déjà le dilemme entre une certaine idée de la
France impériale défendue dans les années quarante et cinquante et associée au
gaullisme et la fidélité au chef charismatique qui ne conçoit désormais plus la
puissance française par l’expansion ultramarine.
1 Il s'agit d'un « drapeau tricolore surmonté d'un emblème, deux mains se serrant dans une couronne de
feuilles de chêne » (Jean Foyer, Sur les chemins du droit avec le Général. Mémoires de ma vie politique.
1944-1988, Paris, Fayard, 2006, p. 122).
2 Roger Belin, Lorsqu’une République chasse l’autre. 1958-1962. Souvenirs d’un témoin, Paris, Editions
Michalon, 1999, p. 149. Voir également Pierre Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne.
Mai 1958-avril 1969, Paris, Robert Laffont, 1984, p. 116.
Frédéric Turpin, « L’Union pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine : un rêve de
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La Communauté : un rêve gaullien et gaulliste
de puissance
Le général de Gaulle et les gaullistes ont longtemps présenté la Communauté
institutionnelle, puis contractuelle, comme une sorte d’antichambre de l’accession à
l’indépendance des anciennes colonies françaises. Le rapport, intitulé « De la
décolonisation à la coopération », des assises nationales de l’Union pour la Défense
de la République (UDR) de novembre 19733, souligne deux points qui tendent à
asseoir cette réécriture de l’histoire. Tout d’abord, « l’idée de communauté,
foncièrement empirique », y est présentée comme « l’aboutissement d’un compromis
entre Africains partisans d’une fédération et Africains partisans d’une
confédération ». Les intérêts et le rôle de la France apparaissent fort peu dans la
genèse et la détermination de la structure institutionnelle finalement mise en place
en 1958-1959.
La rédaction du titre XII (« De la Communauté ») de la Constitution du
4 octobre 1958 témoigne certes de cette lutte entre les partisans africains de la
fédération (Félix Houphouët-Boigny) et ceux de la confédération (Léopold Sédar
Senghor) qui empoisonne les travaux du Comité interministériel. Au point que le
général de Gaulle doit intervenir personnellement devant le Comité, le 10 juillet, afin
de préciser les grandes lignes de ce que doit être l’union entre la République française
et ses territoires d’outre-mer4. C’est à partir des grands principes qu’il présente
ex cathedra qu’est bâti le titre XII qui organise la Communauté, le vocable de
« Communauté », proposée par Filbert Tsiranana, ayant le grand mérite de permettre
à toutes les parties en présence de pouvoir s’y rallier sans se déjuger.
Compte tenu des désaccords, l’empirisme a effectivement prévalu, le modèle
d'organisation initialement proposé par le gouvernement du Général, de nature
nettement fédérale, ayant été rejeté. La Communauté, comme le souligne fort
justement Jean Foyer, n’appartient à aucune catégorie traditionnelle du droit
(fédération, confédération). Elle est taillée sur mesure pour la circonstance et pour
durer. Si cela n’avait pas été le cas, pourquoi s’évertuer à inscrire dans la Constitution
et à l’expliciter par un titre complet les liens entre la République française et les
États-membres de la Communauté ? Pourquoi ne pas prévoir d’évolution à l’intérieur
de cette structure organique autre que la sortie volontaire pour devenir indépendant ?
Pourquoi l’indépendance doit-elle signifier la perte automatique des avantages
attachés à la qualité d’État-membre ?
La construction finalement élaborée souligne la volonté du gouvernement français
d’organiser sur un temps long cette union et ce dans le respect des intérêts de la
France. La Communauté institutionnelle réunit en ce sens « un État indépendant, la
3 Rapport intitulé « De la décolonisation à la coopération », assises nationales de l’UDR, Nantes, 17-
18 novembre 1973 (Centre historique des archives nationales, fonds public Jacques Foccart, FPU 1656).
4 Roger Belin, op. cit., p. 63-65.
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République française et douze États autonomes ». Mais « les compétences majeures,
caractéristiques de la souveraineté, n’appartiennent – analyse Jean Foyer – qu’à la
République, les autres États participant à leur exercice sur le mode consultatif,
notamment par le Conseil exécutif et les comités de ministres5 ».
Deuxième point de cette histoire « gaulliste » : « l’évolution générale de l’Afrique –
souligne le rapport de l’UDR de 1973 –, la multiplication d’indépendances nouvelles
dans le tiers-monde, nous conduisirent naturellement à un système contractuel
beaucoup plus souple et à un relâchement des liens6 ». La Communauté franco-
africaine paraît dès lors relever d’une sorte de contingence de fait de l’histoire. Elle
aurait été conçue comme une structure de transition afin de permettre aux anciennes
colonies françaises d’accéder rapidement et pacifiquement à l’indépendance. C’est
faire peu de cas des conceptions gaullienne et gaulliste en matière de puissance
nationale et sa déclinaison impériale.
La question des héritages respectifs entre conceptions gaulliennes et situation laissée
par la IVe République dans l’élaboration de la Communauté a déjà été étudiée
ailleurs7. Nous pouvons cependant souligner que, sous la IVe République, le devenir
de l’empire colonial constitue un des principaux thèmes du Rassemblement du
Peuple Français présidé par le général de Gaulle. La doctrine outre-mer de la
formation gaulliste8 repose alors avant tout sur un postulat fondamental : l’empire
est vital à la France et à sa puissance. Or c’est la notion même de puissance nationale
qui est auur de la pensée gaullienne et du programme du parti du RPF entre 1947
et 1955. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Union française constitue, pour le
Général et ses compagnons, un élément essentiel de la puissance et du rayonnement
de la France sur la scène internationale. Présente sur cinq continents et sur toutes les
mers grâce à son empire, elle peut aspirer à la table des Grands.
Le chef du RPF demeure fidèle tout au long de la IVe République à une conception
fédérative de la République française et de ses prolongements outre-mer. Mais, faute
d’accéder au pouvoir, le Général et ses compagnons en sont réduits jusqu’en 1955 à
condamner les « abandons » coupables des gouvernements successifs du « mauvais
régime ». Pour ces hommes pétris du culte de la « Plus grande France » de 100
millions d’habitants et qui croient qu’il n’y a pas d’avenir aussi bien pour la
République que pour les territoires d’outre-mer sans l’Union française, la
désagrégation progressive de l’empire constitue un rude coup et un véritable
déchirement. Le « cancer algérien », qui conditionne bientôt toute l’évolution de
l’Union, ne fait que radicaliser les positions outre-mer conservatrices des gaullistes
restés dans le jeu politique, même si ceux-ci finissent par accepter la loi-cadre
Defferre de 1956 qui ouvre les portes de la future Communauté.
En fait, à partir de 1955, l’historien constate une césure de plus en plus marquée entre
le Général et nombre de ses compagnons, que ce soit sur l’affaire algérienne mais
5 Jean Foyer, op. cit., p. 122.
6 Rapport de l'UDR des 17-18 novembre 1973, op. cit.
7 Frédéric Turpin : « 1958, la Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritages de la
IVe République et conceptions gaulliennes », dans Outre-Mers (Paris), n°358-359, 2008, p. 45-58.
8 Sur cette doctrine, voir Frédéric Turpin, « Le Rassemblement du peuple français et l'outre-mer »,
Cahier de la Fondation Charles de Gaulle, n°13, 2004, 175 p.
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aussi, plus généralement, sur la question de la défense intransigeante de la
souveraineté française outre-mer. Sur ce dernier point, bien avant son retour au
pouvoir, le Général paraît manifester progressivement plus de souplesse que la
majorité des gaullistes qui en sont demeurés à la doctrine du RPF, laquelle posait
comme un dogme intangible que l’avenir même de la France et de son rang mondial
se jouait outre-mer. L’évolution personnelle du général de Gaulle sur le devenir de la
Communauté institutionnelle à la fin de l’année 1959 et en 1960 souligne cette
différence majeure qui s’est établie au sein de la famille gaulliste.
La nécessité du « prurit d'affranchissement »
Le général de Gaulle s'est toujours défendu d'avoir conduit son action publique sous
le coup d'une doctrine. En d'autres termes, il a récusé jusqu'à l'existence d'une
doctrine gaulliste9. D'autant plus que certains de ses compagnons – à l’instar de
Jacques Soustelle – se sont séparés de lui précisément en invoquant le respect d' « un
corps de doctrine politique, économique, sociale, d’un ensemble de thèses élaborées
au cours des années depuis la Résistance jusqu’au RPF10 ». Ce n'est pas ici le lieu de
relancer lebat de fond sur une question qui reste ouverte : l'existence ou non d'une
doctrine gaulliste ? Tout au plus, pour notre réflexion, pouvons-nous souligner
l'existence d’idées-forces qui servent de cadre à la pensée et à l'action du général de
Gaulle par-delà les époques et les régimes politiques. Parmi celles-ci, le Général
nourrit pendant très longtemps l'illusion que la possession de territoires ultramarins
représente un atout indispensable à tout État qui se veut une puissance mondiale.
Sous la IVe République, le programme du RPF – présidé par Charles de Gaulle –, que
l'on peut aisément qualifier de doctrine gaulliste, brille par la volonté hautement
revendiquée de sauvegarde et de développement de l'Union française. Avant même
que le gaullisme unanimiste de la Libération11 ne mue en « gaullisme
d'opposition 12», le général de Gaulle manifeste un souci constant et opiniâtre de
préserver, à l’époque de la France libre comme du Gouvernement provisoire de la
République française (GPRF), le volet impérial de la puissance française. En 1958, en
mettant en place la Communauté puis en tentant de lui donner vie tout au long de
l'année 1959, Charles de Gaulle inscrit encore son action dans cette conception de la
puissance française héritée du XIXe siècle.
Mais, à la lumière du mouvement général d'émancipation qui se décline notamment
par la sanglante guerre d'Algérie, le président de la République est conduit à
promouvoir la nécessaire transformation des formes du rayonnement de la France.
En décembre 1959, de manière pragmatique, il prend acte de la volonté du Mali et de
9 Voir notamment Philippe Ragueneau, Guy Sabatier, Le dictionnaire du gaullisme, Paris, Albin Michel,
1994, p. 192.
10 Jacques Soustelle, L’espérance trahie, Paris, Editions de l’Alman, 1962, p. 8-9.
11 Serge Berstein, « Les gaullistes de la Libération à la création du RPF », Espoir, n° 55, juin 1986, p. 30-
40. Du même auteur, voir également Histoire du gaullisme, Paris, Perrin, 2001.
12 Jean Charlot, Le gaullisme d’opposition. 1946-1958. Histoire du gaullisme, Paris, Fayard, 1983.
Frédéric Turpin, « L’Union pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine : un rêve de
puissance évanoui dans les sables algériens ? (1958 – 1961) », Histoire@Politique. Politique, culture,
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la République malgache d'obtenir leur indépendance tout en restant au sein de la
Communauté. « Il y a – explique-t-il lors du conseil des ministres du
3 décembre 1959 – une évolution profonde et inéluctable : ces États veulent leur
indépendance ou du moins ses signes extérieurs […] Nous accepterons de maintenir
notre aide dans une structure très différente13. » Le 29 mars 1961, à l'heure où la
résolution de l'affaire algérienne se réduit de plus en plus à l'indépendance de
l'Algérie et où la Communauté rénovée, espérée un an plus tôt, n'a jamais vu le jour,
le Général expose au Conseil des ministres, de manière magistrale, cette rupture
majeure dans la nature de la puissance de la France. « Il y a – lance-t-il aux
ministres – ce que nous souhaitons, mais vous devez réaliser ce que j'ai réalisé il y a
longtemps : la France a fait un empire à une époque où nous étions à notre plafond et
où nous avions renoncé à l'hégémonie européenne et elle a été y chercher des soldats.
La décolonisation a deux termes : 1° C'est un prurit d'affranchissement ;Nous
n'avons plus intérêt à coloniser. C'est notre développement intérieur qui sera la
mesure de notre influence dans le monde ; notre ambition nationale est de nous faire
puissants par l'intérieur. Convainquons-nous que nous n'avons pas besoin de ceux
que nous avons colonisés et nous aurons des chances de les avoir, dans une certaine
mesure, avec nous14. »
Au cours des premiers mois de l'année 1960, le Général, son Premier ministre, Michel
Debré, et son gouvernement espèrent encore pouvoir sauver, via la Communauté
contractuelle et surtout par les accords de coopération, l'influence prépondérante de
la France sur ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne et Madagascar. « Nous
avons – affirme Michel Debré devant l'Assemblée nationale le 11 mai 1960 – tout
pesé, nous avons mesuré à la fois l'héritage du passé, les exigences du présent et les
probabilités de l'avenir et nous savons que le vrai problème est le suivant : à
l'administration directe appuyée sur l'unité des souverainetés, il faut substituer, par
la force des choses, la collaboration politique, intellectuelle, économique et
administrative, fondée sur l'association des souverainetés, en créant au-dessus de
cette association une union politique garantie par certaines institutions15. » Cette
évolution, ils ne l'acceptent « pas de gaieté de cœur16 ». Elle relève du calcul réaliste
et d'une résignation teintée d'un sentiment de tristesse « devant la disparition de
cette dernière forme d'Union française » à laquelle ils ont cru. Le président de la
République n'en fait pas mystère à ses interlocuteurs. Début janvier 1960,
commentant le dernier conseil exécutif de la Communauté à Dakar, il lâche : « Vous
savez, Triboulet, nous n'y pouvons rien : trois cents ans de présence, mais ils s'en
vont, ils s'en vont17 ! ». « L'effacement de notre souveraineté écrit, pour sa part,
13 Cité dans Roger Belin, op. cit., p. 152.
14 Cité dans Roger Belin, op. cit., p. 107. Voir aussi sa conférence de presse du 11 avril 1961 (Charles de
Gaulle, Discours et messages, Tome 3 : Avec le renouveau. 1958-1962, Paris, Le Livre de poche, 1974,
p. 310-314).
15 Journal officiel de la République française, débat parlementaire, Assemblée nationale, JOAN,
11 mai 1960.
16 Intervention de Jean Foyer, secrétaire d'État aux relations avec les États de la Communauté, JOAN,
9 juin 1960.
17 Raymond Triboulet, Un ministre du Général, Paris, Plon, 1986 p. 66.
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