Frédéric Turpin, « L’Union pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine : un rêve de
puissance évanoui dans les sables algériens ? (1958 – 1961) », Histoire@Politique. Politique, culture,
société, N°10, janvier-avril 2010, www.histoire-politique.fr
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la République malgache d'obtenir leur indépendance tout en restant au sein de la
Communauté. « Il y a – explique-t-il lors du conseil des ministres du
3 décembre 1959 – une évolution profonde et inéluctable : ces États veulent leur
indépendance ou du moins ses signes extérieurs […] Nous accepterons de maintenir
notre aide dans une structure très différente13. » Le 29 mars 1961, à l'heure où la
résolution de l'affaire algérienne se réduit de plus en plus à l'indépendance de
l'Algérie et où la Communauté rénovée, espérée un an plus tôt, n'a jamais vu le jour,
le Général expose au Conseil des ministres, de manière magistrale, cette rupture
majeure dans la nature de la puissance de la France. « Il y a – lance-t-il aux
ministres – ce que nous souhaitons, mais vous devez réaliser ce que j'ai réalisé il y a
longtemps : la France a fait un empire à une époque où nous étions à notre plafond et
où nous avions renoncé à l'hégémonie européenne et elle a été y chercher des soldats.
La décolonisation a deux termes : 1° C'est un prurit d'affranchissement ; 2° Nous
n'avons plus intérêt à coloniser. C'est notre développement intérieur qui sera la
mesure de notre influence dans le monde ; notre ambition nationale est de nous faire
puissants par l'intérieur. Convainquons-nous que nous n'avons pas besoin de ceux
que nous avons colonisés et nous aurons des chances de les avoir, dans une certaine
mesure, avec nous14. »
Au cours des premiers mois de l'année 1960, le Général, son Premier ministre, Michel
Debré, et son gouvernement espèrent encore pouvoir sauver, via la Communauté
contractuelle et surtout par les accords de coopération, l'influence prépondérante de
la France sur ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne et Madagascar. « Nous
avons – affirme Michel Debré devant l'Assemblée nationale le 11 mai 1960 – tout
pesé, nous avons mesuré à la fois l'héritage du passé, les exigences du présent et les
probabilités de l'avenir et nous savons que le vrai problème est le suivant : à
l'administration directe appuyée sur l'unité des souverainetés, il faut substituer, par
la force des choses, la collaboration politique, intellectuelle, économique et
administrative, fondée sur l'association des souverainetés, en créant au-dessus de
cette association une union politique garantie par certaines institutions15. » Cette
évolution, ils ne l'acceptent « pas de gaieté de cœur16 ». Elle relève du calcul réaliste
et d'une résignation teintée d'un sentiment de tristesse « devant la disparition de
cette dernière forme d'Union française » à laquelle ils ont cru. Le président de la
République n'en fait pas mystère à ses interlocuteurs. Début janvier 1960,
commentant le dernier conseil exécutif de la Communauté à Dakar, il lâche : « Vous
savez, Triboulet, nous n'y pouvons rien : trois cents ans de présence, mais ils s'en
vont, ils s'en vont17 ! ». « L'effacement de notre souveraineté – écrit, pour sa part,
13 Cité dans Roger Belin, op. cit., p. 152.
14 Cité dans Roger Belin, op. cit., p. 107. Voir aussi sa conférence de presse du 11 avril 1961 (Charles de
Gaulle, Discours et messages, Tome 3 : Avec le renouveau. 1958-1962, Paris, Le Livre de poche, 1974,
p. 310-314).
15 Journal officiel de la République française, débat parlementaire, Assemblée nationale, JOAN,
11 mai 1960.
16 Intervention de Jean Foyer, secrétaire d'État aux relations avec les États de la Communauté, JOAN,
9 juin 1960.
17 Raymond Triboulet, Un ministre du Général, Paris, Plon, 1986 p. 66.