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RÉSULTATS
JUGEMENTS CROISÉS SUR
L’INTERACTION MÉDECIN-PATIENT
Les trois types de propos que nous avons recueillis (entre
médecin et patient, celui du médecin sur la consultation
et sur le patient, et celui du patient sur la consultation et
sur le médecin) nous ont permis de saisir les modalités
de leur relation ainsi que le jugement que l’un et l’autre
portent sur leur rencontre, c’est-à-dire sur leur interaction
dans le cadre de la consultation.
Le résultat général apporté par notre recherche, et qui
a pu être mis en évidence grâce à la spécificité de notre
méthodologie, est non pas une divergence de satisfaction
entre médecin et patient mais une non-concordance entre
le médecin et le patient quant aux critères à partir desquels
ils se disent satisfaits ou non de la consultation observée
et plus généralement de leur relation.
Les médecins expriment leur satisfaction ou leur
insatisfaction quant aux résultats de leur action auprès de
tel ou tel patient. Cette évaluation dépasse largement le
cadre de la consultation observée, puisque dans la très
grande majorité des cas de cette enquête, les partenaires
se connaissent depuis longtemps (de quelques années à
deux ou trois décennies). Le jugement porté sur le patient
résulte de cette longue période d’interconnaissance qui a
permis au médecin de se faire une idée des résultats de
son travail, en particulier concernant le suivi des conseils
d’hygiène de vie.
La question de l’efficacité de son action perçue par le
médecin apparaît dépendante de la volonté du patient. La
personne veut être soignée ou se soigner, ou bien elle ne
fait pas d’effort dans ce sens.
Ainsi, les situations qui donnent lieu à satisfaction
pour le médecin proviennent de patients considérés
comme faisant preuve de bonne volonté. Cette bonne
volonté peut être présentée comme le résultat d’un long
travail du médecin : « J’ai dû le travailler, certainement plus
que les autres, pour obtenir qu’il se soigne », ou comme
faisant partie des caractéristiques de la personne : « C’est
quelqu’un qui se prend en main ».
Dans d’autres cas, en revanche, le médecin se déclare
insatisfait de son action. Cela peut être face à un patient
si dirigiste qu’il se sent dépossédé de tout pouvoir d’agir.
Mais le plus souvent cela provient du fait que le patient
n’écoute pas les conseils du médecin pour changer son
hygiène de vie. Cette forme d’insatisfaction du médecin
quant à son action n’est pas antinomique avec une bonne
relation avec le patient. Ainsi, des justifications quant à
la non-écoute sont avancées par les professionnels : tel
patient qui n’écoute pas les conseils de régime alimen-
taire est qualifié de « bon vivant », ou pour tel couple âgé,
il est dit difficile de « tout chambouler » dans leur mode
de vie.
Du côté des patients, la satisfaction ne se différencie
pas en fonction de leur jugement sur le médecin. En effet,
les patients, en France, choisissent leur médecin, aussi
celui-ci est-il rarement mis en cause. D’ailleurs, nous
avons recueilli un fort consensus d’appréciations positives
à son égard. Ils jugent leur relation avec le médecin en
fonction de leur propre attitude vis-à-vis de leur santé. Soit
ils estiment qu’ils sont tout à fait capables de s’occuper de
leur santé, certes avec l’aide de techniciens compétents,
soit ils pensent être peu compétents et ont besoin d’un
médecin auquel ils vont confier leur santé.
Les premiers sont plus nombreux que les seconds : il est
plus « normal », dans notre société où les valeurs d’auto-
nomie sont fortes, de défendre une position d’indépen-
dance vis-à-vis de toute relation sociale, et en particulier
lorsqu’il y a possibilité de choix comme celui de choisir
son médecin. Au sein de la relation médecin-patient,
ce sont deux individus autonomes qui négocient alors
sur le fait de résoudre les problèmes de santé de l’un.
Le domaine d’intervention privilégié, et peu contesté
du médecin, c’est le diagnostic et le traitement médica-
menteux. La question de l’hygiène de vie, c’est surtout
le domaine favori du patient. Ces patients se caractéri-
sent par le fait qu’ils discutent des actions personnelles
visant à améliorer leur santé ou leur « être bien » avec des
médecins qui respectent leur autonomie.
Dans le second cas de figure, les patients expliquent
qu’ils ont fait le choix de déléguer leur santé au médecin.
Leur santé n’est pas perçue par eux comme relevant
de leur volonté propre. Elle est mise dans les mains du
généraliste à qui ils accordent toute confiance. Toutefois si
ces patients adoptent une attitude coopérative pendant la
consultation et suivent généralement à la lettre les traite-
ments prescrits, cela n’implique pas à tous les coups qu’ils
obéissent aux conseils d’hygiène de vie de leur médecin.
Pour certains, modifier leur comportement leur paraît
au-dessus de leurs compétences. Pour d’autres, l’adop-
tion d’une attitude docile en consultation correspond à
une prise de rôle. La docilité serait un masque dissimulant
les diverses stratégies par lesquelles le patient tente de
conserver ou reconquérir un certain contrôle de la situa-
tion [19].
L’HYPERTENSION, UN « MAL INCONSISTANT »
Un des résultats spécifiques de notre recherche est la
définition de l’hypertension comme « mal inconsistant »,
dimension qui implique de la part des médecins généra-
listes de rechercher des stratégies d’action adaptées et qui
explique la difficulté de la prise en charge et du contrôle de
l’hypertension tant de la part des patients que de la part
des médecins.
Selon notre analyse des propos des médecins et des
patients, l’inconsistance de l’hypertension se décline
selon six dimensions :
–la routine : la prise de tension est un élément consti-
tutif d’une consultation de médecine générale quel qu’en
soit le motif, et le geste ne distingue pas un patient hyper-
tendu d’un autre. Il apparaît sous forme d’invite à passer
à l’examen clinique : « On va prendre la tension. » Il est un
acte intégré par le patient qui, à peine installé sur la table
d’examen, tend spontanément le bras au médecin qui a
déjà saisi le tensiomètre ;
–la banalisation : l’hypertension est très répandue en
population et augmente avec l’âge, aussi quand on vieillit
La relation médecin-malade lors de consultations de patients hypertendus en médecine générale de ville