La relation médecin-malade lors de consultations de patients

Institut national de prévention et d’éducation pour la santé
42, boulevard de la Libération
93203 Saint-Denis cedex — France
http://www.inpes.sante.fr
évaluations en prévention et en éducation pour la santé 2007
La relation médecin-
malade lors de consultations
de patients hypertendus
en médecine générale de ville
Christine Rolland
Sociologue, chargée de l’animation scientifique de l’Iferiss, Unité Inserm 558 « Épidémiologie et
analyses en santé publique : risques, maladies chroniques, handicaps », Toulouse, France
Thierry Lang
Professeur, épidémiologiste, Unité Inserm 558 « Épidémiologie et analyses en santé
publique : risques, maladies chroniques, handicaps », Toulouse, France
L’INPES autorise l’utilisation et la reproduction des données de
cet ouvrage sous réserve de la mention des sources.
Pour nous citer : Rolland C., Lang T. La relation médecin-malade lors de consultations
de patients hypertendus en médecine générale de ville. Saint-Denis : INPES, coll.
Évaluations en prévention et en éducation pour la santé, 2007 : 10 p.
Direction de la collection Thanh Le Luong
Direction éditoriale Philippe Guilbert l Édition Marie-Frédérique Cormand
Correction Carmen Fernandez l Réalisation Philippe Ferrero l Septembre 2009
Synthèse
Malgré leur nombre et leur diversité,
les recherches sur la relation decin-
malade échouent à rendre intelligibles les
processus qui sous-tendent les actions
et la satisfaction des deux acteurs. Cette
recherche appuyée sur l’observation de
consultations en médecine générale de
patients hypertendus, suivies d’entre tiens
croisés avec le médecin et le patient a cher-
ché à éclairer cette question. Les résultats
indiquent non pas une divergence sur l’ap-
préciation des réponses aux attentes de
l’un et lautre mais une non-concordance
des critères à partir desquels médecin et
patient se disent satisfaits de la consul-
tation et plus largement, de leur relation.
L’hypertension apparaît comme un objet
d’étude exemplaire du fait de son « incon-
sistance » telle que nous la définissons, qui
demande d’autant plus aux généralistes de
s’adapter à chaque situation de manière à
agir sur les comportements de sandes
hypertendus tout en maintenant une qua-
lité relationnelle. Lenjeu fort de chaque
consultation est de parvenir à un certain
consensus entre médecin et patient, donc
à être prêts l’un et l’autre à négocier et à
concéder, c’est-à-dire à prendre du pouvoir
et à en accorder, tout en inscrivant leur
action et leur relation dans la durée.
3
En sociologie, il existe diverses théories de la relation
médecin-malade qui présentent l’intérêt d’offrir une
perspective historique, par exemple le passage au cours
du xxe siècle d’une relation d’autorité à une relation
complexifiée par les transformations des champs de la
santé et de la médecine, aussi bien du point de vue de la
profession et de la culture médicales que du point de vue
des positions des patients [1, 2]. On peut citer le dévelop-
pement de pathologies chroniques qui ont pu induire
des changements dans les rapports sociaux (la relation
médecin/malade en faisant partie) ; les transformations
des valeurs liées au corps et à la santé, porteuses de
paradoxes : médicalisation de la plupart des problèmes
sociaux avec le développement d’un modèle hégémo-
nique de la « santé » et développement de mouvements
de patients, usagers défendant leur autonomie et reven-
diquant le droit à la parole dans les décisions médicales
[3, 4]. Malgré leur nombre et leur diversité, les travaux
portant sur la relation médecin-patient achoppent à rendre
intelligibles les processus qui sous-tendent les actions et
la satisfaction des deux acteurs dans leur rencontre lors
des consultations médicales [5-7].
La relation médecin-malade lors de
consultations de patients hypertendus
en médecine générale de ville
Christine Rolland
Sociologue, chargée de l’animation scientifique de l’Iferiss, Unité Inserm 558 « Épidémiologie et
analyses en santé publique : risques, maladies chroniques, handicaps », Toulouse, France
Thierry Lang
Professeur, épidémiologiste, Unité Inserm 558 « Épidémiologie et analyses en santé
publique : risques, maladies chroniques, handicaps », Toulouse, France
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INTRODUCTION
OBJECTIF
L’objectif principal de ce travail de recherche est de mieux
comprendre les éléments agissant sur la qualité de la
relation médecin-malade et les incidences de celle-ci sur
les modalités de prise en charge des personnes atteintes
d’une maladie chronique telle que l’hypertension artérielle.
Le moment de la consultation médicale est pris ici
comme sujet d’observation et de confrontation des
attentes et des perceptions du médecin et du patient.
Prodiguer un soin médical est bien typique d’une
posture médicale qui tire parti de l’asymétrie dans la
distribution des compétences pour imposer le jugement
médical et asseoir son pouvoir ; à l’opposé, co-construire
le soin médical implique un minimum de partage du
pouvoir et des décisions : le médecin comme le malade
acceptent d’abdiquer quelques parcelles de leur pouvoir
respectif pour s’entendre sur la nature d’une informa-
tion, pour se comprendre et pour que chacun s’approprie
quelque chose des critères et des modalités du jugement
et des pratiques de l’autre.
Notre hypothèse de « pouvoir/contre-pouvoir » dans
la relation médecin-patient a été mise à l’épreuve à partir
de l’observation de consultations de médecine générale
dont le motif principal était le suivi de l’hypertension.
Cette recherche a été le fruit d’un travail collectif réalisé par : Serge Clément, Monique
Membrado (CNRS UMR 5193), Marcel Drulhe, Valentine Hélardot (Université
Toulouse-Le Mirail), Jean Mantovani (Orsmip et Inserm U558).
4Évaluations en prévention et en éducation pour la santé 2007
Nous supposons que l’existence de ce « pouvoir/contre-
pouvoir » éclaire, pour une grande part, les limites de
l’action médicale auprès des patients hypertendus.
Nous avons opté pour le cadre de la médecine générale
car la relation médecin-patient y est reconnue concerner
un large éventail d’intérêts ([8], Scott et Davis (1979)
in [9]) évoquent the exceptional potential of primary
care consultation (which) is not confined to manage acute
and chronic (physical and psychosocial) disorders, but also
includes possibilities for health promotion and the modifica-
tion of help-seeking behaviour”.
Le choix de l’hypertension artérielle (HTA) se justifie à
plusieurs titres. Cette pathologie est principalement prise
en charge par les médecins généralistes qui assurent, en
France, 94 % des consultations des patients diagnos-
tiqués et traités [10]. L’hypertension est un problème
majeur en santé publique, car facteur de risque impor-
tant d’accident vasculaire cérébral, de maladie coronaire,
d’insuffisance cardiaque et rénale. En France, sa préva-
lence déclarée est élevée et en augmentation. Elle est
inversement liée au niveau d’études, et au milieu social, et
le contrôle de l’hypertension est d’autant meilleur que la
catégorie sociale est élevée [11, 12]. Selon la Caisse natio-
nale de l’assurance maladie, 10,5 millions de personnes
sont traitées pour hypertension en 2006, soit un adulte
sur cinq. Les préconisations et les évolutions thérapeu-
tiques participent à la forte progression des dépenses
liées à la prise en charge de l’HTA et de ses facteurs de
risque : de 2,6 milliards d’euros en 2000 à 4,4 milliards
aujourd’hui [13]. Or différentes études épidémiologiques,
notamment françaises, montrent que 70 % des patients
hypertendus traités et suivis en médecine générale ne
sont pas contrôlés, c’est-à-dire ont une pression artérielle
supérieure à 140/90 mm Hg [14]. Il y a donc un certain
décalage entre les recommandations des sociétés
savantes, agences et consensus d’experts d’une part, et
la pratique des médecins généralistes d’autre part [15]
La notion « d’inertie thérapeutique » est un des facteurs
avancés pour tenter de comprendre ce décalage : elle est
définie comme la réticence ou l’insuccès des cliniciens
à modifier ou à intensifier le traitement choisi lorsque
l’hypertension n’est pas contrôlée [16].
Par ailleurs, un ensemble de travaux, notamment
anthropologiques, indiquent que les représentations
populaires de l’hypertension oscillent entre maladie et
non-maladie [17]. Cet « état intermédiaire » [18] explique-
rait la difficulté de prise en charge de l’hypertension tant
de la part des patients que de la part des médecins.
MÉTHODE
Nous avons étudié le déroulement de consultations entre
des médecins généralistes et leurs patients par obser-
vation directe et en confrontant le point de vue des deux
acteurs par entretiens semi-directifs à l’issue de la consul-
tation observée. Au total, quarante-cinq consultations,
réparties entre cinq médecins généralistes, ont été obser-
vées dont dix-huit concernaient des personnes hyper-
tendues.
Le recueil des données a été réalisé entre mars et juin
2005, auprès de cinq médecins généralistes exerçant dans
une région du sud-ouest de la France (Midi-Pyrénées).
Une sociologue de la santé assistait à des demi-journées
de consultations. Une feuille d’information présentant les
objectifs de la recherche était distribuée en salle d’attente
du cabinet du généraliste et permettait de recueillir l’accord
des patients pour la présence de la sociologue lors de la
consultation et pour lui accorder éventuellement un entre-
tien à l’issue de celle-ci (de préférence à leur domicile). Si
le patient était hypertendu, à la fin de la consultation un
entretien lui était demandé. Un bref questionnaire était
passé recueillant, pour tous les patients, l’âge, la profes-
sion, l’ancienneté de la relation avec le médecin, les princi-
paux problèmes de santé ainsi que le motif de la consul-
tation du jour.
Entre deux consultations, ou après le temps d’obser-
vation de la demi-journée, un court entretien (debriefing)
était fait, pour chaque patient inclus, avec le médecin. Ce
débriefing avait pour objectif de recueillir ce que celui-ci
connaît du patient et de retracer le déroulement de la
consultation selon son point de vue.
L’entretien avec le patient avait pour objectif de retracer
la consultation selon son point de vue et de mieux
connaître sa trajectoire de vie et de santé. L’entretien visait
à faire appartre les attentes a priori vis-vis de cette
consultation, les informations à transmettre au médecin,
les informations reçues, l’accord ou non avec les prescrip-
tions, les difficultés à les respecter, le degré de satisfac-
tion et d’insatisfaction (informations, écoute, compré-
hension…) pour cette consultation, et, plus généralement,
pour son suivi médical.
Un entretien a été réalisé avec chaque médecin pour
recueillir des éléments biographiques (âge, année de
thèse, année d’installation, volume de consultations,
mode d’exercice), mais aussi des informations sur ses
pratiques (motivations, limites, difficultés, intérêts, etc.)
et ses valeurs professionnelles.
Les consultations et les entretiens ont été enregistrés et
intégralement transcrits en respectant des règles d’anony-
misation des médecins et des patients.
Une analyse de contenu du matériau collecté a été
réalisée :
pour chaque situation en mettant en perspective les
trois sources de données (consultation et entretiens) ;
de manière transversale sur des thématiques définies à
partir de l’analyse des situations.
5
RÉSULTATS
JUGEMENTS CROISÉS SUR
L’INTERACTION MÉDECIN-PATIENT
Les trois types de propos que nous avons recueillis (entre
médecin et patient, celui du médecin sur la consultation
et sur le patient, et celui du patient sur la consultation et
sur le médecin) nous ont permis de saisir les modalités
de leur relation ainsi que le jugement que l’un et l’autre
portent sur leur rencontre, c’est-à-dire sur leur interaction
dans le cadre de la consultation.
Le résultat général apporté par notre recherche, et qui
a pu être mis en évidence grâce à la spécificité de notre
méthodologie, est non pas une divergence de satisfaction
entre médecin et patient mais une non-concordance entre
le médecin et le patient quant aux critères à partir desquels
ils se disent satisfaits ou non de la consultation observée
et plus généralement de leur relation.
Les médecins expriment leur satisfaction ou leur
insatisfaction quant aux résultats de leur action auprès de
tel ou tel patient. Cette évaluation dépasse largement le
cadre de la consultation observée, puisque dans la très
grande majorité des cas de cette enquête, les partenaires
se connaissent depuis longtemps (de quelques années à
deux ou trois décennies). Le jugement porté sur le patient
résulte de cette longue période d’interconnaissance qui a
permis au médecin de se faire une idée des résultats de
son travail, en particulier concernant le suivi des conseils
d’hygiène de vie.
La question de l’efficacité de son action perçue par le
médecin apparaît dépendante de la volonté du patient. La
personne veut être soignée ou se soigner, ou bien elle ne
fait pas d’effort dans ce sens.
Ainsi, les situations qui donnent lieu à satisfaction
pour le médecin proviennent de patients considérés
comme faisant preuve de bonne volonté. Cette bonne
volonté peut être présentée comme le résultat d’un long
travail du médecin : « J’ai dû le travailler, certainement plus
que les autres, pour obtenir qu’il se soigne », ou comme
faisant partie des caractéristiques de la personne : « C’est
quelqu’un qui se prend en main ».
Dans d’autres cas, en revanche, le médecin se déclare
insatisfait de son action. Cela peut être face à un patient
si dirigiste qu’il se sent dépossédé de tout pouvoir d’agir.
Mais le plus souvent cela provient du fait que le patient
n’écoute pas les conseils du médecin pour changer son
hygiène de vie. Cette forme d’insatisfaction du médecin
quant à son action n’est pas antinomique avec une bonne
relation avec le patient. Ainsi, des justifications quant à
la non-écoute sont avancées par les professionnels : tel
patient qui n’écoute pas les conseils de régime alimen-
taire est qualifié de « bon vivant », ou pour tel couple âgé,
il est dit difficile de « tout chambouler » dans leur mode
de vie.
Du côté des patients, la satisfaction ne se différencie
pas en fonction de leur jugement sur le médecin. En effet,
les patients, en France, choisissent leur médecin, aussi
celui-ci est-il rarement mis en cause. D’ailleurs, nous
avons recueilli un fort consensus d’appréciations positives
à son égard. Ils jugent leur relation avec le médecin en
fonction de leur propre attitude vis-à-vis de leur santé. Soit
ils estiment qu’ils sont tout à fait capables de s’occuper de
leur santé, certes avec l’aide de techniciens compétents,
soit ils pensent être peu compétents et ont besoin d’un
médecin auquel ils vont confier leur santé.
Les premiers sont plus nombreux que les seconds : il est
plus « normal », dans notre société où les valeurs d’auto-
nomie sont fortes, de défendre une position d’indépen-
dance vis-à-vis de toute relation sociale, et en particulier
lorsqu’il y a possibilité de choix comme celui de choisir
son médecin. Au sein de la relation médecin-patient,
ce sont deux individus autonomes qui négocient alors
sur le fait de résoudre les problèmes de santé de l’un.
Le domaine d’intervention privilégié, et peu contesté
du médecin, c’est le diagnostic et le traitement médica-
menteux. La question de l’hygiène de vie, c’est surtout
le domaine favori du patient. Ces patients se caractéri-
sent par le fait qu’ils discutent des actions personnelles
visant à améliorer leur santé ou leur « être bien » avec des
médecins qui respectent leur autonomie.
Dans le second cas de figure, les patients expliquent
qu’ils ont fait le choix de déléguer leur santé au médecin.
Leur santé n’est pas perçue par eux comme relevant
de leur volonté propre. Elle est mise dans les mains du
généraliste à qui ils accordent toute confiance. Toutefois si
ces patients adoptent une attitude coopérative pendant la
consultation et suivent généralement à la lettre les traite-
ments prescrits, cela n’implique pas à tous les coups qu’ils
obéissent aux conseils d’hygiène de vie de leur médecin.
Pour certains, modifier leur comportement leur paraît
au-dessus de leurs compétences. Pour d’autres, l’adop-
tion d’une attitude docile en consultation correspond à
une prise de rôle. La docilité serait un masque dissimulant
les diverses stratégies par lesquelles le patient tente de
conserver ou reconquérir un certain contrôle de la situa-
tion [19].
L’HYPERTENSION, UN « MAL INCONSISTANT »
Un des résultats spécifiques de notre recherche est la
définition de l’hypertension comme « mal inconsistant »,
dimension qui implique de la part des médecins généra-
listes de rechercher des stratégies d’action adaptées et qui
explique la difficulté de la prise en charge et du contrôle de
l’hypertension tant de la part des patients que de la part
des médecins.
Selon notre analyse des propos des médecins et des
patients, l’inconsistance de l’hypertension se décline
selon six dimensions :
la routine : la prise de tension est un élément consti-
tutif d’une consultation de médecine générale quel qu’en
soit le motif, et le geste ne distingue pas un patient hyper-
tendu d’un autre. Il apparaît sous forme d’invite à passer
à l’examen clinique : « On va prendre la tension. » Il est un
acte intégré par le patient qui, à peine installé sur la table
d’examen, tend spontanément le bras au médecin qui a
déjà saisi le tensiomètre ;
la banalisation : l’hypertension est très répandue en
population et augmente avec l’âge, aussi quand on vieillit
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