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sociales, économiques, spatiales, ou avec la question plus générale du développement, ainsi que
de la persistance de la pauvreté (cf. Salama, 2006, 2009). L’informalité est observée sur le terreau
de situations de précarité, de pauvreté, de dynamiques de subsistance et de processus d’exclusion,
et interrogée à partir de ces dimensions. C’est aussi dans leur rapport à l’Etat, à la norme, à la
règle, que les informalités prennent leur sens. Formuler le questionnement sur les relations entre
informalités et inégalités implique ainsi, d’une certaine façon, de déplacer le regard.
Troisièmement, la difficulté de l’exercice ressortit de l’espace interrogé : les Amériques. Au-delà
de l’unité physique ou de l’horizon historique qui lui donne naissance en tant que « Nouveau
monde » en 1492, cet espace de plus de 900 millions d’habitants rassemble la première puissance
mondiale et certains des pays les plus pauvres de la planète, tels Haïti ; en termes de
développement, d’inégalités et d’informalités, voilà des contextes qu’il est peu aisé de confronter.
Pourtant, la mondialisation, questionnant l’étanchéité des frontières, invite à reconsidérer les
limites traditionnelles des territoires et leurs approches séparées ; la fondation récente de l’Institut
des Amériques en est un exemple. Les frontières culturelles entre mondes anglo-saxon et latin
sont questionnées, par la présence de plus de quarante millions d’Hispaniques aux Etats-Unis,
notamment la « Mexamérique » du sud-ouest, dont S. Huntington craint qu’elle ne mette en
danger l’identité étasunienne (2004, chapitre 9 : the hispanic challenge). Les frontières sont aussi
discutées dans les grandes villes latino-américaines, aux paysages et aux mœurs inégalement
« américanisés », qu’il s’agisse du règne de l’automobile, des shopping centers, ou de la
consommation de masse de plus en plus issue de standards et de produits d’origine étasunienne.
Les campagnes de bien des régions rurales affectées par les migrations internationales, du
Mexique à la Bolivie, traduisent aussi, via les échanges avec le Nord (El norte), des évolutions
d’ambiances, de pratiques – montée en puissance des églises évangéliques, par exemple –, de
paysages, qui rendent nécessaire la mise en lien scientifique des deux Amériques, dans des
contextes de transnationalisation massifs. L’accélération des échanges économiques, humains, et
des modes de mises en lien, qui justifie des questionnements articulant nord et sud plutôt que les
opposants (cf. Autrepart, « On dirait le sud… », 41/2007), n’amenuise pas pour autant les
inégalités. Au contraire : entre nord et sud, l’écart se creuse ; les pays dits développés concentrent
19% de la population et 80% des richesses, et l’écart de revenus avec les pays dits en
développement serait passé de 1 à 11 en 1870 à 1 à 30 en 1965, puis à 1 à 78 en 2000, alors que
les 20% des habitants les plus pauvres, qui disposent au début du XXIème siècle de 1,1% du
revenu mondial, en bénéficiaient de 2,3% en 1960 (Carroué, 2004 : 41). Lisibles aux échelles
macro-régionales, les inégalités s’expriment à bien d’autres niveaux. La crise financière et
économique actuelle, déclenchée aux Etats-Unis, met en évidence le creusement des inégalités au
sein même des populations et des espaces de la première puissance économique mondiale. Les
échelles de ces inégalités se recomposent, traversent des espaces urbains très ségrégués, que l’on
dit aussi fragmentés (cf. par exemple Navez Bouchanine, 2002). Il n’en demeure pas moins que
l’informel reste un phénomène économique majeur en Amérique latine, aux proportions peu
comparables avec les Etats-Unis et le Canada. Si nous tenterons de rester sensibles à cette échelle
américaine de référence, le traitement des Amériques dans la question posée rendra compte de la
saillance de sa partie latine, comme en témoignent aussi les terrains de recherches de la plupart
des auteurs de cette publication.
Le propos s’articule autour d’une double question : quelles sont les déclinaisons des inégalités et
des informalités dans les Amériques ? Et comment peut-on y articuler ces notions ?