et la Lettonie ont surtout la particularité d’abriter des minorités allemandes puissantes dont la
domination séculaire prend fin avec les indépendances baltes. Il faudrait donc étudier comment
celles-ci sont perçues par la France et surtout comment l’effort de la minorité allemande pour
défendre ses droits et la politique allemande est interprétée.
La première chose qui frappe tout Français découvrant Riga c’est la multitude des
bâtiments monumentaux attestant de l’emprise allemande passée : pour Émile Paulin, l’envoyé
du Temps, “tout évoque les sceptres abhorrés des intrus teutons sans scrupule et sans pitié “ 3.
Le lieutenant-colonel Reboul, lui aussi envoyé spécial du même journal, rappelle que jusqu'à une
date récente “au premier abord on y éprouvait un sentiment désagréable” aggravé par la vue de
toutes les enseignes, des nombreux livres en allemand4. Et chacun de se lancer dans le rappel de
la “terrible“ domination des chevaliers teutons et des servitudes auxquelles ont été astreints les
Lettons : au-delà des apparences passées (le passage sous l’uniforme russe à partir de 1710), la
fin de cette “domination féodale” ne s’est terminée qu’avec la fin de l’Empire allemand.
Les deux États baltes deviennent donc des exemples de pays où est stigmatisée la barbarie de
“l’Allemagne éternelle”. Il s’agit d’abord de montrer que les “barons baltes” sont de véritables
Prussiens par leurs liens familiaux, leurs mentalités, leurs aspirations et que les pays du
“Baltikum” ont toujours été considérés comme de vieilles terres de culture allemande. La
description de tous les méfaits du “féodalisme allemand”(maîtres durs et impitoyables ne visant
comme en Prusse qu’à l’extinction de toute conscience nationale lettone) renvoie implicitement à
toute la propagande française qui fut faite au cours de la guerre contre la barbarie de l’armée
allemande 5 : il s’agit de montrer que la barbarie est un trait permanent du caractère allemand,
que derrière l’apparent éclat de la civilisation germanique a toujours subsisté la sauvagerie des
débuts . Certains iront même jusqu’à parler de la “tendresse allemande” pour ces barons baltes,
ce symbole conservé si parfaitement de la race prussienne antique. On rappelle de plus, dans la
lignée là-aussi des ouvrages français, l’ancienneté du « Drang nach Osten » et l’intégration de
ces marches orientales dans le Reich allemand.
Mais il s’agit aussi et surtout d’opérer une relecture mythique du passé qui expliquerait la
défection russe, brutale et traumatisante. Même sous l’uniforme russe, les Allemands d’Estonie
et de Lettonie seraient toujours restés fidèles à l’Allemagne et leurs intérêts : ce seraient donc
eux avant-guerre qui, en occupant une majorité de postes à responsabilité dans la haute
administration tsariste, ont mis le régime russe dans l’impasse. Leur fidélité au tsar au début de
3« Courrier de Lettonie », Le Temps, 5 avril 1921
4 « Lettre de Lettonie. La Lettonie et l’Allemagne », Le Temps, 2 août 1921
5AMAEF, Estonie, 13, 19 septembre 1922. (Pour les notes bas de page renvoyant aux archives diplomatiques, si
nous n’indiquons la série concernée, il s’agit de la série Z-Europe 1918-1940).