La France, la naissance des Etats baltes (Estonie,
Lettonie) et le probl`eme de l’influence germanique au
d´ebut des ann´ees vingt
Julien Gueslin
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Julien Gueslin. La France, la naissance des Etats baltes (Estonie, Lettonie) et le probl`eme de
l’influence germanique au d´ebut des ann´ees vingt. Nordiques, 2007, 1. <hal-01405401>
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La France, la naissance des États Baltes (Estonie, Lettonie) et problème de l’influence
germanique au début des années vingt 1:
Julien Gueslin
Lorsqu’en 1921 la France reconnaît de jure les États lettons et estoniens,
bien peu de Français connaissent l’histoire et la situation de ces pays voire seraient même
incapables de le situer correctement sur une carte. À l’exception des derniers épisodes de la lutte
contre les corps francs, la lente et sinueuse marche des Baltes vers l’indépendance est passée
presque inaperçue. De plus dans la première moitié des années vingt, les multiples crises et
problèmes internationaux qui secouent en particulier l’Est européen détournent l’attention de la
majorité de la presse sur ces États dont la situation est pourtant fragile. Si nous nous appuyons
sur les sondages que nous avons effectués dans divers grands quotidiens, seul finalement le
Temps apporte une information conséquente sur l’évolution de la Lettonie et l’Estonie. Ce
dernier est bien informé grâce à son correspondant de Riga ou à ses envoyés spéciaux (rubrique
Bulletin de l’Etranger sous la forme d’une dépêche ou d’un petit article ou quelquefois une
Lettre d’Estonie ou de Lettonie, un article plus long et de fond sur le pays concerné et ses
problèmes du moment) ou aux dépêches de l’Agence Havas, que les autres journaux se
contentent tout au plus de recopier quelquefois. Peu de voyageurs se hasardent dans les
nouveaux États : quelques commerçants prospectent les marchés mais peu ont laissé des
impressions sur leur séjour. C'est surtout le petit noyau de diplomates en poste à Riga (Lettonie)
et Tallinn (jusqu’en 1918 Reval, Estonie) qui, sur place, va se faire une opinion des nouveaux
États baltes et transmettre sa vision de la situation au Quai d’Orsay (3 ou 4 agents diplomatiques
avec à leur tête un ministre plénipotentiaire sidant dans chaque capitale : De Martel en Lettonie
de 1921 à 1924, puis Barret à partir de 1924; Gilbert de 1921 à 1923 puis De Vienne à partir de
cette date en Estonie). À ces diplomates s’ajoutent deux attachés militaires dans chacune des
capitales et le commandant de la Division navale de la Baltique qui fait escale régulièrement
dans les grands ports baltes. Il s'agira donc de voir ce groupe plus ou moins homogène de
Français a élaboré une série de jugements plus ou moins sûrs, de stéréotypes qui vont être à la
base de la vision française des États baltes et donc de la politique menée.
1 Cet article est issu d’une communication faite en 2001 lors du séminaire de Madame Pelus-Kaplan à l’université
Paris VII-Jussieu et reprenant en partie les recherches entamées lors de mon DEA soutenu en 1999 à l’Université
Paris-I sous la direction de m. le professeur Robert Frank.
Beaucoup d’hypothèques pèsent au début des années vingt sur l’avenir des deux États :
c’est leur attitude face aux actions des autres grandes puissances. Il y a la crainte de voir les
Soviétiques contrôler les rives de la Baltique orientale. La Baltique devient également un espace
de rivalités entre les deux alliés qu’ont été et sont encore la France et la Grande-Bretagne mais
qui ont des visions antagonistes de ce que doit être l’avenir de ces petits États. Mais ce qui
détermine en grande partie la vision française, c’est l’attitude et la situation de l’Estonie et de la
Lettonie Le but de cet essai sera donc d’étudier les réactions de ce petit groupe plus ou moins
homogène de Français face à la naissance d’États et cela dans le cadre de la politique allemande
de la France et en particulier, au début des années vingt, dans la lutte contre la résurrection de la
puissance germanique2.
On pourrait alors se demander, dans ce cadre quelle place est attribuée aux deux États
dans la hiérarchie explicite et implicite établie par les décideurs français en Europe centrale et
orientale; en particulier au début des années vingt dans la lutte contre la résurrection de la
puissance germanique. Sont-ils placés sur le même plan que d’autres petits États plus anciens ou
qui viennent de naître ? Ces deux États nous semblent en fait un bon exemple de la position du
milieu diplomatique français au début des années vingt vis-à-vis de l’idée de petit État tant les
deux États qui surgissent semblent faibles, sans passé et sans atout : personne n’a prévu ou même
imaginé leur apparition avant ou même pendant la guerre. Mais, de par leur position stratégique
peut-on affirmer qu’aux yeux des diplomates français ces pays sont en quelque sorte des
“exclus” de la société européenne des nations? La position française se révèle en fait
particulièrement complexe, à l’image peut-être de l’attitude française vis-à-vis des autres petits
États de l’Europe centrale et orientale.
C’est la lutte des Baltes contre l’armée allemande puis les corps francs qui a
éveillé l’intérêt de l’opinion française pour leur destin et c’est cet aspect de leur combat que la
propagande de ces petits États a surtout utilisé pour éveiller les sympathies françaises. Les petits
États qui sont reconnus en janvier1921 sont donc considérés comme des alliés de facto dans la
lutte contre tout renouveau de la puissance allemande. Outre leur position stratégique, l’Estonie
2 Pour une analyse d’ensemble de toutes ces influences, des perceptions françaises en découlant tout comme du cas
du troisième État « balte », la Lituanie, voir ma thèse de doctorat : La France et les « petits États » baltes : réalités
baltes, perceptions françaises et ordre européen (1920-1932), sous la direction de M. le professeur Robert Frank,
Université Paris I, 2004 (Prix Jean-Baptiste Duroselle, 2005).
et la Lettonie ont surtout la particularité d’abriter des minorités allemandes puissantes dont la
domination séculaire prend fin avec les indépendances baltes. Il faudrait donc étudier comment
celles-ci sont perçues par la France et surtout comment l’effort de la minorité allemande pour
défendre ses droits et la politique allemande est interprétée.
La première chose qui frappe tout Français découvrant Riga c’est la multitude des
bâtiments monumentaux attestant de l’emprise allemande passée : pour Émile Paulin, l’envoyé
du Temps, tout évoque les sceptres abhorrés des intrus teutons sans scrupule et sans pitié 3.
Le lieutenant-colonel Reboul, lui aussi envoyé spécial du même journal, rappelle que jusqu'à une
date récente au premier abord on y éprouvait un sentiment désagréableaggravé par la vue de
toutes les enseignes, des nombreux livres en allemand4. Et chacun de se lancer dans le rappel de
la “terrible“ domination des chevaliers teutons et des servitudes auxquelles ont été astreints les
Lettons : au-delà des apparences passées (le passage sous l’uniforme russe à partir de 1710), la
fin de cette “domination féodale” ne s’est terminée qu’avec la fin de l’Empire allemand.
Les deux États baltes deviennent donc des exemples de pays est stigmatisée la barbarie de
“l’Allemagne éternelle”. Il s’agit d’abord de montrer que les “barons baltes” sont de ritables
Prussiens par leurs liens familiaux, leurs mentalités, leurs aspirations et que les pays du
“Baltikum” ont toujours été considérés comme de vieilles terres de culture allemande. La
description de tous les méfaits du “féodalisme allemand”(maîtres durs et impitoyables ne visant
comme en Prusse qu’à l’extinction de toute conscience nationale lettone) renvoie implicitement à
toute la propagande française qui fut faite au cours de la guerre contre la barbarie de l’armée
allemande 5 : il s’agit de montrer que la barbarie est un trait permanent du caractère allemand,
que derrière l’apparent éclat de la civilisation germanique a toujours subsisté la sauvagerie des
débuts . Certains iront même jusqu’à parler de la “tendresse allemande” pour ces barons baltes,
ce symbole conservé si parfaitement de la race prussienne antique. On rappelle de plus, dans la
lignée -aussi des ouvrages français, l’ancienneté du « Drang nach Osten » et l’intégration de
ces marches orientales dans le Reich allemand.
Mais il s’agit aussi et surtout d’opérer une relecture mythique du passé qui expliquerait la
défection russe, brutale et traumatisante. Même sous l’uniforme russe, les Allemands d’Estonie
et de Lettonie seraient toujours restés fidèles à l’Allemagne et leurs intérêts : ce seraient donc
eux avant-guerre qui, en occupant une majorité de postes à responsabilité dans la haute
administration tsariste, ont mis le régime russe dans l’impasse. Leur fidélité au tsar au début de
3« Courrier de Lettonie », Le Temps, 5 avril 1921
4 « Lettre de Lettonie. La Lettonie et l’Allemagne », Le Temps, 2 août 1921
5AMAEF, Estonie, 13, 19 septembre 1922. (Pour les notes bas de page renvoyant aux archives diplomatiques, si
nous n’indiquons la série concernée, il s’agit de la série Z-Europe 1918-1940).
la guerre est tue et seuls sont retenus les efforts de certains pour créer un duché de Baltikum sous
dépendance allemande et la coopération avec l’armée allemande puis les corps francs de von der
Goltz 6: Reboul se plaît à reproduire des propos lettons les décrivant comme « des bolcheviks
avec des gants » pillant méthodiquement le pays et chargeant des trains entiers de meubles et
d’œuvres d’art.
Au total seule finalement la victoire française, en provoquant l’écroulement de l’Empire
allemand, aurait rompu cette marche jugée inexorable vers le triomphe complet du germanisme
au bord de la Baltique. Elle aura sapé également les bases qui ont fondé l’existence de ce
féodalisme attardé. On minimise ainsi volontiers le rôle qu’ont pu jouer les petits peuples letton
et estonien pour leur libérations et les atermoiements français à les soutenir dès le début. On
“oublie” ainsi que ce sont les Alliés qui ont maintenu les troupes allemandes dans les territoires
baltes au lendemain de l’armistice et favorisé ainsi indirectement la constitution et les exactions
des corps francs. En conformité avec la propagande française, la France, pôle de stabilité et de
paix, serait au contraire la grande puissance qui aurait pris les deux jeunes États sous sa
protection et aurait pris l’initiative de les reconnaître en janvier 1921 (on passe là-aussi sous
silence l’année de blocage que fut l’année 1920 pour la diplomatie française entre la fin de
l’épisode des corps francs et l’évolution de la politique française fin 1920 7.
Pour beaucoup de responsables et journalistes français, les Baltes sont avant tout ces
paysans, ces “serfs d’hier” qui se sont opposés au féodalisme germanique. Dans cette optique, les
réformes agraires sont considérées, non sans justesse, comme les clés de voûte des deux
nouveaux États. Les lois d’expropriation ont été votées dès octobre 1919 en Estonie, en
septembre 1920 en Lettonie : la quasi-totalité des grandes propriétés pour la plupart allemandes
(à l’exception de la région de Latgale où il s’agit de Polonais) sont prises en charge par l’État qui
les scinde en lots distribués soit aux fermiers déjà présents soit à des colons. À la différence de
l’Estonie, la Lettonie laisse aux propriétaires dépossédés un bien reliquaire (au maximum 50 ha)
mais leur refuse tout autre dédommagement. L’Estonie ne se décidera que tardivement (1926) à
payer des dédommagements mais ceux-ci se limiteront à 3% du bien exproprié et le plus souvent
en obligations d’État 8. À l’exception de ceux qui décident d’émigrer vers l’Allemagne, les
anciens propriétaires mènent un combat d’arrière-garde : ils veulent empêcher ou modifier les
6 «La fête nationale en Lettonie », Le Temps, 13 octobre 1921
7Voir par exemple l’article de E. ALGAZY « Lettre de Lettonie. Les relations extérieures (suite) », Le Temps, 23
décembre 1921,
AMAE, Russie, 694, 8 décembre 1923 ou Lettonie, 4, 25 novembre 1921
8RAUCH (G. von), Geschichte der baltischen Staaten, Munich, 1977, p90sq.
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