son profond désir de voir, d’être séduit par le spectacle. En dépit de ses apparentes
insuffisances, il ne demande qu’à être ravi.
À partir des années 1970-1980, l’émergence d’un théâtre pour le jeune public conduit
au premier plan la figure de l’enfant spectateur. L’attention grandissante des créateurs à son
égard se traduit par une réflexion exigeante sur la communication théâtrale : la spécificité de
la réception enfantine, considérée comme une richesse, les amène à concevoir de nouvelles
formes de propositions artistiques. Dans ce chapitre, nous mettons l’accent sur l’invention
d’un théâtre visuel qui cultive la fascination par l’image, le geste et la matière, et d’un théâtre-
récit où la performance théâtrale est dominée par la voix du conteur. Le théâtre d’objets,
devenu l’une des formes dominantes du théâtre jeune public contemporain, combine les deux
pratiques et revendique une évolution de l’adresse en direction d’un public intergénérationnel.
La question des contenus est également stimulante dans la mesure où la quasi absence
de répertoire fait du théâtre pour la jeunesse le territoire de tous les possibles. Certains
metteurs en scène recherchent des supports textuels ayant fait leur preuve auprès des jeunes
lecteurs : de l’adaptation-recréation au palimpseste, le conte joue un rôle très remarquable
dans l’élaboration du répertoire théâtral pour la jeunesse. D’autres considèrent qu’il faut aller
plus loin dans la recherche de contenus adressables au jeune public en nourrissant le
répertoire d’œuvres délibérément non enfantines. Dès les années 1980, nous observons
l’étonnante percée d’un esprit beckettien dans le théâtre jeune public, et, plus généralement,
une affinité de la création pour la jeunesse avec le « nouveau théâtre », encore appelé théâtre
de l’absurde. Au fil du temps, les artistes vont ainsi étendre le champ des possibles, tant
esthétiques que thématiques, au nom de la liberté du jeune spectateur. Au cours de ce
processus, l’audace des metteurs en scène est peu à peu relevée par celle des auteurs.
Quatrième chapitre : Le triomphe de l’enfant personnage
Nous abordons enfin la question de l’enfant personnage, ultime figure clé du théâtre
jeune public contemporain. Pour les créateurs de théâtre, il est difficile de la contourner mais
elle leur pose un vrai problème dans la mesure où pour des raisons éthiques, les rôles
d’enfants ne peuvent être joués par des enfants acteurs, comme cela se produit au cinéma. Or
un comédien adulte peut-il incarner un enfant personnage de façon crédible et satisfaisante ?
La question est ouverte au milieu des années 1990, alors que les premiers héros de la
littérature enfantine (Alice, Mowgli, Tom Sawyer, le Petit Prince…) conquièrent la scène
théâtrale.