Penser le webdesign en fonction du type de site
Crédits : Nicole PIGNIER
Mis à jour le : 5 janvier 2005
Un site est un complexe de genres
On entend communément parler de site institutionnel pour présenter une marque
ou une institution, ou encore de site promotionnel pour promouvoir des produits
ou/et des services, ou encore de site d’actualités pour donner des informations
récentes voire de site conceptuel lorsque celui-ci fait appel à un webdesign
innovant. Mais cette classification est-elle stratégique pour le D.A. ? Non, car un
site institutionnel peut aussi faire la promotion de produits ou services, il peut
aussi faire état d’agendas et d’actualités, et même prendre l’allure d’un site
conceptuel. Il suffit de regarder le site web du styliste Yssey Miyake , pour
comprendre que cette typologie ne permet pas d’orienter ses choix. En revanche,
si l’on pense un site web comme un complexe de genres différents, par exemple,
un catalogue en ligne, un agenda en ligne, une liste d’adresses, une présentation
en ligne de marque, etc., on peut orienter ses choix, en fonction des cibles et des
impératifs mercatiques sur :
1. le nombre et les genres qui constituent le site ;
2. le degré d’interactivité et d’interaction de chacun ;
3. la cohésion, au niveau plastique et la cohérence au niveau discursif entre
les différents genres d’un même site.
Définir une promesse de communication
Penser la conception ou l’amélioration d’un site revient donc à définir non
seulement la forme et le contenu de chaque genre qui le constitue mais aussi
l’orchestration de l’ensemble, pour que la diversité des genres donne lieu à une
globalité cohérente et non à une pluralité disparate. Cette globalité cohérente se
fonde sur une promesse ou un contrat d’orientation qui définit une stratégie
communicationnelle spécifique.
Précisément, les stratèges peuvent orienter un site avec une promesse
communicationnelle à dominante soit :
1. de représentation mimétique, démonstrative : le site prétend donner des
renseignements informatifs ou pratiques avec une connotation réaliste. Le design
interactif se fonde sur une opposition texte/image et travaille alors peu
l’interactivité sauf pour donner une illusion référentielle ou même
hyperréférentielle en utilisant par exemple de la vidéo. Il s’agit de faire voir, faire
lire du vraisemblable ;
2. de présentation figurative : le site choisit une connivence ludique pour faire
passer des informations, capter l’attention. Le design interactif travaille les
mouvements, les couleurs et les formes du texte verbal et des images pour
illustrer et répéter analogiquement, par l’aspect plastique, le contenu. La
promesse du site est alors une simulation ludique et illustrative du vivant ;
3. d’évocation mythique, symbolique : la promesse du site n’est pas de
démontrer, représenter de manière mimétique ou de présenter pour simuler mais
d’informer en faisant rêver, en ouvrant le sens de l’énoncé. Le design interactif
orchestre alors les mots, les images, les mouvements, les sons dans une
composition non répétitive mais complémentaire, labile pour créer une
atmosphère à connotation mythique qui est à contempler plus qu’à explorer ;
4. d’implication dépaysante, exploratoire : la promesse se fonde sur des
expériences narratives, émotionnelles et cognitives inédites impliquant
mentalement et corporellement l’internaute. Le design interactif travaille alors les
différentes modalités visuelles, verbales, sonores, dynamiques dans une
métamorphose et une anamorphose continues qui dépaysent et intriguent la
pensée : l’internaute a moins à contempler qu’à se mouvoir pour percevoir et
s’émouvoir.
Les stratégies de communication sur le web et leur fondement sensible
Ces stratégies communicationnelles impliquent des promesses de site, des
rhétoriques de design interactif et des horizons d’attente fondés sur des manières
d’être à la marque et au consommateur spécifiques. En fonction des valeurs à
faire passer, de la cible et des objectifs du site, on choisira une dominante qui
n’exclut pas les autres mais les modère. Cette méthodologie pour penser la
globalité et le type communicationnel d’un site permet de veiller ainsi à
l’efficience du design interactif par rapport aux valeurs de la marque, par rapport
à la cible et à la cohérence entre les différents genres qui constituent le site web.
Par exemple, pour ce qui est de la pertinence de la dominante stratégique
communicationnelle du site www.consumer.philips.com , est-il bien judicieux de
promouvoir des produits soins de bébé, beauté et hygiène, produits électroniques
en général revendiquant une valeur de bien-être, en se fondant exclusivement
sur une stratégie communicationnelle de représentation, d’illusion référentielle ?
Cette stratégie travaille l’image et le texte verbal en opposition dans un effet de
dénotation réaliste, sans interactivité ni interaction approfondies. Qu’en est-il,
lors de la navigation, de la réalisation de la promesse axée sur l’expérience du
bien-être ?
Comment orchestrer les différents genres d’un site ?
Le styliste Yssey Miyake et son webdesigner ont fait le choix de construire les
catalogues en ligne sur une stratégie dépaysante, impliquant l’internaute sur le
plan corporel et mental, qui offre en partage la découverte d’un univers inédit,
exprimant ainsi l’originalité de la griffe. Cette stratégie, tout à fait pertinente en
l’occurrence, se retrouve dans les autres genres de son site, sauf sur sa liste de
magasins, alors purement descriptive et pratique. S’il est vrai que ce genre sur
support papier relève d’un type d’acte discursif fondé sur le Savoir pratique et
non sur le rêve stimulant le Vouloir ni sur l’accès direct au magasin même virtuel
qui valoriserait alors l’énoncé comme Pouvoir, le web permet, quant à lui, de faire
évoluer la promesse du genre qu’est l’annuaire ou la liste d’adresses du simple
Savoir pratique vers un Pouvoir, un Vouloir, un Être et un Faire en cohérence
avec la promesse globale du site.
Autrement dit, enrichir la liste d’adresses par une mise en scène permettant à
l’internaute de franchir virtuellement la porte du magasin, de l’apercevoir par
dérobade grâce à sa gestuelle, d’en vivre une certaine polysensorialité, ce serait
passer d’un genre traditionnel et normatif à un genre interactif et interactionnel
en se fondant sur une stratégie dépaysante et exploratoire. Une autre possibilité
serait de s’en tenir à une évocation symbolique des magasins, par des vues
imaginaires à contempler, sans aller jusqu’à une mise en scène avec laquelle
l’internaute pourrait interagir. En revanche, la promesse globale du site, à
dominantes mythique et exploratoire, ne permet pas d’enrichir la liste d’adresses
avec une stratégie purement réaliste, sauf si l’on décide de casser la cohérence
d’ensemble. Chaque genre constitutif du site peut donc voir son contrat de
réception habituel évoluer plus ou moins en fonction de la promesse globale du
site.
Précisément, on peut enrichir ou transformer un genre aux niveaux :
1. du contenu ou niveau discursif ;
2. de la structure ou niveau textuel,
3. de la sensibilité formelle ou niveau plastique, puisqu’il se définit comme un
objet de sens "constitué par la réunion d’un type discursif et d’un type
textuel." orchestrés par une forme sensible ou plastique spécifique.
1. Le niveau discursif caractérise le plan du contenu et constitue la cohérence
discursive ; il comprend : le contrat ou la promesse d’énonciation ; les actes de
langage ; la structure narrative ; le style ; la figurativité ; les modalités
d’énonciation.
2. Le niveau textuel caractérise le plan de l’expression, la longueur, le parcours
de lecture ; et relève de la cohésion textuelle.
3. Le niveau plastique repose sur le mode de traitement synchrétique des images,
du texte verbal, des mouvements, des sons, etc., c’est-à-dire de leur
orchestration, de leur assemblage et assure le lien ou la congruence entre les
deux autres niveaux.
Par exemple, l’annuaire ou la liste d’adresses, se construit dans la presse, comme
suit :
Au niveau discursif ou du point de vue de la cohérence, il se fonde sur :
des actes de langage informatifs et pratiques et non pas sur de la
motivation symbolique ;
l’absence de mise en scène narrative ;
un style concis, sobre, prosaïque ;
un contrat de lecture purement pratique.
Au niveau textuel et du point de vue de la cohésion, la liste d’adresse se fonde
sur :
un texte sériel composé d’une disposition récurrente où chaque adresse
constitue une unité isolable ;
un montage par juxtaposition des unités ;
un texte bref pour chaque élément ;
un texte fermé, du point de vue de l’énonciation comme de la lecture, la
liste est arrêtée pour être publiable.
Au niveau plastique et du point de vue de la congruence, le traitement
synchrétique ou multimodal se limite à :
un texte écrit court, et, à la rigueur ;
une photo à connotation réaliste.
Intégré à un site web à dominante symbolique et/ou dépaysante, l’annuaire peut
devenir, ainsi que nous l’avons expliqué ci-dessus, un genre interactif et
interactionnel, par transformation :
1. du niveau discursif, avec de nouveaux actes de langage, un nouveau
contrat, une mise en scène narrative interactive au fil des pages, etc. ;
2. du niveau textuel, en travaillant une structure emboîtant, via les liens
hypertextuels, le genre du courrier électronique à celui de l’annuaire ; en
variant la longueur textuelle, qui n’est brève qu’en point d’entrée de la
lecture mais qui peut s’étirer, par un processus d’emboîtement de pages
en pages ;
3. du niveau plastique en travaillant les modalités visuelles, sonores,
dynamiques, verbales par complémentarité symbolique ou par subversion
exploratoire et dépaysante.
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