INTRODUCTION
A
LA
DOCTRINE
DE
LA
VERTU
I
1
Jadis le mot
ÉrHtau~
signifiait la doctrine des mœurs (philoso-
I
phia moralis) en général, que l'on nommait aussi la doctrine des
,
Tugendlehre); en sorte que maintenant on divise le système de
!
la doctrine générale des devoirs en doctrine du drnit (iurispru-
dentia), laquelle peut comprendre des lois extérieures, et en
/
doctrine de la vertu (ethica), qui ne peut en coniprendre
;
et l'on
l
I
Le concept du devoir est
dkjh
en lui-même le concept d'une
contrainte du libre-arbitre par la loi
;
cette contrainte peut main-
1
tenant être extérieure ou personnelle <Selbstzwang>. L'impé-
ratif moral indique par son décret catégorique (le
a
devoira
!
inconditionnt) cette contrainte, qui ne concerne pas les êtres
i
raisonnables en général (car il peut
y
en avoir de saints), mais
seulement les hommes comme êtres de la nature <Natumesen>
l
et lorsqu'ils lui obtissent pour ne le faire que contre leur gré
I
(en rtsistant
à
leur penchant), en quoi consiste précistment la
1
DOCTRINE DE
LA
VERTU INTRODUCTION
contrainte
l.
-
Mais l'homme étant cependant un
être libre
nécessaire, c'est-à-dire comme un devoir pour les hommes.
-
(moral), le concept du devoir ne peut envelopper aucune autre En effet puisque les penchants sensibles nous égarent vers des
contrainte qu'une
contrainte personnelle
(par la représenta- fins (comme matière du libre-arbitre), qui peuvent être
tion de la loi seulement), lorsqu'il s'agit de la détermination contraires au devoir, la raison législatrice ne peut autrement com-
interne de la volonté (les mobiles). En effet c'est ainsi seule- battre leur influence qu'en leur opposant
à
son tour une
fin
ment qu'il est possible d'unir cette
contrainte
(fût-elle mème morale, qui doit être ainsi donnée
a priori
indépendamment du
extérieure) avec la liberté du libre-arbitre
;
mais
à
ce point de
I
penchant.
vue le concept du devoir devient un concept éthique. On nomme
fin
l'objet du libre-arbitre (d'un être raisonnable),
Les penchants de la nature forment donc dans le cœur de dont la représentation determine [le vouloir]
à
une action qui
l'homme des
obstacles
à
I'accomplissement du devoir et aussi produise cet objet.
-
Or je puis bien
à
la vérite être contraint
des forces opposees (en partie puissantes) que l'homme doit se par autrui
à
des actions qui sont dirigees en tant que moyens
juger capable de combattre et de vaincre par la raison non vers une fin, mais je ne puis jamais être contraint par autrui
h
seulement dans l'avenir, mais aussi
à
l'instant même tandis
posséder une fin,
c'est moi seul qui détiens le pouvoir de
me
qu'il y pense; en d'autres termes l'homme doit se juger capa- proposer quelque chose comme
fin.
-
Mais si, de plus, je suis
ble de
pouvoir
ce que la loi lui ordonne inconditionnellement obligé de me proposer comme fin quelque chose qui est com-
comme ce qu'il
doit
faire. pris dans les concepts de la raison pratique et si par consequent
Or on nomme
courage (fortitudo)
la force et la décision réflé- [je dois admettre] en plus du principe formel de détermina-
chie d'opposer une résistance
à
un adversaire puissant, mais tion du libre-arbitre (tel que celui qu'enveloppe le droit), encore
injuste, et lorsqu'il s'agit de l'adversaire que rencontre l'inten-
I
un principe matériel de détermination, qui consiste
B
posséder
tion morale
en nous
le courage est alors
VERTU
(virtus, forti-
une fin, qui puisse être opposée
à
la
fin
qui résulte des penchants
tudo moralis).
Ainsi la doctrine génerale des devoirs dans la sensibles, il s'agit alors du concept d'une
fin qui est en elle-
partie qui consiste
à
soumettre
à
des lois non pas la liberte
méme un devoir;
et la théorie de celle-ci ne peut relever de la
exterieure, mais la liberté intérieure, est une
doctrine de la
doctrine du droit, mais appartient
à
l'éthique, dont le concept
n'implique rien d'autre qu'une
contrainte personnelle
d'aprés
La doctrine du droit ne concernait que la condition
formelle
des lois morales.
de la liberte (constituke par l'accord de la liberte avec elle- Par la même raison on peut également definir l'éthique comme
même lorsque sa maxime était érigée en loi universelle), c'est- le système des
fins
de la raison pure pratique.
-
Fin et devoir
àdire le
DROIT.
En
revanche l'éthique nous offre encore une lié
à
la contrainte
<Zwangspflickt>,
ces deux expressions carac-
matibre
(un objet du libre-arbitre), une
FIN
de la raison pure, térisent les deux divisions de la doctrine générale des mœurs.
qu'elle presente en même temps comme une fin objectivement Que l'éthique contienne des devoirs que l'on ne puisse être
contraint (physiquement) d'observer par autrui, c'est ce qui
1.
Toutefois lorsqu'il se considère objectivement, en fonction de sa ddtemina-
résulte simplement de ce qu'elle est une doctrine des
fins;
en
tion par sa raison pure pratique (d'après I'humanile' en sa propre personne),
effet subir ou se proposer une semblable
contrainte
est chose
l'homme se trouve en m8me temps comme ttre moral assez saint pour ne violer
contradictoire.
la
loi interieure qu'A contre-cœur
:
c'est qu'en effet il n'existe pas d'homme assez
dCprave pour ne pas sentir en lui-même tandis qu'il la viole une resistance et un
Mais que I'éthique soit une
doctrine de la vertu (doctrina
sentiment de mkpris pour lui-même, qui le mkne
A
exercer une contrainte sur
officiorum virtutis),
c'est ce qui découle aussi de la précé-
lui-meme. Expliquer le phknomène suivant lequel en cette alternative (qu'illustre
dente définition de la vertu, comparée
à
l'obligation, dont le
la belle fable d'Hercule placé entre la vertu et la volupt.5) I'homme se montre
plus dispose
A
kcouter son penchant que la loi. est chose impossible
;
c'est que
caractère propre a également été indiqué.
-
En effet, il n'existe
nous ne pouvons expliquer ce qui arrive qu'en
k
dkrivant d'une cause d'aprhs
aucune autre determination du libre-arbitre, qui par son concept
des lois de la nature
;
et en ce cas nous ne parvenons plus
A
penser le libre-arbitre
soit propre
à
échapper
à
toute contrainte même physique dépen-
comme libre.
-
Cependant cette contrainte personnelle qui se manifeste en deux
dant du libre-arbitre d'autrui. en dehors de celle qui consiste
à
sens opposbs, ainsi que I'impossibilitk d'kvitcr [ce conflit], nous font connaître
i'incompréhensible qualitd de la liberte'.
se proposer une
fin.
Autrui peut bien me
contraindre
à
faire
quel-
I
!
52
DOCTRINE
DE
LA
VERTU
que chose. qui n'est pas ma fin (mais seulement un moyen pour
le but d'autrui); il ne saurait me contraindre
à
m'en faire une
fin
et je ne puis donc avoir une fin sans me la proposer moi-
même. Le contraire serait une contradiction; ce serait un acte
de liberté qui en même temps ne serait pas un acte libre.
-
En
revanche il n'est pas contradictoire de se proposer
à
soi-même
une fin, qui est en même temps un devoir: car alors je me
contrains moi-même et cela est très conciliable avec la liberté
l.
-
Mais comment une telle fin est-elle possible
?
telle est mainte-
nant la question. Car la possibilité du concept d'une chose
(&
savoir que ce concept ne comprenne pas de contradiction) ne
suffit pas encore pour que l'on admette la possibilité de la chose
elle-même (la réalité objective du concept).
INTRODUCTION
devoir
;
car ces fins, en effet, ne seraient que des principes empi-
riques pour les maximes et ils ne sauraient fournir aucun
concept du devoir, puisque celuici (le devoir catégorique) a sa
racine uniquement dans la raison pure; et c'est pourquoi, si
les maximes devaient être dégagées de ces fins (qui sont toutes
intéressées), il ne pourrait pas
à
proprement parler être ques-
tion d'un concept du devoir.
-
Dans l'éthique ce sera donc le
concept du devoir
qui conduira
à
des fins et les
maximes
rela-
tives aux fins que nous
devons
nous proposer. devront se fon-
der sur des principes moraux.
Après avoir indiqué ce qu'est une fin qui est un devoir en elle-
méme et comment une telle fin est possible, il sera seulement
nécessaire de montrer ici pourquoi un devoir de ce genre se
nomme un
devoir de vertu.
A
tout devoir correspond
un
droit, considéré comme une
f~culté (facultas moralis generatim)
;
mais on ne peut dire qu'à
tous les devoirs correspondent
des
droits au nom desquels autmi
peut exercer une contrainte sur quelqu'un
(facultas iuridica)
;
ceci
ne vaut que pour les
devoirs de droit.
-
De même le concept de
vertu correspond
à
toute
obligation
éthique, mais tous les devoirs
Explication du concept d'une fin, qui est aussl un devoir éthiques ne sont pas pour cette raison des devoirs de vertu.
En effet, les devoirs qui concernent moins une certaine fin
On peut penser de deux manières le rapport de la fin au devoir
:
(matière, objet du libre-arbitre) que le seul élément
formel
OU
bien on peut en partant de la fin chercher la
maxime
des
<bloss das Formliche>
de la détermination morale de la volonté
actions conformes au devoir, ou bien, inversement, partant de (par exemple
:
l'action conforme au devoir doit être faite
par
cette maxime on peut chercher la
fin
qui est en même temps
devoir),
ne sont pas des devoirs de vertu. Seule une
fin qui est
un devoir.
-
La
doctrine du droit
suit la première démarche.
en méme temps devoir
peut être appelée un
DEVOIR
DE
WRTU.
On laisse
à
chacun la liberté de fixer
à
ses actions la fin qui lui C'est pourquoi il y a plusieurs devoirs de ce genre (ainsi que
convient. Mais la maxime des actions est déterminée
a priori:
il plusieurs vertus), tandis que du premier point de vue il n'y a
hut que la liberté de l'agent puisse s'accorder avec la liberté qu'un seul devoir valable, mais qui vaut pour toutes les actions
:
de tout autre suivant une loi universelle. l'intention vertueuse.
L'éthique.
en revanche, suit une démarche opposée. Elle ne Le devoir de vertu se distingue essentiellement du devoir de
peut partir des fins que l'homme peut se proposer et décider droit en ce qu'une contrainte extérieure est moralement possi-
d'après cela des maximes qu'il doit admettre, c'est-&-dire de son ble par rapport
à
ce dernier, tandis que le premier repose uni-
quement sur une libre contrainte personnelle.
-
Pour des êtres
1.
L'homme est d'autant plus libre qu'il est moins soumis
P
la contrainte
phy-
finis, mais
saints
(qui ne pourraient pas même être tentés de
sique et qu'il l'est plus par contre
P
la contrainte morale (par la simple repre-
manquer au devoir) il n'y aurait pas de doctrine de la vertu,
sentation du devoir).
-
Celui qui. par exemple. doud d'une force de résolution
mais seulement une doctrine des mœurs, qui implique une aute
assez ferme et d'une $me assez forte pour ne pas renoncer
P
un divertissement
qu'il
a
projete, si etendues que soient les facheuses consequences dont on l'avertit,
nomie de la raison pratique, tandis que la doctrine de la vertu
renonce cependant inconditionnellement
B
son projet. mais non sans regret, d&s
suppose aussi une
autocratie
de la raison pratique, c'est-à-dire
qu'on lui represente qu'il négligerait ce faisant ses devoirs. ou bien un p&re
la conscience, sinon immédiatement perçue, du moins rigoureuse-
malade. fait au plus haut degre preuve de sa liberté par le fait mCme de ne pas
ment déduite de l'impératif catégorique moral, de la
faculté
de
Pouvoir dsister
B
la
voix du devoir.
54
WCTRINE
DE
U
VERTU
se rendre maître des penchants contraires
A
la loi; c'est pour-
quoi la moralité humaine
à
son plus haut degré ne peut rien être
plus que vertu
;
et cela serait encore vrai si elle était toute pure
(entièrement libre de l'influence d'un mobile étranger au
devoir), car elle est alors un Idéal (dont on doit sans cesse se
rapprocher) que l'on personnifie commundment sous le nom de
sage.
Mais il ne faut pas non plus définir et apprécier
<würdigen>
la vertu comme une habileté
<Fertigkeit>
et (comme s'exprime
le prédicateur
Cochius
dans son mémoire couronné) comme une
longue
habitude
A
des actions moralement bonnes acquises par
l'exercice. Car si cette habitude n'est pas l'effet de principes
réfléchis, fermes, toujours plus éclairés, alors. comme tout
autre mécanisme élaboré
B
partir de la raison techniquement
pratique. elle ne sera ni adaptée
A
tous les cas, ni assez garantie
contre le changement que de nouvelles tentations peuvent pre
duire.
Remarque
Si la vertu
=
+
A,
le manque de vertu <negaiive Untugend>
(faiblesse morale)
=
0,
lui est opposé comme
logiquement contra-
dictoire (contradictorie oppositum),
en revanche le vice
=
-A
lui est opposé comme son
contraire (contrarie S. realiter oppo-
sifum).
Aussi bien demander si de grands
crimes
n'exigent point
peut-être plus de force d'âme que de grandes vertus, ce n'est pas
seulement poser une question qui n'est pas nécessaire, c'est
aussi poser une question choquante. En effet par force d'âme nous
entendons la force de la résolution d'un homme en tant qu'être
doué de liberté, par conséquent dans la mesure il est maître
de soi (dans son bon sens), et est alors dans l'état en lequel
l'homme est
sain.
Mais les grands crimes sont des paroxysmes
dont l'aspect fait frémir tout homme sain d'esprit. La question
reviendrait sans doute
A
ceci
:
un homme dans
un
accès de folie
peut-il avoir plus de forces physiques que lorsqu'il se trouve dans
son bon sens
?
-
c'est ce que l'on peut admettre sans accor-
der pour cela
A
cet homme plus de force d'âme, si par âme on
entend le principe vital de l'homme dans le libre usage de ses
forces. En effet puisque les crimes ont leur principe unique-
ment dans la force des penchants qui
affaiblissent
la raison.
ce qui ne prouve aucune force d'âme, la question proposée
1 / 19 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !