On voit bien que la détermination morale de l’existence est surtout affaire d’intériorité. Il
s’agit de faire de la conscience morale une conscience de soi qui identifie la liberté au
commandement moral. La loi en général fonde la valeur de commandement sur
l'universalité : « Agis de telle sorte que tu puisses aussi vouloir que la maxime de ton
action devienne une loi universelle » « Agis de façon à traiter l’humanité, aussi bien dans
ta personne que dans la personne des autres, toujours en même temps comme une fin, et
jamais simplement comme un moyen ». Ici, la fin dont parle Kant n'est pas une fin à
réaliser, mais une fin à respecter. La personnalité se confond avec la loi morale, et c'est la
loi morale qu'il faut respecter chez soi et chez autrui.
L’impératif de Kant : « Agis toujours comme si tu étais législateur en même temps que
sujet. » rappelle ainsi les injonctions du rituel du 4ème degré au Maître Secret dans ses
rapports à lui-même et avec autrui : « Vous ne vous forgerez point d’idoles humaines
pour agir aveuglément sous leur impulsion, mais vous déciderez par vous-mêmes de vos
opinions et de vos actions. Vous n’accepterez aucune idée que vous ne compreniez et ne
jugiez vraie » « Respectez toutes les opinions, mais ne les acceptez pour justes que si
elles vous apparaissent comme telles après les avoir examinées ».
La loi morale, comme fait de la raison, détermine pour l’homme une conscience, un
tribunal intérieur dans lequel les idées s’accusent et se disculpent mutuellement. Notre
conscience, disposition intellectuelle et morale, nous oblige et nous contraint à juger nos
actions comme si elles l’étaient par une tierce personne. Dans ce lieu de justice intérieur,
similaire à la salle du trône du Roi Salomon, l’être intelligible s’élève comme accusateur
contre l’être sensible, défenseur. Peut-on envisager un accord à l’amiable ? Impossible,
dit Kant. La conscience morale a force de loi. Elle contraint et prononce une sentence
définitive, incontestable et sans équivoque.
Le juge impartial est l’être idéal que la raison s’attribue à elle-même. C’est le Trois Fois
Puissant Maître, représentant le Roi Salomon, qui préside les Loges au 4ème degré de
Maître Secret et au 14ème degré de Grand Elu Parfait et Sublime Maçon. On ne peut
exclure la possibilité que ce juge soit une personne réelle, mais si tel était le cas, il n’est
pas dit qu’un tel homme soit infaillible. Ce fut le cas de Salomon sage et vertueux « au
commencement » de son règne, mais qui sombra dans la licence et devint sourd à la voix
de l’Eternel, dit le rituel du 14ème degré. Il faut comprendre ici les mots « au
commencement » par « a priori », cette histoire symbolique se développant dans le cadre
de la raison.
Pour éviter la destruction du Temple de Salomon ordonnée par Dieu, Temple de la Vertu
aux plus belles heures de son règne, nous devons élever ce juge impartial jusqu’à Dieu,
idéal transcendant dont l’existence réelle n’a pas lieu d’être questionnée. La
transcendance est posée comme ce qui dépasse les limites de l’expérience, simple idée de
la raison pure. Ainsi le Franc-Maçon, en tant qu’être moral capable de se subordonner à
l’idée du devoir, tend à faire partie d’une classe supérieure d’êtres dignes d’être appelés
Grands Elus, dits Parfaits car saisissant leurs devoirs par référence à leur sainteté et leur
inviolabilité, et Sublimes car sublimant l’expérience sensible de la beauté finie de la
nature, et traversés par l’idée de l’infini, ils tendent vers ce qui dépasse leur entendement.
Les Grands Elus Parfaits et Sublimes Maçons se réalisent dans la durée, êtres vertueux
avant comme après la destruction du Temple de Salomon, qui eu lieu, indique le rituel,
quatre cent soixante-dix ans, six mois et dix jours après la dédicace du Temple. Malgré
les crimes de Salomon, ils « persévérèrent à guider leurs enfants sur le sentier de la Vertu
et selon les règles qui leur avaient été transmises dans la sainte et respectable union qui
perdurait entre eux ». Et après la destruction du Temple, ils vécurent « dans la vertu … ne
reconnaissant nul supérieur parmi eux, si ce n’est en vertu ».