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Dimanche 22 Février 2009
Avec les pasteurs Michel BERTRAND (Eglise réformée de France) et Louis
SCHWEITZER (baptiste), et le professeur Olivier MILLET, professeur de
littérature française (Paris 12) et spécialiste de Calvin. Animateur : Gill DAUDE,
pasteur de l’Eglise réformée de France à Paris-Annonciation.
Table ronde – La modernité de Calvin
Introduction :
Le pasteur Gill Daudé reçoit trois spécialistes de Jean Calvin, en introduction aux
conférences du Carême protestant, dans le cadre du cinq centième anniversaire de la
naissance du réformateur.
GD : Bonjour, autour de moi, pour évoquer la figure de Jean Calvin, trois éminents
universitaires :
Le professeur Olivier Millet, vous êtes professeur de littérature à l’Université Paris 12 et
spécialiste de Calvin. Vous venez de faire paraître le livre « Calvin : un homme, une
œuvre, un auteur » aux éditions Infolio.
Le professeur Michel Bertrand, théologien et pasteur réformé. Vous enseignez
actuellement la théologie pratique à l’institut protestant de théologie, à la faculté de
Montpellier.
Le professeur Louis Schweitzer, baptiste ; vous êtes professeur à la faculté de théologie
évangélique de Vaux/Seine. Et vous nous direz comment un baptiste s’approprie
l’héritage de Calvin.
Bonjour à vous trois. Commençons par l’histoire et essayons d’abord, autant qu’il possible,
de cerner le personnage…
Table ronde :
GD : Je me tourne alors vers l’universitaire et l’historien (Olivier Millet) : Calvin, dans
son siècle, c’est qui au fond ? Au-delà des caricatures que l’on peut en avoir…Peut-on
peindre une sorte de « tableau rapide » (sur Calvin) ?
OM : D’abord, Calvin est quelqu’un qui se rattache à l’humanisme chrétien de l’époque, de
la Renaissance ; c'est-à-dire quelqu’un qui pense que pour améliorer la vie des chrétiens il
faut revenir aux sources de la révélation chrétienne, en les étudiant - notamment dans la
Bible dans leurs langues originales. D’autre part, c’est un esprit très lucide qui porte un
diagnostique sur la situation politico-religieuse de son temps et qui pense que face à la
réaction de l’institution ecclésiale, l’église traditionnelle, contre le mouvement réformateur,
il faut organiser, structurer, fortifier ce mouvement réformateur si l’on veut qu’il ait une
chance de subsister et même de se propager.
GD : Il est lucide, mais il est aussi implacable d’une certaine manière…
OM : …à structurer, fortifier, organiser…c’est ce qu’a fait Calvin, il en a tiré les
conséquence et il l’a fait sur tous les plans de la vie des fidèles, de la théologie, de la pensée,
du message, des moyens de communication de ce message…c’est évidement aussi un
homme d’organisation !
GD : Calvin est aussi en même temps le fondateur des églises réformées ; alors d’un côté on
a des mots qui résonnent comme prédestination, austérité, autoritarisme…voilà des
caricatures que l’on peut en avoir…de ce point de vue-là, les réformés ne se l’approprient
pas ; d’un autre côté ils en sont quand même les héritiers…Comment peut-on caractériser la
marque originale de Calvin dans l’église du XVIème siècle ?
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MB : On pourrait reprendre les termes d’Olivier Millet : structurer, fortifier, organiser, même en ce qui
concerne l’église… la marque spécifique de Calvin c’est d’abord se situer dans une certaine continuité. C’est un
homme de son temps, l’on vit dans une société chrétienne, c’est un homme féru de la tradition, il ne fait
aucun rejet des grands textes de l’Eglise primitive, qu’il regarde avec affection ; il cite beaucoup les pères de
l’Eglise, par exemple il cite Saint Augustin et sa notion de l’église visible et l’église invisible.
Donc, ce qui est spécifique chez Calvin, comme chez les autres réformateurs d’ailleurs, c’est de donner la
priorité à la Parole sur l’Eglise. Et l’église est cette réalité invisible constituée par ceux qui répondent à la Parole
de Dieu. « Dieu seul connaît ceux qui sont les siens », dit Calvin.
Et donc cette priorité de la Parole, de « l’événement » Jésus-Christ sur l’Eglise, est tout à fait fondamentale.
En même temps, ce qui est très caractéristique chez Calvin, c’est qu’il va avoir peut-être plus que d’autres
réformateurs, ce souci de l’église visible ; car cette église invisible que seul Dieu connaît, elle s’incarne et se
manifeste dans l’Histoire à travers l’annonce de la Parole, la célébration des sacrements…Et cette église visible,
Calvin va avoir à cœur de l’organiser ; en lui donnant une structure théologique –à travers notamment tous ses
grands textes, d’une discipline ecclésiastique, d’une organisation de ministères et d’une organisation collégiale.
GD : On peut dire alors que Calvin c’est une sorte de « focalisation » sur la structuration de l’Eglise en son
temps, par rapport à d’autres courants de la Réforme…Calvin n’enthousiasmait pas tous les protestants au
XVIème siècle, ils luttaient eux-mêmes contre certaines formes de réforme. On peut parler de la « Réforme
radicale »…Vous qui êtes un héritier des églises baptistes (en s’adressant à Louis Schweitzer) et qui vous situez
dans ce sillon-là, comment Calvin se situait-il dans cette diversité des courants de la Réforme ?
LS : Je crois qu’il faut avoir conscience que Calvin est à l’origine des églises réformées qu’on appelle aussi
presbytériennes dans le monde anglo-saxon -. La plupart des églises protestantes non luthériennes, sont de près
ou de loin influencées par les idées, la pensée de Calvin, même si elles s’en sont séparées.
Ce qui a différencié, au fond, Calvin de ce qu’on appelle « les anabaptistes », donc une réforme plus radicale
déjà au XVIème siècle, c’était que Calvin restait dans la perspective constantinienne l’Eglise et l’état étaient
superposés –quand tout le monde était dans l’Eglise- , alors que déjà certains commençaient à se distancier.
Mais très vite, dès le XVIIème siècle, les traditions baptistes, puis après, dans l’anglicanisme, ce qui va sortir de
l’anglicanisme et la plupart du monde évangélique, va être très marqué par Calvin.
Et les débats des églises baptistes, par exemple, au XVIIème siècle seront exactement les mêmes que les débats
des églises réformées, c'est-à-dire autour de la pensée de C alvin sur la prédestination, le refus de la
prédestination…Donc la racine calvinienne a donné ensuite des arbres variés.
GD : Par contre, est-ce que l’on peut dire que le monde réformé se serait saisi de cette pensée particulière de
Calvin sur l’Eglise, alors que le monde évangélique – pour «faire large » - se serait plutôt saisi d’avantage sur la
conception de la Parole, et de la Parole qui interpelle plus radicalement ?
LS : Je pense que l’on peut dire que la théologie évangélique et le pensée calvinienne ou calviniste, dans le
sens strict du terme peuvent être en tension avec certains points de la dogmatique, mais le monde intellectuel
dans lequel elles bougent est calviniste ou calvinien.
Alors, effectivement, les deux grands points de divergence sont :
La conception de l’Eglise : pour Calvin l’Eglise est la fonction religieuse d’une société donnée ; en cela il
n’est pas radicalement différent de Luther, de catholiques, etc. Alors que pour les baptistes c’est la
communauté des personnes qui ont fait une démarche personnelle de foi.
La question du baptême : Calvin continue dans la perspective de défense du baptême de bébés, comme étant
la continuité de la circoncision ; alors que les baptistes, comme leur nom l’indique, mettent l’accent sur un
baptême de croyants.
GD : Donc déjà on voit une diversité d’héritages…Finalement Calvin, selon les axes que l’on prend, les lectures
que l’on peut en faire, si l’on avance un peu dans l’histoire de l’héritage de Calvin, en particulier dans la
modernité ou dans la post-modernité c’est un terme « très à la mode »…-, peut-on dire (en s’adressant à
Olivier Millet) dans la sphère culturelle et universitaire, qu’il y a une importance de Calvin ? Est-ce que dans
votre monde littéraire et d’historien il suscite un intérêt (ou il devrait susciter un intérêt, peut-être…) en dehors
du fait qu’il est une figure de la Renaissance ?
OM : Pour ce qui est de littéraires il est établit depuis plusieurs décennies, Calvin est un des artisans de la prose
française moderne, c’est un « acquis », ça ne donne pas lieu à débat. Et du côté des historiens, il y a deux
questions sur lesquelles ils reviennent fréquemment au sujet de Calvin :
Son rôle dans la confessionnalisation du christianisme. C'est-à-dire lors qu’avec la crise de la Réforme et de
la Contre-réforme, le christianisme occidental commence à se définir comme catholique ou protestant, avec
la mise en place d’un modèle d’Eglise, des modèles sociaux, des modèles moraux, une sorte de
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« christianisation intensive » des populations à travers ces modèles, quel est le rôle de Calvin de cette
confessionnalisation, et en particulier quelle est l’importance ou quels sont les caractères du modèle réformé
ou calvinien.
Dans quelle mesure Calvin a contribué à faire émerger certains aspects de la société moderne, que ce soit sur
le plan économique, social, culturel, moral, etc…
GD : …C’est Max Weber, toutes ces thèses-là…
OM : Les thèses de Max Weber sont aujourd’hui remises en question, elles ne sont plus tout à fait
d’actualité ; mais dans cette lignée-là, tout à fait.
Il s’agit de débats où les historiens sont rarement d’accord sur le rôle exact ou les contributions de Calvin, cette
« émergence », selon ce que l’on considère le monde germanique, ou le monde anglo-saxon, ou le monde
français ; selon que l’on prenne en compte ce qui s’est passé en Italie du nord, etc. ; c’est des questions très
complexes sur lesquelles les historiens débattent de manière extrêmement vive et actuelle du rôle de Calvin.
GD : Donc c’est une vivacité de l’héritage de Calvin aujourd’hui, en tout cas dans le monde de la culture, dans
le monde de l’histoire.
Nous diriez-vous quelques mots sur cette littérature de Calvin, ce langage de Calvin un peu particulier, qui lui
est propre et qui invente une prose nouvelle par rapport à laquelle vous nous dites « c’est un acquis » dans le
monde universitaire, mais peut-être pas chez le grand public…
OM : Calvin, par un souci d’efficacité, et parce qu’il le pouvait, grâce à sa culture (il a été formé à
l’humanisme), a inventé une langue française, celle qu’il écrit, qu’il parle aussi, mais surtout qu’il écrit. Langue
extrêmement efficace, dans laquelle la vision du monde, la reformulation du christianisme (par Calvin) trouve
un instrument parfait de communication et d’expression. A la fois fidèle aux grands principes spirituels de son
christianisme et en même temps tout à fait efficace par sa clarté dans la communication des idées
correspondantes et donc de la vision du monde calvinien.
GD : …Ce qui fera que probablement la transmission se fera relativement bien aussi dans la clarté de ce
langage-là. Je reviens à vous, Michel Bertrand, sur l’héritage calviniste alors qui est passé inconsciemment chez
les protestants français reformés…Le théologien français que vous êtes et réformé, qu’est-ce qu’il repère au
fond comme héritage aujourd’hui, parfois sans qu’on s’en rende compte, dans le monde réformé ?
MB : Je voudrais d’abord souhaiter que cet héritage soit passé non seulement inconsciemment, que cette année
soit l’occasion de se replonger dans ces textes extraordinaires pour structurer une pensée théologique…
La deuxième remarque en la matière, quand on parle de l’héritage dans un monde qui est tellement différent de
celui de Calvin, on est obligé d’être attentif à ne pas faire d’anachronisme, les historiens nous y exhortent en
permanence, et ils ont raison ! Ce que je veux repérer c’est plutôt des problématiques que Calvin a croisées et
qui font écho aujourd’hui à un certain nombre de nos situations contemporaines. La première c’est peut-être par
rapport à certains lieux communs qui tournent autour de Calvin et parfois le caricaturent à cause de son respect
des Ecritures bibliques, de sa lecture attentive des Ecritures bibliques, de la souveraineté de la Parole…On a dit
que Calvin a donné naissance au fondamentalisme, c'est-à-dire cette attitude devant le public qui consiste à faire
coïncider la Parole de Dieu et la lettre du texte, et finalement, pour reprendre un de ses termes, « enclore » la
vérité dans un texte ; et je crois que pour toutes sortes de raisons, Calvin se situe dans une position vis-vis du
public qui n’est pas celle-ci. A certains égards même, la rigueur avec laquelle il demande d’aborder le texte
biblique, le recours aux outils de l’humanisme, la raison, la nécessité de replacer le texte dans son contexte, et
puis le principe d’accommodation Dieu parle à l’humain mais en se mettant à sa portée…Donc il faut
entendre à travers ce procédé rhétorique, la parole qu’il adresse aujourd’hui ; et puis bien sûr, la place du Saint
Esprit, le travail du Saint Esprit qui est nécessaire pour que de cette écriture advienne la Parole de Dieu pour
moi, ici et maintenant, de manière existentielle.
GD : Cette centralité de l’Ecriture vous la retrouvez aussi (en s’adressant à Louis Schweitzer) dans la sphère
évangélique…au fond, comment est-ce qu’on s’y réfère ?
LS : Je pense que le propre de Calvin c’est le propre des très grands : c’est de pouvoir être « récupéré » - ce
n’est peut-être pas le bon mot mais en tout cas « revendiqué » par des gens très différents. Et c’est vrai que
dans le monde évangélique, alors qu’il ne se veut pas nécessairement fondamentaliste, en effet, Calvin est quand
même à la source de la manière de lire l’Ecriture. Et tout ce qui vient de dire Michel Bertrand c’est, pour moi,
justement une lecture intelligente, tout à fait, mais ce respect radical de Calvin pour la Parole de Dieu, c’est clair
que les évangéliques le revendiquent et ils s’y retrouvent…il (Calvin) est à la source dans cette pensée.
GD : Il y a une autre dimension aussi chez Calvin qui me semble importante peut-être pour aujourd’hui et c’est
autour des questions éthiques (en s’adressant à Michel Bertrand)…il y a plein d’éléments qui sont : cette
manière de comprendre justement à cause de cette lecture des Ecritures - le lien entre la foi et le
comportement, la foi et la morale, etc…
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MB : …Et c’est sans doute une des différences fondamentales de Calvin avec Luther… C’est que le chrétien, le
croyant reçoit de Dieu en Christ son salut par grâce…Cette grâce reçue, il doit y répondre, d’une certaine
manière en répondre – c’est l’étymologie du mot « responsable » - et il doit dans sa vie s’ouvrir un chemin pour
faire toujours plus de place à ce don qui lui a été fait, et c’est ce que Calvin a appelé « la sanctification », qui va
se déployer aussi bien dans son existence personnelle que dans son existence sociale et politique ; et c’est au
sens large. Et c’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui dans le monde reformé les choix de vie, l’engagement
personnel, y compris sur le plan professionnel, sont aussi des lieux le croyant peut témoigner de ce chemin
de sanctification.
Et dans cette même ligne, le troisième élément, le troisième écho que je voudrais souligner, c’est ce que
j’appellerais « la positivité du politique » ; il faut le resituer, là aussi, dans le temps de Calvin la question se
posait dans des termes différents d’aujourd’hui…Mais je le dis parce que, à une époque où il y a un tel discrédit,
une telle disqualification du politique, si peu d’intérêt pour la construction du « vivre ensemble », il y a des
pages admirables de Calvin, c’est la raison pour laquelle il appelle au respect à l’égard des autorités légitimes
dont c’est la responsabilité du gouvernent ; sans exclure toute fois chez Calvin, ici ou là, ce que certains
appellent une « potentialité critique », c’est dire qu’il y a en même temps une juridiction temporelle et une
juridiction spirituelle. Donc il y a par rapport aux pouvoirs politiques il y a possibilique ses successeurs
exploiteront beaucoup plus, de résistance à l’égard du pouvoir politique lors qu’il devient tyrannique ou
intolérant…
GD : …C’est peut-être que, dans l’héritage évangélique, on va appuyer davantage sur une certaine distance
entre les deux ? (En s’adressant à Louis Schweitzer)
LS : Oui, sûrement. Je crois qu’il y a beaucoup d’héritages calviniens, et dans le monde évangélique je pense
que l’héritage puritain est un héritage qui a beaucoup compté, c’est toute une tradition calvinienne, anglaise
d’abord puis américaine, je dirais c’est quelques fois un « ultra-calvinisme » sur certains points ; le
rapport entre le pouvoir politique et la foi a pu devenir assez pesant. Et je pense que dans une certaine pensée
américaine, cela reste à l’arrière plan, un peu mythique, un peu historique, de la pensée.
GD : Qu’est-ce que l’on pourrait dire de la théologie dite « de la création » de Calvin ? Calvin appui davantage,
par rapport à Luther, sur le Dieu Créateur…De quelle manière cela peut parler aujourd’hui dans nos
préoccupations modernes, écologiques et autres ?
LS : Je vais répondre peut-être un peu « à côté » mais ma réponse « englobe » cette question. Il me semble que
la démarche de Calvin par rapport à celle de Luther, entre autres, c’est de défendre, d’exposer tout le conseil de
Dieu et d’avoir cette vision globale avec Dieu au centre et la totalité de l’existence : la responsabilité vis-à-vis
du politique, vis-à-vis de la création, etc..
GD : …l’association de l’art, de la musique…
LS : …tout à fait. Et il me semble que chez Luther il y a une dimension plus existentielle, et qui fait donc qu’à
un moment donné on peut être plus limitatif. Ce qui ne veut pas dire que cette vision globale et « englobante »
de la réalité autour de Dieu, n’est pas parfois aussi porteuse d’un certain nombre de dangers ; la tonalité de
l’existence de la pensée de la vie est, en quelque sorte, centrée sur Dieu et regardée à travers les révélations.
Virgule musicale (Instrumental d’un psaume de C. Goudimel).
GD : Elargissons notre horizon. Calvin, c’est d’abord la France et la Suisse, puis l’Europe centrale, la Hollande
et l’Angleterre. Puis l’Amérique et le monde entier. On suit les migrations calvinistes à travers le monde entier ;
on dit même que les calvinistes les plus nombreux sont en Corée…
(Question à Louis Schweitzer) : Comment ce calvinisme s’est-il développé ? On aurait pu l’imaginer très
enraciné et marqué par cet héritage occidental philosophique, logique, etc…et qui est finalement d’une
adaptabilité incroyable à travers le monde…
LS : Peut-être l’une des raisons c’est aussi que la démarche de Calvin, dans sa théologie, était de transmettre la
Parole de Dieu ; quand il écrit « L’institution chrétienne » il n’a pas l’intention de faire une somme théologique
qui serait une sorte de synthèse philosophique, théologique, comme l’a fait Saint Thomas par exemple, mais il
écrit un manuel pour aider tout chrétien à lire et à comprendre la Parole de Dieu. Et je pense que cette dimension
dans laquelle l’Ecriture est au centre, fait que cela peut s’adapter ensuite et cela va être repris de manières très
diverses, beaucoup plus facilement que si c’est déjà une synthèse avec une philosophie particulière. Et je crois
que c’est une des raisons pour lesquelles cette universalité fonctionne aujourd’hui.
GD : Et cette universalité qui met en dialogue avec les cultures mais aussi avec les autres familles
confessionnelles…(Question à Michel Bertrand) : Comment peut on dire que Calvin ou la théologie de Calvin
aide aujourd’hui comme tremplin dans les dialogues qu’on appelle œcuméniques, avec les autres les autres
confessions chrétiennes, et même au-delà ?
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MB : Je dirais à la fois comme ce qui pourrait être de l’ordre une facilitation et un même temps de l’ordre d’une
difficulté. Pour ce qui est de la facilitation, comme je l’ai dit précédemment dans l’émission, cet enracinement
de Calvin dans la tradition de l’Eglise, on n’est pas dans une « politique de table rase », on est dans un processus
de réformation, de transformation, donc d’attention à ce qui a précédé, aux Pères de l’Eglise…tout cela est
favorable parce qu’il y a un « sol commun » dans le dialogue avec les autres confessions chrétiennes. La
difficulté c’est que, précisément, Calvin va construire l’Eglise sur ce qui est aujourd’hui et qui demeure, dans le
dialogue œcuménique, comme la différence fondamentale : la différence de compréhension de l’Eglise, avec
je schématise - d’un côté une coïncidence entre l’église visible et l’église de Dieu, donc les formes humaines
sont une institution divine, et puis, chez Calvin, le fait que l’église invisible Dieu seul la connaît et que les
formes visibles restent des œuvres humaines ; ce qui reste d’institution divine, c’est la mission qui reçoit cette
église visible, celle d’annoncer l’Evangile au monde entier...
GD : …Pour autant s’il lui donne un caractère second, à cette dimension visible, il ne la néglige pas…
MB : Tout à fait ; c’est cela qui est très important et Olivier Millet l’a souligné, Calvin est un organisateur. Bien
sûr, il faut faire en sorte que cette église visible corresponde à une vraie église, et les marques de la vraie église
c’est que la Parole de Dieu y soit correctement annoncée, que les sacrements y soient célébrés. Et il (Calvin) va
avoir le souci - et cela est très important, car les protestants français un peu minoritaires ont tendance à se
refugier dans l’invisibilité – de cette question de la visibilité de l’Eglise, qui va prendre à un certain moment de
l’Histoire un sens extrêmement profond ; j’évoque juste, rapidement, l’église confessante au moment de la
résistance au nazisme, le combat de Bonhoeffer ou Bart, va être que l’église « se visibilise » pour que l’on
puisse voir où est la véritable église.
GD : Il y avait un vrai souci de l’unité de l’Eglise, de l’unité de l’église visible chez Calvin, il y a des phrases
qui sont quand même très fortes (en s’adressant à Olivier Millet)…
OM : Oui, tout à fait, Calvin va aspirer à ce qu’il appelle une « catholicité évangélique », dans ce sens que pour
lui il y a des points essentiels de la foi chrétienne qui doivent réunir tous les chrétiens, et il considérait lui-même
que certains points de sa propre doctrine étaient secondaires…ça, chez lui, c’est très fort.
GD : Est-ce que l’on peut dire que cette dynamique finalement d’ouverture pourrait même aller au-delà ? Je
veux dire, percevriez-vous dans la théologie de Calvin un souci de dialogue avec les autres religions, avec les
Turques par exemple, comme on disait à l’époque ?
OM : J’ai des doutes assez forts sur ce point…C’est justement un des points sur lesquels Calvin est en rupture
avec certains courants de l’humanisme de son temps. Lui (Calvin) ne pense pas qu’il puisse y avoir en dehors de
la révélation biblique, une autre source parallèle, symétrique ou convergente, de vérité. Pour tout ce qui est des
questions essentielles de l’existence humaine, du sens de la vie humaine et du sens du monde et de l’Histoire, il
(Calvin) renvoie toujours à la révélation de cette parole unique.
GD : Nous arrivons déjà au terme de l’émission. Avant de conclure par une prière de Jean Calvin, je
souhaiterais poser à vous trois une question plus personnelle : pourriez –vous nous dire en une phrase ce qui
vous touche chez Calvin, comment Calvin vous "nourrit" ou vous porte ?
LS : Ce qui est pour moi tout à fait essentiel, ce sens de la transcendance de Dieu, Calvin met l’accent à la fois
sur le Dieu qui se révèle par la Parole et il n’arrête pas de rappeler que Dieu babille avec nous comme une
nourrisse avec des enfants, et que lorsque nous comprenons de Dieu c’est ce que Dieu veut nous transmettre,
mais Dieu reste infiniment au-delà de ce que nous pouvons percevoir.
GD : Donc transcendence et proximité…
MB : Sans concertation aucune, je rebondis sur la transcendance, c’est d’ailleurs assez frappant de voir
comment cette importance de la trascendence fait retour aujourd’hui dans certains pans de la philosophie et de la
culture aujourd’hui, comme une sorte de possibilité de contester les absolus que l’humain se donne ou dans
lesquels il se pose et à travers lesquels il se pose comme son propre fondement. Et je crois que ce « à Dieu seul
la gloire » de Calvin conteste toute une série de dérives de la conception de l’humain qui veut se rendre maître
de toute chose.
OM : Je vais réagir en littéraire si vous me le permettez, Calvin à reformulé le christianisme de son temps pour
conduire ses contemporains à la lecture directe et personnelle de l’Ecriture sainte, et pour cela il a mis au point
un instrument : sa langue, sa manière d’écrire, de penser, qui était à la fois une manière de voir les choses et de
les exprimer, qui est aussi d’une grande clarté, d’une grande rigueur, et qui traduit admirablement les principes
spirituels très profonds qui animent sa pensée et son œuvre. Alors je suis en admiration devant cet instrument,
même si je connais les limites de son œuvre et de ce personnage.
GD : Merci à vous, Michel Bertrand, Louis Schweitzer et Olivier Millet, vous (OM) qui ouvrez la série des
conférences de carême le 1
er
mars prochain.
Je vous propose de conclure avec cette prière du matin de Jean Calvin :
« Prière du matin :
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