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MB : On pourrait reprendre les termes d’Olivier Millet : structurer, fortifier, organiser, même en ce qui
concerne l’église… la marque spécifique de Calvin c’est d’abord se situer dans une certaine continuité. C’est un
homme de son temps, où l’on vit dans une société chrétienne, c’est un homme féru de la tradition, il ne fait
aucun rejet des grands textes de l’Eglise primitive, qu’il regarde avec affection ; il cite beaucoup les pères de
l’Eglise, par exemple il cite Saint Augustin et sa notion de l’église visible et l’église invisible.
Donc, ce qui est spécifique chez Calvin, comme chez les autres réformateurs d’ailleurs, c’est de donner la
priorité à la Parole sur l’Eglise. Et l’église est cette réalité invisible constituée par ceux qui répondent à la Parole
de Dieu. « Dieu seul connaît ceux qui sont les siens », dit Calvin.
Et donc cette priorité de la Parole, de « l’événement » Jésus-Christ sur l’Eglise, est tout à fait fondamentale.
En même temps, ce qui est très caractéristique chez Calvin, c’est qu’il va avoir peut-être plus que d’autres
réformateurs, ce souci de l’église visible ; car cette église invisible que seul Dieu connaît, elle s’incarne et se
manifeste dans l’Histoire à travers l’annonce de la Parole, la célébration des sacrements…Et cette église visible,
Calvin va avoir à cœur de l’organiser ; en lui donnant une structure théologique –à travers notamment tous ses
grands textes, d’une discipline ecclésiastique, d’une organisation de ministères et d’une organisation collégiale.
GD : On peut dire alors que Calvin c’est une sorte de « focalisation » sur la structuration de l’Eglise en son
temps, par rapport à d’autres courants de la Réforme…Calvin n’enthousiasmait pas tous les protestants au
XVIème siècle, ils luttaient eux-mêmes contre certaines formes de réforme. On peut parler de la « Réforme
radicale »…Vous qui êtes un héritier des églises baptistes (en s’adressant à Louis Schweitzer) et qui vous situez
dans ce sillon-là, comment Calvin se situait-il dans cette diversité des courants de la Réforme ?
LS : Je crois qu’il faut avoir conscience que Calvin est à l’origine des églises réformées – qu’on appelle aussi
presbytériennes dans le monde anglo-saxon -. La plupart des églises protestantes non luthériennes, sont de près
ou de loin influencées par les idées, la pensée de Calvin, même si elles s’en sont séparées.
Ce qui a différencié, au fond, Calvin de ce qu’on appelle « les anabaptistes », donc une réforme plus radicale
déjà au XVIème siècle, c’était que Calvin restait dans la perspective constantinienne où l’Eglise et l’état étaient
superposés –quand tout le monde était dans l’Eglise- , alors que déjà certains commençaient à se distancier.
Mais très vite, dès le XVIIème siècle, les traditions baptistes, puis après, dans l’anglicanisme, ce qui va sortir de
l’anglicanisme et la plupart du monde évangélique, va être très marqué par Calvin.
Et les débats des églises baptistes, par exemple, au XVIIème siècle seront exactement les mêmes que les débats
des églises réformées, c'est-à-dire autour de la pensée de C alvin sur la prédestination, le refus de la
prédestination…Donc la racine calvinienne a donné ensuite des arbres variés.
GD : Par contre, est-ce que l’on peut dire que le monde réformé se serait saisi de cette pensée particulière de
Calvin sur l’Eglise, alors que le monde évangélique – pour «faire large » - se serait plutôt saisi d’avantage sur la
conception de la Parole, et de la Parole qui interpelle plus radicalement ?
LS : Je pense que l’on peut dire que la théologie évangélique et le pensée calvinienne – ou calviniste, dans le
sens strict du terme – peuvent être en tension avec certains points de la dogmatique, mais le monde intellectuel
dans lequel elles bougent est calviniste ou calvinien.
Alors, effectivement, les deux grands points de divergence sont :
• La conception de l’Eglise : pour Calvin l’Eglise est la fonction religieuse d’une société donnée ; en cela il
n’est pas radicalement différent de Luther, de catholiques, etc. Alors que pour les baptistes c’est la
communauté des personnes qui ont fait une démarche personnelle de foi.
• La question du baptême : Calvin continue dans la perspective de défense du baptême de bébés, comme étant
la continuité de la circoncision ; alors que les baptistes, comme leur nom l’indique, mettent l’accent sur un
baptême de croyants.
GD : Donc déjà on voit une diversité d’héritages…Finalement Calvin, selon les axes que l’on prend, les lectures
que l’on peut en faire, si l’on avance un peu dans l’histoire de l’héritage de Calvin, en particulier dans la
modernité ou dans la post-modernité – c’est un terme « très à la mode »…-, peut-on dire (en s’adressant à
Olivier Millet) dans la sphère culturelle et universitaire, qu’il y a une importance de Calvin ? Est-ce que dans
votre monde littéraire et d’historien il suscite un intérêt (ou il devrait susciter un intérêt, peut-être…) en dehors
du fait qu’il est une figure de la Renaissance ?
OM : Pour ce qui est de littéraires il est établit depuis plusieurs décennies, Calvin est un des artisans de la prose
française moderne, c’est un « acquis », ça ne donne pas lieu à débat. Et du côté des historiens, il y a deux
questions sur lesquelles ils reviennent fréquemment au sujet de Calvin :
• Son rôle dans la confessionnalisation du christianisme. C'est-à-dire lors qu’avec la crise de la Réforme et de
la Contre-réforme, le christianisme occidental commence à se définir comme catholique ou protestant, avec
la mise en place d’un modèle d’Eglise, des modèles sociaux, des modèles moraux, une sorte de