Richesse

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25/10/2010 |
Richesse
La notion de richesse, aussi polysémique que vague, est à distinguer de celle de propriété, qui implique une
relation juridique. Sur le plan sémantique, la richesse est toujours liée à la pauvreté; l'une et l'autre reflètent
le degré de participation aux ressources matérielles dans un contexte social donné et leur rapport mutuel. La
richesse est donc une notion qualitative qui ne se suffit pas à elle-même; sa compréhension dépend du
contexte culturel et historique et l'on ne saurait la réduire à l'acception quantitative de situation économique
(Fortune). Il n'existe pas pour l'instant de définition ou de théorie de la richesse qui fasse autorité.
Aristote la considérait comme une qualité pour autant qu'elle soit limitée et utilisée à bon escient. Lui et
Platon refusaient la poursuite de la richesse en soi, car l'enrichissement constituait un danger pour le bien de
la cité. La tradition grecque classique comportait cependant aussi des théories justifiant résolument
l'opulence et l'existence des riches. Cette ambivalence se retrouve dans les textes bibliques. Dans la Torah, la
richesse est d'abord présentée comme une bénédiction de Dieu, mais, à partir du VIIIe s. avant J.-C., quand
des transformations socio-économiques conduisirent à sa concentration et à une différenciation économique
au sein du peuple d'Israël, de nombreux prophètes critiquèrent vertement la puissance des "riches" et
exigèrent que la propriété soit assortie d'obligations envers la société. Cette perspective est également
importante dans le Nouveau Testament et joua un rôle au début du christianisme. Dans les écrits
paléochrétiens, où l'attente du royaume de Dieu est très forte, la richesse est considérée comme une force
nuisant à la relation entre l'homme et Dieu. L'analyse juive et paléochrétienne de la puissance destructrice de
l'économie monétaire est à rapprocher de la critique gréco-romaine, dépourvue, quant à elle, de toute charge
religieuse. Dans la tradition exégétique occidentale dominante, cette critique ne tarda pas à se désamorcer
au fur et à mesure que l'attente eschatologique se faisait plus lointaine et que la composition sociale de la
communauté chrétienne se différenciait. Diverses stratégies furent déployées pour légitimer la richesse et
prouver qu'elle était compatible avec une existence chrétienne lorsqu'elle était utilisée à bon escient,
marginalisant ainsi les traditions théologiques critiques. De plus, au Moyen Age, la thèse de la corrélation
entre pauvres et riches, fondée sur une division religieuse des fonctions (les uns pratiquant l'aumône, les
autres l'intercession, d'où un échange sur le plan de l'économie du salut) s'opposa avec succès à la critique
intransigeante exprimée par les ordres mendiants. La richesse fut investie d'une éminente signification
religieuse, aumônes et donations étant censées effacer les péchés (Assistance). Cette pratique conduisit à
des transferts de possessions à l'époque des royaumes francs déjà.
A la Réforme, au XVIe s., Luther souligna d'une part que la possession de biens matériels n'avait rien à voir
avec la relation de l'homme à Dieu et, d'autre part, que les possédants avaient une obligation sociale. Ni lui ni
Calvin ne préconisèrent le rejet de la richesse par principe ou le renoncement à la propriété. Calvin mit en
garde contre toute communauté des biens, parce qu'elle menaçait l'ordre public, tout en affirmant que
l'amour du prochain limitait le droit de posséder des biens et que la propriété était un cadeau de la grâce
divine. Cette acception théologique de la richesse et de la propriété restreignait aussi l'emprise des autorités
sur les biens de leurs sujets. Calvin avait une conception positive du gain, tout en étant conscient des dangers
liés à l'argent et à la richesse; il exigea que les pauvres soient protégés des usuriers et des puissants qui les
exploitaient (Calvinisme). Contrairement à ce qu'écrit Max Weber, l'éthique protestante ne valorisa
particulièrement ni la richesse, ni même le capitalisme.
Dès le XVIIe s., des justifications de la richesse et de la propriété fondées sur le droit naturel furent avancées.
Les thèses de John Locke sur le rapport entre le travail et la richesse furent décisives. À l'époque des
Lumières, c'est la relation entre la propriété et la liberté qui devint déterminante. Comme d'autres
contemporains, le théologien suisse des Lumières Georg Joachim Zollikofer, par exemple, estimait que les
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différences de statut, de pouvoir et de richesse relevaient de la nature humaine. La valeur accordée à la
richesse était à la fois tributaire du jugement des possédants et de la possibilité qui leur était offerte d'utiliser
leur capital pour réaliser des œuvres charitables. Compte tenu des bouleversements économiques et sociaux
du XIXe s., cette vision devint de moins en moins plausible. La richesse fut souvent identifiée au pouvoir
politique et social. Au début du XXe s., ce furent surtout les représentants du socialisme religieux qui
s'opposèrent au capitalisme, appelé "mammonisme", à partir d'une critique radicale des conditions sociales et
économiques qui reposait sur une théologie sociale et politique du royaume de Dieu. Dans l'Eglise catholique,
la doctrine de la propriété de Thomas d'Aquin connut une renaissance au XIXe s. L'encyclique Rerum novarum
(1891) considérait les rapports sociaux comme des faits naturels immuables, ayant leur propre fin. Le concile
Vatican II (1962-1965) apporta un changement décisif en formulant une option théologique et éthique "pour
les pauvres" et en jugeant la richesse à l'aune de son utilité ou de sa nocivité, en termes de justice sociale.
Après 1945, c'est la notion de propriété, déterminante pour le libéralisme et le marxisme, qui fut reprise dans
les débats sur l'éthique sociale; elle supplanta le terme de richesse jusque dans les années 1990 (notamment
chez Emil Brunner et Arthur Rich) et la question de la justice sociale gagna en importance. Récemment,
l'économie, vue comme sous-système social, ainsi que le problème de la richesse et de la pauvreté ont fait
l'objet d'interrogations éthiques à caractère économique. Dans la Suisse actuelle, la richesse est répartie de
manière unilatérale.
Bibliographie
– M. Hengel, Eigentum und Reichtum in der frühen Kirche, 1973
– Y. Citton, «La richesse est un crime. (Im)moralité de l'accumulation de John Locke à Isabelle de Charrière»,
in Etre riche au siècle de Voltaire, éd. J. Berchtold, M. Porret, 1996, 47-65
– C. Walker, «Les pratiques de la richesse. Riches Genevois au XVIIIe s.», in Etre riche au siècle de Voltaire, éd.
J. Berchtold, M. Porret, 1996, 135-160
– E.-U. Huster, F.R. Volz, éd., Theorien des Reichtums, 2002
– U. Mäder, E. Streuli, Reichtum in der Schweiz, 2002
– Enzyklopädie der Neuzeit, 10, 2009, 963-970
– A. Holenstein et al., éd., Richesse et pauvreté dans les républiques suisses au XVIIIe s., 2010
Auteur(e): Thomas K. Kuhn / UG
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