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© Sylvaine Gourdain – « Heidegger et le "dieu à venir" : s’il y être, pourquoi Dieu »
même. Si l’une des dimensions manque, c’est tout l’édifice qui s’écroule, l’être se retire
et le dieu ne peut que fuir :
C’est dans cette proximité ou jamais que doit se décider si le dieu et les dieux
se refusent et comment ils se refusent et si la nuit demeure, si le jour du sacré
se lève et comment il se lève, si dans cette aube du sacré une apparition du dieu
et des dieux peut à nouveau commencer et comment10.
Heidegger désigne aussi l’Ereignis comme un « il y a être » (es gibt Sein)
originaire, c’est-à-dire comme l’événement d’une donation ne donnant rien d’autre
qu’elle-même et excluant à la fois sujet et objet. L’être se donne comme « être-là » et se
retire dans ce don de lui-même au profit du donné, l’étant. Le « il y a être » signifie en
fait la manifestation de l’être derrière le voilement inhérent à l’ « être-là » comme
« être-au-monde ». Or la venue du dieu suppose la dé-couverte de l’être en sa vérité,
c’est-à-dire la levée de tout voile (ἀ-λήθεια). Ni donateur, ni créateur, mais « invité de
l’être », le dieu apporte à son tour un don, un présent, à son hôte : l’entrée du dieu dans
la maison de l’être lui confère l’éclat qui lui manquait. Le dieu s’insère donc dans la
constellation de l’être en tant que témoin et révélateur signalant l’ Ereignis. De ce fait,
Heidegger attribue au dieu une fonction déictique fondamentale, par laquelle celui-ci
manifeste l’avènement de l’être en sa vérité. La figure-signal du dieu consacre
l’événement de la configuration de l’être en lui offrant « l’éclat de la déité » (der Glanz
der Gottheit)11, c’est-à-dire le signe éclatant, que, dans l’impuissance du don, elle ne
pouvait se conférer à elle-même. Loin d’être un intrus inutile et superflu, la figure du
dieu transfigure la configuration de l’être.
En outre, la donation, « événement » unique de l’être, fonde l’histoire de l’être,
qui se déploie sur le mode de la « temporalisation » (Zeitigung) entre les trois
« ekstases », « être-été » (Gewesenheit), présent et futur. Celles-ci s’articulent entre
elles pour constituer la « trans-sistence » (Trans-sistenz)12, selon une formule de Joseph
Brechtken : l’être se transcende tout en restant dans l’immanence. L’étroite imbrication
entre les trois « ekstases » n’est rendue possible que par la prééminence de l’ « ekstase »
du futur : c’est parce que l’être est toujours en avance sur soi qu’il peut revenir vers son
passé, son « être-été », en se faisant être au cœur du présent. Ni processus linéaire –
sous forme d’un vecteur qui progresserait vers un futur, τέλος à atteindre – ni
déroulement cyclique – à l’instar d’un cercle clos sur lui-même en une éternelle
itération –, la dynamique de l’histoire de l’être repose sur un double mouvement :
10 Ibid., 338.
11 « Non seulement les dieux et le dieu se sont enfuis, mais l’éclat de la déité s’est éteint dans l’histoire du
monde » – « Wozu Dichter ? » in Holzwege, GA 5, 269, trad. mod.
12 Josef Brechtken, Geschichtliche Transzendenz bei Heidegger, Die Hoffnungsstruktur des Daseins und
die gott-lose Gottesfrage, Meisenheim am Glan, Anton Hain (Monographien zur philosophischen
Forschung, Band 99), 1972, p. 137.