QUI EST #PRAYFORPARIS ?

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À plusieurs voix
Dans l’attente du bouton empathie de Mark Zuckerberg, le hashtag
#PrayForParis, bientôt logo, a été
relayé dans le monde entier 7 millions de fois dans la nuit du 13 au
14 novembre 2015 avant de s’étioler
peu à peu. Comme « Je suis Charlie », quelques mois auparavant, il a
semblé capturer en trois mots une
émotion partagée et symboliser
l’unité et la cohésion que les terroristes avaient cherché à détruire.
Mais comme lui, plus rapidement
que lui, l’élan de solidarité dont il
était l’expression s’est affaissé puis
décomposé, et nombreux sont ceux
qui allaient contester dans notre pays
laïc la pertinence religieuse de ce
qui avait pris la signification d’un
slogan. Plus nombreux encore sans
doute furent ceux qui, ne priant pas
ou plus depuis longtemps, s’étonnèrent de s’être mis tout à coup à prier
pour Paris.
mondialisée, produisant peut-être
une bonne distance en favorisant à la
fois la mobilisation et la réflexion2. Si
la compassion pour les victimes des
attaques terroristes suscite une forme
d’impuissance – comment puis-je
agir contre le terrorisme sans faire
d’amalgame entre les populations
vivant dans mon pays ? – et si le
réchauffement climatique mobilise
déjà des comportements citoyens
– réduire sa consommation de carbone –, les maladies infectieuses
émergentes appellent à prendre soin
de son corps en relation avec les
non-humains (animaux, insectes,
microbes) qui nous entourent.
Frédéric Keck
QUI EST
#PRAYFORPARIS ?
D’un slogan à l’autre
Un événement ne s’apprend plus
de bouche à oreille, par progrès croissant, irradiant à partir d’un centre.
Non, il se diffuse de partout et de
nulle part et quasi simultanément
par le moyen des réseaux sociaux. Un
hashtag se propage plus vite que
l’ancienne rumeur et un événement
peut grâce à lui être affecté d’un
coefficient d’universalité absolument
inédit.
Qui furent d’ailleurs ceux qui
prièrent, si tant est qu’un clic virtuel
suffise à nous transformer en orant
agenouillé ? Comment est-on passé,
en quelques mois, d’une défense du
blasphème à une invitation à la
prière ? Sont-ce les mêmes forces
sociales et religieuses qu’Emmanuel
Todd cherchait à décrypter derrière
la manifestation républicaine du
11 janvier 2015 ? Les mêmes qui,
cette fois, se révélaient enfin au
grand jour, impudiquement, sans plus
avoir à se cacher derrière la défense
d’un droit au blasphème ? Ou seraitce encore l’islamophobie que ces
innombrables prières « internautiques », plus horizontales que verti-
2. Voir Luc Boltanski, la Souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique,
Paris, Métailié, 1993, rééd. Paris, Gallimard,
2007 ; Frédéric Keck et Miriam Ticktin, « La
souffrance animale à distance. Des vétérinaires
dans l’action humanitaire », Anthropologie et
sociétés, vol. 39, no 1-2, 2015, p. 145-163.
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