Migros Magazine 33, 15 août 201124 |
ENTRETIEN
THIERRY LODÉ
long que son propre corps,
il atteint… 40 centimètres.
Et la grande idée de ce canard,
c’est que s’il arrive à faire mal à la
femelle avec son pénis démesuré,
cette dernière n’aura pas envie
d’aller copuler avec un autre mâle.
Evidemment, la femelle réplique à
cela à travers l’évolution organique
d’un cloaque (n.d.l.r.: orifice intes-
tinal, urinaire et génital de la cane)
qui est de plus en plus labyrinthi-
que. Dans cette guerre des sexes,
on a affaire à une sorte de «tir à la
corde évolutif» où la propagande
est l’élément le plus important, et
c’est de ce désaccord que va naître
la diversité.
L’amour rend les animaux
aveugles aussi. Parexemple,
lorsqu’une ourse blanche se
love dans les grosses pattes
d’un beau grizzly.
L’hypothèse centrale de l’évolu-
tion, c’était que les espèces étaient
irrévocablement séparées par une
barrière reproductive. C’est la
vieille idée de Buffon et elle a été
reprise par les néodarwinistes
dans les années 60. Or, non seule-
ment les individus d’espèces diffé-
rentes peuvent continuer à avoir
des relations sexuelles, mais ils
font même parfois de la reproduc-
tion comme c’est le cas chez les
ours blancs ou chez les grenouilles.
En fait, on a beau chercher, on ne
trouve pas d’espèces qui ne finis-
sent pas par tenter malgré tout
d’avoir des relations «coupa-
bles».
Ces tentatives d’hybridation ont
donc une influence sur l’évolu-
tion des espèces…
On est en train de s’apercevoir que
ce que je posais comme un des
fondements de l’évolution biologi-
que est vrai, c’est-à-dire qu’au lieu
d’avoir un seul ancêtre unique, on
a tenté pendant de longues pério-
des de s’aimer, de ne pas s’aimer…
Et c’est bien cette relation entre
individus d’espèces parfois diffé-
rentes qui peut faire évoluer les
espèces les unes vers les autres ou,
au contraire, les séparer définiti-
vement.
Et que penser des partouzes
des bonobos, des relations
homosexuelles des macaques
séduire. C’est une aventure déjà
très complexe entre les différentes
espèces.
En quoi le Kama Sutra animal
diffère-t-il alors du nôtre?
Les êtres humains sont des prima-
tes qui n’ont pas les mêmes outils
sexuels que ceux que possèdent
d’autres animaux. Donc, notre
comportement va être probable-
ment plus riche. Mais globale-
ment, la plupart des animaux pré-
sentent une telle diversité de com-
portements qu’onva les retrouver
dans la plupart des actions sexuel-
les que l’homme est capable
d’avoir.
Cela signifie que l’être humain
n’a pas le monopole de la
recherche du plaisir et de la
jouissance!
Enormément d’animaux passent
beaucoup de temps à cela. Il suffit
de voir les mésanges bleues après
la période de reproduction: le
mâle a déjà une nichée, la femelle
a déjà des petits à nourrir, ce qui
ne les empêche absolument pas
d’avoir envie de copuler à nouveau
alors que la reproduction n’est plus
du tout en jeu.
Et les sentiments dans tout ça?
Les sentiments sont un point im-
portant. C’est pour cela que je
parle quand même d’amour à tra-
vers ce livre. Parce que le proces-
sus sexuel va s’engager dans des
relations qui vont entraîner une
série d’émotions très importan-
tes. On est d’ailleurs souvent noyé
par les hormones dans ces épo-
ques de désir. Finalement, plus
que la relation sexuelle propre-
ment dite, ce sont les éléments du
désir qui vont faire que les indi-
vidus d’une espèce ou de deux
espèces différentes vont se conce-
voir, se comprendre, s’apprécier,
s’aimer. Par conséquent, nous
sommes là bien dans l’émotion,
cette émotion qui peut se trans-
former en intelligence ou en pire
des comportements selon les in-
dividus.
Propos recueillis par Alain Portner
Photos Karine Lhémon / Fotolia
A lire: «La biodiversité amoureuse – Sexe
et évolution » de Thierry Lodé, Editions
Odile Jacob.
ou encore de ces chauves-sou-
ris qui pratiquent la… fellation!
L’homosexualité est probable-
ment pratiquée par toutes les es-
pèces animales. Même par les
espèces très isolées, très séparées
ou qui vivent de manière très in-
dividualiste comme le putois. On
a aussi des animaux qui vont pra-
tiquer une sexualité plus proche
du SM: les hyènes, par exemple,
qui dominent largement les mâ-
les de leur groupe et qui leur ta-
pent dessus régulièrement. Les
fellations, elles, sont pratiquées
par la plupart des primates et
aussi par des chauves-souris. On
voit que l’évolution a privilégié, là
encore, la diversité des conduites
sexuelles.
Dire que l’on était persuadé que
la sexualité animale se résumait
à un acte purement mécanique
destiné à perpétuer l’espèce…
Nous sommes très loin de cette
hypothèse centrale. La sexualité va
englober beaucoup d’autres com-
portements que celui de reproduc-
tion. La reproduction n’est qu’un
des résultats possibles du compor-
tement sexuel. Mais l’objectif est
d’abord de se caresser, de se re-
trouver, de se comprendre et de se
«L’homosexualité est
probablement pratiquée par
toutes les espèces animales»
Thierry Lodé est considéré comme l’un des meilleurs spécialis-
tes de la sexualité des animaux.