!1 RENCONTRES EUROPÉENNES EDWARD BOND Amiens-Paris 2016 Un Tragique pour le XXIème siècle. La logique du théâtre selon Edward Bond — à la lumière des "TiE Plays" (pièces pour Theatre-in-Education). Université de Picardie Jules Verne Centre de Recherches en Arts et en Esthétique (CRAE) – UFR des Arts Groupe de Recherche CORPUS - UFR de Langues et Cultures étrangères) Maison du Théâtre Centre Culturel Jacques Tati Institut de Recherches en Études théâtrales (IRET), Paris III/Sorbonne Nouvelle !2 "Nous vivons dans la perplexité et un chaos croissant. La nuit est obscure. Quand les Grecs durent affronter la même obscurité, ils créèrent le théâtre qui nous a donné la lumière par laquelle nous nous voyons nous-mêmes. Aujourd'hui, il nous faut créer un nouveau théâtre, sinon la nuit obscure se lèvera sur un jour encore plus obscur. Ce nouveau théâtre est le seul moyen que nous avons de nous rendre démocratiquement responsables de notre époque.1" Depuis plus de cinquante ans, Edward Bond œuvre à élaborer une poétique du théâtre et une forme tragique répondant aux spécificités de notre temps. Pour Bond, le héros des tragédies grecques n'est pas victime du destin : il sacrifie sa vie afin de préserver ce que sa vie porte de sens humain. Il prive les dieux/l'autorité du pouvoir de la fatalité en énonçant sa propre nécessité inscrite dans le paradoxe et l'ambiguïté qui sont au fondement, et aux limites de notre humanité. Ainsi, la tragédie nous apprend que "le sens donné à la vie est plus important que la vie elle-même"2. Pour le système (néo-)libéral actuel, les complexités de l'humain sont des obstacles car elles enrayent le fonctionnement mécanique du consumérisme (jusque dans l'institution théâtrale elle-même : voir les distributions de prix en fin d'année). Le marché est donc condamné logiquement à récupérer pour la ravaler toute expression culturelle libre ; une idéologie médiatique réactionnaire tue à petit feu, tout en la glorifiant abstraitement, le désordre libérateur de la création. 1 "Petit manifeste pour la création de Les gens", inédit, 2013. 2 "Être humain : notice pour le programme de la création en Turquie de Rouge Noir et ignorant", mai 2014. !3 Cependant, le geste dramatique ("drama") peut encore se prévaloir d'une ultime garantie : aucun appareil de répression étatique, aucun contrôle technologique, aucune forme de bâillonnement institutionnalisé ne pourront empêcher Antigone, Hécube, Hamlet, Lear (c'est-à-dire nous) d'affronter la "question humaine" et de sonder le paradoxe qui fonde leur geste dans le monde. Même Macbeth, au comble de l'abomination, ne peut s'empêcher de penser les raisons qui le poussent à commettre des abominations. "Voilà pourquoi la civilisation a créé la scène. Voilà pourquoi nous jouons des pièces. Voilà pourquoi nous gardons espoir."3 En nous fondant (non exclusivement) sur les dix pièces écrites par Bond depuis 1994 pour être jouées pour et avec des collégiens et lycéens, les "Rencontres européennes Edward Bond, Paris-Amiens 2016" viseront à explorer, dans un cadre universitaire, mais aussi sur les plateaux et les scènes de théâtre, les outils théoriques et conceptuels — proprement "poétiques" — que Bond forge et met en pratique pour l'art dramatique depuis plus de cinquante ans, en vue de l'urgente et nécessaire ré-invention d'une dramaturgie apte à regarder les yeux dans les yeux notre crise présente (que Bond nomme depuis 2012 la "Troisième Crise" de la culture occidentale). Il convient ici de rappeler que, selon Bond, la question du Tragique, dans les pièces écrites pour "Theatre-in-Education" ne va pas de soi. 3 Ibid. !4 Dans une lettre récente, il affirme :"Je n'écris pas de tragédies pour les jeunes. La raison pour laquelle celles-ci leur seraient inutiles tient à la manière dont ils sont immergés directement dans leur expérience personnelle. Généralement, les adultes ne sont pas immergés dans leur expérience personnelle de la même manière car ils en sont réduits à manipuler (et non utiliser de manière créatrice) leur expérience pour survivre sur le marché. Dans une situation extrême et dangereuse, chacun de nous rode à l'intérieur de lui-même — c'est ce que font constamment les enfants. Dans les pièces pour jeunes publics, je me rappelle — et utilise — la manière dont les enfants enquêtent. Une enquête qui ne souffre aucune manipulation. Où suis-je ? — voilà la question incontournable. Dans sa majeure partie, l'écriture pour jeunes gens traite ceux-ci selon la manière dont les jeunes sont perçus par les adultes. Je n'écris pas pour les jeunes en tant que jeunes mais pour les jeunes en tant qu'adultes : les adultes qu'ils deviendront un jour. C'est une erreur d'écrire pour les jeunes comme s'ils étaient des petits adultes, et par conséquent limités et incapables de comprendre par eux-mêmes — mais c'est aussi une erreur d'écrire comme s'ils étaient des adultes qui ont la fâcheuse tendance de faire de temps en temps des caprices. Les contes des frères Grimm débutent dans le tragique et se terminent dans la liberté. Je crois que c'est ce que font mes pièces pour jeunes publics — bien qu'elles définissent la liberté comme une responsabilité. […] Je crois que pour les jeunes j'écris au cœur de la radicalité de l'innocence. Pour les adultes, il est nécessaire au préalable de mettre à découvert ou de déterrer cette innocence."4 Les "Rencontres européennes", qui se dérouleront (c'est essentiel) à part égale dans des théâtres et dans l'Université — et en présence, chaque fois que possible, des jeunes gens impliqués dans les divers projets de création, d'ateliers, de master class — chercheront à cerner les contours de cette nouvelle utilisation de la scène et du tragique telle que la préconise, et la met en œuvre (en "actes"), Edward Bond — une scène et un tragique qui redonnent sa centralité à l'acteur afin qu'il aide le spectateur à retrouver la vue, et à exercer le regard libre de l'imagination. Une scène qui nous aide à nous reconstituer en communauté lucide, responsable de son devenir. AXES D'EXPLORATION ET DE RECHERCHE 4 Correspondance personnelle du 6 février 2014. !5 1. Bond et la naissance de la tragédie : définir les critères et les formes du tragique bondien. À partir de pièces telles que Lear (1971) et La Femme (1978), qui prennent pour personnages principaux ceux de Shakespeare et d'Euripide, ou d'œuvres comme les Pièces de guerre (1983-85) et Dans la compagnie des hommes (1987-88), hantées par les figures de Hamlet et Macbeth, peut-on retracer une évolution synchronique dans la réflexion de Bond sur le tragique ? La question est de savoir si Edward Bond est parvenu, jusque dans ses pièces les plus récentes — notamment avec Déa (pièce encore inédite, et terminée en 2014, où une Me-dea futuriste, plusieurs fois infanticide, se transforme, sous la pression d'une guerre totale, en Agavé fracassant à coups de pied la tête de son fils décapité), ou avec Les Routes en colère (2014), écrite d'abord pour lycéens (pièce où un fils ne peut apprendre le secret meurtrier de son père — incapable de communiquer avec lui par le langage — que par le biais de coups frappés sur une table, alphabet morse habité par la folie du monde) — si Bond est parvenu, donc, à réaliser le projet de synthèse, plusieurs fois annoncé, qui ferait de nous les "Grecs-Jacobéens", capables de nous retrouver autour d'un théâtre implacablement focalisé sur les situations extrêmes qui nous définissent et nous obligent à définir de nouvelles responsabilités. À ce titre, une pièce comme Auprès de la mer intérieure (1995), qui constitue la première tentative de Bond d'écriture pour jeunes publics dans leur propre salle de classe, parvient-elle à inventer la forme de fiction tragique adaptée à la question de la représentation/monstration de la Shoah ? De Sauvés (1964) au Bol affamé (2012), peut-on définir une spécificité, une idiosyncrasie, une forme bondienne spécifique de la tragédie ? Bond revendique une tâche qui est de raconter et d'explorer la "quatrième histoire" (ou "troisième crise") qui est la nôtre et qui frôle, selon lui, pour la première fois dans l'évolution de l'humanité, l'absence ou la perte de notre Histoire humaine. Comment définir cette "logique de la tragédie" à laquelle Bond fait si souvent allusion, et qu'il règle sur, ou assimile avec la "logique de l'imagination" propre à l'être humain, et qui permet à celui-ci, justement, de rester humain ou de revendiquer le "droit d'être humain" ? !6 2. L'Odyssée de la monade : "l'enfant dramatique" selon Bond. Dans l'essai central de La Trame cachée : "La Raison d'être du théâtre" (1988), l'enfant et son fonctionnement psychique sont étudiés quasi scientifiquement dans un vaste brassage de réflexions qui mêlent la psychologie, la psychanalyse, les neurosciences (dont la neuropathologie), les sciences de l'éducation5. Cette monadologie, librement inspirée de Leibniz, permet à Bond d'élaborer de nombreuses hypothèses et assertions, régulièrement reprises et reformulées, concernant la genèse de la conscience de soi et les fondements de la psyché — hypothèses qui se veulent post-freudienne et post-lacanienne, notamment du point de vue du pessimisme fataliste que Bond lit, par exemple, dans la notion (qu'il conteste) de "pulsion de mort". Le nouveau-né apparaît, dans les textes théoriques de Bond (de même qu'il apparaît concrètement en tant que "personnage", ou "objet" dans la plupart de ses pièces depuis Sauvés), comme le protagoniste naturellement héroïque, martyr et triomphant d'une titanesque et angoissante odyssée ontologique qui le conduit aux frontières mêmes de l'univers et de la mort. Depuis le début des années 2000, Bond va même jusqu'à affirmer que le big-bang (ou "singularité") qui "permet au cerveau de devenir entité pensante" est, dès les premières sensations de chaque être humain, l'occasion de penser le plaisir et la douleur en les transformant en "concepts" du Tragique et du Comique, pour en endosser la "responsabilité". Une telle conception du fonctionnement de l'esprit humain mérite d'être soumise à la réflexion, voire à la critique. 5 The Hidden Plot: Notes on Theatre and the State, Londres : Methuen, 2000 (traduction : La Trame cachée, Paris : L'Arche, 2003) !7 3. Des outils théoriques pour une nouvelle "Poétique de la scène". Si l'esthétique bondienne du théâtre se nourrit de références et d'emprunts aux formes esthétiques du passé, et aux esthétiques qu'elles ont permis de fonder, elle manifeste simultanément, et sans doute par rebond, un dynamisme conceptuel imposant qui s'est amplifié dans les années 90, trouvant son accomplissement dans La Trame cachée. L'inventivité terminologique propre à l'écriture théorique de Bond, s'appuyant à la fois sur des images poétiques et des néologismes, paraîtrait défier toute tentative d'analyse et de classification, car les préfaces, les essais, et, de façon croissante, les notices, les entretiens et les articles disséminés dans des revues et des journaux, accompagnés enfin de la masse tentaculaire de la correspondance, publiée ou inédite, formulent sans relâche de nouvelles idées, élaborent de nouveaux principes, tous plus originaux, et parfois déconcertants, les uns que les autres : les définitions et les propositions, les formules et les axiomes se succèdent, se font écho, se corrigent, disparaissant parfois pour ré-émerger sous la forme de nouveaux avatars ; des concepts encore en attente de définition font abruptement irruption, pour appuyer les analyses et les conseils aux metteurs en scène et aux comédiens, avec pour seule éclaircissement la force de suggestion des images ou des métaphores qui les incarnent, afin d'apporter des conseils qu'exige l'urgence des répétitions. Jaillissement discursif exponentiel d'une pensée audacieuse qui multiplie les références à la science et l'astrophysique contemporaines, aux recherches les plus pointues en matière de neurologie et de génétique, lançant avec une énergie visionnaire les hypothèses et les postulats, entraînant l'observateur au cœur d'un laboratoire esthétique dont les extensions et les chambres secrètes paraissent se multiplier à l'infini. Bond jongle ainsi avec des concepts philosophiques et même psychanalytiques (le moi, la conscience, la raison, l'imagination…), mais il les inscrit dans des fables ou des récits imprégnés de références bibliques et mythiques. Quand le détournement, ou la transmutation, du lexique philosophique existant ne suffisent pas, Bond propose des néologismes ou des jeux de mots exploitant la polysémie naturelle du langage : c'est le cas de termes élémentaires tels que "centre", "objet" ou "site". !8 Vu ce recours incessant à la polysémie et au miroitement labile des connotations et des homonymies qui donne sa souplesse acrobatique à la pensée du théoricien-poète, toute tentative d'ouvrir et d'inventorier la "boîte à outils" théâtrale bondienne doit donc louvoyer entre le permanent et le fluide, le stable et le mouvant, le fixe et le flou. Les pièces pour Theatre-in-Education constituent des précieux instruments de fouille afin de décrire les "outils dramatiques" que sont l'Événement dramatique (Dramatic Event), le "site/situation" ("Site and Situation"), le "Centre-de-la-pièce" ("Play's centre"), l'"Objet invisible" ("Invisible Object"), le Temps-accident ("Accident Time"), la béance ("gap"), l'"agir" ("enactment") par opposition au jeu de l'acteur traditionnel ("acting")… Le problème méthodologique est aussi celui du choix de perspective : diachronique ou synchronique ? Pratique ou théorique ? Bond ne cesse de le dire : il préférerait "montrer" plutôt que "parler", et regrette amèrement de ne pas avoir, comme Brecht, de lieu théâtral propre où mettre en pratique et prouver, dans le concret de la scène, l'utilité de ses concepts. Bond est un homme de plateau : il connaît les caractéristiques de la communication dans l'espace des répétitions et des improvisations ; il faut être, avec l'acteur, d'un pragmatisme discursif qui ne peut trop longtemps se complaire dans la spéculation abstraite et la réflexion intellectuelle. C'est pourquoi ces Rencontres européennes mobiliseront de manière constante (et militante !) des acteurs et metteurs en scène, des enseignants, des collégiens et des lycéens de toutes provenances pour faire alterner communications universitaires et démonstrations pratiques. Le troisième jour de ces Rencontres sera organisé sous forme d'ateliers ou de Master classes avec divers intervenants, afin de permettre des contacts et des échanges plus directs entre participants. La création par Jérôme Hankins des pièces Les Enfants et Le Bord (en partenariat avec la Maison du Théâtre et le Centre Culturel Jacques Tati, à Amiens), la présence de metteurs en scène européens (Hongrie, Espagne, Grande Bretagne) qui développent depuis des années un travail approfondi sur les pièces de Bond pour jeunes publics, devraient permettre de cerner les contours contradictoirement précis et "tremblés" de la poétique bondienne, en respectant son énergie toujours projetée en avant, en attente de nouvelles propositions de travail, et de remise en jeu de notre "être-humain". Jérôme Hankins !9 UN EURIPIDE DU XXIème SIÈCLE À plus de quatre-vingt-dix ans, Edward Bond a constitué une œuvre riche de plus d'une cinquantaine de pièces, dont la dernière date de 2015. Il a également écrit des pièces pour la radio, des scénarii pour la télévision, le cinéma, des arguments de ballet et des livrets d'opéra, des adaptations et des traductions d'œuvres étrangères et d'innombrables poèmes. C'est également un praticien qui a plusieurs fois mis en scène ses pièces et dirige fréquemment des ateliers d'acteurs ou d'amateurs. C'est surtout un théoricien qui mène une pensée complexe et novatrice sur l'homme, sur son temps et sur son art, dont son œuvre théâtrale veut être l'incarnation active. De par l'ampleur numérique et l'ambition de son œuvre, le vaste développement de sa pensée et son engagement dans le renouvellement de la forme dramatique, Edward Bond s'impose aujourd'hui comme l'un des auteurs de théâtre les plus considérables de la seconde moitié du XXème siècle et du début du XXIème. N en 1934, il est donc de la même génération que Harold Pinter, Thomas Bernhard, Heiner Müller, ou Jerzy Grotowski mais aussi qu'Andy Warhol, Jean Luc Godard, Stanley Kubrick, Guy Debord, Georges Pérec, ou encore Elvis Presley – et aussi Jacques Chirac. Il est ainsi né en pleine crise économique, a été enfant pendant la guerre, adolescent dans les années de la reconstruction, jeune auteur dans le "swinging London" des années soixante, écrivain confirmé et radical dans les années soixante-dix, opposant actif à l'écrasement du pays par le libéralisme thatchérien ; puis il a dû repenser son œuvre et sa réflexion à la chute du Mur de Berlin et la poursuit toujours dans la période de bouleversement et de redéfinition dans laquelle le monde est plongé depuis le 11 septembre 2001. !10 Bond est le poète d'une époque de crises, de mutations et de remises en causes d'une rapidité et d'une violence inédites dans l'Histoire, et dont il a souvent fait l'expérience directe. Son œuvre essaie non seulement d'en porter le témoignage mais de s'y engager par une pensée en acte. Né dans une famille d'ouvriers agricoles de la campagne du Cambridgeshire, poussée par la crise de 1929 à chercher du travail à Londres, il a grandi dans le quartier populaire de Holloway, dans des conditions très modestes (aucun livre à la maison). Il n'a fréquenté l'école que jusqu'au collège, où il n'a vu qu'une "obsession pour l'obéissance et le conformisme". Ses professeurs ne l'ayant pas estimé capable de poursuivre sa scolarité, il commence à travailler à l'âge de quinze ans comme ouvrier, puis il enchaînera différents petits boulots. Il ne vivra de son écriture qu'à la fin des années soixante. Le rapport de Bond à la culture et à l'art ne vient donc pas de l'institution, son éducation a été trop brève pour le lui inculquer et il n'a pas fréquenté l'université. C'est donc en autodidacte complet qu'il a exploré sa culture et constitué par lui-même sa pensée, à partir de son expérience et de sa propre volonté de savoir et de comprendre. Il n'a ainsi en rien une conception de l'artiste autoritaire ou hors du monde, ni de vision mystique ou éthérée de l'art : l'art pour lui est utile et pratique, il est réellement en prise avec le réel et doit tendre à des objectifs précis et concrets. Son objectif est la recherche d'une approche du spectateur par le biais de son imagination, qui permette de lui parler de son expérience concrète. Pour lui, le théâtre, en engageant l'imagination, est un processus de mis en acte simple, direct, concret et utile. (d'après David Tuaillon) !11 UN PROJET AMBITIEUX ET UNIQUE DE THÉÂTRE EN DIRECTION DES COLLÉGIENS ET LYCÉENS Edward Bond entre en 2016 au répertoire de la Comédie Française avec sa pièce La Mer. Cependant, depuis les années 90, il œuvre, par le biais de pièces écrites pour être jouées en milieu scolaire, à élaborer pour les jeunes gens de notre époque une forme tragique répondant aux spécificités de notre temps. Il est le premier auteur étranger vivant à avoir été inscrit, en 2006, au programme national du baccalauréat option théâtre. En nous fondant (non exclusivement) sur les dix pièces écrites par Bond depuis 1994 pour être jouées pour et avec des collégiens et lycéens, les "Rencontres européennes Edward Bond, Paris-Amiens 2016" viseront à explorer, dans un cadre universitaire, mais aussi sur les plateaux et les scènes de théâtre, les outils théoriques et conceptuels — proprement "poétiques" — que Bond forge et met en pratique pour l'art dramatique depuis plus de cinquante ans, en vue de l'urgente et nécessaire ré-invention d'une dramaturgie apte à regarder les yeux dans les yeux notre crise présente (que Bond nomme depuis 2012 la "Troisième Crise" de la culture occidentale). Jérôme Hankins !12 Edward Bond Né le 18 juillet 1934 à Holloway, dans le nord de Londres, dans une famille ouvrière. Lorsque la guerre éclate, il est évacué vers le comté de Cornouailles, puis de nouveau, après le Blitz, près de Ely, chez ses grands-parents. En 1953, il effectue deux années de service militaire et se lance alors dans l’écriture. Sa collaboration avec le Royal Court Theatre à Londres débute à la fin des années cinquante. Invité à se rendre aux réunions d’écrivains de cette institution originale, il prend part régulièrement à des lectures de pièces de théâtre. Sa première pièce représentée est The Pope’s wedding (Les Noces du pape), en 1962. En 1964, la création de sa pièce Sauvés soulève un des plus grands scandales de l’histoire du théâtre anglais. Les débats et la polémique autour de sa pièce suivante : Au petit matin (Early Morning), en 1968, conduiront à l’abolition de la censure théâtrale en Angleterre. Depuis, il a écrit plus d’une trentaine de pièces jouées constamment dans le monde entier, des scénarii pour le cinéma (notamment Blow up, réalisation M. Antonioni, 1967) ou la télévision, des livrets d’opéra, des canevas de ballets chorégraphiques et de nombreux textes poétiques. Il développe en parallèle une vaste réflexion théorique sur l’art théâtral à travers de nombreux articles, notes, préfaces et correspondances. Son dernier ouvrage : The Hidden plot (la trame cachée), est une vaste et ambitieuse réflexion sur l’art dramatique, qui découvre l’origine du théâtre, sa nécessité pour l’être humain, jusque dans les premiers efforts conscients du nouveau né. Ses pièces les plus récentes sont écrites pour défendre la pratique du théâtre en milieu scolaire et destinées à être jouées dans les lycées et collèges devant des publics d’adolescents. !13 Bibliographie des « Big Brum Plays », pièces pour jeunes publics (Theatre-in-Education) Auprès de la mer intérieure (At the Inland Sea, 1995), trad. C. Cullen et S. Seide, L'Arche : Paris, 2000. Onze débardeurs (Eleven Vests, 1997), trad. C. Cullen et S. Seide, L'Arche : Paris, 2002. Les Enfants (The Children, 2000), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2002. Si ce n’est toi (Have I None, 2000), trad. M. Vittoz, L'Arche : Paris, 2003. Le Numéro d’équilibre (The Balancing Act, 2003), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2006. Sous-Chambre (The Under Room, 2005), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2010. La Flûte (Tune, 2006), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2010. Une Fenêtre (A Window, 2009), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2010. Le Bord (The Edge, 2011), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2015. Le Bol qui a faim (The Hungry Bowl, 2012), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2015. Les Routes en colère (The Angry Roads, 2013), trad. J. Hankins, L'Arche : Paris, 2015. Ces textes sont (et seront) publiés par L’Arche éditeur, Paris. Jérôme Hankins !14 Metteur en scène, traducteur et comédien, il a été président du Théâtre de l'Ecole Normale Supérieure (rue d'Ulm), après des études de mise en scène à la Yale School of Drama (Connecticut, USA), où il a monté diverses pièces d’auteurs américains contemporains. Il a été assistant-stagiaire d'Antoine Vitez, à la Comédie Française, pour La Vie de Galilée de Brecht, et de Jacques Nichet pour Le Baladin du monde occidental de Synge. De 1990 à 1995, il œuvre comme directeur des projets et collaborateur artistique avec Alain Milianti, à la Scène Nationale du Havre, Le Volcan, où il crée une adaptation du roman de Salman Rushdie : Haroun et la mer des histoires. C'est pendant cette période qu'il entame un long compagnonnage avec Edward Bond, dont il a traduit jusqu'à aujourd'hui une quinzaine de pièces. De 1997 à 1999, il travaille comme metteur en scène résident au nouveau Théâtre National de Toulouse, auprès de Jacques Nichet ; il y fonde et dirige l’Atelier de formation et de recherche (“Atelier Volant”), groupe de jeunes acteurs en contrat de qualification. De septembre 2000 à juin 2003, il travaille comme metteur en scène et traducteur associé au Théâtre-Studio d'Alfortville, aux côtés de Christian Benedetti. En juin 2002, il crée une des pièces les plus récentes d'Edward Bond : Les Enfants, montée avec une quinzaine d'adolescents de banlieue. Le spectacle a été présenté au Théâtre-Studio, puis à la Laiterie, à Strasbourg, à la Friche la Belle de Mai (Marseille). Il a depuis monté à nouveau la pièce au Centre Dramatique National de Dijon. Directeur de L’Outil Compagnie, basée dans la Somme, il mène depuis lors une série de travaux autour de l’œuvre pour jeunes publics écrite par Edward Bond, qui aboutit en 2006 à la création, dans le cadre du Festival officiel d’Avignon, de la pièce Le Numéro d’équilibre, programmée pendant la saison suivante par le Théâtre National de la Colline. En collaboration avec le Rectorat d'Amiens, cette création a permis pendant deux ans un ambitieux projet d'ateliers et de rencontres autour de l'œuvre de Bond avec des établissements scolaires de l'Oise, la Somme et l'Aisne. Depuis 2008, il a monté ses spectacles en tant qu'artiste associé au Centre Dramatique Régional de Haute-Normandie, à Rouen. Dans le cadre du compagnonnage pour jeunes comédiens en formation, il propose une tétralogie autour de Bond : "Le Grand Jeu des idées", comprenant une nouvelle production de la pièce : Le Numéro d'équilibre, puis La Flûte (2011), La Pierre (2013), et une moralité anonyme du Moyen-Âge : Everyman (2012). Toutes des créations en français. En 2013, l'Outil compagnie entre en résidence au Centre Culturel Jacques Tati, à Amiens, où sont créées de nouvelles productions du Songe d'une Nuit d'été (2013) et de La Tempête (2015). En tant que traducteur, il a participé, sous la direction de Jean-Michel Déprats, à la nouvelle édition des Oeuvres complètes de Shakespeare dans la Pléiade (Jules César), et à un programme de traduction des pièces d’Edward Bond pour les éditions de l'Arche (Mardi, Sauvés, La Mer…), travail pour lequel il a obtenu une bourse du Centre National du Livre. En France, il est le collaborateur et traducteur le plus proche d’Edward Bond, avec qui il dirige des stages de formation pour comédiens (en 2002, au CIFAS, à Bruxelles ; en 2003, à la Friche la Belle de mai, à Marseille, puis au sein d’ARTA, à la Cartoucherie de Vincennes). Ayant soutenu, en janvier 2002, une thèse de doctorat sur l'esthétique de Bond, et sa poétique du théâtre, il enseigne le théâtre et la dramaturgie contemporaine à la Faculté des Arts de l'Université de Picardie Jules Verne (Amiens), au département des Arts de la Scène et de l’Écran, dont il est le directeur de 2007 à 2009. En tant que comédien, on a pu le voir dans divers films et téléfilms, et dans la reprise du rôle du Chef de chantier pour Le Numéro d'équilibre, au CDR de Haute-Normandie.