DE LA PENSÉE NATURELLE À LA PENSÉE MATHÉMATIQUE UNE NOUVELLE APPROCHE POUR ENSEIGNER ET COMPRENDRE LES MATHÉMATIQUES Octavian Lecca École Laurier-Macdonald, EMSB Deuxième partie Dans un article antérieur nous avons soutenu l'idée que la pensée mathématique doit être définie comme la partie « logique » de la pensée naturelle et que, idéalement, elle devrait se développer de la même manière que la pensée naturelle s'est développée durant le processus d'évolution. Nous avons proposé une correspondance entre la pensée naturelle et la pensée mathématique. On distingue une pensée motivationnelle, celle qui déclenche le processus de la pensée en général (le moment où on doit résoudre un problème ou satisfaire un besoin), une pensée cognitive, celle qui définit « le monde » de l'interaction où le besoin se manifeste, et la pensée stratégique, celle qui trouve des solutions dans le cadre du monde défini par la pensée cognitive. Cela reste valable dans notre vie ainsi que pendant le processus de résolution des problèmes. Il y a aussi un ordre dans le déclenchement de la pensée : la pensée motivationnelle se déclenche d'abord suivie par la pensée cognitive qui, à son tour, est suivie par la pensée stratégique. Dans la figure qui suit on représente l'interaction de la pensée pour une personne ainsi que l'interaction avec la pensée d'autre personnes quand le monde de l'interaction est négociable et qu'il doit être construit en commun. PMA Il est possible que ce micro-monde ne soit pas trouvé. Alors, la pensée motivationelle éolutive (PME) est déclenchée, pensée qui a le rôle de déclencher à son tour la pensée cognitive analytique-corrélative (PCAc) qui cherche à créer un micro-monde où le but serait réalisable. Cette fois, le processus est plus complexe : le succès dépend des qualités spécifiques de la personne. La pensée cognitive évaluative (PCE) fait l'évaluation des domaines (micromondes) où le succès serait plus probable, ou même déclenche le processus d'apprentissage pour la maîtrise des connaissances nécessaires pour la PCAc. Si la PCAc réussit à créer un tel monde (généralement en combinant des micro-mondes existants mais qui n'ont pas été encore mis ensemble) la pensée stratégique analytique (PSA) est mise en marche pour trouver la stratégie gagnante pour la résolution du problème. Mais si la solution est toujours impossible, une nouvelle motivation se déclenche, une motivation typiquement humaine, la pensée motivationnelle imaginative (PMI). On cherche de nouveau les ressources internes - la pensée cognitive évaluative (PCE) qui, ensemble, déclenchent la pensée cognitive imaginative (PCI), une pensée qui doit trouver ou imaginer des mondes « incompatibles » avec le monde existant'. Toutefois, ce nouveau monde doit être communicable et même « négociable » avec d'autres personnes pour pouvoir être accepté et reconnu. La pensée qui dirige ce processus est la pensée cognitive communicative (PCC). Si la solution devient possible, la pensée stratégique analytique (PSA) est mise en marche pour trouver la stratégie gagnante pour la résolution du problème. PCAd Le moment où un but vient d'apparaître, la pensée naturelle est mise en marche par la pensée motivationnelle adaptive (PMA), la pensée qui déclenche le processus de l'adaptation dans le cadre du monde existant. Une fois la motivation déclenchée, la pensée cognitive analytiqueconstructive (PCAd) est déclenchée pour identifier le micro-monde où le problème pourrait être résolu et si ce monde est trouvé, la pensée stratégique analytique (PSA) est mise en marche pour trouver la stratégie gagnante pour la résolution du problème. 21E N V O L ,NO 129 Malheureusement, dans nos écoles, on considère seulement la PSA mais sans la soutenir avec la PCAd. En plus, même si PCE et la PCC ne sont pas directement reliées aux mathématiques, leur développement est très important à cause de leur rôle dans le fonctionnement de l'ensemble de la pensée. Ce n'est pas le but de cet article de développer ce sujet, mais cela pourrait constituer une approche intéressante en ce qui concerne le développement par projet parce que la logique mathématique pourrait être utilisée avec succès dans des domaines connexes aux mathématiques, surtout dans la compréhension des textes littéraires et dans l'apprentissage des justifications logiques. En ce qui concerne la PCE, l'évaluation et surtout l'auto-évaluation commencent à s'imposer dans le processus d'apprentissage. OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2004 Nous allons exemplifier avec les catégories de pensée les plus utilisées en mathématiques au secondaire - la PC Ad et la PSA ainsi que les catégories qui ne le sont pas encore, mais qui pourrait être facilement utilisées : PCAc, PCI et PSI. Nous allons aussi parler de la motivation pour un bon départ en mathématique - PMA et PMI. Mais tout d'abord, quelques mots sur le débat en ce qui concerne les principales directions pour enseigner les mathématiques. Pour une méthode socioconstructiviste dans l'enseignement des mathématiques Il y a deux directions divergentes dans l'enseignement des mathématiques le behaviorisme et le socioconstructivisme. Selon B. Handal « dans un environnement d'apprentissage behavioriste, l'accomplissement des tâches est vu comme un apprentissage idéal et la maîtrise des qualifications de base exige que l'étudiant avance à partir de tâches élémentaires à des tâches plus avancées ». Contrairement à cette direction, continue Handal, le constructivisme « reconnaît et valorise les stratégies d'apprentissage qui permettent aux étudiants d'apprendre les mathématiques en construisant la connaissance d'une manière personnelle, en contexte social. Les stratégies d'apprentissage constructivistes incluent plus d'activités d'orientation réflexives dans le cadre de l'enseignement des mathématiques comme l'apprentissage explorateur et génératif ». Ceci implique que « les étudiants sont en position de construire leur propres connaissances mathématiques même s'il y a des différences entre leur méthodologie et les principes rigides des mathématiques classiques ». Cela est devenu maintenant possible après que le monde mathématique ait été bouleversé par Lobatchevski et Gôdel et que la croyance dans l'infaillibilité des mathématiques s'est avérée un mythe. Selon Polya (1986), les mathématiques sont démonstration et création. Pour Putman (1986) « La grandeur des mathématiques... réside... dans sa puissance concomitante d'offrir a un homo sapiens déconcerté des solutions utilitaires pour son séjour sur terre ». Pour l'éducateur constructiviste, la connaissance doit être construite activement car l'étudiant est une entité avec des expériences initiales et qui doit être considéré en tant qu' « être rationnel ». « L'apprentissage est donc vu comme un processus adaptatif et expérimental plutôt qu'une activité de transfert de la connaissance. » (Candy, 1991). Tout cela vient à la rencontre de notre affirmation : le développement de la pensée mathématique doit suivre le développement et la structure de la pensée naturelle de l'étudiant, ce qui lui confère la chance de trouver sa propre méthodologie d'apprentissage et, finalement, sa propre personnalité. 22 E N V O L ,NO 129 1. La Pensée iVlotivationnelle Adaptive - PlUIA Toutes mathématiques commencent avec le point. Généralement, on montre aux étudiants un point fait avec le crayon et on n'insiste pas sur le fait que le point en mathématiques est un concept abstrait, qu'il n'a pas de dimension et qu'il est surtout une position dans l'espace plutôt qu'un dessin. La première leçon avec l'axe des nombres est décisive dans la compréhension du monde des mathématiques. J'ai souvent entendu dire que les enfants ne peuvent pas comprendre les concepts et qu'ils ont besoin de choses concrètes, des choses qu'ils peuvent toucher. Rien de plus faux. C'est à la maturité que l'imagination vient plus difficilement et c'est à l'enfance que l'imagination s'exprime le plus. Si on pense au besoin des enfants pour des contes, si on regarde le succès formidable du « Lord of the Rings », on se rend comte que présenter le point comme un concept et non pas comme une tache sur papier, devient possible. Le moment où j'ai adopté une telle stratégie, l'enseignement des mathématiques est devenu facile et le succès spectaculaire. Pour déclencher la motivation, j ' ai enseigné les mathématiques conune la science des contes de fées. Dans un conte de fées, il y a des règles. C'est impossible de bâtir un monde imaginaire sans règles. Dans la guerre des étoiles ou dans n'importe quel monde, il y a des règles. Toutes ces règles constituent le monde des mathématiques. En plus, les règles se créent et se transmettent par la logique. N'importe quelle mathématique a sa propre logique, n'importe quel monde a sa propre logique, n'importe quelle personne a sa propre logique. Les mathématiques nous aident à conscientiser le processus logique qui nous est propre et à le développer. Finalement, je pourrais me bâtir mon propre monde basé sur ma propre logique, ou, ce qui est le but de l'humanité, de nous bâtir ensemble un monde qui contient toutes les logiques humaines possibles. C'est un principe générateur humain que nous avons dès notre naissance et qui attend de se manifester. Vous allez trouver un exercice fascinant en cherchant avec vos élèves les lois « logiques » de certains films de science fiction. Par exemple, dans « La porte des étoiles », le temps n'est pas une variable indépendante : il dépend de plusieurs facteurs. Mais une fois que nous sonmies dans un monde bien défini, le temps devient linéaire (comme dans le monde réel). Cela faciliterait la compréhension du fait qu'un ensemble de lois représente un système et qu'un système est représenté par l'ensemble des lois qu'on doit définir. OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2004 2. La pensée cognitive construtive - PCAd analytique- C'est la pensée du commencement avec laquelle on bâtit un monde. Prenons le monde de la géométrie. Après que le langage spécifique de ce monde est défini (le point, la ligne - comme une infinité des points, le segment, les droites parallèles, la translation - vue comme le déplacement de tous les points du corps dans la même direction et avec la même longueur, les figures géométriques, les angles, le cercle, etc.), on définit la (ou les) règle(s) de base qui génère(nt) le monde, que nous appelons les axiomes. Pour ne pas compliquer le monde de la géométrie euclidienne que nous enseignons, on pourrait présenter un seul axiome -. Par un point donné hors d'une droite, on peut mener une et une seule parallèle à cette droite'^. Cet axiome peut générer la partie que nous enseignons de la géométrie euclidienne en déduisant les autres théorèmes de cet axiome de base ainsi que sur le langage mathématique. Je crois qu'il est contreproductif de donner aux élèves l'énoncé des théorèmes sans leur montrer la démonstration. Surtout que chaque théorème est, avant de devenir un théorème, un simple problème à résoudre. Conclusion : les droites CD et A'B' sont identiques ce qui confirme la vérité du théorème # 1. Ensuite, en se basant sur ce théorème, on trouve un autre théorème. Théorème #2 La somme des angles d'un triangle vaut 180 degrés On considère le triangle ABC et on construit une parallèle MN en A à BC. Basé sur le théorème #1 (on considère que les angles altemes-intemes sont définis) on peut dire que ZABC = ZBAN et que ZACB = ZCAM. Comme la somme des angles CAM, CAB et BAN est 180 degrés (la moitié d'un angle plein), on déduit que le théorème #2 est vrai. Le plus on trouve des théorèmes, le plus la résolution des problèmes devient facile. Certainement, un moment va arriver où on ne pourra plus résoudre des problèmes avec les théorèmes déduits à partir de l'axiome de base. Dans ce cas, nous sommes arrivés au bord du monde (ou de la partie des mathématiques) que l'axiome délimite. Dans ce cas, un autre axiome va définir un autre monde et le processus continue. M 2. La Pensée Motivationnelle Évolutive - PME Théorème #1 Lorsque deux droites parallèles sont coupées par une sécante, les angles altemes-intemes sont égaux. Considérons les droites parallèles AB et CD coupées par la sécante MN en E et F. On applique une translation (t) à l'ensemble formé par les droites AB et MN dans la direction MN et la distance EF. La question est de savoir si les droites CD et A'B' sont identiques. Si oui, le théorème #1 est démontré. Pour résoudre le problème, on va considérer le contraire : CD et A'B' ne sont pas identiques. De toute façon, AB et A'B' ne se rencontrent jamais parce que tous les points de AB se sont déplacés. Ce qui veut dire que si A'B' et CD ne sont pas identiques, il y aura deux parallèles à AB par le point E, ce qui contrevient à l'axiome de base. 23E N V O L ,NO 129 C'est la pensée humaine par excellence parce que c'est l'honime seulement qui peut constmire un monde qui n'existe pas, en combinant des mondes existants. Pour déclencher cette pensée motivationnelle, j'ai utilisé encore les films de SF. Par exemple dans « La Porte des Étoiles », j'ai demandé aux élèves de combiner les deux mondes: le monde avec temps linéaire et le monde avec le temps cyclique. Ils sont immédiatement entrés en jeu. Un élève a dit : « Ce serait formidable si je pouvais contrôler le temps cyclique, parce je pourrais donner une gifle a Michel et je pourrais retourner à ma place sans que personne ne me voit ». Un autre a même suggéré qu'il ouvrirait mon cahier pour changer sa note et reviendrait à sa place sans que je l'observe. De la même façon, j'enseigne les nombres complexes, comme une combinaison entre les nombres réels et les nombres imaginaires. OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2004 3. La pensée cognitive analytique-corrélative - PCAc Un exemple est le monde de la trigonométrie, présenté comme le « mariage » entre la géométrie et l'algèbre. La trigonométrie est apparue comme conséquence des observations pratiques : si on connaît dans un triangle soit 3 côtés, soit 2 côtés et un angle, soit un côté et deux angles, le triangle est défini. Quelle serait, dans ce cas, la relation entre les éléments du triangle? Comme chaque triangle quelconque est formé par deux triangles rectangles, le problème se pose : quelle est la relation entre les éléments (côtés et angles) d'un triangle rectangle? pas croire qu'ils avaient obtenu les mêmes résultats. La conséquence a été qu'ils étaient plus à l'aise à travailler avec leur tableau qu'avec la calculatrice, parce que le tableau avait une signifiance pour eux. Les racines de i'éq. du 2* degré Intersection entre 2 courbes 1 Factorisation Calcul algébrique "ax^'+bx+csO Algèbre j 4 f. 0 a .aa AB A'B' OA OA' m A'B OA " OA' ox' . -4, c a a r;+-i-— •et. , b 4= 4ac a 4a- Aa' Aaç Il y a une correspondance entre l'angle O et la mesure du rapport XY/OX. On appelle cette correspondance « tangente ». SI OX est constant, le segment XY (XY', XY ", etc.) permet de trouver la mesure de l'angle 0 . > b lb'-4<K i angle 0 Ô 30 4S 60 80 0 0.577 i 1^732. « _-4±V4'-4ac ' TAN(30°)=0,577 où 30°=TAN '(0.577), dépendant de la manière dont on lit le tableau. On observe d'abord que dans le cas des triangles semblables, le rapport entre les côtés: AB/AO, A'BVA'O et XY/XO reste toujours le même. Quel est l'élément commun? La mesure de l'angle O. Qu'est-ce qui se passe si on change la valeur de l'angle O - la droite OY' ou OY"? La valeur du rapport change. La conclusion est qu'il y a une relation entre la mesure de l'angle et la valeur du rapport. Si on demande aux élèves de dessiner le triangle ABO avec le côté OX = Im, la longueur du côté AB sera en relation directe avec la mesure de l'angle O. Les élèves peuvent facilement construire un tableau de cette relation (comme celui dans la figure) en donnant des différentes valeurs à l'angle O et en mesurant les côtés XY', XY", etc. La trigonométrie est définie, car ce tableau représente la fonction tangente. Certainement, on peut lire le tableau soit en partant de l'angle vers le rapport, soit en partant du rapport vers l'angle. De la même manière, on définit les deux autres fonctions trigonométriques. Quand les élèves ont comparé leur tableau avec le tableau des fonctions trigonométriques, ils ne pouvaient 24 Vt'-4ae XY E N V O L ,NO 129 2fl Un autre exemple est le calcul des racines de l'équation de deuxième degré, en combinant la géométrie analytique et différents chapitres de l'algèbre. On définit d'abord les racines comme l'intersection de la parabole avec l'axe X (une représentation géométrique). On représente l'axe et la parabole par leurs équations. L'intersection est obtenue par la solution d'une équation du deuxième degré. Pour trouver les valeurs de X, on utilise le monde de l'algèbre : pour pouvoir trouver les racines, le polynôme doit être factorisé. Pour cela on utilise le calcul algébrique et on trouve la formule qui devient un théorème à partir de ce moment. Dans un prochain article, nous allons présenter la pensée imaginative ainsi que les stratégies pour résoudre les problèmes. ' Par exemple les nombres imaginaires sont « incompatibles » avec les nombres tels que définis dans la théorie des nombres; ou bien, la géométrie de Lobatchevski est « incompatible » avec la géométrie euclidienne. 2 On sait que les mathématiciens croyaient jusqu'au 17' siècle que cet axiome était une théorème à démontrer. OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2004