L’Encéphale, 2006 ;
32 :
547-52, cahier 2
S 547
Aspects médico-légaux des troubles bipolaires
J.-L. SENON
(1)
, C. MANZANERA
(2)
, N. PAPET
(3)
(1) Professeur des Universités, Praticien hospitalier, Chef de service, SHUPPM, Université et hôpitaux, 86021 Poitiers.
(2) Praticien Hospitalier, Ancien CCA, CH Camille Claudel, 16000 Angoulême.
(3) Praticien Hospitalier, Ancien CCA, SHUPPM, Université et hôpitaux, 86021 Poitiers.
La bipolarité, a toujours eu un rapport particulier avec
le champ médicolégal. Nous savons bien que les troubles
bipolaires exposent, tout comme les troubles psychoti-
ques à des passages à l’actes médico-légaux, mais sur-
tout à des troubles du comportement qui ont des inciden-
ces majeures pour l’entourage conjugal, familial,
professionnel et social de la personne atteinte de troubles
bipolaires. Nous aborderons donc successivement deux
champs : bipolarité, vie civile, responsabilité et protection
du patient bipolaire et puis celui des passages à l’acte
médico-légaux du bipolaire.
BIPOLARITÉ, VIE CIVILE,
RESPONSABILITÉ PERSONNELLE
ET PROTECTION DU PATIENT BIPOLAIRE
La bipolarité a une forte incidence sur la vie quotidienne
du patient et d’indéniables répercussions dans sa vie
civile. Le psychiatre doit avoir un rôle actif pour protéger
son patient comme sa famille. La prise en charge a donc
que plusieurs objectifs pour prévenir l’incidence des trou-
bles du comportement du patient bipolaire dans sa vie
civile :
obtenir une alliance thérapeutique permettant une
observance stable du traitement et de la prise en charge
grâce à une information accessible et renouvelée ;
apprendre au malade à discerner le plus tôt possible
les inversions de l’humeur et prévenir ainsi l’incidence de
celles-ci dans sa vie affective, familiale et sociale ;
recourir en cas de besoin à l’hospitalisation et ceci
de la façon la moins coercitive possible pour éviter qu’elle
ne soit traumatique ;
protéger le patient des conséquences civiles de sa
pathologie en lui préservant un champ de liberté person-
nelle le plus large possible ;
préserver la vie familiale, conjugale et sociale du
patient ;
maintenir sa vie professionnelle et sociale.
La responsabilité et la vie civile du patient bipolaire :
La responsabilité civile s’appuie sur la définition qu’en
donne le code civil, telle qu’elle est définie par deux
articles :
l’article 489 du code civil précise que pour faire un
acte valable il faut être sain d’esprit ;
l’article 1382 stipule que tout fait quelconque de
l’homme qui cause à autrui dommage, oblige celui par la
faute duquel il est arrivé à le réparer.
Ces deux articles du code civil définissent la responsa-
bilité personnelle qui peut être engagée par le comporte-
ment de tout patient, notamment bipolaire, comportement
qui peut appeler réparation.
La responsabilité civile individuelle
et les troubles bipolaires
La responsabilité civile est abordée en droit civil en ter-
mes de responsabilité contractuelle, responsabilité délic-
tuelle et responsabilité quasi délictuelle (1). Elle concerne
de nombreuses situations pouvant impliquer des patients
bipolaires comme l’obligation de réparer le dommage
causé par sa faute (article 1382 du Code civil), l’obligation
de réparer l’inexécution d’un contrat (article 1147 du code
civil) ou la responsabilité engagée du fait des personnes
dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa
garde (article 1384 du code civil). Le principe général de
la responsabilité est que l’auteur d’un dommage causé à
autrui doit réparer le préjudice en indemnisant sa victime.
J.-L. Senon
et al.
L’Encéphale, 2006 ;
32 :
547-52, cahier 2
S 548
C’est la notion de faute qui fonde de la responsabilité civile
et il appartient donc de ce fait à la victime d’apporter la
preuve de la faute de l’auteur du dommage. Le droit civil
oppose responsabilité civile délictuelle, et responsabilité
quasi délictuelle. Le délit civil est un fait commis avec la
volonté de causer un dommage : il y a alors intentionnalité
et on parle de responsabilité civile délictuelle. Dans le cas
d’un « quasi-délit », il n’est constaté qu’un fait domma-
geable non intentionnel : le droit civil considère qu’il s’agit
là de la responsabilité quasi délictuelle de la personne,
l’intention de nuire n’ayant pas été constatée au moment
où est commis l’acte. La responsabilité contractuelle est
régie par les articles 1134 à 1155 du code civil. Elle ne
peut être mise en œuvre que si le dommage subi par l’un
des contractants résulte de l’inexécution d’une obligation
contractuelle (2). Nous retrouvons donc ici dans le cas où
un patient bipolaire engage sa responsabilité dans la
mesure où il a signé un contrat, contrat qui a connu une
inexécution ou une mauvaise exécution, et ce, alors qu’un
préjudice a pu être constaté et démontré par le cocontrac-
tant, préjudice directement imputable au patient bipolaire.
Cela peut être le cas, du fait des troubles bipolaires, en
droit du travail ou en droit des assurances mais aussi en
droit des associations. C’est par exemple le cas quand un
bipolaire s’engage au décours d’un accès hypomaniaque
ou maniaque et qu’il n’a plus les moyens, en période
dépressive, de remplir les engagements du contrat qu’il a
signé.
L’auteur d’un acte qui a causé un dommage à autrui
doit en droit civil réparation quand il a engagé sa respon-
sabilité personnelle (8). Il faut dans ce cas qu’un lien de
causalité soit établi entre le dommage causé et l’acte com-
mis, mais aussi que celui-ci soit un acte fautif, telle qu’une
négligence, une imprudence notoire, la non-observation
d’un règlement ou encore une inattention. En phase hypo-
maniaque, la bipolarité peut exposer à l’imprudence ou à
la non-observation d’un règlement. En phase dépressive,
la négligence ou l’inattention peuvent être à l’origine d’un
dommage causé à autrui. Dans d’autres cas, la respon-
sabilité civile d’un malade bipolaire peut être retenue,
même sans faute, quand un lien de causalité indiscutable
est retrouvé entre l’acte qu’il a commis et un dommage
documenté. Dans le domaine civil, l’étude de la respon-
sabilité du patient n’a pour seul objectif que d’apporter
réparation à la victime, sans chercher à établir la culpabi-
lité ou l’imputabilité du patient. Il s’agit de répondre aux
obligations de l’article 489-2 du Code civil qui prévoit que
celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous
l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à
réparation. Les actes dommageables commis par un
patient bipolaire au décours d’un accès maniaque ou
mélancolique engagent sa responsabilité civile indivi-
duelle et l’obligent à réparation.
Les troubles bipolaires, le divorce et la garde des enfants
Les troubles bipolaires sont très souvent à l’origine
d’une de dislocation des relations conjugales et les pro-
blèmes du divorce comme celui de la séparation du couple
de concubins et de la garde des enfants se posent très
souvent au psychiatre (4). La bipolarité plus encore que
toute pathologie psychiatrique met à l’épreuve les couples
et est souvent à l’origine de séparation et de divorce. Nous
savons bien que plus d’un tiers des couples mariés divorce
et que la plupart de ces situations sont en rapport avec
une incompatibilité entre les deux partenaires du couple.
On peut imaginer la forte incidence des oscillations thy-
miques sur les rapports intraconjugaux. Depuis la loi du
11 juillet 1975, le Code civil a introduit le divorce par con-
sentement mutuel et le divorce pour rupture de la vie con-
nue en plus du divorce pour faute qui était la règle avant
1975. En France plus de 120 000 divorces sont prononcés
par an. La nouvelle loi française sur le divorce, qui s’appli-
que depuis le 1
er
janvier 2005, vise à simplifier et à dédra-
matiser le divorce en proposant un assouplissement des
procédures comme une réduction des délais. Elle con-
firme la distinction faite entre le couple conjugal et le cou-
ple parental. La loi applicable à partir du 1
er
janvier 2005
ne s’intéresse qu’à la conjugalité ; il n’a pas de consé-
quences
a priori
sur la garde des enfants. L’évolution juri-
dique prône le déplacement progressif du principe d’indis-
solubilité du mariage à celui d’indissolubilité de la filiation,
conçue comme une interdiction de divorcer de ses
enfants.
Le divorce par consentement mutuel suppose l’accord
des deux époux et leur volonté conjointe. Le consente-
ment doit être libre, réel et persistant. Devant une per-
sonne présentant un trouble bipolaire, le magistrat devra
avoir la sagesse de constater la stabilité de l’état thymique
du demandeur pour éviter que la décision ne soit prise au
décours de l’élation d’un accès maniaque ou de la déva-
lorisation de la période mélancolique. La liberté du con-
sentement des deux contractants doit être exempte de vio-
lence ou d’erreurs pouvant être reliées à l’incapacité
transitoire à discerner en période maniaque ou mélanco-
lique. Le psychiatre doit savoir que la loi prévoit que si l’un
des deux époux est placé sous sauvegarde de justice, la
demande de divorce ne peut être examinée qu’après la
mise en place d’une curatelle ou d’une tutelle. Le divorce
par double aveu est une innovation de la loi de 1975. Il se
fait autour d’un mémoire établi par chacun des deux par-
tenaires proposant une description objective de la situa-
tion conjugale et des faits qui rendent impossible le main-
tien de la vie commune. Cette modalité de divorce ne va
dans le sens de la recherche d’une conciliation, le juge
occupant alors le rôle de conciliateur. Le divorce pour faute
devrait devenir l’exception après avoir représenté la quasi-
totalité des divorces avant 1975. Il s’appuie sur la notion
de violation grave ou renouvelée des devoirs du mariage :
fidélité, secours et assistance… il avance le maintien
devenu intolérable de la vie commune. Il s’agissait d’une
condition souvent avancée par le conjoint du bipolaire,
excédé par les oscillations thymiques et les hospitalisa-
tions en rafale du fait de la maladie.
Il apparaît souvent que le partenaire du malade bipo-
laire présente l’argument de l’intolérance au maintien de
la vie commune pour obtenir un divorce. L’aide de l’équipe
psychiatrique est importante dans ces situations, en tant
L’Encéphale, 2006 ;
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547-52, cahier 2 Aspects médico-légaux des troubles bipolaires
S 549
que conseil mais aussi en tant que thérapeute. Dans des
cas de divorce difficile, le défaut d’observance du patient
bipolaire peut être utilisé par le partenaire conjugal pour
soutenir une demande de violation du devoir conjugal ren-
dant intolérable le maintien de la vie communautaire. C’est
dire pour le psychiatre l’importance de l’alliance thérapeu-
tique et de la qualité de la relation de soins (5, 6).
Un autre problème est celui de la fixation de la résidence
des enfants, notamment quand il existe un conflit entre les
époux. Il est fréquent que le conjoint avance l’instabilité
thymique du bipolaire et ses troubles du comportement
pour obtenir la garde exclusive de l’enfant ou la limitation
des droits de visite. La nouvelle loi qui s’applique depuis
le 1
er
janvier 2005 devrait donner des arguments supplé-
mentaires afin de faire en sorte à ce que le patient bipolaire
conserve des relations privilégiées avec ses enfants (7).
La protection du patient bipolaire
Le Code civil rappelle que toute personne âgée de
18 ans révolus est capable, c’est-à-dire apte à réaliser
seule les actes de la vie civile. La capacité de l’individu
est définie par le fait qu’il est titulaire de droits subjectifs,
inhérents à la nature humaine (capacité de jouissance) et
qu’il est apte à les exercer (capacités d’exercice). Le corol-
laire de la capacité de la personne est son aptitude à
accomplir tous les actes de la vie civile sur son patrimoine :
actes conservatoires (préserver son patrimoine), actes
d’administration (gérer son patrimoine) et acte de dispo-
sition (vendre ou liquider son patrimoine). La capacité
civile de toute personne majeure est déterminée par son
aptitude à l’administration et à la disposition pleine et
entière de ses biens personnels. Pour le Code civil, l’apti-
tude est donc la règle s’imposant à tous, à l’inaptitude reste
l’exception. L’article 1123 du Code civil détermine que
toute personne peut contracter si elle n’est pas déclarée
incapable par la loi. Dans l’article 1124, sont incapables
de contracter, dans la mesure définie par la loi : les
mineurs non émancipés et les majeurs protégés au sens
de l’article 488 du Code civil. C’est ainsi que le mineur non
émancipé a pour le Code civil une incapacité générale
d’exercice faisant qu’il ne peut conclure un contrat. Pour
exercer ses droits il doit être assisté ou représenté. Ce
sont en principe ses parents qui exercent l’autorité paren-
tale et le contrôle de ses biens. Si sur le plan clinique la
situation est rare pour les troubles bipolaires de l’adoles-
cent, elle peut se poser pour les formes maniaques avec
prodigalité chez l’adolescent de moins de 18 ans.
Le Code civil prévoit que le majeur, pour faire un acte
valable, doit être sain d’esprit (article 489 du code civil).
Il s’agit là de protéger les majeurs qui ne peuvent seuls
pourvoir à leurs intérêts à la suite d’une altération de leurs
facultés mentales ou corporelles telles qu’elles sont déter-
minées par l’article 488 du Code civil. En ce qui concerne
les troubles bipolaires, il est important de noter que sont
également concernés par ce même article les majeurs qui
compromettent l’exécution de leurs obligations familiales
par prodigalité intempérance ou oisiveté. La loi prévoit que
le majeur, qu’une altération de ses facultés personnelles
met dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts, est
protégé.
La loi du 3 janvier 1968, loi portant réforme du droit des
incapables majeurs, prévoit un ensemble de mesures
modulables permettant d’assurer la protection du patient
dans sa vie civile. La loi prévoit de protéger des sujets « qui
ont commis des actes alors qu’ils n’étaient pas sains
d’esprit ». Ces actes peuvent alors être « frappés
d’annulation » par la loi. La loi du 3 janvier 1968 figure
dans le Code civil dans son titre XI et ses articles 488 à
514. Selon l’article 489, « pour faire un acte valable il faut
être sain d’esprit mais c’est à ceux qui agissent en nullité
pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble men-
tal au moment de l’acte ». L’article 490 précise que les
mesures de protection s’appliquent aux troubles mentaux
comme aux handicaps corporels : « Lorsque les facultés
mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou
un affaiblissement dû à l’âge, il est pourvu aux intérêts de
la personne par l’un des régimes de protection prévue au
chapitre suivant. Les mêmes régimes de protection sont
applicables à l’altération des facultés corporelles, si elles
empêchent l’expression de la volonté. L’altération des
facultés mentales ou corporelles doit être médicalement
établie ». Pour le code civil le médecin est donc le véritable
artisan des mesures de protection. L’article 490-1 rappelle
que « les modalités de traitement médical, notamment
quant au choix entre l’hospitalisation et les soins à domi-
cile, sont indépendantes du régime de protection appli-
quée aux intérêts civils ». Ce point est important pour la
bipolarité.
Trois niveaux de protection de l’incapable majeur peu-
vent s’appliquer au patient présentant un trouble bipo-
laire :
La sauvegarde de justice est la mesure de protection
la moins contraignante et la plus limitée dans le temps.
Elle s’applique au majeur qui présente une altération des
facultés personnelles limitant momentanément ses capa-
cités civiles ; il s’agit dans ce cas d’une mesure provisoire.
C’est là tout son indication dans la bipolarité où il s’agit
bien de protéger le patient des conséquences de ces trou-
bles du comportement, pour le temps de l’épisode thymi-
que. La sauvegarde de justice peut être provoquée par le
médecin traitant qui fait une déclaration au procureur de
la république dans un certificat où il constate l’altération
transitoire des capacités mentales du malade le rendant
incapable de pourvoir seul à ses intérêts. Il est possible
que la sauvegarde de justice ne soit prononcée par le juge
des tutelles quand il est saisi d’une demande de tutelle ou
de curatelle. La sauvegarde de justice est une mesure limi-
tée dans le temps et elle est prononcée pour une durée
de deux mois éventuellement renouvelables quand le
médecin en établi la procédure. Elle peut être prolongée
de six mois. Le nombre de renouvellements n’est pas
limité. La sauvegarde de justice a des effets limités : le
majeur sous sauvegarde de justice est protégé par une
possibilité d’action en annulation ou en réduction pour
excès, selon le principe qui fait que la personne protégée
ne peut se léser. Ces actions en annulation peuvent être
engagées par le patient
a posteriori
mais aussi par sa
J.-L. Senon
et al.
L’Encéphale, 2006 ;
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547-52, cahier 2
S 550
famille ou par le juge des tutelles dans un délai de cinq
ans après un acte civil. La sauvegarde de justice n’a pas
de conséquences pour les droits civils ou civiques du pro-
tégé. L’institution d’un mandataire spécial conformément
à l’article 491-5 du code civil permet à ce dernier de faire
les actes d’administration de la vie civile nécessaire à une
protection d’urgence du malade. Le mandataire peut être
professionnel comme un proche du malade. Cette procé-
dure peut avoir un intérêt évident pour une personne bipo-
laire dans les accès maniaques ou mélancoliques.
La mesure de tutelle est destinée à un majeur qui pré-
sente une pathologie ou un handicap confirmé et qui a
besoin d’être représenté de façon continue pour tous les
actes de la vie civile. La mesure de tutelle est donc indi-
quée dans des pathologies psychiatriques durables à
composante déficitaire. La demande de tutelle peut éma-
ner du patient lui-même, de son conjoint, de la famille ou
curateur tout comme des proches du patient. La mesure
de tutelle devrait être une exception dans le trouble bipo-
laire et se limiter aux cas où les épisodes intercritiques
sont très rares et brefs, quand les oscillations thymiques
sont rapprochées et les épisodes sévères et intenses.
La curatelle est une mesure de protection intermé-
diaire entre la tutelle et la sauvegarde de justice. Elle peut,
dans des cas précis, s’adresser à un patient présentant
des troubles bipolaires et qui a besoin d’être protégé d’une
façon durable avec une grande souplesse, ceci quand il
s’agit de prévenir les troubles du comportement pour les
épisodes de thymique tant qu’une stabilité n’est pas obte-
nue par le traitement thymorégulateur et que l’alliance thé-
rapeutique est fragile. La mesure de curatelle s’adresse
aussi aux patients que l’on veut protéger de décisions
intempestives ou imprévisibles touchant son patrimoine
tout en préservant au maximum son autonomie et sa vie
sociale. Le
tableau I
reprend les différentes mesures de
protection et leur incidence sur la vie civile du malade bipo-
laire.
BIPOLARITÉ, VIOLENCES ET PASSAGES
À L’ACTE MÉDICOLÉGAUX
Face à la stigmatisation des malades mentaux et à leur
dangerosité supposée, la National Health Association rap-
pelait en 1987 aux USA que « les personnes atteintes
d’une maladie mentale ne sont pas plus à risque de réa-
liser un crime que les autres membres de la population
générale ». Cette position a longtemps tenu, pour autant
que soient exclus les problèmes de prise d’alcool et de
consommation de drogue, un problème récurrent chez
nombre de malades mentaux, essentiellement des per-
sonnes souffrant de schizophrénie mais aussi des bipo-
laires. Dans les troubles bipolaires, les passages à l’acte
médicolégaux sont classiquement différents dans la
phase maniaque et dans la mélancolie. En phase mania-
que, les atteintes aux biens, la prodigalité, comme les
achats pathologiques sont la règle. Il peut aussi s’agir
d’atteintes contre les personnes et notamment d’agres-
sions sexuelles. Dans la phase mélancolique, l’homicide
altruiste ou des homicides-suicides sont classiquement
décrits. Le risque de violences dans les troubles bipolaires
est en fait très peu évalué par des études de cohortes,
études qui se sont surtout intéressées à la schizophrénie.
Quatre catégories d’études internationales ont été réa-
lisées pour étudier le rapport entre violence, schizophrénie
et troubles bipolaires : des études sur des échantillons de
la population générale, des études de suivi de patients à
la sortie de l’hôpital, des travaux sur le devenir de cohortes
de nouveau-nés, et des études réalisées sur une popula-
tion d’auteurs d’homicides.
Dans une journée de la Société médicopsychologique
à Paris consacrée au thème de violence et maladie men-
tale, Jean-Luc Dubreucq et Frédéric Millaud de l’Institut
Philippe Pinel de Montréal (3, 9, 13), ont commenté les
principaux travaux publiés. Pour eux, dans une synthèse
rapide, pour les hommes atteints de psychoses affectives
(dépression psychotique et trouble bipolaire), le risque de
passage à l’acte violent est globalement deux fois plus
élevé pour les hommes et quatre fois plus élevé chez les
femmes par rapport à la population générale. Si l’on exclut
les abus de substances, drogues ou alcool, le taux est seu-
lement significatif pour les femmes alors que pour les hom-
mes, il tombe à 1,2. Pour mémoire rappelons que chez
les hommes schizophrènes le risque de violence par rap-
port aux non-malades est multiplié par un facteur de 4,6.
Quelques études illustrent bien la difficulté d’établir un
rapport précis entre dangerosité, violence et troubles
bipolaires ; nous reprendrons les synthèses critiques de
J.L. Dubreucq
et al.
(3) :
Dans l’étude de Swanson
et al.
(1990), sans abus
de substances, il n’existe pas de lien significativement
élevé entre violence et troubles affectifs ou troubles
anxieux. L’abus de substances est fortement associé à la
violence.
Dans l’étude de Stueve et Link en 1997, comme le
commente J.L. Dubreucq, la dépression majeure et les
troubles anxieux ne sont pas associés à une élévation
significative du risque d’accès violent chez les hommes
adultes quand il n’existe pas d’abus d’alcool ou de drogue.
Par contre les troubles psychotiques et le trouble bipolaire
sans abus de substances demeurent significativement
associés à la violence. L’abus de substances est forte-
ment corrélé aux actes violents dans la communauté.
Dans un travail de Wallace
et al.
en 1998, l’abus de
substance est responsable de l’élévation des ratios de
cote pour les actes violents et les homicides associés aux
troubles affectifs comme la schizophrénie chez les hom-
mes.
Dans le travail de Steadman
et al.
(1998), et de Mana-
han (2001), les schizophrènes sont moins responsables
de violence que les bipolaires ou les patients déprimés ;
comme le soulignent Jean-Luc Dubreucq
et al.
, c’est
l’abus d’alcool ou de drogue qui rend compte de la violence
et de la dangerosité des malades mentaux. Dans ce travail
il apparaît que la qualité de l’alliance thérapeutique est tout
à fait fondamentale : les patients suivant régulièrement
leur traitement ne sont pas violents à la sortie de l’hôpital.
Par contre en cas de rupture de traitement, la violence est
plus importante dans les 20 premières semaines après la
L’Encéphale, 2006 ;
32 :
547-52, cahier 2 Aspects médico-légaux des troubles bipolaires
S 551
TABLEAU I. —
Mesures de protection et leur incidence dans la vie civile.
Sauvegarde de justice Curatelle Tutelle
Avantages Mesure immédiate simplicité
Ne porte pas atteinte à la capacité
civile
Régime souple, intermédiaire entre
Sauvegarde de justice et tutelle Régime de protection complet et
durable
Mesure modulable (article 501 du code
civil)
Inconvénients Mesure temporaire Pas de privation des droits civiques Privation des droits civiques
Indications Pathologie ou handicap temporaires Pathologie ou handicap durables chez
un patient ayant besoin d’être protégé
de façon durable mais adaptée et
souple
Pathologie ou handicap durables chez
un patient ayant besoin d’être protégé
de façon durable
Procédure d’ouverture Déclaration au procureur de la
République associée à un certificat de
spécialiste si le malade n’est pas
hospitalisé
Le juge des tutelles peut prononcer la
sauvegarde de justice s’il est saisi
d’une demande de tutelle ou curatelle
Demande du malade, du conjoint, de
la famille, du curateur, du procureur de
la république ou du juge
Demande destinée au juge des tutelles
Certificat médical constatant
l’altération des facultés établi par un
psychiatre figurant sur la liste spéciale
du procureur de la république
Demande du malade, du conjoint, de la
famille, du curateur, du procureur de La
république ou du juge
demande destinée au juge des tutelles
Certificat médical constatant l’altération
des facultés établi par un psychiatre
figurant sur la liste spéciale du
procureur de la république
Durée Deux mois renouvelables
éventuellement six mois
La sauvegarde de justice prononcée
par le juge peut se prolonger jusqu’à
l’ouverture de la tutelle
Mesure durable Mesure durable
Conséquences Conservation des droits civils et
civiques
Protection par la possibilité d’action en
nullité ou en réduction pour excès
Obligation pour les proches de faire
des actes conservatoires
Incapacité civile partielle : autonomie
possible pour les actes conservatoires,
possibilités d’action en nullité et en
réduction
Perte partielle des droits civils et
politiques
Le droit de vote est conservé
Mariage et donation avec l’accord du
curateur
Le testament est possible, si un
certificat médical atteste que la
personne est saine d’esprit
Perte de la capacité civile : actes
postérieurs à l’ouverture nuls de droit,
actes passés pouvant être annulés, la
nullité éventuellement prononcée dans
l’intérêt du malade
Perte des droits civiques et politiques :
perte du droit de vote, le mariage, le
testament sont soumis à l’autorisation
du conseil de famille
Mesure modulable : certains actes
peuvent être maintenus par le juge
Cessation Automatique en cas de non-
renouvellement
par un nouveau certificat médical
attestant que l’état antérieur a cessé
par radiation par le procureur de la
république
Mêmes formalités que pour l’ouverture
Jugement de mainlevée Mêmes formalités que pour l’ouverture
Jugement de mainlevée
Publicité Aucune
communication possible aux autorités
judiciaires, avocats, notaires avoués
Par le moyen de l’État Civil : mention RC
(Répertoire Civil) en marge de l’acte de
naissance
Information des notaires, avoués…
Recours Par le patient auprès du procureur de
la république Possible par toute personne qui aurait
pu demander l’ouverture de la curatelle Possible par toute personne qui aurait
pu demander l’ouverture de la tutelle
Mandataire La personne protégée peut désigner
un mandataire
Le juge peut désigner un mandataire
spécial
Mandat du curateur variable Mandat du tuteur variable selon le type
de tutelle
Catégories particulières Mandataire spécial article 491-5 du
Code civil Curatelle spéciale (article 512) : le
curateur a des pouvoirs comparables
à celui du tuteur (curatelle aggravée)
Tutelle complète
Administration légale
tutelle d’état
Tutelle aux prestations sociales
* Sauvegarde de justice.
1 / 6 100%