Le difficile diagnostic des troubles bipolaires.Cette pathologie, où

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Le difficile diagnostic des troubles bipolaires. Cette pathologie, où alternent
phases d'excitation et de dépression, toucherait de 1 % à 6 % de la population.
Par Martine Laronche, lemonde.fr 06/2011
Marie‐France Rémy, 66 ans, souffre de troubles bipolaires, une maladie psychiatrique où alternent des phases d'excitation, appelées manies, et de dépressions profondes. " Ça s'est déclenché à l'âge de 44 ans, à la suite d'un choc psychologique, explique‐t‐elle. Une de mes filles avait fait une fugue peu avant ses 18 ans. J'ai sombré. " Il a fallu attendre dix ans avant que le diagnostic ne soit établi. Pendant de longues années, Mme Rémy a été soignée pour dépression. Elle a même subi des électrochocs. Alors que de nombreux couples se brisent, usés par les effets de la maladie, les époux Rémy ont tenu bon. Ils ont fait partie des membres fondateurs d'une association de malades et de leurs proches dénommée Argos 2001, du nom de la fameuse balise de détresse. " On ne peut pas déconnecter le malade de son environnement. Il faut prendre tout le monde en charge ", estime Hervé Rémy, le mari. Jusqu'à 44 ans, son épouse était hyperactive et il était admiratif face à tant d'énergie. " Je ne m'arrêtais jamais, mon mari se plaignait que je ne puisse même pas me poser pour regarder les informations télévisées avec lui ", confirme son épouse. Le diagnostic de troubles bipolaires est difficile à établir : " Les médecins connaissent encore mal cette maladie. Il faut entre sept et dix ans pour pourvoir l'identifier ", assure Hervé Rémy. Le docteur Christian Gay, psychiatre libéral, en détaille le large spectre. " Le trouble bipolaire de type I, appelé autrefois la psychose maniaco‐dépressive, concerne environ 1 % de la population, explique‐t‐il. Il se traduit par l'alternance de troubles maniaques, quasi psychotiques, avec délire mystique ou mégalomaniaque, et de dépressions entrecoupées de phase de stabilisation. " Relativement facile à identifier, il peut néanmoins être confondu avec un épisode schizophrénique ou un délire paranoïaque. Un cran au‐dessus : " Le trouble bipolaire II, qui se caractérise surtout par l'existence d'épisodes dépressifs majeurs ; les phases d'excitation ‐ appelées hypomaniaques ‐ étant nettement moins intenses et donc difficilement repérables ", poursuit le médecin. Il peut être confondu avec la dépression. En plus de ces deux formes, se développe toute une palette de troubles qui font que 6 % de personnes pourraient être concernées par la bipolarité. Cette maladie est parfois associée à des addictions (alcool, drogue licite ou illicite, hypersexualité). De plus, le taux de suicides est particulièrement élevé chez les personnes concernées : de 15 % à 20 % des patients non traités décèdent par suicide. Marie‐France Rémy a fait trois tentatives de suicide " sérieuses ". Une broutille, un mot de travers peuvent déclencher un désarroi infini. Comme cet après‐midi où elle avait cueilli des mirabelles en famille. " A la vue du monceau de fruits, l'idée d'en devoir faire des confitures m'a semblé insurmontable, raconte‐t‐elle. J'ai pris des somnifères et ai sombré dans le coma, alors qu'en phase maniaque, je soulèverais des montagnes. " Médicaments régulateurs de l'humeur, hygiène de vie ‐ et notamment un sommeil régulier ‐ ou thérapies permettent de traiter, le plus souvent avec succès, les patients. " Dans tous les cas, l'abstention ou la limitation de durée de prescription d'un antidépresseur est de règle, car il peut aggraver la maladie en déclenchant un épisode maniaque ", poursuit le docteur Gay, auteur de Vivre avec un maniaco‐dépressif (Fayard, 2010). " Quand leurs symptômes sont convenablement diagnostiqués et traités par des médicaments et une psychothérapie idoines, 70 à 80 % des sujets bipolaires ont la possibilité de mener une vie à la fois normale et extrêmement productive, relate le psychiatre et pharmacologue Ronald R. Fieve, dans Comment bien vivre avec des troubles bipolaires. Savoir soigner les bas pour tirer profit des hauts (Flammarion, 331 p., 22 euros). Malheureusement, on estime que deux bipolaires sur trois ne sont pas traités comme il le faudrait, que leurs troubles de l'humeur n'aient pas été reconnus ou qu'une erreur de diagnostic ait été commise. " Dans ce livre pédagogique, l'auteur détaille les symptômes et les traitements appropriés pour stabiliser la maladie. Alain, la cinquantaine, médecin, a abouti au diagnostic après une dizaine d'années d'errance. Achats compulsifs, prises de risques ont alterné avec des phases dépressives qui le clouaient à la maison. Il perçoit une pension d'invalidité. En septembre 2010, il a été hospitalisé à la suite d'un épisode de très forte manie. C'est là qu'il considère avoir été enfin pris en charge. Actuellement, il est sous médicaments thymorégulateurs. " C'est le première fois que je suis équilibré depuis quinze ans, que je me sens d'une humeur à peu près normale ", dit‐il. Sa famille a été mise à rude épreuve. " Mes filles ont peur pour moi car mon mari a parfois été violent et agressif en phase maniaque ", explique son épouse. Pour mieux aider les patients à gérer leurs troubles, la fondation Fondamental, créée en 2007 par Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, prône une approche complémentaire aux médicaments peu diffusée en France : la psychoéducation. Le docteur Gay la pratique depuis plus de dix ans à la Clinique médicale du Château à Garches (Hauts‐de‐Seine). A raison de quinze séances collectives, les patients apprennent notamment à bien connaître leurs troubles, à les accepter sans les subir, et à anticiper la survenue d'une crise grâce au repérage des signes précurseurs. Cette technique, selon les études, présente l'avantage d'améliorer la qualité de vie du patient et de permettre une meilleure observance du traitement dont les effets secondaires peuvent se traduire par des pertes de cheveux, une prise de poids, la chute de la libido, voire des tremblements. Selon la Fondation, 50 % des patients arrêtent leur traitement dans la première année, ce qui constitue la principale cause de rechute. " On se sent si bien dans les phases euphoriques " Ce mardi 31 mai à Strasbourg, une trentaine de personnes participent au groupe de parole sur les troubles bipolaires dans les locaux de l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam). Patients, conjoints, parents forment un large cercle, accueillis par Marie‐Frédérique Bacqué, professeur de psychopathologie clinique à l'université de la ville, et par le professeur Gilles Bertschy, chef d'un service de psychiatrie aux Hôpitaux universitaires. Mis en place en septembre 2010, le groupe se réunit tous les mois. " Chacun peut prendre la parole, explique Mme Bacqué. L'idée n'est pas d'apporter une réponse particulière ‐ chacun est singulier ‐, mais de partager des expériences. " Un homme, qui vient pour la première fois, se lance : " Mon épouse a un problème de violence, depuis quelques années. Je suis un peu perdu et je voudrais en discuter. " Un conjoint lui répond : " Ma femme est bipolaire depuis trente‐cinq ans et elle n'est bien prise en charge que depuis 1993, après une tentative de suicide. C'est difficile de faire la part des choses entre nos problèmes de couple et la maladie. " Une jeune femme prend la parole : " On m'a diagnostiquée hypomaniaque à la suite d'une rupture. J'ai une tendance exubérante et dépressive avec une idée fixe, celle de récupérer mon ex. " Le professeur Bertschy intervient : " L'hypomanie est un état moins marqué que celui de la manie. Il se traduit par de l'euphorie, des insomnies. Une séparation affective peut influencer l'humeur. " Une mère demande : " Mon fils est schizophrène ‐ la schizophrénie est une psychose ‐ , et j'ai l'impression de me heurter à un mur de la part du monde médical. Il est en grande partie livré à lui‐même et ne veut plus aller à l'hôpital de jour. " " Comme un volcan " Un jeune homme renchérit : " Moi je suis schizophrène et ‐bipolaire. J'ai parfois du mal à aller à l'hôpital de jour, mais il faut se forcer. " Un père tempère : " Nous voudrions surprotéger nos enfants, mais les familles aussi ont besoin d'un coup de main, vous auriez besoin d'aller voir un médecin. C'est normal que vous soyez en colère. Il faut que vous puissiez exprimer votre souffrance. " Puis un couple prend la parole. " Notre fille est bipolaire, et il faut veiller à ne pas aggraver les choses par notre comportement. J'ai tendance à être autoritaire quand je la vois se recoucher. En ce moment, la situation semble s'améliorer. " Marie‐Frédérique Bacqué interroge : " Le sentiment de solitude, d'impuissance, vous le ressentez toujours ? " Le père : " La solitude, nous l'avons ressentie quand nous ne comprenions pas son comportement. Notre préoccupation, c'est qu'elle devienne un jour autonome. " Un autre malade témoigne : " C'est dur d'accepter sa maladie. On se sent si bien dans les phases euphoriques. C'est un peu comme un volcan, quand le magma fuse, ça fait des dégâts. On s'est séparés deux fois avec ma femme. Mais nous nous sommes retrouvés, nous avons quatre enfants. " Une jeune fille bipolaire prend alors la parole : " Est‐ce qu'on a droit à une vie de couple ? J'ai rencontré quelqu'un, mais quand dois‐je lui dire que je suis malade ? Cela remet toute la séduction en cause. " Une épouse venue avec son mari malade lui répond : " Si l'on rencontre la bonne personne, il faut y aller. Même si c'est difficile de trouver sa place en tant que conjoint. J'ai fait la démarche d'aller consulter moi‐même, car j'ai besoin d'être aidée. " Marie‐Frédérique Bacqué conclut : " Quand les proches vont mieux, les patients vont mieux également. La communication s'améliore. " 
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