Cancer du sein chez les femmes âgées
M. Espié
Introduction et particularités épidémiologiques
Le cancer du sein touche près de 40 000 femmes par an et est responsable de
11 000 décès. Parmi les femmes atteintes 45 % ont plus de 65 ans. C’est donc
souligner d’emblée l’importance du problème, ne serait-ce qu’au regard du
nombre de personnes concernées. La fréquence du cancer du sein s’accroît avec
l’âge : aux États-Unis il touche 60 femmes pour 100 000 avant 65 ans, 300
femmes pour 100 000 entre 65 et 69 ans, 375 femmes pour 100 000 après
85 ans (1). En termes de mortalité, il est responsable de 50 décès pour 100 000
femmes avant la ménopause et de 172 décès pour 100 000 après 85 ans.
D’un point de vue épidémiologique, on sait que le risque de cancer du sein
augmente avec l’âge, plus on vit vieux et plus le risque augmente. On sait égale-
ment que le risque est augmenté en cas d’âge tardif lors d’une première
grossesse et que ce risque est surtout important pour les cancers qui survien-
nent chez des femmes âgées (2). Le risque de cancer du sein augmente avec une
ménopause tardive et chez les femmes ménopausées présentant une surcharge
pondérale.
Ces patientes présentent généralement des tumeurs avec de meilleurs
facteurs pronostiques (3, 4).
Les femmes sous traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause
ont un risque accru de développer un cancer du sein surtout si elles sont trai-
tées par une association estro-progestative administrée en continu. Dans l’essai
WHI (5) associant estrogènes conjugués équins et acétate de médroxyproges-
térone, on note un risque relative à 1 (1,24, p < 0,001). Il n’a pas été mis en
évidence d’effet de durée. Dans le bras sous estrogènes seuls (6) le RR est
diminué à 0,77 (0,59 - 1,01) à la limite de la signification statistique.
Dans l’étude française de la MGEN (7) qui correspond davantage à nos
habitudes de prescription, il n’y a pas d’élévation du risque sous estrogènes
seuls, RR = 1,1 (0,8 - 1,6), ni en cas d’association estrogènes-progestatifs
micronisés, RR = 0,9 (0,7 - 1,2). On note par contre une élévation du risque
en cas d’association estrogènes et progestatifs de synthèse RR RR = 1,4 (1,2 -
1,7). Là encore, pour l’ensemble de la population, il n’a pas été mis en
évidence d’effet de durée.
Le THS a donc un effet d’accélération de la naissance sur certains cancers
infracliniques préexistants et il peut par ailleurs réduire la spécificité et la sensi-
bilité de la mammographie effectuée dans le cadre d’un dépistage organisé en
rendant les seins plus denses.
Il faut noter par ailleurs que sous THS ce sont, semble-t-il, essentiellement
les cancers lobulaires qui sont en augmentation et non les cancers canalaires (8,
9, 10).
On sait que la mortalité par cancer du sein de ces patientes est souvent
moindre, probablement grâce à un diagnostic plus précoce, là encore, lié à la
surveillance.
Un des facteurs de risque important est l’existence d’antécédent familial de
cancer du sein matri- ou patrilinéaire du premier degré et ce d’autant plus que
les personnes atteintes l’ont été jeunes et que leurs cancers étaient bilatéraux.
Ce risque cependant ne joue vraisemblablement pas ou peu pour les femmes
âgées puisque les cancers du sein familiaux sont généralement apparus avant
65 ans. En effet, concernant les formes familiales, leur proportion diminue
avec l’âge et, selon Bignon (11), la probabilité de trouver un cancer du sein lié
à une mutation de type BRCA1 ou BRCA2 n’est que de 3 % au-delà de 70 ans
et de 1 % après 80 ans.
Problèmes psychologiques et âge
Tout d’abord il ne faut pas confondre problèmes sociaux ou psychiatriques et
état psychologique, même s’il existe des interférences. Le grand âge favorise
l’isolement, la dépendance, la perte du conjoint, l’absence de famille, des
revenus modestes… Les problèmes psychiatriques, la maladie d’Alzheimer, la
démence sénile vont être plus fréquents en vieillissant.
Il convient également, dans la prise en charge, de faire la part de nos propres
projections et de celles des familles. N’a-t-on pas tendance à infantiliser les
personnes âgées, à parler à la famille plutôt qu’à la personne concernée, à ne
pas supporter de voir notre propre devenir…
Mais la psychologie des femmes âgées est-elle différente de celle de femmes
jeunes ? Ne dépend-elle pas surtout de leur passé, de leurs expériences, de leur
vécu qui sera obligatoirement différent d’une femme à l’autre. La littérature est
pauvre sur le sujet. Le sein reste pour les femmes âgées un organe symbole de
la féminité et beaucoup de femmes âgées restent très « attachées » à leurs seins,
il est faux de croire qu’une mastectomie sera plus facile à accepter chez une
femme âgée que chez une femme jeune, c’est souvent l’inverse. Certaines
femmes âgées peuvent également tester le désir de soin du médecin à leur
égard : « Est-ce qu’il pense que cela en vaut encore la peine ? »
100 Cancer du sujet âgé
Diagnostic du cancer du sein
Avec l’âge la glande mammaire connaît une involution adipeuse, la pathologie
bénigne (kystes, adénofibromes, mastite inflammatoire...) est rare et donc
toute masse palpable est suspecte d’être cancéreuse. L’involution adipeuse faci-
lite par ailleurs grandement l’examen clinique et la mammographie.
Or, aux États-Unis plus de 85 % des femmes âgées détectent leur cancer du
sein elles-mêmes, 12 % sont détectés par le médecin et moins de 5 % par une
mammographie systématique (12) Les cancers du sein diagnostiqués le sont
souvent à un stade plus avancé (13, 14). On note par exemple trois fois plus
de patientes métastasées d’emblée chez les femmes âgées que chez les femmes
jeunes. Il existe donc un retard au diagnostic et à la thérapeutique propre aux
patientes âgées, probablement de leur fait, mais aussi par l’attitude des méde-
cins qui, eu égard à l’âge, vont avoir une attitude différente.
Silliman (15) a repris la démarche diagnostique adoptée par les médecins
aux États-Unis en fonction de l’âge : entre 45 et 74 ans, 72 % de leurs patientes
bénéficieront d’une mammographie et/ou d’une cytologie, entre 75 et 90 ans
elles ne seront que 59 %. Or, quel que soit l’âge, la mammographie reste
importante pour apprécier la plurifocalité, la bilatéralité, et adapter la théra-
peutique.
Le cancer du sein des femmes âgées n’a pas de particularités radiologiques
en dehors du fait qu’il survient généralement dans un sein adipeux radio-trans-
parent. Les opacités nodulaires mal limitées ou les opacités stellaires sont les
images les plus fréquemment rencontrées, mais on peut également observer des
foyers de microcalcifications ou des opacités arrondies paraissant bénignes. Il
semble que le suivi mammographique régulier soit tout à fait efficace chez les
femmes âgées, et Wilson (16) trouve que les cancers du sein peuvent ainsi, chez
les femmes âgées, être diagnostiqués à un stade plus précoce. Quoi qu’il en soit,
toute opacité apparaissant chez une femme âgée est d’abord suspecte de mali-
gnité quel que soit son aspect.
Dépistage et femmes âgées
Le dépistage de masse permet une diminution de la mortalité par cancer du
sein d’environ 30 %. Cette efficacité est notée chez les patientes de plus de
50 ans dans la majorité des études et le gain en survie est observé au bout de
quatre ans après l’examen de dépistage. Malheureusement, les patientes de plus
de 70-75 ans sont souvent exclues des études de dépistage en raison d’une
moins bonne observance, du fait de l’existence de pathologies autres qui vont
influer sur la mortalité et du coût en fonction du bénéfice attendu.
Cependant, dans plusieurs études (17, 18), la réduction observée de la
mortalité est identique chez les patientes de 65-74 ans par rapport aux femmes
Cancer du sein chez les femmes âgées 101
plus jeunes, mais le nombre de patientes inclues dans les études est trop faible
pour avoir des certitudes. Van Dick (19) a étudié de même l’efficacité de pour-
suivre le dépistage de masse organisé chez les femmes âgées dans le programme
de Nijmegen aux Pays-Bas. Il a noté qu’il existait un gain persistant jusqu’à
l’âge de 75 ans et a proposé d’étendre le dépistage de masse jusqu’à cet âge ; a
comparé l’efficacité du dépistage chez les femmes avant et après 65 ans. Il a
trouvé un taux de détection plus élevé chez les patientes âgées (9,2 pour
1 000 femmes) que chez les plus jeunes (5,7 pour 1 000 femmes). Il notait
93 % d’absence d’envahissement ganglionnaire chez les femmes âgées versus
88 % avant 65 ans et respectivement 84 % de stade 0 ou I versus 75 % de stade
0 ou I. Il concluait que la mammographie de dépistage était au moins aussi effi-
cace chez les femmes de plus de 65 ans.
Mandelblatt a conçu un modèle tendant à prouver qu’il n’y a pas de raison
valable de refuser le dépistage aux patientes de moins de 85 ans (20).
Un travail de sensibilisation semble donc important tant en direction des
médecins que des patientes pour améliorer la démarche diagnostique (21).
Existe-t-il des particularités histologiques ?
D’un point de vue histologique, le cancer du sein de la femme âgée ne diffère
pas de celui des femmes jeunes. Il s’agit en majorité d’adénocarcinomes galac-
tophoriques invasifs. Les carcinomes lobulaires, papillaires, colloïdes muqueux,
sont légèrement plus fréquents (1). Les tumeurs sont parfois de grade moins
élevé que chez les femmes jeunes (22). Il a été noté une augmentation de la
fréquence des tumeurs riches en récepteurs hormonaux avec l’âge, ce qui
traduit une plus grande différenciation et confirme la plus grande hormono-
dépendance des cancers du sein métastasés de la femme âgée (23).
Dans une étude anatomo-pathologique portant sur des femmes de plus de
85 ans et comparées à des patientes plus jeunes, il a été retrouvé 56,8 % de
carcinome canalaire infiltrant contre 81 % chez les femmes plus jeunes, 16,2 %
de carcinome colloïde muqueux contre 3,4 % et 10,8 % de carcinome apocrine
contre 0,3 %. Il a également été mis en évidence davantage de carcinome lobu-
laire invasif, de maladie de Paget et de cystadénocarcinome mucineux.
Chez ces patientes, il a été retrouvé une expression plus élevée des récep-
teurs des estrogènes et une moindre expression des récepteurs de la pro-
gestérone. On note également significativement plus élevée des récepteurs des
androgènes.
Il existe donc peut-être un rôle des androgènes dans la genèse des cancers
du sein chez les femmes très âgées et en particulier pour celles qui ont des
formes histologiques rares (24).
102 Cancer du sujet âgé
Qu’en est-il de l’évolutivité avec l’âge ?
Il n’y a actuellement pas de consensus sur la nature évolutive des cancers du
sein chez la femme âgée ; ils ne sont probablement pas de meilleur pronostic.
Il est probablement faux de penser que ces cancers sont obligatoirement moins
évolutifs, même chez les femmes âgées le cancer du sein est hétérogène.
Adami (25), reprenant 57 068 cancers du sein suivis en Suède de 1960 à
1978 et traités par chirurgie radicale, trouve que les survies les plus prolongées
concernent les patientes dont le diagnostic a été effectué entre 45 et 49 ans. Les
survies les plus courtes concernent les patientes de plus de 75 ans, en tenant
compte bien sûr de la survenue d’autres pathologies. Les données du National
Cancer Institute aux États-Unis tendent à montrer qu’à stade égal la survie à
cinq ans est identique pour toutes les tranches d’âge entre 35 et 84 ans (26).
Que sait-on du traitement locorégional ?
Avant d’aborder la thérapeutique, il convient de savoir quelle est l’espérance de
vie en fonction de l’âge. Une femme qui a atteint 65 ans a statistiquement
18,8 années à vivre, si elle a atteint 75 ans, 11,9 années et si elle a atteint
85 ans, 6,6 années à vivre (1).
Pour les petites tumeurs traitées par tumorectomie exclusive, on observe
40 % de rechute locale à 5 ans (27). Un tel taux de rechute n’est pas acceptable
même si certaines peuvent être rattrapées par une mastectomie. On sait égale-
ment que la radiothérapie permet de diminuer de manière notable la fréquence
de ces rechutes locales et qu’elle ne pose pas de problème de tolérance. Le
chiffre de 40 % de rechute locale à cinq ans signifie qu’eu égard à leur espé-
rance de vie, les femmes de 85 ans devront être traitées correctement au niveau
locorégional si on veut leur épargner une rechute locale (tableau I). Solin (28)
a comparé le devenir de deux groupes de patientes âgées de 50 à 64 ans
(385 femmes) et de plus de 65 ans (173 femmes) toutes traitées par tumorec-
tomie, curage axillaire et irradiation. À 10 ans, le taux de décès par cancer du
sein était identique dans les deux groupes, 13 % et il n’y avait pas de différence
en termes de rechutes locales (13 % versus 12 %). Il n’y a donc aucune raison
de refuser un traitement conservateur en fonction de l’âge.
Pour les tumeurs de plus de 3 cm, la mastectomie reste possible. En effet
elle ne s’accompagne pas de morbidité plus importante chez les femmes âgées
que chez les femmes jeunes, la plupart des complications étant liées à la cica-
trice (14, 29).
Le curage ganglionnaire n’est fondamentalement utile qu’à visée pronos-
tique, surtout en l’absence d’adénopathie palpable. Il semble donc raisonnable
de ne l’effectuer que s’il doit modifier la thérapeutique. S’il existe des adéno-
pathies palpables il est nécessaire d’effectuer un curage pour contrôler
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