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en attendant la venue d’un esprit capable de les dominer et de les soumettre à des lois. ” L’intérêt de la connaissance 
ne réside pas dans le fait de collecter au hasard (“ pour rien, pour le plaisir ”) des faits dont on se bornerait à recevoir 
l’impression sensible, sans effort, voire même sans les rechercher − “ paresseusement et même passivement ”. 
Cette idée d’une passivité supposée dans la science est d’ailleurs renforcée par la suite de la phrase : “ en attendant la 
venue d’un esprit... ” L’attitude est donc ici celle, infantile, qui consiste à croire que les lois et, par conséquent, la 
vérité, scientifiques, sont données par le savant, à partir de l’expérience commune. 
 
3. En réalité, des observations relevées passivement ne peuvent prendre sens rétrospectivement 
 
La troisième partie (depuis “ Comme si ” jusqu’à la fin) développe les conséquences de la position critiquée et 
introduit celle de l’auteur. 
La série des exclamations introduites par l’expression “ Comme si... ” semble avoir pour fonction de souligner le 
caractère fictif ou illusoire, absurde en ce sens, de la position en question. “ Comme si une observation scientifique 
n’était pas toujours la réponse à une question, précise ou confuse ! ” 
Ici Bergson commence par indiquer ce que positivement il pense être l’observation scientifique : toute observation, 
lorsqu’elle est scientifique, répond à une intention, une recherche, une “ question ” préalable. Autrement dit, elle 
obéit à une hypothèse dont on cherche par elle la confirmation ou l’infirmation ; loin de précéder le travail de 
l’esprit, elle s’offre donc bien comme réponse à une question clairement formulée ou, à défaut, à une intuition ou 
question “ confuse ”. 
C’est pourquoi Galilée suppose que la nature ne parle au savant et ne lui révèle ses lois que si celui-ci l’interroge au 
moyen de questions bien posées ; ainsi peut-on reprendre ici, pour l’illustrer, l’exemple que donne Claude Bernard 
de l’hyperacidité occasionnelle de l’urine des lapins soumis au jeûne : l’observation que des lapins, rapportés du 
marché, ont les urines claires et acides, ne prend sens que grâce à l’idée expérimentale ou hypothèse, selon laquelle il 
existerait un lien entre l’acidité exceptionnelle de l’urine chez le lapin et son état d’abstinence alimentaire : dans cet 
état, il vivrait de son propre sang et aurait occasionnellement, pour cette raison, des urines de même nature que celles 
d’un carnivore. 
Remarquons, pour finir, que cette observation n’est faite, précisément, que parce que le physiologiste a le sentiment 
ou l’intuition de l’intérêt qu’elle présente pour répondre à une question qu’il s’est déjà, au moins “ confusément ”, 
posée. La preuve en est que le phénomène serait passé inaperçu dans l’expérience courante, pour un observateur non 
instruit. 
Voilà pourquoi des observations relevées sans intention (“ notées passivement ”), successives plutôt qu’ordonnées 
par une hypothèse  directrice (“ à la suite les unes des autres ”), ne constituent que “ des réponses décousues à des 
questions posées au hasard ”. En d’autres termes, elles ne sauraient fournir une réponse unique et cohérente (ayant “ 
un sens plausible ”) à une série de faits fortuitement observés et sans lien les uns avec les autres − “ à un discours 
incohérent ” par conséquent. 
Il y a bien une sorte de langage de la réalité, mais comme tel, celui-ci a d’emblée un sens pour nous. 
 
4. Quelle est la portée de la critique de Bergson ? 
 
Il reste cependant à déterminer quelle est la portée exacte de la critique de Bergson, quant à la nature de la 
connaissance. La question se pose en effet car dans les deux dernières phrases du texte, mais aussi un peu plus haut, 
dans les affirmations concernant la séparation indue de l’expérience et de l’intelligence, Bergson semble renvoyer 
dos à dos, par sa critique, empirisme et rationalisme. 
Expliquons-nous : tout d’abord, la phrase “ Comme si des observations notées passivement à la suite... ” condamne 
l’empirisme, lequel consiste à poser que toute connaissance repose exclusivement sur l’expérience. 
Selon Hume, cette expérience est externe − c’est alors celle des sens −, ou interne et psychologique : il s’agit dans ce 
dernier cas de la croyance subjective, produite par l’observation de l’association répétée de deux phénomènes 
naturels (l’éclair et le tonnerre par exemple), en leur lien nécessaire ou lien de cause à effet. La loi scientifique 
reposant sur cette croyance en la causalité serait donc bien, de ce point de vue, obtenue par la généralisation 
machinale d’une succession d’expériences semblables et fortuites.  
Ensuite, les phrases : “ Généraliser serait donc une fonction, observer en serait une autre ” et “ Comme si le travail de 
généralisation consistait à venir, après coup, trouver un sens plausible à ce discours incohérent ” constitueraient 
plutôt une critique du rationalisme ou de l’idéalisme : pour celui-ci, en effet, l’entendement dispose de concepts par 
le moyen desquels il ordonne “ après coup ” un donné incohérent par lui-même, mais chronologiquement premier. 
Le problème est alors le suivant : comment l’empirisme et le rationalisme, soit deux prises de position opposées 
quant au problème de l’origine de la connaissance, peuvent-ils faire l’objet d’une critique commune ?