Mise s a p Mise s au p oint Mise s au p oint Existe-t-il un lien entre l’hyperactivité dans l’enfance et l’alcoolisme ? L. Romo, C. Gérard, C. Aubry, M. Lejoyeux, J. Adès* Trente à 50 % des enfants hyperactifs souffrant de déficit d’attention continuent de rencontrer des difficultés à l’âge adulte. Certains auteurs, comme Sarramon et al. (1987), Déglon (2002), s’accordent à dire que ces enfants hyperactifs présenteraient un risque plus élevé de développer des problèmes de dépendance à l’alcool à l’âge adulte. Afin de vérifier et d’évaluer ce risque, l’échelle WURS (The Wender Utah Rating Scale), dont l’objectif est de repérer un éventuel vécu d’hyperactivité au cours de l’enfance, est actuellement administrée aux patients alcoolodépendants suivis à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes. Voici les résultats préliminaires d’une étude en cours, tels qu’ils ont été présentés lors des 30 es Journées scientifiques de thérapie comportementale et cognitive, le 14 décembre 2002 à Paris. Les dénominations du trouble de l’hyper-activité (THADA) ont largement évolué en fonction des descriptions et des hypothèses étiologiques formulées. La définition actuelle du DSM IV regroupe l’ensemble des troubles sous le terme de “trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité”, un désordre débutant pendant l’enfance avec une composante génétique et qui persiste à l’âge adulte dans un à deux tiers des cas. Il existe d’autres critères (par exemple, ceux d’Hallowel et Ratey), mais les plus fréquemment utilisés sont ceux de Brown (1996). Il a répertorié cinq catégories de comportements présents à des degrés différents chez les personnes adultes hyperactives, qui entravent leur capacité à : organiser et commencer son travail ; maintenir la concentration et l’attention ; maintenir l’énergie et l’effort ; assumer les problèmes affectifs divers ; utiliser la mémoire de travail à court terme. Wender (1995) reconnaît l’existence du THADA chez l’adulte et développe l’échelle Wender Utah Rating Scale (WURS), celle que nous essayons de valider et dont les quatre facteurs principaux pris en compte pour les adultes sont : les problèmes émotionnels et * Centre hospitalier universitaire Louis-Mourier, service de psychiatrie (Pr. J. Adès), Colombes. subjectifs ; l’impulsivité-trouble des conduites ; l’impulsivité-hyperactivité ; les difficultés d’attention. Wender exige plusieurs conditions pour que le trouble THADA chez l’adulte soit établi : la présence d’un trouble d’hyperactivité dans l’enfance ; d’une hyperactivité motrice et d’un trouble du déficit de l’attention ; d’au moins deux critères d’une liste de cinq (impulsivité, labilité de l’humeur, incapacité à accomplir une tâche en entier, intolérance au stress, tempérament explosif). Un lien déjà bien étudié En 1980, Barkley et al. démontrent, par une étude longitudinale, que les enfants atteints de THADA développent davantage de conduites addictives que les enfants du groupe contrôle. Depuis, plusieurs études, dont celles de K ramer et Loney (1982) et de Thorley (1984), confirment le lien indiscutable entre l’hyperactivité et l’alcoolisme et l’abus de drogues. En 1993, les chercheurs de l’école de médecine de l’Université de Harvard remarquent que les adultes chez lesquels on avait posé un diagnostic d’hyperactivité avaient un taux trois fois plus élevé de consommation d’alcool que les adultes non hyperactifs. Quelques années plus tard, en 1996, l’équipe de Wender, de l’université d’Utah, constate 103 une comorbidité considérable chez l’enfant hyperactif, avec des troubles du comportement anxiodépressifs et les prémisses d’une personnalité antisociale (un risque donc plus élevé de toxicomanie, d’alcoolisme). Pour sa part, l’étude de Sarramon et al. (1999) rapporte l’évaluation de trois dimensions de la personnalité de 65 patients hospitalisés en psychiatrie, présentant ou non des conduites addictives, à l’aide de l’échelle de Barrat : recherche de sensations, anhédonie et impulsivité. Il en ressort que les sujets qui ont un score élevé à cette échelle (supérieur à 60) ont un risque multiplié par 3,3 d’avoir une “conduite addictive actuelle”. Ils concluent que les sujets les plus impulsifs ont une grande probabilité de présenter une conduite addictive ou d’avoir eu un tel trouble dans leurs antécédents. En 2000, Ponce Alfaro et al. publient les résultats de leur étude, qui montre un score d’hyperactivité plus élevé chez les sujets alcoolodépendants, comparé à celui obtenu par les sujets du groupe contrôle. L’échelle administrée est la même que dans notre étude (WURS). En 2002, Déglon, en Suisse, publie les résultats d’une étude qui confirme le risque important de toxicomanie ou d’alcoolisme parmi les jeunes souffrant d’hyperactivité. Il explique ce résultat par le fait que toutes ces substances augmentent le taux de dopamine cérébrale abaissé chez les sujets hyperactifs. Ceux-ci rechercheraient donc dans ces produits une automédication qui leur permettrait de découvrir le plaisir d’être calmes et de pouvoir se concentrer. Enfin, la même année, en France, Bouva rd rapporte que 20 % des adolescents hyperactifs ont un trouble des conduites versus 8 % dans le groupe contrôle, 19 % ont un trouble d’abus de substances toxiques versus 7 % dans le groupe contrôle. Il précise que le plus grand facteur de risque pour le développement des troubles des conduites et de l’abus de substances toxiques est la persistance du THADA. La personnalité antisociale est également plus fréquente chez les sujets ayant présenté un THADA. Mise s au poin t Étude menée à Louis-Mourier : résultats préliminaires L’intérêt de cette étude que nous menons à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes et dont nous ne présentons ici que des don- Mise s au p oint t n i Mise s au p o nées préliminaires, est multiple : d’une part, il s’agit pour nous de souligner le fait que l’hyperactivité et les problèmes néfastes qu’elle entraîne peuvent persister à l’âge adulte et, d’autre part, de proposer des pistes de détection de ces troubles chez les adultes afin de pouvoir les orienter vers une prise en charge adaptée. Nous espérons aussi apporter une contribution à la compréhension de la comorbidité et de la persistance des conduites addictives de ces sujets, et plus particulièrement des conduites alcooliques. Enfin, nous souhaitons inclure d’autres groupes cliniques (notamment des personnes présentant des troubles de l’humeur et des troubles anxieux) dans notre recherche et les comparer avec une population contrôle. Pour le moment, 25 patients alcoolodépendants ont répondu à l’échelle WURS, dont dix femmes et quinze hommes. La moyenne d’âge est de 43 ans (9,79). Nous avons ajouté à notre protocole l’inventaire de dépression abrégé de Beck (BDI), le Michigan Alcoholism Screening Test (MAST), les deux échelles de Spielberger mesurant l’anxiété trait et état (STAI A et B) ainsi que les critères de la personnalité antisociale (tableau I). Nos résultats montrent un âge moyen de 43 ans pour nos patients. La dépendance est importante, avec un score moyen au MAST, de 25,72. Le score moyen à la BDI est de 14, ce qui correspond à une dépression modérée. Analyse de corrélation (Bravais-Pearson) : Le tableau II montre qu’il existe des corrélations entre le facteur 1 (problème émotionnel et subjectif) et les facteurs 2 (impulsivité, trouble des conduites) et 4 (difficultés d’attention). Les problèmes d’impulsivité et les difficultés d’attention semblent avoir des répercussions sur le plan affectif. De même, il y a une corrélation entre le facteur 2 et le facteur 4 : les difficultés d’attention seraient liées à l’impulsivité et au trouble des conduites. Concernant la personnalité antisociale le nombre de patients est 15. Il existe donc un lien entre la personnalité antisociale et le sexe masculin dans notre échantillon. La personnalité antisociale est surreprésentée chez les sujets présentant un trouble d’hyperactivité à l’âge adulte. Références bibliographiques Mise s au poin t Tableau I. Scores MAST Moyenne Écart-type – Bouvard M et al. L’hyperactivité de l’enfance à l’âge adulte. Doin ; 2002. – Paradis P. Hyperactivité et déficit d’attention. Thèmes traités, 2001. – American Psychiatric Association : DSM IV : Diagnostic and Statistical Manual of Mental disorders,1996. – Hallowel EM, Ratey J. Driven to distraction : recognozing and coping with attention deficit discorder from childhood trough adulthood. New York : Pantheon Books, 1994. – Brown Th. Brown attention deficit disor- BDI STAI A STAI B 25,72 14 41,68 51,39 10,84 7,25 15,55 12,49 der scales manual, San Antonio, The Psychological Corporation, 1996. – Wender Paul H, Mark F at al. The Wender Utah Rating Scale : an aid in the retrospective diagnosis of childhood attention deficit hyperactivity disorder. In : Am J Psychiatry 1993 ; 150 : 6. – Kramer J, Loney J. Journal childhood hyperactivity and substance abuse : a review of the literature. In : Gadow K, Bialer I eds. Advances in Learning and Behavioral Disabilities. 1982 ; vol I. Greenwich, CT : JAI Press : 225-59. – Thorley G, Review of followup and follow-back studies of childhood hyperactivity. Psychological Bulletin 1984 ; 96 (1) : 116-32. – Barkley RA, Fischer M, Edlebrock CS, Smallish L. The adolescent outcome of hyperactive children diagnosed by research criteria : I. An 8-yearprospective followup study. J the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry 1990 ; 29 (4) : 546-57. – Déglon JJ. L’hyperactivité avec déficit de l’attention et de la concentration, un syndrome à grand risque d’addiction. Association Hypsos, 2002. – Ponce Alfaro G et al. Attention deficit hyperactivity disorder and vulnerability to the development of alcoholism : use of the Wender Utah Rating Scale for the retrospective diagnostic of ADHD in the childhood of alcoholic patients, Actas Esp Psiquitr 2000 ; 28 (6) : 357. – Sarramon C, Verdoux H, Schmitt L, Bourgeois M. Addiction et traits de personnalité : recherche de sensations, anhédonie, impulsivité, L’encéphale 1999 ; XXV : 569-75. Tableau II. Âge MAST BDI STAI A STAI B Facteur 1 Facteur 2 Facteur 3 Facteur 4 score global Âge MAST BDI STAI A STAI B 1 -0,51 0,02 -0,10 -0,12 -0,46 -0,58 -0,03 -0,56 -0,52 1 0,41 0,46 0,42 0,20 0,01 -0,16 0,06 0,06 1 0,67 0,72 0,35 0,22 -0,07 0,22 0,25 1 0,70 0,44 0,30 0,23 0,32 0,42 1 0,29 0,28 0,15 0,26 0,31 Le Courrier des addictions (5), n° 3, juillet-août-septembre 2003 104 Facteur 1 Facteur 2 Facteur 3 1 0,73 0,32 0,81 0,92 1 0,35 0,75 0,86 1 0,18 0,52 Facteur 4 1 0,87 Score global 1