Existe-t-il un lien entre l hyperactivité dans l enfance et l alcoolisme ?

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Les dénominations du trouble de l’hyper-acti-
vité (THADA) ont largement évolué en fonc-
tion des descriptions et des hypothèses étiolo-
giques formulées. La définition actuelle du
DSM IV regroupe l’ensemble des troubles
sous le terme de “trouble déficitaire de l’at-
tention/hyperactivité”, un désordre débutant
pendant l’enfance avec une composante géné-
tique et qui persiste à l’âge adulte dans un à
deux tiers des cas. Il existe d’autres critères
(par exemple, ceux d’Hallowel et Ratey),
mais les plus fréquemment utilisés sont ceux
de Brown (1996). Il a répertorié cinq catégo-
ries de comportements présents à des degrés
différents chez les personnes adultes hyper-
actives, qui entravent leur capacité à : organi-
ser et commencer son travail ; maintenir la
concentration et l’attention ; maintenir l’éner-
gie et l’effort ; assumer les problèmes affectifs
divers ; utiliser la mémoire de travail à court
terme.
Wender (1995) reconnaît l’existence du
THADA chez l’adulte et développe l’échelle
Wender Utah Rating Scale (WURS), celle que
nous essayons de valider et dont les quatre fac-
teurs principaux pris en compte pour les
adultes sont : les problèmes émotionnels et
subjectifs ; l’impulsivité-trouble des conduites ;
l’impulsivité-hyperactivité ; les difficultés
d’attention. Wender exige plusieurs conditions
pour que le trouble THADA chez l’adulte soit
établi : la présence d’un trouble d’hyperacti-
vité dans l’enfance ; d’une hyperactivité
motrice et d’un trouble du déficit de l’atten-
tion ; d’au moins deux critères d’une liste de
cinq (impulsivité, labilité de l’humeur,
incapacité à accomplir une tâche en entier,
intolérance au stress, tempérament explosif).
Un lien déjà bien étudié
En 1980, Barkley et al. démontrent, par une
étude longitudinale, que les enfants atteints de
THADA développent davantage de conduites
addictives que les enfants du groupe contrôle.
Depuis, plusieurs études, dont celles de
Kramer et Loney (1982) et de Thorley
(1984), confirment le lien indiscutable entre
l’hyperactivité et l’alcoolisme et l’abus de
drogues. En 1993, les chercheurs de l’école de
médecine de l’Université de Harvard remar-
quent que les adultes chez lesquels on avait
posé un diagnostic d’hyperactivité avaient un
taux trois fois plus élevé de consommation
d’alcool que les adultes non hyperactifs.
Quelques années plus tard, en 1996, l’équipe
de Wender, de l’université d’Utah, constate
une comorbidité considérable chez l’enfant
hyperactif, avec des troubles du comporte-
ment anxiodépressifs et les prémisses d’une
personnalité antisociale (un risque donc plus
élevé de toxicomanie, d’alcoolisme).
Pour sa part, l’étude de Sarramon et al.
(1999) rapporte l’évaluation de trois dimen-
sions de la personnalité de 65 patients hospi-
talisés en psychiatrie, présentant ou non des
conduites addictives, à l’aide de l’échelle de
Barrat : recherche de sensations, anhédonie et
impulsivité. Il en ressort que les sujets qui ont
un score élevé à cette échelle (supérieur à 60)
ont un risque multiplié par 3,3 d’avoir une
“conduite addictive actuelle”. Ils concluent
que les sujets les plus impulsifs ont une gran-
de probabilité de présenter une conduite
addictive ou d’avoir eu un tel trouble dans
leurs antécédents.
En 2000, Ponce Alfaro et al. publient les
résultats de leur étude, qui montre un score
d’hyperactivité plus élevé chez les sujets
alcoolodépendants, comparé à celui obtenu
par les sujets du groupe contrôle. L’échelle
administrée est la même que dans notre étude
(WURS).
En 2002, Déglon, en Suisse, publie les résul-
tats d’une étude qui confirme le risque impor-
tant de toxicomanie ou d’alcoolisme parmi les
jeunes souffrant d’hyperactivité. Il explique ce
résultat par le fait que toutes ces substances
augmentent le taux de dopamine cérébrale
abaissé chez les sujets hyperactifs. Ceux-ci
rechercheraient donc dans ces produits une
automédication qui leur permettrait de décou-
vrir le plaisir d’être calmes et de pouvoir se
concentrer.
Enfin, la même année, en France, Bouvard
rapporte que 20 % des adolescents hyper-
actifs ont un trouble des conduites versus 8 %
dans le groupe contrôle, 19 % ont un trouble
d’abus de substances toxiques versus 7 %
dans le groupe contrôle. Il précise que le plus
grand facteur de risque pour le développement
des troubles des conduites et de l’abus de sub-
stances toxiques est la persistance du
THADA. La personnalité antisociale est éga-
lement plus fréquente chez les sujets ayant
présenté un THADA.
Étude menée à Louis-Mourier :
résultats préliminaires
L’intérêt de cette étude que nous menons à
l’hôpital Louis-Mourier de Colombes et
dont nous ne présentons ici que des don-
Existe-t-il un lien entre l’hyperactivité
dans l’enfance et l’alcoolisme ?
L. Romo, C. Gérard, C.Aubry, M. Lejoyeux, J.Adès*
Trente à 50 % des enfants hyperactifs souffrant de déficit d’attention
continuent de rencontrer des difficultés à l’âge adulte. Certains auteurs,
comme Sarramon et al. (1987), Déglon (2002), s’accordent à dire
que ces enfants hyperactifs présenteraient un risque plus élevé de
développer des problèmes de dépendance à l’alcool à l’âge adulte.
Afin de vérifier et d’évaluer ce risque, l’échelle WURS (The Wender
Utah Rating Scale), dont l’objectif est de repérer un éventuel vécu
d’hyperactivité au cours de l’enfance, est actuellement administrée
aux patients alcoolodépendants suivis à l’hôpital Louis-Mourier de
Colombes. Voici les résultats préliminaires d’une étude en cours, tels
qu’ils ont été présentés lors des 30es Journées scientifiques de thérapie
comportementale et cognitive, le 14 décembre 2002 à Paris.
* Centre hospitalier universitaire Louis-Mourier,
service de psychiatrie (Pr. J. Adès), Colombes.
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nées préliminaires, est multiple : d’une
part, il s’agit pour nous de souligner le fait
que l’hyperactivité et les problèmes
néfastes qu’elle entraîne peuvent persister à
l’âge adulte et, d’autre part, de proposer
des pistes de détection de ces troubles chez
les adultes afin de pouvoir les orienter vers
une prise en charge adaptée. Nous espérons
aussi apporter une contribution à la com-
préhension de la comorbidité et de la
persistance des conduites addictives de
ces sujets, et plus particulièrement des
conduites alcooliques. Enfin, nous souhai-
tons inclure d’autres groupes cliniques
(notamment des personnes présentant des
troubles de l’humeur et des troubles
anxieux) dans notre recherche et les com-
parer avec une population contrôle.
Pour le moment, 25 patients alcoolodépen-
dants ont répondu à l’échelle WURS, dont
dix femmes et quinze hommes. La moyenne
d’âge est de 43 ans (9,79). Nous avons
ajouté à notre protocole l’inventaire de
dépression abrégé de Beck (BDI), le
Michigan Alcoholism Screening Test
(MAST), les deux échelles de Spielberger
mesurant l’anxiété trait et état (STAI A et
B) ainsi que les critères de la personnalité
antisociale (tableau I).
Nos résultats montrent un âge moyen de
43 ans pour nos patients. La dépendance est
importante, avec un score moyen au MAST,
de 25,72. Le score moyen à la BDI est de 14,
ce qui correspond à une dépression modérée.
Analyse de corrélation (Bravais-Pearson) :
Le tableau II montre qu’il existe des corré-
lations entre le facteur 1 (problème émo-
tionnel et subjectif) et les facteurs 2 (impul-
sivité, trouble des conduites) et 4 (difficul-
tés d’attention). Les problèmes d’impulsi-
vité et les difficultés d’attention semblent
avoir des répercussions sur le plan affectif.
De même, il y a une corrélation entre le
facteur 2 et le facteur 4 : les difficultés d’at-
tention seraient liées à l’impulsivité et au
trouble des conduites.
Concernant la personnalité antisociale le
nombre de patients est 15. Il existe donc un
lien entre la personnalité antisociale et le
sexe masculin dans notre échantillon. La
personnalité antisociale est surreprésentée
chez les sujets présentant un trouble d’hy-
peractivité à l’âge adulte.
Références bibliographiques
Bouvard M et al. L’hyperactivité de l’en-
fance à l’âge adulte. Doin ; 2002.
Paradis P. Hyperactivité et déficit d’at-
tention. Thèmes traités, 2001.
American Psychiatric Association : DSM
IV : Diagnostic and Statistical Manual of
Mental disorders,1996.
Hallowel EM, Ratey J. Driven to distrac-
tion : recognozing and coping with atten-
tion deficit discorder from childhood
trough adulthood. New York : Pantheon
Books, 1994.
Brown Th. Brown attention deficit disor-
der scales manual, San Antonio, The
Psychological Corporation, 1996.
Wender Paul H, Mark F at al. The
Wender Utah Rating Scale : an aid in the
retrospective diagnosis of childhood atten-
tion deficit hyperactivity disorder. In : Am
J Psychiatry 1993 ; 150 : 6.
Kramer J, Loney J. Journal childhood
hyperactivity and substance abuse : a
review of the literature. In : Gadow K,
Bialer I eds. Advances in Learning and
Behavioral Disabilities. 1982 ; vol I.
Greenwich, CT : JAI Press : 225-59.
Thorley G, Review of followup and fol-
low-back studies of childhood hyperactivity.
Psychological Bulletin 1984 ; 96 (1) :
116-32.
Barkley RA, Fischer M, Edlebrock CS,
Smallish L. The adolescent outcome of
hyperactive children diagnosed by research
criteria : I. An 8-yearprospective followup
study. J the American Academy of Child
and Adolescent Psychiatry 1990 ; 29 (4) :
546-57.
Déglon JJ. L’hyperactivité avec déficit de
l’attention et de la concentration, un syn-
drome à grand risque d’addiction.
Association Hypsos, 2002.
Ponce Alfaro G et al. Attention deficit
hyperactivity disorder and vulnerability to
the development of alcoholism : use of the
Wender Utah Rating Scale for the retro-
spective diagnostic of ADHD in the child-
hood of alcoholic patients, Actas Esp
Psiquitr 2000 ; 28 (6) : 357.
Sarramon C, Verdoux H, Schmitt L,
Bourgeois M. Addiction et traits de per-
sonnalité : recherche de sensations, anhé-
donie, impulsivité, L’encéphale 1999 ;
XXV : 569-75.
Scores MAST BDI STAI A STAI B
Moyenne 25,72 14 41,68 51,39
Écart-type 10,84 7,25 15,55 12,49
Tableau I.
Âge MAST BDI STAI A STAI B Facteur 1 Facteur 2 Facteur 3 Facteur 4 Score
global
Âge 1
MAST -0,51 1
BDI 0,02 0,41 1
STAI A -0,10 0,46 0,67 1
STAI B -0,12 0,42 0,72 0,70 1
Facteur 1 -0,46 0,20 0,35 0,44 0,29 1
Facteur 2 -0,58 0,01 0,22 0,30 0,28 0,73 1
Facteur 3 -0,03 -0,16 -0,07 0,23 0,15 0,32 0,35 1
Facteur 4 -0,56 0,06 0,22 0,32 0,26 0,81 0,75 0,18 1
score global -0,52 0,06 0,25 0,42 0,31 0,92 0,86 0,52 0,87 1
Tableau II.
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Le Courrier des addictions (5), n° 3, juillet-août-septembre 2003
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