Options chirurgicales dans l`emphysème pulmonaire à un stade

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C U R R I C U LU M
Forum Med Suisse No 9 27 février 2002
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Options chirurgicales dans l’emphysème pulmonaire à un stade avancé
R. Speich, A. Böhler, E. W. Russi, W. Weder
Introduction
Résultats et problèmes
Aux stades avancés de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), dont la
fumée est le principal facteur de risque, il y a
pratiquement sans exception un emphysème
pulmonaire marqué. Ces patients, après avoir
épuisé tous les traitements conservateurs existants, réadaptation y compris, ont une dyspnée
au moindre effort déjà. Seuls des moyens chirurgicaux, à savoir transplantation pulmonaire
ou réduction de volume, peuvent améliorer de
telles situations.
La survie moyenne des patients greffés pour
emphysème pulmonaire est un peu meilleure
que dans d’autres indications. De nombreux
centres atteignent une survie à 5 ans de quelque
80% [1]. Cela peut être dû au fait que les conditions anesthésiologiques et technico-chirurgicales sont plus favorables que dans d’autres
pneumopathies (mucoviscidose, hypertension
pulmonaire), ce qui en simplifie les soins postopératoires. Les patients âgés de sexe masculin
présentent d’autre part des défenses immunitaires affaiblies, et donc éventuellement moins
de réactions de rejet, aiguës et chroniques, que
les jeunes et/ou les femmes.
Les principaux problèmes après transplantation pulmonaire sont les réactions de rejet
aiguës et chroniques, les infections et autres
problèmes non infectieux du traitement immunosuppresseur. Les réactions de rejet aiguës se
manifestent principalement peu de temps
après la greffe pulmonaire, par réapparition
d’une dyspnée et d’une toux, chute du VEMS ou
infiltrats radiologiques. Des biopsies transbronchiques sont nécessaires pour le diagnostic différentiel avec les infections [2].
Le problème majeur de la transplantation pulmonaire est toujours le rejet chronique, qui se
manifeste cliniquement par une pneumopathie
obstructive progressive, avec histologiquement
une bronchiolite oblitérante [3]. Aujourd’hui
encore, un tiers des transplantés pulmonaires
peut présenter ce type de complication, imposant dans un tiers des cas environ une retransplantation ou entraînant le décès. Les nouveaux
traitements immunosuppresseurs (mycophénolatmofétil, tacrolimus, anticorps monoclonaux contre le récepteur de l’interleukine-2,
photophérèse) permettent de diminuer l’incidence et de freiner la progression de ces graves
complications [1].
A côté des infections bactériennes (pneumonie,
infections de cathéters), survenant en postopératoire surtout et pour la plupart faciles à traiter, les infections à cytomégalovirus et invasives
à champignons posent un très gros problème
[4]. Contrairement à d’autres transplantations
d’organes solides, dans lesquelles seuls des patients dits «à haut risque», c.-à-d. les receveurs
séronégatifs de greffes séropositives, présen-
Transplantation pulmonaire
Centre pulmonaire et thoracique,
Hôpital universitaire Zurich
Correspondance:
Prof. Dr Walter Weder
Centre pulmonaire et thoracique
Hôpital universitaire
CH-8091 Zurich
[email protected]
Dans le monde entier à l’heure actuelle, plus du
tiers des transplantations pulmonaires s’effectuent chez des patients souffrant d’emphysème, dont un quart résulte d’un déficit en α1antitrypsine. L’emphysème pulmonaire est
donc l’indication la plus fréquente à cette intervention. Bien que la greffe pulmonaire soit
une modalité thérapeutique bien établie des
pneumopathies invalidantes [1], il est toujours
très délicat d’en poser l’indication.
Dans l’emphysème pulmonaire à un stade
avancé, ce n’est que l’abstinence nicotinique et
une oxygénothérapie chronique qui permettent
d’augmenter l’espérance de vie. Les autres traitements, dont médicaments et chirurgie de
réduction de volume, permettent il est vrai d’atténuer les symptômes, sans influence garantie
cependant sur la survie des patients. Malgré le
fait que la greffe pulmonaire n’ait actuellement
pas encore fait la preuve de pouvoir prolonger
la vie des patients souffrant d’emphysème, il est
bien prouvé que la qualité de vie des patients
bénéficiant d’une évolution favorable est améliorée dans pratiquement tous les domaines,
partant d’un minimum pour en arriver à des
valeurs comparables à celles d’une vie normale. C’est pourquoi en plus des paramètres
fonctionnels, l’estimation de la qualité de vie
d’un patient est pour nous l’un des facteurs
décisionnels majeurs dans l’indication à une
transplantation pulmonaire.
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tent un risque non négligeable d’infection à
CMV, les receveurs CMV positifs après greffe
pulmonaire courent eux aussi un grand danger.
Cette infection sérieuse a actuellement pratiquement disparu avec les nouvelles modalités
thérapeutiques, dont surtout la prophylaxie à
long terme par ganciclovir par voie orale [5]. Et
comme les mycoses invasives résultaient généralement d’une infection à CMV, l’incidence de
ce type de complication a pu être sérieusement
diminuée.
En plus des problèmes d’immunosuppression
médicamenteuse, il faut citer d’autres interactions et effets indésirables médicamenteux.
Diabète (stéroïdes, cyclosporine, tacrolimus),
hypertension (cyclosporine), insuffisance rénale (cyclosporine, tacrolimus) et ostéoporose
(stéroïdes) sont les problèmes les plus courants,
mais le dernier est devenu très rare avec les mesures prophylactiques (calcium, vitamine D,
biphosphonates).
C’est en principe une transplantation pulmonaire unilatérale ou séquentielle qui est envisagée dans l’emphysème pulmonaire. La greffe
unilatérale se fait par thoracotomie antérolatérale. Après pneumonectomie du poumon malade, la bronche souche est tout d’abord anastomosée, puis la veine pulmonaire (avec un
patch auriculaire sur l’oreillette receveuse) et
enfin l’artère pulmonaire. Dans la transplantation bilatérale, séquentielle, l’abord est assuré
par thoracotomie bilatérale avec sternotomie
transverse. L’implantation du premier poumon
se fait sous ventilation controlatérale, et celle
du second sous ventilation du poumon qui vient
d’être greffé. La machine cœur-poumon en périopératorie n’est pratiquement jamais nécessaire chez les emphysémateux. La transplantation d’un seul poumon présente l’avantage que
deux patients peuvent profiter d’un nouvel organe; mais également quelques inconvénients.
Le problème principal est le poumon natif toujours en place, qui en raison de ses caractéristiques mécaniques différentes peut subir une
hyperinflation, et comprimer le poumon greffé
pour donner une insuffisance respiratoire. Et la
clairance affaiblie des micro-organismes dans
Tableau 1. Indication à la transplantation pulmonaire.
Qualité de vie sérieusement amputée en raison d’une insuffisance respiratoire
marquée (NYHA III–IV)
Survie estimée entre 6 et 18 mois
Périmètre de marche en 12 minutes moins de 500 m
VEMS inférieur au 25% de sa valeur théorique après bronchodilatation
Oxygénothérapie chronique
Hypercapnie
Age inférieur à 60–65 ans
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le poumon natif généralement très atteint peut
donner des infections graves, résistant aux
traitements [6]. Les paramètres de la fonction
pulmonaire en postopératoire sont comme
prévu meilleurs après transplantation pulmonaire bilatérale, le VEMS moyen étant à 90% de
la valeur théorique, contre 60% environ après
greffe d’un seul poumon. Le périmètre de
marche en 12 minutes est également un peu
meilleur après transplantation bilatérale. La
survie moyenne est comparable pour ces deux
interventions à 3 ans, mais la tendance est en
faveur de la transplantation bilatérale à plus
long terme.
Indication à la transplantation
pulmonaire
L’indication à la transplantation pulmonaire
(tabl. 1) ne se pose qu’en présence d’un emphysème à un stade avancé, après avoir épuisé
toutes les possibilités du traitement conservateur. A ce stade, les patients présentent une
dyspnée au moindre effort, voire même au
repos (stade NYHA III–IV). Leur espérance de
vie n’est alors plus que de 6 à 18 mois. L’estimation de l’espérance de vie individuelle est cependant très difficile à faire, et elle est grevée
d’incertitudes. Les études sur l’oxygénothérapie chronique nous ont appris que l’espérance
de vie à 2 ans est encore d’environ 80% pour
les patients remplissant les critères d’un tel
traitement, c.-à-d. ayant une paO2 <55 mm Hg
(<7,3 kPa). De même, le fait qu’un patient ait
besoin d’oxygène n’est en soi pas une indication à une transplantation pulmonaire. Les
hommes, et les patients ayant une paCO2 >45
mm Hg (>6 kPa) ont quant à eux une espérance
de vie nettement moins bonne, soit 60–50% à
2 ans. Le degré du trouble ventilatoire obstructif
a lui aussi une importance pronostique. Les patients dont le VEMS est <25% de sa valeur théorique n’ont plus qu’une survie à 2 ans de 60%,
contre 80% pour ceux dont la fonction pulmonaire est meilleure. Un test important et facile
à faire pour estimer le handicap physique est le
test de marche de 12 minutes. Un périmètre inférieur à 500–600 mètres reflète un handicap
considérable, c’est l’une des indications majeures à la transplantation pulmonaire. La limite d’âge de la transplantation pulmonaire est
actuellement fixée à 60–65 ans. Mais d’autres
conditions sont un bon état général et de nutrition, de même qu’une situation psychosociale
stable. Les contre-indications sont données
dans le tableau 2.
Le moment idéal pour la transplantation est
souvent difficile à déterminer, et dépend de la
progression individuelle de la maladie. Il est important de ne pas manquer le moment auquel
l’état du patient commence à se détériorer ra-
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pidement. Les indices en sont une chute des
tests fonctionnels, un besoin d’oxygène toujours plus grand, un cœur pulmonaire décompensé, des exacerbations et hospitalisations de
plus en plus rapprochées, une mobilité toujours
plus réduite et surtout une perte de poids
s’aggravant malgré une alimentation optimale.
Il est important que le patient soit sur la liste
des transplantations pulmonaires pas trop tôt,
mais pas non plus trop tard. Ce qui est déterminant chez de nombreux patients pour la dé-
Tableau 2. Contre-indications à la transplantation pulmonaire.
Maladie systémique, cancer, septicémie
Artériosclérose généralisée
Insuffisance rénale (clairance de la créatinine <50 mL)
Insuffisance hépatique (bilirubine >35 µmol/L, facteur V <50%)
Anomalie de la coagulation ne pouvant être corrigée
Facteurs psychosociaux défavorables graves
Dépendance à la nicotine, à l’alcool, à des drogues
Tableau 3.
Comparaison réduction de volume et transplantation pulmonaire.
Chirurgie de
réduction de volume
Transplantation
pulmonaire
Létalité périopératoire
<5%
5–10%
Immunosuppression
non
oui
Risque d’infection
+
+++
Rejet / bronchiolite oblitérante
non
oui
Amélioration fonctionnelle
+ à ++
+++
Durée de l’amélioration
4–5 ans
nombreuses années
Coûts: opération
++
+++
Coûts: à long terme
–
++
Qualité de vie
+ à ++
+++
Tableau 4. Indication différentielle à la chirurgie de réduction
de volume ou à la transplantation pulmonaire.
Chirurgie de réduction de volume
Transplantation pulmonaire
Age >65 ou <55
<60–65
VEMS >20% val. théorique
<20%
Emphysème hétérogène / homogène
Emphysème homogène, «destroyed lung»
Hyperinflation très marquée
Hypoxémie marquée, diffusion CO <20% val.
théorique
Hypercapnie (pCO2 >7 kPa)
Mobilité diaphragmatique <1,5 cm
Hypertension pulmonaire
(PAP systolique >50 mm Hg)
Infections récidivantes
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cision d’une greffe, c’est surtout une qualité de
vie fortement amputée, et une vie qui ne vaut
plus la peine d’être vécue.
Chirurgie de réduction
de volume
La possibilité d’une chirurgie de réduction de
volume a considérablement modifié le spectre
thérapeutique de l’emphysème pulmonaire à
un stade avancé [7, 8]. Cette technique chirurgicale, qui ne date que de quelques années, résèque environ un tiers du poumon en hyperinflation marquée, généralement par thoracoscopie sous contrôle vidéo. Le résultat est surtout
une amélioration de la mécanique respiratoire,
avec diminution très nette de la dyspnée, amélioration de la fonction pulmonaire, de la capacité d’effort et donc de la qualité de vie. Cette
technique opératoire est non seulement moins
risquée et plus économique qu’une transplantation, elle n’impose en outre pas d’immunosuppression, avec les problèmes bien connus
qu’elle implique (tabl. 3). Mais l’amélioration
fonctionnelle après transplantation pulmonaire
est nettement meilleure et se maintient plus
longtemps qu’après chirurgie de réduction de
volume. Même si le concept et la chirurgie de
réduction de volume semblent simples, il faut
une très grande expérience pour obtenir de
bons résultats et une mortalité postopératoire
basse.
Quand une transplantation,
quand une chirurgie
de réduction de volume?
Il n’y a pratiquement aucune difficulté à poser
l’indication différentielle entre transplantation
pulmonaire et chirurgie de réduction de volume, car les patients sont pour la plupart très
nettement différents (tabl. 4). Les patients âgés
(plus de 65 ans), qui ne se qualifient plus pour
une transplantation en raison de leur comorbidité, sont plutôt dirigés vers la chirurgie de réduction de volume. Chez les patients de moins
de 55 ans, la chirurgie de réduction de volume
peut parfois repousser de plusieurs années la
nécessité de la transplantation. Mais la destruction du poumon ne doit pas dépasser un
certain stade, et il ne doit pas y avoir de pathologies inflammatoires telles que bronchiectasies ou adhésions pleuro-pulmonaires, ce qui
est moins important pour la greffe d’organe.
Chez les patients de 55 à 65 ans, nous préférons d’emblée une transplantation pulmonaire
comme option thérapeutique définitive, car la
chirurgie de réduction de volume risquerait de
faire manquer une bonne occasion pour la
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Quintessence
De nouvelles modalités de traitement chirurgical, la transplantation pulmonaire et la chirurgie de réduction de volume, ont une place bien établie
dans le traitement de patients souffrant d’un emphysème à un stade fort
avancé, après avoir épuisé tous les traitements conservateurs.
La survie à 1 an après transplantation pulmonaire est actuellement
supérieure à 80%, à 60% à 5 ans avec une remarquable qualité de vie.
La chirurgie de réduction de volume améliore pendant quelques années
la qualité de vie et la fonction pulmonaire des patients présentant une
hyperinflation marquée et sélectionnés.
La chirurgie de réduction de volume est indiquée surtout chez des patients
âgés, chez lesquels une transplantation n’entre pas en considération, ou
comme traitement en attente d’une transplantation.
La décision si une transplantation ou une chirurgie de réduction de volume
est le meilleur traitement pour tel ou tel patient est la plupart du temps
facile, car les critères d’indication ne sont pas les mêmes.
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transplantation (âge, comorbidité plus importante).
Les résultats de la chirurgie de réduction de volume sont extrêmement bons, pour autant que
la sélection des patients et l’expérience chirurgicale et anesthésiologique soient excellentes.
L’atténuation de la dyspnée et l’amélioration
des performances physiques a des répercussions favorables sur la qualité de vie de ces opérés. Le maximum d’amélioration fonctionnelle
est atteint 3 à 6 mois en postopératoire, et ces
effets positifs persistent encore 4 à 5 ans après
l’opération. Mais il faut savoir que l’emphysème poursuit sa progression naturelle même
avec un traitement conservateur parfaitement
conduit. Nous n’avons encore aucune donnée
sur l’effet de la chirurgie de réduction de
volume sur la survie de ces emphysémateux
gravement atteints dans leur santé.
Conflict of interest
Ce travail a été soutenu par la Lungenliga
Zurich.
Références
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