1 Titre : Le traitement interinstitutionnel des difficultés de l`élève

ARDIS Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes »
Texte de la communication Document de travail
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Titre :
Le traitement interinstitutionnel des difficultés de l’élève dans le REP genevois
Croisement de logiques professionnelles et de catégories d’interprétation
Auteur :
Julie PELHATE
Université de Genève - Equipe de sociologie de l'éducation
Boulevard du Pont d'Arve, 40 - CH - 1211 Genève 4
Tél. 06.25.30.16.48 / (0041) 22.379.9173
Texte de la communication :
L’objectif de lutte contre l’échec scolaire s’accompagne désormais d’une logique de
prévention « des comportements à risques »
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plus particulièrement au sein des établissements
primaires du Réseau d’Enseignement Prioritaire (REP) genevois. Ce « nouveau »
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cadre
institutionnel est élaboré sur des critères ciblant prioritairement les parents de « catégorie
socioprofessionnelle inférieure » et/ou les « élèves allophones ». Le lien de causalité entre
échec scolaire et appartenance sociale de l’élève est désormais admis par les décideurs de
l’institution scolaire et la mise en place du REP va dans ce sens. Pour atteindre cet objectif de
réussite scolaire de tous les élèves, la présence d’un éducateur social dans l’école ainsi que le
développement du partenariat entre professionnels de divers champs mais aussi avec les
familles constituent désormais un mode opératoire privilégié afin de rétablir l’égalité des
chances. Ces recommandations institutionnelles modifient les référentiels ainsi que les
pratiques des acteurs qui sont amenés à gérer des difficultés faisant « intrusion dans l’espace
scolaire » (Mackiewicz, 2010). Dorénavant, le travail en réseaux croise les informations de
deux mondes auparavant étanches (celui de la famille et celui de l’école) (Payet, Sanchez-
Mazas, Giuliani et al, 2011) et de deux champs professionnels (le scolaire et le sanitaire et
social).
1
Mission de l'éducateur œuvrant au sein du REP in Le quotidien de l’éducateur dans le Réseau d’Enseignement
Prioritaire, 2011, p.20.
2
Le REP genevois a été mis en place en 2006 et concerne maintenant 13 établissements du Canton sur 58. Deux
critères sont déterminants pour qu'une école puisse entrer dans le REP : plus de 55% des parents d'élèves issus de
catégories socio-économiques défavorisées et l’engagement de l'ensemble de l'équipe enseignante dans le projet
pour une durée de trois ans. Site internet de la république et canton de Genève sur le REP [Page Web]. Accès:
https://www.ge.ch/enseignement_primaire/rep/#conditions
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Le partenariat interinstitutionnel s’instaure localement par les acteurs de l’école qui le
définissent, l’organisent et le mettent en œuvre en sollicitant des acteurs situés à l’intérieur
(infirmier, éducateur) et en dehors (médecin, logopédiste, psychologue, assistant social) de
l’école. Comment ce partenariat est-il alors construit comme outil de régulation de la
difficulté scolaire en complémentarité avec le sanitaire et social? Comment l’environnement
de l’élève (et sa vision stéréotypée et imagée) est-il mobilisé dans l’explication de la difficulté
et en quels termes élèves et familles sont-ils catégorisés? Quel mode d’étiquetage (Goffman,
1963/1975) est produit au cours des collaborations interinstitutionnelles ? Comment la famille
est-elle informée des diagnostics et enrôlée dans le traitement de la difficulté scolaire? Par
quelles dynamiques ces nouvelles relations redéfinissent-elles la forme scolaire (Tardif &
Levasseur, 2010)? De quelle manière s’hybrident les diverses logiques (Laforgue, 2009)
prises parfois dans des tensions paradoxales ? Quelle est la place des familles dans ce travail
de réseau ? Parmi nos hypothèses initiales se trouve le fait que l’injonction de collaboration
interinstitutionnelle autour de situations dites « difficiles » modifierait le comportement des
acteurs scolaires en focalisant leur regard sur des catégories préétablies d’élèves « en échec
scolaire » même si cette catégorie a peu à peu été remplacée par celle d’« élève en difficulté »
induisant par une volonté de maintien des élèves dans une scolarité ordinaire (Monfroy,
2002).
La recherche doctorale en cours présentée dans cette communication s’intéresse à
resituer une organisation particulière (le travail en réseau) en la mettant en perspective avec
l’installation de nouvelles relations et réalités professionnelles croisant les pratiques et
logiques scolaires, sanitaires et sociales. Dans un premier temps, nous présenterons les
différentes configurations du traitement de la difficulté scolaire puis ensuite, dans un second
temps, le croisement des diverses pratiques professionnelles dans l’école avec les tensions et
hybridation de logiques qu’il suscite.
I. Différentes configurations de traitement de la difficulté scolaire
Il s’agira ici de présenter le contexte d’inscription et la mise en œuvre concrète de cette
activité de réseau au niveau institutionnel (comment elle est pensée et prescrite), au niveau
des établissements (comment elle est organisée et régulée) et au niveau des acteurs (comment
elle est mise en œuvre pratiquement et vécue individuellement). Une approche
ethnographique est privilégiée impliquant l’observation de cette activité ordinaire couplée aux
entretiens semi-directifs permettant ainsi de saisir le sens que les acteurs donnent aux
évènements et aux expériences qu’ils vivent (Becker, 2002).
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1. Contexte d’inscription à plusieurs niveaux
a. Au niveau politico institutionnel
L’étude des documents officiels (directives, cahiers des charges, site internet…) révèle
que le partenariat (entre professionnels ET avec les familles) est un élément fondateur du REP
genevois. Il est considéré comme un moyen de remédier aux mauvais résultats des élèves
issus de milieu socioéconomique défavorisé. Il est précisé l’importance de développer les
collaborations avec les diverses offices : développer « une action coordonnée des écoles avec
les professionnels de l'office de l'enfance et la jeunesse (OEJ - éducateur-trice-s sociaux,
médecins, infirmier-ère-s, psychologues, assistant-e-s soci-ales-aux), les associations locales,
les communes, etc. ». Dans les textes, on parle davantage de réseau et de collaboration (plutôt
que de partenariat) avec l’idée d’injonction, de devoir travailler ensemble, avec d’autres, de
répondre à un besoin (Vidalenc, 2002). Il est également intéressant de souligner que depuis la
mise en place du REP en 2006, le règlement de l’enseignement primaire de 1993 a fait l’objet
de plusieurs modifications concernant particulièrement le cadrage du partenariat
interinstitutionnel avec l’Office médico-pédagogique et l’Office de l’enfance et de la jeunesse
notamment pour ce qui est de l’application des procédures face à des situations de
maltraitance
3
.
Le REP ayant été pensé dans une réflexion genevoise plus globale sur l’inclusion
scolaire, l’objectif implicite de ce partenariat interinstitutionnel préfigurait un traitement
interne des situations en se dotant de compétences pluridisciplinaires (dans l’école) dans
l’objectif non pas d’externaliser les prises en charges, de séparer l’enseignement ordinaire et
l’enseignement spécialisé mais bien de maintenir les élèves en ordinaire, de les « inclure » et
penser entre professionnels d’horizons divers des « aménagements et dispositifs
particuliers »
4
. A ce titre, trois établissement du primaire (dont un en REP faisant partie de
notre échantillon) mettent en place depuis la rentrée scolaire 2015 des « projets pilotes
d’équipes pluridisciplinaires ». Enseignant spécialisé, éducateur, psychologue, logopédiste et
infirmier peuvent être mis à disposition selon les besoins énoncés du directeur
d’établissement. On assisterait donc récemment, au niveau institutionnel et politique, à une
reconnaissance de cette configuration de travail qu’il s’agirait de systématiser sous forme de
« projet pilote ».
3
Directrice D-DGEP-02B-11. (2010). Règlement d’école, violence et sanctions. Suspicion de maltraitance ou
d’abus sexuel.
4
Feuille d’Avis Officielle (FAO) du 21 août 2015, Sur le chemin de l’école inclusive, pp.20-24.
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b. Au niveau de l’établissement et des acteurs
Il est important de préciser que dans le cadre d’une démarche ethnographique
impliquant une présence continue dans les écoles
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, quatre acteurs clés ont pu être identifiés ;
acteurs dont les rôles sont définis différemment dans la collaboration interinstitutionnelle et le
traitement de la difficulté scolaire. Leurs cahiers des charges ont fait l’objet d’une attention
particulière afin d’identifier en quels termes étaient décrits leurs rôles dans le travail de
réseau.
Tout d’abord, les directeurs d’établissement (en poste depuis 2008), garants du lien
entre l’école et la famille, transmettent les informations aux Offices de l’état
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et activent les
procédures nécessaires. Pour ce qui est des enseignants, il s’agit d’une activité (le travail en
réseau) pour laquelle ils sont peu formés ; néanmoins, ils y sont fortement incités. Il est
d’ailleurs précisé dans leur cahier des charges que l’enseignant doit « développer (…) des
collaborations et partenariats avec ses collègues, la direction de l’établissement, les parents
d’élèves et autres partenaires ». L’éducateur sociale et l’infirmière scolaire sont deux acteurs
agissant dans l’établissement scolaires (parfois même plusieurs) mais rattachés
hiérarchiquement aux deux offices extérieures à l’école : l’Office médicopédagogique pour
l’un et l’Office de l’enfance et de la jeunesse pour l’autre. Pour ces deux acteurs, la
collaboration est complètement intégrée à leur cahier des charges. En effet, cette pratique est
constitutive du travail sanitaire et social ; la nouveauté réside plutôt dans la façon dont ces
pratiques pénètrent la sphère scolaire (infirmière et éducateur ne sont pas forcément
coutumiers du travail avec les acteurs scolaires) et jusqu’où cette dernière réutilise les
registres sanitaire et social, ses catégories d’interprétation et d’analyse.
2. Mise en œuvre concrète des configurations
Dans un second temps, il s’agira de présenter précisément les configurations
observées, les professionnels en présence et leur rôle en situation. A ce stade de notre analyse,
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Dans le cadre de cette recherche doctorale, l’échantillon est composé de 3 établissements du REP genevois au
sein desquels 70 observations de réunions et 60 observations de rencontres enseignants-parents ont été réalisés
ainsi que 60 entretiens auprès d’acteurs (observés en réunions et/ou rencontres de parents) scolaires et extra-
scolaires.
6
Principalement, l’Office médicopédagogique (enseignement spécialisé, consultations pour troubles du
développement…) et l’Office de l’enfance et de la jeunesse (protection des mineurs, assistance éducative,
promotion et protection de la santé, prévention et médecine dentaire, surveillance des lieux de placements
d'enfants hors du foyer familial…)
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nous repérons deux configurations : des « réunions internes »
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(42 observations) et des
« réseaux d’élèves » (28 observations). C’est à ce niveau que nous avons pu observer
l’organisation du travail déployée entre professionnels d’horizons divers (Tardif & Levasseur,
2010).
a. Configurations de travail et acteurs présents
Les « réunions internes » traitent de plusieurs situations d’élève de l’établissement et
se déclinent sous deux formes : tout d’abord, les réunions discutent le directeur,
l’infirmière scolaire et l’éducateur REP ; il s’agit en quelque sorte de réunir le « noyau dur »
de l’établissement de façon hebdomadaire. Puis, un peu plus rares, les réunions qui associent
(en plus du « noyau dur ») d’autres acteurs d’institutions externes (OMP, SPMI
8
, …) qui
viennent aider à penser plusieurs situations dont ils peuvent parfois exercer un suivi au sein de
leur propre structure. Les situations étant nommées, tous ont donc connaissance des « cas
difficiles » de l’école à traiter y compris ceux qui ne relèvent pas de leur champ de
compétences.
Le point commun de ces « réunions internes » est d’aborder plusieurs situations
d’élèves qui posent problèmes (tant d’un point de vue des apprentissages, que du
comportement ou de l’environnement familial). Plusieurs situations étant évoquées, ces
réunions ont bien évidemment lieu sans les parents. Il s’agit de faire un état des lieux à partir
des éléments rapportés par les enseignants comme étant « préoccupants ». Ce sont des
situations qui dépassent le champ de compétences des enseignants et pour lesquelles ils
sollicitent directeur et/ou éducateur et à la marge l’infirmière. Il s’agit très rarement d’élèves
ayant des difficultés d’apprentissages scolaires mais généralement d’élèves dont le
comportement dérange (la classe et/ou l’enseignant) ou l’attitude questionne. Il peut s’agir de
comportement « violent », ou « étrange ». Il s’agit toujours d’un comportement qui interroge
l’enseignant, pour lequel il se sent démuni et impuissant. Son questionnement et inquiétudes
sont recueillis et discutés lors de ces réunions auxquelles les enseignants participent peu.
Généralement, une dizaine de situations problématiques sont abordées dont les causes sont
recherchées et très souvent reliées au milieu familial. Soit les acteurs présents apportent les
7
Les dénominations choisies ici ne sont pas définitives, elles seront précisées au cours de l’analyse du matériau
de terrain.
8
Office Médico-Pédagogique (OMP), partenaire historique de l’école qui tient à ce que « tout enfant puisse
suivre une scolarité normale » et le Service de Protection Maternelle et Infantile (SPMI) de l'office de l'enfance
et de la jeunesse qui « a pour mission d'assister la famille dans sa tâche éducative, de veiller aux intérêts de
l'enfant et de les protéger, en collaboration avec les parents et quand cela s'avère nécessaire, en sollicitant des
mesures judiciaires ».
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