ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail Titre : Le traitement interinstitutionnel des difficultés de l’élève dans le REP genevois Croisement de logiques professionnelles et de catégories d’interprétation Auteur : Julie PELHATE Université de Genève - Equipe de sociologie de l'éducation Boulevard du Pont d'Arve, 40 - CH - 1211 Genève 4 Tél. 06.25.30.16.48 / (0041) 22.379.9173 [email protected] Texte de la communication : L’objectif de lutte contre l’échec scolaire s’accompagne désormais d’une logique de prévention « des comportements à risques »1 plus particulièrement au sein des établissements primaires du Réseau d’Enseignement Prioritaire (REP) genevois. Ce « nouveau »2 cadre institutionnel est élaboré sur des critères ciblant prioritairement les parents de « catégorie socioprofessionnelle inférieure » et/ou les « élèves allophones ». Le lien de causalité entre échec scolaire et appartenance sociale de l’élève est désormais admis par les décideurs de l’institution scolaire et la mise en place du REP va dans ce sens. Pour atteindre cet objectif de réussite scolaire de tous les élèves, la présence d’un éducateur social dans l’école ainsi que le développement du partenariat entre professionnels de divers champs mais aussi avec les familles constituent désormais un mode opératoire privilégié afin de rétablir l’égalité des chances. Ces recommandations institutionnelles modifient les référentiels ainsi que les pratiques des acteurs qui sont amenés à gérer des difficultés faisant « intrusion dans l’espace scolaire » (Mackiewicz, 2010). Dorénavant, le travail en réseaux croise les informations de deux mondes auparavant étanches (celui de la famille et celui de l’école) (Payet, SanchezMazas, Giuliani et al, 2011) et de deux champs professionnels (le scolaire et le sanitaire et social). 1 Mission de l'éducateur œuvrant au sein du REP in Le quotidien de l’éducateur dans le Réseau d’Enseignement Prioritaire, 2011, p.20. 2 Le REP genevois a été mis en place en 2006 et concerne maintenant 13 établissements du Canton sur 58. Deux critères sont déterminants pour qu'une école puisse entrer dans le REP : plus de 55% des parents d'élèves issus de catégories socio-économiques défavorisées et l’engagement de l'ensemble de l'équipe enseignante dans le projet pour une durée de trois ans. Site internet de la république et canton de Genève sur le REP [Page Web]. Accès: https://www.ge.ch/enseignement_primaire/rep/#conditions 1 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail Le partenariat interinstitutionnel s’instaure localement par les acteurs de l’école qui le définissent, l’organisent et le mettent en œuvre en sollicitant des acteurs situés à l’intérieur (infirmier, éducateur) et en dehors (médecin, logopédiste, psychologue, assistant social) de l’école. Comment ce partenariat est-il alors construit comme outil de régulation de la difficulté scolaire en complémentarité avec le sanitaire et social? Comment l’environnement de l’élève (et sa vision stéréotypée et imagée) est-il mobilisé dans l’explication de la difficulté et en quels termes élèves et familles sont-ils catégorisés? Quel mode d’étiquetage (Goffman, 1963/1975) est produit au cours des collaborations interinstitutionnelles ? Comment la famille est-elle informée des diagnostics et enrôlée dans le traitement de la difficulté scolaire? Par quelles dynamiques ces nouvelles relations redéfinissent-elles la forme scolaire (Tardif & Levasseur, 2010)? De quelle manière s’hybrident les diverses logiques (Laforgue, 2009) prises parfois dans des tensions paradoxales ? Quelle est la place des familles dans ce travail de réseau ? Parmi nos hypothèses initiales se trouve le fait que l’injonction de collaboration interinstitutionnelle autour de situations dites « difficiles » modifierait le comportement des acteurs scolaires en focalisant leur regard sur des catégories préétablies d’élèves « en échec scolaire » même si cette catégorie a peu à peu été remplacée par celle d’« élève en difficulté » induisant par là une volonté de maintien des élèves dans une scolarité ordinaire (Monfroy, 2002). La recherche doctorale en cours présentée dans cette communication s’intéresse à resituer une organisation particulière (le travail en réseau) en la mettant en perspective avec l’installation de nouvelles relations et réalités professionnelles croisant les pratiques et logiques scolaires, sanitaires et sociales. Dans un premier temps, nous présenterons les différentes configurations du traitement de la difficulté scolaire puis ensuite, dans un second temps, le croisement des diverses pratiques professionnelles dans l’école avec les tensions et hybridation de logiques qu’il suscite. I. Différentes configurations de traitement de la difficulté scolaire Il s’agira ici de présenter le contexte d’inscription et la mise en œuvre concrète de cette activité de réseau au niveau institutionnel (comment elle est pensée et prescrite), au niveau des établissements (comment elle est organisée et régulée) et au niveau des acteurs (comment elle est mise en œuvre pratiquement et vécue individuellement). Une approche ethnographique est privilégiée impliquant l’observation de cette activité ordinaire couplée aux entretiens semi-directifs permettant ainsi de saisir le sens que les acteurs donnent aux évènements et aux expériences qu’ils vivent (Becker, 2002). 2 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail 1. Contexte d’inscription à plusieurs niveaux a. Au niveau politico institutionnel L’étude des documents officiels (directives, cahiers des charges, site internet…) révèle que le partenariat (entre professionnels ET avec les familles) est un élément fondateur du REP genevois. Il est considéré comme un moyen de remédier aux mauvais résultats des élèves issus de milieu socioéconomique défavorisé. Il est précisé l’importance de développer les collaborations avec les diverses offices : développer « une action coordonnée des écoles avec les professionnels de l'office de l'enfance et la jeunesse (OEJ - éducateur-trice-s sociaux, médecins, infirmier-ère-s, psychologues, assistant-e-s soci-ales-aux), les associations locales, les communes, etc. ». Dans les textes, on parle davantage de réseau et de collaboration (plutôt que de partenariat) avec l’idée d’injonction, de devoir travailler ensemble, avec d’autres, de répondre à un besoin (Vidalenc, 2002). Il est également intéressant de souligner que depuis la mise en place du REP en 2006, le règlement de l’enseignement primaire de 1993 a fait l’objet de plusieurs modifications concernant particulièrement le cadrage du partenariat interinstitutionnel avec l’Office médico-pédagogique et l’Office de l’enfance et de la jeunesse notamment pour ce qui est de l’application des procédures face à des situations de maltraitance3. Le REP ayant été pensé dans une réflexion genevoise plus globale sur l’inclusion scolaire, l’objectif implicite de ce partenariat interinstitutionnel préfigurait un traitement interne des situations en se dotant de compétences pluridisciplinaires (dans l’école) dans l’objectif non pas d’externaliser les prises en charges, de séparer l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé mais bien de maintenir les élèves en ordinaire, de les « inclure » et penser entre professionnels d’horizons divers des « aménagements et dispositifs particuliers »4. A ce titre, trois établissement du primaire (dont un en REP faisant partie de notre échantillon) mettent en place depuis la rentrée scolaire 2015 des « projets pilotes d’équipes pluridisciplinaires ». Enseignant spécialisé, éducateur, psychologue, logopédiste et infirmier peuvent être mis à disposition selon les besoins énoncés du directeur d’établissement. On assisterait donc récemment, au niveau institutionnel et politique, à une reconnaissance de cette configuration de travail qu’il s’agirait de systématiser sous forme de « projet pilote ». 3 Directrice D-DGEP-02B-11. (2010). Règlement d’école, violence et sanctions. Suspicion de maltraitance ou d’abus sexuel. 4 Feuille d’Avis Officielle (FAO) du 21 août 2015, Sur le chemin de l’école inclusive, pp.20-24. 3 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail b. Au niveau de l’établissement et des acteurs Il est important de préciser que dans le cadre d’une démarche ethnographique impliquant une présence continue dans les écoles5, quatre acteurs clés ont pu être identifiés ; acteurs dont les rôles sont définis différemment dans la collaboration interinstitutionnelle et le traitement de la difficulté scolaire. Leurs cahiers des charges ont fait l’objet d’une attention particulière afin d’identifier en quels termes étaient décrits leurs rôles dans le travail de réseau. Tout d’abord, les directeurs d’établissement (en poste depuis 2008), garants du lien entre l’école et la famille, transmettent les informations aux Offices de l’état6 et activent les procédures nécessaires. Pour ce qui est des enseignants, il s’agit d’une activité (le travail en réseau) pour laquelle ils sont peu formés ; néanmoins, ils y sont fortement incités. Il est d’ailleurs précisé dans leur cahier des charges que l’enseignant doit « développer (…) des collaborations et partenariats avec ses collègues, la direction de l’établissement, les parents d’élèves et autres partenaires ». L’éducateur sociale et l’infirmière scolaire sont deux acteurs agissant dans l’établissement scolaires (parfois même plusieurs) mais rattachés hiérarchiquement aux deux offices extérieures à l’école : l’Office médicopédagogique pour l’un et l’Office de l’enfance et de la jeunesse pour l’autre. Pour ces deux acteurs, la collaboration est complètement intégrée à leur cahier des charges. En effet, cette pratique est constitutive du travail sanitaire et social ; la nouveauté réside plutôt dans la façon dont ces pratiques pénètrent la sphère scolaire (infirmière et éducateur ne sont pas forcément coutumiers du travail avec les acteurs scolaires) et jusqu’où cette dernière réutilise les registres sanitaire et social, ses catégories d’interprétation et d’analyse. 2. Mise en œuvre concrète des configurations Dans un second temps, il s’agira de présenter précisément les configurations observées, les professionnels en présence et leur rôle en situation. A ce stade de notre analyse, 5 Dans le cadre de cette recherche doctorale, l’échantillon est composé de 3 établissements du REP genevois au sein desquels 70 observations de réunions et 60 observations de rencontres enseignants-parents ont été réalisés ainsi que 60 entretiens auprès d’acteurs (observés en réunions et/ou rencontres de parents) scolaires et extrascolaires. 6 Principalement, l’Office médicopédagogique (enseignement spécialisé, consultations pour troubles du développement…) et l’Office de l’enfance et de la jeunesse (protection des mineurs, assistance éducative, promotion et protection de la santé, prévention et médecine dentaire, surveillance des lieux de placements d'enfants hors du foyer familial…) 4 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail nous repérons deux configurations : des « réunions internes »7 (42 observations) et des « réseaux d’élèves » (28 observations). C’est à ce niveau que nous avons pu observer l’organisation du travail déployée entre professionnels d’horizons divers (Tardif & Levasseur, 2010). a. Configurations de travail et acteurs présents Les « réunions internes » traitent de plusieurs situations d’élève de l’établissement et se déclinent sous deux formes : tout d’abord, les réunions où discutent le directeur, l’infirmière scolaire et l’éducateur REP ; il s’agit en quelque sorte de réunir le « noyau dur » de l’établissement de façon hebdomadaire. Puis, un peu plus rares, les réunions qui associent (en plus du « noyau dur ») d’autres acteurs d’institutions externes (OMP, SPMI8, …) qui viennent aider à penser plusieurs situations dont ils peuvent parfois exercer un suivi au sein de leur propre structure. Les situations étant nommées, tous ont donc connaissance des « cas difficiles » de l’école à traiter y compris ceux qui ne relèvent pas de leur champ de compétences. Le point commun de ces « réunions internes » est d’aborder plusieurs situations d’élèves qui posent problèmes (tant d’un point de vue des apprentissages, que du comportement ou de l’environnement familial). Plusieurs situations étant évoquées, ces réunions ont bien évidemment lieu sans les parents. Il s’agit de faire un état des lieux à partir des éléments rapportés par les enseignants comme étant « préoccupants ». Ce sont des situations qui dépassent le champ de compétences des enseignants et pour lesquelles ils sollicitent directeur et/ou éducateur et à la marge l’infirmière. Il s’agit très rarement d’élèves ayant des difficultés d’apprentissages scolaires mais généralement d’élèves dont le comportement dérange (la classe et/ou l’enseignant) ou l’attitude questionne. Il peut s’agir de comportement « violent », ou « étrange ». Il s’agit toujours d’un comportement qui interroge l’enseignant, pour lequel il se sent démuni et impuissant. Son questionnement et inquiétudes sont recueillis et discutés lors de ces réunions auxquelles les enseignants participent peu. Généralement, une dizaine de situations problématiques sont abordées dont les causes sont recherchées et très souvent reliées au milieu familial. Soit les acteurs présents apportent les 7 Les dénominations choisies ici ne sont pas définitives, elles seront précisées au cours de l’analyse du matériau de terrain. 8 Office Médico-Pédagogique (OMP), partenaire historique de l’école qui tient à ce que « tout enfant puisse suivre une scolarité normale » et le Service de Protection Maternelle et Infantile (SPMI) de l'office de l'enfance et de la jeunesse qui « a pour mission d'assister la famille dans sa tâche éducative, de veiller aux intérêts de l'enfant et de les protéger, en collaboration avec les parents et quand cela s'avère nécessaire, en sollicitant des mesures judiciaires ». 5 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail éléments de connaissance récoltés sur la famille et/ou la fratrie dans le cadre de l’école ou de thérapies, soit ils complètent le diagnostic à partir de leur champ d’expertise sans connaître personnellement la situation (dans le cas de présence de professionnels externes à l’école). Concernant maintenant les « réseaux d’élèves », deuxième configuration observée, il s’agit d’une réunion de plusieurs professionnels où une seule et unique situation est discutée et pour laquelle il s’agit de poser un diagnostic et de discuter des prises en charge nécessaires, à poursuivre ou abandonner. Les parents peuvent être présents mais le sont souvent dans un second temps, lorsque les professionnels se sont rencontrés, ont échangés et mis à plat leurs constats, avis et diagnostics. Seul 8 réseaux sur 28 ont pu être observés en présence des parents. A noter tout de même que dans le cadre d’un tel procédé méthodologique, il a surement été plus aisé pour les acteurs scolaires de nous ouvrir les portes d’une réunion entre professionnels uniquement et sans la présence des parents. Ces réseaux se déroulent généralement en trois temps distincts et complémentaires qui seront présentés ultérieurement. Il s’agit avant tout pour l’école d’avoir une vision globale de la situation, vision « indispensable » dit-elle, pour mener à bien sa mission de « prévention » (notamment de la maltraitance). En effet, la logique de « prévention des risques » est intégrée dans les directives institutionnelles concernant l’école. Les enseignants doivent être vigilants aux potentielles situations de « maltraitance » plus particulièrement en contexte REP. L’école devient le « lieu central de prévention des maltraitances » (Bouvier, 2007) et le lieu où convergent les regards. On attire son attention sur les « situations de négligence », catégorie plus récemment utilisée dans le jardon médico-social, pour décrire les « incidents isolés et le défaut de la part de l’un des parents ou membres de la famille de pouvoir subvenir au développement et au bien-être des enfants – s’il est en mesure de le faire – dans un ou plusieurs des domaines suivants : santé, éducation, développement affectif, nutrition, foyer et conditions de vie en sécurité. » (Maneff et al., 2014). A partir du moment où l’élève montre ou énonce des signes inquiétants concernant un de ces « domaines », l’enseignant peut suspecter une « négligence » ou une « maltraitance » et par conséquent ne peut plus et ne doit plus agir seul. Il sollicite une aide extérieur pour l’aider à comprendre la situation, éclaircir les soupçons et si besoin penser une prise en charge de cette carence. Dans les cas plus graves, il recueille les informations et note ses observations dans le but de signaler la situation à son directeur qui activera les procédures nécessaires. 6 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail Globalement, l’école (à travers son directeur) mobilise prioritairement les acteurs internes (le « noyau dur », scènes auxquelles nous avons eu le plus accès) puis, dans un second temps, sollicite le partenariat externe. Toute configuration confondue, le directeur est présent dans 28% des cas, l’éducateur dans 24% et l’enseignant, en troisième position, dans 20% des cas. Ensuite, parmi les acteurs présents, on remarque que le champ médical est représenté par l’infirmière scolaire (8% des cas) et à minima, par le médecin référent (2%). Le travail social est représenté avant tout par l’éducateur du REP mais aussi par les assistantes sociales (de diverses institutions mais souvent du service de protection des mineurs dans 5% des cas). Enfin, les parents sont rarement présents dans les diverses configurations de travail de réseau (4%). Chacun des acteurs présents, à des degrés divers, incarne un rôle qui est souvent le même. Celui du directeur d’établissement est fortement influencé par son ancienneté dans l’établissement, son parcours professionnel mais surtout sa perception du travail en réseau. Quand certains directeurs prennent en main le réseau et l’anime, d’autres sont plus en retrait, laissant volontairement la place aux acteurs présents. L’éducateur peut également animer le réseau mais il est plutôt celui qui va venir alimenter le diagnostic par les informations qu’il détient et la connaissance globale de la situation qu’il peut avoir. L’infirmière retransmet les éléments de son suivi qu’elle juge utile et questionne les informations qui émergent. C’est également elle qui fera appel au médecin du Service Santé Jeunesse pour venir établir un « constat » à transmettre au SPMI (dans les cas de maltraitance). Le médecin, lorsqu’il est présent aux réunions, transmet peu d’informations mais questionne les informations qui émergent. Les travailleurs sociaux présents (souvent les assistantes sociale du SPMI) apportent des éléments sur leur mandat mais également sur la prise en charge de la situation tout en rappelant les procédures existantes. Lorsque la famille est présente, elle est sollicitée pour donner son avis sur le diagnostic posé, éventuellement pour le compléter. In fine, c’est à elle que revient la décision du démarrage, de la continuité ou de l’interruption d’un suivi. b. Récurrences et rapports de force entre acteurs La mise en œuvre de ces configurations fait apparaître des récurrences dans le déroulé, dans les thématiques abordées mais également des rapports de force entre professionnels. Parmi les récurrences dans le déroulé, on repère la définition de la difficulté, la construction collective d’un diagnostic commun (notamment par la recherche des causes de la difficulté), la définition d’une action coordonnée (qui se configure différemment selon la 7 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail présence ou non des parents), une répartition fine des prises en charges de la situation et enfin, une discussion des modalités de retransmission des échanges ainsi que des destinataires. Pour ce qui est de la retransmission aux parents, lorsqu’ils sont absents, on assiste à l’élaboration de stratégies de communication des messages à leur faire passer. Peu de situations nécessitent un traitement interinstitutionnel dans l’école. En revanche, la récurrence des situations est significative : 1/3 seulement des situations d’un établissement nécessitent un traitement en réunions (internes ou externes) mais il s’agit de situations fortement mobilisatrices de « temps et d’énergie » selon les discours des acteurs rencontrés. Cela peut aller de la simple discussion hebdomadaire sous forme de « suivi de cas » au traitement plus formalisé lors de « réseaux externes » se réunissant de 1 à 3 fois par trimestre. Tout type de réunions confondues, les discussions s’articulent autour de trois dimensions : la focalisation du discours sur le comportement plutôt que les résultats scolaires (avec une tendance à l’externalisation vers les consultations OMP dans le but de faire un « bilan psychologique » ou « logopédique »), l’obsession de la prise en charges (existantes ou à envisager, internes ou externes à l’établissement) et enfin l’animosité quant aux sujets éducatifs (sommeil, jeux vidéo, devoirs…) et familiaux (séparation, droit de garde, fratrie, fonctionnement familial…). Cependant, les interprétations formulées par les professionnels en présence n’ont pas toutes le même poids. L’école semble conférer une confiance aveugle dans le champ médicopédagogique (médecin, infirmière, pédopsychiatre, AS SPMI) et juridique (représenté par l’assistante sociale du SPMI qui agit sur mandat du juge et rappelle la loi). Elle semble perpétrer une hiérarchisation des savoirs à partir de professions perçues et définies comme « honorables » et « respectables » (médecin, infirmière, pédopsychiatre, psychologue, AS SPMI) face à des professions moins « honorables » et « respectables » (éducateur, enseignant,…) (Hughes, 1996). Ainsi, les expertises des situations n’ont pas le même poids et influencent différemment la trajectoire (Strauss, 1992) de l’élève. Extrait d’observation d’un réseau d’élève, dans l’école, animé par le directeur: AS SPMI : l’année dernière, il y a eu appui éducatif en accord avec la mère. Le signalement et l’entrée au SPMI s’est fait en mars 2011. Médecin SSJ : mais il n’y a pas eu de signalement de notre part. AS SPMI : je sors le dossier... le SPMI avait déjà été sollicité pour la ½ sœur d’Abdel. Une AEMO a été proposée de mars à décembre 2011. Dir.: la maman n’en a pas fait part. Inf. : elle n’est pas venue. Dir. : la maman avait refusé, l’AEMO a été arrêté en 2011. AS SPMI : il y a avait un triple objectif, au niveau de l’autonomie d’Abdel, le cadrage et l’hygiène. Alors l’objectif autour de l’autonomie n’a pas abouti… Médecin : l’autonomie, qu’est-ce que ça veut dire ? 8 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail AS SPMI : l’AEMO n’a pas abouti, car la collègue qui s’en occupait est partie, on a proposé une relève, mais la maman a refusé. L’autonomie, l’autonomie dans la maison car Abdel dort dans le lit de sa mère. Educ REP : Monsieur a quitté le domicile, mais continue à passer à la maison. Dir. : et pour l’hygiène, l’objectif a été atteint ? AS SPMI : non pas complètement. En fait tous les objectifs ont été faits à moitié. Dir : en règle générale, une AEMO est mise en place quand la maman est d’accord, n’estce pas ? Educ. REP : c’est faux, ça ne se fait pas uniquement dans ce cas-là. Le tribunal peut aussi l’imposer. Dir : mais là, il n’y a pas de mandat, car il y a appui éducatif. Est-ce qu’il y a eu une évaluation familiale ? AS SPMI: une expertise familiale ? Non. Dir : la maman parlait aussi d’une crainte d’enlèvement de l’enfant par le père. Il y a une mesure d’éloignement ? AS SPMI : non, mais il y a une démarche de désaveux en cours. Et la crainte d’enlèvement c’est toujours très subjectif. En tout cas, Monsieur montre des signes d’intégration ici et on n’a pas d’éléments qui peuvent aller dans le sens d’un enlèvement. Dir : et l’aide pour la mère au niveau éducatif, elle l’a toujours ? AS SPMI: non, il n’y a pas d’aide, plus rien. Dir : bon je vais laisser la parole à l’éducateur. Educ REP : moi je voudrais éclaircir la situation du couple. II. Le croisement de pratiques professionnelles dans l’école : logiques sous tensions et contamination du registre scolaire 1. Croisement des pratiques scolaires, sanitaires et sociales Chaque situation évoquée renvoie à une difficulté qu’il s’agit de nommer, de délimiter et pour laquelle les acteurs font exister un champ de compétences renvoyant à un professionnel « expert », des catégories d’interprétation dans le but de traiter la situation. La difficulté repérée dans l’école est généralement expliquée par des causes individuelles liées à l’élève lui-même ou, plus souvent, au fonctionnement de sa famille. Dir : oui il y aura un entretien de fin pour le redoublement et il y aura un entretien de début d’année. Mais je ne peux pas fliquer la relation (avec les parents) ! On avait hésité sur un signalement car il y a de la maltraitance psy même si elle tape aussi… on est limite dans un conflit interculturel. Ens. : oui elle dit « s’il y avait eu une école africaine… » elle dit qu’on est trop cool. Il faudrait une grosse voix comme ça (en imitant). Dir : c’est en filigrane, elle voudrait un papa qui fait la grosse voix. Le père manquant… c’est un nœud. On ne peut pas bosser là-dessus. Les raisons pédagogiques sont rarement évoquées (il s’agit souvent de problème de comportement et plus rarement de difficultés d’apprentissage). D’ailleurs, les enseignants anticipent et énoncent des diagnostics avant même de faire appel aux professionnels du réseau. En réunion, il n’est pas rare d’entendre un enseignant parler d’un élève « dyslexique » 9 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail pour lequel il pense qu’il serait intéressant qu’il y ait un « bilan logopédique », d’un « hyperactif » qui aurait besoin d’un « suivi psy » ou encore lors d’un réseau : Enseignant : Pour des questions abandonniques ce n’est pas bon de le déplacer à Madeleine » (une autre école du même établissement scolaire). Autre réseau d’élève : Dir : il faut qu’on prenne Christelle Enseignant1: oui bien sûr… il n’y a pas d’évolutions…c’est difficile de la laisser prostrée à son pupitre… il y a une espère de résilience… Enseignant 2 : de résistance… Enseignant1 : résilience passive… elle n’y arrive pas parce qu’elle a décidé. On attendait beaucoup du bilan du neuro-pédiatre qu’on a demandé. Elle a refusé de parler en évaluation. Elle peut être en face de toi et si elle a décidé… Et aussi parmi les récurrences à l’égard des « élèves dys » ou encore « allophones » : Enseignante 1: David, il est dyslexique. On a découvert une dysphasie syntaxique. Dir : il a de bons résultats, comment il fait ? Enseignante 1: ça lui demande des étapes dans la tête. S’il a ça c’est bon, il y arrive. En français 2 c’est ça. Dans les situations de recherche, on le perd. Il a un sentiment de persécution. Lui c’est à surveiller. Il est déjà 1000 fois suivi. Il y a des mesures dys. Enseignante 2 : et aussi parmi les élèves allophones qui s’en fichent parce qu’ils ne sont pas évalués il y a Garry (…) La frontière entre la pédagogie et la psychologie est parfois fine (Garcia, 2013 ; Morel, 2014) ; l’école reprenant et usant des catégories d’interprétation psychologique. Le diagnostic est bien souvent déjà établi par l’enseignant avant même que le professionnel ait pu rencontrer l’enfant. De même pour les problèmes de comportement, l’enseignant (tout comme le directeur) se contente rarement de décrire l’attitude et les faits produits par l’élève, il apporte des pistes d’interprétation en mobilisant un discours autour de la défaillance ou de l’inadéquation familiale. L’éducateur peut parfois alimenter cette vision défaillante avec les éléments dont il dispose sur la famille et la fratrie, il lui arrive aussi de recadrer les discussions sur le champ scolaire : Enseignante1 : je vois qu’il n’est pas allé aux études. Ses parents le délaissent ? Enseignante2 : il est beaucoup seul. Ils courent beaucoup à droite et gauche. On ne sait pas ce qu’ils font. Enseignante3 : en 5P il avait toujours des habits sales. Enseignante4: il est cracra Enseignante3 c’est spécial ! Enseignante1 : il aurait besoin d’être coaché, entouré ! Educ REP : commençons par l’école ! Ou encore : Enseignante : Youssef pique des colères, insulte, se braque et n’écoute rien 10 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail Educateur : (…) Je pense aussi que Youssef a quelque chose avec les femmes : il a cinq sœurs, il est entouré de femmes. Et ici aussi, il est tout le temps accompagné par des femmes à l’école ! Directeur : Oui et le père est souvent absent. Et quand il est là, il bat sa femme, c’est sa deuxième femme. Ces bribes d’interprétation livrées ici sont assez révélatrices d’un fonctionnement scolaire récurrent : un problème est énoncé par l’un des acteurs (généralement l’enseignant qui repère le problème), un autre surenchérit le diagnostic avec les éléments qu’il détient et confirme les propos précédemment énoncés. La situation devient rapidement « complexe » et nécessairement extérieure à l’école. Il s’agit d’un « cas » sur lequel l’école va devoir se pencher (Karz, 2005) en interne, en mobilisant d’autres expertises, d’autres pratiques ou, plus rarement, en externalisant complètement la prise en charge. Ce travail de collaboration entre partenaires internes et externes à l’établissement révèle un mouvement contradictoire. D’un côté, il s’agit de mutualiser les renseignements de nature diverse (scolaire, sanitaire et sociale, familiale…) sur l’élève afin d’en avoir une vision globale et une meilleure compréhension dans le but d’éviter le morcellement des prises en charge et mieux se répartir le suivi. De l’autre, on assiste paradoxalement à un découpage morcelé du problème avec certains professionnels qui, sous couvert du secret, transmettent peu d’informations sur leur suivi, ce qui est vécu par l’école (plus particulièrement par les enseignants) comme une « dépossession » de la situation. Le fait de ne pas avoir de « retour » sur ce qui se met en place, le fait que l’autre professionnel ne joue pas le jeu de l’interaction, de la circulation d’information ou encore qu’il n’abonde pas dans le sens de l’école accentue ce sentiment de fuite de la situation alors que c’est l’école elle-même qui alerte la plupart du temps sur les éléments inquiétants. Educ. REP : j’aimerai remettre dans le contexte, j’ai le sentiment de ne pas avoir été entendu. On a fait un réseau avec… j’ai donné des révélations importantes. On a décidé qu’on ne ferait pas de signalement. Il va super mal ! J’ai assisté à 3 situations… Je ne pense pas qu’on va vers les plus faciles avec Kevin. Maintenant… si on prend une décision pour lui du spécialisé… qui est une réalité scolaire… Dir : il y a eu une évaluation en centre de jour. J’ai été surpris de la décision. J’ai peu à peu compris cette histoire de prise en charge globale. Moi j’ai dit à l’OMP que j’étais embêté avec ça, le fait qu’ils ne nous suivent pas… Moi j’inclue l’unité d’urgence, le signalement… Ce mouvement est également contradictoire dans la mesure où la circulation d’information met en tension la nature des informations partagées par des acteurs soumis au secret professionnel (les médecins ainsi que les personnes sous sa responsabilité dont les infirmières scolaires) et d’autres seulement soumis au secret de 11 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail fonction. Même si les textes semblent clairement définir et circonscrire les différentes formes de secret, en situation et dans le discours, la mise en œuvre semble être un ajustement permanent en fonction du collègue que l’on a en face et du degré de confiance attribué. En théorie, l’infirmière scolaire ne peut pas tout dévoiler aux éducateurs sociaux. En pratique, on observe qu’il s’agit d’un binôme qui fonctionne plus ou moins bien en fonction de connivences et affinités. Les informations peuvent circuler avec plus ou moins de retenus. En revanche, le cas de figure est plus rarement observé entre infirmière et directeur d’établissements et/ou enseignants. Autre tension identifiée renvoie à la posture et au rôle du directeur d’établissement. En situation, ce dernier est pris entre la définition des limites de la collecte d’informations sur l’enfant et le recentrage des échanges sur le lien à la scolarité de l’élève. Par précaution, le directeur est tenté de récolter suffisamment d’éléments à inscrire dans le dossier (ou de « preuves » que la situation doit être signalée en urgence à telle ou telle office) afin d’avoir une nécessaire vision globale de l’élève (pour une « prise en charge globale ») tout en étant conscient qu’il doit garder le cap du lien entre les éléments apportés et la difficulté repéré dans l’école. Ce jonglage permanent, compétence professionnelle développée en situation de réseau, n’est pas l’apanage de tous les directeurs. Il suscite l’admiration de certains collègues (plutôt interne à l’établissement scolaire) ou au contraire la critique vive d’acteurs du réseau externe. Quant aux enseignants (et parfois directeurs d’établissement), ils doivent naviguer entre une posture d’égalité formelle, d’indifférence aux différences (Payet et al., 2011) des élèves dans un cadre d’action positive à l’égard de certains individus pour lesquels on met en place une reconnaissance politique particulière via le REP. Cette attention particulière à l’égard de certains élèves met à mal les enseignants qui énoncent parfois leur malaise en réunion entre l’importance d’avoir suffisamment de temps avec tous les élèves, l’injustice d’accorder davantage de temps à certains mais aussi de répondre aux attentes institutionnelles : Enseignant : je sais que je dois être attentive… on aura une équipe pluridisciplinaire, on a un éducateur… avec qui je partage… on doit équilibrer les inégalités mais on ne va pas diminuer les attentes car il y a du potentiel, on peut faire quelque chose, donc il faut le faire doubler ! Dir. : il faut qu’on s’ouvre à la prise en charge globale. 12 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail On assiste ainsi, dans l’école, à une hybridation de logiques dans la mise en œuvre complexe du partenariat interinstitutionnel qui renvoie à des formes de traitement de l’élève (et de sa famille) mêlant stéréotypes et catégories d’interprétation diverses ainsi que des logiques hétérogènes voir parfois antagonistes. 2. Des logiques diverses mises en tension dans l’école Le croisement de pratiques professionnelles dans l’école met en tension trois types de logiques liées entre elles. Tout d’abord, nous repérons des logiques qui varient en fonction de la nature de la relation que le professionnel entretient avec le « public » : en situation de travail en réseau, il est observé des professionnels de la relation individuelle (du champ sanitaire et social) dans un contexte de professionnels du groupe (du champ scolaire). Les premiers exerçant leur mandat en ayant nécessairement une vision globale de l’enfant, les seconds faisant face à des élèves à qui il s’agit de transmettre un savoir et dont on pourrait imaginer qu’ils se passent d’informations liées à l’environnement familial. Néanmoins, la réalité scolaire est bien plus complexe et l’école ne peut plus faire sans cette vision plurielle des élèves notamment lorsque ces derniers présentent des difficultés ou montrent des comportements qui inquiètent comme nous avons pu le voir précédemment. Deuxième type de logique liée à la précédente renvoie aux temporalités institutionnelles inhérentes à deux champs professionnels distincts : le champ sanitaire et social où le travail auprès d’autrui s’effectue dans la confiance, en lien, dans le temps (Demailly, 2008) alors que les pratiques du champ scolaire sont prises dans des échéances institutionnelles plus courtes, des contraintes d’évaluation et un cadre institutionnel strict à respecter. Ces diverses temporalités se croisent en réseau et s’influencent mutuellement donnant lieu à des pratiques hybrides de directeurs qui évoquent la nécessaire « confiance des familles pour avancer » ou encore de psychologues se souciant des temporalités de signalement pour qu’un élève puisse intégrer l’enseignement spécialisé dans les temps. Un des acteurs emblématiques de cette tension semble être l’éducateur du REP : il exerce son mandat de travailleur social dans un cadre scolaire avec des collègues enseignants, directeur mais aussi infirmière scolaire. Enfin dernière logique mise en tension renvoie à la nature du partenariat activé par l’école. Dans les textes, l’équipe pédagogique doit prendre en considération autant les pratiques éducatives des familles que les actions éducatives menées par les professionnels qui gravitent autour de l’élève (Rufin et al., à paraître). A travers la mise en œuvre concrète du 13 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail partenariat, l’école développe une croyance aveugle en des savoirs experts (professionnels hors scolaire) quand bien même elle suspecte, parfois inconsciemment, les savoirs profanes (pratiques des familles). Le partenariat interinstitutionnel est systématiquement mobilisé quand celui avec les parents ne l’est qu’en second plan. On pense avant tout les situations entre professionnels puis, on sollicite ou on convoque les familles à venir s’exprimer, donner leur avis, leur accord ou, plus rarement, refuser une prise en charge. Conclusion : Les élèves et familles dont il s’agit dans ces réseaux préexistaient au processus de catégorisation mais la dynamique de réseau accentuée par l’action compensatoire a contribué à leur visibilisation. Il s’agit bien souvent de familles considérées comme devant être « éduquées ». Les décisions prises par le réseau d’acteurs concernent l’enfant mais elles impliquent et visent explicitement ses parents (Giuliani, 2009). D’ailleurs, la rhétorique utilisée en éducation prioritaire mobilise davantage la catégorie de « familles » plutôt que celle de « parents » (Glasman, 1992). La notion de famille renvoie davantage à un groupe extérieur à l’école, perçu comme défaillant, appartenant à une culture (populaire, immigrée) étrangère à la culture scolaire, tandis que la notion de parent relaie l’idée d’individu responsable. Les termes employés par les acteurs pour qualifier la difficulté des élèves (et leur environnement) concernés, ne sont pas neutres. Percevant élèves « en difficulté », les familles comme « souffrantes », dans le « besoin d’aide » et dépendantes des aides extérieures, il s’agit lors des réunions d’imaginer des interventions pour l’élève dans le but d’améliorer son sort mais également celui de sa famille afin de les « soulager » de leur souffrance (Laforgue, 2009). Ce travail en partenariat constitue un espace partiellement indéterminé de pratiques qui s’ajustent en situation, au cours de l’action et de la rencontre (Strauss, 1992 ; Corcuff, 2008). Dans la relation, les professionnels élaborent des catégories d’interprétations en fonction des contextes et des situations, selon une compréhension située des phénomènes à partir des registres scolaire, sanitaire et social. Les discussions aboutissent au traitement des élèves considérés comme « déviants » (Becker, 1963/1985) et de leurs familles éloignées des normes de l’école. Ce travail en partenariat relève d’une mobilisation différenciée (Dodier & Camus, 1997) de catégories construites en amont par les divers champs professionnels (social, 14 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail médical, psychologique, scolaire) auxquels chacun est rattaché. Alors que le travail interinstitutionnel pourrait être un espace d’interrogation de ces catégories institutionnelles, il semble plutôt cristalliser certaines catégories de la population scolaire. Dans une certaine mesure (ce sera l’objet de l’analyse plus précise du matériau de la recherche d’en établir le degré et les variations), l’école se réapproprie les catégories expertes extra-scolaires (plus particulièrement médicale et psychologique); réappropriation « sauvage » (Morel, 2014) qui manifeste l’influence du travail interinstitutionnel sur les catégories scolaires et éducatifs habituellement mobilisées. Bibliographie : Becker, H. S. (2002). Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales. Paris: La Découverte. Becker, H. S. (1985). Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Paris : Métailié. (Original publié 1963) Bouvier, P., (2007). A Genève, l’école, lieu central de prévention des maltraitances. La Santé de l’homme, 389, 22-23 Corcuff, P. (2008). Aaron V. Cicourel : de l’ethnométhodologie au problème micro/macro en sciences sociales. SociologieS [En ligne], URL : http://sociologies.revues.org/2382 Demailly, L. (2008). Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et activités professionnelles relationnelles. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion. Dodier, N. & Camus, A. (1997). L'hospitalité de l'hôpital. L'accueil et le tri des patients aux urgences médicales. Communication, 65, 109-119. Garcia, S., (2013), A l’école des dyslexiques. Naturaliser ou combattre l’échec scolaire ? Paris : La Découverte. Giuliani, F. (2009). Éduquer les parents ? Les pratiques de soutien à la parentalité auprès des familles socialement disqualifiées. Revue Française de Pédagogie, 168, 83-92. Glasman, D. (1992). "Parents" ou "familles" : critique d’un vocabulaire générique. Revue Française de Pédagogie, 100, 19-33. Goffman, E. (1975). Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. (A. Kihm, trad.). Paris : Minuit. (Original publié 1963) Hughes, E. C. (1996). Le regard sociologique. Essais choisis. Paris : Editions de l'EHESS. (Originaux publiés 1952-74) Karz, S. (2005). Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique. Paris : Dunod. 15 ARDIS – Vendredi 9 octobre 2015 à Paris : « Critères, catégories et stéréotypes » Texte de la communication – Document de travail Laforgue, D. (2009). Pour une sociologie des institutions publiques contemporaines : Pluralité, hybridation et fragmentation du travail institutionnel. Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie [En ligne], URL : http://socio-logos.revues.org/2317. Mackiewicz, M.-P. (2010). Opposition à la figure du parent et identité enseignante. Ville Ecole Intégration, « Parents d’élèves », Revue Diversité n°163, 24-31. Maneff, C. & al (2014). Maltraitance repérée dans le cadre scolaire à Genève : regard sur ces dix dernières années. Revue Médicale Suisse, 10, 1517-21. Monfroy, B. (2002). La définition des élèves en difficulté en ZEP: le discours des enseignants de l’école primaire. Revue française de pédagogie, 140, 33-40. Morel, S. (2014). 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