L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 823–30
HALLUCINATIONS ET NEUROSCIENCES
Les réseaux du langage et des hallucinations
Vincent Marzloff 1, Mathieu Alary 2, Annick Razafimandimby 3, Sonia Dollfus 1,3
RÉSUMÉ
Les études en imagerie cérébrale ont montré une superposition des réseaux du langage et des hallucinations acousticover-
bales (HAV). Par conséquent, l’exploration en imagerie cérébrale des réseaux du langage permet de mieux comprendre la
physiopathologie des HAV. Dans cet article, trois types d’études sont discutés. Premièrement, nous détaillons les études
portant sur la spécialisation hémisphérique pour le langage et sa relation avec les HAV. Deuxièmement, nous examinons
trois hypothèses cognitives des HAV dans la schizophrénie : une compétition entre HAV et stimuli auditifs verbaux dans
l’activation des aires de langage, un défaut d’identification du langage intérieur et une mauvaise identification de la source
du langage intérieur. Enfin, nous présentons l’intérêt de l’imagerie cérébrale fonctionnelle pour déterminer la cible d’un
traitement par stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) chez les patients souffrant de schizophrénie et
d’HAV.
Mots clés : physiopathologie, hallucination auditive, langage, schizophrénie, imagerie cérébrale, stimulation magneti-
queintracranienne, traitements physiques et électriques
ABSTRACT
Networks of language and hallucinations. The brain imaging studies have shown an overlying network of language
and acoustic-verbal hallucinations (HAVs). Therefore, exploring brain imaging of language networks permits to better
understand the pathophysiology of HAVs. In this paper, three types of studies are discussed. First, we describe studies
of hemispheric specialization concerning language and its relationship with HAVs. Second, we examine three cognitive
hypotheses of HAVs in schizophrenia: a relationship between HAVs and verbal auditory stimuli in the activation of language
areas, a lack of identification of internal language and a misidentification of the source of the inner language. Finally, we
present the value of functional brain imaging to determine the target of treatment by repetitive transcranial magnetic
stimulation in patients with schizophrenia and HAVs.
Key words: pathophysiology, auditory hallucination, language, schizophrenia, brain imaging, magnetic intracranial sti-
mulation, physical therapy and electrical
1CHU de Caen, service de psychiatrie, centre Esquirol, 14000 Caen, France
<marzloff@cyceron.fr>
2CNRS, UMR 6301 CNRS, GIP Cyceron, boulevard Henri-Becquerel, BP 5229, 14074 Caen cedex, France
3Université de Caen Basse-Normandie, UMR 6301CNRS, 14000 Caen, France
Tirés à part : V. Marzloff
doi:10.1684/ipe.2012.0996
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N10 - DÉCEMBRE 2012 823
Pour citer cet article : Marzloff V, Alary M, Razafimandimby A, Dollfus S. Les réseaux du langage et des hallucinations. L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 823-30
doi:10.1684/ipe.2012.0996
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V. Marzloff, et al.
RESUMEN
Las redes del lenguaje y de las alucinaciones. Los estudios de imagen cerebral han mostrado una superposición de las
redes del lenguaje y de las alucinaciones acustico-verbales (AAVs o HAVs por su sigla en francés). Por consiguiente, la
exploración por imagen cerebral de las redes del lenguaje permite comprender mejor la fisiopatología de las AAVs. En
este artículo, se discuten tres tipos de estudios. Primero, pormenorizamos los estudios centrados en la especialización
hemisférica para el lenguaje y su relación con las AAVS. Luego, examinamos tres hipótesis cognitivas de las AAVs en
la esquizofrenia: una competición entre AAVs y stimuli auditivos verbales en la activación de las áreas del lenguaje,
una carencia de identificación del lenguaje interior y una incorrecta identificación de la fuente del lenguaje interior. Por
fin, presentamos el interés de la imagen cerebral funcional para determinar la diana de un tratamiento por estimulación
magnética transcraneal repetitiva (rTMS) en los pacientes afectados de esquizofrenia y de AAVs.
Palabras claves : fisiopatología, alucinación auditiva, lenguaje, esquizofrenia, imagen cerebral, estimulación magnética
intracraneal, tratamientos físicos y eléctricos
Abréviations
HAV hallucinations acousticoverbales
BOLD blood-oxygen level dependent signal (signal dépen-
dant du taux d’oxygénation du sang)
EEG électroencéphalographie
VGSE voix générées par une source extérieure
IRMf imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
IRM imagerie par résonance magnétique
P3 région pariétale gauche
IMAV imagerie mentale auditive verbale
rTMS repetitive transcranial magnetic stimulation ; sti-
mulation magnétique transcrânienne répétitive
SPM statistical parametric mapping
STS sillon temporal supérieur
T3 région temporale gauche
Introduction
L’étude des bases neurales du langage chez les patients
souffrant d’hallucinations auditives se révèle fascinante
et complexe. Il existe une certaine similitude entre la
perception d’un discours extérieur et les HAV. Les HAV pré-
sentent, en effet, une forte impression de réalité, un contenu
lexical plus ou moins riche allant de simples mots isolés à
des phrases ou un dialogue élaboré, ainsi que des caractéris-
tiques sensorielles (intensité, sonorité, timbre, localisation
dans l’espace...). La principale différence entre les HAV
et la perception de voix réelles est l’absence de stimulus
réel lorsque la personne a une expérience d’HAV. Dans
ce contexte, un dysfonctionnement cognitif pourrait être à
l’origine des HAV. Plusieurs hypothèses peuvent être évo-
quées, telles qu’un défaut de reconnaissance du discours
intérieur ou une erreur d’identification de la provenance
du dialogue intérieur. Les études en imagerie cérébrale
ont aussi montré un recouvrement des réseaux du lan-
gage et des réseaux des HAV [28, 36, 38]. Les réseaux
des HAV recrutent de manière bilatérale les gyri tempo-
raux supérieurs et médians mais avec une prédominance
gauche. De même, il est bien connu que, chez les sujets
droitiers, le langage est une fonction cognitive latérali-
sée dans l’hémisphère cérébral gauche. Or, il a été montré
que les patients schizophrènes présentent une réduction de
cette latéralisation hémisphérique gauche pour le langage.
L’étude des bases neurales du langage est donc particuliè-
rement pertinente dans la schizophrénie. Elle permet entre
autre de localiser la cible du traitement par rTMS [15],
cible située le plus souvent dans la région temporoparié-
tale gauche du langage. Or, cette localisation se superpose
à un « épicentre » du langage, région incontournable lors
de la production et de la compréhension du langage, qui est
localisé dans la partie postérieure du STS gauche [23, 27].
Dans cet article seront donc successivement abordés les
liens entre les HAV et la latéralisation hémisphérique pour
le langage, les modèles cognitifs des HAV, et l’intérêt de
l’imagerie dans le traitement par rTMS chez les patients
souffrant de schizophrénie et présentant des HAV.
Bases neurales du langage,
hallucinations acousticoverbales
et latéralisation hémisphérique
du langage
L’étude de la relation entre les HAV et la spécialisa-
tion hémisphérique du langage dans la schizophrénie se
justifie par trois types de données. Premièrement, les HAV
peuvent être considérées comme le reflet d’un dysfonc-
tionnement du langage dans la schizophrénie, comme l’a
suggéré Seglas, psychiatre franc¸ais du xixesiècle. Deuxiè-
mement, le langage, tel que l’évoquait Broca au xixesiècle,
est une fonction hémisphérique latéralisée à gauche chez les
sujets sains droitiers ; et cette latéralisation serait mise en
place dès la vie fœtale. Troisièmement, des études en ima-
gerie cérébrale portant sur la latéralisation manuelle ont
étayé l’hypothèse de Crow selon laquelle la schizophrénie
serait caractérisée par une diminution de la spécialisation
hémisphérique du langage [6].
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Les réseaux du langage et des hallucinations
Les études en imagerie cérébrale fonctionnelle réalisées
lors de tâches variées de langage ont mis en évidence une
diminution de la latéralisation hémisphérique du langage
chez les patients souffrant de schizophrénie [4, 35, 43], qui
s’est aussi révélée être stable au cours du temps [29].
Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec
prudence en raison de potentiels facteurs de confusion tels
que l’influence du genre, de la préférence manuelle, du type
de tâche, de la médication par antipsychotiques ou encore
de la sévérité des hallucinations. Une étude a néanmoins
montré que cette diminution de la latéralisation se retrou-
vait aussi chez les patientes [36]. Une autre étude, portant
à la fois chez des patients droitiers et gauchers, a mon-
tré l’importance de prendre en compte le type de tâche et
la préférence manuelle dans l’interprétation des résultats
[30].
Les performances cognitives altérées peuvent aussi
contribuer à expliquer cette réduction de la latéralisation
fonctionnelle. Une étude a montré que, lors d’une tâche de
production de mots, les patients présentaient une asymé-
trie gauche moins marquée que les témoins [4]. L’activité
hémisphérique droite était corrélée négativement avec le
nombre de mots produits lors de la tâche de génération
de mots. Selon les auteurs, l’augmentation de l’activité
frontale droite chez les patients représenterait une adap-
tation cérébrale fonctionnelle permettant de compenser un
déficit de performances. Néanmoins, d’autres études n’ont
pas retrouvé de lien significatif entre les performances et
le degré de latéralisation fonctionnelle [9, 35]. Aussi de
bas niveaux de performance chez les patients pourraient
contribuer à de moindres activations des régions du lan-
gage, sans pour autant entièrement expliquer la diminution
de l’asymétrie fonctionnelle cérébrale observée chez les
patients souffrant de schizophrénie.
La plupart des études ont rapporté une diminution de
la latéralisation hémisphérique du langage chez les patients
atteints de schizophrénie et traités par médicaments antipsy-
chotiques. Deux études seulement ont inclus des patients
sans traitement antipsychotique et ont toutes deux rapporté
également une diminution de la latéralisation hémisphé-
rique gauche. En effet, une réduction de la latéralisation
hémisphérique gauche du langage a été observée chez des
patients non traités lors d’un épisode psychotique aigu de
schizophrénie [39, 43]. Cela suggère que la médication
antipsychotique n’ait pas d’influence sur cette réduction de
la dominance hémisphérique du langage chez les patients
souffrant de schizophrénie.
Peu d’études se sont penchées sur le rôle potentielle-
ment confondant des symptômes dans la réduction de la
latéralisation hémisphérique pour le langage. Une étude
longitudinale d’imagerie fonctionnelle a montré que la
présence d’hallucinations auditives était associée à une
réduction bilatérale de l’activation du cortex temporal
lors d’une tâche de traitement du langage [44], mais les
asymétries fonctionnelles n’ont pas été explorées. Une
autre équipe a rapporté une corrélation négative entre la
sévérité des hallucinations auditives et le degré de laté-
ralisation fonctionnelle mais cela après avoir exclu les
sujets ayant une latéralisation fonctionnelle droite pour le
langage [35]. Ce résultat sous-entendrait que les patients
souffrant d’hallucinations sévères ont une moindre latéra-
lisation hémisphérique gauche pour le langage. Cependant,
d’autres études n’ont pas mis en évidence de lien entre
la réduction de la latéralisation hémisphérique gauche et
la sévérité des troubles du langage (en particulier les hal-
lucinations auditives ou la désorganisation conceptuelle)
évalués avec la Positive and Negative Syndrome Scale
[5, 9, 42] ou la Brief Psychiatric Rating Scale [19].
Plus récemment, Sommer et al. [34] ont investigué des
patients psychotiques alors qu’ils présentaient des HAV et
qu’ils effectuaient silencieusement une tâche de génération
de mots. Pendant les acquisitions IRM, les patients avaient
une latéralisation des activations cérébrales durant les HAV
du côté opposé à celles de la génération silencieuse de mots.
De plus, la latéralisation des activations cérébrales durant
les HAV n’était pas associée à la latéralisation des activa-
tions générées par la tâche de génération mais était corrélée
au contenu émotionnel négatif des hallucinations. Récem-
ment, Vercammen et al. [40] ont recherché un lien entre
la variabilité des caractéristiques perceptives des HAV et
l’activation du réseau du langage intérieur (discours adressé
à soi-même). Ils ont trouvé une association entre la réduc-
tion de la latéralisation du langage et le degré de réalité
ressenti lors des HAV, mais pas avec l’intensité sonore.
Par ailleurs, ils ont également noté que les HAV pouvaient
contribuer à une augmentation des activations dans les aires
du langage à droite. Ces résultats ne concordent, cependant,
pas avec ceux d’une étude récente comparant la latéralisa-
tion du langage chez des patients souffrant de psychose, des
sujets non psychotiques présentant des HAV, et des sujets
sains [8]. Les sujets non psychotiques présentant des HAV
n’avaient pas de réduction de la latéralisation du langage
comparativement aux sujets sains. À l’opposé, la latéra-
lisation était significativement réduite chez les patients
psychotiques comparativement aux sujets non psychotiques
présentant des HAV et aux sujets sains. Ces résultats sont
en faveur d’une spécificité de la diminution de la latéra-
lisation hémisphérique dans la schizophrénie. Une étude
récente dans notre équipe confirme cette hypothèse [1]. En
effet, une réduction de la latéralisation fonctionnelle est
retrouvée chez les patients schizophrènes mais non chez
les patients souffrant d’un trouble bipolaire.
Bases neurales du langage,
hallucinations auditives
et modèles cognitifs
L’utilisation de tâches de langage associées à l’imagerie
cérébrale fonctionnelle, telles la tomographie par émission
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V. Marzloff, et al.
de positons ou l’IRMf, permettent d’explorer les modèles
cognitifs des HAV. Par conséquent, cette approche permet
d’éclaircir la physiopathologie des HAV.
Les tâches de langage s’appuient, soit sur la perception
du langage, soit sur sa production. Les tâches de perception
consistent à écouter des phrases, des histoires, des discours
ou à identifier la source d’un discours. L’identification de
la source d’un discours est réalisée par l’écoute d’un dis-
cours pré-enregistré soit par le sujet soit par une autre
personne. Dans chaque cas, la tonalité de la voix enre-
gistrée peut être modifiée ou gardée intacte. Puis, le sujet
doit décider si la voix enregistrée et rediffusée est la sienne
ou celle d’un autre. La tâche de production de langage a
recours soit au dialogue intérieur, soit à l’IMAV. La tâche
de langage intérieur implique que le sujet élabore silencieu-
sement des phrases dans lesquelles il occupe une position
d’acteur ; par exemple il se dit « Je vais travailler ce soir ».
L’IMAV correspond à l’imagination ou la remémoration
par un sujet de phrases ou conversations prononcées par
une autre personne. Le réseau neural recruté lors de l’IMAV
se révèle particulièrement intéressant en raison des simi-
larités avec celui des HAV (audition de mots ou phrases
avec la conviction qu’ils sont émis par une autre personne).
Dans les deux cas, le sujet a l’impression d’entendre le
discours d’une autre personne en l’absence de tout stimu-
lus extérieur. Aussi l’identification de réseaux neuraux qui
sous-tendent le dialogue intérieur et l’IMAV pourrait faci-
liter l’exploration des régions cérébrales impliquées dans
les HAV.
De nombreux auteurs ont eu recours à des tâches de
langage pour investiguer trois hypothèses de dysfonction-
nements cognitifs :
une compétition entre les HAV et les stimuli acoustico-
verbaux dans l’activation des aires de langage ;
un défaut d’identification du dialogue intérieur ;
une erreur de discrimination de la source du dialogue
intérieur.
Compétition entre hallucinations
acousticoverbales et stimuli extérieurs
D’après David et al. [7], la présence d’HAV chez
les patients souffrant de schizophrénie atténue significa-
tivement la réponse corticale à une stimulation auditive
extérieure dans les régions du planum temporal gauche et
du gyrus temporal supérieur droit, mais ne modifie pas la
réponse cérébrale à une stimulation visuelle. Woodruff et al.
[44] ont testé le même groupe de patients à deux reprises :
une première fois lors d’une période d’hallucinations audi-
tives de forte sévérité et une seconde fois dans une période
dépourvue de phénomènes hallucinatoires (périodes appe-
lées respectivement des états hallucinatoires positif et
négatif). Ils ont constaté que les activations cérébrales du
gyrus temporal moyen droit et du gyrus temporal supé-
rieur gauche lors d’une tâche d’écoute d’un discours étaient
plus importantes dans l’état hallucinatoire négatif que dans
l’état hallucinatoire positif. Ce résultat suggère que les
hallucinations puissent entrer en compétition avec la per-
ception de stimuli auditifs externes au niveau du cortex
temporal. Dans une autre étude qui a inclus 15 patients
souffrant de schizophrénie, une corrélation négative a été
mise en évidence entre la sévérité des HAV et les activations
cérébrales détectées en IRMf dans le gyrus temporal supé-
rieur gauche alors que les patients écoutaient des phrases
[28]. Ce résultat corrobore l’hypothèse d’une compétition
possible entre les HAV et les stimuli acousticoverbaux
externes.
Une étude récente en IRMf, incluant 22 patients avec
un diagnostic de schizophrénie et souffrant d’HAV, a eu
recours à une tâche d’évaluation d’accentuation syllabique
de mots en langue anglaise connue pour activer à la fois
la production de dialogue intérieur et la perception de
langage. Durant cette tâche les sujets devaient retrouver
l’accentuation syllabique des mots présentés visuellement.
Les sujets précisaient par une pression manuelle d’un bou-
ton si l’accentuation se trouvait sur la première ou la
seconde syllabe [40]. Plus les HAV étaient fortes, plus la
réduction des activations liées à la tâche, dans le gyrus
angulaire bilatéral, le gyrus cingulaire antérieur, le gyrus
frontal inférieur gauche, l’insula gauche, et le cortex tempo-
ral gauche (T3), était importante. Ces résultats évoquent, là
encore, un phénomène de compétition des ressources neu-
rales impliquées dans le dialogue intérieur, la perception du
langage et la production d’HAV.
Ces résultats sont particulièrement intéressants à la
lumière des observations cliniques qui montrent une réduc-
tion des hallucinations lorsque les patients rec¸oivent des
stimulations auditives verbales internes ou externes. En
effet, Slade [33] a montré chez deux patients souffrant
d’hallucinations auditives que l’intensité des hallucinations
décroissait proportionnellement au niveau de traitement
verbal requis durant une stimulation donnée, comme la
répétition de mots, la transcription de mots dictés, la récita-
tion de mots de quatre lettres présentés par des écouteurs et
diffusés de plus en plus rapidement au fil du temps. Cet effet
a été particulièrement significatif pour des tâches nécessi-
tant des interactions verbales. Margo et al. [20] ont mis
en évidence chez sept patients souffrant de schizophré-
nie et d’HAV que la réduction des HAV dépendaient de
l’importance de l’attention portée aux stimulations verbales
externes. Feder [10], à partir d’une étude de cas, recom-
mande l’usage de stratégies anti-hallucinatoires par des
stimulations auditives à travers un casque diffusant la radio.
Plus tard le baladeur audio s’est révélé la stratégie la plus
efficace pour délivrer une stimulation auditive externe chez
16 patients parmi 20 invités à se prononcer sur différents
types de techniques anti-hallucinatoires [26].
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Les réseaux du langage et des hallucinations
Hallucinations acousticoverbales :
un défaut d’identification
du dialogue intérieur ?
Certains auteurs ont évoqué une possible origine des
HAV dans une perception erronée du dialogue intérieur,
comme si celui-ci ici était non reconnu par le sujet et donc
émis par un étranger. Il y aurait en quelque sorte un défaut
de contrôle de son propre dialogue intérieur ou une mau-
vaise reconnaissance de son propre discours. Les études
en imagerie fonctionnelle qui ont exploré ces hypothèses
ont prouvé que les patients atteints de schizophrénie et
d’HAV présentaient des difficultés à identifier leur dialogue
intérieur comme leur appartenant.
McGuire et al. [21] ont cherché à caractériser les bases
neurales du discours intérieur ou endophasie (génération de
phrases prononcées silencieusement), et celles de l’IMAV
(imagination de phrases prononcées par une autre per-
sonne). Le discours intérieur était associé à une activation
du gyrus frontal inférieur gauche. L’IMAV déclenchait une
réponse dans la même région, mais associée à des activa-
tions plus importantes au sein du cortex prémoteur gauche,
de l’aire motrice supplémentaire, et des gyri temporaux
gauches. Ces résultats suggèrent que la prononciation silen-
cieuse de phrases implique une région cérébrale elle-même
activée par la génération de langage, et que l’imagination
d’un discours prononcé par une autre personne est asso-
ciée à une réponse supplémentaire des régions typiquement
recrutées dans la perception du langage. Des résultats simi-
laires ont été retrouvés lors d’une tâche d’IMAV chez des
sujets sains et des patients atteints de schizophrénie n’ayant
jamais expérimenté d’hallucinations. Par ailleurs, un défaut
d’activation de la région temporale moyenne gauche a été
mis en évidence chez les patients schizophrènes avec des
hallucinations auditives actuelles ou passées. Ces résultats,
reproduits par la suite, suggèrent que la région temporale
moyenne gauche joue un rôle dans la prise de conscience
du discours intérieur et que cette région est fonctionnelle-
ment altérée chez les patients atteints de schizophrénie et
présentant des HAV. En effet, durant une tâche d’IMAV, les
patients avec des HAV comparés aux témoins, présentaient
une hypoactivation de plusieurs régions cérébrales, dont le
cortex temporal supérieur et moyen [31]. Toutefois, aucune
différence d’activation cérébrale n’a été décrite entre
patients et témoins durant la tâche de discours intérieur.
Récemment, des auteurs ont suggéré que les patients
présentant des HAV pourraient avoir un défaut de modula-
tion des régions impliquées dans le traitement du langage
intérieur, lié à un manque de contrôle du cortex cingu-
laire sur ces régions. Simons et al. [32] ont réalisé des
tâches d’écoute de phrases et d’imagination de phrases en
IRMf chez 15 patients atteints de schizophrénie et d’HAV,
et 12 sujets sains. Durant la tâche d’écoute, l’activation
du cortex temporal supérieur gauche était comparable chez
les témoins et chez les patients. Cela suggère une absence
de déficit fonctionnel lors de l’écoute de phrases chez les
patients atteints de schizophrénie. En revanche, durant la
tâche de discours intérieur, les sujets témoins ont présenté
une diminution de l’activation cérébrale comparativement
à la tâche d’écoute, et cette diminution était plus marquée
que celle observée chez les patients. Les auteurs suggèrent
donc qu’un défaut d’atténuation de l’activation du cortex
temporal pourrait mener les patients à identifier le langage
intérieur comme provenant d’une source extérieure et être
à l’origine d’expériences hallucinatoires acousticoverbales.
Alors que les auteurs ont observé une activation du cortex
cingulaire chez les témoins lors de la tâche d’imagination
de phrases et une décroissance de cette activation lors de
l’écoute d’un discours extérieur, les patients ne présen-
taient pas d’activation du cortex cingulaire durant la tâche
d’imagination de phrases. Le cortex cingulaire antérieur
pourrait agir comme un modulateur de l’activité du gyrus
temporal supérieur gauche. Aussi les auteurs ont-ils suggéré
qu’un défaut de modulation puisse être associé à la tendance
des patients à attribuer une origine extérieure au langage
intérieur. Des résultats similaires de défaut de modulation
cérébrale lors de tâches de langage en référence avec soi-
même ou avec une autre personne ont été mis en évidence
par Jardri et al. [16].
À partir de ces études, les patients souffrant de schizo-
phrénie et présentant des hallucinations se distingueraient
des sujets témoins par un déficit fonctionnel des régions
cérébrales impliquées dans la génération, la perception, et
le contrôle d’un dialogue intérieur. Ces données suggèrent
que l’apparition d’hallucinations auditives verbales dans la
schizophrénie puisse être associée à des modifications fonc-
tionnelles de régions du cerveau impliquées dans la prise
de conscience des pensées intérieures.
Hallucinations acousticoverbales :
un déficit dans la distinction
de la source du discours ?
Les patients souffrant d’hallucinations ont tendance à
confondre leur propre discours déformé avec celui d’une
source extérieure. Cela a été démontré pour la première
fois lors d’une expérience au cours de laquelle les par-
ticipants énonc¸aient à voix haute des mots les uns après
les autres et les entendaient en temps réel [18]. Une autre
étude, ayant eu recours à l’écoute de mots, a retrouvé une
erreur d’attribution plus fréquente chez les patients avec
des HAV que chez les patients non hallucinés et les sujets
sains [3], plus particulièrement lorsque la voix des sujets
était déformée. Ce constat a amené l’hypothèse que l’erreur
d’attribution d’une action à un agent extérieur pourrait pro-
venir d’une activation anormale du réseau neural mis en jeu
dans la discrimination entre des actions propres à l’individu
et des actions extérieures [12].
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