Sauve qui peut ! n°6-7 (1994) les chicorées par François Boulineau, Valérie Kelechian, Claire Doré et Bruno Desprez (1) 1. Introduction Dans la famille des Astéracées (ou Composées), le genre Cichorium regroupe une dizaine d'espèces. On distingue couramment en Europe trois espèces diploïdes (2n=18) : Cichorium endivia L., Cichorium intybus L. et Cichorium spinosum L. Les deux premières espèces sont particulièrement intéressantes pour leurs caractères agronomiques. Distinction botanique entre les espèces C. endivia et C. intybus : elle réside dans la mesure du rapport entre la taille des écailles du pappus (couronne située au sommet des akènes) et la taille des akènes. Ce rapport est de 1/6 à 1/2 pour C endivia et seulement de 1/10 à 1/8 pour C. intybus. Pour souligner cette faible différence, les botanistes rajoutent un autre critère : les pédoncules des capitules terminaux sont fortement, attachés à l'apex chez C. endivia et faiblement chez C. intybus. Chez C. endivia, la fréquence de la couleur rose violacée des fleurs est plus importante. Distinction génétique : C. endivia est une espèce autofertile qui peut, malgré tout, être croisée en présence d'insectes alors que les espèces C. intybus et C. spinosum sont allogames. En fait, il est possible de croiser toutes ces espèces entre elles, bien que les hybrides C. endivia x C.intybus soient difficiles à obtenir en raison de l'autofertilité importante de C. endivia. Cependant, les plantes hybrides entre les deux espèces, quel que soit le sens du croisement, présentent des déficiences importantes que l'on attribue à une incompatibilité nucléo-cytoplasmique. On peut donc parler d'un complexe d'espèces comprenant au moins les trois espèces européennes du genre Cichorium. Famille: ASTERACEES Cichorium endivia - Origine : Antiquité, Bassin méditerranéen. -Usages : consommation des feuilles en salade en frais ; développement de la 46 gamme. -Production française,: chicorée frisée: 62 000t/an ; scarole : 82 000 flan. Cichorium intybus - Origine: plante sauvage: Europe, région tempérée d'Asie. - Usages anciens: plante médicinale et alimentation humaine et animale. CHlCOREES A FEUILLES Endive - Origine: Belgique, au XIXe siècle. - Usages: chicons cuits ou en salade. - Production française: 20 000t/an ; 16 000 ha; Europe: 1er Chicorées à larges feuillas . - Origine: Italie: Chioggia, Vérone, Trévise ; Europe. du Nord : Barbe de capucin. - Usages: consommation en salade des feuilles, après cuisson: feuilles, hampes florales; développement de la 4e gamme. -Production française: insignifiante. CHICOREES A RACINES - Origine: Egypte, 5000 ans av. J.C. - Usages : anciens: racines à l'état frais et torréfiées ; actuels: racines à torréfier et racines à sucre, - Production française: 70 000 t/an ; 2 000 ha. 2. Présentation des espèces légumières de Cichorium 2.1. Cichorium endivia L. ou endives vraies Les chicorées " endives ", au sens strict, sont des plantes typiquement annuelles, assez répandues dans le Sud de l'Europe et le Nord de l'Afrique. On distingue la sous-espèce divaricatum Schousb. (ou pumilum Jacq.) ancêtre sauvage de la sous?espèce endivia composée des cultigroupes " scaroles " et " chicorées frisées ", sélectionnées depuis l'Antiquité pour la consommation des feuilles en salade. On ne les trouverait en Orient et aux Indes que sous forme subspontanée et non pas sauvage. Ces légumes ne se trouvent couramment sur le marché que de la fin de l'été à la fin de l'hiver. Avec l'apparition de la 4e gamme, la technique de blanchiment des chicorées s'est développée, elle permet de diminuer le pourcentage de déchet. Ce nouveau produit destiné à la transformation intéresse de plus en plus le marché du frais. Chicorées frisées : C endivia var. crispa : nombreuses feuilles étalées en rosette, profondément découpées et crispées, glabres et plus ou moins dentelées. De nombreux types morphologiques existent : Gloire de l'Exposition, Wallonne, Grosse pommant seule, D'Eté à coeur jaune, etc. Scaroles : C. endivia var. latifolia : feuillage entier à marges dentelées. Elle se distingue de la chicorée frisée par ses feuilles plus larges, ondulées ou enroulées et dentées sur les bords et se repliant vers le coeur de la plante. Différents types existent : Géante maraîchère, Cornet, Grosse bouclée, A Coeur plein. Type intermédiaire chicorée frisée-scarole : Les feuilles sont de. la taille d'une scarole avec la découpe d'une chicorée frisée demi-fine. La sélection effectuée après le croisement, oriente la variété vers le type chicorée frisée ou scarole. 2.2 Cichorium intybus L. Cette espèce, utilisée de tous temps comme plante médicinale et dans l'alimentation humaine et animale, est très répandue dans toute l'Europe et dans les régions tempérées d'Asie et fut naturalisée en Amérique, en Afrique du Sud, en Australie et aux Indes. En France, elle est très commune, pousse sous toutes les formes, annuelles, bisannuelles ou vivaces au bord des chemins, dans les prés et les endroits incultes. Les variétés sont cultivées en tant que bisannuelles. On distingue 2 sous-espèces : - C. intybus var. foliosum : chicorées à feuilles ; - C. intybus var. sativum : chicorées industrielles ou à racines. Les chicorées à feuilles : elles sont consommées en salade ou après cuisson. a) La chicorée de Bruxelles ou witloof ou endive : apparue en 1845 en Belgique, elle dériverait d'une chicorée à grosse racine, la chicorée de Magdebourg (chicorée industrielle). Bien que vivace à l'état sauvage, la chicorée witloof se comporte dans nos régions comme une plante bisannuelle. Le cycle de culture est annuel avec un semis au printemps ou en été. Cette chicorée est caractérisée par l'aptitude de sa racine à produire un bourgeon pommé ou chicon, en conditions artificielles de culture : forçage, avec ou sans terre de couverture. Des hybrides sont obtenus à partir de lignées pures sélectionnées. Actuellement, ils sont réalisés par allogamie préférentielle par le phénomène de compétition pollinique. Nouveaux produits : l'endive rouge, issu d'un croisement entre la witloof et 1a Rouge de Vérone et l'endigia issue d'une hybridation entre l'endive rouge et la Chioggia. b) Les chicorées à larges feuilles : La barbe de capucin est une salade non pommée, consommée étiolée après forçage en cave sans terre de couverture. Très grosse production en région parisienne au siècle dernier, supplantée ensuite par celle de l'endive. Les autres chicorées à larges feuilles sont surtout connues en Italie ; 3 types : 1) les types à feuilles rouges : les chicorées rouges ont un limbe coloré de façon intense en rouge, de forme allongée ou ronde, à nervure centrale blanche. Ce sont - Chioggia : avec une pomme anthocyanée. La seule un peu répandue en France, elle est souvent appelée à tort Trévise. Elle est surtout consommée en 4e gamme. Les hybrides sont obtenus par allogamie préférentielle ; - Vérone : avec un port plus dressé, des feuilles plus allongées que celles de la Chioggia et une plus grande résistance au froid. Une pomme anthocyanée peut être obtenue après forçage ; -Trévise : proche du type Vérone mais de forme elliptique étroite, avec des feuilles plus longues, moins larges et plus dentées, une pomme plus pointue obtenue après forçage ; 2) les types à feuilles panachées : c'est un groupe à feuilles jaunes ou vert jaune sur lesquelles sont réparties des taches rouges ; avec notamment Variegato di Castelfranco et Variegato di Chioggia ; 3) Les types à feuilles vertes et à couper : ce groupe comprend des cultigroupes pour la consommation en frais des feuilles, par exemple la chicorée Pain de sucre ; pur un usage après cuisson des feuilles et des jeunes hampes florales, par exemple les Catalognes. Les chicorées industrielles ou à racines C'est la racine qui est consommée et on en distingue 2 types : a) Les chicorées à torréfier : les racines sont découpées en cossettes qui sont séchées, torréfiées puis concassées et donnent des < grains " de chicorée employés purs ou comme adjuvants du café ; b) Les chicorées à sucre : elles contiennent du fructose (haut pouvoir sucrant) et des polyfructosanes (inuline, ayant rôle de fibres alimentaires). Elles peuvent être aussi utilisées comme plantes fourragères (à pâturer). 3. le réseau " ressources génétiques chicorées " La conservation des ressources génétiques, bien que régulièrement évoquée, reste un domaine trop souvent délaissé. Devant cet état de fait et considérant que toutes les espèces ne pouvaient pas être menées de front, la section plantes potagères du Comité technique permanent de la sélection (CTPS) a proposé, fin 1992, la création d'un groupe de travail " ressources génétiques chicorées ". De nombreux aspects ont motivé ce choix : diversité de l'espèce, diversité écologique, diversité dans l'utilisation du produit, importance de la sélection nationale, rapide disparition des populations d'endive du Nord de la France, espèce peu ou pas conservée dans des structures déjà existantes. Plusieurs réunions ont eu lieu depuis cette date et il semble maintenant acquis que de nombreux intervenants de la filière, (obtenteurs, multiplicateurs, GEVES, INRA, interprofession, écoles d'horticulture, conservatoires régionaux...), regroupent leurs efforts et leurs bonnes volontés dans une structure en réseau, autour d'une charte définissant les devoirs et les droits de chaque participant mais précisant aussi les contraintes en matière de multiplication et de conservation des variétés. Après la réalisation d'un inventaire regroupant environ 600 variétés " distinctes ", le stade de la constitution proprement dite pourrait être effectif en fin d'année. Les premières évaluations variétales pourraient débuter dès 1995. Note (1) F. Boulineau : GEVES, unité expérimentale de Brion, domaine de La Boisselière, 49250 Beau fort?en?Vallir. V. Kelechian 1 et Claire Doré: INRA, station de Génétique et d'Amélioration des plantes, route de Saint?Cyr. 78286 Versailles.