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Mon meilleur ennemi
Author : Arnaud Hée
Date : 6 novembre 2007
Qu’on se le dise : Klaus Barbie n’est pas que le tristement célèbre « boucher de Lyon ». Il
sert aussi, par exemple, à formuler une considération plus générale, légitime mais ici peu
convaincante, sur la permanence du Mal et le réinvestissement de la violence de la Seconde
Guerre mondiale. À vrai dire, Mon meilleur ennemi exhale le volontarisme du documentaire
« coup de poing » : une tendance dont le cinéma et ses enjeux de représentation ne sortent
pas grandis.
Il est intéressant, en guise de préambule, d’émettre deux remarques à propos de Mon meilleur
ennemi. D’abord en mettant en valeur que ce film, à considérer comme étant français selon le
dossier de presse, est signé par l’Écossais Kevin Macdonald. Une manière sans doute de
décentrer le regard sur Klaus Barbie, qui polarise une part emblématique de la mémoire française
de la Deuxième Guerre mondiale : torture de Jean Moulin, signature de l’ordre de déportation des
44 enfants d’Izieu. En 1973, l’ouvrage tournant le dos au mythe gaullien d’une France unie et
résistante est venu des États-Unis. L’historien Robert Paxton, qui intervient à une courte reprise
dans le film, publiait La France de Vichy, mettant en valeur la collaboration active de l’État français
à la politique de déportation et d’extermination des juifs, ouvrant la voie en France à une
historiographie entièrement reconsidérée depuis. S’il est volontaire, ce décentrement semble bien
artificiel aujourd’hui, et, à vrai dire, un peu tarte. La deuxième remarque, nettement plus troublée,
concerne l’affiche du film. Dans sa partie supérieure se présente un drapeau des États-Unis où la
bannière sérieusement salie de piétinements est autant étoilée que gammée de croix. Chacun
appréciera le bon goût selon son degré d’anti-américanisme, mais le ton est donné, volontiers
polémique. En ce sens, on ne s’étonne pas de découvrir que la productrice Rita Dagher a
participé à la production de Fahrenheit 9/11.
S’extirper d’une vision franco-française, peut-être bien. Il s’agit en tout cas d’explorer le sillon
tracé par Klaus Barbie dans le tragique XXe siècle. D’abord le nazi précoce exalté et le boucher
de Lyon pendant la Deuxième Guerre mondiale. Puis l’agent anticommuniste en Allemagne
occupée pour le compte des services occidentaux à l’aube de la guerre froide avant de devenir
l’exilé bolivien intégré aux réseaux militaires locaux puis reconnecté ainsi à la CIA. Enfin, le retour
à la case Lyon et boucher, dans le prétoire. Une problématique, un peu trop visible, traverse ainsi
Mon meilleur ennemi. Comment les démocraties, par pragmatisme et intérêt, ont-elles délégué à
des spécialistes l’usage d’une violence, à leurs yeux nécessaire, pour se maintenir ? On devine
clairement les résonances contemporaines d’un tel questionnement. George W., entends-tu ?
Intervient donc ici la question du recyclage et des résonances actuels du Mal absolu dans nos
sociétés, après l’acmé de la Seconde Guerre mondiale. Sujet auquel le cinéma fait d’ailleurs
largement écho ces temps-ci selon des voies diverses, avec plus ou moins de réussite. Citons La
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Question humaine de Nicolas Klotz et le vertigineux Notre pain quotidien de Nikolaus Geyrhalter.
« L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ennemi », par cette formule, la réponse est ici énoncée
très tôt dans le film par l’historien et biographe Neal Ascherson. Et le moins qu’on puisse dire,
c’est qu’elle ne bouleverse pas notre vision du monde ni celle du XXe siècle et du suivant
naissant. Il est tellement plus simple et confortable d’imaginer une vaste conspiration plutôt que de
penser aux accumulations de choix politiques cyniques aux répercussions petites ou grandes, avec
l’opportunisme pour seul aiguillon. Le destin humain et individuel de Klaus Barbie, nazi jusqu’auboutiste, s’avère donc le prétexte d’une dénonciation sans grande force du fait qu’un « Axe du
Mal » (pas celui-là, l’autre) dominerait la destinée de la planète au-delà des impératifs
démocratiques.
La voie suivie par le réalisateur est rectiligne, dans la tradition BBC : avalanche d’entretiens et
pluie d’images d’archives, certaines s’avérant d’ailleurs étonnantes, notamment la partie
bolivienne, moins connue, notamment les réunions glaçantes des nostalgiques de l’hitlérisme qui
se verraient bien installer un 4e Reich andin. Mon meilleur ennemi se déploie comme une
implacable démonstration : ligne narrative très soignée, effets sonores et musicaux plus ou moins
élégants, cadrages et recadrages de photographies, montage serré. Bref, tout y est, rien ne
manque, et le spectateur n’est pas lâché d’une semelle, totalement pris en charge. Face à cette
armada bien ficelée, une grande faiblesse pointe : et l’image dans tout ça ? Totalement soumise
au récit, elle n’est jamais signalée ou questionnée quant à son statut, encore moins pour ellemême. Des procédés de brouillage peuvent tout à fait se justifier en raison d’un questionnement
particulier, ce n’est pas le cas en l’occurrence. Alors ces images… Sont-elles télévisuelles,
cinématographiques, amateurs ou journalistiques ? Issues d’un fonds public ou privé, des archives
de services de renseignements ? On n’en saura rien, ou si peu. Ce travail de signalement est fort
logiquement réalisé pour le son à plusieurs reprises, quant aux intervenants, on précise de qui il
s’agit. Il est évident qu’une certaine fluidité du récit est à assurer dans une telle entreprise, mais
peut-on pour autant se permettre l’économie d’une quelconque précision en la matière ? Surtout
lorsque l’on prétend agir au nom de l’histoire et de la mémoire. Contrairement aux autres
composantes du récit, l’image coulerait ainsi de source. Voilà le regrettable penchant d’une veine
documentaire qui privilégie le prêt-à-penser au détriment du donner à penser. Michael M., entendstu ?
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