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D’une crise de surproduction à une crise de sous-consommation
Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant à ce que seule une minorité d’économistes songe à
appréhender la crise sous l’angle de l’économie réelle. Pourtant, pour peu qu’on veuille bien
observer avec rigueur la situation, on constate que la tendance à la surproduction, propre aux
économies de marchés, joue un rôle prépondérant. En outre, une fois l’achat de biens de
consommation et d’investissement effectué respectivement par les ménages et les
propriétaires des moyens de production, une fraction des revenus n’est pas utilisée. Cette part
non employée des revenus, qui correspond à l’épargne, est mise de coté pour des motifs de
transaction, précaution et spéculation. Au fondement de la crise se trouve donc une évidence :
contrairement à ce qu’affirme-la « loi de Say » ce n’est pas « la production seule qui ouvre
des débouchés aux produits »
5
. L’offre ne crée pas entièrement sa propre demande. C’est
d’ailleurs cette prétendue loi, défendue également par Ricardo, qu’en son temps Sismondi
vilipendait : « Nous arrivons donc, comme M. Ricardo, à trouver qu’à la fin de la circulation,
si elle n’est nulle part arrêtée, la production aura créé une consommation ; mais c’est en
faisant abstraction du temps et de l’espace, comme le feraient les métaphysiciens allemands ;
c’est en faisant abstraction de tous les obstacles qui peuvent arrêter cette circulation. »
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.
Néanmoins le bon sens dicte qu’il n’y a jamais trop de maisons, trop de produits alimentaires,
trop de biens en général. La surproduction est donc relative. Elle résulte du fait que les
revenus des uns sont trop importants pour qu’ils soient entièrement dévoués à la
consommation, tandis que les revenus des autres ne leur permettent pas de faire face à leurs
besoins. C’est pourquoi, il est plus opportun de parler d’une crise de « sous-consommation ».
Le fait de parler de « sous-consommation » plutôt que de « surproduction » n’est pas qu’une
simple considération d’ordre sémantique. Cette modification de vocabulaire permet d’insister
sur le rôle de la demande et les effets négatifs de l’épargne dans le déclenchement des crises
comme l’illustre les écrits de Hobson et Mummery (partisans les plus célèbres des thèses de
la sous-consommation) : « Nous avons dessein de prouver […]qu’il peut y avoir une pratique
exagérée des habitudes d’épargne, qu’une telle pratique appauvrit la communauté, prive la
main d’œuvre de ses emplois, comprime les salaires et répand dans le monde des affaires le
marasme et le découragement connus sous le nom de crise économique […]. »
7
.
Le rôle de l’épargne est de rendre une certaine quantité de travail disponible, de constituer un
stock de travailleurs (une sorte d’armée de réserve) auprès des entrepreneurs désireux ou
susceptibles de développer une industrie. Or, par essence, en période de marasme
économique, un surplus conséquent de chômeurs est déjà disponible. Toute épargne
additionnelle est fondamentalement nuisible et n’apporte qu’une baisse supplémentaire de la
consommation que cherchent à compenser les institutions financières.
Le rôle de la finance et l’emballement du crédit
Les organismes financiers ont certes joué un rôle dans la diffusion de la crise mais
certainement pas dans son déclenchement. En outre – et même si elles n’en sont pas
nécessairement conscientes – les institutions financières s’opposent à cette tendance à la sous-
consommation. En collectant l’épargne disponible et en la mettant sous forme de prêts à
disposition des ménages aux revenus modestes (dont la part de la consommation dans le
5
Jean-Baptiste
Say, Lettres à M .Malthus. Lettre première : Que les produits ne s’achètent que par le moyen
d’autres produits, Cours d’économie politique et autres essais, GF-Flammarion, 1820, p. 225.
6
Jean de Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique ou de la richesse dans ses rapports avec la
population, volume II, Delaunay, 1824, p. 424.
7
John Atkinson Hobson et Albert Frederick Mummery, The physiology of industry, edition John Murray, 1889,
p. iv.