Comment réguler la finance mondiale

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Comment réguler la finance mondiale ?
Introduction : une bonne nouvelle en provenance de Suisse ?
I) La nécessaire régulation de l’épargne mondiale
1 Le problème de l’excès d’épargne
2 Les banques et la gestion de l’épargne
3 La difficulté du choix politique
II) Rendre la finance moins attractive
1 Limiter la rémunération des acteurs financiers
2 En revenir à la règle de Taylor
3 Produits structurés et cloisonnement des marchés
Conclusion : Doit-on croire au 2 Avril ?
Introduction : une bonne nouvelle en provenance de Suisse ?
La bonne nouvelle est le fait que pour la 1° fois depuis 1937,
une banque Suisse (UBS) accepte de lever une partie du
secret bancaire en révélant à la justice américaine le nom
de 250 à 300 titulaires de comptes, soupçonnés d’évasion
fiscale aux Etats-Unis.
Bien entendu UBS ne le fait pas de son plein gré : elle est
sous le double coup de poursuites judiciaires aux EtatsUnis et du paiement d’une amende « conséquente »
(autour de 780 millions $).
La justice américaine va plus loin : elle demande désormais
l’identité des titulaires de 52 000 comptes secrets qui
détiendraient pour plus de 15 milliards $ issus de la fraude
fiscale.
Cette nouvelle semble montrer la détermination de la
nouvelle administration américaine de lutter plus
efficacement contre les Paradis fiscaux, ce qui constitue un
pas important dans la régulation de la finance mondiale.
Il ne faut toutefois pas exagérer l’importance de cette
nouvelle pour trois raisons :
- d’abord parce que la levée de ce secret bancaire est
loin d’être acquise et restera de toute façon partielle.
- ensuite parce que la Suisse n’est pas (de loin s’en
faut) le seul Paradis fiscal. Et on pourrait peut-être
commencer nous, européens, (y compris français) à balayer
devant notre porte et donner l’exemple.
Voici une infographie très récente (Février 2009) qui
montre les Paradis fiscaux européens selon l’OCDE.
- enfin parce qu’il faut bien distinguer les « larrons »
et l’occasion : si on cherche à réguler les acteurs de la
finance mondiale (les « larrons ») sans parvenir à réguler les
occasions qui font qu’ils existent, on s’expose
inévitablement à la survenue rapide de nouveaux larrons et
de nouvelles crises.
La régulation de la finance mondiale ne peut donc pas
simplement se contenter d’édicter de nouvelles règles
(même si celles-ci sont nécessaires).
Elle doit aussi réguler les origines de cette finance
excessive, à savoir :
- l’excès d’épargne mondiale
- l’excès de rémunération de cette épargne
I) La nécessaire régulation de l’épargne mondiale
Aux origines de la crise financière mondiale, il y a bien
l’excès de liquidités financières, c’est-à-dire l’excès
d’épargne mondiale (voir « Alternatives économiques »
Hors série n° 80, 2° Trimestre 2009, pages 72-73)
Cet excès d’épargne a une double origine :
- les excédents financiers non utilisés par des pays
dont les échanges extérieurs sont très excédentaires et qui
ne « trouvent » pas l’opportunité d’un placement
suffisamment rémunérateur chez eux.
- les excédents de profits des acteurs particuliers
(entreprises à l’image de Total en France ou possesseurs
privés de capital financier).
L’épargne mondiale a donc gagné en peu de temps (5 ans)
5 points de PIB mondial, ce qui représente tout de même
2717 milliards de $ en plus, et elle représentait au début
2008 à peu près 14 945 milliards de $. (doc 1)
Le problème se double du fait que cette épargne générée
principalement par quelques pays seulement se dirige vers
un pays principalement : les Etats-Unis. (docs 2, 3 et 4).
On le sait, ceux-ci vivent à crédit, de même que le
Royaume-Uni, l’Espagne, l’Irlande….pays les plus exposés
actuellement à la crise mondiale.
La croissance de ces pays était pour l’essentiel « tirée » par
l’épargne des pays du sud, ce qui n’est ni sain (les pays
créditeurs pouvant retirer leurs fonds), ni vertueux (les pays
du sud ayant eux aussi leurs besoins sociaux à satisfaire).
2 Les banques et la gestion de l’épargne
Les banques du monde entier vont donc devoir assurer le
« transit » financier de cette épargne, ainsi que sa
rémunération, ce qui va les conduire à prendre des risques
inconsidérés.
Elles se trouvent en effet devant une contradiction :
- d’un coté l’excès d’épargne qui demande des
rendements financiers de plus en plus importants.
- de l’autre coté les emprunteurs qui demandent des
conditions de plus en plus avantageuses, à l’exemple des
crédits subprimes.
Les banques prêtent alors de plus en plus (doc 5) et de ce
fait leur bilan ne cesse de s’alourdir, puisqu’à chaque fois
qu’une banque prête, elle inscrit la créance à son actif et le
prêt accordé à son passif (puisque les emprunteurs peuvent
l’utiliser).
Pour répondre à la demande de rentabilité des placements
et à la demande de prêts en provenance des Etats-Unis
principalement, les banques ont alors titrisés leurs crédits,
ce qui leur permettait :
- d’obtenir de nouveaux fonds pour continuer à
prêter à des taux raisonnables.
- d’obtenir un rendement financier suffisant pour
continuer à drainer l’épargne mondiale.
Elles ont pris alors des risques qui ont fini par se
matérialiser au mois de Septembre, parce que tout ceci ne
reposait que sur la capacité de remboursement des
emprunteurs et sur la valeur des actifs achetés.
C’est donc bien au départ le besoin de recycler l’épargne
mondiale qui peut expliquer en partie les excès bancaires.
3 La difficulté du choix politique
Il semble donc illusoire de vouloir contrôler la finance
mondiale si on ne contrôle pas au préalable l’excès
d’épargne mondiale. Mais ceci passe par des choix
politiques difficiles :
- il faut en effet faire en sorte que les excédents
financiers des pays du sud se contractent ( ce qui suppose
qu’ils exportent moins et importent plus) et/ou que ces
excédents soient en priorité orientés vers les pays du sud
eux-mêmes pour leur développement. Les chinois sont-ils
prêts à l’accepter entre autre en réévaluant leur monnaie ?
- il faut ensuite que la croissance des pays anglosaxons ne soit pas assise prioritairement sur l’endettement
des ménages et des entreprises.
Cela suppose toute une série de réformes internes : en
particulier un meilleur partage de la valeur ajoutée
permettant aux ménages de financer par leurs propres
moyens, en partie, leurs achats (y compris immobiliers)
- d’où une 3° série de nécessités pour réguler la
finance mondiale : si les entreprises accumulent des profits
(en particulier en produisant dans les pays à bas coûts de
main d’œuvre) sans les redistribuer au moins en partie aux
salariés « internes » (à l’image de Total en France), le
problème des déséquilibres financiers restera posé.
La régulation de la finance mondiale ne peut donc pas
simplement passer par de nouveaux règlements, mais par
une diminution réelle du « stock » financier disponible.
Encore faut-il que la finance soit elle-même moins tentante
II) Rendre la finance moins attractive
Les déséquilibres épargne/emprunts doivent être corrigés.
Mais si les agents économiques ont le sentiment qu’ils ont
beaucoup plus à gagner dans l’économie financière que
dans l’économie réelle cette correction risque de rester
illusoire.
1 Limiter la rémunération des acteurs financiers
C’est un des points clé de l’actualité, des débats et de la
réglementation : le secteur de la finance a offert des
rémunérations mirobolantes à ses acteurs, les incitant ainsi
à prendre de plus en plus de risques pour gagner toujours
plus (les fameux bonus). De ce fait, elle a attiré nombre de
jeunes « talents » attirés par les rémunérations. La
comparaison avec 1929 est édifiante (doc 9)
On voit que dans les années 1920 comme dans les années
2000, la part des hauts diplômés dans la finance, ainsi que
l’écart de rémunération par rapport aux secteurs non
financiers étaient identiques.
Dans les deux cas, les mêmes causes produisent les mêmes
effets : détournement des talents, prises de risques, oubli
de l’économie réelle.
Une régulation de la finance passe donc par une régulation
des modes de financement des acteurs : limitation des
bonus et primes, encadrement des salaires.
Le point le plus essentiel est d’éviter que la rémunération
des traders (et leur avancement) soit essentiellement basée
sur leurs résultats, ce qui les pousse à des prises de risques,
risques qui seront ensuite assumés par les pouvoirs publics.
2 En revenir à la règle de Taylor
Si on souhaite réguler la finance mondiale, il ne faut pas
seulement limiter les gains de ceux qui y travaillent. Il faut
aussi limiter les espérances de gains des épargnants.
Le scandale Madoff a montré quels étaient les risques et les
dérives d’une espérance excessive.
Les pouvoirs publics disposent d’un instrument
économique qui permet de définir une rémunération que
l’on peut considérer comme normale d’un placement : il
s’agit de la règle de Taylor.
John B. Taylor est un économiste américain contemporain
(né en 1946) qui a travaillé sur les taux d’intérêts, pour les
rendre compatibles avec la croissance économique.
Selon sa règle, les taux des banques centrales doivent avoir
à la fois un objectif de croissance économique et un
objectif de lutte contre l’inflation.
En effet, des taux d’intérêts élevés réduisent la croissance
économique mais luttent contre l’inflation, et en sens
inverse une baisse des taux participe à la croissance mais
risque de déboucher sur de l’inflation.
On peut alors en déduire une règle simple : des taux
d’intérêts doivent être à peu prés égaux à la somme de la
croissance et de l’inflation. Si par exemple la croissance
économique est de 2% et l’inflation également, on peut
penser que les taux d’intérêts réels ne doivent pas dépasser
4%. Et ceci est également vrai pour les placements
financiers : il s’agit de leur rémunération que l’on peut
considérer comme « normale » (doc 10).
Les autorités financières peuvent donc disposer d’un
instrument relativement simple leur permettant de juger si
la rentabilité offerte de certains placements est
manifestement exorbitante.
Il leur reste alors à faire leur travail : rechercher s’il s’agit
d’un placement particulièrement judicieux ou d’une
« arnaque », alerter les différents acteurs sur les risques
encourus.
A titre de comparaison, on voit bien que la rentabilité
promise par les Hedge funds ne repose sur aucune réalité :
exemple en 2006 : alors que le rendement promis par les
Hedge funds était de 15% en moyenne, le simple bon sens
prévoyait 6% maximum.
Il y a donc bien là une régulation simple à obtenir.
On peut même sans doute aller plus loin en termes de
régulation : puisqu’on dispose d’un indicateur de
rentabilité « normale », les acteurs financiers qui prennent
des risques « anormaux » devraient être prévenus qu’ils ne
seront pas « secourus » en cas de pertes.
L’aléa moral (le risque que doit supporter tout spéculateur)
reprendrait ainsi tout son sens, puisqu’il serait justifié par
des considérations techniques dont les autorités monétaires
devraient se faire l’écho.
3 Produits structurés et cloisonnement des marchés
A l’origine « technique » (mais non économique) de la crise
financière, on trouve les fameux produits financiers
structurés, qui ne sont en fait qu’une forme de titrisation
particulière.
Comme des sandwichs, les produits structurés sont
composés de plusieurs tranches : une tranche d’actifs
« stables » (actions, obligations, valeurs immobilières…),
une tranche de produits plus spéculatifs : produits dérivés
en général.
Ces produits structurés sont censés répondre à la double
attente des épargnants : la sécurité des placements (actif
stable) et la rentabilité des placements (produits dérivés),
les uns et les autres se compensant.
Les produits structurés ont répondu à la logique de
décloisonnement des marchés : hier les marchés ne se
mélangeaient pas, aujourd’hui ils sont totalement
interpénétrés.
Mais ceci comporte alors un double risque :
- l’instabilité des produits dérivés se répercute sur les
actifs « réels », amplifiant leurs mouvements, que ce soit à
la hausse (« bulle spéculative ») mais aussi à la baisse : cas
actuel.
C’est ainsi que de la crise financière on est passé à la crise
boursière, avec des effondrements et des pertes
spectaculaires (docs 12 et 13) : la plupart des bourses ont
perdu en 2008 la moitié de leur valeur (les 2/3 pour la
bourse de Shanghai !!), ce qui représente pour New York
une perte de pratiquement 9000 milliards $ et pour Paris de
1500 milliards $.
- en sens inverse, la baisse de valeur des actifs agit
directement sur les produits dérivés : ceux-ci constituant
des engagements sur ces actifs doivent être honorés malgré
les pertes.
Par exemple, l’effondrement du secteur immobilier rend le
remboursement des dettes impossibles.
Mais ceux qui garantissaient le remboursement (au travers
des CDS : crédit défault swap) doivent alors assumer le
risque qu’ils ont accepté de couvrir, d’où leur propre faillite
(à l’image de l’assureur américain AIG, des sociétés de
crédits Fanny Mac et Freddy Mae…).
On se retrouve alors devant un véritable cercle vicieux : la
baisse de valeur des actifs coule les produits dérivés, la
faillite de ceux-ci précipite la chute des valeurs boursières,
qui a son tour coule les produits dérivés…
La régulation de la finance mondiale doit donc sans doute
en passer par le recloisonnement des marchés et la
limitation stricte des produits structurés.
Il faudrait ainsi retrouver des marchés spécialisés ou seuls
des acteurs connus, incontestables et contrôlés pourraient
opérer : marché d’actions, marché d’obligations, marchés
monétaires, marchés dérivés…avec interdiction d’agir sur
plusieurs marchés à la fois.
Cela permettrait d’en revenir à des rendements plus
« normaux », cela éviterait sans doute les promesses
mirobolantes des escrocs à la Madoff et cela permettrait
sans doute des contrôles plus efficaces dans la mesure où
on saurait à peu prés la composition de ce que l’on détient.
Mais il s’agit là encore d’une mesure politique plus que
technique ou économique qui viserait clairement à
remettre la finance à sa place : au service de l’économie
réelle et non l’inverse.
Conclusion : doit-on croire au 2 Avril ?
Ce jour là s’ouvre à Londres un nouveau sommet du G20
censé réguler la finance mondiale. Doit-on croire à son
efficacité ?
- d’un coté, on peut espérer que la peur soit pour une
fois
bonne conseillère, et que devant les risques
d’effondrement les gouvernements prennent enfin les
mesures adéquates : limitation voire interdiction des
Paradis fiscaux, rééquilibrage de l’épargne mondiale, ratios
prudentiels internationaux pour les banques, limitation des
rémunérations financières et des rendements des
placements, retour à un certain cloisonnement des
marchés…
La crise serait alors une bonne occasion de faire le ménage.
- mais d’un autre coté on peut aussi craindre que les
égoïsmes nationaux (à l’image de l’Union européenne) et
les a priori idéologiques l’emportent sur la réalité.
On se retrouverait alors devant des paroles creuses et de
bonnes promesses vides de sens, pour faire patienter en
attendant que la crise finisse par passer et que les affaires
reprennent.
Soyons optimistes : le nouveau Président américain n’a pas
l’air de porter les financiers dans son cœur, et on peut
espérer qu’il saura imposer des solutions plus radicales,
avec l’aide, pourquoi pas et pour une fois de la France.
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