Quel accompagnement psychologique pour les femmes

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DOSSIER THÉMATIQUE
Entretiens du Groupe Sein
Quel accompagnement
psychologique
pour les femmes
génétiquement prédisposées
au cancer du sein ?
Psychological counselling of women with genetic
predisposition to breast and ovarian cancers
S. Dolbeault*, A. Brédart**, C. Flahault**
L
* Institut Curie, Inserm U669 ; Université Paris-Sud et Université ParisDescartes, Paris.
** Institut Curie ; Université ParisDescartes, Paris.
a prise en charge des patientes en oncogénétique présente un certain nombre de caractéristiques qu’il est important de connaître
pour pouvoir appréhender le parcours de la femme
qui consulte et l’accompagner au fil des différentes
étapes qu’elle aura à franchir. En effet, il s’agit d’une
démarche délicate dans la mesure où, d’une part,
l’information qui y est délivrée est complexe, requiert
la compréhension de la notion de risque, et a des
implications lourdes, et, d’autre part, il s’agit d’une
information sensible pour la personne qui consulte,
mais aussi pour ses proches.
Les réactions psychologiques observées dans le
champ de l’oncogénétique se distribuent, comme
dans les autres domaines de la psycho-oncologie, sur
un continuum allant des réactions “normales”, telles
que tristesse ou anxiété latente, à des ­réactions de
décompensation psychopathologique sévère, telles
que l’épisode dépressif structuré ou de dépersonnalisation psychotique. On peut cependant citer
un certain nombre de réactions psychologiques
fréquemment observées chez la femme qui entreprend une démarche oncogénétique : préoccupations
anxieuses autour du cancer et du risque de cancer,
avec des moments critiques (par exemple lorsque
la femme atteint l’âge qu’avait sa mère au moment
du diagnostic de cancer), sentiment de vulnérabi-
386 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 8 - octobre 2008 lité (pouvant conduire à la surestimation de son
risque personnel), peur de la mort et des traitements
agressifs du cancer (souvent par identification aux
membres de la famille qui ont été traités ou qui
sont décédés des suites d’un cancer du sein ou de
l’ovaire), sentiment d’isolement et d’incompréhension de la part des proches pouvant entraîner un
comportement de repli social et affectif, culpabilité
de la transmission (“syndrome du survivant” chez
les femmes qui se révèlent indemnes, culpabilité
de transmettre la maladie aux enfants), mais aussi
honte ou colère, etc.
Il est essentiel d’identifier les états de détresse
significative. Outre la souffrance psychique – qui
ne sera prise en charge que si elle a fait l’objet d’une
évaluation préalable –, la situation de détresse peut
entraîner diverses difficultés supplémentaires lors
de la démarche oncogénétique : non-adhésion aux
procédures de surveillance médicale, difficultés
à prendre une décision et à assumer son rôle de
messager dans sa propre famille.
L’approche multidisciplinaire proposée dans ce
contexte a pour but de faciliter la compréhension du
risque de prédisposition génétique et des possibilités
de gestion médicale de ce risque, sans susciter une
anxiété inappropriée. Généticiens et cliniciens délivrent l’information de manière progressive, sachant
Résumé
La consultation d’oncogénétique est une situation très spéciale nécessitant une expertise multidisciplinaire. Le conseil
génétique a des répercussions multiples, comme l’identification d’une mutation prédisposant à une forte probabilité de
développer un cancer du sein ou de l’ovaire, la mise en place de mesures préventives allant de la surveillance étroite à
la chirurgie ou l’impact de l’information sur les autres membres de la famille, concernés également par le risque génétique. Cette démarche d’oncogénétique nécessite une approche multidisciplinaire impliquant les psycho-oncologues à
toutes les étapes de la procédure.
la difficulté de fournir une information complexe
dans un contexte émotionnellement chargé du fait
de l’histoire familiale ou personnelle. L’objectif de
cette communication est d’améliorer la perception
du risque de développer la maladie et la connaissance
des aspects génétiques pertinents dans ce contexte
sans accroissement de la détresse émotionnelle,
et en favorisant le choix éclairé entre différentes
options, tant au moment de la décision de procéder
à un test que lorsqu’il s’agit de faire face aux conséquences qui découlent du résultat.
Le modèle de la prise de décision médicale informée,
partagée entre clinicien et patient, s’applique tout
particulièrement à ce contexte. En effet, il répond
à une situation de choix entre plusieurs options :
choix d’effectuer ou non un test génétique, d’en
connaître ou non le résultat, de transmettre ou non
les informations reçues, immédiatement ou plus
tard, aux membres de la famille concernés ; choix,
enfin – et il s’agit sans doute de l’une des situations
décisionnelles les plus complexes –, d’opter pour
la simple surveillance ou bien pour une prévention
chirurgicale dans l’objectif de diminuer le risque de
développer un cancer.
Sur ces différents points, et en particulier lorsqu’une
incertitude existe quant au rapport bénéfice/risque
de chacune des alternatives de la décision, il est
essentiel d’impliquer le patient de manière étroite, en
l’aidant à révéler ses valeurs et ses préférences après
avoir vérifié sa bonne compréhension et élaboration
du choix à faire.
La démarche en oncogénétique doit relever d’un
processus pluridisciplinaire associant généticiens,
conseillers en génétique, oncologues, spécialistes
d’organes et psycho-oncologues, afin de mieux
répondre à ses trois dimensions principales : l’éducation (besoin d’information), l’aide à la décision et
le soutien psychologique (aide à l’adaptation). Des
échanges réguliers entre professionnels permettent
la mise en commun des informations et perceptions
en vue d’une meilleure compréhension globale des
attentes, des valeurs, des choix des consultants et
de leurs éventuelles difficultés psychologiques. Des
synthèses écrites figurent dans le dossier des consultants, permettant, là encore, la mise en commun des
informations et des points de vue recueillis par les
différents intervenants professionnels.
Ce processus se veut le garant d’une démarche visant
le respect de l’autonomie de la patiente dans sa
prise de décision.
Rôle du psycho-oncologue
Dans le contexte hautement spécifique de l’oncogénétique, le psycho-oncologue a un rôle très différent de celui qu’il assume dans une consultation de
psycho-oncologie “classique”. Loin de représenter le
traditionnel “psy” menant un entretien ouvert dont
l’objectif serait de favoriser l’expression spontanée
des besoins psychiques du patient et de tenter d’y
apporter une réponse avec ses outils spécifiques de
psychothérapeute, le psycho-oncologue assume,
dans le contexte de la démarche en oncogénétique,
un rôle plus spécifique et adapté à chaque cas.
Tout d’abord, il se prépare à cette consultation en
favorisant les échanges préalables avec l’équipe
d’onco­g énétique et en lisant attentivement le
dossier médical du patient, où figurent les observations issues de la première consultation avec
l’oncogénéticien.
Le premier entretien psycho-oncologique, qui a
souvent lieu durant la période de réflexion qui suit
la première rencontre avec le généticien, est l’occasion pour le consultant de faire le point sur sa
motivation à entreprendre la démarche génétique
et d’expliquer ce qu’il en attend. Il permet d’explorer
les représentations que le sujet a du cancer, notamment par rapport à son histoire familiale, souvent
chargée, ainsi que son niveau d’information mais
aussi d’intégration de l’information à l’issue de la
première consultation avec le généticien. Cet entretien aborde ensuite la façon dont le patient perçoit
le risque, sa capacité à anticiper le résultat du test,
son désir de transmettre les informations reçues à
sa famille et, plus globalement, la communication
au sein de la famille. Il évoque les conséquences
psychologiques de la situation de risque génétique,
de même que les éventuels risques de décompensation psycho­pathologique liés à cette situation.
Cette consultation aboutit parfois à la décision de
ne pas réaliser le test génétique, ou de le différer,
quitte à proposer un suivi psycho-oncologique plus
intensif pour préparer la démarche oncogénétique,
Mots-clés
Consultations
d’oncogénétique
BRCA1
BRCA2
Cancer du sein
Cancer de l’ovaire
Psycho-oncologues
Highlights
Cancer genetic counselling
represents a very special situation of interaction between
the geneticist and the counselee, marked by a number of
specificities that account for
its complexity. Cancer genetic
counselling has multiple repercussions, such as identification of a deleterious genetic
mutation associated with a
high probability of developing
breast and/or ovarian cancer,
the implementation of preventive measures ranging from
close surveillance to mutilating
surgical procedures, or the
impact of the information on
the other members of the counselee’s family also concerned
by the genetic risk. This counselling needs the expertise
and collaboration of psychooncologists and geneticists.
Keywords
Cancer genetics counselling
BRCA1
BRCA2
Breast cancer
Ovary cancer,
Psycho-oncologists
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DOSSIER THÉMATIQUE
Entretiens du Groupe Sein
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Quel accompagnement psychologique ?
immédiatement ou une fois la crise psychopathologique résolue, lorsqu’il s’agit d’un trouble adaptatif
jugé transitoire.
Lorsqu’une mutation est identifiée et que le sujet doit
envisager les différentes possibilités de surveillance
ou de chirurgie préventive, la consultation avec le
psycho-oncologue – obligatoire dans le cas d’une
décision de mastectomie prophylactique et fortement recommandée dans le cadre d’une décision
d’ovariectomie prophylactique – permet de peser les
avantages et les inconvénients de chaque option, de
vérifier la capacité du sujet à anticiper ses propres
réactions selon les différents scénarios et d’évoquer
les enjeux psychologiques pour lui-même comme
pour ses proches.
En effet, l’ensemble de la famille doit également
être pris en considération. Qui informe les autres
membres ou les motive à participer à la démarche ?
Quel est le mode de communication ou de relations
au sein de la famille ? Quelles sont les croyances et
les valeurs familiales à l’égard de la santé et de la
prise en charge médicale, curative et préventive ?
Les facteurs culturels peuvent également avoir leur
place, par exemple dans le vécu subjectif de l’expérience antérieure de la famille confrontée au cancer
et dans ses interactions avec le monde soignant. Le
partage ou la rétention de l’information sur la santé,
la maladie, la susceptibilité génétique peut parfois
être sous-tendu par le sentiment d’une pression de
la part des autres membres de la famille en faveur
du test. L’état de santé actuel des membres de la
famille et le statut des relations (divorce, mariage,
deuil) peuvent fournir des indications sur l’opportunité de réaliser le test ou, au contraire, de laisser
un délai de réflexion.
Il s’agit bien sûr d’entretiens longs, pouvant être
répétés et s’adaptant toujours à la problématique
du consultant au moment où le psycho-oncologue
le rencontre. L’expérience clinique nous conduit à
souligner les capacités adaptatives souvent surprenantes des femmes rencontrées et la rapidité avec
laquelle elles peuvent passer d’une étape à l’autre.
Ces éléments doivent rendre l’équipe multidisciplinaire attentive, en particulier devant certains profils
de patientes telles que les “très décidées”, “très
impatientes”, “très soumises” ou “très agressives”.
Dans la mesure où un certain nombre de décisions
prises dans ce contexte seront irréversibles, il est
de la plus haute importance que l’équipe pluridisciplinaire prenne le temps de la réflexion, avec
la patiente mais aussi en interne, privilégiant les
moments d’échanges coordonnés et le principe de
décision concertée.
Il s’agit là des modalités essentielles et incontournables qui feront la qualité de la prise en charge en
oncogénétique. En même temps, l’équipe gardera
en permanence à l’esprit la question qui doit guider
la décision : “Qu’en pense la patiente ?”
■
Pour en savoir plus...
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