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ALBERTCÉDAIRE
Comme Amélie da Costa, une
cantatrice célèbre. Elle a 26
ans ; lui en a 15. Elle vient le
chercher au lycée dans un fiacre tiré par
deux chevaux. Imaginez la scène! On
est en 1910. Depuis, ses condisciples
l’appellent «le roi Mystère».
Première d’une longue série de femmes
qui l’aiment à la folie, qu’il aime à les
écrire… Mais «A» comme Allergie, aussi.
Il en souffrira toute sa vie. Sa personna-
lité est allergique. Pour lui, n’importe qui,
n’importe quoi est un autre… Alors, les
femmes, plus encore!
Comme Bella, sa troisième
épouse, qui mit enfin un peu
d’ordre en son cœur, comme
Belle du Seigneur, le plus beau roman
d’amour en langue française, «le
chef d’œuvre absolu» écrit Joseph
Kessel. Paru en 1968, en pleine révo-
lution sexuelle, ce roman mûri durant
plus de trente ans, devient en quelques
mois le livre des amoureux. Il raconte
Solal et Ariane, pris au piège de la pas-
sion, à jamais, comme Roméo, comme
Béatrice, comme Tristan…
comme Corfou où Albert est né
et où il a passé ses premières
années. Corfou, qui devien-
dra, dans ses livres, l’île de Céphalonie
— sans doute «de sa tête». L’île de
Céphalonie existe, pourtant, à peine plus
grande que Corfou, mais plus proche
d’Ithaque, la patrie d’Ulysse.
Lorsque, devenu vieux, il
s’amuse d’une journaliste venue
l’interviewer, il lui confie que sa
profession est «Don Juan». Sans doute
la trouvait-il charmante. Maître en la
matière, dans Belle du Seigneur, il four-
nit, en expert, tout de même, les «dix
manèges du sale jeu de la séduction».
Alors D… comme Don Juan, bien sûr!
comme Einstein qu’il rencontra à
deux reprises au temps de la
Revue Juive. Albert l’écrivain
raconte Albert le savant. Ils déambulent
sur le quai Wilson, à Genève. Un enfant
fait une cabriole, se rate, tombe et éclate
de rire. Et Einstein rit de l’exact même
rire. Innocence du génie des sciences,
fixé au même stade que l’enfant, celui de
la chute sur les fesses et de l’éclat de rire.
Après le «petit abécédaire» en l'honneur de Romain Gary dont David Bellos nous a gratifiés
dans la Lettre de l'Odéon n° 10, voici celui que Tobie Nathan, non moins généreusement,
consacre à son cher Albert Cohen, auteur du «plus beau roman d'amour en langue française»...
Albert a vécu avec les femmes;
son être se nourrissant de leur
présence, de leur admiration, de
leur amour… Et son fantasme: «Oh, réu-
nir toutes les femmes de ma vie… dans
une villa louée exprès… et aller de l’une
à l’autre…» Raymond Aron, se deman-
dait comment cet homme discret, timide
et farouche avait fait pour si bien écrire la
volupté. F… pour Femmes, donc!
Les réalisateurs et les produc-
teurs rêvent d’adapter Belle du
Seigneur. Albert Cohen n’est
pas chaud, mais il est pauvre. Il consent
à la vente des droits. Catherine Deneuve
et Brigitte Bardot rêvent d’incarner
Ariane; Cohen verrait bien BHL dans le
rôle de Solal. Producteurs peu scrupu-
leux, contestations des ayants droit, les
choses trainent. En 1994, un jeune réali-
sateur brésilien, Glenio Bonder, réalise
un documentaire magnifique sur Albert
Cohen. La machine se met en marche. Il
faudra encore seize ans avant le début
du tournage. Et au début du montage,
Bonder, gravement malade, meurt sans
avoir vu achevée l’œuvre de sa vie. Alors
«G»… pour Glenio!
comme holocauste. À la fin du
XIXe siècle, il y avait environ
5000 juifs à Corfou. En 1940, il en
restait 2000. 1700 seront raflés par les
nazis. Les Mangeclous, les Saltiel, les
Salomon, Michaël et Mattathias, le valeu-
reux petit peuple des romans de Cohen
a disparu dans les fours d’Auschwitz.
Aujourd’hui, il reste une cinquantaine
de juifs à Corfou.
«I»… On sait peu qu’Albert Cohen fut
un militant passionné de la cause
sioniste. Il a fondé la Revue Juive en
1925, a travaillé au BIT de Genève à
promouvoir le sionisme dans les ins-
tances internationales, a collaboré
avec l’Agence juive pendant et après la
guerre. Mais lorsqu’en 1957 on lui pro-
pose le poste d’ambassadeur d’Israël, il
refuse. Alors I… comme Israël, où il ne
s’est jamais rendu de toute sa vie.
comme Juif. Car c’est sa princi-
pale question. Ses premiers textes
sont bibliques : Paroles juives,
Ézéchiel, La farce juive. Son rival y est
Moïse, peut-être même Dieu. Sans doute
est-ce aussi une provocation face à l’an-
tisémitisme ambiant… Dans la Déclara-
tion de la Revue, en des temps où il fallait
du courage, il écrit: «Nous aurons une
esthétique puisque nous sommes une
race. Une race est une idée faite chair.»
pour Joseph Kessel qui se bat
pour qu’on lui attribue le prix
Nobel de littérature. Se joignent
bientôt d’autres voix : Simone Veil,
François Mitterrand… Mais ce fut Saul
Bellow, puis Singer, puis Elias Canetti,
en 1981, l’année de la mort d’Albert. Au
mois de mai de cette année, il répond au
Nouvel Observateur : «j'ai quatre-vingt-
cinq ans et je vais mourir bientôt, dans
deux ans ou un an ou le mois prochain.
Mais que je suis heureux d'aimer ma
femme en ma vieillesse et d'être aimé par
elle en ma vieillesse… Oui, être aimé et
aimer à quatre-vingt-cinq ans et rire de
bonheur alors que je sais que je vais mou-
rir est ma seule réponse à votre lettre. Tout
le reste est poussière soulevée par le vent.»
comme Marcel Pagnol, bien
sûr, le condisciple des classes
élémentaires et du collège,
l’ami de toujours! Pagnol témoigne: «Il
a été mon meilleur ami et moi, j’ai été
son meilleur ami»… «Je suis Cohen», lui
disait Albert, c’est-à-dire prêtre. Alors,
j’ai le droit de bénir. Lorsque Pagnol était
ennuyé, dans la rue, n’importe où, Albert
étendait la main, les doigts séparés deux
par deux, et le bénissait. Sacré Albert!
Le contrepoint de ses «occiden-
tales passions», à Corfou, le 2
octobre 1894, Louise Judith Ferro,
fille du notaire royal, épouse Marco
Coen, négociant en savon. On l’a mariée
et elle a accepté. Puis, écrit Albert Cohen,
«… l’amour biblique est né.» L’amour
comme une nature; l’amour comme une
alliance contre la méchanceté du monde.
Plus d’ailleurs l’amour pour son fils que
pour son mari… Mais quelle différence?
Alors «L»… pour Louise; pour l’éternel
Livre de ma mère.
Robe de chambre à pois,
monocle et chapelet d’ambre…
Albert est un Oriental, dans son
être même. Pour lui, la vérité n’est pas
l’inverse de l’erreur ou du mensonge…
Octobre 1920, il quitte Genève pour
Alexandrie, laissant une jeune épouse
sur le point d’accoucher. En Égypte, il
peut enfin vivre son Orient, son Cher
Orient, titre du poème qu’il tirera de ce
voyage. Alors O… pour l’Oriental!
Albert Cohen n’écrivait pas ;
la plupart du temps, il dictait.
Il dictait ses livres à des femmes
qui l’admiraient, qui l’aimaient… Solal
a été dicté à Yvonne Imer ; Belle du
Seigneur à Bella… C’était la condition de
sa littérature. Peut-être aussi l’applica-
tion de sa neuvième règle de séduction…
«N»… pour «Neuvième manège, proche
du septième, la sexualité indirecte. Dès
la première rencontre, qu'elle te sente un
mâle devant la femelle.» Le machisme
solaire d’Albert Cohen…
Comme prophète qu’il se vou-
lait — rien de moins! Comme le
prophète que sa première
femme, Élisabeth, vit en lui lorsqu’elle
lut son premier livre: Paroles juives. «J’ai
compris ce que tu étais. Il n’y avait plus
de prophètes. Toi, tu es venu, leur frère
véritable, leur égal…»
pour «Quel monstre!» C’est le cri
que pousse François Nourissier
dans Les Nouvelles littéraires
du 12 septembre 1968 lorsqu’il reçoit
Belle du Seigneur. «Quel morceau ! Quel
monstre ! 845 pages, 32 francs et à peu
près autant d'heures de lecture que de
francs : on est terrorisé.» Il fut conquis…
comme Visions, un inédit
d’Albert Cohen, écrit juste après
le décès d’Élisabeth, sa pre-
mière épouse. Max Jacob l’a lu et a écrit:
«Vous avez la candeur du génie, la sim-
plicité du génie, les habiletés visibles du
génie… la timidité et l’audace du génie…»
Lorsqu’à la fin de sa vie, il a été ques-
tion de le publier, Albert s’y est opposé:
«C’est un fou qui a écrit cela». Après sa
mort, le manuscrit a été détruit.
Le crime du roi David. Il désire
Bethsabée, mais elle est mariée.
Il expédie au front son mari,
Urié le Hittite, et demande à son géné-
ral de se retirer pour l’abandonner seul
face à l’ennemi. Dans Belle du Seigneur,
Solal, le patron, expédie Adrien Deume
en mission à l’étranger. Pendant son
absence, il séduit Ariane, sa femme.
Deume ne meurt pas en voyage mais à
son retour, voyant Ariane lui échapper, il
se suicide. Alors «U» pour la référence
biblique: Urié!
comme Revue Juive. Le 15
janvier 1925, paraît le premier
numéro, édité par Gallimard.
Albert Cohen a 29 ans. Il en est le direc-
teur. Au comité de rédaction, rien moins
que Albert Einstein, Sigmund Freud,
Charles Gide (l’oncle), Haïm Weizmann
ou Martin Buber… Dans les premières
pages, la Déclaration d’Albert.
En 1940, réfugié à Londres,
Chaïm Weizmann, président
de l’Organisation sioniste
mondiale, en fait son représentant per-
sonnel auprès du gouvernement français
en exil. Mais le projet le plus audacieux du
rêveur amoureux, est celui d’une «légion
juive» de 400 000 hommes. S’il n’y avait eu
l’opposition des Anglais, Albert aurait pu
même être chef de guerre… Alors, «W»…
pour Weizmann!
comme Solal. Comment faire
autrement ? N’est-ce pas le
prénom récurrent des héros
d’Albert Cohen. Mais on ne peut que
tiquer: Cohen et Solal… Les deux noms
sont accolés, reliés par un trait d’union
dans le nom de famille «Cohen-Solal».
Solal n’est pas Cohen; il est son ombre.
Solal, en hébreu, du verbe lisslol, qui
signifie «aplanir la route». Laquelle trace
la route de l’autre, l’ombre ou la chair?
Quelle est la principale
activité d’un diplomate à la
Société des Nations, à Genève,
dans les années 30? «Faire des vents
enfantins avec les lèvres…» Cruauté
d’Albert Cohen envers la diplomatie inter-
nationale qu’il connut fort bien… «X»…
pour Chapitre X de Belle du Seigneur où
cette cruauté atteint son apogée.
Les écrivains cultivent une
«scène primitive», un événement
de l’enfance, figé en tableau,
érigé en mythe des origines. Celle
d’Albert Cohen est une humiliation, le
jour de ses dix ans. Il rentre de l’école,
s’arrête devant un camelot qu’il admire
et l’autre le regarde et le réduit à son
altérité: «Toi, tu es un sale Youpin, hein?
me dit le blond camelot aux fines mous-
taches que j’étais allé écouter avec foi
et tendresse à la sortie du lycée.» Alors
«T»… pour «Tu es un sale Youpin, hein ?
Je vois ça à ta gueule...»
Élisabeth avait une amie qui
lui ressemblait, une âme sœur.
Elle s’appelait Yvonne Imer. On
les disait jumelles. Durant la maladie
d’Élisabeth, Yvonne était si proche. Après
son décès, elle a consolé l’époux éploré.
Peu à peu est née une nouvelle passion
qui a permis à Albert de reprendre goût
à la vie. Solal, son premier roman a été
dicté à Yvonne, l’admirative amante.
Alors Y… comme Yvonne!
Pour finir, une devinette. Où
trouve-t-on l’éloge le plus
enflammé d’Albert Cohen? Dans
un journal allemand, paru à Berlin, le 12
mars 1933, quelques semaines après
l’élection d’Adolf Hitler. À propos de
Solal, qui venait d’être traduit, on peut lire
qu’Albert Cohen, dans des scènes dignes
de Richard III de Shakespeare, nous
révèle le véritable visage de l’homme.
Alors «Z»… pour Vossische Zeitung.
L’année suivante, le livre est interdit.
Tobie Nathan
Né au Caire en 1948,Tobie Nathan a poursuivi ses études en France. Psychologue, élève de Georges Devereux avec qui il a passé
sa thèse de doctorat, il a créé la première consultation d’ethnopsychiatrie, en 1979, à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Il a fondé en
1993 le Centre Georges Devereux d’aide psychologique aux familles migrantes, au sein de l’Université Paris 8, où il est professeur.
Diplomate, il a été Directeur du Bureau régional de l’Agence Universitaire de la Francophonie à Bujumbura, puis Conseiller culturel à
Tel-Aviv et à Conakry.Il a exposé ses travaux théoriques tout au long d’une vingtaine d’ouvrages dont:L’étranger ou le pari de l’autre
(Autrement 2014), Philtre d’amour (Odile Jacob, 2013), ou L’influence qui guérit (Odile Jacob, 1994). Romancier, il a publié Qui a tué
Arlozorff (Grasset 2010), Mon patient Sigmund Freud (Perrin 2006) et de nombreux romans policiers aux éditions Rivages — le der-
nier paru: Les nuits de Patience en 2013. Il est aussi l’auteur, avec Isabelle Stengers et Lucien Hounkpatin, d’une pièce de théâtre:
La damnation de Freud, jouée à Avignon en 2001 et à Bruxelles en 2004. Il a récemment rendu compte de son parcours dansEthno
roman(Grasset), couronné par le prix Femina de l’essai en 2012.
Daniel Loayza : Jean Paul Mongin,
les volumes des petits Platons dont
vous signez les textes proposent trois
lignes succinctes de présentation de
l'auteur qui ne sont jamais tout à fait
identiques d'un titre à l'autre. Et quand
on cherche à se renseigner sur inter-
net, on tombe parfois sur une «biogra-
phie secrète» plutôt inattendue...
Jean Paul Mongin : Qu'est-ce qu'on y
raconte?
D. L. : Que vous avez obtenu un DESS
de conseiller éditorial, travaillé pour le
Centre des Hautes Études Militaires,
puis pour une multinationale que vous
avez quittée en 2008... Et la philoso-
phie, dans tout ça?
J. P. M. : Ça alors!... Tout est exact
dans cette biographie, y compris les
omissions ! J'ai eu ce DESS, c'est
vrai. Je n'ai jamais tout à fait compris
quelle compétence on me reconnais-
sait comme «conseiller éditorial», mais
le jury me l'a accordé très gentiment.
Parallèlement, j'ai aussi passé un DEA
de philosophie sur l'historien de l'art
Aby Warburg. Auparavant, j'avais aussi
travaillé sur un néoplatonicien, Denys
l'Aréopagite...
D. L. : Vous avez eu un parcours à la
Houellebecq!
J. P. M. : Oui, mais le plus souvent, les
expériences que vivent les personnages
de Houellebecq ont une teinte glauque.
Cela n'a pas été le cas pour moi.
D. L. : Et comment ce chemin conduit-il à
la fondation d'une collection de livres de
philosophie pour les enfants?
Eh bien, à l'occasion d'un plan social, j'ai eu
la chance de me faire licencier! La marque
de shampoing sur laquelle je travaillais a
été une priorité pendant deux ans, jusqu'au
jour où elle a cessé de l'être... La marque
ayant été arrêtée, je me suis retrouvé
désœuvré. J'ai dû réfléchir à l'opportunité
de travailler à mon propre projet. Et là, j'ai
pensé à un catalogue pour les enfants... Il y
avait déjà une belle offre dans ce domaine,
qui aurait pu me décourager. Mais tous les
titres proposés avaient une approche thé-
matique: qu'est-ce que le bonheur? A-t-
on le droit de ne pas aimer aller à l'école?...
Il s'agissait toujours de traiter des ques-
tions. Ce qui présuppose que parmi les
questions qu'on se pose, certaines sont
philosophiques et d'autres non... Ce qui
est sûr, c'est qu'il y a une histoire de la
philosophie. Je me suis donc demandé:
pourquoi ne pas parler de Descartes, de
Kant, de Socrate à des enfants, d'une
façon qui ne serait pas uniquement bio-
graphique, de façon à restituer la saveur
d'un univers philosophique? Pour moi, il
était évident qu'il fallait raconter la philo-
sophie en partant des fictions que les phi-
losophes eux-mêmes ont produites. Dès
Platon, le discours philosophique ne cesse
de passer d'une modalité dialectique à une
modalité fictionnelle.
D. L. : Les fameux «mythes»...
J. P. M. : Oui. Ces mythes ne sont pas là
pour faire joli. En termes kantiens, il sont
le lieu où la raison confie à l'imagination
le soin de proposer des conjectures. Le
mythe de la caverne, chez Platon, est
comme un conte: c'est une histoire for-
midable pour des enfants, et en même
temps il leur permet de saisir ce qu'est
une théorie de la connaissance. De
même, le malin génie, chez Descartes,
permet de penser le doute hyperbolique,
mais il est aussi la figure d'une histoire
qu'on peut raconter.
D. L. : L'identité visuelle de la collection
est d'une qualité remarquable...
J. P. M. : Je n'avais aucun regard par rap-
port à l'illustration contemporaine, c'est
tout un monde auquel il a fallu qu'on
m'initie. J'avais une connaissance qui
dessinait bien, je lui ai proposé de s'y
mettre, et nous avons appris chemin
faisant. Les premiers essais étaient à
l'ancienne, très représentatifs... Après
avoir péniblement accouché d'un pre-
mier titre, et avec l'aide d'une amie qui
a un œil très acéré, y compris en matière
typographique, nous avons réuni des
illustrateurs qui savent que le dessin
d'idées consiste à suggérer et à animer
plutôt qu'à paraphraser. Aujourd'hui,
nous en sommes au vingt-quatrième
titre, et nous sommes traduits dans plu-
sieurs langues...
D. L. : Comment envisagez-vous la
suite?
J. P. M. : Dans l'immédiat, il y a trois
choses. À titre personnel, je compte bien
continuer à écrire des «petits Platons».
L'exercice consistant à passer du concept
à l'imagination est difficile et très salu-
taire. Sortir de l'abstraction pour mieux
la retrouver et l'éclairer, cela demande
un certain tact d'écriture. Un philo-
sophe n'en est pas forcément pourvu...
Moi-même, j'ai un mal, vous n'imaginez
pas !... Ensuite, comme éditeur, mon
ambition est de donner la parole à des
gens bien plus qualifiés que moi. Nous fai
-
sons appel à de vrais spécialistes, sou-
cieux de fidélité à la pensée de l'auteur.
J'aime aider ces grands intellectuels à
trouver l'approche et le ton justes. Et le
troisième point concerne la diffusion de la
philosophie dans l'école et hors d'elle. Je
n'ai pas oublié quel traumatisme l'institu-
tion scolaire a été pour moi. Je ne m'ima-
ginais pas du tout que je travaillerais un
jour sur des contenus scolaires. Je m'in-
téresse d'autant plus, aujourd'hui, aux
questions d'éducation. Le fait de pouvoir
lire nos livres à mes propres enfants m'a
amené à formuler les choses autrement!
De nombreux enseignants nous ont
demandé de mettre au point des conte-
nus pédagogiques, d'organiser des ren-
contres... Nous avons déjà mis en place
des actions communes avec différents
partenaires, dont l'Odéon. Nous travail-
lons notamment à Sarcelles avec Chiara
Pastorini et Chantal Ahounou, qui a orga-
nisé un atelier philosophique avec des
enfants dits «décrocheurs»*. Ce sera l'oc-
casion de montrer, si besoin est, qu'il n'y
a rien de plus concret que la philosophie.
* Lire les articles pp. 12-13
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, le 16 octobre 2014
PETITS PLATONS
DEVIENDRONT GRANDS
Fondateur des petits Platons, livres de philosophie pour enfants que leurs parents sont souvent les premiers à lire,
Jean Paul Mongin a eu un parcours à la Houellebecq «moins le côté glauque», passant de l'étude du néoplatonisme puis d'un
DEA sur Aby Warburg à la vente de shampoings en grande surface... et retour ! Comment passe-t-on de Denys l'Aréopagite
à l'adaptation de Kant pour les plus jeunes ? Réponse ci-dessous à cette question et à quelques autres !
salon Roger Blin
LES PETITS PLATONS
À L'ODÉON à partir de 8 ans
La mort du divin Socrate
samedi 24 janvier / 15h
avec Jean Paul Mongin
Érasme
et le grelot de la folie
samedi 7 février / 15h
avec Claude-Henri Rocquet
À TOUS CEUX QUI AIMENT LIRE
Libraire-gérant de l'Atelier (2 bis, rue du Jourdain, dans le 20e arrondissement), Georges-
Marc Habib est aussi directeur de la publication de PAGE des libraires. Pour ce lecteur aux
convictions communicatives, les vraies librairies, comme les théâtres, sont des lieux d'échange
culturel irremplaçables et bien vivants. Rencontre avec un artisan passionné de la rencontre
et du partage.
PAGE des libraires, qu'est-ce que c'est
exactement?
PAGE des libraires est une revue qui
a été fondée par mon père il y a tout
juste un quart de siècle. Je suis moi-
même libraire depuis vingt-trois ans,
et j'ai hérité de la passion paternelle.
C'est une publication qui est aussi
un réseau de rencontre et d'échange
entre amoureux des livres: lecteurs et
libraires indépendants – je veux parler
d'indépendance de pensée et d'esprit
plus que d'indépendance économique.
Comme son nom l'indique, le réseau
PAGE des libraires fédère des per-
sonnes de chair et de sang, et qui ont
le métier dans la peau.
Ce métier, comment le voyez-vous?
La base, c'est l'amour des livres, le
plaisir de les lire, de les défendre,
de les faire découvrir à d'autres. Le
libraire partage avec ses clients le
goût de la lecture. Il a vocation à pas-
ser du temps avec eux : une vraie
librairie est un commerce de proxi-
mité. Elle souffre donc des difficul-
tés qui frappent actuellement ce type
d'activité. Dans tous les domaines, la
tendance est à la disparition des com-
merces indépendants, remplacés par
des franchises de grandes chaînes.
On retrouve partout les mêmes vête-
ments, les mêmes offres de service...
Et pourtant, quand elle n'est pas
assommée par des loyers ou des
charges excessifs, la librairie résiste
relativement bien. Aujourd'hui, les
librairies sont devenues de vrais lieux
de vie culturels, dédicaces, débats
et un accès direct aux ouvrages...
Comme au théâtre, rien ne remplace
la rencontre réelle, le face-à-face.
Aucune librairie ne peut plus se per-
mettre de n'être qu'un simple lieu de
distribution.
PAGE est donc aussi une manière de
promouvoir le métier de libraire?
Pour nous, évidemment, PAGE est
inséparable d'une certaine concep-
tion du travail du libraire. Mais le but
n'est pas de partager des points de
vue sur le métier: il est tout simple-
ment de l'exercer pleinement. Nous
ne nous adressons pas aux confrères
comme tels, mais à tous ceux qui
aiment lire. Notre geste de résistance,
c'est l'amour du livre. D'où l'idée de
montrer aux clients que les libraires
ne font pas leur métier par hasard, et
qu'ils sont bien plus que des relais pas-
sifs de distribution.
Qui sont les collaborateurs de PAGE?
Un millier de libraires passionnés tra-
vaillant dans toute la France, prêts
à conseiller, à discuter, à orienter.
ci-dessus :
couvertures issues de la collection
«Les petits Platons»
photographies des librairies :
Le Genre urbain (20e), Millepages
et Millepages Jeunesse (Vincennes)
Grande salle
EXILS
présenté par Paula Jacques
Albert Cohen / Tobie Nathan
lundi 19 janvier / 20h
textes lus par Bruno Abraham-Kremer
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La France
compte environ
15000
commerces
de livres,
(dont 3000 sont
entièrement dédiés
au livre). C'est le
plus dense réseau
de librairies au
monde. Une librai-
rie pour 22000
habitants.
La France est le
seul pays
européen a
avoir une poli
-
tique d'aide aux
librairies.