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anton tchekhov / luc bondy
OD ON
tchekhov
ou l'invention
d'un monde
I V A NLettre
O V N 13
o
les bibliothèques de l'odéon
albertcédaire
d'albert cohen
le décrochage scolaire
remettre la vie
dans le bon sens
Odéon-Théâtre de l’Europe
janvier 2015
2
sommaire
p. 2 à 6 et p. 11
tchekhov
ou l'invention
d'un monde
Ivanov
Anton Tchekhov / Luc Bondy
Tchekhov
ou l'invention
d'un monde
3
Son Tchekhov, Luc Bondy le place sans hésiter entre Shakespeare et Beckett. La «petite
musique» ou l'«atmosphère» tchékhoviennes ne doivent pas faire oublier l'essentiel : dans ses
pièces, c'est tout un monde qui se déploie. Une semaine après avoir réuni, salle Serreau, la
distribution de son Ivanov au grand complet pour une toute première lecture, le directeur de
l'Odéon nous parle de sa passion pour Tchekhov, mort à 44 ans et qui «toute sa vie sera resté
un jeune auteur».
Daniel Loayza : à quand remonte votre
intérêt pour Tchekhov ?
Luc Bondy : J’avais monté Platonov à
Berlin en 1978 et à vrai dire, c’était plutôt un désastre… Il y a déjà tout son
théâtre dans cette pièce-là, ce qui ne
veut pas forcément dire que ce soit par
elle qu'il faut commencer ! J'ai attendu
2002 pour mettre en scène La Mouette,
et là, les Russes m'ont décerné le prestigieux prix Stanislavski. Je suis allé à
Moscou. De là j'ai fait le voyage jusqu'à
Mélikhovo, un petit village à une heure
de la capitale. C’était plutôt impressionnant de se rendre là-bas. C'est un lieu paisible où Tchekhov a fait construire des
écoles et une petite maison, celle où il a
écrit La Mouette. Quand on s’approche
aujourd’hui de Mélikhovo, le lac et ses
abords sont jonchés de milliers de sacs
en plastique. Un endroit idyllique dans un
paysage cauchemardesque, apocalyptique. Deux visions contradictoires. La
sensation qu'elles provoquent explique
la fascination qu’éprouvent les gens de
théâtre pour Tchekhov.
entretien avec Luc bondy
p. 7 à 10
les bibliothèques
de l’odéon
albertcédaire
d'Albert Cohen
petits platons
deviendront grands
Les petits Platons
à tous ceux qui aiment lire
p. 12 à 13
remettre la vie
dans le bon sens
trois questions à
Chantal Ahounou
une pédagogie de la question
D. L. : Comment décririez-vous cette
sensation ?
agir dès les premières failles
L. B. : Alors qu'on parle d'«univers
shakespearien» ou de «monde beckettien», pour Tchekhov, on se contente trop
souvent d'invoquer une certaine «atmosphère tchékhovienne». Cela suggère que
p. 14
la musique
et ses publics
AVANTAGES ABONNÉS
Ce qu'on
appelle
aujourd'hui
un burn-out.
Invitations et tarifs préférentiels
p. 15
ACHETER ET RÉSERVER
SES PLACES
p. 16
SOUTENEZ LA CRÉATION
THÉÂTRALE
LE CERCLE DE L'ODÉON
Tchekhov serait un inventeur moins puissant, que sa création serait en quelque
sorte plus légère. C'est totalement faux.
Tchekhov, c'est aussi tout un cosmos, où
s'unissent le no man's land beckettien et
la lande shakespearienne, avec ses cris
et ses sanglots. Tchekhov s’approche
d’un monde beckettien, un monde du
début ou de la fin. Il est la résultante
d’un monde classique ou baroque soudainement mis à nu. Une querelle de
ménage devant un verger au clair de lune
devient aussi déchirante qu’une scène de
Shakespeare. Les élucubrations ivres de
Chabelski dans l’orphelinat d’Ivanov font
penser au fou du Roi Lear, voire à Lear
lui-même, et annoncent en même temps
la naissance d’Estragon et Vladimir. Le
génie de Tchekhov lui a permis de créer
des personnages que personne d'autre
n'aurait pu imaginer. Qui d'autre pouvait
inventer Nina ou les trois sœurs ? Et ces
personnages, il les rend éternels plutôt
qu’épisodiques et littéraires. Ils ne sont
pas examinés seulement à travers une
loupe passéiste. Ce sont des êtres qui
ont existé et qui vont exister. Ils regardent
le passé tout en étant plongés dans un
monde que nous ne connaissons pas
encore.
D. L. : Est-ce qu'Ivanov est une pièce qui
pose des problèmes particuliers ?
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#Ivanov
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L. B. : Pour un metteur en scène, la
grande difficulté, c'est qu'il n'y a pas un
Ivanov mais deux, celui de la création à
Moscou en 1887 et celui de la recréation
à Saint-Pétersbourg en 1889. Tchekhov a
retouché sa pièce pour répondre à deux
critiques. La première portait sur l'étrangeté du caractère d'Ivanov. La deuxième,
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Luc Bondy © Thierry Depagne (détail)
sur sa curieuse façon de mourir. En 1887,
le héros succombe sans un mot. En 1889,
Tchekhov propose un second Ivanov
beaucoup plus explicatif. Il donne des
clefs sur la négativité et la dépression de
son héros. Cet Ivanov-là, c'est celui qui se
tire une balle dans la tête. Il a largement
inspiré la lecture que fait Léon Chestov
de l'œuvre de Tchekhov : l'homme, parvenu à un certain degré de lucidité, n'a
pas d'autre ressource que de se taper la
tête contre les murs. L'interprétation de
Chestov est fascinante. Mais plus
j'avance dans le travail, plus j'y réfléchis,
et plus cette lecture me pose de problèmes. Après tout, Tchekhov avait qualifié sa première version de «comédie».
D. L. : Et les femmes ?
L. B. : Tchekhov était très fier de ses
rôles féminins ! Zinaïda, la femme de
Lébédev, est une sorte de madame
Harpagon. La seule idée de dépenser
la terrifie. Quand Ivanov lui demande
un délai pour rembourser ses dettes,
elle est prise d'une sorte de panique...
C'est très bien vu et très féroce ! Sa
fille Sacha, on pourrait croire qu'elle
est faite pour Ivanov. Elle est aussi une
jeune personne plutôt ordinaire. Elle
rêve d'une passion romanesque mais
au bout d'un an, elle n'en peut plus de
son fiancé...
D. L. : Comment voyez-vous le personnage principal ?
D. L. : Il y a aussi une intrigue secondaire : la petite comédie nuptiale que
Borkine essaie d'organiser...
L. B. : C'est une sorte d'«homme de trop»,
comme disaient les Russes de l'époque.
à trente-cinq ans, il dit déjà non à la vie.
Il avait pourtant beaucoup à faire, il s'intéressait à la gestion rationnelle de ses
domaines, à l'instruction des enfants des
environs, comme Tchekhov lui-même à
Mélikhovo – et tout à coup, il traverse une
crise, ce qu'on appellerait aujourd'hui un
burn-out. Il ne croit plus en lui-même, il
ne croit plus en l'amour. Il ne comprend
pas ce qui lui arrive. Et pourtant, c'est
autour de cet être psychiquement épuisé,
presque amorphe, que Tchekhov organise sa pièce.
L. B. : C'est une des deux grandes
leçons que Tchekhov a retenues de
Shakespeare. La première, c'est qu'un
personnage, par exemple Ivanov, n'a
pas besoin d'être tout à fait compréhensible pour être intéressant – c'est
même plutôt le contraire. La deuxième,
c'est l'art de soutenir l'action principale par un contrepoint. Là aussi, il y
a de belles figures : Babakina, la riche
veuve d'un commerçant qui rêve de
devenir comtesse, et Avdotia, entremetteuse depuis trois générations.
Elle a l'air sortie d'un conte populaire
russe !
D. L. : De quelle façon ?
D. L. : Comment voyez-vous le mouvement d'ensemble de la pièce ?
L. B. : D'abord, il y a sa femme. Sarah est
d'origine juive, et c'est très important.
Elle s'est convertie au christianisme par
amour pour Ivanov et pris le nom d'Anna
Petrovna. Ivanov pouvait espérer qu'Anna
aurait une belle dot, mais elle est reniée
par ses parents qui ne lui pardonnent
pas sa conversion. Ivanov ne touche
donc pas un sou. Est-ce qu'il a vraiment
épousé Anna par calcul ? Pratiquement
tout le monde le croit ou fait semblant
de le croire, dans cette petite société
provinciale où tous se connaissent... Il
le sait sans doute et il en souffre. L'antisémitisme alimente les ragots et fournit un prétexte pour parler tout le temps
d'Ivanov sans admettre qu'en fait, on est
fasciné par lui.
D. L. : Comment les autres personnages
tournent-ils autour de lui ?
L. B. : Ils ont tous quelque chose à lui
demander. Il y a Lébédev, le propriétaire
foncier alcoolique et sentimental qui
prête de l'argent dans le dos de sa femme
Zinaïda. Lui a démissionné, il a fui dans
son alcoolisme, et il voudrait qu'Ivanov
vive à sa place. Il y a Borkine, l'intendant
brutal, l'homme d'affaires boute-en-train,
jamais à court d'idées pour gagner de
l'argent de façon douteuse. Il souhaite
qu'Ivanov lui donne des moyens ou au
moins qu'il lui laisse les mains libres. Il
y a Chabelski, l'oncle d'Ivanov, un personnage étrange, déjà beckettien, un
mélange d'aristocrate et de clochard, un
pique-assiette distingué. Il n'en peut plus
de payer son séjour chez son neveu en
étant condamné à rester enfermé avec
Anna Petrovna pour lui tenir compagnie. Et puis il y a le jeune docteur Lvov,
l'adversaire d'Ivanov. C'est le type même
de personnage que Tchekhov détestait, un homme à principes et à bonne
conscience. Il critique sans cesse Ivanov
pour sa manière de vivre, sa conception
de l'amour, son laisser-aller. Lui-même
est sans doute amoureux d'Anna
Petrovna, mais s'il l'est, il est de toute
façon trop rigide pour oser se l'avouer.
L. B. : Tchekhov a écrit ses quatre
actes comme autant de nouvelles.
Chaque fin d'acte est accentuée par
une situation très forte, très surprenante. Au premier acte, Ivanov part à
la fête d'anniversaire de Sacha en laissant sa femme toute seule. Ce n'est
pas la première fois. Mais ce soir-là,
brusquement, Anna Petrovna décide
de le rejoindre là-bas, et on sent
que c'est dangereux. Au deuxième
acte, Anna Petrovna arrive chez les
Lébédev et surprend son mari dans
les bras de Sacha, juste à l'instant où
il commençait à croire qu'il pourrait
recommencer une vie nouvelle. Quinze
jours après, au troisième acte, Anna
sait que Sacha est venue voir Ivanov.
Cette visite provoque une dispute horrible entre les époux. C'est tellement
atroce qu'Ivanov finit par la traiter de
«sale Juive», puis lui révèle qu'elle va
mourir bientôt. Au quatrième acte, il
Tchekhov
était très fier
de ses rôles
féminins.
y a un an qu'elle est morte. Et c'est là
qu'il faut faire son choix : ou bien le
suicide dramatique, ou bien cette fin
si originale.
D. L. : Alors, de quoi meurt Ivanov ?
L. B. : Pour moi, c'est encore ouvert.
Mais je ne suis pas tellement adepte
du suicide. Le deuxième Ivanov, avec
son coup de pistolet, c'est comme un
point final très abrupt qui s'impose
à l'action. C'est comme si Tchekhov
s'était dit : puisque le public a besoin
d'une sorte de résolution, on va la lui
servir ! Mais c'est un coup de force.
Tandis que dans la première version
le personnage s'éteint. Il finit et c'est
tout. Nous sommes déjà très proches
de Beckett. Un personnage qui se suicide, c'est psychologique. Un personnage qui finit, c'est ontologique !
16 janvier – 28 février
8 – 29 avril 2015
Odéon 6e D. L. : Qu'est-ce donc qui le tue dans la
version de 1887 : l'insulte de Lvov ?
texte
Anton Tchekhov
mise en scène
Luc Bondy
création
L. B. : Une sorte d'épuisement mortel. Cela ne s'explique pas par l'apathie.
Ivanov n'est pas un personnage «oblomovien». Il succombe plutôt par excès
d'intelligence. C'est comme s'il s'était
radiographié lui-même et s'était brûlé
en le faisant. Sa lucidité a détruit tout ce
qui est du côté de la vie. Mais personne
ne s'aperçoit qu'il meurt. Tout à coup il
n'est plus là, il s'est pour ainsi dire effacé,
éclipsé hors du monde. Quand les autres
s'en aperçoivent et le cherchent, c'est
trop tard... Cette fin est vraiment difficile
à régler. Mais le reste de l'acte va nous
aider à faire les choix. Les réponses à ces
questions-là viennent du plateau, dans le
travail avec les comédiens. Je veux que
ce soit un pandémonium, un finale cauchemardesque, infernal, comme si tous
les personnages se décomposaient sous
l'effet de la vodka. Comme si la musique,
au milieu de l'acte, quittait l'harmonie classique pour devenir du Webern
ou de l'Alban Berg. Jusqu'à cette fin si
anti-théâtrale, si audacieuse. Je la sens
comme un arrêt sur image de la situation.
D. L. : Un mot de conclusion, à ce stade
du travail ?
L. B. : Toute sa vie, Tchekhov est resté
un jeune auteur. Il est mort à 44 ans ! Il
avait le génie des individus, des singularités, et cette fraîcheur-là, il l'a gardée
jusqu'au bout. Il est toujours capable
d'accueillir les contradictions de ses
personnages. Il ne part jamais de thèses
qu'il faudrait illustrer. Il sait faire coexister tous les points de vue. Il veut certainement qu'on donne raison à Ivanov contre
Lvov, mais cela ne veut pas dire que Lvov
se trompe complètement. Ce serait trop
facile. Tchekhov est un auteur assez puissant pour remettre en cause des figures
comme le justicier et la victime. Dans un
théâtre plus classique, quand les personnages ne détiennent qu'une partie de la
vérité, c'est au spectateur qu'il appartient
de faire la synthèse, depuis l'extérieur,
dialectiquement. Mais avec Tchekhov,
comme chez Shakespeare, ce point de
vue «extérieur» est également porté à la
scène. Il est inclus dedans. à un moment,
Ivanov dit au docteur que lui, Lvov, du
dehors, le comprend peut-être mieux
que lui-même, Ivanov, ne peut se comprendre de l'intérieur. Mais sur ce point,
Ivanov fait erreur, car l'observateur extérieur se trompe, lui aussi. Et c'est pareil
pour nous autres spectateurs. Nous qui
sommes au-dehors, il n'est pas sûr que
nous comprenions les personnages plus
ni mieux qu'ils ne se comprennent euxmêmes. Nous sommes de plain-pied
avec eux. Nous sommes exactement la
même humanité.
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, le 28 octobre 2014
IVANOV
version scénique
Macha Zonina
Daniel Loayza
Luc Bondy
d'après la première version d'Anton Tchekhov
et la traduction d'Antoine Vitez
décor
Richard Peduzzi
costumes
Moidele Bickel
lumières
Bertrand Couderc
musique
Martin Schütz
maquillages / coiffures
Cécile Kretschmar
collaborateur artistique
à la mise en scène
Jean-Romain Vesperini
conseiller artistique
Geoffrey Layton
avec
Marcel Bozonnet
Christiane Cohendy
Victoire Du Bois
Ariel Garcia Valdès
Laurent Grévill
Marina Hands
Coco König
Yannik Landrein
Roch Leibovici
Micha Lescot
Chantal Neuwirth
Nicolas Peduzzi
Missia Piccoli
Fred Ulysse
Marie Vialle
(distribution en cours)
production
Odéon-Théâtre de l’Europe
créé le
16 janvier 2015 à l'Odéon-Théâtre de l’Europe
cinéma
en partenariat avec le Nouvel Odéon
Carte blanche à Luc Bondy
programme précisé ultérieurement :
nouvelodeon.com
theatre-odeon.eu
4
5
Apprendre
à aimer
l'irréversible
entretien avec étienne Klein
à l'occasion de la création de Luc Bondy à l'Odéon, étienne Klein, physicien au CEA, professeur à
l'école centrale et spécialiste de la question du temps en physique, a bien voulu se prêter avec nous
à un jeu inédit : découvrir trois extraits de la correspondance de Tchekhov et engager librement
la conversation autour d'Ivanov à partir des réflexions impromptues qu'ils pourraient lui inspirer.
I. Lettre de Tchekhov à Grigorovitch,
5 février 1888 (Tout ce que Tchekhov
a voulu dire sur le théâtre, trad.
Catherine Hoden, L'Arche, 2007, p. 75)
Toute l'énergie de l'artiste doit être
dirigée vers deux forces : l'homme
et la nature. D'une part la faiblesse
physique, la nervosité, la maturité
sexuelle précoce, la soif passionnée
de vie et de vérité, les rêves d'une
action large comme la steppe […] ;
d'autre part la plaine infinie, le climat rigoureux, le peuple gris, rude
avec son histoire dure et froide […].
La vie russe oppresse l'homme russe à
tel point qu'il disparaît sans laisser de trace, elle l'oppresse comme le
ferait une pierre de 1000 pouds [environ 16 tonnes]. En Europe occidentale, les gens périssent parce qu'ils
sont trop à l'étroit et étouffent,
ici ils périssent parce qu'ils ont
trop d'espace... Il y a tant d'espace
que le petit être humain n'a pas la
force de s'y orienter... Voilà ce que
je pense des suicides russes...
étienne Klein : Magnifique... Ce que
Tchekhov décrit là n'est pas sans rapport avec l'entropie, qui était liée au
problème de l'irréversibilité. C’est
un sujet qui passionnait les gens,
car elle posait la question de la mort
thermique : non pas la dépression
individuelle, mais la dépression de
l'univers ! On en parlait jusque dans les
journaux. Ce ne serait pas si étonnant
que Tchekhov, qui en tant que médecin a aussi reçu une formation scientifique, en ait entendu parler. Cela
dit, est-ce qu'à l'époque il était «bien
connu» qu'on se suicidait en Russie
Ci-dessous, de gauche à droite :
Marcel Bozonnet, Micha Lescot,
Marina Hands, Yannik Landrein,
Marie Vialle, Victoire Du Bois,
Christiane Cohendy
© Thierry Depagne
plus qu'ailleurs ? Et d’une façon différente qu’en Europe occidentale ? J'aimerais bien le savoir !
Tchekhov explique ici les suicides
russes par des effets d'entropie. Il
part de l'homme russe et de la nature
russe, donc d'un certain type de systèmes de particules plongées dans un
certain espace. Cet espace est tellement vaste que ces systèmes n'ont pas
trop le choix : ils sont confrontés à des
états extrêmement divers sans qu'il y
ait de guide ou de critère qui permette
de choisir un état plutôt qu'un autre.
C'est frappant : Tchekhov parle d'un
problème d'orientation... Les trajectoires sont désordonnées. Cet espace
froid manque d'ordre au sens thermodynamique du terme, il y a un défaut
d'organisation des systèmes...
J’ai connu le désespoir et bien sûr la
tristesse, mais jamais la dépression au
sens clinique du terme. J’ai tendance à
la mettre en rapport avec l'incapacité
à redoubler le réel par autre chose que
lui-même. Clément Rosset en parle
très bien dans Le Réel et son double.
Les êtres humains ont en général du
mal à voir les choses telles qu'elles
sont, à supposer que ce soit possible.
Ils les habillent d'interprétations,
d'illusions, qui permettent de vivre.
Il leur faut des stratagèmes pour
embellir le réel insupportable, pour le
rendre fréquentable. Mais parfois, le
réel perce à travers le voile... Ici, on a
«d'une part», dit Tchekhov, «les rêves
d'une action large comme la steppe» ;
donc, c'est bien le réel qu'il pose
«d'autre part» avec le «climat rigoureux», l'«histoire dure et froide»...
D. L. : Revenons à la dépression
d'Ivanov...
E. K. : Je note d'abord que curieusement, Tchekhov parle aussi de cette
«dépressurisation russe» comme
d'un écrasement : 1000 pouds, seize
tonnes, ça fait quand même beaucoup !... Le poids de ce néant de vie
qui est pourtant si oppressant, cela me
ferait plutôt penser au burn-out. J'en ai
parlé récemment avec un sociologue.
Il a mené une enquête d'où il ressort
que le burn-out n'a pas grand-chose
à voir avec la dépression. La dépression a une histoire, elle se prépare,
elle mûrit, alors que le burn-out est
un effondrement instantané. Un collapsus. L'effondrement gravitationnel
qui finit en trou noir... Le corps et la
psyché, sous pression, réagissent d'un
coup, avec une violence extrême, à ce
qu'ils étaient contraints d'accepter.
Ce n'est pas forcément une question
de suractivité, plutôt de concurrence
entre tâches différentes, voire contradictoires. Quand on se sent pris sous
les tirs croisés de contraintes paradoxales, irréconciliables entre elles,
c'est que le burn-out n'est pas loin...
on peut être à la fois hyperactif et
désœuvré ! Difficile de trouver la
bonne formule... En en parlant, je
me demande si ce genre de questions s'est posé surtout au XIXe siècle
– s'il s'est passé quelque chose, à ce
moment-là, d'un point de vue sociologique ou économique, pour que les
gens commencent à se poser ce type
de problème. Est-ce qu'il y aurait un
lien avec les questions d'énergie, de
coût, de rendement, telles qu'elles ont
commencé à être formulées à cette
époque ?...
II. Lettre de Tchekhov à Souvorine,
4 juin 1892 (p. 110)
J'ai un sujet intéressant pour une
comédie, mais je n'ai pas encore
trouvé la fin. Celui qui imaginera de
nouvelles fins pour une pièce, inaugurera une ère nouvelle. Ces maudites fins donnent du fil à retordre !
Soit le héros se marie, soit il
© Thierry Depagne
ait trouvé cette fin incompréhensible.
Mais après tout, pourquoi on devrait
comprendre la fin ? Pourquoi un
auteur devrait-il satisfaire comme cela
l'attente des spectateurs ?
D. L. : On pourrait dire qu'il y a, du
temps de Tchekhov, un certain horizon d'attente de son public moyen, qui
lui impose deux fins génériques possibles, et seulement deux : la comique
et la dramatique. Cela implique que le
sens même des événements d'une
pièce est en fait dicté d'avance par
le point vers lequel ces événements
convergent. Ce sens n'est donc tout
à fait lisible qu'après coup, par une
sorte de mouvement rétrograde... à
partir de là, on peut imaginer toutes
sortes de ruses : une pseudo-tragédie qui finit bien, par exemple Mesure
pour mesure, de Shakespeare, ou au
contraire une comédie très drôle qui
se conclut sur une mort, comme le
Dom Juan de Molière...
Pour en revenir à Ivanov, quelle est la
bonne version ? Est-ce qu'il y a suicide ou
non ? Personnellement, je préférerais ne
pas trop le savoir. Mais à vrai dire, même
si on veut l'ignorer, on se fait toujours rattraper et comme aspirer par la fin. J'ai
consacré un livre à la vie d'un physicien
génial encore assez peu connu, Ettore
Majorana, pour qui la même question
s'est posée. J'ai suivi son dernier chemin, je me suis embarqué dans le même
d'autre issue. […] Je ne commencerai
E. K. : Si vous n'avez rien à faire, ou que
rien ne vaut la peine d'être fait, c'est
l'anti-burn-out, et c'est la dépression
qui guette – par contre, si vous voulez en faire trop, ou si trop d'obligations vous tombent dessus en même
temps, c'est le burn-out qui menace.
C'est affaire d'équilibre. Dans le dialogue entre soi et la nature, entre ses
rêves et la grande steppe froide, il faut
trouver la bonne distance, la bonne
périodicité... La juste mesure, entre le
vide et le trop-plein d'activité. Ce qui ne
veut pas dire que ces états soient toujours
distincts. Ils peuvent être superposés :
E. K. : Soit se marier, soit se tirer
une balle... soit les deux ! Mort plus
mariage égale «moriage»... Ça c'est
quantique ! On superpose deux états
et on en obtient un troisième ! C'est
un peu ce que Tchekhov a fait dans la
première version de sa pièce, non ?
Le dernier acte, c'est la mort et le
mariage, le même jour ! D'ailleurs on
ne voit pas le mariage, puisqu'il a lieu
entre les deux tableaux, et on ne voit
même pas la mort, alors même qu'elle
se produit sous nos yeux, puisqu'elle
passe absolument inaperçue... Pas
étonnant que le public de l'époque
pas à l'écrire tant que je n'aurai
pas trouvé une fin aussi ingénieuse
que le début. Quand j'aurai la fin,
j'écrirai la pièce en deux semaines.
E. K. : Hegel dit quelque part que le
commencement est un commandement, qu'il est un Dieu qui détermine
d’emblée tout ce qui va suivre. Mais là,
c'est le contraire. Les écrivains commencent par la fin – j'aime beaucoup
cette façon qu'a Tchekhov de reconnaître qu'il lui faut la fin pour vraiment
commencer, une «fin aussi ingénieuse
que le début» : donc, en fait, c'est la
fin ou le but qui est commencement !
Et la fin sème son propre germe dans
le début. Cela me fait penser en effet
au fameux «mouvement rétrograde
du vrai» dont parle Bergson. Mais si
philosophie et littérature sont comme
deux mouvements dialectiques, l'un
commençant plutôt par le début,
l'autre plutôt par la fin, on devrait
s'amuser à se demander en quel point
ils se rencontrent...
très brièvement, si chaque excitation est suivie d'une apathie plus
grande encore... On peut représenter
cela ainsi :
Comme vous voyez, la descente ne se
fait pas selon une pente inclinée,
mais un peu autrement. Sacha parle
Mort +
mariage =
«moriage»...
ça c'est
quantique !
se tire une balle. Il n'y a pas
D. L. : Ce qui fait penser, en effet, au
personnage d'Ivanov ! Il serait donc
un mélancolique frappé de burnout, autrement dit un dépressif en
surpression ?
de s'exalter au plus haut point, mais
bateau Naples-Palerme... Quand on
regarde une photo de quelqu'un qui a disparu ainsi, on ne peut pas s'empêcher de
rétro-projeter : ce regard-là, est-ce celui
d'une personne qui a déjà pris sa décision ? Est-ce qu'il a voulu et planifié sa
mort ou n'était-ce qu'un coup de tête ?
Y a-t-il continuité ou discontinuité de la
volonté ? Les deux se défendent, pour
Majorana comme pour Ivanov.
III. Lettre de Tchekhov à Souvorine,
30 décembre 1888 (p. 173)
La lassitude […] ne s'exprime pas
seulement par des gémissements ou
une sensation d'ennui. La vie d'un
homme las ne peut pas être repré-
de son amour. Ivanov, enthousiaste,
s'écrie : «Une nouvelle vie !»,
mais le lendemain matin, il croit
autant à cette nouvelle vie qu'au
dieu lare (monologue du troisième
acte) ; sa femme le blesse, il
sort de ses gonds, s'échauffe et
l'offense cruellement. On le traite
de lâche. Si cela n'anéantit pas son
cerveau fragile, il s'échauffe et
prononce sa propre condamnation.
E. K. : Tiens ! Ce deuxième graphique,
c'est typiquement un profil de bipolaire :
chaque palier est un peu plus bas que le
précédent.
D. L. : Vous ne pensez pas à l'entropie ?
E. K. : Non. Plutôt à la réduction du paquet
d'ondes en mécanique quantique. L'entropie, elle, ne peut que croître.
D. L. : Oui, mais pour un système fermé,
ce qui n'est pas le cas ici. Regardez par
exemple cette première pointe : cela pourrait être la fin de l'acte II, quand Sacha lui propose d'envisager une vie nouvelle avec elle.
Et celle-ci pourrait correspondre à la crise
très violente entre Ivanov et Anna, à la fin de
l'acte III, lorsque la colère l'aveugle... et plus
Ivanov avance, plus il est épuisé...
philosophe qui a été lu par presque
tous les fondateurs de la mécanique quantique, celui qui a fasciné
Schrödinger... Là, au sommet de ces
pointes, on est au comble du désir,
dans l'illusion, dans l'ivresse et la
passion ; et là, sur ces plateaux toujours plus proches de zéro, c'est la
désillusion, la vanité, la chute vertigineuse. Le voile de Maïa se déchire
et devient brusquement un parachute qui se met en torche... Quand
Majorana, après son article sur la
découverte du neutron, a été envoyé
par Fermi à Leipzig pour travailler avec
Heisenberg, qu'est-ce qu'il a fait ? Il a
lu Le Monde comme volonté et comme
représentation ! Et à son retour à Rome,
quelques mois après, il est allé vivre
chez ses parents et il est resté enfermé
chez eux pendant quasiment quatre
ans. Pour le sortir de là, ses amis lui
ont obtenu un poste de professeur à
Naples. à ce moment-là, il a eu un sursaut. Il a recommencé à écrire, à vouloir publier. Il a rejoint son poste. Trois
mois après, il avait disparu...
Mais vraiment, ce genre de tracé
me fait davantage penser à ce qu'on
appelle la réduction du paquet d'ondes
en physique quantique. Le système
évolue, le paquet d'ondes s'élargit,
puis vous faites une mesure – instantanément, parmi tous les possibles, le
hasard n'en retient qu'un seul et tout
s'effondre en un seul point. Puis ça
repart : les couleurs de l'arc-en-ciel se
déploient jusqu'à la prochaine mesure,
qui referme à nouveau l'éventail d'un
seul coup et le réduit à un seul trait
monochromatique...
D. L. : Pour conclure, que retenez-vous
du personnage d'Ivanov ?
sentée ainsi :
Elle est très irrégulière. Tous les
gens las ne perdent pas la capacité
E. K. : Ah ! Je vois. Dans ce cas, ça me
ferait plutôt penser à Schopenhauer, le
E. K. – Pour moi, le problème est le
suivant : si on aime la vie, comment
ne pas être dépressif à l'idée qu'on va
mourir ? Et si on ne l'aime pas, c'est
qu'on est déjà dépressif ! Or Ivanov,
au fond, se croit déjà mort, et cette
croyance est auto-réalisatrice... De
ce point de vue, il est mort depuis le
début de la pièce, et c'est bien son
malheur. Pour le dire autrement :
vous savez que vous n'avez qu'une
vie à vivre. Vous savez qu'à la fin ça
se termine mal. Cela posé, la question est : jusqu'à quel point intégrezvous cette information certaine dans
votre façon de vivre ? Est-ce que la
phrase de mon livre Les tactiques de
Chronos : «il faut apprendre à aimer
l'irréversible». Bon, à vrai dire, deux
ans plus tard, je me suis demandé :
«Mais l'irréversible, ça veut dire quoi ?»
Et c'était reparti pour deux ans de
travail...
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, 31 octobre 2014
Ivanov
serait-il un
dépressif en
surpression ?
mort vous hante déjà tout au long
de votre vie, ou est-ce que vous êtes
intégralement vivant aussi longtemps
que vous n'êtes pas mort ? C'est une
sacrée ligne de clivage. D'un côté, on a
Heidegger ; de l'autre, Emmanuel
Lévinas ou Bergson. J'ai été fasciné, il
y a vingt ans, par La mort et le temps.
Lévinas y écrit que quand on vit, on
est entièrement en vie. La mort n'est
pas quelque chose de déjà là qui corrode la vie du dedans, c'est un événement qui n'est absolument pas là tant
qu'il n'est pas intervenu. C'est un point
qui ne peut pas figurer sur ce tracé de
Tchekhov... La vie doit être «vitalisée»
en rebondissant sur l'idée de la mort,
une mort qui reste toujours au-dehors.
Comme disait épicure, elle n'est «rien
pour nous». C'est cette lecture de
Lévinas qui m'a inspiré la dernière
étienne Klein
Physicien, directeur de recherches au
CEA et docteur en philosophie des
sciences. Il dirige le Laboratoire de
recherche sur les sciences de la matière
du CEA (LARSIM). Il est aussi professeur de physique et de philosophie des
sciences à l'École centrale de Paris.
Lauréat de nombreux prix, il est membre
de l’Académie des technologies.
Tous les jeudis matins, à 7h17, il anime
une chronique sur France Culture, «Le
monde selon Étienne Klein».
6
Ivanov dans
le texte
les
bibliothèques
7
janvier – février 2015
une rencontre avec Macha Zonina
Depuis La Mouette mise en scène par Kontchalovski en 1988 et la «saison russe» programmée
à l'Odéon par Lluís Pasqual en 1993-1994, Macha Zonina n'a jamais cessé de faire l'allerretour entre la France et la Russie, au service des œuvres et des artistes. Quand elle n'est
pas accaparée par le théâtre, elle traduit, seule, des auteurs contemporains français
vers sa langue maternelle, ou fait passer dans la nôtre des œuvres russes avec l'aide
de collaborateurs comme Jean-Christophe Bailly, Jean-Pierre Thibaudat ou Catherine
Guetta, entre autres. Luc Bondy lui a donc tout naturellement demandé de réviser la
version d'Ivanov qu'avait signée Antoine Vitez à la fin des années 1950.
Par modestie, et faute de voir combien
son expérience et son regard peuvent
intéresser un public privé d'accès direct
à la langue russe, il lui semble qu'elle n'a
rien de particulier à dire du texte tchékhovien. Mais c'est toujours un plaisir de l'entendre détailler à haute voix les valeurs
de tel vocable, la qualité expressive de
telle tournure, passant sans cesse de
la restitution littérale à la recherche de
l'équivalent français le plus juste. à titre
d'exemple, voici comment elle m'a commenté, pendant nos séances de travail, une phrase de Borkine à propos
d'Ivanov. – Daniel Loayza
Macha Zonina – Chaque mot de Borkine
élargit le champ, fait entendre d'autres
résonances. меланхолия, сплин,
melankholiya, splin, sont évidemment
des emprunts à l'Occident et sont plus
littéraires. En les retraduisant, on perd
forcément leur sonorité «importée» et
l'effet qu'elle produit en russe. Inversement, хандра, khandra, est parfois traduisible par «spleen» ! Pouchkine s'en
amusait déjà dans Eugène Onéguine :
Недуг, которого причину
Давно бы отыскать пора,
Подобный английскому с п л и н у,
Короче: русская х а н д р а . . .
Cette affection due à des germes
Que nul docteur ne comprendra
(En anglais, spleen est le bon terme,
Les Russes la nomment khandra...)
Avec le verbe correspondant, он
хандрит, on khandrit, on obtient une
expression très courante, qui signifie à
peu près «il est déprimé»... La khandra
peut faire penser au blues. C'est le mot
dont Pasternak s'est servi dans une très
belle version de Verlaine : quand il traduit
«Quelle est cette langueur / Qui pénètre
mon cœur ?», c'est khandra qui traduit la
«langueur» verlainienne, et c'est parfait.
Тоска, toska, c'est plutôt l'ennui ou le
cafard que l'angoisse. Je peux me tromper, comme une russophone parlant
français. Mais l'angoisse, pour moi, suggère quelque chose de plus physique,
une oppression dans la poitrine ; et il me
semble qu'elle implique une certaine
dimension de peur ou de crainte. Alors
que toska, c'est plutôt là, dans le cœur
ou dans l'âme (là aussi, cela dépend des
habitudes de traduction de chacun)…
C'est le même mot dont Ivanov va se
servir pour décrire ses souffrances à sa
femme, trois scènes plus loin, et tenter
de lui faire comprendre pourquoi il lui est
insupportable de rester chez lui le soir.
On traduit parfois par «ennui», dans certains contextes, mais ici ça ne convient
pas. Il faut réserver «ennui» pour rendre
un mot qui n'est justement pas employé
ici : скука, skouka. La différence, c'est
d'abord que toska est plus abstrait. Ce
sont des mots qui évoquent beaucoup
d'images...
Anton Tchekhov assis sur les escaliers
de sa maison à Mélikhovo, 1897
© Bettman / CORBIS (détail)
Un exemple. Tu es dans le train MoscouSaint-Pétersbourg,
en
novembredécembre, vers la fin de l'après-midi,
disons 16 heures. Il fait déjà presque
nuit. Tu regardes par la fenêtre, et tu vois
les plaines interminables, blanches ou
boueuses. C'est une image qu'on a dû
citer comme exemple mille fois... mais
bon, ça me reprend à chaque fois que
je voyage dans ce train... Ailleurs aussi,
en plein air, «quand le ciel bas et lourd
pèse comme un couvercle»... De temps
en temps, tu entrevois quelqu'un dans
cet espace qui n'en finit pas, une forme
humaine. Et tu te dis : heureusement que
je ne fais que passer !... c'est ça, toska.
Cet état d'âme. J'ai l'impression que c'est
du même genre chez Tchekhov. Mais
aussi chez Pouchkine, Platonov, Gogol…
Je ne veux rien garantir, ni m'aventurer dans des discussions savantes...
En tout cas, c'est un terme très banal,
quotidien, encore employé couramment aujourd'hui. Ces notions tchékhoviennes n'ont rien perdu de leur charme !
Toska a une valeur abstraite, mais en
sortant d'un spectacle, par exemple, on
peut aussi s'exclamer какя тоска, kakaïa
toska, même si on dit aussi bien какя
скука, kakaïa skouka, quel ennui ! Là, on
est dans une zone confuse où les deux
valeurs se touchent. Pour le sens, on
pourrait rendre ça par «déprime», mais
la toska n'a rien de clinique. C'est intéressant que ce soit la première racine slave
dont Borkine se sert pour faire son petit
portrait d'Ivanov.
Посмотрите:
на что он
похож?
Меланхолия,
сплин, тоска,
хандра,
грусть…
Le dernier de la série, грусть, groust',
pose moins de problèmes : «chagrin, tristesse». En fait, on a un petit groupe de
termes qui ne sont pas synonymes, mais
qui pointent plus ou moins dans la même
direction. Leur juxtaposition suggère
qu'il y a un point commun, qui est évoqué
sans être nommé. D'ailleurs, si on s'en
parle entre russophones, on ne dégagera peut-être pas toutes les nuances.
Ce petit portrait d'Ivanov – «à quoi ressemble-t-il ?» – construit une énigme en
proposant des solutions partielles...
Ici le mot скука, skouka, n'est pas prononcé. Ce terme-là, ou d'autres qui lui
sont apparentés, est d'abord employé
par Anna Petrovna à la scène 4, puis par
Chabelski à la scène 6, quant il insiste
pour sortir et passer la soirée n'importe
où, sauf avec elle ! La skouka, c'est vraiment quand on voit le temps passer... En
russe, l'adjectif dérivé a des emplois très
larges : скучная история, skoutchnaïa
istoria, c'est le titre de cette nouvelle de
Tchekhov que Luc Bondy aime tellement
et qu'on traduit par «une banale histoire»,
mais il ne s'agit pas que de banalité.
Skouka, c'est aussi l'existence sans
but, la vie vide, négligée, sans occupation intéressante, la routine, le retour du
quotidien sans intérêt. On en parle à propos d'un livre, d'un spectacle, d'une personne... Tu sens le temps passer. Il y a un
très beau texte d’Alexandre Vvedenski,
un membre de l'Obériou, sur le temps
en prison, quand les notions de «plus
tôt» et «plus tard» perdent leurs sens.
ça, je dirais que c'est skouka, mais en
même temps toska, et bien plus encore.
Mais ça peut être très banal, sans rien
de dramatique.
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, le 10 novembre 2014
Regardez-le :
de quoi il a
l'air ?
Mélancolie,
spleen,
cafard,
bourdon,
tristesse...
Ivanov, acte I, scène 3
Portrait d'Albert Cohen
© Gérard Dubois / Costume 3 Pièces
OD ON
Petits Platons
deviendront grands
Albertcédaire
8
Après le «petit abécédaire» en l'honneur de Romain Gary dont David Bellos nous a gratifiés
dans la Lettre de l'Odéon n° 10, voici celui que Tobie Nathan, non moins généreusement,
consacre à son cher Albert Cohen, auteur du «plus beau roman d'amour en langue française»...
Comme Amélie da Costa, une
cantatrice célèbre. Elle a 26
ans ; lui en a 15. Elle vient le
chercher au lycée dans un fiacre tiré par
deux chevaux. Imaginez la scène ! On
est en 1910. Depuis, ses condisciples
l’appellent
«le
roi
Mystère».
Première d’une longue série de femmes
qui l’aiment à la folie, qu’il aime à les
écrire… Mais «A» comme Allergie, aussi.
Il en souffrira toute sa vie. Sa personnalité est allergique. Pour lui, n’importe qui,
n’importe quoi est un autre… Alors, les
femmes, plus encore !
Comme Bella, sa troisième
épouse, qui mit enfin un peu
d’ordre en son cœur, comme
Belle du Seigneur, le plus beau roman
d’amour en langue française, «le
chef d’œuvre absolu» écrit Joseph
Kessel. Paru en 1968, en pleine révolution sexuelle, ce roman mûri durant
plus de trente ans, devient en quelques
mois le livre des amoureux. Il raconte
Solal et Ariane, pris au piège de la passion, à jamais, comme Roméo, comme
Béatrice, comme Tristan…
comme Corfou où Albert est né
et où il a passé ses premières
années. Corfou, qui deviendra, dans ses livres, l’île de Céphalonie
— sans doute «de sa tête». L’île de
Céphalonie existe, pourtant, à peine plus
grande que Corfou, mais plus proche
d’Ithaque, la patrie d’Ulysse.
Albert a vécu avec les femmes ;
son être se nourrissant de leur
présence, de leur admiration, de
leur amour… Et son fantasme : «Oh, réunir toutes les femmes de ma vie… dans
une villa louée exprès… et aller de l’une
à l’autre…» Raymond Aron, se demandait comment cet homme discret, timide
et farouche avait fait pour si bien écrire la
volupté. F… pour Femmes, donc !
Les réalisateurs et les producteurs rêvent d’adapter Belle du
Seigneur. Albert Cohen n’est
pas chaud, mais il est pauvre. Il consent
à la vente des droits. Catherine Deneuve
et Brigitte Bardot rêvent d’incarner
Ariane ; Cohen verrait bien BHL dans le
rôle de Solal. Producteurs peu scrupuleux, contestations des ayants droit, les
choses trainent. En 1994, un jeune réalisateur brésilien, Glenio Bonder, réalise
un documentaire magnifique sur Albert
Cohen. La machine se met en marche. Il
faudra encore seize ans avant le début
du tournage. Et au début du montage,
Bonder, gravement malade, meurt sans
avoir vu achevée l’œuvre de sa vie. Alors
«G»… pour Glenio !
comme holocauste. À la fin du
XIXe siècle, il y avait environ
5000 juifs à Corfou. En 1940, il en
restait 2000. 1700 seront raflés par les
nazis. Les Mangeclous, les Saltiel, les
Salomon, Michaël et Mattathias, le valeureux petit peuple des romans de Cohen
a disparu dans les fours d’Auschwitz.
Aujourd’hui, il reste une cinquantaine
de juifs à Corfou.
«I»… On sait peu qu’Albert Cohen fut
un militant passionné de la cause
sioniste. Il a fondé la Revue Juive en
1925, a travaillé au BIT de Genève à
promouvoir le sionisme dans les instances internationales, a collaboré
avec l’Agence juive pendant et après la
guerre. Mais lorsqu’en 1957 on lui propose le poste d’ambassadeur d’Israël, il
refuse. Alors I… comme Israël, où il ne
s’est jamais rendu de toute sa vie.
comme Juif. Car c’est sa principale question. Ses premiers textes
sont bibliques : Paroles juives,
Ézéchiel, La farce juive. Son rival y est
Moïse, peut-être même Dieu. Sans doute
est-ce aussi une provocation face à l’antisémitisme ambiant… Dans la Déclaration de la Revue, en des temps où il fallait
du courage, il écrit : «Nous aurons une
esthétique puisque nous sommes une
race. Une race est une idée faite chair.»
pour Joseph Kessel qui se bat
pour qu’on lui attribue le prix
Nobel de littérature. Se joignent
bientôt d’autres voix : Simone Veil,
François Mitterrand… Mais ce fut Saul
Bellow, puis Singer, puis Elias Canetti,
en 1981, l’année de la mort d’Albert. Au
mois de mai de cette année, il répond au
Nouvel Observateur : «j'ai quatre-vingtcinq ans et je vais mourir bientôt, dans
deux ans ou un an ou le mois prochain.
Mais que je suis heureux d'aimer ma
femme en ma vieillesse et d'être aimé par
elle en ma vieillesse… Oui, être aimé et
aimer à quatre-vingt-cinq ans et rire de
bonheur alors que je sais que je vais mourir est ma seule réponse à votre lettre. Tout
le reste est poussière soulevée par le vent.»
Le contrepoint de ses «occidentales passions», à Corfou, le 2
octobre 1894, Louise Judith Ferro,
fille du notaire royal, épouse Marco
Coen, négociant en savon. On l’a mariée
et elle a accepté. Puis, écrit Albert Cohen,
«… l’amour biblique est né.» L’amour
comme une nature ; l’amour comme une
alliance contre la méchanceté du monde.
Plus d’ailleurs l’amour pour son fils que
pour son mari… Mais quelle différence ?
Alors «L»… pour Louise ; pour l’éternel
Livre de ma mère.
comme Marcel Pagnol, bien
sûr, le condisciple des classes
élémentaires et du collège,
l’ami de toujours ! Pagnol témoigne : «Il
a été mon meilleur ami et moi, j’ai été
son meilleur ami»… «Je suis Cohen», lui
disait Albert, c’est-à-dire prêtre. Alors,
j’ai le droit de bénir. Lorsque Pagnol était
ennuyé, dans la rue, n’importe où, Albert
étendait la main, les doigts séparés deux
par deux, et le bénissait. Sacré Albert !
Albert Cohen n’écrivait pas ;
la plupart du temps, il dictait.
Il dictait ses livres à des femmes
qui l’admiraient, qui l’aimaient… Solal
a été dicté à Yvonne Imer ; Belle du
Seigneur à Bella… C’était la condition de
sa littérature. Peut-être aussi l’application de sa neuvième règle de séduction…
«N»… pour «Neuvième manège, proche
du septième, la sexualité indirecte. Dès
la première rencontre, qu'elle te sente un
mâle devant la femelle.» Le machisme
solaire d’Albert Cohen…
Robe de chambre à pois,
monocle et chapelet d’ambre…
Albert est un Oriental, dans son
être même. Pour lui, la vérité n’est pas
l’inverse de l’erreur ou du mensonge…
Octobre 1920, il quitte Genève pour
Alexandrie, laissant une jeune épouse
sur le point d’accoucher. En Égypte, il
peut enfin vivre son Orient, son Cher
Orient, titre du poème qu’il tirera de ce
voyage. Alors O… pour l’Oriental !
Comme prophète qu’il se voulait — rien de moins ! Comme le
prophète que sa première
femme, Élisabeth, vit en lui lorsqu’elle
lut son premier livre : Paroles juives. «J’ai
compris ce que tu étais. Il n’y avait plus
de prophètes. Toi, tu es venu, leur frère
véritable, leur égal…»
pour «Quel monstre !» C’est le cri
que pousse François Nourissier
dans Les Nouvelles littéraires
du 12 septembre 1968 lorsqu’il reçoit
Belle du Seigneur. «Quel morceau ! Quel
monstre ! 845 pages, 32 francs et à peu
près autant d'heures de lecture que de
francs : on est terrorisé.» Il fut conquis…
Le crime du roi David. Il désire
Bethsabée, mais elle est mariée.
Il expédie au front son mari,
Urié le Hittite, et demande à son général de se retirer pour l’abandonner seul
face à l’ennemi. Dans Belle du Seigneur,
Solal, le patron, expédie Adrien Deume
en mission à l’étranger. Pendant son
absence, il séduit Ariane, sa femme.
Deume ne meurt pas en voyage mais à
son retour, voyant Ariane lui échapper, il
se suicide. Alors «U» pour la référence
biblique : Urié !
comme Visions, un inédit
d’Albert Cohen, écrit juste après
le décès d’Élisabeth, sa première épouse. Max Jacob l’a lu et a écrit :
«Vous avez la candeur du génie, la simplicité du génie, les habiletés visibles du
génie… la timidité et l’audace du génie…»
Lorsqu’à la fin de sa vie, il a été question de le publier, Albert s’y est opposé :
«C’est un fou qui a écrit cela». Après sa
mort, le manuscrit a été détruit.
Lorsque, devenu vieux, il
s’amuse d’une journaliste venue
l’interviewer, il lui confie que sa
profession est «Don Juan». Sans doute
la trouvait-il charmante. Maître en la
matière, dans Belle du Seigneur, il fournit, en expert, tout de même, les «dix
manèges du sale jeu de la séduction».
Alors D… comme Don Juan, bien sûr !
Fondateur des petits Platons, livres de philosophie pour enfants que leurs parents sont souvent les premiers à lire,
Jean Paul Mongin a eu un parcours à la Houellebecq «moins le côté glauque», passant de l'étude du néoplatonisme puis d'un
DEA sur Aby Warburg à la vente de shampoings en grande surface... et retour ! Comment passe-t-on de Denys l'Aréopagite
à l'adaptation de Kant pour les plus jeunes ? Réponse ci-dessous à cette question et à quelques autres !
comme Einstein qu’il rencontra à
deux reprises au temps de la
Revue Juive. Albert l’écrivain
raconte Albert le savant. Ils déambulent
sur le quai Wilson, à Genève. Un enfant
fait une cabriole, se rate, tombe et éclate
de rire. Et Einstein rit de l’exact même
rire. Innocence du génie des sciences,
fixé au même stade que l’enfant, celui de
la chute sur les fesses et de l’éclat de rire.
Daniel Loayza : Jean Paul Mongin,
les volumes des petits Platons dont
vous signez les textes proposent trois
lignes succinctes de présentation de
l'auteur qui ne sont jamais tout à fait
identiques d'un titre à l'autre. Et quand
on cherche à se renseigner sur internet, on tombe parfois sur une «biographie secrète» plutôt inattendue...
Jean Paul Mongin : Qu'est-ce qu'on y
raconte ?
comme Revue Juive. Le 15
janvier 1925, paraît le premier
numéro, édité par Gallimard.
Albert Cohen a 29 ans. Il en est le directeur. Au comité de rédaction, rien moins
que Albert Einstein, Sigmund Freud,
Charles Gide (l’oncle), Haïm Weizmann
ou Martin Buber… Dans les premières
pages, la Déclaration d’Albert.
En 1940, réfugié à Londres,
Chaïm Weizmann, président
de l’Organisation sioniste
mondiale, en fait son représentant personnel auprès du gouvernement français
en exil. Mais le projet le plus audacieux du
rêveur amoureux, est celui d’une «légion
juive» de 400 000 hommes. S’il n’y avait eu
l’opposition des Anglais, Albert aurait pu
même être chef de guerre… Alors, «W»…
pour Weizmann !
Tobie Nathan
Né au Caire en 1948, Tobie Nathan a poursuivi ses études en France. Psychologue, élève de Georges Devereux avec qui il a passé
sa thèse de doctorat, il a créé la première consultation d’ethnopsychiatrie, en 1979, à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Il a fondé en
1993 le Centre Georges Devereux d’aide psychologique aux familles migrantes, au sein de l’Université Paris 8, où il est professeur.
Diplomate, il a été Directeur du Bureau régional de l’Agence Universitaire de la Francophonie à Bujumbura, puis Conseiller culturel à
Tel-Aviv et à Conakry. Il a exposé ses travaux théoriques tout au long d’une vingtaine d’ouvrages dont : L’étranger ou le pari de l’autre
(Autrement 2014), Philtre d’amour (Odile Jacob, 2013), ou L’influence qui guérit (Odile Jacob, 1994). Romancier, il a publié Qui a tué
Arlozorff (Grasset 2010), Mon patient Sigmund Freud (Perrin 2006) et de nombreux romans policiers aux éditions Rivages — le dernier paru : Les nuits de Patience en 2013. Il est aussi l’auteur, avec Isabelle Stengers et Lucien Hounkpatin, d’une pièce de théâtre :
La damnation de Freud, jouée à Avignon en 2001 et à Bruxelles en 2004. Il a récemment rendu compte de son parcours dans Ethno
roman (Grasset), couronné par le prix Femina de l’essai en 2012.
comme Solal. Comment faire
autrement ? N’est-ce pas le
prénom récurrent des héros
d’Albert Cohen. Mais on ne peut que
tiquer : Cohen et Solal… Les deux noms
sont accolés, reliés par un trait d’union
dans le nom de famille «Cohen-Solal».
Solal n’est pas Cohen ; il est son ombre.
Solal, en hébreu, du verbe lisslol, qui
signifie «aplanir la route». Laquelle trace
la route de l’autre, l’ombre ou la chair ?
Quelle est la principale
activité d’un diplomate à la
Société des Nations, à Genève,
dans les années 30 ? «Faire des vents
enfantins avec les lèvres…» Cruauté
d’Albert Cohen envers la diplomatie internationale qu’il connut fort bien… «X»…
pour Chapitre X de Belle du Seigneur où
cette cruauté atteint son apogée.
D. L. : Que vous avez obtenu un DESS
de conseiller éditorial, travaillé pour le
Centre des Hautes études Militaires,
puis pour une multinationale que vous
avez quittée en 2008... Et la philosophie, dans tout ça ?
J. P. M. : ça alors !... Tout est exact
dans cette biographie, y compris les
omissions ! J'ai eu ce DESS, c'est
vrai. Je n'ai jamais tout à fait compris
quelle compétence on me reconnaissait comme «conseiller éditorial», mais
le jury me l'a accordé très gentiment.
Parallèlement, j'ai aussi passé un DEA
de philosophie sur l'historien de l'art
Aby Warburg. Auparavant, j'avais aussi
travaillé sur un néoplatonicien, Denys
l'Aréopagite...
D. L. : Vous avez eu un parcours à la
Houellebecq !
J. P. M. : Oui, mais le plus souvent, les
expériences que vivent les personnages
de Houellebecq ont une teinte glauque.
Cela n'a pas été le cas pour moi.
Exils
présenté par Paula Jacques
Albert Cohen / Tobie Nathan
lundi 19 janvier / 20h
textes lus par Bruno Abraham-Kremer
D. L. : Et comment ce chemin conduit-il à
la fondation d'une collection de livres de
philosophie pour les enfants ?
Eh bien, à l'occasion d'un plan social, j'ai eu
la chance de me faire licencier ! La marque
de shampoing sur laquelle je travaillais a
été une priorité pendant deux ans, jusqu'au
jour où elle a cessé de l'être... La marque
ayant été arrêtée, je me suis retrouvé
désœuvré. J'ai dû réfléchir à l'opportunité
de travailler à mon propre projet. Et là, j'ai
pensé à un catalogue pour les enfants... Il y
avait déjà une belle offre dans ce domaine,
qui aurait pu me décourager. Mais tous les
titres proposés avaient une approche thématique : qu'est-ce que le bonheur ? A-ton le droit de ne pas aimer aller à l'école ?...
Il s'agissait toujours de traiter des questions. Ce qui présuppose que parmi les
questions qu'on se pose, certaines sont
philosophiques et d'autres non... Ce qui
est sûr, c'est qu'il y a une histoire de la
philosophie. Je me suis donc demandé :
pourquoi ne pas parler de Descartes, de
Kant, de Socrate à des enfants, d'une
façon qui ne serait pas uniquement biographique, de façon à restituer la saveur
d'un univers philosophique ? Pour moi, il
était évident qu'il fallait raconter la philosophie en partant des fictions que les philosophes eux-mêmes ont produites. Dès
Platon, le discours philosophique ne cesse
de passer d'une modalité dialectique à une
modalité fictionnelle.
le lieu où la raison confie à l'imagination
le soin de proposer des conjectures. Le
mythe de la caverne, chez Platon, est
comme un conte : c'est une histoire formidable pour des enfants, et en même
temps il leur permet de saisir ce qu'est
une théorie de la connaissance. De
même, le malin génie, chez Descartes,
permet de penser le doute hyperbolique,
mais il est aussi la figure d'une histoire
qu'on peut raconter.
D. L. : L'identité visuelle de la collection
est d'une qualité remarquable...
J. P. M. : Je n'avais aucun regard par rapport à l'illustration contemporaine, c'est
tout un monde auquel il a fallu qu'on
m'initie. J'avais une connaissance qui
dessinait bien, je lui ai proposé de s'y
mettre, et nous avons appris chemin
faisant. Les premiers essais étaient à
l'ancienne, très représentatifs... Après
avoir péniblement accouché d'un premier titre, et avec l'aide d'une amie qui
a un œil très acéré, y compris en matière
typographique, nous avons réuni des
illustrateurs qui savent que le dessin
d'idées consiste à suggérer et à animer
plutôt qu'à paraphraser. Aujourd'hui,
nous en sommes au vingt-quatrième
titre, et nous sommes traduits dans plusieurs langues...
D. L. : Comment envisagez-vous la
suite ?
D. L. : Les fameux «mythes»...
J. P. M. : Oui. Ces mythes ne sont pas là
pour faire joli. En termes kantiens, il sont
L'exercice consistant à passer du concept
à l'imagination est difficile et très salutaire. Sortir de l'abstraction pour mieux
la retrouver et l'éclairer, cela demande
un certain tact d'écriture. Un philosophe n'en est pas forcément pourvu...
Moi-même, j'ai un mal, vous n'imaginez
pas !... Ensuite, comme éditeur, mon
ambition est de donner la parole à des
gens bien plus qualifiés que moi. Nous faisons appel à de vrais spécialistes, soucieux de fidélité à la pensée de l'auteur.
J'aime aider ces grands intellectuels à
trouver l'approche et le ton justes. Et le
troisième point concerne la diffusion de la
philosophie dans l'école et hors d'elle. Je
n'ai pas oublié quel traumatisme l'institution scolaire a été pour moi. Je ne m'imaginais pas du tout que je travaillerais un
jour sur des contenus scolaires. Je m'intéresse d'autant plus, aujourd'hui, aux
questions d'éducation. Le fait de pouvoir
lire nos livres à mes propres enfants m'a
amené à formuler les choses autrement !
De nombreux enseignants nous ont
demandé de mettre au point des contenus pédagogiques, d'organiser des rencontres... Nous avons déjà mis en place
des actions communes avec différents
partenaires, dont l'Odéon. Nous travaillons notamment à Sarcelles avec Chiara
Pastorini et Chantal Ahounou, qui a organisé un atelier philosophique avec des
enfants dits «décrocheurs»*. Ce sera l'occasion de montrer, si besoin est, qu'il n'y
a rien de plus concret que la philosophie.
* Lire les articles pp. 12-13
J. P. M. : Dans l'immédiat, il y a trois
choses. À titre personnel, je compte bien
continuer à écrire des «petits Platons».
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, le 16 octobre 2014
à tous ceux qui aiment lire
Libraire-gérant de l'Atelier (2 bis, rue du Jourdain, dans le 20e arrondissement), GeorgesMarc Habib est aussi directeur de la publication de Page des libraires. Pour ce lecteur aux
convictions communicatives, les vraies librairies, comme les théâtres, sont des lieux d'échange
culturel irremplaçables et bien vivants. Rencontre avec un artisan passionné de la rencontre
et du partage.
Les écrivains cultivent une
«scène primitive», un événement
de l’enfance, figé en tableau,
érigé en mythe des origines. Celle
d’Albert Cohen est une humiliation, le
jour de ses dix ans. Il rentre de l’école,
s’arrête devant un camelot qu’il admire
et l’autre le regarde et le réduit à son
altérité : «Toi, tu es un sale Youpin, hein ?
me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’étais allé écouter avec foi
et tendresse à la sortie du lycée.» Alors
«T»… pour «Tu es un sale Youpin, hein ?
Je vois ça à ta gueule...»
Élisabeth avait une amie qui
lui ressemblait, une âme sœur.
Elle s’appelait Yvonne Imer. On
les disait jumelles. Durant la maladie
d’Élisabeth, Yvonne était si proche. Après
son décès, elle a consolé l’époux éploré.
Peu à peu est née une nouvelle passion
qui a permis à Albert de reprendre goût
à la vie. Solal, son premier roman a été
dicté à Yvonne, l’admirative amante.
Alors Y… comme Yvonne !
Page des libraires, qu'est-ce que c'est
exactement ?
Page des libraires est une revue qui
a été fondée par mon père il y a tout
juste un quart de siècle. Je suis moimême libraire depuis vingt-trois ans,
et j'ai hérité de la passion paternelle.
C'est une publication qui est aussi
un réseau de rencontre et d'échange
entre amoureux des livres : lecteurs et
libraires indépendants – je veux parler
d'indépendance de pensée et d'esprit
plus que d'indépendance économique.
Comme son nom l'indique, le réseau
Page des libraires fédère des personnes de chair et de sang, et qui ont
le métier dans la peau.
ci-dessus :
couvertures issues de la collection
«Les petits Platons»
Ce métier, comment le voyez-vous ?
salon Roger Blin
Grande salle
9
Pour finir, une devinette. Où
trouve-t-on l’éloge le plus
enflammé d’Albert Cohen ? Dans
un journal allemand, paru à Berlin, le 12
mars 1933, quelques semaines après
l’élection d’Adolf Hitler. À propos de
Solal, qui venait d’être traduit, on peut lire
qu’Albert Cohen, dans des scènes dignes
de Richard III de Shakespeare, nous
révèle le véritable visage de l’homme.
Alors «Z»… pour Vossische Zeitung.
L’année suivante, le livre est interdit.
les petits platons
à l'odéon à partir de 8 ans
La mort du divin Socrate
samedi 24 janvier / 15h
avec Jean Paul Mongin
érasme
et le grelot de la folie
samedi 7 février / 15h
avec Claude-Henri Rocquet
photographies des librairies :
Le Genre urbain (20e), Millepages
et Millepages Jeunesse (Vincennes)
La base, c'est l'amour des livres, le
plaisir de les lire, de les défendre,
de les faire découvrir à d'autres. Le
libraire partage avec ses clients le
goût de la lecture. Il a vocation à passer du temps avec eux : une vraie
librairie est un commerce de proximité. Elle souffre donc des difficultés qui frappent actuellement ce type
d'activité. Dans tous les domaines, la
tendance est à la disparition des commerces indépendants, remplacés par
des franchises de grandes chaînes.
On retrouve partout les mêmes vêtements, les mêmes offres de service...
Et pourtant, quand elle n'est pas
assommée par des loyers ou des
charges excessifs, la librairie résiste
relativement bien. Aujourd'hui, les
librairies sont devenues de vrais lieux
de vie culturels, dédicaces, débats
et un accès direct aux ouvrages...
Comme au théâtre, rien ne remplace
la rencontre réelle, le face-à-face.
Aucune librairie ne peut plus se permettre de n'être qu'un simple lieu de
distribution.
Page est donc aussi une manière de
promouvoir le métier de libraire ?
Pour nous, évidemment, Page est
inséparable d'une certaine conception du travail du libraire. Mais le but
n'est pas de partager des points de
vue sur le métier : il est tout simplement de l'exercer pleinement. Nous
ne nous adressons pas aux confrères
comme tels, mais à tous ceux qui
aiment lire. Notre geste de résistance,
c'est l'amour du livre. D'où l'idée de
montrer aux clients que les libraires
ne font pas leur métier par hasard, et
qu'ils sont bien plus que des relais passifs de distribution.
Qui sont les collaborateurs de Page ?
Un millier de libraires passionnés travaillant dans toute la France, prêts
à conseiller, à discuter, à orienter.
 suite page suivante
La France
compte environ
15000
commerces
de livres,
(dont 3000 sont
entièrement dédiés
au livre). C'est le
plus dense réseau
de librairies au
monde. Une librairie pour 22000
habitants.
La France est le
seul pays
européen a
avoir une politique d'aide aux
librairies.
janvier – février
10
Ce sont eux qui élaborent tout le
contenu de la revue. Tous sont rémunérés pour cela en qualité de pigistes.
Ils lisent des publications en amont,
font leur sélection et écrivent pour
tous, libraires ou non.
Page est la caisse de résonance de
leur appétit de découverte et de partage, et fait entendre leur voix partout dans le pays. La sélection des
ouvrages n'est donc pas purement
«parisienne», ni même urbaine. Une
libraire du fin fond de la Bretagne peut
transmettre ses impressions à un lecteur de Marseille ou de Lorraine.
Pourquoi un partenariat entre Page et
l'Odéon ?
Grande-Bretagne
salon Roger Blin
l’épreuve de la haine
animé par Marc Crépon
33 %
des librairies indépendantes ont fermé depuis le milieu
des années 2000. Il y a aujourd'hui
une librairie pour 61000 habitants
en Grande-Bretagne.
La vente sur
internet représente 33 %
du chiffre d'affaires de l'édition.
Les amis du livre et ceux de la scène
ont tout pour s'entendre. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes personnes !
Ils savent qu'internet ne remplacera
jamais l'expérience concrète de la rencontre. Théâtre et librairie sont deux
points de rendez-vous pour les amateurs de culture vécue. Ceux qui les
visitent sont aussi cinéphiles, écoutent
de la musique, vont au musée ou au
spectacle... Quand on aime lire, on
aime aussi la culture en général.
1914, l’indépendance de l’esprit
à l’épreuve de la guerre vendredi 16 janvier / 18h
en présence de Frédéric Worms, lecture de textes de Romain Rolland et Alain
La lutte pour les droits civiques aux USA vendredi 6 février / 18h
en présence de Marc Crépon, lecture de textes de Martin Luther King
salon Roger Blin
L’europe inspirée
animé par Martine Méheut
L’Europe – berceau du roman.
Lieu de liberté, lieu d’intranquillité samedi 17 janvier / 17h
en présence de Pascal Lamy
lecture de textes de Stefan Zweig, Romain Rolland, Fernando Pessoa,
Romain Gary, Thomas Mann
par Anne Alvaro
studio Gémier
XXIe scène / nouvelles voix contemporaines
une proposition de Sophie Loucachevsky
avec la participation des acteurs de l’ESAD
Sam Holcroft et Allistair Mac Dowell lundi 19 janvier / 18h
Grande salle
79 %
Allemagne
des librairies
vendent maintenant des
e-books et des e-readers.
15 % du marché du livre
est contrôlé par Amazon.
Propos recueillis par Daniel Loayza
et Juliette Caron
Paris, le 3 novembre 2014
Exils
présenté par Paula Jacques
Albert Cohen / Tobie Nathan lundi 19 janvier / 20h
textes lus par Bruno Abraham-Kremer
Kateb Yacine / Mohamed Kacimi lundi 9 février / 20h
textes lus par Jean-Damien Barbin
salon Roger Blin
à quoi tenons-nous vraiment ?
animé par Catherine Portevin
Papier, écrans,
un nouveau vagabondage jeudi 22 janvier / 18h
en présence de Françoise Benhamou
Le prochain numéro de PAGE
paraîtra le 30 novembre 2014
Le cogito gourmand jeudi 12 février / 18h
en présence de Corine Pelluchon
Les cycles
philosophiques Politique
de la pensée et Les petits
Platons à l'Odéon sont
programmés les mêmes
jours au même horaire.
Pendant que Raphaël
Enthoven philosophe
pour les adultes en
grande salle, les plus
jeunes sont accueillis
pour philosopher au salon
Roger Blin. Venez donc
en famille !
Espagne
Au cours des cinq dernières
années, les ventes de
livres ont chuté de 20 %.
Pays-Bas
des livres sont
vendus sur internet.
La librairie indépendante
n'y existe quasiment pas.
Suède
photographies des librairies :
Atout Livre (12e), Le Comptoir des mots
(20e), La Manœuvre (11e), L’Atelier (20e)
Grande salle
Politique de la pensée
préparé et animé par Raphaël Enthoven
Platon : en haine de la démocratie samedi 24 janvier / 15h
en présence de Fulcran Teisserenc
Machiavel : les vertus du cynisme samedi 7 février / 15h
en présence de Jean-Louis Fournel
comme aux Pays-Bas, les commerces
de livres, largement détenus par
des chaînes, sont en crise, et
22 % des livres sont désormais
vendus en ligne.
sources :
foire du livre de Francfort,
Livre Hebdo,
Rencontres nationales de la librairie 2013,
Le MOtif «le russe aime
se souvenir...»
ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC WORMS
«Une nouvelle vie !» s'écrie Ivanov dans les bras de Sacha. Mais recommencer sa vie, est-ce toujours retrouver la nouveauté ?
Frédéric Worms pose son regard de philosophe sur le cas Ivanov, typique de son époque et de la nôtre.
Daniel Loayza : Frédéric Worms, vous
êtes l'auteur de Revivre, dont le soustitre, «éprouver nos blessures et nos
ressources», suffit déjà à indiquer combien le personnage d'Ivanov pouvait
retenir votre attention. Tout récemment,
vous avez co-organisé à l'École Normale
Supérieure, avec Marie Gil, un colloque
intitulé Vita Nova. Il s'agit là d'un titre
de Dante, dont l'œuvre majeure s'ouvre
sur l'évocation du «milieu du chemin de
la vie». Or Tchekhov, alors qu'il écrit sa
pièce, se sent parvenir à maturité, et
donne à son protagoniste l'âge de 35
ans. Mais Ivanov s'éprouve comme déjà
fini, épuisé sans remède...
salon Roger Blin
les petits platons à l'odéon
à partir de 8 ans
La mort du divin Socrate samedi 24 janvier / 15h
avec Jean Paul Mongin
érasme et le grelot de la folie samedi 7 février / 15h
Frédéric Worms : C'est vrai, toute la
pièce tourne autour de la dernière
chance qui reste à Ivanov d'accéder à
une nouvelle vie, à une «vie nouvelle».
Sacha lui tend cette perche, comme
avec Claude-Henri Rocquet
Grande salle
27 %
11
voix de femmes
présenté par Jean Birnbaum
Linda Lê lundi 2 février / 20h
salon Roger Blin
Lire le théâtre
animé par Jean-Yves Tadié
Numance mardi 3 février / 18h
de Miguel de Cervantès
en présence de Jean Canavaggio / texte lu par Martin Juvanon du Vachat
salon Roger Blin
Voyages en littérature
Au cœur des Himalayas mercredi 4 février / 18h
d'Alexandra David-Néel
texte lu par Claire Sermonne
salon Roger Blin
Ma bibliothèque idéale
animé par Daniel Loayza
Le cosmopolite mardi 13 janvier / 18h
en présence de Dany Laferrière, de l'Académie française
Les grands pieds mardi 10 février / 18h
en présence de Céline Minard
salon Roger Blin
Mythes et épopées
à partir de 9 ans
Le Chant du Rossignol Brigand mercredi 14 janvier / 15h
byline russe d’après «Ilia Mouromietz et le rossignol brigand» d’Elli Kronauer
Par Magda Lena Gorska : récit, chant, accordéon
Les Lions du Sassoun mercredi 11 février / 15h
épopée arménienne d’après «David de Sassoun»
par Christine Kiffer, accompagnée de Girayr Haroutiounian (chant et tar)
tarifs
Grande salle
Plein tarif 10€ / Tarif réduit 6€
CARTE
LES BIBLIOTHÈQUES DE L’ODÉON
Carte 10 entrées 50€
Salon Roger Blin
Tarif unique 6€
date limite d’utilisation : 30 juin 2015
XXIe scène
entrée libre sur réservation
[email protected]
(à l’exception de Gainsbourg, poète majeur
et Bestiaire d’amour)
01 44 85 40 40 theatre-odeon.eu
suivez-nous
@Bibliodeon
Tchekhov
prend les
âmes et
les corps
ensemble.
sa première épouse, Anna Petrovna,
avait dû la lui tendre auparavant. C'est
tout à fait frappant à la fin de l'acte II :
Sacha propose explicitement à Ivanov
de recommencer sa vie. Et c'est à l'instant même où elle lui fait cette proposition qu'Anna surgit et surprend
les amants enlacés. Comme si Ivanov
était condamné à ne faire que l'expérience négative du recommencement
– comme si pour lui, revivre ne pouvait
signifier qu'une répétition mortifère et
non le début d'une existence neuve.
Car «revivre» a bien ces deux sens, et
pas seulement en français, dans notre
vie. Mais revivre, pour Ivanov, finit toujours par un mouvement de retombée.
Comment se fait-il qu'une promesse
de vie nouvelle se renverse en retour
d'une perte préalable, d'un échec, d'une
mort ? Le texte soulève ces questions.
C'est ce qui rend la pièce impressionnante. Nous sommes ici, en surface,
dans le drame bourgeois, dans l'intimité de l'univers familier, avec le cercle
d'amis, les proches, le médecin, mais
ce qui se joue concerne la vie, le monde,
l'histoire. Tchekhov, au début de l'acte
II, fait parler ses personnages des tensions entre la France et l'Allemagne,
mais ils en parlent tout en échangeant
des recettes de zakouskis... La petite
cuisine, la dépression individuelle,
l'état de l'Europe, tout se mélange très
finement. Le monde entier entre dans
les relations, et l’état des relations dit
celui du monde.
D. L. : Tchekhov a donc recueilli les
symptômes de quelque chose qui se
passait dans l'époque, en décrivant la
liquidation finale d'un certain rapport
romantique ou postromantique au mal
de vivre, qu'il dépouille définitivement
de tout prestige ?
D. L. : Vous venez de parler de «dépression». Au sens psychologique ou
moral, le terme est de création relativement récente : Littré, en 1877, ne
relève pas cette acception dans son
dictionnaire. Baudelaire, dans ses
écrits esthétiques, semble avoir été
le premier à parler de «dépression
d'âme». Tchekhov, qui était médecin, déploie une gamme lexicale
très large pour dire le chagrin, l'angoisse, la mélancolie, le cafard, l'accablement, voire la psychopathie ou
le spleen. Il était aussi médecin et
dresse un tableau clinique qui fait irrésistiblement penser à la dépression,
mais le mal n'est pas encore désigné
nommément...
F. W. : C'est très juste. Il n'y a plus de
sublimation esthétique. Ou alors c’est
une autre sublimation. Car il n'y a pas
non plus chez lui simple médicalisation.
Aucune étiquette simple n'est apposée
sur Ivanov. C'est là que le théâtre est
important. Le problème retentit subjectivement, non pas sur le seul sujet
affecté, mais autour de lui, relationnellement. C'est très frappant. à cet
égard, j'ai trouvé la référence à Hamlet
très intéressante. Ivanov refuse d'être
assimilé au prince du Danemark, mais
en même temps, par son refus même, il
invite le spectateur à se poser la question : que serait donc un Hamlet d'aujourd'hui ? Il serait tout à fait autre
chose que le héros de la tragédie
shakespearienne. Mais pour ne pas être
prince, il n'en est pas moins important.
Il y a déflation de la dépression. Mais
en même temps, dans cet état minimal, Tchekhov revendique le maximal.
Il a l'art extraordinaire de concentrer
la plus haute intensité dans la suggestion la plus discrète. «Suggestion» est
d'ailleurs encore un terme de l'époque...
On retrouve ce genre de préoccupation,
et les termes pour les réfléchir, chez
d'autres dramaturges contemporains,
à commencer par Strindberg.
F. W. : En fait, la médicalisation du
«mal du siècle» date à peu près de la
même période. En France, c'est autour
de Pierre Janet que la réflexion s'est
organisée. Sa thèse date de 1889,
l'année même de la deuxième version
d'Ivanov – qui est aussi d'ailleurs celle
de la thèse de Bergson, Essai sur les
données immédiates de la conscience.
Janet lance le terme de «psychasthénie», qui ne tarde pas à céder la place
à celui de «neurasthénie». Ce qu'on
pourrait appeler la «scientifisation»
du spleen a rencontré un large écho
en France. Proust, par exemple, est
très vite au courant de ces débats.
Puis Freud intervient et va remporter la
bataille des idées, en donnant un autre
contenu psychique à un mal qu'il analyse en termes dynamiques. Janet est
sous influence schopenhauérienne,
comme tant d'autres intellectuels
des années 1870-1880 – Nietzsche
étant l'un d'entre eux. Je ne sais pas
si Tchekhov l'était également, mais je
crois que pour lui, les individus comptaient trop pour qu'il se laisse entraîner très loin dans cette voie... Pour en
revenir à Janet, son idée est que l'on
est mû par une sorte d'énergie, qu'on
peut appeler «volonté» ou autrement,
et qui peut subir des variations d'intensité, des hauts et des bas. La neurasthénie, la «faiblesse de la volonté»,
est un fléchissement de l'adaptation
au réel. Pour le dire vite, il n'y a chez
Janet que le principe de réalité, là où
Freud introduit aussi le principe de
plaisir.
D. L. : à propos de contemporains,
vous avez certainement remarqué que
Bergson, dont vous êtes un spécialiste reconnu, est à un an près l'exact
contemporain de Tchekhov.
F. W. : Pour moi, le rapprochement est
très clair. En relisant Tchekhov, j'ai été
frappé par quelque chose dont Bergson
ne parle jamais, mais que Jankélévitch a
pointé très vite en développant sa pensée, et que j'ai mis une vingtaine d'années à comprendre moi-même : il y a
une souffrance qui naît du sentiment
explicite du temps. L'ennui n'est donc
pas une souffrance parmi d'autres.
Il relève, si je puis dire, du régime de
la double peine. Le rapport explicite
au temps est toujours douloureux.
Attendre, patienter, s'ennuyer sont des
souffrances spécifiques qui viennent
s'ajouter à d'autres souffrances sousjacentes. Quand on est malade, on va
souffrir aussi de l'urgence, ou de la tension, ou de la perspective de la mort...
Le temps intervient explicitement dans
la vie souffrante. Dès qu'on voit le temps
passer, on en souffre. Inversement, tout
bonheur est oubli du temps, suspension
de son vol. Le bonheur réel est temporel
de part en part, mais comme le montre
Bergson, il se produit un chiasme extraordinaire : quand on est dans le temps on
ne le voit pas, et dès qu'on le voit, c'est
qu'on n'y est plus. Ce paradis-là ne peut
être qu'inconscient, ou perdu. Tchekhov
en a un sentiment extrêmement aigu. Il y
a chez lui une nostalgie d'une expérience
du temps qui serait réellement temporelle précisément parce qu'elle ne le
serait ou plutôt ne le saurait pas.
D. L. : Ce que vous dites me rappelle quelques phrases de La Steppe,
l'une des plus longues nouvelles de
Tchekhov, à laquelle il travailla entre les
deux versions d'Ivanov. Permettez-moi
de vous les citer : «à les écouter parler
Iégorouchka conclut que ses nouveaux
compagnons, si différents par l'âge et le
caractère, avaient tous un trait commun
qui les rendait semblables : ils avaient
tous eu un passé merveilleux et leur présent à tous était détestable. Tous sans
exception parlaient de leur passé avec
émerveillement et de leur présent avec
horreur. Le Russe aime se souvenir, il
n'aime pas vivre.»1
F. W. : Cette mélancolie et cette ironie
vont au plus loin, non seulement de la
vie individuelle mais aussi d’une époque
historique. «Tous sans exception»,
cela fait penser au temps «hors de ses
gonds», dans Shakespeare, comme si les
époques aussi, qui avaient conscience
de l’histoire, n’osaient plus la faire (pour
le meilleur et pour le pire)... Tchekhov est
le poète de cette expérience de la nostalgie et de l'ennui. Dans Ivanov, elle permet
de regrouper les personnages en deux
classes : ceux qui s'ennuient – Ivanov,
Anna Petrovna, Lébédev, Chabelski...
et les autres. Deux grandes pensées
du temps s'affrontent, y compris au XXe
siècle, autour de cette question précise : est-ce que l'ennui nous révèle
la réalité du temps ou sa perte ? Pour
Heidegger, l'ennui, l'angoisse, l'êtrepour-la-mort, sont censés nous révéler
la réalité du temps. Pour Bergson, c'est
le contraire. à ses yeux, l'ennui est un
signe qui marque qu'on n'est pas dans le
temps réel. Quand on travaille vraiment,
on est «dans» le travail, on ne voit pas le
temps passer et on n'éprouve pas l'ennui. De ce point de vue, l'ennui est une
marque négative, un creux. Comme le
temps perdu chez Proust, il renvoie à une
dispersion, à du non-réel, à une mécanisation ou à une perte. Et Tchekhov, tout
autrement que Proust mais avec lui, est
l'un des grands peintres de ce sentiment-là. Il y ajoute l'intuition que les ressources ne sont pas loin, mais où ?... Si
on s'aimait ? Si on faisait ceci ou cela ?
Aucune solution n'est tout à fait bonne,
et en attendant, on souffre.
D. L. : Ce que le théâtre tchékhovien
montre pour faire oublier que le temps
passe, c'est précisément le temps qui
passe. Et pour nous arracher à l'ennui,
il nous propose un ennui concentré,
exaspéré...
F. W. : On ne s’ennuie pas en voyant les
personnages s’ennuyer. C’est comme un
miracle. Il nous fait voir et oublier notre
ennui en nous faisant voir et ressentir celui des autres. C'est un artiste prodigieux. Il avait sous-titré son premier
Ivanov «comédie»... Il ne faut jamais
oublier le sourire de Tchekhov. Il a le sens
pascalien du divertissement mais il en
joue, comme pour répondre à Pascal.
Son divertissement, au lieu de nous éloigner du centre, nous y ramène. Chez
lui, l'ennui n'est jamais gratuit. Il ne se
laisse pas fasciner par lui. Il déchiffre toujours, derrière lui, une autre souffrance,
réelle, vitale, qu’il redouble ou dans
laquelle il s'enracine : maladie, séparation, méchanceté ou malheur, entre les
êtres. Tchekhov a su échapper à deux
grands risques. Il ne minimise pas l’ennui – il sait que l'ennui en dit beaucoup
sur notre existence. Il ne le maximise pas
non plus. L'ennui n'a pas à être esthétisé,
il cache autre chose. Tchekhov refuse
toute mystique de l'ennui. Il est trop positif, trop médecin pour cela. Il prend les
âmes et les corps ensemble. La maladie, il la connaissait du dehors comme
du dedans. Du coup, résister d’un côté,
c’est aussi renaître de l’autre. C’est bien
de revivre qu’il s’agit, aujourd’hui encore.
1
Anton Tchekhov : La Steppe, trad. Olga VieillardBaron, Paris, Flammarion, coll. GF, 1992, p. 93
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, 15 octobre 2014
Frédéric Worms
Professeur de philosophie à l'école
Normale Supérieure, il dirige le Centre international d'étude de la philosophie
française contemporaine. Après des études
sur Bergson, sur les «moments» de la
philosophie en France, et sur le soin, il a
publié récemment Revivre, éprouver nos
blessures et nos ressources (Flammarion,
coll. sens propre, 2012), La vie qui unit et qui
sépare (Payot, 2013) et Penser à quelqu'un
(Flammarion, coll. sens propre, 2014).
Frédéric Worms sera l'invité, au salon
Roger Blin, de L'ÉPREUVE DE LA HAINE,
cycle des Bibliothèques de l'Odéon,
le vendredi 16 janvier / 18h
Remettre la vie
dans le bon sens
12
13
Depuis plusieurs saisons, l'Odéon mène des actions d'éducation artistique et culturelle destinées à des enfants ou à des
adolescents n'ayant pas eu l'occasion de découvrir le théâtre ou confrontés à des difficultés particulières. Cette année, un
nouveau projet conçu pour des jeunes en situation de décrochage scolaire est mis en place, avec le soutien de la municipalité de Sarcelles, de l'Alliance des mécènes et de la Fondation Deloitte pour l'éducation. Enseignante d'histoire-géographie
pendant quatorze ans au collège Jean Lurçat de Sarcelles, Chantal Ahounou a mis toute son énergie, son expérience et son
humour dans la balance pour rendre possible ce nouveau partenariat avec Les Bibliothèques de l'Odéon et Les petits Platons.
Agir dès les premières failles
Marianne Eshet, déléguée générale de la Fondation SNCF et présidente de l'Alliance des mécènes,
nous éclaire sur la question du décrochage scolaire
Trois questions à Chantal Ahounou
Alice Hervé : Pourquoi cet engagement
avec des jeunes «décrocheurs» qui va
au-delà de votre rôle d'enseignante ?
Chantal Ahounou : Mon «rôle d'enseignante», je ne l'ai jamais conçu sans
cet «au-delà». Quand on s'engage,
quand on veut ouvrir d'autres horizons
aux enfants, on explore toutes sortes
de pistes. Si je veux conduire les adolescents vers l'épanouissement et les
aider à réussir, je dois être prête à enseigner autrement ! De ce point de vue, la
culture, et le théâtre en particulier, sont
des biens communs, des ressources
qui invitent à des pratiques différentes.
Les liens entre l'Odéon et le collège Jean
Lurçat remontent à dix ans. Toutes sortes
d'intervenants, dont des artistes, sont
venus dans l'établissement, et inversement, les élèves ont pu franchir le seuil
d'un grand théâtre parisien. Ces allersretours entre la classe et la scène ont
transformé leur rapport à l'art et à la
vie. L'Odéon est devenu progressivement pour eux un lieu plus familier, une
maison à laquelle ils découvraient qu'ils
avaient droit. Et ce lieu n'est pas que
théâtral. Il est un carrefour de rencontres
ouvrant à des expériences inédites.
photos prises lors de la séances de travail
du 5 novembre 2014
© Ketchup Mayonnaise
Chaque année,
143 000 jeunes
sont des «sortants
sans diplômes» (en
interrompant leurs
études au bout de la
première année, ils
n'ont obtenu aucun
diplôme ou ne sont
munis que du seul
brevet des collèges).
Ce chiffre représente
17% à 18% de ceux qui
quittent définitivement
le système éducatif.
L'Odéon, avec ses Bibliothèques, est
donc le partenaire idéal pour s'attaquer
au problème du décrochage. C'est un
fléau social terrible, qu'il faut attaquer
à la racine.
A. H. : En quoi ce projet répond-il au
problème du décrochage scolaire ?
C. A. : Les causes du décrochage sont
multiples, mais j'en retiens une, que tous
les enseignants connaissent. Les jeunes,
et pas seulement les adolescents, sont
en quête de sens. Or quand on ne trouve
pas de sens, quand on a le sentiment
qu'il n'y a aucun sens à rien, alors à quoi
bon ? Cette demande de sens, parfois
informulée, n'est pas toujours facile à
entendre. Et même si on l'entend, il peut
être difficile de la satisfaire : le sens, ce
n'est de toute façon pas quelque chose
qu'on peut dicter ou mettre en formules. Il arrive ainsi que les jeunes, à
force d'avoir le sentiment de ne pas être
écoutés, finissent par ne plus écouter
eux-mêmes. Ils s'enferment dans leur
coquille, ils lâchent prise. Chaque année,
cent quarante mille jeunes quittent le
système scolaire sans aucun diplôme.
C'est un drame. Chaque année, je suis
confrontée à des élèves qui risquent de
«décrocher», et cela me donne le vertige... Je suis persuadée que si on répond
mieux à la demande de sens, ne serait-ce
qu'en l'aidant à s'exprimer, nous ferons
déjà un grand pas. Je crois aux vertus
de la philosophie dès le plus jeune âge.
Personnellement, je ne connaissais pas
Les petits Platons, une collection particulièrement innovante. Je l'ai moi-même
découverte grâce aux Bibliothèques de
l'Odéon ! L'interrogation philosophique
est une activité à la fois très personnelle
et très collective. Elle amène à énoncer
ses opinions, à les examiner, à s'ouvrir
à celles des autres et à les discuter en
commun. Bien conduite, elle peut être
une véritable libération. Avec ce projet, ensemble – et je tiens absolument
à remercier ici Guilène Bertin-Perri,
secrétaire générale de la Fondation
Deloitte pour l'éducation, et Laurence
Piccinin, déléguée générale de l'Alliance
des mécènes, sans qui rien n'aurait été
possible –, nous allons faire en sorte que
ces enfants se réparent et retrouvent l'estime d'eux-mêmes. Chaque année, des
ateliers d'éducation artistique et culturelle offriront aux jeunes «décrocheurs»
la possibilité de se reconstruire et
d'envisager l'avenir autrement, y compris
en leur ouvrant les portes de l'entreprise.
A. H. : Comment va se dérouler ce
programme ?
C. A. : Les ateliers de philosophie ont
lieu les mercredis après-midi de 14 à
16 heures, à la maison de quartier «Les
Vignes Blanches», grâce à la municipalité de Sarcelles, qui soutient les partenariats avec l'Odéon depuis 2004. J'y
serai présente. Les douze jeunes participants se sont inscrits volontairement. Au
cours de l'année, ils visiteront le Théâtre
de l'Odéon dans le 6e arrondissement, où
ils assisteront à des lectures des Bibliothèques de l'Odéon. Ils découvriront
aussi la Fondation Deloitte pour l'éducation. Enfin, le samedi 20 juin 2015, le
public du théâtre pourra découvrir le travail réalisé dans ces ateliers : une lecture
publique sera présentée au salon Roger
Blin, dans le cadre de la programmation
des Bibliothèques. Cette reconnaissance
symbolique du parcours accompli par les
enfants est évidemment d'une importance capitale.
Propos recueillis par Alice Hervé
Paris, le 14 octobre 2014
Le décrochage est
un processus qui
conduit un jeune en
formation initiale à
se détacher du système
de formation jusqu'à le
quitter avant d'avoir
obtenu un diplôme.
La France s'inscrit
dans la stratégie
européenne de lutte
contre le décrochage.
Objectif : pas plus de
9,5 % de décrocheurs de
18-24 ans en 2020.
UNE PéDAGOGIE DE LA QUESTION
Son projet : accompagner les enfants
dans la découverte de la philosophie
de façon ludique, en associant une pratique très interactive de l’échange à des
références philosophiques classiques.
Sa priorité : donner un espace d'expression aux enfants, de manière à ce qu'ils
soient les protagonistes de la discussion.
Les participants sont au besoin répartis en différents groupes selon leur
âge. Une fois le thème choisi (quelques
exemples : «Ça veut dire quoi, grandir ?»
«Le bien et le mal» ou encore «Est-ce que
je peux faire confiance à mes sens ?»),
Chiara allume une petite bougie symbolisant le temps qui s'écoule et la clarté
de la pensée dissipant les confusions.
Puis elle fait asseoir les enfants en
cercle et prend place parmi eux. La discussion peut s'engager spontanément à
partir de quelques remarques de Chiara,
prendre appui sur des supports visuels
(images, vidéos), ou s'inspirer de la lecture de contes. Après un échange d'environ une heure, la rencontre peut se
poursuivre par des travaux pratiques
(peinture, dessin, écriture) qui visent
à aborder autrement le thème abordé
tout en produisant une trace concrète
des discussions. Les textes produits
peuvent être lus et commentés par les
enfants eux-mêmes.
Cette pratique s'inspire librement de la
méthode maïeutique (du grec μαιευτική,
art de la mise au monde) telle que la
pratiquait Socrate. à l'instar de la mère,
qui était sage-femme, Socrate prétendait en effet accompagner des «accouchements», en aidant les jeunes gens
de son entourage à mettre au jour leurs
Marianne Eshet : Le constat du décrochage scolaire en France est dramatique et inacceptable. Chaque année,
140 000 jeunes sortent du système
scolaire sans qualification, c'est-àdire au fond avec aucun espoir de
s'intégrer un jour, de trouver un travail. Je demeure convaincue que
seule une action préventive et collective peut faire reculer ce fléau.
C'est la raison pour laquelle nous est
apparue il y a deux ans la nécessité
d'apporter une réponse en amont du
problème. C'est-à-dire d'agir avant
le moment «traditionnel» du décrochage scolaire, situé au passage
dans le secondaire, et d'intervenir
dès les premières failles de l'élève,
qui peuvent apparaître au début du
collège.
P. R. : Quelle est la particularité des
actions menées par l'Alliance des
mécènes auprès des «décrocheurs»
scolaires ?
M. E. : En compagnie de six autres
entreprises, la Fondation SNCF,
déjà active dans la prévention de
La solution
doit être
globale.
l'illettrisme, s'est lancée dans une
démarche innovante, aux côtés de
six associations déjà présentes
sur le terrain ainsi qu'avec des
experts, des linguistes, des sociologues, des psychiatres, ou encore
des membres de l'éducation natio-
En 2012, la proportion de «sortants
précoces» (les jeunes de 18-24 ans qui ne
possèdent pas de diplôme de l’enseignement
secondaire et qui ne sont ni en formation
ni en études) est de 11,6% en France.
Elle est de 10% en Allemagne et de 25% en
Espagne. La moyenne européenne est à 13%.
En 2012, 230 000 élèves dits «décrocheurs»
quittent un cursus d’éducation secondaire
sans obtenir de diplôme.
Une séance avec Chiara Pastorini, intervenante des petits Platons
Docteur en philosophie et collaboratrice occasionnelle à Philosophie
Magazine, Chiara Pastorini anime des
ateliers de philosophie pour enfants
dans les écoles (dès la maternelle), les
bibliothèques ou les cafés. Elle intervient également pour la maison d'édition Les petits Platons. C'est dans ce
cadre qu'elle animera à Sarcelles, tout
au long de l'année scolaire, les ateliers de
philosophie destinés aux «décrocheurs»
du collège Jean Lurçat.
Pauline Rouer : Quel état des lieux
dressez-vous du décrochage scolaire
en France?
idées pour en éprouver la validité. Avec
les jeunes participants des ateliers,
le but est de les amener à s'interroger
sur les thèmes qui les intéressent tout
en leur apprenant à opérer des distinctions conceptuelles et à développer leur sens critique. Car pour Chiara
Pastorini, la philosophie est une pédagogie non de la réponse, mais de la
question. Médiatrice, Chiara ne dicte
pas de solutions, mais montre en quoi
consiste leur recherche, facilitant ainsi
la construction de débats qui nourrissent
chez chaque enfant l'autonomie de sa
pensée.
Alice Hervé
lecture publique
Chacun sa route,
chacun son chemin
Samedi 20 juin / 15h et 17h
Théâtre de l'Odéon 6e
Salon Roger Blin
Réservation
01 44 85 40 40 / theatre-odeon.eu
nale. Comme le décrochage découle
souvent d'une combinaison de facteurs d'ordre multiple, sociaux,
économiques, familiaux, psychologiques, la solution apportée doit être
globale. Nous avons monté un programme en quatre volets. D'abord,
apporter une aide scolaire individuelle. Ensuite, sensibiliser les
familles. C'est essentiel : l'enfant doit
être soutenu dans son environnement
familial si l'on veut que sa marge de
progrès ne s'arrête pas aux limites
du cadre scolaire. Le troisième volet,
le plus innovant, se concentre sur
la socialisation de l'enfant dans sa
classe et dans son quartier. Ce travail, mené par l'association «Réussir
moi aussi», se présente sous forme
de modules animés par des intervenants formés spécialement pour cela.
Des jeux de rôles permettent à l'enfant décrocheur de vivre une expérience collective et de se raccrocher
au groupe sans pour autant être stigmatisé. La dernière dimension du programme vise à développer un esprit
d'équipe entre tous ces bénéficiaires lors
de sorties culturelles ou de découverte.
P. R. : Comment accompagner ces adolescents dans leur parcours de réintégration du système éducatif ?
M. E. : Pour être efficace, ce projet doit
s'inscrire dans la durée. Chacun des 80
enfants recrutés la première année, et
des 150 recrutés cette année, bénéficie
de ce programme sur trois ans, jusqu'au
moment du passage dans le secondaire.
Au terme de ces trois ans, en vue d'affiner et d'améliorer encore nos actions,
une grille établie par notre comité scientifique, en partenariat avec l'ESSEC,
nous permettra d'évaluer le chemin parcouru par chaque enfant.
Propos recueillis par Pauline Rouer
Paris, octobre 2014
Adolescence
et
territoire(s)
Pour cette troisième édition, c'est au tour de
Julie Deliquet et le Collectif In Vitro de mener
un travail avec des adolescents de 15 à 20 ans.
Julie Deliquet
À l'issue de sa formation au Conservatoire
de Montpellier puis à l'École du Studio
Théâtre d'Asnières, elle poursuit sa
formation pendant deux ans à l'École
Internationale Jacques Lecoq. Elle crée
le Collectif In Vitro en 2009 et présente
Derniers Remords avant l'oubli de Jean-Luc
Lagarce (1er volet du Triptyque
«Des années 70 à nos jours») dans le cadre
du concours Jeunes metteurs en scène du
Théâtre 13, elle y reçoit le prix du public.
En 2011, elle crée La Noce de Brecht (2e
volet du Triptyque), au Théâtre de Vanves,
présenté en 2013 au 104 dans le cadre
du festival Impatience. En 2013, elle crée
Nous sommes seuls maintenant, création
collective (3e volet du Triptyque).
Le collectif est associé au TGP-CDN de
Saint-Denis depuis janvier 2014.
Depuis 2012, Adolescence et territoire(s), programme d'éducation
artistique et culturelle, propose chaque saison à des adolescents
âgés de quinze à vingt ans et issus des territoires proches des
Ateliers Berthier de participer à la création d'une pièce de théâtre
sous la direction d'un metteur en scène – qui souhaite esquisser
un portrait des adolescents d'aujourd'hui en prenant appui sur
leur lieu de vie, leur relation aux autres, leur quotidien.
Pour cette troisième édition, c'est au tour
de Julie Deliquet et le Collectif In Vitro de
mener un travail avec des adolescents,
après les spectacles de transmission
menés par les metteurs en scène Didier
Ruiz, 2013 comme possible, et Jean
Bellorini avec la compagnie Air de Lune,
Le Rêve d'un homme ridicule.
Julie Deliquet et le Collectif In Vitro débuteront leur travail à partir de janvier 2015,
avec une vingtaine d'adolescents choisis
dans quatre villes avoisinantes ; ils présenteront leur création en juin 2016.
Si vous avez entre 15 et 20 ans et habitez
le 17e, Clichy-la-Garenne, Saint-Ouen,
Saint-Denis et souhaitez participer à
ce projet, vous pouvez contacter dès à
présent Alice Hervé :
01 44 85 40 47
[email protected]
Cet engagement demande d'être
disponible les samedis après-midi – pour
les ateliers – et pendant les vacances
scolaires – pour les stages.
De janvier à juin 2015
D'octobre 2015 à juin 2016
14
15
Acheter et réserver ses places
Avantages abonnés
Tarifs préférentiels, invitations... (nombre de places restreint)
Des propositions élaborées avec les partenaires culturels de l’Odéon-Théâtre de l’Europe
La musique et ses publics
Ouvertures de location tout public
Calendrier
à l'occasion de l'ouverture de la Philharmonie de Paris en
janvier 2015, l'Odéon-Théâtre de l'Europe a souhaité mettre
en avant la musique sous toutes ses formes. Rencontre avec
Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris.
IVANOV
représentations du 16/01 au 28/02
guichet / téléphone / theatre-odeon.eu
mercredi 10 décembre
janvier
2015
En quoi la Philharmonie complète-t-elle la Cité de la musique ?
La Cité s'est inspirée du modèle du Centre Pompidou, conçu pour favoriser différents modes d'appropriation par les publics, entre l'événementiel et la collection
permanente : d'un côté le concert, de l'autre, le musée. Sur cette toile de fond,
la Philharmonie apporte une pièce essentielle, qui manquait cruellement : une
grande salle adaptée à l'orchestre symphonique.
Quels sont les publics de la musique dite «classique» ?
Toutes les études confirment qu'ils sont vieillissants et que leur base sociologique
reste extrêmement étroite. Le problème est donc simple : existe-t-il des modes de
transmission, à dimension éducative, susceptibles d'intéresser nos concitoyens à
la musique et de former les publics de l'avenir ? L'outil de la Philharmonie est pensé
pour répondre par l'affirmative. La Philharmonie va permettre de multiplier les
formes d'expérience musicale offertes aux enfants, aux individus, aux familles,
aux groupes, pour quelques heures, une journée ou un week-end.
Les Bibliothèques de l’Odéon 6e
Berthier 17e
Grande salle / salon Roger Blin / studio Gémier
mar 13 La Réunification... 20h Ma bibliothèque... / Le cosmopolite / Dany Laferrière 18h
mer 14 La Réunification... 20h Mythes et épopées / Le Chant du Rossignol... 15h
jeu15 La Réunification... 20h
ven 16Ivanov 20h
La Réunification... 20h L’épreuve de la haine / 1914... 18h
sam17 Ivanov 20hLa Réunification... 20h L’Europe inspirée / L’Europe – berceau du roman... 17h
dim18 Ivanov 15h
La Réunification... 15h***
lun
19XXIe Scène / Sam Holcroft et Allistair Mac Dowell 18h
Exils / Albert Cohen / Tobie Nathan 20h
mar 20Ivanov 20h
La Réunification... 20h***
mer 21Ivanov 20h
La Réunification... 20h
jeu 22Ivanov 20h
La Réunification... 20h à quoi tenons-nous vraiment ? / Papier, écrans... 18h
ven23 Ivanov 20h
La Réunification... 20h
sam 24Ivanov 20h
La Réunification... 20h Politique de la pensée / Platon... 15h
Les petits Platons / La mort du divin Socrate 15h
dim 25Ivanov 15h
La Réunification... 15h
lun 26
mar 27Ivanov 20h
La Réunification... 20h
mer 28Ivanov 20h
La Réunification... 20h
jeu 29Ivanov 20h
La Réunification... 20h
ven 30Ivanov 20h
La Réunification... 20h
sam 31Ivanov 20h
La Réunification... 20h
Odéon 6e
représentations du 08/04 au 29/04
guichet / téléphone / theatre-odeon.eu
mercredi 28 janvier
les bibliothèques de l’odéon
Vous pouvez réserver pour l’ensemble de la saison 14/15
Par téléphone
01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30
Au guichet du Théâtre de l’Odéon
du lundi au samedi de 11h à 18h
février
Les Bibliothèques de l’Odéon 6e
Berthier 17e
Grande salle / salon Roger Blin
dim 1Ivanov 15h
lun 2 Voix de femmes / Linda Lê 20h
mar3Ivanov 20h Lire le théâtre / Numance – Cervantès 18h
mer4Ivanov 20h Voyages en littérature / Au cœur des Himalayas 18h
jeu 5Ivanov 20h
ven 6Ivanov 20h L’épreuve de la haine / La lutte pour les droits... 18h
sam7Ivanov 20h Politique de la pensée / Machiavel... 15h
Les petits Platons / érasme et le grelot de la folie 15h
dim 8Ivanov 15h
lun 9 Exils / Kateb Yacine / Mohamed Kacimi 20h
mar
10Ivanov 20h Ma bibliothèque... / Les grands pieds / Céline Minard 18h
mer
11Ivanov 20h Mythes et épopées / Les Lions du Sassoun 15h
jeu 12Ivanov 20h à quoi tenons-nous vraiment ? / Le cogito gourmand 18h
ven13Ivanov 20h
sam
14Ivanov 20h
dim15Ivanov 15h
lun 16
mar 17Ivanov 20h
mer18Ivanov 20h
jeu 19Ivanov 20h
ven 20Ivanov 20h
sam21Ivanov 20h
dim22Ivanov 15h lun 23
mar 24Ivanov 20h
mer 25Ivanov 20h
jeu 26Ivanov 20h
ven 27Ivanov 20h
sam 28Ivanov 20h
Abonnés
Odéon 6e
Si vous n’avez pas choisi vos dates de spectacles :
Philharmonie de Paris – Intérieur de la grande salle
Philharmonie de Paris
© Arte Factory-Jean Nouvel
une sélection de concerts
Vendredi 23 janvier / 20h30
La Création de Joseph Haydn
Un sommet de la musique classique sacrée pour lequel Thomas Zehetmair réunit l’Orchestre de chambre de
Paris et Accentus.
Samedi 31 janvier / 18h
Nuit du raga
Orchestrée par de grands musiciens indiens contemporains, cette Nuit du raga promet de vivre une expérience
d’une rare intensité.
Jeudi 12 février / 20h30
Jazz at the Philharmonie avec éric Legnini – Bireli Lagrène – Stefano Di Battista – Joe Lovano...
La fine fleur de la planète jazz se réunit ici dans l'esprit des concerts lancés à New York dans les années 40 par le
célèbre producteur Norman Granz.
Samedi 14 février / 11h
Roméo et Juliette
Concert en famille
Roméo et Juliette par Les Siècles et François-Xavier Roth.
Extraits des œuvres de Piotr Ilitch Tchaïkovski, Hector Berlioz, Sergeï Prokofiev.
Votre priorité est-elle d'attirer le public de Pleyel ou d'en susciter un nouveau ?
Il faut les deux. Comme la salle Pleyel, la Philharmonie est conçue pour les grandes
formes. Cela entraîne des coûts incompressibles assez élevés : les salaires, les
voyages, l'accueil des artistes... Il est indispensable que le public existant suive,
afin de tenir les objectifs de recettes. Les publics doivent être à la fois conservés
et renouvelés. Il faut donc sortir des sentiers battus, rénover le rituel du concert et
casser les barrières. La Philharmonie est à cet égard une chance historique : elle
est à l'heure actuelle un des très rares grands projets culturels à assumer franchement une politique de l'offre. Nous allons programmer plus de 300 concerts
de janvier à juin 2015.
Propos recueillis par Daniel Loayza
Paris, 13 octobre 2014
Retrouvez l'intégralité de l'entretien avec Laurent Bayle sur theatre-odeon.eu
– Vous pourrez réserver vos dates, à tout moment de l’année.
Merci de vérifier la disponibilité de la date choisie auprès du service
abonnement avant de retourner votre contremarque.
– Nous vous conseillons de choisir vos dates avant l’ouverture de
réservation tout public, afin que nous puissions vous placer au mieux.
Vous avez la possibilité de réserver des places supplémentaires
aux dates d’ouverture de location de chaque spectacle.
Vous bénéficiez d’un tarif réduit pour Les Bibliothèques de l’Odéon, en grande salle.
Contact 01 44 85 40 38 [email protected]
Représentations
IVANOV
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi
> Tarif préférentiel -15% avec le code ODEONABO15
(hors catégories 5 et 6) et sur présentation de votre
carte d'abonné 2014-2015
> Informations et réservations sur
saison-2015.philharmoniedeparis.fr ou par téléphone au 01 44 84 44 84
> Philharmonie de Paris – 221 avenue Jean-Jaurès,
Paris 19e
Centre culturel suisse
Concert
Kiku, Blixa Bargeld et Black Cracker
Mardi 20 janvier / 20h
KiKu (composé de Yannick Barman et Cyril Regamey) a fêté
ses dix ans en 2013. à l’origine duo acoustique, leur musique s’est enrichie de sons électroniques et de rencontres
multiples surfant entre jazz et musique contemporaine. Les
virtuoses Barman et Regamey sont aussi des explorateurs
hors pair des friches artistiques. Pour ce nouveau projet, ils
s’associent à Blixa Bargeld, connu pour avoir longuement
collaboré avec Nick Cave, et Black Cracker, MC et poèteslameur. Plus pop/rock que leur formation habituelle, ce
concert associe guitare, batterie, trompette, samples, voix
et vidéo.
vacances scolaires
zone A
zone B
zone C
***Représentations
avec audiodescription
Tarifs
Spectacles
Théâtre de l’Odéon 6e
série 1
série 2
série 3
Plein tarif
38 € 26 € 16 €
Moins de 28 ans, étudiant, bénéficiaire du RSA*
Public en situation de handicap
19 € 13 € 8 €
Demandeur d’emploi*
20 € 16 € 10 €
6 € 6 € 6 €
Élève d’école de théâtre* (2h avant la représentation)
Lever de rideau (2h avant la représentation)
—
—
—
> Invitations
> Réservation à [email protected]
> Centre culturel suisse, 38 rue des Francs-Bourgeois, Paris 3e
*
Ateliers Berthier 17e
série 4série unique 12 €
34 €
6 €
6 €
6 €
6 €
17 €
20 €
6 €
—
Justificatif indispensable lors du retrait des places
Contacts
Groupe d’adultes, amis, association,
comité d’entreprise,
01 44 85 40 37
[email protected]
Public de l’enseignement
01 44 85 40 39 / 41 18
[email protected]
Public de proximité des Ateliers Berthier,
public du champ social et public en
situation de handicap
01 44 85 40 47
[email protected]
Nadia Boulanger © Paul Almasy
Concerts de Radio France
Mardi voix : «Les femmes compositrices»
Mardi 10 mars / 20h
La voix dans toutes ses acceptions, dans toutes
ses formes, dans tous les répertoires, d’hier et
d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, vous attend pour le
«Mardi voix» à Radio France.
Fanny Mendelssohn, Robert Schumann,
Clara Schumann, Mel Bonis, Rebecca Clarke,
Lili Boulanger, Nadia Boulanger.
Philippe Djian © DR
Auditorium du Musée du Louvre
On the road again, un voyage musical
avec Philippe Djian
Vendredi 16 janvier / 20h30
La musique est une invitation au voyage, elle accompagne l’errance de ceux qui
choisissent les marges de nos mondes policés ; elle est aussi une invitation au voyage
intérieur, au dépassement de ses propres frontières. Schubert, Dylan, Springsteen et
bien d’autres ont mis en musique ces transgressions, commentées ici par Philippe
Djian, écrivain voyageur et mélomane.
> Invitations
> Réservation à [email protected]
> Musée du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris 1er
Kiku © Cédric Raccio © Dualroom
> Invitations
> Réservation à [email protected]
> Maison de la Radio – Auditorium, 116 avenue du Président
Kennedy, Paris 16 e
Les
l’Odéon
Bibliothèques deThéâtre
de l’Odéon 6eTarifs exceptionnels
38 € 26 € 16 € 12 €
28 € 19 € 12 € 6 €
28 € 19 € 12 € 6 €
Carte Les Bibliothèques de l’Odéon
Carte 10 entrées 50€
(à l’exception de Bestiaire d’amour)
Carte à utiliser librement ; une ou plusieurs
places lors de la même manifestation.
Réservation fortement conseillée
19 € 13 € 8 €
20 € 16 € 10 €
6 € 6 €
6 €
Attention : pour Bestiaire d’amour, un tarif
préférentiel est cependant consenti aux
abonnés Odéon et aux détenteurs de la Carte
Les Bibliothèques de l’Odéon
(cf. tarifs exceptionnels, voir ci-contre).
Bestiaire d’amour
Grande salleRoger Blinsérie 1
Plein tarif
10 €
6 €
Carte les Bibliothèques de l’Odéon
—
—
Abonné Odéon
6 €
6 €
Moins de 28 ans, étudiant, bénéficiaire du RSA*
Public en situation de handicap
6 € 6 €
Demandeur d’emploi*
6 €
6 €
Élève d’école de théâtre* (2h avant la représentation)
6 € 6 €
*
Justificatif indispensable lors du retrait des places
série 2 série 3série 4
6€
6€
6€
3 octobre – 21 novembre / Odéon 6e
16
les nÈgres
Jean Genet / Robert Wilson
création
avec le Festival d’Automne à Paris
9 octobre – 14 novembre / Berthier 17e
les particules ÉlÉmentaires
Michel Houellebecq / Julien Gosselin
Soutenez
la création théâtrale
en devenant membre
du Cercle de l'Odéon
avec le Festival d’Automne à Paris
3 – 14 décembre / Odéon 6e
you are my destiny
(Lo stupro di Lucrezia)
Angélica Liddell
avec le Festival d’Automne à Paris
10 décembre – 31 janvier / Berthier 17 e
Information et contact
Pauline Rouer
[email protected]
La rÉunification des deux corÉes
Joël Pommerat
16 janvier – 28 février
8 – 29 avril / Odéon 6e
Ivanov
Anton Tchekhov / Luc Bondy
création
14 mars – 2 avril / Berthier 17 e
toujours la tempÊte
Peter Handke / Alain Françon
11 – 29 mars / Odéon 6e
das weisse vom ei
(Une île flottante)
Eugène Labiche / Christoph Marthaler
2 – 17 mai / Berthier 17 e
henrY vi
William Shakespeare / Thomas Jolly
15 mai – 27 juin / Odéon 6e
Ils sont
mécènes de la saison
2014-2015
les
fausses
confidences
Marivaux / Luc Bondy
28 mai – 28 juin / Berthier 17 e
liliom
Ferenc Molnár / Jean Bellorini
octobre 2014 – juin 2015
5
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon Paris 6 e
Métro Odéon RER B Luxembourg
Ateliers Berthier
1 rue André Suarès (angle du Bd Berthier) Paris 17e
Métro et RER C Porte de Clichy
Salles accessibles aux personnes à mobilité réduite,
nous prévenir impérativement au 01 44 85 40 40
Toute correspondance est à adresser à
Odéon-Théâtre de l’Europe – 2 rue Corneille – 75006 Paris
theatre-odeon.eu
01 44 85 40 40
© Pascal Brami
couverture : affiche d’Ivanov © Werner Jeker / Licences d’entrepreneur de spectacles 1064581 – 1064582
Les Bibliothèques de l’Odéon
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