Marchandise et science économique

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Marchandise et science économique
À propos d'échange économique, appeler de façon générique « marchandise » l'autre objet qu'une
quantité de monnaie (et en cas de troc les deux termes) aide à bien observer le système établi par
cette sorte d'acte social.
C'est toutefois à deux conditions qui valent aussi bien quand le terme considéré est entièrement un
service ou principalement un bien (ou lorsqu'en cas de troc chacun des deux termes est ou bien
entièrement un service, ou bien principalement un bien).
Mercure et Perrine
Les propriétés objectives qui déterminent l'appartenance d'un terme d'échange économique à
l'ensemble des marchandises doivent être complètement inventoriées. C'est la première condition à
remplir. Or l'histoire des acceptions des mots « marchandise », « marchand, ande » et « marché »
ne garantit pas du tout la complétude et l'exactitude factuelles recherchées.
La lexicographie atteste au contraire de la persistance de nos atavismes lorsque sous l'ancestral
patronage de Mercure, dieu du commerce et des voleurs, Perrine au pot au lait se prend aux vertiges
de l'accumulation exponentielle de richesses monnayables. Et à ce legs, notre époque s'est mise à
voir dans les sélections au moyen de sondages et d'élections la preuve de l'existence d'un « marché
» politique. Décidément, Mercure s'encombre le moins possible de vergogne pendant que Perrine
continue à rêver.
Us et coutumes
À partir de la définition en compréhension de l'ensemble des marchandises, l'entière division de cet
ensemble en catégories homogènes doit être assez poussée pour que tous les échanges
économiques s'y trouvent inventoriés. Mais pour parvenir à remplir cette seconde condition, il faut
passer outre à des traditions.
Par exemple, encore nombreux, sinon plus nombreux que ceux d'avis contraire, sont les
fonctionnaires et, entre autres, les dispensateurs de soins médicaux qui veulent bien que l'un de
leurs rapports avec qui les rémunère soit dit économique, mais qui jugent offensant qu'on le qualifie
de marchand. Le réel n'en est pas moins ainsi fait que tout échange économique, et par conséquent
toute rémunération du travail, est un échange marchand. Qu'on fasse ou non semblant de ne pas
s'en apercevoir, un soldat et un prêtre vendent le service de leur travail à l'institution qui les emploie :
leur relation avec leur employeur est en partie marchande, comme pour tout autre salarié. Au
demeurant, le mot « salaire » vient des us économiques de l'armée romaine et l'histoire édifiante de
la « portion congrue » vient des us économiques du clergé catholique, voir les plus complets
dictionnaires historiques du français.
Les commencements logiques
L'aptitude de la théorie économique à franchir le seuil d'une science objective se joue avant tout
dans ses commencements logiques. Les formations à l'économie qui passent au plus vite sur leurs
fondations conceptuelles, et même de plus en plus souvent historiques, signifient : venons-en vite à
ce que votre esprit critique ne doit pas contester afin que vos copies soient bien notées. Peu de recul
suffit à voir que d'autres conséquences sont tout aussi limpides que maléfiques.
Si nous tolérons que les commencements logiques et les buts qui les sous-tendent soient tout juste
évoqués afin de passer le plus possible sous silence des distinctions et des relations que les faits
établissent, alors nous nous laissons aller à deux fautes aux conséquences massives. Nous
réprimons l'incitation à réfléchir par soi-même sur le fond, dès maintenant et plus tard. Nous
répandons une conception de l'économie, et donc d'un grand pan de la vie en société, sur de la
fantasmagorie à coups de paralogismes et de dénis de réalité. Le néolibéralisme est
pseudoscientifique et pseudo-libéral dans la mesure où tout un pan de sa doctrine procède d'une
telle fantasmagorie.
Un préalable nécessaire
En bonne méthode, reconnaître la réalité de la division de l'ensemble des services et des biens
commerçables, ou marchandises, constitue un préalable nécessaire. Une théorisation de la cherté,
autrement dit une théorie des prix, qui ne prend pas appui sur une théorie assez fouillée et placide la
marchandise ne peut qu'être ou bien foncièrement imaginaire ou bien dangereusement lacunaire,
voire bien sûr les deux à la fois.
Plus l'appareil doctrinal de première instance qui guide une politique économique est
scientifiquement scabreux, moins cette politique se révèle adéquate une fois qu'elle commence à
être mise en oeuvre. Tant que cela perdure, inévitablement les gouvernements et les corps
intermédiaires s'enfoncent dans un marécage d'expédients où le sens même de ce qu'est une
politique digne de ce nom se dégrade puis se perd.
La primauté du travail
Et puis ce que voici n'a rien de mineur. L'installation, en socle de la science économique, d'une
théorie de la marchandise constitue un excellent moyen de rendre objectivement au travail la
primauté qui lui revient. On ne peut toutefois y parvenir qu'en laissant de côté les approximations et
les contrevérités périodiquement déversées sur le thème de la « valeur-travail ». L'analyse
économique a trop tardé à dégager deux réalités fondamentales. 1) Sans aucune exception, toute
marchandise a été et restera le produit d'une dépense d'énergie humaine. 2) Jamais cette dépense
n'a été et ne sera elle-même une marchandise. L'observation de ces faits élémentaires est à la
portée de n'importe qui. Qu'est-ce que le laveur de vitres vend donc à ses clients en vue d'en tirer du
chiffre d'affaires puis un salaire ? Bien évidemment, c'est du nettoyage et non pas de la dépense de
sa force de travail !
Qu'en école de commerce et en entreprise, on fasse grand cas des besoins des clients, il n'y a là
rien de plus normal. Mais à quoi sert-il d'inculquer en faculté d'économie la primauté des besoins et
la demande ? Pourquoi plus fondamentalement encore la tarte à la crème de la lutte contre la rareté
? Quelles servitudes sont postulées inéluctables afin d'en arriver à tenir pour définitivement
démontrés et stables les motifs psychologiques des échanges économiques ? La répartition des
tâches - par exemple entre l'agriculteur, le meunier et le boulanger - n'a-t-elle pas pour très évidente
conséquence pratique la nécessité de l'échange marchand ? À quoi s'expose une civilisation qui
relègue dans un coin obscur de sa conscience du réel l'analyse serrée des conséquences objectives
de l'évidence concrète qui vient d'être rappelée ? Rien de neuf sous le soleil à cet égard : des
sortilèges s'échappent des boîtes de Pandore délibérément tenues ouvertes. De toute façon, même
en école de commerce et en entreprise, mieux vaut ne jamais perdre de vue qu'il a fallu l'offre
d'ordinateurs personnels pour que des chalands prêts à en acheter se présentent. L'arbitraire de la
primauté des besoins et de la demande au détriment de la primauté du travail et de l'offre conforte
l'économisme qui hisse toujours plus haut les montagnes de déchets. Ouvrons les yeux, la
prééminence en doctrine économique des spéculations subjectivistes sert à occulter les constats par
lesquels s'ouvre logiquement la théorie de la marchandise en économie objective :
? Toute marchandise est le produit d'une dépense d'énergie humaine.
? Le travail en tant que dépense d'énergie humaine n'est pas une marchandise.
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