Les commencements logiques
L'aptitude de la théorie économique à franchir le seuil d'une science objective se joue avant tout
dans ses commencements logiques. Les formations à l'économie qui passent au plus vite sur leurs
fondations conceptuelles, et même de plus en plus souvent historiques, signifient : venons-en vite à
ce que votre esprit critique ne doit pas contester afin que vos copies soient bien notées. Peu de recul
suffit à voir que d'autres conséquences sont tout aussi limpides que maléfiques.
Si nous tolérons que les commencements logiques et les buts qui les sous-tendent soient tout juste
évoqués afin de passer le plus possible sous silence des distinctions et des relations que les faits
établissent, alors nous nous laissons aller à deux fautes aux conséquences massives. Nous
réprimons l'incitation à réfléchir par soi-même sur le fond, dès maintenant et plus tard. Nous
répandons une conception de l'économie, et donc d'un grand pan de la vie en société, sur de la
fantasmagorie à coups de paralogismes et de dénis de réalité. Le néolibéralisme est
pseudoscientifique et pseudo-libéral dans la mesure où tout un pan de sa doctrine procède d'une
telle fantasmagorie.
Un préalable nécessaire
En bonne méthode, reconnaître la réalité de la division de l'ensemble des services et des biens
commerçables, ou marchandises, constitue un préalable nécessaire. Une théorisation de la cherté,
autrement dit une théorie des prix, qui ne prend pas appui sur une théorie assez fouillée et placide la
marchandise ne peut qu'être ou bien foncièrement imaginaire ou bien dangereusement lacunaire,
voire bien sûr les deux à la fois.
Plus l'appareil doctrinal de première instance qui guide une politique économique est
scientifiquement scabreux, moins cette politique se révèle adéquate une fois qu'elle commence à
être mise en oeuvre. Tant que cela perdure, inévitablement les gouvernements et les corps
intermédiaires s'enfoncent dans un marécage d'expédients où le sens même de ce qu'est une
politique digne de ce nom se dégrade puis se perd.
La primauté du travail
Et puis ce que voici n'a rien de mineur. L'installation, en socle de la science économique, d'une
théorie de la marchandise constitue un excellent moyen de rendre objectivement au travail la
primauté qui lui revient. On ne peut toutefois y parvenir qu'en laissant de côté les approximations et
les contrevérités périodiquement déversées sur le thème de la « valeur-travail ». L'analyse
économique a trop tardé à dégager deux réalités fondamentales. 1) Sans aucune exception, toute
marchandise a été et restera le produit d'une dépense d'énergie humaine. 2) Jamais cette dépense
n'a été et ne sera elle-même une marchandise. L'observation de ces faits élémentaires est à la
portée de n'importe qui. Qu'est-ce que le laveur de vitres vend donc à ses clients en vue d'en tirer du
chiffre d'affaires puis un salaire ? Bien évidemment, c'est du nettoyage et non pas de la dépense de
sa force de travail !
Qu'en école de commerce et en entreprise, on fasse grand cas des besoins des clients, il n'y a là
rien de plus normal. Mais à quoi sert-il d'inculquer en faculté d'économie la primauté des besoins et
la demande ? Pourquoi plus fondamentalement encore la tarte à la crème de la lutte contre la rareté