Un jeu de propositions premières

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Précis d’économie objective / Introduction à l’économie définie / Aller à l’essentiel
Un jeu de propositions premières
L’économie politique
Depuis les vingt premières années du XIXe siècle et à l’initiative d’abord du Français JeanBaptiste Say puis des Anglais Robert Malthus et David Ricardo (avant John Stuart Mill et
Alfred Marshall entre autres), les titres des traités de théorie économique comportent
souvent l’expression « économie politique » (Traité d’—, 1615, Antoine de
Montchrestien). [3]
Étymologiquement, une théorie est une suite – du grec thêoria, « procession, défilé ».
Logiquement, une telle suite est faite de propositions – au sens du latin propositio,
« énoncé ». Dans ces conditions, réhabiliter une économie politique ou entreprendre d’en
reconstruire une mieux façonnée par l’assemblage d’un jeu de propositions premières,
s’inscrit dans une tradition ; avec ce que cette dernière a de bien-fondé, d’une part, de
méthodologiquement perfectible d’autre part.
L’intention et la méthode
Quant au bien-fondé, la raison commande de s’appliquer à rendre la politique
économique de la puissance publique plus pertinente, par l’application de normes issues
d’un corpus théorique cohérent et exact.
Quant à la méthode d’élaboration de ce corpus, les astreintes scientifiques sont moins
difficiles à mettre en œuvre en théorisant à la manière de Spinoza assemblant et polissant
son éthique de la liberté, de la tolérance et de la joie — Ethica More Geometrico
Demonstrata, le sens des adjectifs latins ethica et moralis étant le même : ‘relatif aux
mœurs’ — ; assemblant et polissant par des énoncés dont chacun est une proposition
logique suivie de son argumentation, à l’instar d’un théorème de géométrie suivi de sa
démonstration ; cela même quand à cet emplacement la proposition est appelée par
Spinoza « axiome », « définition », « lemme » ou « scolie » plutôt qu’uniformément
« proposition ».
L’ascèse de la recherche fondamentale
De même, le chercheur en théorie économique mieux construite accumule au brouillon
des énoncés, s’efforçant d’observer de près, par lui-même, évitant de s’enfermer dans des
lectures dont il veille, au demeurant, à ce qu’elles soient lardées des plus prosaïques,
approfondissant ses critiques des catégorisations dont il constate à la réflexion qu’elles
éloignent du mieux à trouver. Obstinément, il décante un vocabulaire technique, en
veillant comme lait sur le feu à ce que la précision et la fréquence d’usage des mots-clés de
ce vocabulaire soient l’une et l’autre élevées.
Mille fois sur le métier l’ouvrage est remis, jusqu’à trouver l’ordre dans lequel des
définitions, des relations et des vérifications croisées dégagent des réponses impartiales et
expérimentalement vérifiables aux huit questions principales. Puis les propositions
retenues sont passées au crible de leur argumentation, comme si les acquiescements d’un
jury d’abord fort sceptique ou même franchement hostile en dépendait, cet exercice
faisant souvent apparaître qu’il est nécessaire de rendre certaines formulations moins
défectueuses.
Où ce labeur est le plus dur à poursuivre
Au cours de ces itérations, l’inconfort est particulièrement élevé quand la raison
commande de tenir compte d’une évidence que la théorie économique a jusqu’à présent
évitée.
Par exemple, alors qu’en l’absence d’une théorisation de l’échange marchand aucune
économie politique ne peut être articulée (tous les économistes s’accordent sur ce point),
la règle tacite a été, et reste jusqu’à présent, de faire comme s’il était inutile que
l’expression « échange marchand » renvoie toujours à une cession réciproque de deux
objets, dont l’un au moins (les deux en cas de troc) est vu en théorie tel qu’il est en réalité,
une marchandise, y compris quand cet objet est (ou les deux sont) une prestation de
service non conjointe à la livraison d’un bien  comme s’il était inutile de prendre acte que
le labour acheté au propriétaire d’un tracteur animal ou mécanique et d’une charrue
n’avait pas, dans l’échange de produits du travail humain entre eux ou par monnaie
interposée, le même statut qu’une quantité de blé livrée à une minoterie ou fournie au
laboureur en paiement de sa prestation.
Le socle d’une théorie de la marchandise
Sans avoir pour socle une théorie de la marchandise — définition en compréhension de
la marchandise, division de l’ensemble des marchandises en sous-ensembles eux-mêmes
définissables en compréhension —, une théorie des échanges marchands est construite
comme si la prise en considération des classes d’objets échangés ne pouvait pas éviter de
tronquer et de biaiser du réel économique primordial. Les premiers chapitres des manuels
d’économie ne comportant pas encore une théorie de la marchandise, une lacune
originelle s’en trouve perpétuée, alors qu’il est manifeste que prendre des vessies pour des
lanternes constitue un danger permanent dès qu’il est question d’échanges et de
transferts d’objets qui rendent leurs propriétaires plus ou moins aisés. Etc.
Etc., mais après vaccination
Mais après avoir définitivement pris acte que les causes subjectives des comportements
prétendus économiques :
1) sont indescriptibles et imprédictibles objectivement malgré l’illusion contraire
entretenue par des statistiques dont les compilateurs et les interprètes oublient de
prévenir qu’elles portent sur une question hors champ d’une science exacte ;
2) ne sont pas spécifiques à la pratique des échanges et des transferts économiques ;
3) sont des réalités de même essence que celles qui interviennent dans l’exercice de
n’importe quel pouvoir d’un homme ou d’une institution humaine ;
4) sont le fait d’individus et d’institutions jouant tous plusieurs rôles — à proprement
parler économiques —, chacun de ces rôles étant défini par sa relation bijective avec
un acte – lui aussi à proprement parler économique –, ce qui oblige à tenir compte
du fait que, dans la pratique des échanges et transferts économiques, aucun acteur
(aucun agent) ne joue ou ne jouera qu’un seul rôle, contrairement à ce que figent de
manière excessive les catégorisations sociales, par le truchement de leur rôle
économique principal ou exclusif : les travailleurs, les capitalistes, les entrepreneurs,
tous passagers du même bateau mais à loger dans des classes différentes ;
5) font de la sociologie non cantonnée à des réalités objectives une discipline
potentiellement très utile à des fins civiques, didactiques, technologiques et
commerciales.
Calamités par prétentions exorbitantes
Dès lors qu’il est question de production ou de consommation en général, l’individu qui
s’estime compétent pour bien en juger parce qu’il est diplômé en sciences économiques
contribue à faire que « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages », voir La
Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf, étant entendu que dans la fable la
grenouille « S’enfla si bien qu’elle en creva » cependant que dans notre modernité c’est la
compétence économique aux plus hauts niveaux des pouvoirs publics et entrepreneuriaux
qui est fort mal en point.
« Certains ont-ils voulu s’approcher trop près du soleil de la connaissance globale ?
Aujourd’hui, le vol brisé de la pensée économique laisse, face aux grands problèmes de
notre temps, l’économiste désarmé, avec ses savoirs fragmentés, ses regards parcellaires
et ce fascinant abîme entre un édifice théorique en quête de cohérence et un monde en
quête de solutions et de réponses. » La pensée économique depuis Keynes (Seuil 1993,
avec un soulignement du citateur), par les professeurs d’économie Michel Beaud (Paris VII)
et Gilles Dostaler (Université du Québec à Montréal).
La « pensée économique depuis Keynes », à savoir les livres et articles
d’économistes ayant produit de 1936 à 1980 l'essentiel de leur œuvre ou une
contribution, l’une ou l’autre ayant fait l’objet d’appréciations et de réactions de « la
profession », laquelle profession lit-on page 127 « existe aussi comme force sociale
structurée » car « la nécessité pour les étudiants de se conformer au moule assure la
pérennité du dogme » et que « de plus en plus, c’est à l’aune de la quantité d’articles
publiés que se mesurent la compétence et la réputation des économistes, et à partir
de là tant les conditions d’embauche, les contrats de recherche que les aides
financières accordées par les organismes subventionnaires. Bref, un puissant système
se met en place qui décourage la contestation, selon un mécanisme qui a, entre
autres, été décrit par Kuhn dans son livre sur les révolutions scientifiques ». La
contestation étant découragée, toute refondation l’est, rendant improbable que « la
profession » ès qualités prenne part à la reconstruction par l’économie définie tant
que l’opinion publique et la classe politique ne l’auront pas encore assez largement
approuvée et utilisée. Le « vol brisé » et le « fascinant abîme », à l’approche de 2020,
sont toujours dans le même état et ont leurs raisons endogènes de perdurer, même
si leurs conséquences exogènes ne font qu'empirer.
[3] Malthus, Thomas Robert, 1766-1834. Say, Jean-Baptiste, 1767-1832. Ricardo, David,
1772-1823. La Critique de l’économie politique de Karl Marx, 1818-1863, parut en 1859, Le
Capital - Tome 1 en 1867.
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