23/11/2015 Cour de cassation chambre sociale Audience publique

Le : 23/11/2015
Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du 4 novembre 2015
N° de pourvoi: 14-18574
ECLI:FR:CCASS:2015:SO01765
Non publié au bulletin
Rejet
Mme Lambremon (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rouen, 8 avril 2014), que M. X..., engagé le 17 août 2003
en qualité de visiteur emballeur par la société Tourres et cie exploitant une verrerie
industrielle, et qui occupait en dernier lieu le poste de conducteur de machine, niveau
ouvrier, a été mis à pied à titre conservatoire le 24 mars 2011, puis licencié pour faute
grave le 20 avril suivant, pour s’être trouvé en état d’imprégnation alcoolique sur son lieu
de travail ;
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et
sérieuse et de le condamner au paiement de sommes au titre de la mise à pied et de la
rupture du contrat de travail, alors, selon le moyen :
1°/ que l’employeur est en droit d’apporter aux libertés fondamentales des salariés des
restrictions justifiées par un intérêt légitime et proportionnées au but recherché ; qu’il est
tenu, par ailleurs, en toutes circonstances, de prendre les mesures propres à protéger la
santé et la sécurité des salariés en engageant, notamment, les actions de prévention des
risques nécessaires à cette fin ; qu’il est dès lors fondé à proposer à ses salariés un test
d’alcoolémie, même non prévu par le règlement intérieur, dès lors que ce contrôle, est
justifié par d’impérieux motifs de sécurité et proportionné au but recherché ; qu’en
l’espèce, il ressortait des énonciations non contestées de la lettre de licenciement, des
motifs du jugement infirmé et des conclusions de l’employeur que le contrôle d’alcoolémie
dont M. X... avait fait l’objet avait été réalisé dans l’entreprise, exposée, par son activité, à
de graves risques d’atteinte à la sécurité des salariés, et motivé par des circonstances
concrètes, en l’occurrence la découverte, dans les vestiaires des salariés, de plusieurs
bouteilles d’alcool vides, de nature à engendrer la crainte légitime de l’état d’imprégnation
alcoolique de certains d’entre eux ; que le poste occupé par le salarié, conducteur de
machine dans l’équipe de nuit, présentait, par nature, un danger en cas d’occupation par
un travailleur en état d’ébriété ; que ce contrôle avait été réalisé en présence d’un témoin
et avec l’accord du salarié lequel, informé de la faculté de faire appel à un représentant du
personnel, l’avait déclinée ; que les modalités de ce contrôle permettaient la réalisation
d’une contre expertise ; que dans ces conditions, la réalisation de ce contrôle était licite, et
la preuve en résultant, recevable ; qu’en décidant le contraire au motif inopérant que le
règlement intérieur ayant prévu le recours à des contrôles d’alcoolémie n’avait pas fait
l’objet des formalités de publicité conditionnant son opposabilité aux salariés, sans
rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les modalités de ce contrôle en permettent la
contestation, et si, eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, son état
d’imprégnation alcoolique était de nature à exposer les personnes ou les biens à un
danger, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1
et L. 4121-1 du code du travail ;
2°/ que commet une faute grave le salarié en charge de travaux qui, compte tenu de la
nature de l’entreprise et des tâches lui incombant, présentent un danger pour sa sécuri
et celle des autres membres du personnel, prend son poste de travail de nuit dans un état
d’imprégnation alcoolique susceptible de diminuer sa vigilance, ses capacités de réaction
et la précision de ses interventions, s’exposant ainsi, et exposant ses collègues, à un
risque d’accident ; qu’en l’espèce, il ressortait des énonciations non contestées de la lettre
de licenciement, des motifs du jugement infirmé et des conclusions de l’employeur que
l’entreprise était exposée, par son activité, à de graves risques d’atteinte à la sécurité des
salariés ; que le salarié, membre de l’équipe de nuit, conducteur de machine et, partant,
conduit à transporter et manipuler dans les locaux de l’entreprise du verre en fusion
chauffé à 1 500°, avait pris son poste de travail en état d’imprégnation alcoolique ; que ce
comportement était constitutif d’une faute grave ; qu’en déclarant cependant dépourvu de
cause réelle et sérieuse le licenciement ainsi intervenu au motif inopérant que le
règlement intérieur ayant prévu le recours à des contrôles d’alcoolémie n’avait pas fait
l’objet des formalités de publicité conditionnant son opposabilité aux salariés, la cour
d’appel a violé les articles L. 1222-1, L. 1234-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article L. 1231-4 du code du travail, le règlement intérieur
n’entre en vigueur qu’un mois après l’accomplissement des formalités d’affichage et de
dépôt au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de
l’établissement ; qu’ayant constaté que l’employeur ne démontrait pas l’accomplissement
de ces formalités, la cour d’appel en a exactement déduit que les dispositions de ce
règlement permettant d’établir, sous certaines conditions, l’état d’ébriété d’un salarié en
recourant à un contrôle d’alcoolémie, n’étaient pas opposables au salarié, de sorte que le
licenciement reposant exclusivement sur un tel contrôle était nécessairement sans cause
réelle et sérieuse ; que le moyen, irrecevable dans sa première branche comme nouveau
et mélangé de fait et de droit, n’est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Tourres et cie ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 1
500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président
en son audience publique du quatre novembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société
Tourres et cie.
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR déclaré dépourvu de cause réelle et
sérieuse le licenciement de Monsieur Damien X... par la Société Tourres et Compagnie ;
condamné cette société à lui verser diverses sommes au titre des salaires de la mise à
pied conservatoire, indemnités de rupture et dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE “la preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur
et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de
preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis,
imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier
l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise ;
QUE l’employeur produit aux débats les résultats du contrôle d’alcoolémie effectué dans la
nuit du 23 au 24 mars 2011 à 2h45 du matin, alors que le salarié, affecté à l’équipe de nuit
et ayant pris son poste à 21h, soit un taux mesuré à l’éthylomètre de 0.38 mg par litre d’air
expiré (ou 0.76 g par litre de sang) ;
QU’il convient de rappeler que pour satisfaire les dispositions de l’article L.1321-3 du Code
du travail, le règlement intérieur ne peut prévoir la possibilité pour l’employeur de
soumettre les salariés à un contrôle d’alcoolémie qu’à la double condition que les
modalités de ce contrôle en permettent la contestation et qu’eu égard à la nature du travail
un état d’ébriété soit de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger ; que le
règlement intérieur de l’entreprise dispose en son article V : “En raison de l’obligation faite
au chef d’entreprise d’assurer la sécurité dans son entreprise, la direction pourra imposer
l’alcootest aux salariés qui manipulent des produits dangereux ou sont occupés à
l’exécution de certains travaux ou à la conduite de certaines machines et ce, afin de
prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse (...). En dehors des
heures d’ouverture de l’infirmerie, il pourra être procédé dans le bureau du chef de quart et
sous sa responsabilité, à l’utilisation de l’alcootest. (....) si l’intéressé le souhaite il peut se
faire accompagner d’un salarié de l’entreprise. Le salarié qui contesterait le résultat positif
d’un alcootest pourrait recourir à une expertise médicale. Le salarié qui refuserait de se
prêter à l’un ou l’autre de ces deux contrôles pourrait, suivant les cas, être passible de
sanctions disciplinaires” ;
QUE le salarié conteste son opposabilité au motif que l’employeur ne justifiant pas avoir
effectué les formalités de dépôt et de publicité, en l’occurrence le dépôt au greffe du
conseil de prud’hommes du Havre, le règlement intérieur n’est pas entré en vigueur, que
ce règlement n’est pas daté et que l’employeur n’indique pas où il est affiché dans
l’entreprise ; que l’employeur fait valoir que s’agissant d’un règlement intérieur datant de
plus de 20 ans, il ne lui a pas été possible de retrouver la trace d’un dépôt au greffe du
conseil de prud’hommes, les archives de cette époque n’existant plus, que ce règlement
intérieur est toutefois affiché dans l’entreprise et visé dans les contrats de travail et connu
de tous ;
QU’en l’occurrence, il n’est nullement contesté que le règlement intérieur, au demeurant
approuvé par le comité d’entreprise le 13 mai 1993, était affiché dans les locaux de
l’entreprise et d’ailleurs visé dans le contrat du salarié ;
QUE le règlement intérieur ne peut produire effet que si l’employeur a accompli les
diligences prévues par l’article L.1321-4 du Code du travail ; qu’en l’occurrence, s’il est
établi par la lettre du greffe du conseil de prud’hommes du Havre que l’employeur n’a pas
communiqué le règlement intérieur au greffe de ce Conseil de prud’hommes, force est
également de constater que ce règlement intérieur ne mentionne aucune date d’adoption,
ni la date à laquelle les formalités de publicité auraient été accomplies et ne précise pas le
ou les lieux où ce règlement intérieur est affiché ; que le procès verbal de compte rendu
du comité d’entreprise du 13 mai 1993 qui mentionne que “le nouveau règlement reçoit un
avis favorable du comité d’entreprise et sera transmis à l’inspection du travail” est
insuffisant ; que c’est le règlement intérieur produit aux débats et non daté qui a été
examiné par le comité d’entreprise ; que par ailleurs, l’employeur ne produit pas non plus
de pièces établissant que le règlement intérieur était affiché au sein de l’entreprise ;
qu’ainsi, le règlement intérieur mettant en place le contrôle d’alcoolémie effectué n’est
donc pas opposable au salarié ; qu’en conséquence, le licenciement qui repose
exclusivement sur les résultats de ce contrôle, est nécessairement sans cause réelle et
rieuse (...)” ;
1°) ALORS QUE l’employeur est en droit d’apporter aux libertés fondamentales des
salariés des restrictions justifiées par un intérêt légitime et proportionnées au but
recherché ; qu’il est tenu, par ailleurs, en toutes circonstances, de prendre les mesures
propres à protéger la santé et la sécurité des salariés en engageant, notamment, les
actions de prévention des risques nécessaires à cette fin ; qu’il est dès lors fondé à
proposer à ses salariés un test d’alcoolémie, même non prévu par le règlement intérieur,
dès lors que ce contrôle, est justifié par d’impérieux motifs de sécurité et proportionné au
but recherché ; qu’en l’espèce, il ressortait des énonciations non contestées de la lettre de
licenciement, des motifs du jugement infirmé et des conclusions de l’employeur que le
contrôle d’alcoolémie dont Monsieur X... avait fait l’objet avait été réalisé dans l’entreprise,
exposée, par son activité, à de graves risques d’atteinte à la sécurité des salariés, et
motivé par des circonstances concrètes, en l’occurrence la découverte, dans les vestiaires
des salariés, de plusieurs bouteilles d’alcool vides, de nature à engendrer la crainte
légitime de l’état d’imprégnation alcoolique de certains d’entre eux ; que le poste occupé
par le salarié, conducteur de machine dans l’équipe de nuit, présentait, par nature, un
danger en cas d’occupation par un travailleur en état d’ébriété ; que ce contrôle avait été
réalisé en présence d’un témoin et avec l’accord du salarié lequel, informé de la faculté de
faire appel à un représentant du personnel, l’avait déclinée ; que les modalités de ce
contrôle permettaient la réalisation d’une contre expertise ; que dans ces conditions, la
réalisation de ce contrôle était licite, et la preuve en résultant, recevable ; qu’en décidant le
contraire au motif inopérant que le règlement intérieur ayant prévu le recours à des
contrôles d’alcoolémie n’avait pas fait l’objet des formalités de publicité conditionnant son
opposabilité aux salariés, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les modalités de
ce contrôle en permettent la contestation, et si, eu égard à la nature du travail confié à ce
salarié, son état d’imprégnation alcoolique était de nature à exposer les personnes ou les
biens à un danger, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L.1121-1 et L.4121-1 du Code du travail ;
2°) ALORS QUE commet une faute grave le salarié en charge de travaux qui, compte tenu
de la nature de l’entreprise et des tâches lui incombant, présentent un danger pour sa
sécurité et celle des autres membres du personnel, prend son poste de travail de nuit
dans un état d’imprégnation alcoolique susceptible de diminuer sa vigilance, ses capacités
de réaction et la précision de ses interventions, s’exposant ainsi, et exposant ses
collègues, à un risque d’accident ; qu’en l’espèce, il ressortait des énonciations non
contestées de la lettre de licenciement, des motifs du jugement infirmé et des conclusions
de l’employeur que l’entreprise était exposée, par son activité, à de graves risques
d’atteinte à la sécurité des salariés ; que le salarié, membre de l’équipe de nuit,
conducteur de machine et, partant, conduit à transporter et manipuler dans les locaux de
l’entreprise du verre en fusion chauffé à 1 500 °, avait pris son poste de travail en état
d’imprégnation alcoolique ; que ce comportement était constitutif d’une faute grave ; qu’en
déclarant cependant dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement ainsi intervenu
au motif inopérant que le règlement intérieur ayant prévu le recours à des contrôles
d’alcoolémie n’avait pas fait l’objet des formalités de publicité conditionnant son
opposabilité aux salariés, la Cour d’appel a violé les articles L.1222-1, L.1234-1 et
L.1235-1 du Code du travail.
Décision attaquée : Cour d’appel de Rouen , du 8 avril 2014
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