Détection de cellules tumorales circulantes vivantes dans les

Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
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dossier thématique
Cellules tumorales
et ADN libre circulant
Détection de cellules tumorales
circulantes vivantes dans les cancers
solides par la technique EPISPOT
Detection of alive circulating tumor cells in solid cancers by EPISPOT assay
Catherine Alix-Panabières*
RÉSUMÉ
Summary
»
Lénumération et la détection des cellules tumorales circulantes
(CTC) dans le sang périphérique et des cellules tumorales
disséminées (DTC) dans la moelle osseuse nous permettent d’avoir
des informations pronostiques importantes et devraient aider les
cliniciens à surveiller l’effi cacité du traitement anticancéreux.
»
Comme les techniques actuelles de détection des CTC
ne permettent pas de distinguer les CTC ou DTC vivantes et
apoptotiques, un nouveau test ELISPOT dans le domaine de la
cancérologie (appelé “EPISPOT”) a été développé. Ce test détecte
des protéines sécrétées, relarguées ou clivées à partir d’une cellule
épithéliale tumorale unique. Les cellules tumorales sont cultivées
pendant une courte période sur une membrane recouverte
d’anticorps qui capturent des protéines spécifi ques, qui seront
détectées dans un deuxième temps par des anticorps secondaires
marqués avec des fl uorochromes.
»
Cette technologie innovante a été appliquée dans diff érents
types de cancer ; elle off re un nouveau moyen de détecter et de
caractériser des CTC ou DTC vivantes et fonctionnelles chez des
patients ayant un cancer solide (cancer du sein, de la prostate, du
côlon) avec une pertinence clinique prouvée.
Mots-clés : Cellules tumorales circulantes – Tumeurs solides –
Technique EPISPOT – Pronostic – Biopsie liquide.
The enumeration and characterization of circulating tumor
cells (CTCs) in the peripheral blood and disseminated
tumor cells (DTCs) in bone marrow may provide important
prognostic information and might help clinicians to monitor
effi cacy of therapy.
Since current assays cannot distinguish between apoptotic
and viable DTCs and CTCs, it is now possible to apply a novel
ELISPOT assay (known as “EPISPOT”) that detects proteins
secreted, released or shed from single functional epithelial
cancer cells. Tumor cells are cultured for a short time on a
membrane coated with antibodies that capture the secreted,
released or shed proteins that are subsequently detected by
secondary antibodies labeled with fl uorochromes.
We applied this innovative technology in different
cancer types and proved that the EPISPOT assay offers a
new opportunity to detect and characterize viable and
functional CTCs and DTCs in patients with a solid cancer
(e.g., breast, prostate, colon cancer) associated with clinical
relevance.
Keywords: Circulating tumor cells – Solid tumors – EPISPOT
assay – Prognosis – Liquid biopsy.
L
a détection et la caractérisation des cellules tumo-
rales circulantes (CTC) sont un des domaines les
plus actifs en recherche clinique translationnelle,
avec plus de 400 études cliniques qui intègrent les CTC
comme nouveau biomarqueur. Le but de la recherche
sur les CTC inclut :
l’évaluation du risque de rechute métastatique ou de
progression métastatique (information pronostique) ;
la stratifi cation et le suivi en temps réel des thé-
rapies ;
l’identifi cation de cibles thérapeutiques et de méca-
nismes de résistance ;
la compréhension du développement métastatique
chez des patients atteints d’un cancer (1).
Cet article développe la thématique des CTC détectées
par la technique EPISPOT et démontre la pertinence
clinique de cette biopsie liquide en temps réel.
Actuellement, l’immunocytochimie et la PCR quan-
titative en temps-réel (RT-PCR) comptent parmi les
techniques de détection des CTC les plus courantes
dans l’étude des cancers solides (2).
Un inconvénient de ces approches est qu’elles ne
permettent pas de distinguer les cellules tumorales
vivantes de celles qui sont apoptotiques. En 2005, une
* Laboratoire Cellules
circulantes rares
humaines, département
de biopathologie
cellulaire et tissulaire
des tumeurs, institut de
recherche en biothéra-
pie, centre universitaire
hospitalier de Montpellier,
université Montpellier-I ;
EA2415 épidémiologie,
biostatistiques et santé
publique, Montpellier.
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
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dossier thématique
Cellules tumorales
et ADN libre circulant
nouvelle technique qui permet cette diff érenciation a
été introduite pour l’analyse des CTC (2-6).
Cet essai fonctionnel, nommé EPISPOT (EPithelial
ImmunoSPOT, une adaptation de la technologie
ELISPOT), est basé sur la sécrétion, le clivage ou le
relargage actif de protéines spécifi ques pour détecter
une cellule tumorale vivante unique.
Technologie EPISPOT : détection des CTC
Les membranes de nitrocellulose de plaques à 96 puits
sont sensibilisées avec un anticorps spécifi que de la
protéine cible. Ensuite, les cellules sont déposées dans
chaque puits et mises en culture pendant 48 h dans un
milieu adéquat enrichi en facteurs de croissance. Durant
cette étape d’incubation, les protéines sécrétées spéci-
ques d’un EPISPOT sont directement capturées par les
anticorps sur la membrane. Ensuite, toutes les cellules
sont éliminées par simple lavage, et les protéines cibles
sont détectées par l’addition d’un deuxième anticorps
couplé à un fl uorochrome. Les immunospots fl uores-
cents obtenus sont comptés grâce à un microscope
inversé couplé à un logiciel d’analyse pour ELISPOT (KS
ELISPOT, Carl Zeiss Vision) : un immunospot correspond
à l’empreinte protéique d’une cellule tumorale vivante.
Ce test est quantitatif – les immunospots sont dénom-
brés – et qualitatif – les protéines étudiées sont bien
défi nies dans le contexte de tumeurs solides, ce qui
permet la caractérisation phénotypique des CTC. Des
EPISPOT fl uorescents doubles couleurs ont rapidement
été développés pour cibler des CTC grâce à la sécrétion
simultanée de 2 protéines diff érentes. Les avantages
ainsi que les inconvénients de cette technologie sont
résumés dans le tableau.
Enrichissement en CTC
Comme les CTC se trouvent à des concentrations extrê-
mement faibles dans le compartiment circulant (1 CTC
parmi des millions de cellules hématopoïétiques), une
première étape d’enrichissement de ces cellules est
fortement conseillée. La technique EPISPOT étant une
technique de détection des CTC, elle peut être combi-
née à n’importe quelle technique d’enrichissement des
CTC. En eff et, un large éventail de technologies basées
sur diff érentes propriétés des CTC qui les distinguent
des cellules hématopoïétiques peut être utilisé : pro-
priétés physiques (taille, densité, charge électrique et
déformabilité) et biologiques (expression de protéines
de surface). La majorité des technologies actuelles se
base encore sur l’expression de la molécule d’adhésion
des cellules épithéliales (EpCAM) ; cependant, comme
la transition épithéliomésenchymateuse se produit
durant la dissémination tumorale, de nouvelles tech-
nologies permettent également de récupérer les CTC
négatives pour EpCAM. Jusqu’à aujourd’hui, la tech-
nique EPISPOT a principalement été associée à une
déplétion des cellules hématopoïétiques exprimant le
marqueur CD45 capturées et éliminées au moyen du
système RosetteSep™ (StemCell Technology), évitant
un contact direct avec les CTC et permettant d’accéder
aux CTC n’exprimant pas, ou très faiblement, EpCAM.
Détection de CTC vivantes et apoptotiques
Seules les CTC vivantes produisent et sécrètent une
quantité suffi sante de protéines durant leur culture in
vitro pendant l’analyse EPISPOT pour former des immu-
nospots, et les CTC apoptotiques ne sont, par consé-
quent, pas détectées par cette technique (5-8). A fi n
d’être dans les meilleures conditions, il est important de
cultiver les CTC dans un milieu de culture enrichi avec
diff érents facteurs de croissance, comme cela avait été
décrit par Solakoglu et al. en 2002 pour la mise en place
d’une lignée de cellules tumorales disséminées (DTC) [9].
Par ailleurs, des expériences mettant en jeu diff érentes
drogues (cycloheximide, bréfeldine A) ont montré que
seules les CTC fonctionnelles étaient capables de former
Tableau. Avantages et inconvénients de la technique EPISPOT.
Avantages
Détection de cellules fonctionnelles Les immunospots correspondent aux empreintes
protéiques laissées uniquement par les cellules
vivantes.
Forte sensibilité Les protéines sécrétées sont immédiatement
immunocapturées par les anticorps sur la membrane
évitant : (i) toute dilution dans le surnageant
de culture, (ii) toute capture par des récepteurs
de cellules adjacentes, ou (iii) une éventuelle
dégradation des protéines.
Forte spécifi cité La technologie EPISPOT utilise un couple d’anticorps
qui fonctionne en ELISA sandwich.
Inconvénients
Les protéines cibles utilisées pour identifi er une CTC doivent absolument être sécrétées, clivées
ou relarguées par les cellules tumorales.
Il n’existe aujourd’hui aucun moyen d’isoler les cellules sécrétrices de la protéine cible
ni de les caractériser au niveau moléculaire.
Perspectives et développement
Caractérisation moléculaire des cellules sécrétrices de la protéine cible afi n de corréler
lacaractérisation phénotypique obtenue par EPISPOT à la caractérisation transcriptomique
etgénomique.
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
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Détection de cellules tumorales circulantes vivantes
dans les cancers solides par la technique EPISPOT
des immunospots (8). En eff et, l’ajout de ces drogues
durant la culture cellulaire courte de l’EPISPOT a montré
une nette inhibition de la formation des immunospots,
confi rmant que seules les CTC vivantes et fonction-
nelles peuvent synthétiser et sécréter activement les
protéines cibles.
Pertinence clinique de la détection des CTC
et des DTC par EPISPOT
Cancer du sein
Pour détecter les DTC dans le cancer du sein, nous
avons développé un EPISPOT double avec, comme
protéines cibles, la MUC1 et la cytokératine 19 (CK19).
La MUC1 est une mucine membranaire surexprimée
et glycosylée de manière aberrante dans les cellules
cancéreuses mammaires. La MUC1 est clivée et peut
être détectée dans le sérum des patientes ayant un
cancer du sein (marqueur tumoral CA15-3) [10-12]. La
CK19, une des 3 principales kératines avec la CK8 et la
CK18, est exprimée abondamment dans les tumeurs
primaires épithéliales (13, 14), mais pas dans les cellules
hématopoïétiques mésenchymateuses normales.
Les résultats obtenus avec le double EPISPOT-CK19/
MUC1 ont montré que des DTC vivantes étaient pré-
sentes chez 90 % des patientes (n = 57) ayant un cancer
du sein métastatique (M1) et chez 54 % des patientes
ayant un cancer du sein localisé (M0) [15]. De manière
très intéressante, les patientes M1 avaient un nombre
de DTC signifi cativement plus élevé que les patientes
M0 (nombre total de DTC : 3 604 versus 689 ; médiane :
103 versus 1; extrêmes : 0-813 versus 0-262, respecti-
vement), mais la plupart des DTC détectées chez les
patientes M
0
avaient un phénotype CK19
+
/MUC1
et
pourraient avoir des propriétés de cellules souches (15,
16). De manière très importante, les patientes ayant des
DTC (EPISPOT-CK19) montraient une courbe de survie
signifi cativement moins bonne (p = 0,025) que celles qui
nen n’avaient pas, en raison de l’apparition (patientes
M
0
) ou de la progression (patientes M
1
) de métastases.
Ensuite, notre participation à une étude clinique multi-
centrique (le projet européen DETECT) a permis la
détection de CTC par EPISPOT sur une large cohorte
de patientes ayant un cancer du sein M
1
(n = 254) au
premier diagnostic de la maladie métastatique ou au
moment de la progression métastatique (avant l’ins-
tauration de tout traitement). Au cours de cette étude,
59 % des patientes avaient des CTC fonctionnelles, et
la survie globale de ces patientes était liée aux CTC
(p = 0,0191), ce qui montre la pertinence clinique (pour
le pronostic) des CTC vivantes. Cette stratifi cation était
améliorée avec la présence ou non de CTC détectées
par CellSearch®, ce qui démontre que la combinaison
des 2 technologies est un fort facteur prédictif de la
survie globale (HR = 22,6 ; IC95 : 2,8-184,1).
Cancer de la prostate
Pour détecter les CTC dans le cancer de la prostate, nous
avons développé un EPISPOT avec, comme protéine
cible, l’antigène spécifi que de la prostate (PSA) [4, 17].
Nous avons étudié des patients ayant un cancer de la
prostate métastatique (M1). Des cellules sécrétrices de
PSA ou CTC ont été détectées chez 83,3 % des patients,
tandis que ces cellules nont jamais été retrouvées chez
des sujets contrôles, ni chez des patients ayant une
hyperplasie bénigne de la prostate (15). La technolo-
gie EPISPOT a également permis de détecter des CTC
vivantes dans le sang périphérique de 42 % des patients
ayant un cancer de la prostate mais sans métastases cli-
niques apparentes (stade M
0
). Cependant, le nombre de
ces cellules sécrétrices de PSA (médiane : 9 ; extrêmes :
2-197) était signifi cativement plus faible (p = 0,01) que
chez les patients M
1
(médiane : 29 ; extrêmes : 1-684),
un résultat en accord avec les diff érents stades de la
maladie et la masse tumorale globale. A n de mieux
caractériser les CTC dans le cancer de la prostate, nous
nous sommes intéressés au facteur de croissance fi bro-
blastique 2 (FGF2), un facteur de croissance des cellules
souches, également nécessaire à la croissance in vitro
des cellules micrométastatiques mammaires (9). Pour ce
faire, un EPISPOT double PSA/FGF2 a été optimisé afi n
de caractériser la sécrétion de FGF2 des CTC sécrétrices
de PSA. Dix-neuf patients atteints de cancer localisé de
la prostate ont été analysés, et les résultats ont claire-
ment montré que 15 d’entre eux avaient des CTC et
que seule une sous-population de ces cellules sécrétait
simultanément le PSA et le FGF2, suggérant qu’une
fraction signifi cative de CTC pouvait sécréter un facteur
très important pour leur croissance dès leur arrivée au
niveau d’un organe secondaire (15).
Cancer du côlon
Afi n de détecter les CTC dans le cancer du côlon, nous
avons utilisé l’EPISPOT-CK19. À travers le projet euro-
péen DISMAL, nous avons inclus 75 patients ayant un
cancer du côlon au stade localisé (n = 60) et métasta-
tique (n = 15). Le dénombrement des CTC par la tech-
nologie EPISPOT-CK19 a montré que 65,9 % des patients
présentaient des CTC dans la veine mésentérique, et
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55,4 %, dans la veine périphérique (p = 0,04). Selon le
test CellSearch
®
, 55,9 % des patients présentaient des
CTC dans la veine périphérique, et 29 %, dans la veine
mésentérique (p = 0,04) [18]. De plus, dans la veine
mésentérique, le nombre de CTC était signifi cative-
ment plus élevé que dans la veine périphérique. Nous
démontrons ainsi qu’une quantité non négligeable de
CTC fonctionnelles détectées par EPISPOT sont captu-
rées dans le foie, qui est considéré comme le premier
organe fi ltre dans le cancer du côlon. De manière inté-
ressante, nos données cliniques ont également montré
que les patients ayant un cancer localisé du côlon avec
un nombre élevé de CTC avaient une moins bonne
survie (18).
Dans cette étude, nous avons également obtenu des
résultats très surprenants lors de l’analyse de 53 patients
ayant une pathologie bénigne du côlon (par exemple,
des polypes bénins ou des diverticuloses) [19]. De
manière étonnante et inattendue, des événements
positifs qui montrent les critères stricts des CTC ont
été détectés : 11,3 % des patients étaient positifs avec
le système CellSearch
®
, et 18,9 % avec la technologie
EPISPOT, alors que les donneurs sains étaient complète-
ment négatifs pour ces cellules (19). Ces patients nont
pas montré de signes de cancer colorectal ni d’autre
cancer épithélial durant les 3 années qui ont suivi le
prélèvement sanguin.
Au fi nal, ces résultats indiquent que des patients ayant une
pathologie bénigne du côlon infl ammatoire peuvent être
porteurs de cellules épithéliales circulantes détectables par
certaines technologies actuelles. Ces données montrent
clairement à quel point la caractérisation moléculaire des
cellules épithéliales a des implications importantes pour la
mise en place en routine d’un test de détection des CTC.
Conclusion
Pouvoir distinguer les CTC fonctionnelles des CTC
apoptotiques afi n de détecter et de caractériser les
CTC qui sont à l’origine de métastases est de la plus
grande importance (20).
La technologie EPISPOT est un test fonctionnel innovant
qui permet la détection de CTC et de DTC chez des
patients ayant un cancer solide. Enfi n, les CTC refl ètent
très justement la progression du cancer en temps réel,
et cette information peut être très utile dans la prise
en charge du patient et l’instauration et le suivi de son
traitement. Dans un futur proche, on espère pouvoir
caractériser précisément les CTC pour guider le plus
justement possible les thérapies ciblées au sein d’une
population de patients et d’une fenêtre thérapeutique
bien défi nies pour aboutir à une thérapie personnalisée
afi n de combattre le cancer.
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Références
L’auteur déclare avoir
des liens d’intérêts avec
Janssen, Roche et Sanofi
(soutien par des projets
de recherche, honoraires).
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