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LES AUTORITES ADMINISTRATIVES INDEPENDANTES DANS LES ETATS
FRANCOPHONES D'AFRIQUE NOIRE
-Cas du Mali, du Sénégal et du Bénin-
Abdoulaye DIARRA
La confusion des pouvoirs, intervenue suite à l'institutionnalisation du Parti
unique dans les Etats francophones d'Afrique noire, a progressivement transformé
les systèmes administratifs en organes politiques au service des gouvernants. Le
Professeur Conac écrit à juste titre que "les administrations jouent dans l'Etat un
rôle prépondérant au point que dans certains cas, le système politique et le
système administratif paraissent s'identifier" 1. Ce monolithisme politique et
administratif n'est pas sans conséquence sur les rapports entre les administrés et
l'administration. La primauté du parti unique de fait ou de droit sur toutes les
institutions de l'Etat va imprimer aux structures administratives des
caractéristiques peu conformes aux missions traditionnelles de l'administration.
En fait, c'est le parti qui dirige l'administration territoriale. Ainsi aucun système de
contrôle ne peut parvenir à mettre fin à la gestion autoritaire des affaires de la
nation. Le débat contradictoire, faute d'une opposition légale, n'existe pas. "Le
pouvoir politique, écrit le Professeur Alain Bockel, est généralement concentré
sur un homme, une équipe ou un groupe détenteurs de la légitimité nationale, peu
habitués à accepter l'idée que leurs options soient remises en cause ni même
appréciées par un autre pouvoir dont on ne comprendrait pas l'autorité ou l'assis"
2. Il s'agit manifestement d'une administration centralisée, dirigiste et non
démocratique. On ne saurait parler dans ces conditions de la transparence ni de la
mise en œuvre de la politique de l'état ni dans l'organisation des différentes
consultations nationales ou régionales dont les résultats sont connus avant les
élections en raison des listes de candidats ou des candidats présentés par le seul
1 G. Conac, « Le développement administratif dans les Etats d'Afrique noire », G. Conac (dir.), Les institutions
administratives des Etats francophones d'Afrique noire-La vie du droit en Afrique, Paris, Economica, 1979, p.
VII.
2 Alain BOCKEL, « Le contrôle juridictionnel de l'Administration », Gérard CONAC (dir.), op. cit., p. 197
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parti. "Le mythe de la démocratie unanimiste" 3 ne pouvait promouvoir les droits
et les libertés politiques des citoyens.
Le mouvement de démocratisation qui a gagné le continent africain à la fin des
années 80 va entraîner une remise en cause des anciens rapports administrés-
administration. Les conférences nationales, en procédant à la création
révolutionnaire des constitutions 4, vont redéfinir les règles du jeu politique en les
centrant désormais sur la transparence et le respect des libertés des droits
constitutionnalisés. Le droit administratif et le droit constitutionnel africain sont
revus et corrigés à la lumière des aspirations des conférenciers. Le contrôle de
constitutionnalité est institué. Les "autorités indépendantes" sont créées 5. C'est
cette mutation qui retient notre attention. La redéfinition des rapports entre
administration et administrés par la création d'organes de régulation et de contrôle
semble être l'un des moyens les plus efficaces pour protéger les libertés et les
droits des citoyens dans les domaines les plus sensibles de la vie politique. Tel est
le champ de notre réflexion à savoir les autorités administratives et les questions
juridiques et administratives que posent leur création et leur fonctionnement dans
les Etats francophones d'Afrique noire. L'article 24 de la Constitution béninoise
du 11 décembre 1990 dispose : "La liberté de la presse est reconnue et garantie
par l'Etat, elle est protégée par la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la
Communication dans les conditions fixées par une loi organique". L'article 7 de la
constitution malienne du 12 janvier 1992 traite le même domaine en disposant que
"la liberté de la presse est reconnue et garantie. L'égal accès aux médias d'état
est assuré par un organe indépendant dont le statut est fixé par une loi
organique". La Commission Electorale Nationale Autonome (C.E.N.A.) du Bénin
a été créé par la loi n° 94-013 du 17 juillet 1995. La loi n° 97-008 du 14 janvier
1997 portant loi électorale a doté le Mali d'une Commission Electorale Nationale
Indépendante (C.E.N.I.). La loi n° 93-001 du 6 janvier 1993 a institué pour la
première fois au Mali un Comité National de l'Egal Accès aux Médias d'Etat. La
République du Sénégal a, par la loi n° 91-14 du 11 février 1991, institué un
Médiateur de la république. L'Assemblée Nationale du Sénégal a adopté la loi
organique n° 97-16 le 8 septembre 1997 portant création d'un "Observatoire
National des Elections" (O.N.EL.). L'observatoire a pour mission de gérer les
élections au Sénégal. Nous assistons ainsi à la création, dans les Etats
francophones d'Afrique noire, d'organes chargés des missions traditionnellement
confiées à l'administration. Quelles sont les motivations réelles d'une telle
mutation ? La doctrine a longtemps mis l'accent sur le fait que les Etats
francophones d'Afrique noire ont presque tous adopté, à quelques variantes près
les mêmes structures administratives que celles de la France. Le Professeur Alain
Serge Mescheriakoff écrit que "cette administration reproduit parfois jusqu'au
mimétisme celle de l'ex-métropole, alors que dans le même temps il ne peut se
défendre d'un sentiment d'étrangeté qui lui fait penser que tout est pareil mais
différent" 6. On le sait, toutes les constitutions des Etats francophones d'Afrique
3 Cf. J. du Bois de Gaudusson, Trente ans d'institutions constitutionnelles et politiques-Points de repère et
interrogations, in Afrique contemporaine, n° 164 oct-déc. 1992, pp. 51 et s.
4 Cf. sur ce point M. Kamto, Les conférences nationales africaines ou la création révolutionnaire des
Constitutions, in La création du droit en Afrique (sous la direction de D. Darbon et J. du Bois de Gaudusson),
Paris, Khartala, 1997, pp. 177-195
5 Cf. sur ce point J.du Bois de Gaudusson, op. cit., p. 55 et s.
6 A.-S. Mescheriakoff, « L'ordre patrimonial : Essai d'interprétation du fonctionnement de l'administration
d'Afrique francophone subsaharienne », R.F.A.P., 1997, N° 2, p. 121.
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noire comportent les mêmes dispositions que l'article 20 de la Constitution
française du 4 octobre 1958 selon lequel "le gouvernement détermine et conduit la
politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée…" 7.
Telle est la source constitutionnelle de la subordination de l'Administration au
pouvoir central dans ces états. Le Professeur Catherine Treitgen-Colly rappelle
que la Commission de contrôle des banques (C.C.B.) fut la première autorité créée
en France en 1941. Les années 70 marquèrent une prolifération des autorités
administratives indépendantes en France 8. Il s'agit en fait d'organes indépendants
du pouvoir central, placés en dehors du cadre traditionnel de l'administration
française et non soumis au principe constitutionnel de subordination de
l'administration au pouvoir central. Les Constitutions des Etats francophones
d'Afrique noire, à l'instar de la Constitution française du 4 octobre 1958, instituent
des Etats unitaires fortement centralisés. Certes, des politiques de décentralisation
furent imaginées et appliquées un peu partout en Afrique francophone mais le
choix de l'Etat unitaire au nom des exigences de consolidation de l'unité nationale
n'a pas été affecté 9. Comment donc expliquer l'apparition des autorités
administratives indépendantes en France ou en Afrique francophone ? La France
est certes un état unitaire avec une administration conçue selon ce modèle. Mais le
Professeur Jacques Chevalier écrit que "l'unité n'interdit évidemment pas que
soient mises en place des structures pluralistes et diversifiées, indispensables
pour assurer l'emprise concrète de l'administration sur la société : elle implique
seulement que ces structures soient liées entre elles, qu'elles forment un ensemble
cohérent, un appareil dont les rouages soient étroitement solidaires et soumises à
une même impulsion"10. La création des autorités administratives indépendantes
dans les Etats francophones d'Afrique noire serait surtout liée à une volonté
politique de consolidation de la démocratie et de l'Etat de droit. Ces nouveaux
organes insérés au sein de l'Etat se distinguent nettement des organes classiques
de l’administration. Ces organes ont-ils une fonction juridique, politique ou
sociale ? Comment les situer par rapport aux trois pouvoirs consacrés par les
Constitutions des Etats concernés ? Cette difficulté de classer ces organes au sein
des structures classiques de l'administration est d'autant plus réelle qu'il s'agit,
dans le cas précis de l'Afrique francophone, d'un phénomène né avec les processus
de démocratisation. Nous constatons que ce contexte particulier de création de ces
organes ne peut que leur imprimer des caractéristiques propres et poser en termes
concrets la question relative à leur régime juridique .
I– Les contextes de création des autorités administratives indépendant
7 Article 20 de la Constitution française du 4 octobre 1958 ; Article 53 de la Constitution malienne du 12 janvier
1992 ; Article 54 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
8 C. Treitgen-Colly, « Les autorités administratives : histoire d'une institution », in Les autorités administratives
indépendantes (C.-A. Colliard et G. Timsit-dir), Paris, PUF, p. 26.
9 Cf. sur ces points G. Conac, « Le développement administratif des Etats d'Afrique noire » – op. cit. p. XXXII et
s.
10 J. Chevalier, cité par M. Gentot, Les autorités administratives indépendantes, Paris, Editions Montchrestien,
1991, p. 8.
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Toute création d'organismes à vocation administrative obéit dans une large
mesure à un souci de modernisation administrative. La création des organes de
régulation par les Conférences nationales des Etats d'Afrique noire francophone se
situe dans le cadre d'une stratégie de protection des libertés des administrés et de
limitation des pouvoirs de l'administration.
A /Réforme administrative et politique
Le bilan très critique de près de trente années de gestion administrative exigeait
une redéfinition de l'action administrative et la création de catégories nouvelles
dont les statuts restent à préciser.
1° La nécessaire modernisation des structures administratives
Les objectifs assignés au parti unique dans les Etats francophones d'Afrique
noire ont largement compromis la mise en place et le fonctionnement d'une
administration respectueuse des droits et des libertés des administrés. Selon le
Professeur Bénédicte Delaunay l'administration est "l'ensemble des personnes
morales de droit public, ainsi que des personnes morales de droit privé gérant un
service public" 11. Le Professeur René Chapus est plus explicite lorsqu'il définit
l'administration comme "l'ensemble des activités du gouvernement et des autorités
décentralisées étrangères à la conduite des relations internationales et aux
rapports entre les pouvoirs publics et s'exerçant sous un régime de puissance
publique" 12. Le droit administratif devient alors, selon l'auteur, "le régime de
puissance publique sous lequel sont exercées les activités précitées" 13. La
doctrine a longtemps substitué, pour la définition du droit administratif et la
compétence du juge administratif, la notion de service public et celle de puissance
publique. Ainsi, le droit administratif est à la fois le droit du service public et celui
de la puissance publique 14. La subordination de l'administration au gouvernement
conduit à faire de l'administration un outil au service du pouvoir politique. Le
pouvoir de l'administration sur les administrés s'exerce à travers l'activité
"d'autorités intégrées dans la hiérarchie administrative ou d'organes soumis au
contrôle de tutelle de l'Etat" 15. La promotion des droits et des libertés des
administrés reste fonction de la nature de ce pouvoir, son mode d'exercice, de
contrôle et de limitation. La création des organes de régulation, en dehors et
indépendants de l'administration, devient, ici, une nécessité. Le cas des Etats
francophones d'Afrique noire est particulièrement révélateur. Le professeur Conac
écrit que "Lorsque les gouvernants africains se préoccupent de lutter contre le
sous-développement de l'administration, ils envisagent d'abord un meilleur
quadrillage du territoire par des fonctionnaires d'autorité" 16.
En ce qui concerne les Etats à parti unique tels que le Bénin et le Mali, le
gouvernement, le parlement, les gouverneurs ou préfet des régions, des
administrateurs civils sont sous le contrôle strict des dirigeants de l'organisation
partisane. L'administration territoriale de ces Etats monocratiques dépend
11 B. Delaunay, L'amélioration des rapports entre l'administration et les administrés. Contribution à l'étude des
réformes administratives entreprises depuis 1945, Paris, LGDJ, 1993, p. 22.
12 R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Paris, Editions Montchrestien, 6e édition, 1992, p.4.
13 Ibidem.
14 Ibidem.
15 B. Delaunay, op. cit. p. 32.
16 G. Conac, op. cit. p. XLVII.
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totalement du parti unique. Il s'agit de "l'ensemble des services publics
déconcentrés, à l'exception des départements ministériels et des établissements
publics nationaux" 17. Par conséquent, la décentralisation sous l'égide d'un parti
unique qui choisit et impose les candidats aux élections et qui détermine la
politique au niveau local ne fait qu'accentuer paradoxalement la centralisation. En
outre, le présidentialisme renforce l'autorité du président qui étend son emprise sur
l'administration entière. La faiblesse des parlements aux contenus monolithiques
et l'allégeance des hauts cadres au chef de l'exécutif ne permettent aucune
autonomie des administrés qui, par ailleurs, ne disposent d'aucun pouvoir pour
faire prévaloir leurs droits et libertés politiques. En fait, l'ensemble de ces facteurs
imprime des traits particuliers au droit administratif de ces Etats. "La
centralisation et la personnalisation des régimes politiques africains ont
naturellement des conséquences dans le droit administratif. Celui-ci doit par
exemple faire une place particulière, souvent étendue et féconde, aux décisions du
chef de l'Etat, qu'elles soient de portée générale ou individuelle. De même, le
mélange de l'administration et du parti déforme la notion classique de l'acte
juridique aussi bien dans sa procédure d'élaboration que pour l'application des
règles de compétence de fond" 18. L'Etat devient "patrimonial" et le droit du
citoyen de participer à la vie politique par son vote n'existe plus. Le vote se
transforme en élection ratification. "Le vote, écrit le Professeur Alain-Serge
Mescheriakoff , a pour objet de montrer publiquement que la population apporte
son soutien au chef de l'Etat et le rôle de l'administration est de faire en sorte que
le vote soit massif" 19. Ce monocratisme a entraîné l'exclusion de la vie politique
de la majorité des populations concernées. La puissance de l'administration était
sans limite.
Le processus de démocratisation, entamé au Bénin en 1990, a gagné très vite
une bonne partie de l'Afrique subsaharienne. La restauration du pluralisme
démocratique et la juridisation des droits et libertés de la personne humaine furent
l'œuvre des conférences nationales20 dont la première s'est tenue au Bénin du 19
au 28 février 1990. Celle du Mali s'est déroulée du 29 juillet au 12 août 1992.
L'objectif, dans les deux cas, était de procéder à une refonte radicale des systèmes
politiques et administratifs. Selon le Professeur Maurice Kamto, les conférences
nationales africaines traduisent "une irruption de la société civile, et plus
particulièrement du peuple, sur la scène du pouvoir" 21. A la différence du cas
malien où la conférence nationale fut convoquée après le renversement du pouvoir
politique en place, celle du Bénin fut l'œuvre de toutes les forces politiques et
sociales du pays en "application immédiate de la décision conjointe prise les 6 et
7 décembre 1989 par la section spéciale du Comité central du parti de la
volution populaire du Bénin, du Comité permanent de l'assemblée nationale
volutionnaire et du Conseil exécutif" 22. Celle du Mali a aussi regroupé toutes
17 Y. Prats, « L’administration territoriale et les Collectivités locales » , in Les institutions administratives des
Etats francophones d'Afrique noire-La vie du droit en Afrique, op. cit.,p. 133-134.
18 A. Plantey, « Considérations générales sur l'administration de l'Etat africain », in Les institutions
administratives des Etats francophones d'Afrique noire-La vie du droit en Afrique, op. cit., p. 10.
19 A.-S. Mescheriakoff, op. cit., p. 142.
20 Cf. M. Kamto, « Les conférences nationales ou la création révolutionnaire des constitutions », in La création
du droit en Afrique (sous la direction de D. Darbon et J. du Bois de Gaudusson), Paris, Editions Khartala, 1997,
p. 177 et s..
21 M. Kamto, op. cit. p. 9.
22 Ibidem, p. 181.
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