
La presse en Afrique : une influence étatique encore trop forte 
  
Sur le continent noir, les journaux ont acquis plus de liberté et se développent. Mais beaucoup 
sont menacés par la censure, qu’elle soit de caractère économique ou judiciaire. 
 
 
Dans les pays francophones, le bouillonnement de la presse du début des années 1990 a bouleversé le 
paysage médiatique africain. Après la libéralisation des espaces audiovisuels et la démonopolisation 
des médias d’Etat, les organes de presse se sont multipliés presque partout sur des marchés nationaux 
trop étriqués pour assurer la survie de tous. Dans cet environnement, ce que la presse africaine a gagné 
en liberté du point de vue législatif, elle l’a perdu de par la censure économique. Cela se ressent au 
Niger,  au  Tchad,  au  Cameroun,  en  Côte-d’Ivoire,  au  Bénin  et  au  Burkina  Faso.  La  précarité 
économique  des  entreprises  de  presse  a  beaucoup  joué,  tant  dans  le  non-respect  des  règles 
déontologiques que dans la qualité des contenus des médias. 
 
L’ex-président Kérékou disait  qu’il  n’était  pas  à  même  de  donner  des  emplois  à  tous  les  Béninois, 
mais que, si le fait d’écrire n’importe quoi sur lui pouvait permettre à des journalistes de gagner leur 
vie, c’était tant mieux. Quand on sait qu’il est à l’origine du renouveau médiatique dans son pays pour 
avoir  incité  à  la  création  du  premier  journal  indépendant  et  qu’il  n’a  jamais  consenti  à  mettre  un 
journaliste en prison, on comprend que sous son régime le Bénin ait occupé son meilleur rang dans le 
classement de Reporters sans frontières. 
 
Dans plusieurs pays, la liberté de la presse a fait des progrès remarquables et l’on peut affirmer que la 
presse africaine est bel et bien libre. Toutefois, cette liberté est sérieusement mise à mal par la censure 
économique. Dans la plupart de ces pays, l’outil économique se trouve concentré entre les mains de 
l’Etat. Il manque aux opérateurs économiques privés, qui auraient pu donner une bouffée d’oxygène à 
la presse, la culture de la publicité ou le courage de s’afficher dans des médias qui revendiquent leur 
indépendance.  Voilà pourquoi  de  nombreux  patrons  de  presse  sont contraints de  fermer boutique. 
Certains font paraître leurs journaux épisodiquement, d’autres jouent les thuriféraires des régimes ou 
les équilibristes entre les tenants du pouvoir et les autres composantes du pays. Les aides croissantes 
des Etats à la presse auraient pu contribuer à sauvegarder sa liberté. Mais, dans certains pays, l’infinie 
multiplication des médias réduit ces aides à une simple goutte d’eau dans la mer.  
 
Dans  un  petit  pays  comme  le  Bénin,  on  enregistre  plus  d’une  cinquantaine  de  quotidiens.  On 
comprend  alors  que  des  « enveloppes  rouges »,  appelées  ici  « communiqué  final »,  circulent  pour 
récompenser  les  prestations  des  journalistes.  Et  que  des  « contrats »  ou  « partenariats »  avec  des 
sociétés  ou  institutions  d’Etat,  voire  avec  le  gouvernement,  aient  raison  de  l’esprit  critique  et  de 
l’impartialité  de  certains  confrères.  A  cela  s’ajoutent  les  redressements  fiscaux  à  l’encontre  des 
entreprises de presse, qui constituent de véritables moyens de chantage ou de pression. La censure 
économique est plus efficace encore que la rétention de la publicité.  
 
Tous ces phénomènes sévissent dans plusieurs pays africains, mais au Bénin ils ont pris des allures 
inquiétantes, au point qu’on est passé des médias de référence de la fin des années 1980 à des médias 
de  révérence.  Et  pour  cause :  afin  d’échapper  aux  redressements  fiscaux  ou  de  bénéficier  de  ces 
fameux « contrats » qui assurent la pérennité des entreprises de presse, ils sont nombreux à rivaliser 
d’éloges à l’endroit du pouvoir d’une part, et à désinformer d’autre part. 
 
 
Serge Félix N’Piénikoua 
Dans l’Action Républicaine (Cotonou, Bénin).