Les principes de base de … la pharmacothérapie et de la médecine en toxicomanie Note aux lecteurs : Il serait utile de d’abord lire Les principes de base de… l’évaluation globale en médecine de la toxicomanie, qui décrit un processus d’évaluation qu’il est recommandé de suivre avant de commencer une pharmacothérapie. Qu’est-ce que la pharmacothérapie? Le terme pharmacologie fait référence aux effets physiologiques de substances chimiques (c.-à-d. de médicaments ou de drogues) sur l’organisme. La pharmacothérapie est le traitement d’une affection ou d’une maladie avec des médicaments dispensés par un professionnel de la santé qualifié, tout en tenant compte de la pharmacologie de ces médicaments. Comment fonctionne la pharmacothérapie? Quand l’évaluation clinique est terminée, un plan de traitement est établi, qui inclut parfois une pharmacothérapie. Les fournisseurs de soins de santé sont fréquemment confrontés à des complications psychiatriques ou médicales liées à une toxicomanie qu’il est pressant de traiter. Les troubles de santé mentale — souvent vus comme une complication découlant d’un problème présenté ou d’un trouble concomitant — sont couramment traités avec des médicaments qui intensifient les problèmes de toxicomanie. Par exemple, le soulagement de la douleur chronique passe parfois par une thérapie continue aux opioïdes ou à d’autres médicaments psychoactifs. Cela dit, les fournisseurs de soins ont parfois de la difficulté à faire la distinction entre des symptômes de douleur physique et émotionnelle et une sensibilité extrême à la douleur. Il arrive souvent que les médecins prescrivent des médicaments contre des problèmes courants, comme la douleur, l’anxiété ou des troubles du sommeil, qui ont des effets sédatifs sur le cerveau. Malheureusement, certaines personnes se soignent elles-mêmes, sans demander l’avis de leur médecin, en croyant que des médicaments sur ordonnance tels que les opioïdes ou les benzodiazépines les aideront à se calmer et à se reposer. Comme toute blessure ou affection physique peut présenter une composante émotionnelle importante, les médecins se doivent de surveiller avec soin comment leurs patients utilisent les médicaments sur ordonnance (voir Canadian Guideline for Safe and Effective Use of Opioids for Chronic Non-Cancer Pain; en anglais seulement). Les produits en vente libre couramment pris pour soulager la nausée, le rhume, les spasmes musculaires et la douleur renferment souvent des substances chimiques causant d’autres effets, indésirables ceux-là. Par exemple, la diphenhydramine peut avoir des effets dépresseurs, la pseudoéphédrine peut avoir des effets stimulants et les antihistaminiques peuvent avoir des effets sédatifs. Donc, avant de poser un diagnostic et d’entreprendre une pharmacothérapie, l’usage de médicaments et de drogues, y compris de produits en vente libre, doit être analysé en détail. La pharmacothérapie utilisée pour les problèmes de toxicomanie, de douleur et de maladie mentale se divise en cinq grandes catégories: 1. Médicaments psychoactifs C’est avec les médicaments psychoactifs que le risque d’abus, de dépendance ou de toxicomanie est le plus élevé. Il faut donc s’assurer qu’ils sont prescrits avec circonspection, pour de courtes durées et contre des épisodes aigus de troubles ou diagnostics clairement définis. C’est aussi cette catégorie de médicaments qui présente le risque le plus élevé de détournement (c.-à-d. médicaments détournés pour être vendus illégalement). Les programmes provinciaux de surveillance des ordonnances ont des formats et fonctions qui varient considérablement et sont en constante évolution. Certains programmes ne portent que sur les opioïdes; pourtant, certaines combinaisons opiacées (p. ex. Tylenol 2, 3, 4), quelques opioïdes sans ordonnance (p. ex. Tylenol 1, 222) et certains stimulants et benzodiazépines sont parfois détournés et utilisés à mauvais escient, sans surveillance ni reddition de comptes. Voici quelques exemples de médicaments psychoactifs : • les sédatifs (c.-à-d. les sédatifs-hypnotiques et les anxiolytiques) comme les benzodiazépines (p. ex. diazépam, lorazépam, oxazépam, témazepem), la zopiclone, la buspirone, l’hydrate de chloral et les barbituriques; • les stimulants comme le méthylphénidate, les amphétamines, la nicotine et la cocaïne; • les analgésiques opioïdes comme la morphine, la codéine, l’oxycodone, l’hydrocodone, l’hydromorphone et le fentanyl; • les cannabinoïdes comme le cannabidiol (CBD), le nabilone (Cesamet) et le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC). 2. Médicaments psychotropes Rarement utilisés à mauvais escient, les médicaments psychotropes posent malgré tout un risque d’intoxication et sont associés à des symptômes de manque qui peuvent se révéler problématiques si de fortes doses sont prises ou en cas d’arrêt brusque de la consommation. Une surdose aux antidépresseurs tricycliques peut être mortelle, surtout s’ils sont pris en combinaison avec des benzodiazépines ou de l’alcool, qui ont des effets dépresseurs sur le cerveau et peuvent provoquer une dépression respiratoire. Voici quelques exemples de médicaments psychotropes : • les antidépresseurs, dont les tricycliques comme l’amitriptyline et la doxépine; les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (ISRS) comme la fluoxétine, la paroxétine, la trazodone, le citalopram et la sertraline; les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline (IRSNa) comme la venlafaxine; et les tétracycliques comme la mirtazapine. Interrompre soudainement la prise d’antidépresseurs ISRS est associé à un syndrome d’«arrêt » bien défini; • les psychorégulateurs comme le lithium et l’acide valproïque; • les antipsychotiques comme l’halopéridol, la chlorpromazine, la rispéridone, la quétiapine et l’olanzapine, utilisés en cas de diagnostics psychiatriques tels que troubles anxieux, troubles de l’humeur (p. ex. trouble bipolaire) et troubles psychotiques (p. ex. schizophrénie). Il importe de poser un diagnostic psychiatrique avant de prescrire des médicaments psychotropes, car les troubles psychiatriques provoqués par la toxicomanie font partie du groupe des troubles de toxicomanie. De plus, l’abus de substances ou la dépendance arrive à créer, à imiter ou à masquer des symptômes psychiatriques et, ce faisant, déforme les signes d’un trouble psychiatrique réel nécessitant une intervention pharmacothérapeutique. Par exemple, la dépression est un symptôme courant tant de l’intoxication que de l’état de manque suivant l’arrêt de la consommation. Les patients toxicomanes décrivent souvent les hauts et les bas dans leur humeur et comportement associés à l’intoxication et au manque, en omettant toutefois de mentionner leur dépendance. Ces hauts et ces bas pourraient être interpréter à tort comme un trouble bipolaire. Généralement utilisés en cas de troubles de la pensée, les antipsychotiques atypiques comme la quétiapine et l’olanzapine sont souvent prescrits pour traiter l’anxiété et l’insomnie en raison de leurs effets sédatifs. Pourtant, il s’agit là d’un emploi non conforme de ces médicaments qui comporte des risques en soi. Au moment de prescrire, il faut donc tenir compte du fait que leurs ingrédients pharmaceutiques actifs pourraient engendrer une dépendance. 3. Médicaments pour thérapie d’entretien La méthadone, la buprénorphine et la buprénorphine/naloxone sont employées pour traiter la dépendance aux opioïdes dans le cadre d’une thérapie d’entretien. Même si des opioïdes à libération contrôlée comme le MS Contin, l’OxyContin et l’Hydromorph Contin permettent de traiter la douleur persistante, leur utilisation dans une thérapie d’entretien n’est pas recommandée. 4. Médicaments pour traiter spécifiquement la dépendance Le désir irrépressible de consommer est reconnu comme une manifestation physiologique qui se traite avec des médicaments agissant sur les circuits cérébraux touchés. Ainsi, la naltrexone est un antagoniste opioïde qui réprime le désir de consommer des opioïdes et de l’alcool. On a aussi constaté que l’acamprosate, en atténuant la compulsion de boire, diminuait légèrement le risque de rechute dans l’alcoolisme. Voici quelques exemples de médicaments utilisés pour traiter spécifiquement la dépendance : • les médicaments qui diminuent le besoin de consommer comme la varénicline, la naltrexone, l’acamprosate et le bupropione; • les médicaments dissuasifs comme le disulfirame. En perturbant la métabolisation de l’alcool, le disulfirame (médicament dissuasif) produit un effet physiologique indésirable, mais seulement si la personne boit alors qu’elle prend le médicament de façon régulière. 5. Médicaments contre la douleur et les troubles neurologiques Les cannabinoïdes, la gabapentine et la prégabaline servent à soulager la douleur chronique, mais risquent aussi d’entraîner des abus. On sait que certains agonistes de la dopamine, comme le pramipexole, servant à traiter la maladie de Parkinson exacerbent le désir et la compulsion de jouer ou d’avoir des relations sexuelles. Le topiramate et la lamotrigine sont parfois prescrits pour réguler l’humeur. Les études sur le topiramate sont contradictoires : certaines indiquent que s’il n’est pas utilisé conformément à l’étiquetage, il peut intensifier le sentiment de malaise ou de déplaisir (dysphorie) et accroître le risque de retomber dans la dépendance, alors que d’autres études montrent, elles, que le topiramate serait un moyen efficace d’éviter une rechute dans l’alcoolisme. Les médecins doivent donc se montrer prudents lorsqu’ils prescrivent ce médicament. Voici quelques exemples de médicaments contre la douleur et les troubles neurologiques: • les cannabinoïdes, la gabapentine et la prégabaline, qui sont prescrits pour soulager la douleur chronique en raison de leurs effets dépresseurs sur le cerveau; • les agonistes de la dopamine, comme le pramipexole, qui sont prescrits pour traiter la maladie de Parkinson; • les antiépileptiques, comme le topiramate et la lamotrigine, qui sont prescrits pour traiter les troubles convulsifs. Répercussions pour les fournisseurs de soins de santé Tous les fournisseurs de soins de santé se doivent de bien connaître la pharmacologie et les indications thérapeutiques des médicaments qu’ils prescrivent à leurs patients et de comprendre le contexte entourant les problèmes de toxicomanie. Il est essentiel d’obtenir les antécédents médicaux d’un patient et de bien l’évaluer, et de procéder à une analyse sanguine et à un test de dépistage urinaire, tel que décrit dans Les principes de base de… l’évaluation globale en médecine de la toxicomanie. Pour établir de concert des plans de traitement, les médecins et autres fournisseurs de soins non-médecins doivent tous se familiariser avec la pharmacothérapie, en particulier dans les situations où il y a concomitance de troubles de toxicomanie, d’une part, et de troubles de santé mentale ou de douleur chronique, d’autre part. Les benzodiazépines peuvent être considérées comme une option à court terme s’offrant aux patients sans problème de dépendance ou alors aux patients en désintoxication supervisée de l’alcool. Prescrire des benzodiazépines et des opioïdes à courte action sur une longue période accroît le risque que les patients développent une dépendance, en plus d’induire une tolérance et une dépendance physiologique. Ces médicaments fragilisent aussi le processus de réadaptation des patients qui suivent un programme basé sur l’abstinence. Donc, pour une personne en traitement à long terme, des options relativement plus sûres seraient la buspirone en cas d’anxiété et le baclofène en cas de spasmes musculaires. En ce qui concerne le traitement à long terme de l’insomnie, une option à moindre risque serait des antidépresseurs sédatifs comme l’amitriptyline, la trazodone ou la mirtazapine. Les symptômes de manque sont un phénomène physiologique causé par toutes les drogues et tous les médicaments ayant des effets sur le cerveau. L’intensité de ces symptômes varie de faible à modérée (p. ex. nausée, frissons, mal de tête, delirium tremens), alors un arrêt progressif et une psychothérapie d’appoint sont à privilégier. Les personnes prenant depuis longtemps des médicaments psychoactifs ou psychotropes doivent être avisées des symptômes de manque de ces médicaments. Le sevrage le plus dangereux est celui de dépresseurs comme l’alcool, les benzodiazépines ou les barbituriques, car il peut être mortel. Pour éviter toute complication involontaire, il est essentiel d’arrêter progressivement la prise de médicaments, de recourir à des aides au sevrage à longues demi-vies et d’assurer un suivi médical attentif. Préparé par Raju Hajela, M.D., M.H.P., DABAM. Examiné par Peter Butt, M.D., et Tony George, M.D., FRCPC. Références Brands, B. Management of Alcohol, Tobacco and Other Drug Related Problems, Toronto, Centre de toxicomanie et de santé mentale, 2000. Koob, G. et M. Le Moal. Neurobiology of Addiction, Londres (R.-U.), Academic Press, 2006. Organisation mondiale de la Santé. Neurosciences : usage de substances psychoactives et dépendance, Genève (Suisse), 2004. Ries, R., D. Fiellin, S. Miller et R. Saitz. Principles of Addiction Medicine (4th ed.), Philadelphie (PA), Lippincott Williams & Wilkins, 2009.