Les principes de base du… soulagement de la douleur chronique et de la médecine en toxicomanie Ce document s’adresse aux fournisseurs de soins de santé. Qu’est-ce que le soulagement de la douleur chronique et la médecine en toxicomanie? Douleur chronique La douleur chronique est une douleur toujours présente six mois ou plus après la date prévue de guérison des tissus. Sur le plan clinique, on fait une distinction entre la douleur cancéreuse et la douleur non cancéreuse : la douleur cancéreuse empire avec la progression du cancer et nécessite ainsi des doses de plus en plus fortes d’analgésiques pour les soins palliatifs; de son côté, la douleur chronique non cancéreuse (DCNC) est une maladie où la douleur est perçue par des signaux persistants émis par des zones précises de l’organisme ou une amplification de cette perception dans le système nerveux central du cerveau. Il est important de reconnaître que la douleur est un phénomène hautement subjectif et que l’état émotif d’une personne influe grandement sur sa perception de la douleur. En effet, on associe souvent la peur, la colère et la honte à une amplification de la douleur chronique. Toxicomanie La Société médicale canadienne sur l’addiction définit la toxicomanie comme une maladie primaire et chronique caractérisée par une perte de maîtrise de l’utilisation d’une substance ou un dérèglement du comportement à cet égard. Sur le plan clinique, elle se manifeste selon quatre perspectives, soit biologique, psychologique, sociale et spirituelle. La toxicomanie se caractérise notamment par une humeur changeante, le soulagement d’émotions négatives, l’apport de plaisir, une obsession avec la consommation ou des comportements ritualisés ainsi que la poursuite de la consommation et des comportements en dépit des effets physiques, psychologiques ou sociaux néfastes subis. Comme pour d’autres maladies chroniques, la toxicomanie peut être évolutive, sporadique et mortelle. Par la consommation et la toxicomanie, la personne arrive à « engourdir » son mal-être ou à s’évader. Les patients consomment souvent des analgésiques ou des médicaments opioïdes communément utilisés pour soulager la douleur afin éviter de ressentir des sentiments désagréables. Sans grande surprise, il est alors difficile de déterminer si la douleur chronique ressentie et déclarée par un patient prenant des opioïdes sur ordonnance fait partie d’un problème de toxicomanie, si elle est l’expression d’une maladie distincte (DCNC) sans problème apparent de toxicomanie ou s’il s’agit d’une combinaison DCNC et toxicomanie. Dans les cas où une personne demande de l’aide médicale pour une DCNC tout en présentant des troubles concomitants de dépendance, il faut habituellement procéder à une évaluation spécialisée en médecine de la toxicomanie – en plus de l’évaluation globale initiale. Soulagement de la douleur chronique Soulager la douleur chronique passe par une première évaluation complète puis un examen continu et bien documenté, le tout dans le but de s’assurer que : la pharmacothérapie, qu’elle fasse appel ou non à des opioïdes, reste efficace; des options non médicamenteuses sont intégrées aux traitements pour offrir une fonctionnalité maximale et la meilleure qualité de vie possible aux patients. Une évaluation complète est nécessaire pour établir un bon diagnostic et un plan de traitement efficace. Deux grands enjeux doivent être pris en compte, à savoir le traitement adéquat de la douleur – surtout quand l’usage chronique d’opioïdes est nécessaire – et la prévention de l’abus ou du détournement des opioïdes, nocif aux individus et à la société Comment fonctionne le soulagement de la douleur chronique? L’objectif du traitement doit être de soulager la douleur, d’améliorer la fonctionnalité et d’optimiser la qualité de vie. La douleur chronique a des effets débilitants importants aux conséquences graves sur les personnes, les familles et le rendement au travail. On estime que plus de 18 p. cent des Canadiens souffrent de douleur chronique (Sondage canadien sur la douleur, 2009). À titre d’exemple, selon ce même sondage, les employés souffrant de douleur chronique manquent en moyenne 28,5 jours de travail par année, soit quatre fois la moyenne annuelle nationale de sept jours. On prescrit souvent des opioïdes aux personnes souffrant de douleur chronique pour tenter d’alléger leur inconfort. Malheureusement, cette « solution » exacerbe parfois le problème compte tenu du risque d’abus et de dépendance lié à ces substances. Des directives (Canadian Guideline for Safe and Effective Use of Opioids for Chronic NonCancer Pain – en anglais seulement) font des recommandations pour aider les médecins dans le traitement de la douleur et la prescription d’opioïdes dans ces situations. De plus, la International Society of Addiction Medicine (ISAM) s’est dotée d’un cadre sur l’évaluation des problèmes de douleur chronique permettant d’analyser le risque de dépendance des patients qui présentent une douleur et demandent des opioïdes et proposant des pistes d’interventions. Selon le cadre, il est généralement possible de classer les patients en trois catégories : Catégorie A : Le patient veut des opioïdes pour atténuer une douleur perçue, mais l’évaluation montre qu’il faut avant tout diagnostiquer la dépendance et que la douleur, bien que chronique, sera gérable une fois la dépendance traitée efficacement. Par exemple, un patient avec un mal de dos récurrent développe un mal de dos chronique d’origine mécanique et commence rapidement à prendre de plus en plus d’opioïdes à courte action, souvent en faisant une utilisation régulière excessive et abusive. De nombreux patients de catégorie A réussissent à remplacer progressivement leur médication opioïde par des médicaments non opioïdes, comme les anti-inflammatoires ou l’acétaminophène. Certains patients auront besoin d’un traitement d’entretien à l’agoniste des opioïdes, habituellement de la méthadone une fois par jour ou de la buprénorphine trois fois par semaine, pour régler leur problème de dépendance. Catégorie B : Le patient qui veut des opioïdes présente une étiologie clairement identifiable de la douleur et n’a aucun problème de dépendance présent ou passé. Par exemple, un patient souffre de douleur chronique suite à une opération au genou. Il se conforme généralement à son traitement et ne change pas sa médication ou sa posologie de son propre gré. Les comportements aberrants souvent remarqués chez les patients de catégories A et C, comme faire des réserves de médicaments et demander des ordonnances à plusieurs médecins, se rencontrent peu, voire jamais, chez les patients de catégorie B. Les quelques comportements aberrants mineurs qui se produisent parfois, comme une consommation excessive occasionnelle, peuvent se régler avec le counseling. Catégorie C : Le patient présente non seulement une douleur chronique non cancéreuse nécessitant une thérapie continue aux opioïdes, mais aussi un problème concomitant de dépendance. Il lui faut donc tous les jours plusieurs doses de médicaments comme la méthadone ou les opioïdes à libération contrôlée, en dépit de leur action prolongée. Le traitement requis tranche grandement d’avec celui pour les patients de catégorie A. Ainsi, pour prévenir la rechute vers une toxicomanie active, les patients de catégorie C ont besoin d’un suivi très attentif et d’une structure stricte. Il est essentiel de recourir simultanément à des ressources en guérison et à un traitement à l’agoniste des opioïdes, car une douleur persistante pourrait déclencher une consommation « incontrôlée » et la reprise d’un mode de vie et de comportements de toxicomanie. Les trois catégories de patients décrites ci-dessus doivent bénéficier d’un suivi rigoureux. Avec le temps, les patients de catégorie C pourront stabiliser suffisamment leur état pour rejoindre la catégorie A; ils pourront alors cesser complètement de prendre des opioïdes ou supporter un traitement quotidien d’entretien à l’agoniste des opioïdes. Par exemple, la douleur chronique au genou d’un patient est d’abord stabilisée avec des opioïdes à libération contrôlée, pendant que le patient fait traiter sa dépendance. Après quelques mois à modifier son style de vie (p. ex. perte de poids, plus grande tolérance à l’effort, participation à des séances de psychothérapie individuelles ou en groupe et création d’un solide réseau d’entraide), le patient pourrait voir son besoin de suivre un traitement d’entretien aux opioïdes s’atténuer ou même disparaître. Une évaluation et un suivi proactifs et constants permettent de voir si une personne considérée au départ comme de catégorie B serait en fait un patient de catégorie A ou C. Par exemple, un patient suit son traitement et vient régulièrement chercher ses médicaments, mais on découvre plus tard qu’il accumule de grandes quantités d’opioïdes et en consomme à excès, puis passe plusieurs jours sans en prendre (catégorie A). Ou alors un patient stable qui suivait un traitement d’entretien aux opioïdes deux fois par jour, mais commence à manquer d’opioïdes avant la date prévue en périodes de stress ou pour des motifs douteux, dénotant ainsi une perte de contrôle sur la consommation (catégorie C). Dans ces deux exemples, une évaluation approfondie et un traitement complémentaire s’imposent. On pourrait penser qu’en donnant au patient plus de médicaments, on arrêtera les comportements aberrants, p. ex. demander des médicaments à plusieurs médecins, accumuler de grandes quantités de médicaments ou en consommer à excès dans le but manifeste de faire cesser la douleur. En fait, donner plus de médicaments au patient pourrait l’empêcher de se faire traiter adéquatement et lui nuire. De plus, le patient pourrait se voir refuser l’accès à un programme de traitement de la toxicomanie. Les troubles émotifs ou psychiatriques concomitants de tous les patients des trois catégories doivent être évalués et traités. La physiothérapie, la chirurgie et le counseling/ psychothérapie (séances individuelles et en groupe) – le tout jumelé à l’entraide – permettent d’aborder les problématiques selon les quatre perspectives de la santé (c.-à-d. biologique, psychologique, sociale et spirituelle). On recommande d’impliquer la famille dans les cas où elle a des comportements dysfonctionnels pouvant nuire à la guérison du patient. Outre la pharmacothérapie, il faut envisager la prestation d’interventions physiques et psychologiques visant à atténuer la douleur, à améliorer la fonctionnalité et en définitive à augmenter la qualité de vie. Répercussions pour les fournisseurs de soins de santé Tous les fournisseurs de soins de santé, surtout ceux qui s’occupent de toxicomanie et de santé mentale, doivent voir la douleur comme un trouble concomitant aigu ou chronique. Le traitement de la douleur chronique avec des opioïdes, particulièrement en cas de soins d’urgence, est nécessaire, et le soulagement de la douleur ne devrait être refusé à quiconque dans ces circonstances, peu importe les comorbidités psychiatriques ou de toxicomanie concernées. Dans tous les cas, un plan de traitement individualisé doit être préparé pour assurer un sevrage rapide aux opioïdes dans ces situations d’urgence. Si un traitement d’entretien à l’agoniste des opioïdes est requis à long terme, il faut procéder à des évaluations initiales et continues pour s’assurer que la médication prescrite pour aider la personne n’en vienne pas à faire partie du problème, soit parce que le patient en fait une mauvaise utilisation ou parce que le médecin la prescrit à mauvais escient. Se familiariser avec le cadre de la ISAM permettra d’éviter que les patients de catégorie B ne soient considérés à tort comme des « toxicomanes » et de s’assurer que ceux de catégories A et C reçoivent un traitement contre leur trouble concomitant de dépendance. Il est essentiel de documenter l’évaluation et les soins continus à l’aide des points de référence suivants : dossier précis des médicaments administrés (liste de toute la médication et sa posologie); effets indésirables (effets secondaires des médicaments et interactions médicamenteuses); analgésie (soulagement de la douleur); activités (fonctionnalité); comportements aberrants (et leurs conséquences); affect (commentaires sur les sentiments exprimés, l’apparence et l’ensemble du comportement). Il faut toujours comparer les avantages d’une pharmacothérapie au risque d’effets secondaires et d’interactions médicamenteuses. La coadministration de benzodiazépines ou d’autres sédatifs est particulièrement dangereuse. En fait, les effets synergiques entraînent parfois une dépression respiratoire, qui peut être mortelle. Les fournisseurs de soins de santé ne doivent pas chercher uniquement à trouver le bon médicament pour soulager la douleur. Un traitement efficace est holistique, adapté à chacun et tient compte des comorbidités médicales, chirurgicales et psychiatriques. Son but doit être d’atténuer la douleur, d’améliorer la fonctionnalité et d’optimiser la qualité de vie. Préparé par Raju Hajela, M.D., M.H.P., DABAM. Examiné par J. Boivin, M.D. Références Hajela, R. Pain and Addiction: Assessment Framework and Appropriate Treatment, sans date, consulté le 17 mai 2011 à www.isamweb.org. National Opioid Use Guideline Group. Canadian Guidelines for Safe and Effective Use of Opioids for Chronic Non-Cancer Pain, 2010, consulté le 17 mai 2011 à http://nationalpaincentre.mcmaster.ca/opioid/documents.html. Pain Explained. Pain Hurts Our Economy and is Debilitating Productivity in the Canadian Workplace, 2009, consulté le 14 novembre 2010 à www.nanosresearch.com. Pohl, M. et M. Donohue. A Day Without Pain, Las Vegas (NV), Central Recovery Press, 2008. Ries, R.K. Principles of Addiction Medicine (4th ed.), Philadelphie (PA), Lippincott Williams & Wilkins, 2009. SES Research. Canadian Pain Survey, sans date, consulté le 14 novembre 2010 à www.painexplained.ca/gestion/20071102PainSurvey.pdf.