Douze problèmes d’histoire du christianisme
Michel Grandjean automne 2009
La Trinité : un dogme central ?
Plan
1. Deux anecdotes pour introduire à une histoire compliquée
1.1. Une tentative médiévale de prouver la Trinité
Raymond Lulle (env. 1232-1315/16)
1.2. L’embarras des pasteurs genevois en 1757
d’Alembert
Vincent de Lérins, Commonitorium
2. Arius et le concile de Nicée
2.1. Le tournant constantinien. Les conciles œcuméniques
Constantin, Théodose
οικουμένη (oikoumenê)
Grégoire de Nysse
2.2. La question trinitaire. Arius
subordinatianisme, adoptianisme
modalisme, sabellanisme
monarchianisme
2.3. Le concile de Nicée (325)
Eusèbe de Césarée
3. De Nicée à Constantinople (381)
ουσία / υπόστασις (ousia / hypostasis)
Athanase d’Alexandrie (env. 295-373)
homoiousios (de substance semblable)
Eunome de Cyzique, Basile de Césarée (329/30-379)
4. L’antitrinitarisme chrétien
Abélard (1079-1142)
Imitation de Jésus-Christ
Lelio Socino, Fausto Socino, Bullinger
5. Conclusion
Textes
A L’évêque lui dit : « Si tu crois que la loi du Christ est vraie et que tu considères que celle de
Mahomet est fausse, il te faut amener une raison nécessaire pour le prouver. » Cet évêque, en effet,
était renommé en matière de philosophie. Raymond lui répondit : « Mettons-nous tous deux d’accord
sur quelque chose ; je te donnerai ensuite une raison nécessaire. » Comme cela convint à l’évêque,
Raymond lui demanda : « Dieu est-il parfaitement bon ? » L’évêque acquiesça. Alors Raymond,
voulant prouver la Trinité, commença à argumenter de cette façon : « Tout être parfaitement bon est
en soi à tel point parfait qu’il n’a nul besoin de faire le bien hors de soi ni d’en quémander. Tu dis que
Dieu est parfaitement bon de toute éternité et pour toute éternité ; il n’a donc nul besoin de
quémander et de faire le bien hors de soi, car s’il en était ainsi, il ne serait pas parfaitement bon en
soi. Et comme tu nies la bienheureuse Trinité, si l’on suppose qu’elle n’est pas, Dieu n’a pas été
parfaitement bon de toute éternité, avant qu’il produisît le bien du monde dans le temps. Mais tu crois
à la création du monde. Dieu a donc été plus parfait en bonté lorsqu’il créa le monde dans le temps
qu’auparavant, puisque la bonté réside plutôt dans la diffusion des biens que dans l’existence oisive.
C’est ce que je tiens de toi. Ce que je tiens moi-même, c’est que la bonté est diffusive de toute
éternité et pour l’éternité. C’est la raison d’être du bien que de se diffuser soi-même, puisque Dieu le
Père, étant bon, génère de sa bonté le Fils bon, et que des deux l’Esprit saint, bon, est inspiré. »
Vita coaetana [de Raymond Lulle] IX, 36-38 ;
tiré du Corpus Christianorum. Continuatio mediaevalis 34, p. 297s, trad. du lat.
B Si bien qu’il y a trois substances (hypostases) : Dieu, cause de toutes choses, absolument seul à
être sans commencement. Le Fils, engendré hors du temps par le Père, créé et fondé avant les
siècles, qui n’était pas avant d’avoir été engendré, mais a été engendré hors du temps, et est le seul à
tenir du Père son existence. Il n’est ni éternel, ni coéternel, ni coinengendré avec le Père. Il n’a pas
non plus l’être en même temps que le Père, comme certains le disent en parlant des relatifs,
introduisant ainsi deux commencements inengendrés. Mais c’est en tant que monade et
commencement de toutes choses que Dieu est avant toutes choses. C’est pourquoi il est aussi avant
le Fils. ARIUS, profession de foi ; cit. dans SESBOÜE et MEUNIER, op. cit., p. 34s.
C Nous croyons en un seul Dieu, Père Tout-Puissant, créateur de tous les êtres visibles et
invisibles ;
et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, engendré du Père, unique engendré, c’est-à-
dire de la substance (ουσία) du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui
est sur la terre, qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu et s’est
incarné, s’est fait homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, viendra
juger les vivants et les morts ;
en en l’Esprit Saint.
Ceux qui disent : « Il était un temps où il n’était pas » et « Avant d’avoir été engendré, il n’était pas »
et qu’il est devenu à partir de ce qui n’était pas, ou d’une autre hypostase ou substance, ou qui
affirment que le Fils de Dieu est susceptible de changement ou d’altération, ceux-là l’Eglise catholique
et apostolique les anathématise.
Exposition de la foi des 318 Pères, Concile de Nicée [325] ; tiré de : Les Conciles œcuméniques.
Les Décrets, t. 2/1, Nicée I à Latran V, éd. G. Alberigo et al., Paris, Cerf, 1994, p. 5).
D Nous croyons en un seul Dieu Père Tout-Puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les
choses visibles et invisibles ;
et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, l’unique engendré, qui a été engendré du
Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé,
consubstantiel au Père, par qui tout a été fait, qui à cause de nous les hommes et à cause de notre
salut est descendu des cieux, s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie et s’est fait homme ;
a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli, est ressuscité le troisième jour
selon les Ecritures et est monté aux cieux, siège à la droite du Père et reviendra en gloire juger les
vivants et les morts ; et son règne n’aura pas de fin ;
et en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et donne la vie, qui procède du Père, qui avec le Père et le
Fils est coadoré et coglorifié, qui a parlé par les prophètes ;
en une seule Eglise, catholique et apostolique.
Je confesse un seul baptême pour la rémission des péchés ; j’attends la résurrection des morts et
la vie du monde à venir. Amen. Concile de Constantinople [381] ; tiré de : id., p. 24).
E Les hérésies surtout christologiques des premiers siècles ont amené les conciles des IVe et Ve
siècles à définir l’unité de la nature divine, également possédée par trois personnes. Et les
théologiens, depuis saint Augustin jusqu’aux modernes, ont tenté des approches intellectuelles du
mystère, plus ou moins heureuses et toujours dépendantes de la culture de leur époque. Aujourd’hui,
non seulement la culture actuelle est rebelle au vocabulaire des natures et des personnes, qui a
d’ailleurs changé de sens, mais le vocabulaire arabe élaboré par les chrétiens arabophones du Moyen
Age pour formuler la Trinité et tiré du syriaque arabisé est imperméable au musulman même cultivé.
Le dogme de la Trinité est un cas évident où une saine théologie doit revenir aux sources de la
révélation, faire le bilan critique des formules des conciles et des théologiens pour distinguer
« l’intention de vérité » des dogmes, des formules dogmatiques et enfin et surtout, proposer l’essentiel
de la foi dans le langage de nos contemporains.
Robert CASPAR, Pour un regard chrétien sur l’islam, Paris, Centurion, 1990, p. 90s.
Bibliographie
Histoire des dogmes, dir. Bernard Sesboüé, t. 1 : Le Dieu du salut, [Paris], Desclée, 1994.
Histoire du christianisme, t. 2 : Naissance d’une chrétienté (250-430), dir. Charles et Luce Pietri,
[Paris], Desclée, 1995.
PANIKKAR, Raimon, La Trinité. Une expérience humaine primordiale, Paris. Cerf, 2003.
SESBOÜE, Bernard, et MEUNIER, Bernard, Dieu peut-il avoir un fils ? Le débat trinitaire du IVe siècle,
Paris, Cerf (coll. Textes en main), 1993.
Lecture complémentaire
Histoire du christianisme, t. 2, p. 254-274 (Charles PIETRI, « L’épanouissement du débat théolo-
gique… », extrait).
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