M I S E A U P O I N T Les cytokines en thérapeutique anti-infectieuse ! C. Amiel* RÉSUMÉ. Les cytokines sont des petites glycoprotéines utilisées dans la communication intercellulaire, qui agissent en réseau et présentent de nombreuses interactions. Elles participent à l’équilibre de deux grands systèmes de l’immunité : cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires, ou cytokines de type Th1 et de type Th2. L’utilisation des cytokines en pathologie infectieuse pourrait répondre à deux objectifs : – réduire la réponse inflammatoire à l’infection (choc septique, neuropaludisme) en modulant la balance inflammatoires/anti-inflammatoires ; – augmenter la réponse immune à l’infection, soit directement en orientant vers une réponse en cytokines de type Th1 et vers une activation des cellules cytotoxiques, soit indirectement en augmentant le nombre de cellules immunocompétentes (interleukine 2, facteurs de croissance hématopoïétiques [FCH]). Les principales cytokines actuellement utilisées en pathologie infectieuse sont représentées par les FCH lors des neutropénies (G-CSF, GMCSF), l’interféron α dans le cadre des hépatites chroniques B et C et l’IL2 dans la pathologie VIH. Les FCH augmentent la prolifération, l’activation et la capacité fonctionnelle des cellules phagocytaires (macrophages, polynucléaires), ce qui pourrait faire élargir leurs indications en thérapeutique. L’érythropoïétine est rarement utilisée dans les anémies liées au VIH, et son efficacité est essentiellement rattachée à un taux d’érythropoïétine bas (anémie réfractaire). L’IL2 présente une efficacité et une toxicité dose-dépendantes ; elle est actuellement utilisée chez les patients VIH+ en cas de lymphopénie CD4 malgré un traitement antirétroviral combiné bien conduit. D’autres cytokines comme l’IL12 sont intéressantes. L’IL12 stimule la réponse innée et la réponse cellulaire spécifique de type Th1 et représenterait un excellent adjuvant de vaccination, mais sa toxicité limite actuellement son utilisation en thérapeutique. Des chimiokines ou analogues sont également à l’étude dans l’infection à VIH. De nombreuses études cliniques doivent être mises en place afin d’utiliser ces cytokines de façon optimale, que ce soit en termes de schéma posologique ou d’indication thérapeutique. Mots-clés : Cytokine - Infection - Immunothérapie - IL2. L a meilleure connaissance de la physiopathologie des infections (choc septique, infections à germes intracellulaires, infection à VIH…) ainsi que la limite de nos thérapeutiques anti-infectieuses actuelles amènent à rechercher d’autres stratégies de traitement, orientées vers la réponse immune aux infections. La réponse de notre système immunitaire à tout processus infectieux est, de ce fait, essentielle à connaître. Dans la majorité des cas, l’hôte répond par une activation salutaire de son système immunitaire, ce qui permet l’éradication du germe, avec ou sans thérapeutique anti-infectieuse spécifique (antibiotiques, antiviraux, antifongiques et antiparasitaires). Parfois, le micro-organisme va persister dans l’organisme comme dans le cas des infections à germes intracellulaires (infection à mycobactéries, aspergillose…), ce qui nécessitera l’intervention d’un traitement spécifique long et dont l’efficacité dépendra de la qualité de la réponse immune sous-jacente ; d’où le premier concept d’augmenter la réponse immune. Enfin, l’infection peut entraîner une réponse immune délétère, engageant, à elle seule, le pronostic vital du patient. C’est le cas du choc septique ou du neuro* Service du Pr W. Rozenbaum, hôpital Rothschild, 75571 Paris Cedex. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 paludisme, où la symptomatologie est liée aux effets directs des cytokines qui sont sécrétées en réponse à la stimulation antigénique du micro-organisme. Dans cette situation, il est possible, du moins en théorie, d’intervenir sur la modulation de la réponse immune, en stimulant ou à l’inverse en inhibant l’action de certaines cytokines. CYTOKINES : GÉNÉRALITÉS ET CONCEPT D’UTILISATION Les cytokines sont des petites protéines (8-80 kDa) qui interviennent comme médiateurs solubles de la communication intercellulaire. Les anciens termes lymphokines ou monokines reflétaient l’origine respectivement lymphocytaire ou monocytaire de ces protéines, mais l’immense diversité des cellules à l’origine de la production de ces protéines immuno-actives a fait généraliser ce terme sous le nom de cytokines. Les cytokines envoient des signaux de communication entre les cellules du système immunitaire, et interviennent ainsi dans la régulation de la réponse immune en déterminant l’intensité de la réponse et en orientant celle-ci selon le facteur déclenchant (selon le germe). Elles ont une action de proximité, autocrine et paracrine, et agissent en réseau avec un système de régulation très complexe (récepteurs, antagonistes des récepteurs, récepteurs 393 M I S E A U P O I N T solubles, cytokines antagonistes). Elles peuvent avoir entre elles des effets synergiques, additifs, indifférents ou antagonistes, avec de nombreux rétrocontrôles positifs ou négatifs. Les études faites in vitro isolent les cytokines de leur contexte, et l’interprétation des résultats reste donc très délicate. On peut distinguer les cytokines en cinq groupes : les interférons (IFN) α, β et γ ; les interleukines (IL) [18 sont actuellement connues] ; les facteurs de croissance hématopoïétiques (CSF : G, M, GM-CSF, érythropoïétine), les chimiokines (RANTES, MIP1 α et β, IL16), et les autres (TNF, TGF…). Les cytokines sont utilisées de façon indirecte depuis longtemps, la première génération d’immunomodulateurs étant représentée par les glucocorticoïdes qui diminuent la synthèse de cytokines pro-inflammatoires, augmentent les cytokines anti-inflammatoires et diminuent l’immunité à médiation cellulaire (IL2, IFNγ). La thalidomide et la pentoxyfilline ont également été utilisées pour leur activité anti-TNF. Actuellement, la plus grande utilisation des cytokines en infectiologie concerne l’IFNα dans le traitement des hépatites virales B et C. L’utilisation des cytokines en thérapeutique repose sur deux concepts : ! Réduire la réponse inflammatoire à l’infection (choc septique, neuropaludisme) en modulant la balance molécules proinflammatoires/molécules anti-inflammatoires : diminution de l’expression des cytokines inflammatoires, augmentation de l’expression des molécules anti-inflammatoires par des antagonistes des cytokines inflammatoires ou de leurs récepteurs. ! Augmenter la réponse immune à l’infection, soit directement en orientant vers une réponse en cytokines de type Th1 (en particulier lors des infections à germe intracellulaire) et vers une activation des cellules cytotoxiques (IFN, IL12…), soit indirectement en augmentant le nombre de cellules immunocompétentes (IL2 et lymphocytes ; CSF et polynucléaires neutrophiles et/ou macrophages…). Les principales cytokines actuellement utilisées en pathologie infectieuse sont représentées par les CSF lors des neutropénies (G-CSF, GM-CSF), l’IL2 en cas de lymphopénie CD4 lors de l’infection par le VIH , et l’IFNα dans le cadre des hépatites chroniques B et C. D’autres cytokines comme l’IL12 sont intéressantes, mais leur toxicité limite actuellement leur utilisation en thérapeutique (tableau I). LES GRANDS ÉQUILIBRES DANS LA RÉPONSE IMMUNE Pour les interventions thérapeutiques au niveau du système immunitaire, il faut tenir compte des grands équilibres qui existent au sein du réseau des cytokines et qui sont souvent perturbés lors des infections. Équilibre cytokines pro-inflammatoires/cytokines anti-inflammatoires Les cytokines pro-inflammatoires sont essentiellement représentées par l’IL1, le TNFα, l’IL6, l’IFNγ et l’IL12. Elles sont principalement sécrétées par les macrophages et sont à l’origine de la fièvre, de la synthèse de prostaglandines et de protéines de l’inflammation, mais présentent aussi, à l’inverse, de Tableau I. Cytokines ayant reçu une autorisation de mise sur le marché et leurs indications. Cytokine α IFNα β IFNβ IFNγγ G-CSF GM-CSF Érythropoïétine IL2 Eprex NéoRecormon Proleukin® Macrolin Anémie d’origine rénale " Anémie de chimiothérapie contenant cisplatine " Production de sang autologue " Anémie du prématuré Proleukin® : " adénocarcinome rénal métastasé Nom commercial Roféron A (IFNα-2a) Introna® (IFNα-2b) Viraféron (IFNα-2b) Laroféron (IFNα-2a) Avonex (IFNβ-1a) Rebif® (IFNβ-1a) Betaféron® (IFNβ-1b) Imukin (IFNγ-1b) Neupogen (RmetHuG-CSF) Granocyte (RHuG-CSF) Leucomax (GM-CSF) Indications Roféron® A et Introna : " hépatite B " hépatite C " Kaposi " leucémie aiguë myéloblastique " leucémie à tricholeucocytes " lymphome folliculaire " myélome " tumeur carcinoïde Viraféron : " hépatite B et C Laroféron : " hépatite C Réduire la progression du handicap et la fréquence des rechutes et des poussées de sclérose en plaques Réduire la fréquence des infections graves chez les patients atteints de granulomatose septique Réduire la durée et les complications des neutropénies : " chimiothérapies cytotoxiques " auto/allogreffes " mobilisation cellules souches " neutropénies chroniques : Neupogen® Réduire la durée et les complications des neutropénies : " chimiothérapies cytotoxiques et myélosuppressives " neutropénie induite par le ganciclovir lors des rétinites à CMV 394 ® ® ® ® ® ® " Macrolin : en ATU : patient VIH+ ayant moins de 200 lymphocytes CD4/mm3 " La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 M multiples effets bénéfiques comme par exemple l’IFNγ qui a une action antivirale, antitumorale et immunomodulatrice. Les cytokines anti-inflammatoires sont l’IL4, l’IL10, l’IL13 (et le G-CSF) ; d’autres molécules anti-inflammatoires interviennent également comme le récepteur soluble du TNF (sTNFR) et l’antagoniste du récepteur de l’IL1 (IL1Ra). Réduire la réponse inflammatoire à un processus infectieux ne doit être envisagé que lorsqu’elle présente un caractère morbide, voire mortel. Ainsi, la réduction de l’inflammation se justifie lors du neuropaludisme, ou du choc septique. À l’inverse, inhiber toute réponse inflammatoire comme, par exemple, inhiber la réponse en TNFα pourrait devenir très délétère chez l’homme. Ainsi, on sait que l’inhibition du TNFα sécrété par les macrophages lors d’infections à mycobactéries atypiques empêche l’apoptose de ces macrophages infectés, et donc favorise la pullulation microbienne (1). Équilibre cytokines de type Th1/cytokines de type Th2 (2) " Les cytokines de type 1 (Th1) sont l’IL2, l’IFNγ, l’IL12 et le TNFα. Elles favorisent l’immunité à médiation cellulaire et stimulent les CTL et macrophages. La réponse de type 1, induite par certaines bactéries (mycobactéries, endotoxines) et par les virus, peut être délétère (la majorité des cytokines de type 1 sont des molécules inflammatoires) ; la réponse de type 1 serait en particulier impliquée dans l’ulcère lié à Helicobacter pylori, dans la maladie de Crohn, dans certaines maladies auto-immunes et dans des avortements à répétition. " Les cytokines de type 2 sont l’IL4, IL5, IL6, IL10, IL13. Elles orientent vers une réponse immune à médiation humorale, favorisent la synthèse d’anticorps (dont les IgE) et activent les polynucléaires éosinophiles. Cette réponse est induite par certaines helminthiases (en particulier les nématodes gastro-intestinaux), et pourrait être responsable d’atopie, de fibrose pulmonaire idiopathique, de sclérose en plaques… L’orientation d’un micro-organisme vers une réponse de type 1 ou 2 modifie la réponse à l’infection. Ainsi, dans la lèpre tuberculoïde, la réponse est de type 1, avec des granulomes florides et peu de micro-organismes ; dans la lèpre lépromateuse où la réponse est de type 2, les granulomes inflammatoires sont rares mais les microorganismes pullulent (3). D’une manière générale, les infections à mycobactéries (tuberculose ou autres) doivent faire intervenir l’immunité de type 1 pour obtenir une éradication du germe. Cette réponse immune est difficilement obtenue, en particulier chez les patients immunodéprimés, c’est pourquoi certains auteurs préconisent une “cytokinothérapie” pouvant faire intervenir l’IL2, l’IL12, l’IFNγ ou le GM-CSF (4). CHOC SEPTIQUE Les cytokines ont été largement utilisées dans le choc septique, dont la physiopathologie est partiellement connue : les lipopolysaccharides (LPS) de la paroi des bacilles à Gram négatif déclenchent la sécrétion par les monocytes et macrophages d’IL1, de TNFα, d’IL6 et d’IL8, responsables du choc sepLa Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 I S E A U P O I N T tique ; les bactéries à Gram positif, par le biais de certaines toxines (exotoxine B du streptocoque…), activent la réponse lymphocytaire T et augmentent la sécrétion d’IFNγ qui peut également être délétère. Une vingtaine d’essais cliniques de phase II/III ont été effectués avec l’IL1Ra, le sTNF-R, des anticorps anti-TNF, anti-platelet activating factor (PAF) ou anti-prostaglandines (ibuprofène), ou de la méthylprednisolone (5-8). Les résultats, globalement négatifs (pas d’amélioration de la survie des patients), peuvent s’expliquer par la méconnaissance de la physiopathologie du choc septique, l’utilisation d’une seule cible évoluant dans un réseau de cytokines, un volume de distribution très réduit, un schéma thérapeutique inadéquat dans le temps, un polymorphisme génétique avec variabilité interindividuelle des réponses aux pathogènes et au traitement. INTERFÉRONS Les interférons sont des cytokines immunomodulatrices, antitumorales et antivirales. L’IFNγ, en particulier, augmente l’expression des molécules HLA de classe I et II et la fonction des lymphocytes T cytotoxiques (CTL), des cellules natural killer (NK), des polynucléaires neutrophiles (PNN) et des macrophages. De nombreux modèles animaux ont démontré l’intérêt de l’IFNγ, par son action sur le système phagocytaire, dans les infections à germes intracellulaires (leishmanioses disséminées ; lèpre lépromateuse ; infection à Mycobacterium avium) (9). Chez l’homme, les résultats restent décevants, l’immunothérapie par IFNγ entraînant une restauration immune insuffisante. Son intérêt a néanmoins été prouvé dans les infections associées à la granulomatose septique (aspergillose, mycobactéries, entérobactéries) et a conduit à une autorisation de mise sur le marché (4, 9). L’IFNα est utilisé dans le traitement de l’hépatite virale chronique B et C (10-12). Pour l’hépatite B, l’IFNα est utilisé selon des critères bien précis, à la posologie de 5 à 10 MU/j trois fois par semaine pendant plus de six mois. Le taux de réponse définie par la séroconversion Ag Hbe-Ac anti-HBe est de 40 %. L’IFNα peut être associé à des analogues nucléosidiques, en particulier la lamivudine, mais aussi au famciclovir (11). Les facteurs prédictifs d’une bonne réponse sont : l’infection récente, l’origine caucasienne, la contamination hétérosexuelle, la forte élévation des transaminases, l’importance des lésions histologiques, le faible taux d’ADN circulant, l’absence de co-infection VIH et les virus des hépatites C et D. Pour l’hépatite C, le traitement associe généralement la ribavirine à l’IFNα ; la posologie d’IFN est de 3 MU/j pendant 6 à 12 mois, ce qui peut induire une réponse virologique soutenue de l’ordre de 30-40 % (12). Les facteurs prédictifs d’une bonne réponse sont : le jeune âge, le sexe féminin, l’infection récente, le score d’activité histologique faible, l’absence de cirrhose, la normalité des γGT, le génotype viral (génotype 1b non sensible à l’IFN), le faible taux d’ARN circulant. Enfin, de nouveaux essais apparaissent avec le GM-CSF (13). 395 M I S E A U P O I N T INTERLEUKINE 2 L’IL2 stimule l'activation et la prolifération des cellules CD4 et CD8, l’activité des CTL et la production d’IFN. La première utilisation de l’IL2 en thérapeutique humaine remonte à 1983. Il s’agissait alors d’une préparation purifiée contenant de l’IL2 obtenue à partir de surnageant de leucocytes stimulés par la PHA, utilisé chez deux patients atteints de mélanome (14). Dès 1985, l’IL2 est proposée dans l’infection à VIH, en particulier pour les patients présentant une maladie de Kaposi (15). Depuis, l’IL2 a fait l’objet de différents essais thérapeutiques, dont le but était d’augmenter le taux de lymphocytes CD4. Toutes ces études cliniques concernaient des patients présentant un statut immunitaire et thérapeutique varié et traités avec des schémas posologiques d’IL2 différents (tableau II) (16-26). Ainsi, ni le schéma posologique ni les indications ne peuvent être définis de façon optimale. Néanmoins, ces études permettent de préciser plusieurs points : " la réponse à l’IL2 est meilleure si le taux de lymphocytes CD4 est élevé ; " il existe une toxicité dose-dépendante ; " les schémas thérapeutiques retenus sont des cures de 5 jours, par voie sous-cutanée, espacées de 4 à 8 semaines, avec des doses journalières allant de 3 à 15 MU/j. En France, les différents essais utilisent une IL2 recombinante à la posologie de 2 x 4,5 MU/j par voie sous- cutanée, toutes les 6 à 8 semaines. La toxicité dose-dépendante de l’IL2 se traduit par des effets secondaires fréquents, principalement représentés par un syndrome pseudogrippal avec fièvre (presque constante), céphalées, myalgies, arthralgies, voire un syndrome de fuite capillaire avec hypotension, rétention d’eau, troubles cardiovasculaires, un rash, des désordres thyroïdiens, une polyarthrite rhumatoïde, une néphrite interstitielle... Cette toxicité a été confirmée, en particulier par Davey et al., qui rapportent 59 % de toxicité de grade III [malaise/fatigue : 32 % ; myalgies : 21 % ; arthralgies : 12 % ; trouble du sommeil : 11 %] (25), avec cinq fois plus d’épisodes de fatigue et de malaise dans le groupe à 15 MU/j par rapport au groupe à 3 MU/j. Le principal effet secondaire est le syndrome pseudogrippal, avec fréquemment une toxicité de grade III ou IV pour la fièvre. Ainsi, l’utilisation systématique d’antipyrétiques (paracétamol) est préconisée. L’efficacité de l’IL2 dans l’augmentation quantitative du nombre de lymphocytes CD4 est connue, mais la capacité fonctionnelle de ces cellules est de connaissance plus réduite. L’équipe italienne de de Paoli a montré pour la première fois que les cellules de patients traités par IL2 présentaient in vitro une capacité accrue de sécrétion d’IL2, d’IFNγ et d’IL4 (17). Depuis, les résultats restent contradictoires, en particulier sur la capacité endogène de production d’IL2 chez les patients traités, et sur l’efficacité réelle de l’IL2 en termes d’élévation du 396 nombre de lymphocytes CD4 chez les patients mis sous traitement antirétroviral combiné hautement actif (HAART) (23, 24). Imani, dans une étude portant seulement sur trois patients très immunodéprimés, soulève néanmoins quelques points intéressants : l’IL2 augmente plus l’activité et le nombre des cellules NK que celui des lymphocytes CD4 ; elle augmente l’activation cellulaire (augmentation d’expression de CD38 et de CD95 [Fas]), d’où le risque, du moins théorique, d’apoptose ; elle pourrait réverser le profil de sécrétion de cytokine des patients d’un type 2 vers un type 1 (diminution de l’IL4 en réponse aux antigènes, et augmentation de l’IFNγ spécifique ou non du VIH). Enfin, il existe un intérêt potentiel de la “bithérapie” GM-CSF + IL2 avec apparition d’une réponse proliférative spécifique ou non du VIH (non objectivée sous IL2 seule) et augmentation de la production endogène d’IL2 (24). En France, l’IL2 a fait l’objet de deux essais soutenus par l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) : " L’ANRS 048 concernait des patients mis sous zidovudine et didanosine, ayant un taux de lymphocytes CD4 situé entre 250 et 500/mm3 et traités par IL2 par voie intraveineuse, souscutanée (2 x 4,5 MU-5 j/8 sem. pendant 48 semaines) ou par PEG-IL2 : l’IL2 par voie sous-cutanée a permis d’obtenir un gain de 564 CD4 à un an et une augmentation de plus de 80 % des CD4 à un an chez 77 % de ces patients (26). L’augmentation du nombre de lymphocytes CD4 sous IL2 concerne non seulement les cellules mémoires, mais aussi les cellules naïves associées à un élargissement du répertoire de reconnaissance des antigènes. " L’ANRS 082 concernait des patients sous trithérapie contenant un inhibiteur de protéase depuis plus de 6 mois, et ayant un taux de lymphocytes CD4 inférieur à 200/mm3 (IL2 à 2 x 4,5 MU-5 j/6 sem.- 4 cycles) : l’IL2 par voie sous-cutanée a permis d’obtenir un gain modéré mais significatif de 65 CD4 à 6 mois (contre 18 CD4 sans IL2) ; 41 % des patients sous IL2 contre 3 % ont un gain de plus de 80 cellules. L’étude fonctionnelle des lymphocytes CD4 dans l’essai ANRS 082 est en cours. Ces résultats sont à l’origine de l’autorisation temporaire d’utilisation de l’IL2 chez les patients ayant moins de 200 CD4/mm3. Elle est essentiellement proposée aux patients sous HAART, avec réponse virologique mais échec immunologique. Aucune de ces études ne permet de savoir s’il existe un bénéfice clinique à l’utilisation de l’IL2. Deux essais à venir permettront de répondre à cette question (ESPRIT : CD4 > 300 et SILCAT : CD4 < 300), pour lesquels ni la charge virale plasmatique ni les traitements antirétroviraux n’entrent dans les critères de sélection. INTERLEUKINE 12 L’IL12 est un hétérodimère, produit principalement par les cellules présentatrices d’antigènes (macrophages, cellules dendritiques, cellules de Langerhans). Elle stimule la réponse innée .../... La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 n = 29 : ARV seul n = 31 : ARV + IL2 i.v. : 18 MU/j-5 j 6 cycles/2 mois n = 6 : ARV seul n = 10 : ARV + IL2 6 MU/j : J1-J5 et J8-J12 ; 6 cycles/28 j n = 12 6 MU/j : J1-J5 et J8-J12 ; 6 cycles/28 j n = 25 1 x 3 MU/j-24 sem. 1 : n = 5 à 1 MU/j-5 j/sem.-4 sem. de suite 2 : n = 5 à 3 MU/j-5 j/sem.-4 sem. de suite n=8 1,2 MU/m2/j (2 M/j)-90 j de suite 1 : 9 MU/j-5 j ;1 cycle/6 sem.-52 sem. (n = 21) 2 : IL2 si CD4 $ < 1,25 x valeur base (n = 19) 3 : HAART seul (n = 18) répondeurs = > 20 % # répondeurs partiels = entre 0 et 20 % # non-répondeurs = $ n = 10 6 MU/j : J1-J5 et J8-J12 ; 6 cycles/28 j n = 3, dont 1 avec MAC IL2 : 2 x 5 MU-5 j/6 sem.-3 cycles + GM-CSF 3e cycle (60 000 U/kg/j) n = 49 ; 4 schémas posologiques : 1 : 2 x 1,5 MU/j-5 j/4 sem. 2 : 2 x 1,5 MU/j-5 j/8 sem. 3 : 2 x 7,5 MU/j-5 j/4 sem. 4 : 2 x 7,5 MU/j-5 j/8 sem. 3 cycles minimum ; 12 mois maximum 1 : AZT/ddI (n = 26) 2 : AZT/ddI + IL2 en intraveineuse (12 MU/j) (n = 22) 3 : AZT/ddI + IL2 en sous-cutanée 5 j (2 x 3 MU/j) (n = 24) 4 : AZT/ddI + PEG-IL2 (2 M/m2 bolus en intraveineuse) Tous les 2 mois de S2 à S50 Kovacs (1995 et 1996) De Paoli (1997) Simonelli (1998) Arno (1999) Bartlett (1998) Khatri (1998) Hengge (1998) Zanussi (1999) Imani (1999) Davey (1999) Levy (1999) Mis sous AZT/ddI ± IL2 ARV > 6 sem. HAART Naïfs ou 2 RTI Charge virale > 500 (moyenne 50 000 copies/ml) mis sous HAART ± IL2 AZT/3TC/SQV 3 mois (avant = AZT + 3TC) AZT 5 x 200 seul 8 sem. puis + IL2 S9-S12 ARV non modifié Charge virale < 500 copies/ml AZT/ddI AZT/ddI en même temps ARV ARV 250-550 > 500 CD4 < 100 > 200 (moyenne 350) 200-500 sida > 400 < 250 200-500 200-500 > 200 stratification : < strate > 500 strate < 500 CD4 S24 = 392 S24 = 650 + 564 3: + 77 % + 68 % - 1,20 - 0,88 4: + 105 – - 1,29 $ CD38, # CD45RA+, # réponse Ag de rappel (S56) pour groupes 2 et 3 + 676 A U 2: # nombre de CD4 à S56, # 80 % CD4 à S56, $ charge virale 1: + 55 +9% - 1,37 # nombre de CD4/mois # % CD4/mois # % CD4 à M6 1: + 30 + 1,7 % + 19 % 2: + 24 + 0,9 % + 19 % 3: + 146 + 3,4 % + 95 % 4: + 86 + 2,1 % + 44 % 59 % patients toxicité grade III & 73 événements ; liés à la dose (5 fois moins de fatigue/malaise à 3 MU) # activité et nombre NK ; faible # CD4 (56 % 63) $ IL4 en réponse aux Ag, # IFNγ spécifique ou non VIH (Elispot) # CD38, # CD95 (Fas) sous GM-CSF : # réponse proliférative et # production IL2 à S24 : même # CD4 avec ou sans IL2 (350 à 550 CD4) pas # endogène d’IL2, mais # IL4, IL13 et IFNγ et $ MCP1 Nombre Groupe 1 Groupe 2 Groupe 3 de cycles médian 8 5 – CD4 J0 363 358 369 CD4 S52 485 (+ 34 %) 462 (+ 29 %) 375 (+ 7 %) 57 % ont un gain maximal en CD4 après le 1er cycle (médiane 767 CD4) pas variation CD4 ; $ expression gène IL10 # expression endogène gène IFNγ (NK/CD8) et Il12 1 : CD4 S (0-8) = 711 ; S (9-12) = 1 235 ; S (13-20) = 778 2 : CD4 S (0-8) = 828 ; S (9-12) = 1 567 ; S (13-20) = 990 HLADR id ; # CD38 et LPA ; 15 AE grade III/IV # CD4 = + 105 versus + 30 (groupe contrôle) # CD4 mémoires puis CD4 naïfs (> contrôles) moyenne CD4 344 (± 81), charge virale = 34 800 (± 47 600) ; # CD4 (2 à 5 x CD4 dès début injections ; # CD4/CD25 # CD45RO/RA ; $ charge virale plasma et ADN proviral 3 grade III (hématotox.) ; 0 grade IV ; surtout fièvre... et réaction locale n = 6 : AZT/ddI : J0 CD4 = 320 n = 10 : ARV + IL2 : J0 CD4 = 331 # production IFNγ , IL2 et IL4 in vitro Gain moyen : + 69 CD4/mois contre -4,8 (gain aussi en %) corrélation avec CD4 de base Résultats CD4 I S E 397 ARV : antirétroviraux ; # : augmentation (entre 0 et 20 % d’augmentation des CD4). Nombre de patients et posologie IL2 Auteur (année) Tableau II. Résumé de différents essais cliniques utilisant l’IL2 chez les patients VIH+. M P O I N T M I S E A U P O I N T .../... (naturelle) des cellules NK ainsi que la réponse cellulaire spécifique de type Th1. Plus précisément, elle aide à la différenciation des cellules T naïves en cellules de type 1 (Th1), favorise la prolifération des cellules NK et T activées, augmente l’activité cytotoxique des cellules NK et des lymphocytes T cytotoxiques (CTL), induit la production d’IFNγ par les cellules NK et les lymphocytes T (activés ou au repos) et inhibe les réponses Th2 (27). L’intérêt de l’IL12 est illustré en pathologie humaine : les patients ayant un déficit en récepteur de l’IL12 (IL12R) présentent une fréquence accrue d’infections respiratoires à mycobactéries ou digestives à salmonelles. Lorsque la réponse immune oriente vers une sécrétion accrue d’IL12, des effets délétères peuvent apparaître sous forme de processus inflammatoires, choc endotoxinique, ou phénomènes auto-immuns (27). L’IL12, en augmentant la production d’IFNγ par les macrophages, représenterait un excellent adjuvant à des vaccins composés d’Ag solubles (28). Injectée dans le péritoine de souris avec des œufs de Schistosoma mansoni, l’IL12 prévient la formation de granulomes pulmonaires et diminue la fibrose, le tout dans un contexte de réversion d’une réponse de type 2 vers une réponse de type 1 (29). Son intérêt est également retrouvé dans la leishmaniose viscérale lorsque l’on utilise des cellules dendritiques pulsées ex vivo par des Ag solubles de Leishmania donovani : lorsque ces cellules sont transfectées avec l’IL12, apparaît une libération paracrine d’IL2 et la réponse immune est augmentée (30). L’intérêt essentiel de l’IL12 réside dans le renforcement de l’immunité, en particulier de l’immunité des muqueuses. Okada et al., utilisant, par voie nasale, un vaccin ADN-VIH dans un plasmide exprimant IL12 et GM-CSF, montrent une augmentation de la réponse cellulaire et muqueuse avec ces cytokines (31). Arulanandam et al. proposent également d’utiliser l’IL12 comme adjuvant de vaccination, en remplacement de la toxine cholérique ou de l’entérotoxine de Escherichia coli, qui sont des adjuvants responsables de diarrhée et inducteurs d’une réponse de type Th2. Ainsi, l’utilisation chez la souris, en intranasal, d’une sous-unité vaccinale du virus de la grippe (H1N1) associée à l’IL12 réduit considérablement le taux de mortalité. Il s’y associe une augmentation d’IFNγ, d’IL10, d’anticorps opsonisants (IgG2a) et d’IgA sécrétoires dans les poumons (32). Enfin, le transfert de sérum et de liquide de lavage bronchoalvéolaire de souris vaccinées avec IL12 augmente la survie, ce qui démontre bien l’activité inductrice de l’IL12 au niveau de l’immunité mucosale (32). Si de nombreuses études in vitro et animales ont prouvé l’intérêt de l’IL12, en particulier en thérapeutique anti-infectieuse, l’intérêt de l’IL12 exogène chez l’homme est encore incertain et sa toxicité dose-dépendante reste un facteur limitant : élévation des transaminases, toxicité pulmonaire, leucopénie. Des essais sont en cours dans le carcinome rénal, les lymphomes, 398 l’hépatite C chronique (33-36). Dans les cancers avancés, l’IL12 intraveineuse ou sous-cutanée entraîne une augmentation du taux d’IFNγ dans le sérum et une amélioration de l’activité cytolytique des cellules NK et des réponses prolifératives T. Elle est également utilisée en intralésionnel (lymphome T cutané). Plus récemment, l’IL12 a fait l’objet d’un essai en escalade de dose dans l’hépatite C chronique. Soixante patients ont été traités avec des posologies allant de 0,03 à 0,25 µg/kg pendant 10 semaines ; une diminution de plus de 50 % de l’ARN du VHC était observée dans un tiers des cas, et une normalisation des transaminases dans 12 % des cas, surtout aux fortes doses (36). FACTEURS DE CROISSANCE HÉMATOPOÏÉTIQUE (CSF) L’apparition d’une infection entraîne systématiquement une cascade de sécrétion de CSF : les cellules endothéliales et les fibroblastes produisent du G-CSF et du GM-CSF, les monocytes-macrophages du GM-CSF et du M-CSF et les lymphocytes T de l’IL3. Une seule cellule peut sécréter plusieurs CSF, un CSF peut agir sur différentes cellules cibles et différentes CSF peuvent agir sur une seule cellule. Les CSF comme le GM-CSF, le G-CSF ou le M-CSF induisent la prolifération, la différenciation et l’activation des cellules du système phagocytaire. Ils augmentent leur capacité fonctionnelle, que ce soit leur migration, leur chimiotactisme (controversé), leur phagocytose, leur bactéricidie ou leur fongicidie (38, 39). Sur les PNN essentiellement, le G-CSF et le GM-CSF augmentent l’expression des récepteurs aux immunoglobulines (en particulier aux IgA) et au complément (FcR), et modulent l’expression de certaines molécules d’adhésion comme les intégrines (notamment CD11b/CD18). Cette modulation augmente la capacité bactéricide des cellules phagocytaires et est dosedépendante. La phagocytose et le pouvoir oxydatif (capacité de production de dérivés de l’oxygène) sont également améliorés sous CSF (surtout pour le GM-CSF). L’amélioration du stress oxydatif ainsi que la diminution de l’apoptose de ces cellules permettent une activité microbicide accrue. Enfin, il existe une synergie microbicide in vitro avec l’IFNγ (37, 38). De plus, le GM-CSF stimule la lignée des monocytes-macrophages, en améliorant en particulier la présentation de l’antigène et la phagocytose, la cytotoxicité anticorps-dépendante (ADCC), la réponse oxydative, la production et le pouvoir cytotoxique des PNE. Le M-CSF présente les mêmes effets que le GM-CSF, mais restreints aux monocytes (stimulation de la phagocytose des macrophages). L’IL3 agit beaucoup plus en amont et présente des effets qualitatifs très restreints ; elle stimule également la prolifération et la différenciation des progéniteurs des trois lignées, ainsi que la fonction des monocytes matures et des PNE, mais pas la fonction des PNN (37) (figure 1). Les doses nécessaires à l’amélioration des fonctions du système phagocytaire sont inférieures aux doses nécessaires pour obtenir un effet sur la croissance hématopoïétique, ces dernières La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 M cellule souche IL3 CFU-S (CFU-blaste) GM-CSF CFU-GEMM CFU-E CFU-GM CFU-Eo IL5 PNE CFU-G G-CSF PNN CFU-M EPO M-CSF Monocyte Érythrocyte Figure 1. Facteurs de croissance impliqués dans l’hématopoïèse des monocytes, polynucléaires neutrophiles, éosinophiles et érythrocytes. étant le plus souvent utilisées en pratique. Ainsi, les effets secondaires restent un facteur limitant, en particulier pour le GM-CSF qui peut entraîner fièvre, tachycardie, hypotension, myalgies, dyspnée, nausées, vomissements, et plus rarement une fuite capillaire (polysérite) [associée à la sécrétion d’IL1 et de TNFα]. Le G-CSF est mieux toléré, n’entraîne pas de libération de TNFα, mais peut induire à long terme (plusieurs mois) des céphalées, des douleurs musculaires ou osseuses et un rash dans un tiers des cas. Il a été incriminé dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë lié à une hyperactivation des PNN, mais cet effet semble peu probable aux doses utilisées. Le M-CSF entraîne une thrombopénie dose-dépendante. Enfin, les CSF peuvent également être responsables de maladies inflammatoires dermatologiques (vascularite, éruption, psoriasis…) et de manifestations auto-immunes, principalement la thyroïdite auto-immune. G-CSF ET GM-CSF Les effets des CSF sur l’aplasie et les infections dans les modèles animaux sont clairs, mais les effets anti-infectieux en La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 I S E A U P O I N T pathologie humaine sont moins évidents, et le bénéfice thérapeutique réel dans les prophylaxies et les traitements des infections est encore discuté, que les patients soient neutropéniques ou non. De nombreux travaux in vitro ont testé l’activité microbicide des CSF, portant principalement sur Staphylococcus aureus, E. coli, Candida albicans, Aspergillus, Cryptococcus, Pneumocystis, Leishmania, Mycobacteria, Klebsiella… Chez l’homme, les principaux essais cliniques concernent les neutropénies ; quelques essais rapportent l’intérêt potentiel des CSF dans les infections sévères et la leishmaniose viscérale avec neutropénie [GM-CSF associé au glucantime] (37, 38). ! Infection à VIH. Dans l’infection à VIH, le G-CSF et le GM-CSF ont prouvé leur efficacité dans les neutropénies chimio-induites ou non (37-40). Leur utilisation est actuellement réduite du fait de la restauration immune fréquemment obtenue sous HAART. Mais d’autres applications pourraient encore faire l’objet d’essais cliniques, en particulier la restauration fonctionnelle de la capacité microbicide des cellules du système phagocytaire (intérêt dans les infections à germe intracellulaire) ou la mobilisation de cellules souches, y compris les précurseurs des lymphocytes CD4 (CD34+). Kuritzes et al., dans une étude randomisée incluant 258 patients VIH+ modérément neutropéniques (750 à 1000 PNN/mm3), démontrent que l’administration de filgrastime (G-CSF) est associée à la réduction de l’incidence des infections bactériennes et des jours d’hospitalisation pour infection, sans augmentation de la charge virale plasmatique (41). Ces résultats sont confirmés par Keiser et al., qui retrouvent une diminution des bactériémies et une prolongation de la survie chez les patients VIH+ neutropéniques sous G-CSF (42). Le G-CSF présente aussi un intérêt sur la capacité fonctionnelle du système immunitaire. Ainsi, Hartung et al. démontrent que le filgrastime restaure in vitro la production d’IL2 chez les patients ayant moins de 500 lymphocytes CD4. Le G-CSF induirait également une lymphocytose concernant en partie les lymphocytes CD4+, dose-dépendante avec un maximum au huitième jour de traitement (43). Nielsen retrouve une lymphocytose CD4 chez 10 patients VIH+ recevant 300 µg/j de G-CSF pendant cinq jours : le nombre de lymphocytes CD34 et CD4 augmente (de 236 à 452 CD4/mm3), surtout la proportion de CD4 naïfs, ainsi que leur fonction. Selon ses travaux, le G-CSF augmente le nombre de progéniteurs matures, mais pas le nombre de progéniteurs T (44, 45). La mobilisation des cellules souches CD34+ est plus efficace si les patients présentent un taux élevé de lymphocytes CD4+ ; la viabilité des cellules CD34 n’est pas affectée par le VIH, ainsi que leur capacité à se différencier en progéniteur myéloïde et érythrocytaire (46). Enfin, Coffey et al. démontrent également l’intérêt du G-CSF dans la cryptococcose, par augmentation de l’activité microbicide des PNN (47). L’utilisation du GM-CSF semble également intéressante chez les patients VIH+, sans risque d’augmenter la réplication virale du VIH. Ainsi, Hammer et al. démontrent une activité synergique du GM-CSF et de la zidovudine (AZT) contre le VIH in vitro, en particulier dans des macrophages alvéolaires ; ces 399 M I S E A U P O I N T résultats sont confirmés par Matsuda et al., qui retrouvent une inhibition de la réplication du VIH dans des macrophages dérivés des monocytes par le GM-CSF (48-50). Également, Di Mazio et al. retrouvent une inhibition par le GM-CSF de la réplication des souches M tropes par induction de sécrétion de β-chimiokines qui inhibent de façon compétitive la pénétration du VIH (51). Enfin, Skowron et al., dans une étude randomisée en double aveugle, montrent l’intérêt du GM-CSF dans l’infection à VIH chez 20 patients sous HAART comprenant un inhibiteur de protéase depuis au moins deux mois. Le taux de lymphocytes CD4 initial était de 243 dans le groupe HAART et de 178 dans le groupe HAART + GM-CSF, et la charge virale initiale était respectivement de 33 000 et 217 600 copies/ml. À la posologie de 250 µg trois fois par semaine pendant huit semaines, le taux de lymphocytes CD4 à la huitième semaine est significativement plus élevé lorsque le GM-CSF est ajouté au traitement antirétroviral (+130 cellules versus + 57 sous HAART seul ; p = 0,02) et le nombre de patients voyant chuter leur charge virale de plus de 0 ,5 log est de 5/10 dans le groupe GM-CSF contre 1/10 dans le groupe HAART seul (52). L’intérêt des CSF dans l’infection à VIH persiste, même si les traitements antirétroviraux ont permis chez de nombreux patients une restauration immune telle que leur place (ainsi que celle de l’IL2) est désormais plus limitée. ! Prophylaxie des infections. Le premier essai randomisé en 1991 dans les aplasies chimio-induites utilisait le G-CSF. Sur un total de plus de 200 patients atteints de cancer du poumon, le G-CSF diminuait de façon significative les épisodes fébriles, le nombre de jours d’antibiothérapie, le nombre de jours d’hospitalisation et l’incidence des infections confirmées. En revanche, la survie médiane était identique dans les deux bras. De nombreux autres essais effectués avec le G-CSF ou le GMCSF, en particulier au cours de lymphomes ou de leucémies, confirment les données précédentes [pas de différence de survie] (38). Dans le traitement préemptif et curatif des neutropénies fébriles, le G-CSF et le GM-CSF permettent le plus souvent une diminution du nombre de jours avec fièvre et une résolution plus rapide de la neutropénie. Infections à germes intracellulaires. L’intérêt théorique des CSF dans les infections à germes intracellulaires n’est toujours pas démontré en pratique, faute d’études. Quelques exemples illustrent néanmoins le potentiel de ces CSF. Bodey et al. rapportent 8 cas d’infections fongiques avec neutropénie (5 candidoses, 2 aspergilloses, 1 trichosporonose) traitées par GMCSF associé au traitement spécifique. Les doses élevées de GM-CSF (100 à 750 µg/m2) étaient responsables de trois fuites capillaires ; 2 échecs étaient retrouvés [1 candidose et 1 aspergillose] (53). Nemunaitis rapporte la possibilité d’utiliser également le M-CSF dans les infections fongiques afin d’améliorer la fonction phagocytaire des monocytes-macrophages (54). Différentes études de synergie avec des antibiotiques ont été effectuées. Ainsi Onyeji et al. montrent l’intérêt du GM-CSF dans les infections à MAC in vitro en association avec des doses minimes d’antibiotiques (55). Daschner et al., dans le même ! ordre d’idée, montrent une synergie avec la ceftazidime à concentrations subinhibitrices dans les infections à E. coli (56). Les CSF présenteraient donc un intérêt dans les sepsis graves, les infections néfastes sur l’hématopoïèse (leishmaniose, MAC), les infections fongiques graves (GM ou M), les neutropénies, et dans l’infection à VIH, en particulier en cas de neutropénie et d’infections bactériennes ou fongiques. Des essais commencent actuellement pour le traitement des hépatites chroniques (13). Érythropoïétine (EPO) L’EPO est classiquement utilisée dans les anémies médicamenteuses et les syndromes myélodysplasiques. Elle peut remplacer le traitement conventionnel de l’anémie qui est la transfusion sanguine, dont l’effet immunomodulateur peut être délétère pour l’organisme. Dans une étude ouverte portant sur 1 943 patients sidéens avec hématocrite inférieur à 30 %, l’EPO était utilisée à la posologie de 4 000 UI en sous-cutané, 6 jours par semaine pendant 54 semaines. Tous les patients avaient un taux d’EPO endogène inférieur à 500 MU/ml ; l’hématocrite augmentait significativement, que les patients prennent ou non de l’AZT, passant de 26 % à 33,5 % à la 48e semaine, et le nombre de transfusions diminuait également significativement (57). Dans les syndromes myélodysplasiques, le taux de réponse à l’EPO est de 20 % (5-40 %), avec des posologies allant de 75 U/kg 3 fois par semaine à 240 U/kg/j (58). En pratique, le taux normal d’EPO dans le sérum est de 5 à 30 mU/ml. Le traitement par EPO est essentiellement indiqué chez les sujets qui ont un taux inférieur à 500 mU/ml. Il est conseillé d’effectuer dans le cadre du suivi biologique une évaluation du taux de réticulocytes (un taux supérieur à 40.109/l après la quatrième semaine de traitement est prédictif d’une réponse), et un dosage sérique du fer, de la ferritine et de la saturation de la transferrine. Compte tenu du risque de déficit en fer, surtout au début du traitement, un traitement préventif peut être proposé (200 mg/j de fer par voie orale, soit 900 mg de sulfate). Enfin, surtout si l’anémie est associée à une insuffisance rénale, l’EPO peut être responsable d’hypertension artérielle et de malaise (59). Les meilleurs facteurs prédictifs d’une réponse à l’EPO sont le sexe féminin, le taux initial d’EPO bas, l’anémie réfractaire sans excès de blastes et un caryotype normal. Compte tenu de l’effet multilinéage du G-CSF et du GM-CSF, il serait théoriquement intéressant de les associer à l’EPO (58). CHIMIOKINES ET VIH Les chimiokines (cytokines chimiotactiques) qui se fixent sur leurs récepteurs utilisés par le VIH comme corécepteurs de pénétration (CCR5, CXCR4…) pourraient inhiber la pénétration du VIH par phénomène de compétition (60). Ainsi, les bêta- .../... 400 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 M I S E A U P O I N T .../... chimiokines comme MIP-1α, MIP-1β et RANTES se fixent sur CCR5 et inhibent la réplication des souches R5 (souches M-tropes) ; SDF1 (α-chimiokine) se fixe sur CXCR4 et inhibe les souches X4 (souches T-tropes). inhibitrice du VIH au niveau transcriptionnel, que ce soit sur des souches T-tropes ou M-tropes ou dans des modèles d’infection aiguë ou d’infection endogène, et diminue l’expression des gènes de CCR5 et CXCR4 au niveau des macrophages (62, 63). L’utilisation de ces chimiokines pose le problème de leur effet inflammatoire lié à leur fort pouvoir de chimiotactisme. De plus, selon certaines conditions in vitro, les chimiokines peuvent paradoxalement stimuler la réplication virale, comme par exemple les β-chimiokines qui augmentent la réplication des souches R5 dans les macrophages, contrairement aux lymphocytes. Un variant de MIP-1α, BB-10010, a déjà été utilisé en clinique, mais sans efficacité, sans doute à cause de sa trop faible concentration sanguine liée à une faible biodisponibilité orale. D’autres β-chimiokines modifiées qui n’auraient pas d’effet, ni inflammatoire ni stimulant pour le VIH sont en cours d’étude : RANTES (9-68), AOP-RANTES (inhibe l’infection dans les lymphocytes et les macrophages des souches R5), ou autres dérivés dirigés contre les souches X4 (T22) (60). CONCLUSION D’autres stratégies visant à rendre les cellules résistantes à l’infection sont en cours d’élaboration. Ainsi, des études précliniques de thérapie génique utilisent des vecteurs exprimant des intrakines (chimiokines comme SDF1 ou RANTES modifiées) qui restent au niveau intracellulaire et internalisent leur récepteur, qui sera rapidement dégradé. Les lymphocytes exprimant ces intrakines sont résistants aux souches R5 et X4. Les intracorps, qui sont des anticorps monoclonaux internalisés, pourraient également capturer et internaliser les récepteurs de chimiokines. Enfin, différents anticorps monoclonaux ont été développés pour bloquer les récepteurs de chimiokines, comme l’anticorps 2D7, qui bloque la liaison et le chimiotactisme des β-chimiokines et empêche la pénétration des souches R5 et X4R5 (60). AUTRES CYTOKINES L’IL6 est utilisée dans les cancers et les lymphomes. Plus récemment, l’IL10 a été proposée dans le traitement de maladies inflammatoires. L’IL10 est la principale cytokine de type 2. Elle favorise l’immunité humorale, réduit l’immunité cellulaire, inhibe la synthèse de la majorité des cytokines inflammatoires et des chimiokines (61). C’est donc une cytokine anti-inflammatoire immunomodulatrice ; cela peut être illustré par le fait que des souris déficientes en IL10 sont plus sensibles au choc septique et développent avec l’âge des entéropathies inflammatoires. L’IL10 commence à être utilisée dans les maladies inflammatoires comme la maladie de Crohn (tentative aussi de traitement avec les anti-TNF),ou la polyarthrite rhumatoïde (61). Mais une des conditions initiales à cette immunothérapie est de dépister et de traiter les infections, compte tenu de l’inhibition par l’IL10 de la réponse immune cellulaire. Enfin, de nouvelles cytokines comme l’IL16 semblent prometteuses dans les études in vitro. L’IL16 est une chimiokine produite principalement par les cellules CD8, qui est le ligand naturel de la molécule CD4. Elle présente in vitro une activité La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 9 - novembre 2000 La compréhension du réseau des cytokines et l’interprétation des données restent complexes et le passage des études in vitro ou animales aux essais humains est souvent décevant. Ainsi, pour l’instant, les principales indications dans le domaine de l’infectiologie restent l’IFNα dans les hépatites B et C chroniques, l’IL2 dans les lymphopénies CD4 sévères et le G-CSF ou le GM-CSF dans les neutropénies. L’intérêt des CSF pour améliorer la capacité fonctionnelle des PNN et macrophages dans les infections à germes intracellulaires devrait faire l’objet d’études randomisées. L’IL12 aussi présente des propriétés qui justifient de poursuivre son étude. Le problème principal est notre trop faible connaissance du rôle précis des cytokines et de leur interaction en réseau, et les traitements actuels utilisent des molécules injectées par voie systémique qui bouleversent l’équilibre du réseau des cytokines et induisent des effets secondaires. Aussi, l’utilisation de systèmes de délivrance différents comme les liposomes, la thérapie génique ou l’administration orale pourrait augmenter l’index thérapeu' tique de ces molécules. 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