É D I T O R I A L Place de l’interleukine 2 dans le traitement de l'infection par le VIH ! Y. Levy* L e traitement optimal de l’infection par le VIH repose sur l’association de médicaments antirétroviraux qui permet de réduire de manière significative la virémie chez un grand nombre de patients. Cet effet se traduit par une amélioration importante de la qualité de la vie et de la survie des patients. Sur le plan immunologique, ces traitements sont associés à une restauration de la mémoire des lymphocytes T CD4 vis-à-vis des antigènes des infections opportunistes (1) permettant dans certains cas, sans qu’une corrélation claire soit démontrée avec le bénéfice clinique, d’interrompre les prophylaxies des infections. Cependant, cette restauration immunitaire reste incomplète, notamment vis-à-vis des antigènes du VIH. D’autre part, un certain nombre de limites à ces traitements antiviraux sont apparus, comme l’acquisition de résistance, la tolérance à long terme et l’absence d’espoir réaliste d’éradiquer le réservoir viral (2-4). Dans ce contexte, il devient légitime de réfléchir à l’utilisation de substances capables d’agir en synergie avec les traitements antiviraux, afin d’accélérer la restauration du système immunitaire, de préserver et/ou restaurer les réponses immunitaires spécifiques du virus, afin de prévenir sur le long terme les conséquences de la réplication ou l’échappement de la réplication virale (5). EFFICACITÉ DE L’INTERLEUKINE 2 L’interleukine 2 (IL2) est une cytokine synthétisée par les lymphocytes T CD4+. Il existe au cours de l’infection par le VIH un déficit de production d’IL2. In vitro, l’IL2 est capable de restaurer les propriétés fonctionnelles des lymphocytes T CD4 et CD8 des patients infectés par le VIH. L’expérience acquise ces dernières années grâce à plus d’une dizaine d’essais, randomisés ou non, a permis de définir les règles principales de son utilisation, d’améliorer la tolérance, d’apprécier les premiers résultats sur la restauration immunitaire, et d’évaluer l’effet à long terme (5). Près de 1 000 patients, en général avec un taux de CD4 supérieur à 200/mm3, ont été traités dans différents essais évaluant l’efficacité de l’IL2 administrée soit par * Service d’immunologie clinique. hôpital Henri-Mondor, Créteil. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 9 - novembre 1999 voie intraveineuse, soit par voie sous-cutanée. En général, l’administration d’IL2 a permis d’obtenir une remontée significative (d’au moins 50 %) du nombre de lymphocytes T CD4 chez 60 à 80 % des patients. Depuis l’utilisation de traitements antiviraux efficaces, le risque d’une stimulation transitoire de la réplication virale en raison d’une activation du système immunitaire au décours des cycles d’IL2, observé initialement chez environ 40 % des patients recevant un traitement suboptimal, peut maintenant être raisonnablement écarté. Dans l’essai ANRS 048, moins de 5 % des cures d’IL2 administrées par voie intraveineuse continue ou sous-cutanée, pendant 5 jours, toutes les 8 semaines, ont été associées à une augmentation transitoire de la charge virale plasmatique (< 0,5 log) (6). Ces patients avaient un taux de CD4 initial supérieur à 250/mm3, et étaient traités par une bithérapie d’analogues nucléosidiques. L’efficacité immunologique de l’IL2 chez les patients plus avancés dans le déficit immunitaire semble plus modeste, surtout avec de faibles doses d’IL2 (7). La tolérance et l’efficacité immunologique des doses habituelles d’IL2 (9 millions d’unités/jour, pendant 5 jours) sont en cours d’évaluation dans un essai randomisé chez des patients ayant un taux de CD4 < 200/mm3 (essai ANRS 082 ILSTILM). Les résultats de cet essai ne sont pas encore disponibles, mais ils ont permis, dès à présent, une autorisation temporaire d’utilisation de l’IL2 chez les patients ayant les mêmes critères d’inclusion que dans l’essai. Cela a permis d’élargir les possibilités d’utilisation de l’IL2 au cours de l’infection par le VIH. L’administration de cette cytokine s’accompagne toutefois d’effets indésirables avec une grande fréquence, ce qui justifie une utilisation par des équipes expérimentées. D’autre part, la garantie d’obtenir un effet immunologique chez ces patients est dépendante d’un respect strict du schéma d’utilisation, notamment la durée du cycle (5 jours), la répétition des cures (espacées de 6 ou de 8 semaines) et la garantie d’administrer un nombre suffisant de cycles. L’IL2 RESTAURE OU PRÉSERVE LES FONCTIONS DU SYSTÈME IMMUNITAIRE Sur le plan immunologique, l’augmentation des lymphocytes T CD4 obtenue sous IL2 chez les patients ayant plus de 200 lymphocytes T CD4/mm3 s’associe à une restauration 383 É D I T O R I A L significative des réponses immunitaires vis-à-vis des antigènes de rappel et de la fonction cytotoxique T CD8 (6, 8). Par ailleurs, l’augmentation du nombre de lymphocytes T CD4 porte à la fois sur les cellules mémoires spécifiques d’antigènes et sur les cellules naïves. Cela suggère que l’IL2 permet au minimum de maintenir, de préserver ou d’amplifier le compartiment des lymphocytes T CD4 chez les patients infectés par le VIH. Quel est l’effet de l’IL2 sur la restauration des réponses lymphocytaires spécifiques du VIH et sur la capacité du thymus, ou d’autres compartiments lymphoïdes, à régénérer des lymphocytes T CD4 à partir de précurseurs lymphoïdes ? Ces questions font l’objet de nombreuses études, surtout chez les patients avec le plus long recul de traitement et qui maintiennent un taux élevé de CD4, même deux ou trois ans après l’arrêt de la cytokine (6). thérapeutique) par des peptides du VIH chez des patients ayant reçu un traitement antirétroviral maximal avec une bonne efficacité. Les objectifs théoriques de cette approche sont d’augmenter la restauration immunitaire spécifique du virus associée à une éventuelle mise en cycle des cellules infectées résiduelles, afin d’augmenter leur accessibilité au système immunitaire. Le bénéfice clinique à long terme est, dès à présent, posé dans des essais multicentriques internationaux, évaluant l’efficacité de l’IL2 comparée au traitement antirétroviral seul, dans la prévention des événements de type sida chez des patients ayant moins (essai SILCAAT) ou plus (essai ESPRIT) de " 300/mm3 CD4. Les bénéfices que l’on peut escompter d’une restauration à long terme de réponses spécifiques au virus sont éventuellement le contrôle du réservoir viral ou la diminution du stock des cellules infectées. Une étude récente (9), non randomisée, a montré une diminution significative du pool de cellules infectées chez des patients recevant des cures intermittentes d’IL2 associées à un traitement antirétroviral maximal, comparé aux patients recevant le traitement antiviral seul. L’activation in vitro de 10-360 millions de lymphocytes T CD4 a montré l’induction d’une réplication virale chez tous les patients traités par antiviraux seuls, tandis qu’elle était indétectable chez 3 patients recevant de l’IL2. Dans deux cas, l’étude des cellules lymphoïdes isolées des ganglions n’a pas montré de réplication virale. Malheureusement, comme cela a été rapporté récemment au congrès de l’ICAAC (Davey R. Jr et coll., abstract 689, ICAAC, San Francisco, septembre 1999), l’arrêt du traitement antirétroviral chez ces patients s’est accompagné d’une remontée de la réplication virale démontrant l’absence d’éradication du réservoir. R CONCLUSION Désormais, il est acquis que l’IL2 administrée par voie souscutanée est un mode d’administration plus pratique et mieux toléré par les patients, avec une efficacité comparable à la voie intraveineuse (6). Les doses d’IL2 permettant d’obtenir une restauration quantitative et qualitative des lymphocytes T CD4 sont maintenant bien identifiées. Les questions qui restent en suspens sont un éventuel effet antiviral de l’IL2, en synergie avec les traitements antiviraux, et la démonstration d’un bénéfice clinique à long terme de la restauration immunitaire observée sous traitement. Une tentative de réponse à la première question viendra peut-être des essais associant une immunothérapie non spécifique (cure d’IL2) et spécifique (vaccination 384 É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Gea-Banaclone J.C., Lane H.C. Immune reconstitution in HIV infection. AIDS 1999 ; 13 (suppl. A) : S25-S38. 2. Furtado M.R., Callaway D.S., Phair J.P., Kunstman K.J., Stanton J.L., Macken C.A., Perelson A.S., Wolinsky S.M. Persistence of HIV-1 transcription in peripheral-blood mononuclear cells in patients receiving potent antiretroviral therapy. N Engl J Med 1999 ; 340 : 1614-22. 3. Zhang L., Ramratnam B., Tenner-Racz K., He Y., Vesanen M., Lewin S., Talal A., Racz P., Perelson A.S., Korber B.T., Markowitz M., Ho D.D. Quantifying residual HIV-1 replication in patients receiving combination antiretroviral therapy. N Engl J Med 1999 ; 340 : 1605-13. 4. Finzi D., Blakson J., Siliciano J.D., Margolick J.B., Chadwick K., Pierson T., Smith K., Lisziewicz J., Lori F., Flexner C., Quinn T.C., Chaisson R.E., Rosenberg E., Walker B., Gange S., Gallant J., Siliciano R.F. Latent infection of CD4+ T cells provides a mechanism for lifelong persistence of HIV-1, even in patients on effective combination therapy. Nature Medicine 1999 ; 5 : 512-7. 5. Levy Y. Immunothérapie de l’infection par le VIH. Medecine Therapeutique 1999 ; 5 (hors série 1) : 85-94. 6. Levy Y., Capitant C., Houhou S., Carriere I., Goujard C., Gastaut J.A., Oksenhendler E., Viard J.P., Boumsell L., Gomard E., Rabian C., Weiss L., Guillet J.G., Delfraissy J.F., Aboulker J.P., Seligmann M. and the ANRS 048 study group. Comparison of subcutaneous and intravenous interleukin-2 in asymptomatic HIV-1 infection : a randomised controlled trial. Lancet 1999 ; 353 : 1923-9. 7. Arno A., Ruiz L., Juan M., Jou A., Balague M., Zayat M.K., Marfil S., MartinezPicado J., Martinez M.A., Romeu J., Pujol-Borrell R., Lane C., Clotet B. Efficacy of low-dose subcutaneous interleukin-2 to treat advanced human immunodeficiency virus type 1 in persons with 250/µl CD4 T cells and undetectable plasma virus load. J Infect Dis 1999 ; 180 : 56-60. 8. Zou W., Foussat A., Capitant C., Durand-Gasselin I., Bouchet L., Galanaud P., Levy Y., Emilie D. and the ANRS-048 IL-2 study group. Acute activation of CD8+ T lymphocytes in interleukin-2-treated HIV-infected patients. J AIDS 1999 ; sous presse. 9. 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