Supergélule J Pharm Clin 2012 ; 31 (3) : 131-4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Recherche d’indépendance et nécessité de transparence, de la création de l’ANSM Focus on independence and need for transparency: the “new” French drug agency ANSM Caroline Conti, Sébastien Cros http://www.supergelule.fr <[email protected]> L’ histoire récente regorge d’affaires sanitaires au centre desquelles le produit de santé a défrayé la chronique. Les dix dernières années peutêtre plus encore, par le nombre d’exemples de cas et le niveau de détail de l’information rendue publique. Autant de situations où les agences sanitaires se retrouvent en première ligne d’un débat dont le ressac ramène contre les rochers aiguisés de la polémique médiatique : modes de fonctionnements, transparence, garanties d’indépendance, pertinence et efficience des garde-fous destinés à assurer la sécurité sanitaire dans son ensemble, et celle des produits de santé en particulier. Le statut éthique et scientifique très particulier du produit de santé, au premier rang desquels se place le médicament, de son mode de recherche par l’industrie pharmaceutique à son financement par les autorités publiques, ont poussé le législateur et les gouvernements français à sans cesse revoir leur copie, impliquant des changements notables dans le champ d’action des agences. Une évolution à l’accélération récente, à mettre en perspective avec quelques exemples étrangers. De l’Agence française du médicament à l’ANSM : le champ d’action des agences n’a eu de cesse de s’étendre L’Agence du médicament créée par la loi n◦ 93-5 de janvier 1993 a historiquement été la première structure autonome responsable d’une partie des produits de santé, les médicaments éthiques et les produits de transfusion, conçue en France [1]. Elle émana, notamment, du transfert de la « Direction de la pharmacie et du médicament » Tirés à part : S. Cros et était financée à parts égales par l’état et par les redevances de l’industrie pharmaceutique. La création de la première agence du médicament concourt alors avec la campagne de communication « Un médicament, ça ne se prend pas à la légère » et avec les premiers encadrements de la visite médicale [2]. La création de cette agence incarna la volonté des pouvoirs publics d’accorder un traitement particulier au médicament et à son circuit, mais l’autre objectif majeur de la création de cette entité autonome est alors déjà le souci de garantir l’indépendance de l’agence en la séparant physiquement du ministère de la Santé. Six années plus tard, en mars 1999, l’Agence française du médicament est devenue l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). L’objectif affiché était d’améliorer la cohérence et l’efficacité de l’administration sanitaire, de regrouper une expertise scientifique indépendante et de haut niveau tant interne qu’externe, de mettre en œuvre un dispositif réglementaire permettant de mieux garantir la sécurité et la qualité des produits de santé mis sur le marché et d’engager de nouveaux moyens d’inspection et de contrôle : les missions de l’Afssaps avaient repris celles de l’Agence du médicament, avec plus d’ampleur. De nouvelles catégories de produits s’ajoutèrent également à celles couvertes par l’Agence du médicament : l’Afssaps devint aussi responsable des matières premières, des dispositifs médicaux, des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, des produits biologiques d’origine humaine (produits sanguins labiles, organes, tissus, cellules, produits de thérapie génique et de thérapie cellulaire), des produits cosmétiques et en 2008 des médicaments de prescription médicale facultative. Le budget de l’Afssaps s’élevait en 2011 à 111,61 millions d’euros [3] dont plus de 80 % du financement aurait été assuré par des taxes et redevances prélevées sur Pour citer cet article : Conti C, Cros S. Recherche d’indépendance et nécessité de transparence, de la création de l’ANSM. J Pharm Clin 2012 ; 31(3) : 131-4 doi:10.1684/jpc.2012.0218 131 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. C. Conti, S. Cros l’activité de l’industrie pharmaceutique en France [4] - le développement de l’agence semble donc avoir été rendu possible par un apport financier plus conséquent de la part des industriels de la pharmacie. Cette nature « privée » de son financement, majoritairement assuré par les acteurs qu’elle était supposée contrôler a régulièrement fait l’objet de suspicions et de critiques durant l’affaire dite « du Médiator® ». L’Afssaps avait également été très critiquée pour avoir banalisé les conflits d’intérêts de ses évaluateurs [5], rendant plus floue encore son degré d’indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique : l’agence était financée par l’industrie et les évaluateurs de l’agence recevaient également des honoraires à titre personnel. L’impartialité du jugement de l’agence semblait dès lors difficile à apprécier. Fin 2011, après l’affaire du Médiator® puis celle des prothèses mammaires PIP mettant en exergue les défaillances de l’Afssaps en matière de pharmacovigilance et jetant le doute sur son indépendance et sa liberté de contrôler et de sanctionner les industriels, le rôle et le positionnement de l’Agence du médicament est revu dans le cadre d’une réforme globale relative à la sécurité sanitaire du médicament et des dispositifs médicaux. Ainsi, l’Afssaps devient l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) [6]. La loi prévoit un fonctionnement en transparence de l’ANSM en mettant un accent fort sur la prévention des conflits d’intérêts, en rendant obligatoire la publication des conventions et des avantages accordés par les entreprises aux intervenants du secteur des produits de santé et en prévoyant des sanctions pénales applicables en cas de manquement à ces nouvelles obligations des professionnels et des entreprises et, de manière générale, en renforçant les pouvoirs de sanctions administratives de l’ANSM. Le budget de l’ANSM, qui s’élève en 2012 à 157 millions d’euros [7], est cette fois-ci majoritairement financé par l’état [8]. C’est le décret du 27 avril 2012, publié au Journal officiel de la République française deux jours plus tard, qui créé définitivement l’ANSM. L’indépendance des agences du médicament La problématique de l’indépendance de l’Agence du médicament est le fil conducteur de l’évolution des statuts de cette dernière. Dans un premier temps, il s’agissait de la rendre indépendante de l’état en la séparant physiquement du ministère de la Santé, puis il a fallu la rendre financièrement indépendante de l’industrie pharmaceutique et rendre la responsabilité de son financement 132 à l’état. . . Ce revirement s’agissant du financement de l’Agence du médicament laisse perplexe et amène à s’interroger : – sur la pertinence de séparer la Haute autorité de santé (HAS) de l’Agence du médicament ; – sur le mode de fonctionnement des agences à l’étranger. Le rationnel pour séparer la HAS et l’Agence du médicament est de séparer le conseil de la « police » du médicament. À la HAS de produire des recommandations de bon usage, d’évaluer le service médical rendu d’un produit de santé pour que la caisse nationale d’assurancemaladie décide de son degré de remboursement par l’assurance médicale obligatoire, d’évaluer l’amélioration du service médical rendu pour aider le Comité économique des produits de santé (CEPS) à fixer le prix du produit de santé. À l’Afssaps d’être le garant du système de sécurité vis-à-vis du médicament, tant au niveau de l’autorisation de mise sur le marché qu’après la mise sur le marché en réévaluant régulièrement le rapport bénéfice/risque des produits de santé déjà commercialisés. Pour autant ces activités, certes différentes, ne semblent pas s’opposer et l’on peut s’interroger sur la pertinence de les séparer. L’indépendance de la HAS n’ayant pas été remise en cause, pourquoi ne pas intégrer la « police du médicament » dans ces activités ? La création d’une grande agence ne semble cependant pas à l’ordre du jour ; Philippe Even, coauteur du Rapport de la mission sur la refonte du système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments [9] à l’attention du Président de la République et du Ministre de la Santé, a récemment déclaré « Il faut séparer clairement les responsabilités de l’Afssaps et de HAS, qui se détestent. Pour ce faire, il faut scinder l’Afssaps en deux agences autonomes, l’une s’occupant de la pharmacovigilance, l’autre de l’évaluation des médicaments. » [10] (Quid de l’institut national de veille sanitaire ?). L’indépendance en France ne semble imaginable qu’en séparant des entités vouées au quotidien à travailler ensemble. La pharmacovigilance ne semble pas être une activité distincte de l’évaluation des médicaments et inversement : la pharmacovigilance doit aider à l’évaluation d’un médicament en attirant l’attention de l’évaluateur sur des effets de classes suspects par exemple, et à l’inverse l’évaluateur doit informer la pharmacovigilance des nouvelles données cliniques d’une classe thérapeutique existant sur le marché. L’aveu de Philippe Even s’agissant des « sentiments » du couple HAS/Agence du médicament, achève de légitimer un sentiment diffus : le bon ou le mauvais fonctionnement de nos agences de santé est aussi et peutêtre surtout une histoire de management, de définition des responsabilités, de la nature des interactions souhaitables, etc. Il n’y a pas médicalement de rationnel à séparer la HAS de l’Agence du médicament et de séparer l’Agence du médicament en deux agences. La seule entité J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012 De l’Agence française du médicament à l’ANSM Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. décisionnaire qui doit rester séparée des agences de santé et dépendre du gouvernement est le CEPS, le prix des soins de santé pris en charge par l’assurance médicale obligatoire étant le reflet d’une politique gouvernementale et non un dû associé à la mise sur le marché d’un produit de santé. Cependant Gilles Johanet, président du CEPS se faisait récemment l’écho d’une volonté au sein même du CEPS de communiquer avec la HAS « en toute transparence avec le public » [11]. À l’étranger, des structures et modes de fonctionnement différents Au vu des réformes conduites en France, il est pertinent de considérer la manière dont les problématiques liées au financement et la garantie d’indépendance sont gérées audelà de nos frontières. Or s’il est un bon exemple de pays où l’action publique ne manque pas d’être scrutée par les citoyens – les possibilités d’actions collectives n’étant certainement pas étrangères à cette pression constante –, c’est sans doute les États-Unis. Si cet équilibre des pouvoirs est sujet à controverse, il n’en demeure pas moins que les questions de transparence dans le financement et les prises de décision de la Food and drug administration (FDA) y sont abordées de manière sensiblement différente. Depuis 1938, chaque nouveau médicament doit recevoir l’approbation de l’agence américaine avant sa mise sur le marché sur le territoire américain. Bien entendu, nombre de réformes de cette administration se sont depuis succédées, avec comme fil conducteur l’évaluation de la balance bénéfices/risques du médicament, des précautions d’emploi et de la notice associée à chacun d’entre eux, ainsi que l’inspection des établissements de fabrication et l’évaluation des méthodes de contrôle [12]. En 1992, le Prescription drug user fee act (PDFUA) autorisa, et par la même occasion encadra de manière très précise, la collecte de taxes et redevances auprès des entreprises pharmaceutiques dès lors que celles-ci soumirent un dossier d’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau médicament. En contrepartie de cette nouvelle méthode de financement, l’agence mit en place une nouvelle procédure de soumission et d’évaluation des dossiers, tout en s’engageant sur des objectifs d’efficacité dans la revue des dossiers et la conduite du processus aboutissant à la mise sur le marché de nouvelles spécialités. Tous les cinq ans, le Congrès américain doit se prononcer sur la reconduction ou non de cette disposition. En 2012 devrait donc être prolongé un mécanisme permettant à la FDA de prévoir une part non négligeable de son budget directement issu de l’industrie pharmaceutique. Ainsi pour l’année 2011, le montant total des J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012 sommes prélevées via le PDFUA devait approcher les 700 millions de dollars, soit approximativement un quart du budget de la FDA – la majeure partie de ce dernier consistant en un budget fédéral [13]. Les décisions prises par la FDA suivent dans la grande majorité des cas celles des comités d’experts, chargés d’évaluer le rapport bénéfices/risques de chaque nouvelle spécialité soumise, et de délivrer opinions et recommandations. Ces experts scientifiques et médicaux étant extérieurs à l’agence, leur indépendance scientifique est assurée par la structure fédérale qui depuis longtemps déjà a mis la prévention de conflits d’intérêts au cœur de ses exigences, ces dernières ayant été encore renforcées par une loi datant de juillet 2006. Ainsi chaque candidat postulant à siéger dans l’un des comités se voit demander de déclarer de manière publique ses propres liens d’intérêts, et ceux de ses proches, avec l’industrie pharmaceutique. Une démarche que les États-Unis s’apprêtent à généraliser avec l’adoption des dispositions du Sunshine act, qui viennent à obliger l’ensemble des entreprises pharmaceutiques travaillant avec des experts américains à déclarer sur internet, et de manière publique, tous les paiements et avantages sous toutes formes concédés à ces mêmes experts. Les premières déclarations sont attendues pour le début de l’année 2013, relatives à l’exercice 2012. En Angleterre, l’approche est encore différente. Si le Department of health chapeaute l’ensemble, l’agence nationale en charge de la régulation des médicaments et des dispositifs médicaux mis sur le marché anglais – Medicine and healthcare products regulatory agency (MHRA) – demeure cependant indépendant du célèbre NHS – National health service – qui a elle la mission d’organiser la prise en charge des patients. Le mode de financement de la MHRA reste basé sur un système de taxes payées par l’industrie pharmaceutique. Une proximité nécessitant un haut niveau d’exigence en termes de transparence, souligné par exemple dans un rapport du Comité santé de la Chambre des communes [14]. La nature et le montant de ces taxes sont clairement indiqués sur le site du MHRA [15], et il est affiché une attention toute particulière en matière de déclaration publique des conflits d’intérêts, et la capacité ou non que ceci confère à un expert indépendant de siéger dans l’une des commissions. En parallèle à ce processus, le National institute for health and clinical excellence (NICE), rattaché au NHS, se charge d’éditer des recommandations à destination des professionnels de santé principalement – notons toutefois que bon nombre de ces recommandations sont aussi déclinées dans une version « patients », démarche en cohérence avec la volonté d’impliquer et de responsabiliser ce dernier (Enpower the patient) –, ainsi que de définir des standards de qualité destinés à poser les bases de la prise en charge du patient sur des critères d’efficacité, de sécurité, mais aussi de coût. Ces dispositions ont un 133 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. C. Conti, S. Cros impact fort et direct sur les prescriptions et les actes médicaux prescrits tout au long du parcours de soin des patients anglais. En France, la réforme de l’ANSM coïncide avec une alternance politique qui, lors de la campagne électorale, a esquissé les contours de changements plus larges quant à la politique de santé publique. Toutefois, en dépit de son changement de nom et d’organigramme, la réussite spécifique de la réforme de l’agence en charge de l’évaluation des produits de santé passera sans doute, par-delà les postures politiques, par un changement significatif de son mode de management, de communication, et de collaboration avec les autres entités nationales que sont entre autres le CEPS et la HAS. Cette nouvelle structure devra donner des gages convaincants de réactivité, d’indépendance et de transparence, afin d’en clarifier le positionnement vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes et de proposer une vision partagée par les professionnels de santé. Il en va aussi de la crédibilité du système français dans un contexte européen, voire plus large encore. Conflits d’intérêts : C. Conti est consultant chez GfK Bridgehegad ; S. Cros est responsable de communication chez Galderma international. Références 1. Loi n◦ 93-5 du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament. 134 2. http://www.bdmedicales.com/descriptif/unmedicamentcaneseprendpaslegere.htm, accès le 11 janvier 2012. 3. http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2012/b3805tiii-a39.asp, accès le 11 janvier 2012. 4. http://www.senat.fr/leg/ppr04-150.html, accès le 11 janvier 2012. 5. Souccar T, Robard I. Santé, mensonges et propagande – arrêtons d’avaler n’importe quoi. Paris : Seuil, 2004. 6. Loi no 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. 7. http://www.afssaps.fr/L-Afssaps/Qui-sommes-nous, accès le 11 janvier 2012. 8. http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2012/b3805tiii-a39.asp, accès le 11 janvier 2012. 9. http://www.decisionsante.com/fileadmin/uploads/MediatorEven-Debre.pdf, accès le 12 janvier 2012. 10. http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/03/16/il-faut-revenira-une-medecine-humaine-personnalisee-sobre-et-la-moins-cherepossible_1493804_3224.html, accès le 12 janvier 2012. 11. Johanet G. Amphi de la santé « Prix des produits de santé en France : une nouvelle donne ? », 10 janvier 2012. 12. http://www.fda.gov/Drugs/DevelopmentApprovalProcess/How DrugsareDevelopedandApproved/ApprovalApplications/NewDrug ApplicationNDA/default.htm, accès le 14 avril 2012. 13. http://www.fda.gov/downloads/AboutFDA/ReportsManuals Forms/Reports/BudgetReports/UCM207413.pdf, accès le 14 avril 2012. 14. 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