Recherche d`indépendance et nécessité de transparence, de la

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Supergélule
J Pharm Clin 2012 ; 31 (3) : 131-4
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Recherche d’indépendance et nécessité
de transparence, de la création de l’ANSM
Focus on independence and need for transparency:
the “new” French drug agency ANSM
Caroline Conti, Sébastien Cros
http://www.supergelule.fr
<[email protected]>
L’
histoire récente regorge d’affaires sanitaires au
centre desquelles le produit de santé a défrayé
la chronique. Les dix dernières années peutêtre plus encore, par le nombre d’exemples de cas et
le niveau de détail de l’information rendue publique.
Autant de situations où les agences sanitaires se
retrouvent en première ligne d’un débat dont le ressac ramène contre les rochers aiguisés de la polémique
médiatique : modes de fonctionnements, transparence,
garanties d’indépendance, pertinence et efficience des
garde-fous destinés à assurer la sécurité sanitaire dans son
ensemble, et celle des produits de santé en particulier. Le
statut éthique et scientifique très particulier du produit de
santé, au premier rang desquels se place le médicament,
de son mode de recherche par l’industrie pharmaceutique à son financement par les autorités publiques, ont
poussé le législateur et les gouvernements français à
sans cesse revoir leur copie, impliquant des changements
notables dans le champ d’action des agences. Une évolution à l’accélération récente, à mettre en perspective avec
quelques exemples étrangers.
De l’Agence française du
médicament à l’ANSM :
le champ d’action des agences
n’a eu de cesse de s’étendre
L’Agence du médicament créée par la loi n◦ 93-5 de
janvier 1993 a historiquement été la première structure
autonome responsable d’une partie des produits de santé,
les médicaments éthiques et les produits de transfusion,
conçue en France [1]. Elle émana, notamment, du transfert de la « Direction de la pharmacie et du médicament »
Tirés à part : S. Cros
et était financée à parts égales par l’état et par les redevances de l’industrie pharmaceutique. La création de la
première agence du médicament concourt alors avec la
campagne de communication « Un médicament, ça ne
se prend pas à la légère » et avec les premiers encadrements de la visite médicale [2]. La création de cette agence
incarna la volonté des pouvoirs publics d’accorder un traitement particulier au médicament et à son circuit, mais
l’autre objectif majeur de la création de cette entité autonome est alors déjà le souci de garantir l’indépendance
de l’agence en la séparant physiquement du ministère de
la Santé.
Six années plus tard, en mars 1999, l’Agence française
du médicament est devenue l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). L’objectif
affiché était d’améliorer la cohérence et l’efficacité de
l’administration sanitaire, de regrouper une expertise
scientifique indépendante et de haut niveau tant interne
qu’externe, de mettre en œuvre un dispositif réglementaire permettant de mieux garantir la sécurité et la qualité
des produits de santé mis sur le marché et d’engager de
nouveaux moyens d’inspection et de contrôle : les missions de l’Afssaps avaient repris celles de l’Agence du
médicament, avec plus d’ampleur. De nouvelles catégories de produits s’ajoutèrent également à celles couvertes
par l’Agence du médicament : l’Afssaps devint aussi
responsable des matières premières, des dispositifs médicaux, des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro,
des produits biologiques d’origine humaine (produits
sanguins labiles, organes, tissus, cellules, produits de thérapie génique et de thérapie cellulaire), des produits
cosmétiques et en 2008 des médicaments de prescription
médicale facultative.
Le budget de l’Afssaps s’élevait en 2011 à 111,61 millions d’euros [3] dont plus de 80 % du financement aurait
été assuré par des taxes et redevances prélevées sur
Pour citer cet article : Conti C, Cros S. Recherche d’indépendance et nécessité de transparence, de la création de l’ANSM. J Pharm Clin 2012 ; 31(3) :
131-4 doi:10.1684/jpc.2012.0218
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C. Conti, S. Cros
l’activité de l’industrie pharmaceutique en France [4] - le
développement de l’agence semble donc avoir été rendu
possible par un apport financier plus conséquent de la
part des industriels de la pharmacie. Cette nature « privée » de son financement, majoritairement assuré par les
acteurs qu’elle était supposée contrôler a régulièrement
fait l’objet de suspicions et de critiques durant l’affaire
dite « du Médiator® ».
L’Afssaps avait également été très critiquée pour avoir
banalisé les conflits d’intérêts de ses évaluateurs [5], rendant plus floue encore son degré d’indépendance vis-à-vis
de l’industrie pharmaceutique : l’agence était financée
par l’industrie et les évaluateurs de l’agence recevaient
également des honoraires à titre personnel. L’impartialité
du jugement de l’agence semblait dès lors difficile à
apprécier.
Fin 2011, après l’affaire du Médiator® puis celle
des prothèses mammaires PIP mettant en exergue les
défaillances de l’Afssaps en matière de pharmacovigilance et jetant le doute sur son indépendance et sa
liberté de contrôler et de sanctionner les industriels, le
rôle et le positionnement de l’Agence du médicament
est revu dans le cadre d’une réforme globale relative
à la sécurité sanitaire du médicament et des dispositifs médicaux. Ainsi, l’Afssaps devient l’Agence nationale
de sécurité du médicament et des produits de santé
(ANSM) [6].
La loi prévoit un fonctionnement en transparence
de l’ANSM en mettant un accent fort sur la prévention
des conflits d’intérêts, en rendant obligatoire la publication des conventions et des avantages accordés par
les entreprises aux intervenants du secteur des produits
de santé et en prévoyant des sanctions pénales applicables en cas de manquement à ces nouvelles obligations
des professionnels et des entreprises et, de manière
générale, en renforçant les pouvoirs de sanctions administratives de l’ANSM. Le budget de l’ANSM, qui s’élève
en 2012 à 157 millions d’euros [7], est cette fois-ci
majoritairement financé par l’état [8]. C’est le décret du
27 avril 2012, publié au Journal officiel de la République
française deux jours plus tard, qui créé définitivement
l’ANSM.
L’indépendance des agences
du médicament
La problématique de l’indépendance de l’Agence du
médicament est le fil conducteur de l’évolution des statuts de cette dernière. Dans un premier temps, il s’agissait
de la rendre indépendante de l’état en la séparant physiquement du ministère de la Santé, puis il a fallu la rendre
financièrement indépendante de l’industrie pharmaceutique et rendre la responsabilité de son financement
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à l’état. . . Ce revirement s’agissant du financement de
l’Agence du médicament laisse perplexe et amène à
s’interroger :
– sur la pertinence de séparer la Haute autorité de santé
(HAS) de l’Agence du médicament ;
– sur le mode de fonctionnement des agences à l’étranger.
Le rationnel pour séparer la HAS et l’Agence du médicament est de séparer le conseil de la « police » du
médicament. À la HAS de produire des recommandations
de bon usage, d’évaluer le service médical rendu d’un
produit de santé pour que la caisse nationale d’assurancemaladie décide de son degré de remboursement par
l’assurance médicale obligatoire, d’évaluer l’amélioration
du service médical rendu pour aider le Comité économique des produits de santé (CEPS) à fixer le prix du
produit de santé. À l’Afssaps d’être le garant du système
de sécurité vis-à-vis du médicament, tant au niveau de
l’autorisation de mise sur le marché qu’après la mise sur
le marché en réévaluant régulièrement le rapport bénéfice/risque des produits de santé déjà commercialisés.
Pour autant ces activités, certes différentes, ne semblent
pas s’opposer et l’on peut s’interroger sur la pertinence
de les séparer. L’indépendance de la HAS n’ayant pas été
remise en cause, pourquoi ne pas intégrer la « police du
médicament » dans ces activités ?
La création d’une grande agence ne semble cependant
pas à l’ordre du jour ; Philippe Even, coauteur du Rapport
de la mission sur la refonte du système français de contrôle
de l’efficacité et de la sécurité des médicaments [9] à
l’attention du Président de la République et du Ministre de
la Santé, a récemment déclaré « Il faut séparer clairement
les responsabilités de l’Afssaps et de HAS, qui se détestent.
Pour ce faire, il faut scinder l’Afssaps en deux agences
autonomes, l’une s’occupant de la pharmacovigilance,
l’autre de l’évaluation des médicaments. » [10] (Quid de
l’institut national de veille sanitaire ?). L’indépendance en
France ne semble imaginable qu’en séparant des entités
vouées au quotidien à travailler ensemble. La pharmacovigilance ne semble pas être une activité distincte de
l’évaluation des médicaments et inversement : la pharmacovigilance doit aider à l’évaluation d’un médicament en
attirant l’attention de l’évaluateur sur des effets de classes
suspects par exemple, et à l’inverse l’évaluateur doit
informer la pharmacovigilance des nouvelles données cliniques d’une classe thérapeutique existant sur le marché.
L’aveu de Philippe Even s’agissant des « sentiments »
du couple HAS/Agence du médicament, achève de légitimer un sentiment diffus : le bon ou le mauvais
fonctionnement de nos agences de santé est aussi et peutêtre surtout une histoire de management, de définition
des responsabilités, de la nature des interactions souhaitables, etc. Il n’y a pas médicalement de rationnel à
séparer la HAS de l’Agence du médicament et de séparer
l’Agence du médicament en deux agences. La seule entité
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012
De l’Agence française du médicament à l’ANSM
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décisionnaire qui doit rester séparée des agences de santé
et dépendre du gouvernement est le CEPS, le prix des
soins de santé pris en charge par l’assurance médicale
obligatoire étant le reflet d’une politique gouvernementale et non un dû associé à la mise sur le marché d’un
produit de santé. Cependant Gilles Johanet, président du
CEPS se faisait récemment l’écho d’une volonté au sein
même du CEPS de communiquer avec la HAS « en toute
transparence avec le public » [11].
À l’étranger, des structures
et modes de fonctionnement
différents
Au vu des réformes conduites en France, il est pertinent
de considérer la manière dont les problématiques liées au
financement et la garantie d’indépendance sont gérées audelà de nos frontières. Or s’il est un bon exemple de pays
où l’action publique ne manque pas d’être scrutée par
les citoyens – les possibilités d’actions collectives n’étant
certainement pas étrangères à cette pression constante –,
c’est sans doute les États-Unis. Si cet équilibre des pouvoirs est sujet à controverse, il n’en demeure pas moins
que les questions de transparence dans le financement
et les prises de décision de la Food and drug administration (FDA) y sont abordées de manière sensiblement
différente.
Depuis 1938, chaque nouveau médicament doit recevoir l’approbation de l’agence américaine avant sa mise
sur le marché sur le territoire américain. Bien entendu,
nombre de réformes de cette administration se sont
depuis succédées, avec comme fil conducteur l’évaluation
de la balance bénéfices/risques du médicament, des précautions d’emploi et de la notice associée à chacun d’entre
eux, ainsi que l’inspection des établissements de fabrication et l’évaluation des méthodes de contrôle [12].
En 1992, le Prescription drug user fee act (PDFUA)
autorisa, et par la même occasion encadra de manière
très précise, la collecte de taxes et redevances auprès
des entreprises pharmaceutiques dès lors que celles-ci
soumirent un dossier d’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau médicament. En contrepartie de cette
nouvelle méthode de financement, l’agence mit en place
une nouvelle procédure de soumission et d’évaluation des
dossiers, tout en s’engageant sur des objectifs d’efficacité
dans la revue des dossiers et la conduite du processus
aboutissant à la mise sur le marché de nouvelles spécialités. Tous les cinq ans, le Congrès américain doit se
prononcer sur la reconduction ou non de cette disposition. En 2012 devrait donc être prolongé un mécanisme
permettant à la FDA de prévoir une part non négligeable
de son budget directement issu de l’industrie pharmaceutique. Ainsi pour l’année 2011, le montant total des
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012
sommes prélevées via le PDFUA devait approcher les
700 millions de dollars, soit approximativement un quart
du budget de la FDA – la majeure partie de ce dernier
consistant en un budget fédéral [13].
Les décisions prises par la FDA suivent dans la
grande majorité des cas celles des comités d’experts,
chargés d’évaluer le rapport bénéfices/risques de chaque
nouvelle spécialité soumise, et de délivrer opinions et
recommandations. Ces experts scientifiques et médicaux
étant extérieurs à l’agence, leur indépendance scientifique
est assurée par la structure fédérale qui depuis longtemps
déjà a mis la prévention de conflits d’intérêts au cœur de
ses exigences, ces dernières ayant été encore renforcées
par une loi datant de juillet 2006. Ainsi chaque candidat
postulant à siéger dans l’un des comités se voit demander de déclarer de manière publique ses propres liens
d’intérêts, et ceux de ses proches, avec l’industrie pharmaceutique. Une démarche que les États-Unis s’apprêtent à
généraliser avec l’adoption des dispositions du Sunshine
act, qui viennent à obliger l’ensemble des entreprises
pharmaceutiques travaillant avec des experts américains
à déclarer sur internet, et de manière publique, tous les
paiements et avantages sous toutes formes concédés à ces
mêmes experts. Les premières déclarations sont attendues
pour le début de l’année 2013, relatives à l’exercice 2012.
En Angleterre, l’approche est encore différente. Si
le Department of health chapeaute l’ensemble, l’agence
nationale en charge de la régulation des médicaments et
des dispositifs médicaux mis sur le marché anglais – Medicine and healthcare products regulatory agency (MHRA) –
demeure cependant indépendant du célèbre NHS – National health service – qui a elle la mission d’organiser la
prise en charge des patients. Le mode de financement de
la MHRA reste basé sur un système de taxes payées par
l’industrie pharmaceutique. Une proximité nécessitant un
haut niveau d’exigence en termes de transparence, souligné par exemple dans un rapport du Comité santé de la
Chambre des communes [14]. La nature et le montant de
ces taxes sont clairement indiqués sur le site du MHRA
[15], et il est affiché une attention toute particulière en
matière de déclaration publique des conflits d’intérêts, et
la capacité ou non que ceci confère à un expert indépendant de siéger dans l’une des commissions.
En parallèle à ce processus, le National institute for
health and clinical excellence (NICE), rattaché au NHS,
se charge d’éditer des recommandations à destination des
professionnels de santé principalement – notons toutefois que bon nombre de ces recommandations sont aussi
déclinées dans une version « patients », démarche en
cohérence avec la volonté d’impliquer et de responsabiliser ce dernier (Enpower the patient) –, ainsi que de définir
des standards de qualité destinés à poser les bases de la
prise en charge du patient sur des critères d’efficacité,
de sécurité, mais aussi de coût. Ces dispositions ont un
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C. Conti, S. Cros
impact fort et direct sur les prescriptions et les actes
médicaux prescrits tout au long du parcours de soin des
patients anglais.
En France, la réforme de l’ANSM coïncide avec une
alternance politique qui, lors de la campagne électorale,
a esquissé les contours de changements plus larges quant
à la politique de santé publique. Toutefois, en dépit de
son changement de nom et d’organigramme, la réussite spécifique de la réforme de l’agence en charge de
l’évaluation des produits de santé passera sans doute,
par-delà les postures politiques, par un changement significatif de son mode de management, de communication,
et de collaboration avec les autres entités nationales
que sont entre autres le CEPS et la HAS. Cette nouvelle structure devra donner des gages convaincants de
réactivité, d’indépendance et de transparence, afin d’en
clarifier le positionnement vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes et de proposer une vision partagée par les
professionnels de santé. Il en va aussi de la crédibilité du
système français dans un contexte européen, voire plus
large encore.
Conflits d’intérêts : C. Conti est consultant chez GfK
Bridgehegad ; S. Cros est responsable de communication
chez Galderma international.
Références
1. Loi n◦ 93-5 du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de
transfusion sanguine et de médicament.
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2. http://www.bdmedicales.com/descriptif/unmedicamentcaneseprendpaslegere.htm, accès le 11 janvier 2012.
3. http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2012/b3805tiii-a39.asp, accès le 11 janvier 2012.
4. http://www.senat.fr/leg/ppr04-150.html, accès le 11 janvier 2012.
5. Souccar T, Robard I. Santé, mensonges et propagande – arrêtons
d’avaler n’importe quoi. Paris : Seuil, 2004.
6. Loi no 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement
de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
7. http://www.afssaps.fr/L-Afssaps/Qui-sommes-nous, accès le 11
janvier 2012.
8. http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2012/b3805tiii-a39.asp, accès le 11 janvier 2012.
9. http://www.decisionsante.com/fileadmin/uploads/MediatorEven-Debre.pdf, accès le 12 janvier 2012.
10. http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/03/16/il-faut-revenira-une-medecine-humaine-personnalisee-sobre-et-la-moins-cherepossible_1493804_3224.html, accès le 12 janvier 2012.
11. Johanet G. Amphi de la santé « Prix des produits de santé en
France : une nouvelle donne ? », 10 janvier 2012.
12. http://www.fda.gov/Drugs/DevelopmentApprovalProcess/How
DrugsareDevelopedandApproved/ApprovalApplications/NewDrug
ApplicationNDA/default.htm, accès le 14 avril 2012.
13. http://www.fda.gov/downloads/AboutFDA/ReportsManuals
Forms/Reports/BudgetReports/UCM207413.pdf, accès le 14 avril
2012.
14. The Influence of the Pharmaceutical Industry, House of Commons, Health Committee, March 2005.
15. http://www.mhra.gov.uk/Howweregulate/Medicines/Licensingofmedicines/Feesformedicinesbloodestablishmentsandbloodbanks/
index.htm, accès le 14 avril 2012.
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012
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