UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) DROIT-ECONOMIE-SCIENCES SOCIALES THESE Pour obtenir le grade de DOCTEUR EN DROIT DE L’UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) DROIT-ECONOMIE-SCIENCES SOCIALES Discipline : Droit privé Présentée et soutenue publiquement par François SEBE le mardi 10 décembre 2013 Essai sur l’effectivité du droit de la représentation collective dans l’entreprise Directeur de thèse Monsieur Bernard Teyssié Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Président honoraire de l’Université Membres du jury Monsieur Bernard Bossu Professeur à l’Université de Lille II, Doyen de la faculté de Droit Monsieur Jean-François Cesaro Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) Madame Christine Neau-Leduc Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) Monsieur Bernard Teyssié Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Président honoraire de l’Université François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 L’Université Panthéon-Assas (Paris II) Droit – économie – Sciences sociales n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans la présente thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à son auteur. François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 A Priscille, A ma famille, Mes parents, et grands-parents, A Bernard Teyssié, François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Remerciements Que soient ici remerciés Monsieur le professeur Bernard Teyssié, son aide précieuse et ses conseils avisés, son écoute et sa disponibilité ont grandement contribué à la réalisation de ce travail. Le Cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre qui m’a accueilli dans le cadre de ma convention CIFRE et tout particulièrement Maîtres Laurent Marquet de Vasselot, Vincent Duval et Natacha Menotti. Mes parents. Leur soutien et leurs conseils ont guidés mes choix depuis longtemps. Mes frères et sœurs, mes beaux-parents, beaux-frères et belles-sœurs ne sauraient être oubliés. Lydie. Son soutien, ses conseils et ses relectures ont permis l’achèvement de ce travail. Catherine Lebret pour sa disponibilité et son appui. Ceux qui m’ont précédé : Vincent, Laura, Benjamin, Anne-Lyse, Morgane, Coralie, Cécile. Ceux qui me succèdent : Emeline, Anne-Victoria, André-Franck, Florian, Etienne, Geoffrey, Clément, Pierre, Luc, Philippe, Victoria, Amélie, Samuel, Sophie, Emilie, Astrid, Alexandre, Maurice. Ceux qui m’ont accompagné et tout particulièrement Charles, Grégoire, Damien, Matthieu, Aurélie et Edouard. Leur convivialité, leur sympathie et leur soutien furent précieux. Mes amis, Coraline, Timothée, Claire-Marie, Pierre, Pauline, Charles, Thibault, Pauline, et tous nos amis. Leur présence fût essentielle. Priscille. Sans sa présence, son soutien, et sa compréhension, rien n’aurait été possible. A chacun de vous, merci. François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Principales abréviations aff. Affaire AJ Pén. Actualité juridique Pénal AJDA Actualité juridique droit administratif al. alinéa AN Assemblée nationale art. article Arch. Pol. Crim. Archives de politique criminelle Ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation CA Cour d’appel Cass. Cour de cassation CDRH Les cahiers du DRH CE Conseil d’Etat CEDH Cour européene des droits de l’homme Chron. Chronique Circ. Circulaire Civ. 1re Première chambre civile de la Cour de cassation Civ. 2e Deuxième chambre civile de la Cour de cassation CJCE Cour de justice des Communautés européennes CJUE Cour de justice de l’Union européenne CLCE Cahiers Lamy du CE comm. commentaire François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Concl. Conclusion Cons. constit. Conseil constitutionnel Conv. EDH Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation C. civ. Code civil C. com. Code de commerce C. org. jud. Code de l’organisation judiciaire C. pén. Code pénal C. proc. pén. Code de procédure pénale C. trav. Code du travail D. Décret D., Recueil Dalloz DGT Direction générale du travail Dir. Directive sous dir. sous la direction de Doc. fr. Documentation française Dr. ouvrier Droit ouvrier Dr. pén. Droit pénal Dr. social Droit social éd. édition fasc. fascicule Gaz. Pal. Gazette du Palais infra. Voir plus bas IR Informations rapides JCl. JurisClasseur JCP JurisClasseur Périodique (semaine juridique) JCP E JurisClasseur Périodique (semaine juridique) François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 édition entreprises et affaires JCP G JurisClasseur Périodique (semaine juridique) édition générale JCP S JurisClasseur Périodique (semaine juridique) édition sociale JO Journal officiel JOCE Journal officiel des Communautés européennes JOUE Journal officiel de l’Union européenne JSL Jurisprudence sociale Lamy L. Loi L.G.D.J. Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence Liais. Sociales Liaisons sociales LPA Les Petites Affiches n° numéro Obs. Observation Ord. Ordonnance Op. cit. précité p. page PUF Presses universitaires de France PUR Presses universitaires de Rennes QPC Question prioritaire de constitutionnalité RDT Revue de droit du travail Rec. Lebon Recueil des arrêts du Conseil d’Etat Réd. Rédaction Règl. Règlement Rev. Soc. Revue des sociétés Rev. sc. crim. Revue de science criminelle RFAS Revue française des affaire sociales RJS Revue de jurisprudence sociale François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 RPDS Revue pratique de droit social RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil s. suivants S. Sirey Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation spéc. spécialement SSL Semaine sociale Lamy supra. Voir plus haut t. Tome vol. volume François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Sommaire INTRODUCTION ............................................................................................................. 1 PARTIE I - L’EFFECTIVITE DU DROIT DE LA REPRESENTATION COLLECTIVE ASSUREE PAR LA VOIE PENALE : LA TRADITION ........................................................ 28 Titre I Une identification effective des responsables .............................................. 29 Chapitre I L’appréhension de l’intention ............................................................ 30 Chapitre II L’imputation de la responsabilité ..................................................... 68 Titre II Un traitement effectif des responsabilités ................................................ 185 Chapitre I L’exercice des poursuites ................................................................ 186 Chapitre II Le prononcé des sanctions .............................................................. 264 PARTIE II - L’EFFECTIVITE DU DROIT DE LA REPRESENTATION COLLECTIVE ASSUREE PAR LA VOIE EXTRA-PENALE : L’INNOVATION ......................................... 298 Titre I L’effectivité assurée sans recours au juge ................................................. 299 Chapitre I Une effectivité assurée par le jeu de la négociation ........................ 300 Chapitre II Une effectivité assurée hors le jeu de la négociation ..................... 345 Titre II L’effectivité assurée par recours au juge .................................................. 388 Chapitre I L’effectivité assurée par le juge de l’urgence .................................. 389 Chapitre II L’effectivité assurée par le juge du fond ........................................ 398 CONCLUSION GENERALE .......................................................................................... 403 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 406 INDEX ........................................................................................................................ 443 TABLE DES MATIERES............................................................................................... 452 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Introduction « C’est une belle harmonie quand le faire et le dire vont ensemble1 » 1. Une quête. « Une norme juridique, (…), est efficace2 si elle est suivie, c’est-à- dire si les sujets de l’ordre juridique manifestent un comportement qui évite la sanction ; ou si, dans le cas d’un comportement conditionnant la sanction, la norme juridique est appliquée c’est-à-dire si la sanction prescrite par la norme juridique est effectivement ordonnée et exécutée par les organes compétents3 ». La quête de l’effectivité du droit de la représentation collective commande l’appréhension des responsables de son application, des organes de contrôle, des modes de prévention et de la palette des sanctions. 2. L’effectivité. Saisir le phénomène d’effectivité induit d’identifier au préalable ce qu’il recouvre. Parce qu’ « en droit la précision des concepts est un facteur premier d’effectivité4 », ce terme doit être défini avec précision. Le terme effectivité n’est guère défini par les dictionnaires de la langue française5. Toutefois, il peut être appréhendé à 1 Michel de Montaigne, Essais, Livre II, Chapitre XXXI, De la cholere, Paris, Hector Bossange, 1828, p. 141. 2 Ces termes sont souvent employés l’un pour l’autre (H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. par Ch. EISENMANN, LGDJ, 1999). 3 H. KELSEN, « Une théorie réaliste et la théorie pure du droit », Remarques sur « On law and justice d’Alf Ross », trad. SOMMEREGGER, G. et E. MILLARD, Annales de la faculté de droit de Strasbourg, cité in E. SERVERIN, « Des fonctions économiques des tribunaux », Economie et Institutions, 2004, n°4, p. 99. 4 J.-C. JAVILLIER, « Une nouvelle illustration du conflit des logiques (droit à l’emploi et droit des obligations) : « normalisation » du licenciement et sauvegarde des pouvoirs du chef d’entreprise », in Tendances du droit du travail français contemporain : études offertes à G.-H. CAMERLYNCK, Dalloz, 1978, p. 101. 5 Non défini par les dictionnaires de la langue française (à l’exception du Petit Larousse qui retient la définition suivante : « caractère effectif d’un raisonnement » (Le Petit Larousse illustré, 2009, p. 351), le terme d’effectivité se retrouve davantage en sociologie (J. CARBONNIER, Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, L’Année sociologique, LVII, 1958, p. 3) et en théorie du droit (Ph. AUVERGNON, Une approche comparative de la question de l’effectivité du droit du travail, in L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions ?, ss dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 27). 1 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 la lumière de la définition de l’adjectif « effectif » à partir duquel il est formé6. Est effectif « ce qui existe réellement, ce qui est une réalité7 ». Le doyen CORNU retient une formulation analogue : est effectif « ce qui a été réalisé, qui correspond à la réalité8 ». Une norme juridique est effective à condition qu’elle existe dans la réalité, qu’elle soit réellement appliquée dans les faits9. 3. Une distinction. Il est devenu usuel de distinguer l’effectivité de l’efficacité10. L’effectivité s’entend davantage « du degré d’utilisation réelle du moyen » alors que l’efficacité s’entend « du degré de réalisation de l’objectif11». L’effectivité peut ainsi se définir comme « le degré de réalisation [ou d’utilisation], dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit12». L’efficacité d’une règle vise son « aptitude à procurer le résultat en vue duquel il a été conçu et fabriqué13». Ces deux notions, pourtant distinctes, sont étroitement liées14. L’efficacité induit l’effectivité ; l’inverse n’est pas nécessairement vrai : une règle de droit peut être effective et efficace ou effective et inefficace. Dès lors, l’effectivité est « la condition, non suffisante mais nécessaire, de l’efficacité15». Témoigne de ces liaisons, la définition de l’effectivité 6 En ce sens Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011, n°8, p.7. 7 Dictionnaire de la langue française, Le petit Robert, 2008. 8 G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2007. 9 L’expression est empruntée à : Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011. 10 L’effectivité peut être aussi distinguée de l’efficience, laquelle s’entend en philosophie de « la capacité d’une cause suffisamment forte ou puissante pour produire un effet » (www. cnrtl.fr). Par extension, l’efficience, en économie, revêt « un sens propre lorsqu’il qualifie un moyen qui atteint le résultat souhaité au moindre coût» (A.-L. SIBONY, Le juge et le raisonnement économique en droit de la concurrence, Thèse, préf. G. CANIVET, LGDJ, coll. Droit et économie, 2008, n°113, p. 88, note 184). 11 J.-F. PERRIN, Pour une théorie de la connaissance juridique, Droz, Genève, 1979, p. 91 et s., cité par C.OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et efficacité des sanctions contractuelles, Thèse Paris II, éd., 2002, n°3, p. 4 ; Y. LEQUETTE, De l’efficacité des clauses de Hardship, in Mél. Liber Amicorum Ch. LARROUMET, Economica, 2010, p. 269. 12 P. LASCOUMES, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ, 1993 – Il s’agit ici d’un rapport quantitatif (statistique) de conformité qui consiste « à mesurer l’écart entre normes et pratiques ou, si l’on préfère, entre le droit et le fait » (A. JEAMMAUD, E. SERVERIN, «Evaluer le droit», D. 1992, Ch. p. 263). 13 A. JEAMMAUD, Le concept d’effectivité du droit, ss dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 50. Dans le même sens, l’effectivité d’une règle juridique s’entend du « degré de conformité des actions ou des situations sociales au modèle qu’elle signifie» (J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, Droit du travail, Dalloz, 2004, 22 ème éd., n°43, p. 60). 14 Ph. CONTE, « Effectivité », « inefficacité », « sous-effectivité », « surefficacité »… : variations pour droit pénal, in Mél. P. CATALA, Le droit privé français à la fin du XX ème siècle, Litec, 2001, p. 269. 15 Ph. AUVERGNON, Une approche comparative de la question de l’effectivité du droit du travail, in L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions ?, ss dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 27. 2 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 retenue par le doyen CORNU : « caractère d’une règle de droit qui produit l’effet voulu, qui est appliquée réellement16» ; l’effectivité est assimilée17à l’efficacité18. C’est en référence à cette définition que le choix du terme effectivité a été opéré. 4. Une dualité de sources. L’approche kelsenienne de l’effectivité de la norme conduit à considérer tant les comportements et les écarts éventuels entre les normes et la pratique19 que les institutions chargées d’assurer l’application de la loi, ainsi que « la clarté de la règle [et] son degré d’accessibilité20». De ces considérations découlent les deux sources « traditionnelles » de l’ineffectivité. La première tient à l’insuffisance du contrôle et des sanctions. Or, spécialement en droit du travail 21, la question des sanctions est « centrale dans un débat sur [son] effectivité22». Il s’agit en outre de s’intéresser tant à l’efficacité des organes de contrôle qu’au respect des normes par les acteurs de l’entreprise. La seconde source d’ineffectivité tient à la complexité ou à l’insécurité dont les règles de droit du travail sont porteuses23. Au-delà des débats sur la 16 G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2007. A. JEAMMAUD, Le concept d’effectivité du droit, sous dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 49. 18 Ces termes sont souvent employés l’un pour l’autre (H. KELSEN, Théorie pure du droit, traduit par Ch. EISENMANN, LGDJ, 1999). 19 La question de l’effectivité du droit conduit « à se préoccuper de son adéquation avec les comportements sociaux et des écarts éventuels (comme autant de manifestations d’ineffectivité) entre les normes juridiques et la réalité sociale qu’elles sont censées régir entre le droit et l’expérience » (J. COMMAILLE, « Effectivité », Dictionnaire de la culture juridique, ss dir. D. ALLAND, S. RIALS, 2004, PUF, LAMY, p. 583). L’effectivité d’une règle de droit s’entend « dans un premier sens, d’un rapport quantitatif, de conformité des situations ou opérations concrètes qu’elle vise au modèle que constitue cette norme. (…) Dans un second sens, elle est un rapport de conformité totale ou un degré très élevé de conformité ». Mais il s’agit davantage de mesurer « l’écart entre normes et pratiques, ou, si l’on préfère, entre le droit et le fait» (A. JEAMMAUD, E. SERVERIN, «Evaluer le droit», D. 1992, chron. p. 263). 20 J. COMMAILLE, op. cit., 2004, PUF, LAMY, p. 583 21 Sur la notion d’effectivité en droit du travail : Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011. 22 Ph. AUVERGNON, Une approche comparative de la question de l’effectivité du droit du travail, in L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions ?, sous dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 27. 23 Sur l’évolution du cadre des institutions représentatives du personnel : B. TEYSSIE, J.-F. CESARO, A MARTINON, « Du CHSCT à la commission santé sécurité du comité d’entreprise », JCP S, 2011, 1291 ; F. FAVENNEC-HERY, « Une question qui fâche : le millefeuille des IRP », Dr. social, 2013, p. 250 ; F. MOREL, S. NIEL, « Faisons enfin évoluer le droit des institutions représentatives du personnel », SSL, 2012, n°1536, p. 5 ; D. BOULMIER, « Les institutions représentatives du personnel dans l’entreprise : de l’interaction à la fusion (?) », JSL, 2011, n°309 (1ère partie), p. 4 et n°310 (2ème partie), p. 4 ; M. GRIGNARD, « Les instances de représentation du personnel : quelle évolution ? », Dr. social, 2013, p. 258. Sur l’obésité, la complexité et l’insécurité du droit du travail : J. RIVERO et J. SAVATIER, Droit du travail, PUF-THEMIS, 6ème éd, 1975, p. 19 ; B. TEYSSIE, « Propos autour d’un autodafé », Dr. social, 1986, p. 560. Voir également l’étude particulièrement étoffée et les références de : Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011, Partie I, Titre I, Chapitre II. 17 3 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 nécessité de faire évoluer le droit de la représentation du personnel, ce droit a vocation à être appliqué tel qu’il a été bâti24. Dès lors, il s’agit moins de s’interroger sur la nature des évolutions à apporter, s’agissant notamment du cadre de la représentation du personnel, que d’identifier les voies permettant de garantir son effectivité. 5. Droit de la représentation collective. Selon le professeur SUPIOT, la notion de « représentation collective » recouvre tant la représentation syndicale que la représentation élue25. Ces deux formes de représentation « instituent26» des collectivités de travailleurs qui n’ont pas d’existence juridique en dehors d’elles27. Ce concept ne s’accorde pas à la définition juridique « classique » de la représentation. La représentation du personnel n’a pas pour objet « de procéder à des actes juridiques au nom d’un sujet de droit existant28 ». Le législateur lui attribue, en revanche, des fonctions variées, conduisant à « une grande spécificité du concept de représentation en droit du travail29 » au regard du droit privé30 ou du droit public. Les instances de représentation du personnel élues ont pour objet « l’expression collective des salariés31 » dans l’entreprise. L’exercice de leurs prérogatives relève tant du domaine économique ou social que de celui de la santé, de l’hygiène et de la sécurité. Les syndicats et les délégués syndicaux sont chargés de la défense des droits et des intérêts des salariés. Le droit de la représentation collective embrasse l’ensemble des règles légales ou conventionnelles32 relatives au fonctionnement et aux attributions des instances élues ou désignées. Son effectivité est liée à l’existence de sanctions, notamment, pénales ; la norme pénale étant « l’adjuvant des règles de droit du 24 J. BESSIERE, Rapport sur l’inspection du travail, Doc. Française, 2005, p.3. A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF, 1994, p. 142. 26 A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF, 1994, p. 142. 27 G. BORENFREUND, La représentation des salariés et l’idée de représentation, Dr. Social 1991, p. 685. 28 A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF, 1994, p. 142. 29 A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF, 1994, p. 142. 30 Sur les significations de la notion de représentation : Ph. DIDIER, De la représentation en droit privé, LGDJ, 2000, n°2, p. 2. 31 C. trav., art. L. 2323-1. 32 Longtemps débattue, la question de savoir si le non-respect des dispositions conventionnelles relative au fonctionnement ou aux attributions des instances de représentation du personnel relève du champ matériel du délit d’entrave a été réglée par les lois Auroux de 1982. Le Code du travail précise désormais que « lorsqu'en vertu d'une disposition législative expresse dans une matière déterminée, une convention ou un accord collectif étendu déroge à des dispositions législatives ou réglementaires, les infractions aux stipulations dérogatoires sont passibles des sanctions qu'entraînerait la violation des dispositions législatives ou réglementaires en cause » (C. trav., art. L. 2263-1). Adde, P. CHAUVEL, « Interprétation déclarative de la loi pénale et droit pénal du travail », Dr. social, 1983, p. 659 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n°614 et s., p. 390. 25 4 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 travail33 ». La discrimination34 vise à réprimer les actes de discrimination syndicale35 ; le délit d’entrave36 s’attache davantage à sanctionner les atteintes à l’organisation, au fonctionnement ou aux attributions des instances de représentation du personnel 37. Né au lendemain de la Libération, le délit d’entrave s’est développé au fur et à mesure du déploiement du droit de la représentation collective. Il règne « sans partage sur la matière des relations collectives du travail38 ». Identifier les voies permettant d’assurer l’effectivité du droit de la représentation collective dans l’entreprise suppose d’en appréhender au préalable les enjeux (I), de se confronter aux débats qu’il suscite (II), et d’en esquisser les réponses qui peuvent y être apportées (III). I. 6. Des enjeux Une photographie. L’enquête « relations professionnelles et négociations d'entreprise », publiée par la DARES, atteste du renforcement de la présence des institutions représentatives du personnel dans les entreprises depuis le début des années 2000. En 2004-2005, 77% des établissements de 20 salariés ou plus contre 74% en 1998-1999 sont dotés d’au moins une instance de représentation du personnel39. Ces établissements emploient 90% des salariés du champ étudié40. En outre, 72% des établissements de 20 salariés et plus satisfont à l’obligation légale d’élection de délégués du personnel ou d’une délégation unique du personnel. Enfin, des comités 33 J.-F. CESARO, La norme pénale, l’entreprise et le droit du travail, Dr. social, 2005, p. 135 ; En ce sens : Y. GAUDEMET, Les limites des pouvoirs de l’inspection du travail, Dr. social, 1984, p. 447 : « La législation sociale est presque toute entière assortie de sanctions pénales ». 34 C. trav., art. L. 2146-2. 35 Sur la discrimination syndicale : V. MANIGOT, Le traitement juridique de la discrimination dans l’entreprise. Réflexions sur un risque, Thèse, LexisNexis, 2012. 36 C. trav., art. L. 2328-1 (Comité d’entreprise) ; C. trav., art. L.2316-1 (Délégué du personnel) ; C. trav., art. L. 2146-2 (l’exercice du droit syndical) ; C. trav., art. L. 4742-1 (CHSCT) ; C. trav., art. L. 2335-1 (Comité de groupe) ; C. trav., art. L. 2346-1 (Comité d’entreprise européen). A ces cas de bases, doivent être ajoutés : les articles L. 1443-3 (Entrave à l’exercice des fonctions prud’homales), L. 2437-1 (la nonprésentation du bilan social d’entreprise), et R. 4121-3 (absence de mise à disposition du document unique) du Code du travail. 37 L’expression est empruntée à P. MORVAN, Le droit pénal des institutions représentatives du personnel, Dr. social, 2000, p. 987. 38 A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 28. 39 Source : DARES, 2007, Enquête REPONSE (Relations professionnelles et Négociations d'entreprise) Ministère du Travail, www.travail-emploi.gouv.fr). Une nouvelle enquête REPONSE (2010 à 2011) est en cours de publication (Communication Ministère du Travail, 27 mars 2012). 40 Le champ de l’enquête REPONSE porte sur les établissements d'au moins 20 salariés du secteur marchand non agricole. 5 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’entreprise ou d’établissement sont présents dans 81 % des établissements de 50 salariés et plus du secteur marchand non agricole, et même dans 90% des établissements de plus de 100 salariés41. Toutefois, la tenue d’élections n’est pas systématique, notamment dans les établissements de petite taille. Ainsi, un tiers des établissements de 20 à 50 salariés ne disposent d’aucune instance de représentation. Parmi les explications plausibles de la relative faiblesse de la représentation, peuvent être invoquées l’absence ou le nombre insuffisant de candidats mais aussi la réticence de certaines directions d’entreprises à organiser une représentation formelle du personnel. Enfin, lorsqu’elle existe, près de la moitié des établissements (46%) peinent à procéder au renouvellement des instances mises en place. L’enquête de la DARES souligne en outre que lorsqu’elles existent, seules une minorité des instances de représentation du personnel se réunissent douze fois par an. Pour autant, leur activité est loin d’être inexistante : dans neuf établissements sur dix, le comité d’entreprise est réuni au moins six fois par an ; il en est de même dans sept établissements sur dix pour les délégués du personnel. De surcroît, la majorité des instances de représentation du personnel disposent d’un local indépendant aménagé et peuvent recourir aisément à des outils de communication42. Schématiquement présentée, la photographie permet de témoigner de la place des instances de représentation du personnel dans les entreprises françaises et de l’existence des moyens « vitaux » accordés à la quasi-totalité d’entre elles. Toutefois, cette photographie ne permet pas d’appréhender de manière précise les obstacles ou les manquements. L’étude statistique de l’action des autorités administratives et judiciaires est de nature à la compléter. 7. Un état des lieux. En 201143, près de 360 000 interventions de l’inspection du travail ont été effectuées. Ce chiffre est en baisse de près de 3% par rapport à l’année 2010. Ces interventions prennent plusieurs formes. Les contrôles (220 000) en représentent près des deux tiers. Viennent ensuite les enquêtes (120 000), les réunions en entreprise (15 200) et les missions de conciliation (200). Neuf interventions sur dix 41 Source : DARES, 2007, précité. Dans la quasi-totalité des établissements, les instances de représentation bénéficient de panneaux d’affichage. Dans les grandes entreprises, ils peuvent recourir à des outils de communication « plus modernes » qu’ils s’agissent du courrier électronique, de l’intranet ou de l’internet. 43 L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., nov. 2012, p. 3. 42 6 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 donnent lieu à des suites, lesquelles constatent dans 75% des cas au moins une infraction. Ces suites se traduisent en pratique par des lettres d’observations (226 000), des décisions de chantier, des mises en demeure (6500) ou des procès-verbaux (7000). Près de 1,5 million de références à la réglementation, toutes pratiques professionnelles confondues, ont été enregistrées en 2011. Le thème « santé-sécurité » représente les deux tiers des références en observations et près de la moitié de celles des procèsverbaux. Celui de la « représentation du personnel » ne vient qu’en troisième position (140 000 références) ; au sein de ce thème, un peu moins de la moitié (62 316) des suites constatent au moins une infraction. Lorsqu’elles donnent lieu à des « suites à interventions44», les infractions ont trait à la mise en place et au fonctionnement des délégués du personnel, puis du CHSCT, du comité d’entreprise et enfin à la protection des salariés protégés et à l’exercice du droit syndical. Les observations représentent près de 98 % de ces « suites à interventions ». La pratique des procès-verbaux demeure marginale (1015). Au niveau national a été mis en place, depuis 2007, l’Observatoire des suites pénales, qui a pour but de recenser l’ensemble des procès-verbaux dressés et transmis à la justice depuis le 1er janvier 2004 et d’en suivre les résultats, par une mise à jour permanente des suites données tant par les parquets que par les juridictions. L’OSP permet d’avoir des données précises et fiables sur la réalité de l’action pénale. Un tableau récapitulatif des suites judiciaires des procédures transmises à la justice depuis 2004 fait apparaître que la plupart des procédures ouvertes en 2011 n’ont pas de suites connues au printemps 2012. Sur près de 8 000 procès-verbaux déposés en 2011, 2924 ont des suites connues et 5059 ne connaissent pas de suites. Ces chiffres se justifient, selon le Ministère du Travail, en partie par « le temps judiciaire45 ». L’étude des réponses judiciaires aux procès-verbaux transmis en 2006 et 2007, quelle que soit la date de cette réponse, est plus instructive 46 … bien que le recours à des pourcentages traduise nécessairement une représentation biaisée de la réalité. 44 L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., nov. 2012, p. 3. L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., Nov. 2012, p. 99. 46 L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., Nov. 2012, annexes, n° II C Verbalisation 2011 et suites judiciaires en 2006 et 2007. 45 7 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Rapportés au nombre de procès-verbaux, ils révèlent la faiblesse du nombre de ceux ayant donné lieu non seulement à une suite judiciaire47 mais aussi à une sanction pénale. L’analyse des années les plus récentes (2006 et 2007) démontre que le taux de réponse48 est supérieur à 60 % : 62 % en 2006 (3163 pour 5092 procès-verbaux dressés), 64 % en 2007 (3950 pour 6160 procès-verbaux dressés)49. En ce qui concerne les classements sans suites, bien qu’ils restent inférieurs aux poursuites, ils demeurent significatifs. Ils représentent respectivement 23% (724) et 21 % (834) des décisions. Parmi les suites judiciaires en matière de santé et de sécurité au travail (1191 en 2006 et 1593 en 2007), les classements sans suite totalisent 22% (262) en 2006 et 19% (304) en 2007. Quant à la rubrique « représentation du personnel » (132 en 2006 et 140 en 2007), les classements sans suite représentent 34% (45) en 2006 et 30% (42) en 2007. Les poursuites représentent en moyenne 45 % des décisions des parquets en 2006 (1431) et 37 % en 2007 (1476). En matière de représentation du personnel, elles ne totalisent que 31% en 2006 (40) et 30% (33) en 2007. Enfin, les procédures alternatives aux poursuites représentent 14% (429) en 2006 et 21% (835) en 2007 des décisions du parquet. En matière de représentation du personnel, elles ne totalisent que 16% (21) en 2006 et 25% (35) en 2007 des décisions du ministère public. Les jugements rendus sur la base des procédures transmises en 2006 (112150) et 2007 (1243), quelle que soit la date du jugement, font apparaître une forte proportion de condamnations (89 % et 90 %) et des relaxes à hauteur de 11 % et 10 % ; mais ces chiffres doivent être rapportés au nombre de procédures transmises. La part des jugements relatifs à la représentation du personnel est infime et ne représente que 2% des jugements prononcés en 2006 (30) et 2007 (25) en droit pénal du travail. Les jugements prononcés portent davantage sur l’hygiène et la sécurité (404 (36%) en 2006 47 Pour faciliter la lecture et démontrer cette faiblesse, il nous faut d’emblée préciser que le chiffre placé entre parenthèses correspond au nombre de procès-verbaux. 48 Le taux de réponse correspond ici aux procès-verbaux ayant connu une suite, peu important qu’il s’agisse d’un classement sans suite, de la mise en œuvre d’une alternative aux poursuites ou de l’engagement des poursuites. Sont exclues les suites non renseignées et les dessaisissements. 49 En 2006, 5092 procès-verbaux ont été dressés et en 2007, 6160 procès-verbaux ont été dressés. 50 Pour faciliter la lecture et démontrer cette faiblesse, il nous faut d’emblée préciser que le chiffre placé entre parenthèses correspond au nombre de jugements. 8 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 et 535 (43%) en 2007) et sur les obligations générales : 490 (43%) en 2006 et 497 (39%) en 200751. Quant à la nature de la sanction, pour ces deux années, dans plus de 70 % des cas, il s’agit de peines d’amende. Lorsqu’elles sont prononcées, les peines de prison sont très majoritairement assorties d’un sursis. En matière de représentation du personnel, les peines d’amende représentent 90% (27) des peines prononcées en 2006 et 84% (21) en 2007. Les peines de prison assorties d’une amende représentent 10% (3) des peines prononcées en 2006. Aucune peine de prison n’a été infligée en 2007. En revanche, la même année, les dispenses de peine représentent 4% (1) et les condamnations « sans précisions » représentent 12% (3). Les relaxes se situent à hauteur de 3% en 2007 et de 7% en 2006 de ce type de décision en droit pénal du travail. Enfin, l’étude des condamnations inscrites au casier judiciaire atteste de la faiblesse du quantum de la peine. De 2008 à 2011, le montant moyen des amendes prononcées au titre du délit d’entrave était respectivement de 1993€, 1685€, 1847€ et 2168€. Le maximum de 3750€ n’est que rarement atteint ; une constante augmentation du quantum moyen de l’amende peut toutefois être observée depuis 200952. Quant aux peines d’emprisonnement ferme prononcées en 2004 (1), 2005 (3), et 2007 (1), leur durée était comprise entre un et trois mois53. Depuis 2008, entre une et cinq peines d’emprisonnement avec sursis simple sont prononcées chaque année54. 8. Enseignements. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces statistiques. La part des observations parmi les suites contenant au moins une infraction en matière de représentation du personnel atteste de la prééminence de la fonction de conseil de l’inspection du travail. Par ailleurs, la réponse pénale apportée par le ministère public aux infractions en ce domaine est perceptible mais nettement insuffisante55. Si l’on peut 51 L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., Nov. 2012, annexes, n° II C 1 à 7 Verbalisation 2011 et suites judiciaires en 2006 et 2007. 52 Sources : Les condamnations inscrites au casier judiciaire (années consultées : 2008 à 2011), www.justice.gouv.fr. 53 Sources : Les condamnations inscrites au casier judiciaire de 2004 à 2010, www.justice.gouv.fr. 54 Sources : Les condamnations inscrites au casier judiciaire (années consultées : 2008 à 2011), www.justice.gouv.fr. 55 Près de 8 000 procédures ont été transmises à la justice par l’inspection du travail en 2011 (contre 7 500 en 2010). L’augmentation est due à l’amélioration régulière de l’utilisation de l’observatoire des suites 9 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 noter un accroissement certain des poursuites et des alternatives aux poursuites, les classements sans suites demeurent nombreux. Enfin, outre que le nombre de jugements prononcés est insignifiant, le juge se contente souvent de prononcer les peines de référence sans recourir au prononcé d’éventuelles peines complémentaires. L’ensemble de ces constatations contribue à souligner le degré d’ineffectivité qui affecte le droit de la représentation collective. Lui serait-il consubstantiel ? 9. Un droit empreint d’ineffectivité. Précédé de balbutiements, d’expériences et de tentatives multiples auxquels une attention limitée sera portée, le droit de la représentation collective est né, avant tout, « dans l’ambiance tourmentée de la Libération56 ». Les premiers pas législatifs dans ce domaine ont été précédés d’initiatives prises au XIXème siècle par certains chefs d’entreprise, nourris de catholicisme social, qui, en vue d’instituer une représentation du personnel, ont créé des conseils d’usine. Les premiers textes instituèrent les délégués ouvriers mineurs et créèrent des conseils dans certaines entreprises. Ces balbutiements législatifs ont conduit à l’institution, en 1917, des délégués d’atelier dans les usines d’armement. Au lendemain de la première guerre mondiale, et à l’aube de la seconde, la nécessité « d’endiguer le flot d’idées sociales nouvelles57 », les grandes grèves de 1936 et les accords qui s’en suivirent ont conduit à la naissance des délégués ouvriers. Ces derniers ont retrouvé vie « après l’éclipse née du second conflit mondial, avec la loi du 16 avril 1946, sous le label général de délégués du personnel58». L’ordonnance du 22 février 1945 instituant des comités d’entreprise et la loi relative à l’élection des délégués du personnel traduisent « un changement radical dans les rapports de travail59 ». Le comité d’entreprise est né sur un fond de lutte des classes et sur un compromis : « compromis entre réformes structurelles et préoccupations conjoncturelles, compromis entre aspirations sociales et souci d’efficacité économique, compromis encore, mais cette fois pénales. S’agissant des thèmes de la verbalisation 2011, la santé et la sécurité au travail représente 2 847 procès-verbaux et la représentation du personnel 296 procès-verbaux. 56 L’expression est empruntée à J.-H. ROBERT, « La répression », Dr. social, 2000, p. 953. 57 M. COHEN, L. MILET, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10 ème éd., 2013, p. 39. 58 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n°193, p. 103. 59 N. CATALA, L’entreprise, in Traité de droit du travail, ss dir. G.-H. CAMERLYNCK, Dalloz, 1980, n°438, p. 477. 10 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 intra-syndical, sur les formes de la représentation60 ». Si, dans les premiers mois, l’ordonnance a connu un succès relatif, la volonté du législateur, en 1946, d’accroître non seulement le champ d’application matériel mais aussi les pouvoirs du comité d’entreprise laissait « [augurer] a priori de sérieuses résistances61», résultant du comportement tant des employeurs que des organisations syndicales62. A l’état de grâce de courte durée au cours duquel plus de la moitié des entreprises assujetties se dotèrent d’un comité d’entreprise, succéda un état de léthargie profonde dès la fin de l’année 1947. L’ineffectivité du droit de la représentation collective résulterait de l’absence de prise en compte par les représentants du personnel de l’intérêt économique de l’entreprise. Entre 1945 et 1947, à l’heure de la reconstruction, le droit des comités d’entreprise a connu un succès relatif lié notamment à l’inquiétude partagée par les entreprises et par les organisations syndicales tenant à l’amélioration de la productivité et du rendement de l’entreprise. Dès la fin des années quarante, les institutions représentatives du personnel, sous l’impulsion des organisations syndicales, ont délaissé cette préoccupation. D’un côté, lesdites organisations excluaient d’« entrer dans la logique d’une institution soupçonnée d’être le cheval de Troie de la collaboration de classes 63 » et dénonçaient, à juste titre, les résistances d’employeurs « préoccupé[s] de garder intacte [leur] autorité et [leur] pouvoir de décision64». De l’autre, leur comportement était loin d’être exemplaire : il n’est pas certain que les syndicats aient toujours « souhaité le développement d’attributions qui les associaient à la gestion de l’entreprise, ni que les membres du comité aient toujours eu la volonté d’aller au-delà du plus simple, qui est 60 J.-P. LE CROM, « La naissance des comités d’entreprise : une réforme par la loi ? », Travail et Emploi, DARES, févr., 1995, p. 65. 61 J. LE GOFF, Du silence à la parole, Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours, PUR, 2004, p. 367. 62 Sur ce point voir l’enquête menée par la revue Droit Social en 1950 : « L’expérience des Comités d’entreprises », Dr. social, 1950, p. 15, spéc., 92 et s. 63 J. LE GOFF, Du silence à la parole, Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours, PUR, 2004, p. 369. 64 La revue poursuit : « Les comités rencontrent souvent le refus formel du président d’examiner les questions ayant trait à la marche générale de l’entreprise », Revue des comités d’entreprise « Défense de l’institution des comités et des délégués », juin-juillet 1952, n°51-52, p.10 cité in J. LE GOFF, Du silence à la parole, Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours, PUR, 2004, p. 368. 11 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 aussi, sauf exception, le plus attendu du personnel : la gestion des œuvres sociales65». Ces résistances se sont traduites par un faible degré d’activité des comités d’entreprise de la fin des années quarante au milieu des années soixante. Un bilan établi en 1969 fait ainsi état de manquements divers à la charge tant des employeurs que des élus 66 : l’information sur la marche générale de l’entreprise n’est pas assurée de manière systématique, les membres du comité n’estiment pas nécessaire de solliciter des renseignements complémentaires ou de formuler un avis sur les éléments de gestion. 10. Une ambiguïté. Enfin, l’ineffectivité du droit de la représentation collective, et spécialement du droit des comités d’entreprise, résulterait indirectement de la nature même de l’instance. Le comité d’entreprise est resté un organe dont le pouvoir en matière économique est quasi exclusivement consultatif. Cette nature résulte d’un « non-choix » du législateur dès la naissance de l’institution. Le législateur est resté « à mi-chemin entre deux conceptions différentes de la réforme et [il a] voulu développer [ensemble] le contrôle ouvrier et organiser la cogestion67 ». Cette ambiguïté sur la nature même de l’instance n’a pas contribué à inciter les entreprises à une stricte application des règles du droit des comités d’entreprise. Le caractère purement consultatif les a conduits à se confiner « dans un attentisme habile qui les plaçait à l’abri d’un développement trop encombrant de la nouvelle institution tout en sauvegardant les apparences d’une observation, sinon de l’esprit, tout au moins de la lettre de la loi 68». Il faut attendre la modernisation économique des années 1960 pour percevoir un accroissement du nombre de comités d’entreprise. Mais cet accroissement est moins dû à une évolution des conceptions qu’à l’effet incitatif de dispositions légales imposant la 65 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n°194, p. 104. ; J. LE GOFF, Du silence à la parole, Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours, PUR, 2004, p. 369. 66 P. BOIS, « Les comité d’entreprise, un espoir longtemps déçu peut-il renaître ? », Dr. social, 1969, p. 92. 67 D. PEPY, « Les comités d’entreprise : l’ordonnance du 23 février 1945 », Dr. social, 1945, p. 57. L’exposé des motifs de l’ordonnance du 22 février 1945 est évocateur : « Ces comités ne sont pas dans le domaine économique des organes de décision. Il a semblé indispensable de laisser au chef d’entreprise qui a, devant la nation la responsabilité de l’affaire qu’il dirige, une autorité correspondant à la responsabilité de l’affaire qu’il dirige, une autorité correspondant à sa responsabilité. Les comités d’entreprise seront donc consultatifs, sauf en ce qui concerne la gestion des œuvres sociales de l’entreprise (…). Ainsi, l’autorité de la direction sera tenue intacte et en même temps, par l’intermédiaire de ses représentants, le personnel pourra être étroitement associé à la marche générale de l’entreprise ». 68 P. BOIS, « Les comité d’entreprise, un espoir longtemps déçu peut-il renaître ? », Dr. social, 1969, p. 89. 12 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 consultation obligatoire du comité sur la formation professionnelle69 ou ouvrant à l’employeur la possibilité de négocier un accord de participation70. 11. L’impression de « l’historien qui examine le droit des comités d’entreprise tel qu’il apparaît (…) est celle d’une forte continuité71 ». Certes, le comité d’entreprise a vu ses moyens et ses attributions croître d’année en année au point de devenir l’interlocuteur privilégié de l’employeur dans l’entreprise sans toutefois que ces évolutions n’aient emporté de modification de sa « nature même72 ». Les lois du 28 octobre 198273 et du 14 juin 201374, « porteuses d’une esquisse de cogestion75 », sont toutefois de nature à tempérer cette impression. 12. Affinités. Au-delà, si le comité d’entreprise reste l’institution centrale dans l’entreprise, les interactions avec les autres instances élues ou désignées sont nombreuses. De ce point de vue, le comité d’entreprise a moins d’affinités avec les délégués du personnel76, le comité de groupe77 ou le comité d’entreprise européen78 qu’avec le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Méconnu, perçu comme « une instance essentiellement technique79 », le CHSCT s’est révélé au travers de la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment depuis que lui a été reconnue la personnalité juridique80. Les contentieux relatifs à l’étendue de ses missions81 ou au 69 L. n°71-575, 16 juill. 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente, art. 19. 70 Ord. n°67-720, 17 août 1967, relative à la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises. 71 J.-P. LE CROM, « La naissance des comités d’entreprise : une réforme par la loi ? », Travail et Emploi, DARES, févr., 1995, p. 75. 72 J.-P. LE CROM, « La naissance des comités d’entreprise : une réforme par la loi ? », Travail et Emploi, DARES, févr., 1995, p. 76. 73 L. n°82-915, 28 oct. 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel. 74 L. n°2013-504, 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi. 75 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n°194, p. 104. – B. TEYSSIE, « Vers un nouveau droit du travail ? A propos de la loi du 14 juin 2013 », JCP S, 2013, 1257. 76 C. trav., art. L. 2311-1 et s. 77 C. trav., art. L. 2331-1 et s. 78 C. trav., art. L. 2341-1. Voir B. TEYSSIE, Droit européen du travail, 5ème éd., LexisNexis, 2013, n°869 et s., p. 379 ; B. KRIEF, Essai sur l’émergence d’un droit européen de la représentation collective, Thèse, éd. Panthéon-Assas, 2011, n°21, p. 24. 79 J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2ème éd., 2012, n°1 2, p. 23. 80 Pour une approche historique du CHSCT : J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2ème éd., 2012, n° 1, p. 13 ; E. MILLION-ROUSSEAU, La représentation du personnel en matière de santé et de sécurité, Thèse, Paris 2, n°4, p. 3. 81 Le CHSCT est appelé à intervenir dans les dispositifs d’évaluation des salariés (TGI Paris, ord. réf., 22 janv. 2008, CE et CHSCT de Right Management et a. c/ SAS Right Management) ou dans les opérations 13 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 bénéfice d’une mesure d’expertise82 ont « eu un impact sur l’appréhension de l’institution83 ». Toutefois, aux difficultés d’application qui lui sont propres, s’ajoutent celles liées à l’articulation du rôle des différentes instances de représentation du personnel, et aux coûts engendrés par la gestion de celles-ci. Enfin, les instances élues ne constituent qu’un instrument parmi d’autres pour assurer l’association des salariés à la marche de l’entreprise. Le droit de la représentation collective met en œuvre d’autres instruments en favorisant notamment la négociation collective d’entreprise ou la participation des salariés aux organes de direction. Au demeurant, l’ensemble s’organise et se déploie « alors même que le dispositif de base ne connaît pas toujours un taux d’application satisfaisant84 ». La démultiplication des instances de représentation du personnel n’est pas sans emporter des conséquences sur l’entreprise. 13. Enjeux économiques. Au cœur des préoccupations de l’entreprise, le droit de la représentation du personnel l’est assurément. En témoignent de nombreux rapports85 qui soulignent que le caractère complexe et coûteux de la norme sociale conduit un certain nombre d’employeurs à refuser de franchir certains seuils. Les études de l’INSEE attestent de cette difficulté. Ainsi, le nombre d’entreprises de dix salariés est deux fois moins important que celui des entreprises de neuf salariés ; un constat identique peut être opéré pour les entreprises de cinquante salariés dont le nombre est deux fois moins important que celui des entreprises de quarante-neuf salariés86. Au total, au 1er janvier 2013, les entreprises de moins de cinquante salariés représentaient environ 99% des entreprises françaises. d’externalisation, de réorganisation ou de restructuration (CA Paris, 13 mai 2009, n° 08/23442 ; CA Bordeaux, 10 janv. 2011, n° 09/04046 ; CA Paris, 10 janv. 2011, n° 10/16642 ; Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-68161, inédit). 82 Cass. soc., 15 janv. 2013, n° 11-27.679 : Bull. Civ., 2013, n° en cours, JCP S, 2013, 1103, note L. DAUXERRE ; Cass. soc., 12 sept. 2013, n°13-12.200 : Bull. Civ., 2013, n° en cours, JCP S, 2013, 1424, note L. DAUXERRE. 83 J.-B. COTTIN, Le CHSCT, 2ème éd., 2012, n°13, p. 27. 84 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 194, p. 104. 85 M. de VIRVILLE, « Pour un Code du travail plus efficace », Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 15 janv. 2004 ; J. ATTALI, Rapport de la commission pour la libération de la croissance, 1er janv. 2008 ; J. BARTHELEMY, G. CETTE « Refondation du droit social : concilier protection des travailleurs et efficacité économique », Rapport au Conseil d’Analyse Economique, 2010 ; L. GALLOIS, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, Rapport au Premier Ministre, 5 nov. 2012. 86 Source : Insee, REE (Répertoire des Entreprises et des Établissements - Sirene) : Entreprises selon le nombre de salariés et l'activité en 2012, www.insee.fr. 14 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Cet « effet de seuil » résulte de la complexité de la réglementation de la représentation du personnel. Les causes de cette complexité sont multiples et régulièrement rappelées : superposition des instances, concurrence des attributions, difficultés liées à l’articulation des consultations, instrumentalisation du droit du travail87. S’y ajoute « l’obésité » du droit de la représentation collective : 470 articles y sont consacrés dans la partie législative du Code du travail, d’autres leurs font cortège dans la partie réglementaire ; la jurisprudence particulièrement fournie en cette matière aggrave parfois la difficulté. Le rapport « Pour un Code du travail plus efficace » constatait que le droit de la représentation collective étant devenu d’une telle complexité et d’une telle densité, que « rares sont les entreprises assurées de respecter intégralement les prescriptions applicables en la matière88 »… ce qui freine la mise en place des instances de représentation du personnel dans les petites et moyennes entreprises89. 14. L’entreprise est par ailleurs confrontée au coût de la représentation du personnel. Le passage de quarante-neuf à cinquante salariés implique « actuellement l’application de trente-quatre législations et règlementations supplémentaires dont le coût représente 4% de la masse salariale90 ». S’agissant du droit de la représentation collective, il est des coûts directs, liés au paiement de subventions, aux frais de fonctionnement ou à l’organisation des élections. Il est des coûts indirects inhérents aux contentieux ou aux retard dans la mise en œuvre des décisions de l’entreprise. Selon certains, le coût et la complexité de la norme sociale justifieraient « qu’on procède à certaines violations pour préserver les intérêts essentiels de l’entreprise et des travailleurs91». 87 « Dépendant, dans une certaine mesure, de la conjoncture, le droit du travail subit une instrumentalisation dans le cadre de politiques publiques qui ne peut qu’accroître son instabilité». (J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, Droit du travail, Dalloz, 22 ème éd., 2004, n°44, p. 59). 88 « Pour un Code du travail plus efficace », Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, M. de VIRVILLE, 15 janv. 2004, p. 42. 89 Centre d’Analyse Stratégique, Document de travail transmis aux partenaires sociaux le 15 octobre 2009 pour nourrir les débats sur les négociations sur la modernisation du dialogue social, Liais. Sociales, Bref, 2009, n°15471, p. 2. 90 Rapport de la commission pour la libération de la croissance, J. ATTALI, 1 er janv. 2008, p. 48. 91 Ph. AUVERGNON, « Une approche comparative de la question de l’effectivité du droit du travail », in L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions ?, sous dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 32. Dans le même sens : « Le non accomplissement fréquent d’une norme peut simplement témoigner du fait qu’elle est onéreuse, qu’elle impose des obligations représentant pour ses destinataires un sacrifice important, voire démesuré, et que dès lors les conséquences de sa violation sont jugées préférables aux effets de son application» (A.-M. FERNANDES, « Réflexions sur l’effectivité en droit du travail à partir du cas portugais, in L’effectivité 15 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 14 bis. S’il est certain que ce sombre constat ne favorise pas une application effective du droit de la représentation collective et nécessite de le rendre plus simple et plus efficient, il n’en demeure pas moins que les acteurs de l’entreprise doivent aussi « surmonter les défiances qui les séparent trop souvent et renoncer à des postures dépassées92 » qui engendrent nombre de contentieux. En outre, l’incapacité du législateur et des partenaires sociaux à entreprendre une réforme d’ampleur ne doit pas conduire à l’inapplication du droit de la représentation collective. Sa complexité et son coût pourraient justifier, en revanche, une application négociée, en fonction notamment de la taille de l’entreprise ou de la nature de son activité, et une certaine mesure dans les décisions ou, le cas échéant, les sanctions prononcées par les organes de contrôle. L’application du droit de la représentation collective doit se faire à la lumière de l’intérêt économique de l’entreprise, lequel doit être au cœur des décisions des organes de contrôle. II. 15. Des débats La sanction pénale joue « un rôle particulièrement important, qui illustre à quel point l’ordre public est intéressé à l’application des prescriptions du droit du travail, mais aussi la confiance limitée que fait le législateur aux sanctions civiles93 ». Le droit du travail s’inscrit dans « une forte tradition répressive94 ». A jailli un authentique droit pénal du travail destiné à accroître l’effectivité du droit du travail95. Le droit de la représentation collective n’échappe pas à la sanction pénale, le délit d’entrave sanctionnant l’inobservation de règles de fond et de forme en cette matière. Reste que l’inflation des dispositions pénales protégeant tant des valeurs essentielles que des valeurs accessoires est de nature à affaiblir la sanction pénale elle-même, et plus largement, le droit du travail. Dès lors, « cette floraison pénale est-elle socialement du droit du travail. A quelles conditions ? », sous dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p.108). 92 Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, Rapport au Premier Ministre, L. GALLOIS, 5 nov. 2012, p. 56. 93 J. RIVERO, J. SAVATIER, Droit du travail, Thémis-PUF, 13ème éd., 1993, p. 44. A cet égard, la sanction civile suppose une action en justice du « créancier-salarié » lequel reste peu enclin à agir durant la durée de son contrat par crainte de représailles. 94 A. LYON-CAEN, « Sur les fonctions du droit pénal dans les relations de travail », Dr. social, 1984, p. 447. 95 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 16 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pertinente ?96 ». L’étude sommaire des systèmes répressifs étrangers en droit du travail (A) est de nature à enrichir le débat national (B). A. Droits d’ailleurs 16. Dualité. Deux systèmes peuvent être distingués : le système mixte et le système unique de répression97. La plupart des pays ayant opté pour ce dernier98 ont choisi la voie répressive judiciaire (1°). A l’opposé, l’Allemagne, la Belgique, la Grèce, le Suède, la Suisse, la Pologne, l’Espagne99 et le Portugal ont adopté un système mixte (2°). 1°. 17. Le système unique de répression Nature des sanctions. La plupart des pays étrangers recourent, à l’instar de la France, à la sanction pénale prononcée par une juridiction répressive. Ces systèmes sont qualifiés de « système de sanctions entièrement judiciaire100». La nature des sanctions pénales diverge peu selon les pays. Les règles de droit du travail sont notamment assorties de peines d’emprisonnement, de peines d’amende, de la publication de la décision de justice, de l’interdiction de concourir à des marchés publics101. 18. Danemark102. Comme en France, les inspecteurs du travail sont chargés d’opérer les constatations dans le cadre de leurs activités de surveillance et, le cas échéant, de consigner par écrit les griefs, les preuves, l’identité des personnes poursuivies ; ils doivent procéder à une estimation de l’amende pour chaque infraction 96 B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940. La distinction est empruntée à : J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p.46. 98 A l’exception du Pérou 99 Proposées par l’inspection du travail, les sanctions sont prononcées par une autorité administrative et peuvent être contestées par l’employeur devant le juge. 100 P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 77. 101 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995. - P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 76. 102 Le Danemark, à l’image de nombreux pays d’Europe du nord tels que le Royaume-Uni, l’Irlande, les Pays-Bas, a adopté un système d’inspection du travail spécialisé consacré exclusivement au domaine de l’hygiène et de la sécurité. L’étude de ce système répressif n’en conserve pas moins un intérêt certain s’agissant de la prise en considération par la législation danoise du caractère économique de l’infraction dans la définition de la sanction pénale. 97 17 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 commise. La plainte est ensuite déposée auprès du commissaire de police chargé des fonctions du ministère public. Ce dernier a la possibilité d’interrompre l’action judiciaire en fixant lui-même une amende libératoire. Déterminé par le ministère public, son montant varie en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction. L’auteur de l’infraction dispose d’un délai de dix à vingt jours pour l’acquitter103. A défaut de paiement ou si la nature et la gravité de l’infraction le justifient, les poursuites pénales peuvent être mises en œuvres : la législation danoise, à l’instar de la législation hollandaise104, prend en considération « le caractère économique de l’infraction commise105» dans la définition des sanctions pénales. En témoigne le recours à l’emprisonnement administratif « caractérisé par un allégement des conditions d’incarcération106 ». De même, parmi les sanctions accessoires, le juge a la possibilité de prononcer une majoration de l’amende « pour tenir compte des profits indûment réalisés107 ». 19. Italie108. Les inspecteurs du travail italiens disposent de pouvoirs identiques de constatation des infractions. Une fois établi, le constat est remis au directeur de province lequel a 48 heures pour le transmettre au procureur, lequel dispose du pouvoir d’engager ou non les poursuites109. La possibilité est offerte à l’auteur de l’infraction d’informer le procureur de sa volonté de payer une amende avant que le juge n’ait rendu son jugement. Il revient au procureur d’apprécier, en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction, s’il y a lieu de recourir à cette mesure alternative aux poursuites. Cette procédure présente des similitudes avec l’amende de composition versée au 103 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 34. 104 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 225. 105 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 48. 106 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 37. 107 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 38. 108 L’Italie, à l’image de nombreux pays d’Europe du sud (Espagne, Portugal, Grèce, etc.), a adopté un système d’inspection qui relève d’un modèle généraliste. A cet égard, les solutions retenues par la loi italienne en matière d’hygiène et de sécurité peuvent être étendues à l’ensemble du droit du travail italien (J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 51). 109 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 175. 18 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Trésor public retenue par le Code de procédure pénale français. Elle en diffère, toutefois, en ce qui concerne son champ d’application. Si l’oblation italienne est applicable dans tous les domaines, l’amende de composition française est limitée à certains délits110. Le cas échéant, une sanction pénale pourra être prononcée par le juge111. 20. Pérou. Si la très grande majorité des Etats recourt à un système de répression judiciaire, le Pérou connaît un système unique de répression administrative. Au sein du ministère du Travail péruvien, une direction technique est chargée de contrôler et de faire appliquer la législation du travail et de gérer un fonds des amendes administratives112. Si l’inspecteur du travail péruvien peut imposer aux employeurs de se conformer à la législation du travail, il ne peut en revanche prononcer de sanctions administratives. Ces dernières peuvent l’être, après le dépôt d’un rapport de l’inspecteur, par son supérieur hiérarchique113. 2°. 21. Le système mixte de répression Etendue. La Belgique, l’Allemagne, la Grèce, la Suède, la Suisse, la Pologne, l’Espagne et le Portugal ont adopté un système mixte de répression. Une distinction doit être opérée entre les régimes combinés et les régimes subsidiaires de répression. Parmi les pays référencés, seule la Belgique a institué un régime subsidiaire. Lorsqu’une infraction est constatée, l’engagement de la procédure permettant d’infliger des amendes administratives dépend de l’engagement ou non par le représentant du ministère public de poursuites pénales114. Les autres pays référencés ont recours à un système associant les sanctions administratives et les sanctions pénales. Mises en œuvre 110 C. proc. pén., art. 41-2. Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 177. 112 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 58. 113 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 59. 114 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 13. Voir infra Partie II, Titre I, Chapitre II. 111 19 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 par l’administration du travail de manière générale, les sanctions administratives constituent un élément clé de son action115. 22. Motivation. A l’exception du Portugal et de l’Espagne, pour lesquels le recours à la répression administrative résulte davantage de leur histoire nationale116, ce sont les défaillances des systèmes de poursuites pénales qui ont conduit ces pays à recourir à un système de poursuites administratives. Ainsi, la lenteur de la procédure, l’inertie des autorités directrices de l’action publique ou la faiblesse des sanctions prononcées sont autant de justifications avancées par les Etats pour recourir à ces sanctions117. A cet égard, le système de poursuites pénales français fait face aux mêmes défaillances. B. Droit d’ici 23. Inefficacité. Depuis les années 1970, le constat de l’ineffectivité du droit du travail est largement partagé. Parmi les facteurs d’ineffectivité, la question du droit pénal du travail a dominé les débats118. D’aucuns considèrent que « la menace de sanctions civiles, voire pénales, ne suffit pas toujours à vaincre la résistance119 » d’un employeur. De surcroît, l’inspection du travail « qui veille au respect des lois et exerce une magistrature de persuasion, est parfois impuissante120». Encore aujourd’hui, la question de l’effectivité du droit du travail est liée à celle du droit pénal du travail. Pour de nombreux auteurs, l’amélioration du droit pénal du travail serait de nature à garantir 115 Pour une présentation des systèmes répressifs des pays référencés : Voir infra Partie II, Titre I, Chapitre II. 116 Les régimes autoritaires de Franco et de Salazar ont privilégié le recours à une forte répression administrative. 117 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 59. 118 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375 ; Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité et ineffectivité du droit du travail », Dr. social, 1996, p. 603. 119 G.-H. CAMERLYNCK, G. LYON-CAEN, Droit du travail, Dalloz, 6ème éd., 1973, p. 34. 120 G.-H. CAMERLYNCK, G. LYON-CAEN, Droit du travail, Dalloz, 6ème éd., 1973, p. 34. 20 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’effectivité du droit du travail121, ce qui conduit à se retourner vers l’inspection du travail122. 23 bis. Au-delà de la question des moyens matériels et humains123 qui a, en tout ou partie, été résolue par l’adoption du plan de modernisation de l’inspection du travail124, l’inefficacité de ses contrôles tient à l’appréhension, par les inspecteurs, du procèsverbal trop souvent perçu comme un « constat d’échec125 ». Cette appréhension est accentuée par la crainte d’un désaveu symbolisé par le classement sans suite opéré par le ministère public126. L’ineffectivité résulte aussi de la qualité des procès-verbaux et de la lenteur de leur transmission au ministère public127, surtout en raison du « filtrage » opéré par le directeur d’unité territoriale. Reste que le nombre de procès-verbaux dressés par rapport au nombre d’infractions constatées est extrêmement faible. Enfin, l’inspection du travail connaît, depuis l’adoption du plan de modernisation de 2006, de profondes mutations. Outre la création de nombreux postes, le ministère du travail a entendu se doter d’une véritable politique du travail en déterminant des priorités de contrôle. L’objectif est d’accroître l’effectivité du droit et l’efficacité des contrôles. Certains changements organisationnels sont perceptibles. Ils ont donné lieu à la définition d’une politique du travail articulée autour de dix-huit objectifs. Leur trop 121 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social 2000, p. 962 - Th. KAPP, J-P. TERRIER, P. RAMACKERS, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 39 ; Ph. AUVERGNON, Etude sur les sanctions et mesures correctives de l’inspection du travail : le cas de la France, Rapport BIT, avr. 2011, p. 2. 122 Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité et ineffectivité du droit du travail », Dr. social, 1996, p. 603. - l’ineffectivité du droit existant résulte moins de son inefficacité que de celles (inefficacité) des institutions qui en contrôlent son application (Ph. AUVERGNON, Une approche comparative de la question de l’effectivité du droit du travail, in L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions ?, sous dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p. 31. Voir aussi A. JEAMMAUD, E. SERVERIN, « Evaluer le droit », D. 1992, chron. p. 265). 123 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375 ; V. VIEILLE, « Inspecter le travail ou veiller à l’application du droit du travail : une mission impossible ? », Dr. social, 2006, p. 670. 124 Trois séries de réformes depuis 2006 sont menées par le Ministère du Travail : 1) Le plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail ; 2) Les rapports de l’inspection du travail de 2006 à 2010 (La documentation française) ; 3) L’instruction de la DGT n° 2011-01 du 18 janvier 2011 relative à l'évaluation des actions engagées au niveau régional dans le cadre du PMDIT et de la fusion des services d'inspection du travail (BOMT, 28 févr. 2011, n° 2). 125 Ch. LAZERGUES, « La constatation de l’infraction et les poursuites pénales », Dr. social, 1984, p. 484. 126 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 959. 127 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 21 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 grand nombre demeure néanmoins un « facteur de dispersion128». La politique du travail peine à trouver sa place, les inspecteurs du travail restant profondément attachés à leur indépendance. Toutefois, l’ineffectivité du droit du travail, et singulièrement du droit de la représentation collective, ne résulte pas du seul comportement de l’inspection du travail. Elle résulte aussi de l’inaction du ministère public, laquelle se traduit en pratique par un fort taux de classement sans suite et un faible nombre de condamnations129. A l’exception de certaines infractions relatives à la santé et à la sécurité dans l’entreprise et à celles relatives au travail illégal, les infractions en droit du travail ne sont pas prioritaires pour le ministère public130. Ardemment souhaitée, la définition d’une véritable politique pénale du travail131 est restée lettre morte132. Mais au-delà de la faiblesse des taux de poursuite et de condamnation et de l’inefficacité des organes de contrôle, « l’insuffisance des sanctions prévues et la faiblesse des peines prononcées sont présentées comme autant de facteurs supplémentaires d’ineffectivité du droit pénal du travail, ce qui pose la question de la place de la sanction pénale en droit du travail133». 24. Inadéquation. A la logique tendant à l’aggravation des sanctions pénales existantes s’oppose celle visant à procéder à une dépénalisation d’ampleur. D’aucuns134 considèrent que l’effectivité du droit du travail ne peut être assurée qu’en procédant à une aggravation des sanctions pénales. La faiblesse de la répression constitue « une 128 M. SAPIN, Réunion des DIRECCTE, 27 juin 2013, http://www.sud-travail-affaires-sociales.org. Toutefois, il faut « se garder d’interpréter cette disproportion entre faits constatés et faits sanctionnés comme une preuve d’ineffectivité du droit » (E. SERVERIN, «L’application des sanctions pénales en droit social : un traitement juridictionnel marginal », Dr. social, 1994, p.657). 130 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 959. 131 Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité et ineffectivité du droit du travail », Dr. social, 1996, p. 603. 132 Th. KAPP, J.-P. TERRIER, P. RAMACKERS, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 25. 133 Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011, n°49, p. 40. 134 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375 ; J.-C. JAVILLIER, Droit du travail, LGDJ, 1978, p. 43 ; C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 31 ; J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, Tome I et II, La Documentation Française, 2004 ; C.-E. TRIOMPHE, Mutation du travail, transformations de l’action publique et effectivité du droit : les défis de l’inspection du travail française, in L’effectivité du droit du travail, A quelles conditions ?, sous dir. Ph. AUVERGNON, Presses universitaires de Bordeaux, 1ère éd., 2007, p. 228. 129 22 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 véritable incitation à l’ineffectivité135 ». La nature de la sanction, la faiblesse de son quantum, l’imputation du paiement de l’amende sur les frais généraux136, d’une part, et la pratique de la délégation de pouvoirs, largement admise par les juges du fond (au mépris des conditions strictes posées par la chambre criminelle de la Cour de cassation137), l’enthousiasme du juge à mettre en œuvre la responsabilité de la personne morale, d’autre part, sont autant d’arguments, plus ou moins convaincants, avancés par les partisans d’une aggravation de la sanction pénale en droit du travail. Pour ces auteurs, la sanction civile et la sanction administrative sont à proscrire en ce qu’elles ne contribuent « qu’insuffisamment à l’amélioration de l’effectivité du droit138». La seule sanction pénale, « nécessaire139 » et « essentielle140 », serait de nature à garantir l’effectivité du droit du travail141. Le recours à la voie pénale serait, en outre, justifié par la volonté de protéger les salariés « en raison de leur faiblesse économique vis-à-vis des chefs d’entreprise142 ». Pour d’autres, la sanction pénale étant banalisée et déconsidérée, seule une dépénalisation d’ampleur est de nature à renforcer l’effectivité du droit du travail. Ainsi, selon ces auteurs143, la prolifération des sanctions pénales emporte extinction de tout effet préventif et dissuasif144 et banalise les poursuites145. En témoigne notamment le 135 L’expression est empruntée à : Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011, n° 51, p. 40. 136 Doc. Ass. Nat., n°2343, Annexe au procès-verbal de la séance du 23 mai 1972, p. 12. 137 C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 31 ; A. COEURET, « La nouvelle donne en matière de responsabilité », Dr. social, 1994, p. 634. 138 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 959. 139 A. LYON-CAEN, « Sur les fonctions du droit pénal dans les relations de travail », Dr. social, 1984, p. 438. 140 Y. LEROY, L’effectivité du droit au travers d’un questionnement en droit du travail, Thèse, LGDJ, coll. Droit social, 2011, n° 51, p. 40. 141 P. RENNES, « Après un colloque… Réflexions sur quelques idées reçues », Dr. ouvrier, 1985, p. 47. 142 M. COHEN, « Les tendances actuelles du droit pénal du travail », Dr. ouvrier, 1981, p. 438. « Il serait dangereux de vouloir trop tôt se dépouiller du seul moyen de rendre effectives les mesures de protection que le législateur a instituées au profit des travailleurs » (R. MERLE, A VITU, Droit pénal spécial, Cujas, 1983, t. I, p. 865). 143 J.-F. CESARO, « La norme pénale, l’entreprise et le droit du travail », Dr. social, 2005, p. 135. ; B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940. 144 Le rapport VIRVILLE considère que « si le nombre de sanctions susceptibles d’être prononcées est très élevé, les sanctions réellement infligées sont rares. (…) Il s’est ainsi créé progressivement un décalage entre le droit et la réalité qui habitue les acteurs à prendre des accommodements avec les règles voire à ne pas les appliquer. (…) Banalisée et déconsidérée, la sanction pénale perd son effet dissuasif » (M. de VIRVILLE, « Pour un Code du travail plus efficace », Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 15 janv. 2004, p. 23). 145 B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940. 23 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 refus de l’inspection du travail de dresser un procès-verbal pour les infractions de faible gravité en raison notamment de la disproportion existant entre la faute et la sanction prévue146. De surcroît, la banalisation de la sanction pénale est accrue par la méconnaissance du principe d’intentionnalité qui conduit le juge à condamner l’employeur sans se soucier du but recherché. Enfin, la sanction pénale n’est plus dissuasive : le chef d’une entreprise familiale « redoute la sanction, mais il l’assume comme une fatalité147 » ; de même le chef d’une grande entreprise sera à l’abri de toute poursuite grâce à une délégation de pouvoirs ou parce que la responsabilité pénale sera imputée à la personne morale. 24 bis. Par le passé, le large recours à la sanction pénale était justifié tant par le caractère novateur des dispositions à mettre en application que par leur contrariété aux intérêts pécuniaires de ceux qui devaient les observer148. Aujourd’hui, « le droit social n’est plus un enfant sans défense qui a besoin d’un réseau serré d’incriminations destinées à dissuader ceux qui pourraient lui vouloir du mal ; il est devenu adulte et c’est en assurant par des sanctions efficaces, mais non pénales, l’observation des détails de la réglementation qu’il édicte, qu’il ferait preuve de la maturité que ceux qui le servent attendent de lui149 ». La maturité du droit du travail commande que le champ du droit pénal soit revu. A cet égard, les partisans de la dépénalisation s’entendent sur la nécessité de cantonner la sanction pénale aux infractions qui portent une atteinte délibérée à des normes fondamentales150. La sanction pénale réprimerait les comportements les plus graves151, c’est-à-dire les infractions qui mettent en cause la santé, la sécurité ou l’intégrité des salariés, mais aussi les atteintes portées à leurs droits fondamentaux parmi lesquels le droit syndical et le droit des instances de représentation 146 M. de VIRVILLE, « Pour un Code du travail plus efficace », Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 15 janv. 2004, p. 23. 147 B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940. 148 G. LEVASSEUR, « Droit social et droit pénal », in Etudes de droit du travail offertes à André BRUN, Librairie sociale et économique, 1974, p. 319. 149 G. LEVASSEUR, « Droit social et droit pénal », in Etudes de droit du travail offertes à André BRUN, Librairie sociale et économique, 1974, p. 336. 150 « Le droit répressif correspond à ce qui est le cœur, le centre de la conscience commune » (E. DURKHEIM, De la division du travail social, 1893, PUF, 1998, p. 81) . 151 Pour une liste des infractions qui sortiraient du champ pénal : J.-F. CESARO, « La norme pénale, l’entreprise et le droit du travail », Dr. social, 2005, p. 135. 24 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 du personnel152. Pour le surplus, c’est-à-dire pour les infractions ne relevant plus du champ pénal, des sanctions d’ordre administratif ou civil seraient appelées à se substituer aux actuelles sanctions pénales153. III. 25. Des réponses Un préalable. De la sanction pénale, le champ d’action doit être strictement délimité. Faisons nôtre la distinction retenue par les partisans d’une dépénalisation partielle du droit du travail. Cette distinction cantonne la sanction pénale aux infractions portant une atteinte aux droits fondamentaux. Garantie par les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946, nul ne saurait contester la valeur constitutionnelle du droit de la représentation collective. Toutefois, la valeur fondamentale de ce droit ne concerne-t-elle pas davantage la mise en place et l’exercice des attributions des instances élues ou désignées de représentation du personnel que leurs conditions de fonctionnement ? Ce droit tend, en effet, à assurer aux salariés la possibilité « de participer par l'intermédiaire de [leurs] délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises154 ». Les thèmes ouverts à cette « participation » visent moins le fonctionnement des instances de représentation du personnel que leurs attributions. La réalisation de l’objectif, à savoir l’information ou la consultation d’une instance élue, prime sur la forme de cette information ou de cette consultation. Au regard d’une telle distinction, la sanction pénale réprimerait les comportements les plus graves, c’est-à-dire les infractions d’entrave relatives aux 152 Ph. LANGLOIS, « La simplification du droit du travail », in Institut de l’entreprise, Réflexions sur la simplification du droit du travail », www.institut-entreprise.fr, p. 30 et 52 ; M. de VIRVILLE, « Pour un Code du travail plus efficace », Rapport au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 15 janv. 2004, p. 23 ; B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940 ; B. TEYSSIE, « Sur l’entreprise et le droit du travail : prolégomènes », Dr. social, 2005, p. 128 ; J.-F. CESARO, « La norme pénale, l’entreprise et le droit du travail », Dr. social, 2005, p. 135 ; D. LARGER, « La conscience commune en droit du travail (encore quelques mots sur l’ineffectivité…), Dr. social, 1983, p. 107. ; A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 36 ; J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 271 et s. ; G. LEVASSEUR, « Droit social et droit pénal », in Etudes de droit du travail offertes à André BRUN, Librairie sociale et économique, 1974, p. 319. 153 « Le souci d’ineffectivité, qui inspire assurément les incriminations pénales (…) pourrait stimuler l’invention de sanctions administratives » (J. PELISSIER, G. AUZERO, A. JEAMMAUD, Droit du travail Dalloz, 22ème éd., 2004, n°43, p. 59) ; B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940. ; J.-H. ROBERT, « L’alternative entre les sanctions pénales et les sanctions administratives », AJDA, 2001, p. 90 et s. ; A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 36. 154 Constitution 4 oct. 1958, Préambule de la Constitution de 1946, al. 8. 25 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 prérogatives155 ou celles qui affectent la mise en place des institutions représentatives du personnel et des instances syndicales dans l’entreprise156. Pour le surplus, c’est-àdire pour les infractions qui se rapportent aux aspects procéduraux du fonctionnement des instances de représentation du personnel157, des sanctions d’un autre ordre seraient appelées à se substituer aux sanctions pénales158. 26. Des questions. La question des sanctions apparaît centrale dans un débat sur l’effectivité du droit de la représentation collective. L’étude des outils répressifs commande de poursuivre plus avant sur la place de la sanction pénale. L’application du principe d’intentionnalité ne serait-elle pas de nature à éviter les effets de la banalisation de la sanction pénale ? Ne faut-il pas revoir la ligne de partage des responsabilités dans l’entreprise à la lumière des fonctions occupées par chacun des acteurs ? Une prise de conscience de l’importance du droit de la représentation collective dans l’entreprise par les organes de contrôle ne doit-elle pas être mieux assurée ? L’appréhension renouvelée du champ d’application de la voie pénale ne doit-elle pas être accompagnée d’une revalorisation du quantum des peines et de la recherche de sanctions innovantes permettant d’accroître chez l’ensemble des acteurs de l’entreprise la perception du risque pénal ? Au-delà de la voie répressive, d’autres voies ne mériteraient-elles pas d’être exploitées ? Le caractère collectif du droit du travail n’est-elle pas de nature à servir son effectivité ? L’appréhension du droit de la représentation collective par ses acteurs, moyennant notamment la conclusion d’un accord collectif, ne permet-il pas de favoriser la prévention des conflits et des contentieux qui peuvent en résulter ? Ce droit 155 P. MORVAN, «Le droit pénal des institutions représentatives du personnel », Dr. social, 2000, p. 967 ; J. LARGUIER, A.-M. LARGUIER, « Le délit d’entrave aux fonctions des représentants du personnel », Dr. social, 1967, p. 550 ; J. DUTERTRE, « Le délit d’entrave à l’exercice du droit syndical dans les entreprises », Dr. social, 1972, p. 222 ; A. COEURET, « Entrave et discrimination », Dr. ouvrier, déc. 1987, p. 447 ; N. ALVAREZ-PUJANA, « Le délit d’entrave ou d’atteinte au fonctionnement des institutions représentatives du personnel et à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise », Dr. ouvrier, 1990, p. 77 ; A. TESSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 156 C. trav., art. L. 2242-1. 157 A titre d’exemple : l’établissement de l’ordre du jour des réunions, la transmission dans les délais impartis de l’ensemble des documents utiles à l’information et à la consultation. Pour une classification des délits d’entrave : P. MORVAN, «Le droit pénal des institutions représentatives du personnel », Dr. social, 2000, p. 967. 158 J. PELISSIER, G. AUZERO, A. JEAMMAUD, Droit du travail Dalloz, 22ème éd., 2004, n°43, p. 59 ; B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940 ; J.-H. ROBERT, « L’alternative entre les sanctions pénales et les sanctions administratives », AJDA, 2001, p. 90 et s. ; A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 36. 26 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 ne gagnerait-il pas en effectivité si l’intérêt économique de l’entreprise était une préoccupation partagée des élus, des entreprises et des organes de contrôle ? A cet égard, comment l’administration du travail peut-elle faire évoluer positivement les pratiques de l’employeur en vue de rendre plus effective l’application du droit du travail, singulièrement du droit de la représentation du personnel ? Enfin, dans quelle mesure la réduction du champ d’application de la voie pénale ne restreint-elle pas la place de la sanction civile dans le droit de la représentation collective ? La voie pénale est importante (Partie 1) mais elle n’est plus que l’une des composantes d’un orchestre au sein duquel une place doit être attribuée à la voie extra-pénale (Partie 2). A chacune de jouer sa partition. 27 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Partie I - L’effectivité du droit de la représentation collective assurée par la voie pénale : la tradition 27. Le juge répressif a vocation à donner application aux dispositions composant le droit pénal du travail159. Eu égard notamment à la complexité des normes en vigueur et des choix de politique pénale du ministère public, cette voie est loin de garantir l’effectivité de la règlementation sociale. A la vérité, l’assurer est d’abord l’affaire de l’employeur et des représentants du personnel ; elle ne relève qu’au second degré de l’administration du travail et des juges. Les uns doivent faire vivre au quotidien le droit de la représentation du personnel… sous la menace de la sanction pénale (Titre I). Les autres contrôlent le respect de la norme et en sanctionnent la violation (Titre II). Assurer l’effectivité du droit de la représentation collective suppose l’effort de tous et au-delà, dans certains cas, une évolution profonde des regards, des pratiques et des normes. 159 Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social, 1987, p. 510. 28 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Titre I - Une identification effective des responsables 28. Caractéristiques. Le délit d’entrave est « tentaculaire160 » et impersonnel. Tentaculaire car il mêle l’essentiel et l’accessoire. Les éléments de réflexion relatifs à la place du droit pénal dans le droit de la représentation du personnel ont conduit à distinguer les entraves au fonctionnement des instances élues ou désignées de celles mises à l’exercice de leurs attributions161. Afin d’éviter toute banalisation de la sanction pénale, il importe qu’elle soit réservée aux entraves mises au déploiement des missions des représentants du personnel et ce de manière intentionnelle. L’auteur de l’entrave doit avoir voulu le résultat (Chapitre I). Assurer, l’effectivité du droit de la représentation collective suppose en outre que la sanction affecte directement la personne physique auteur du délit, ce qui induit une appréciation stricte des conditions de mises en œuvre de la responsabilité des personnes morales (Chapitre II). 160 P. MORVAN, « Le droit pénal des institutions représentatives du personnel », Dr. social, 2000, p. 987. Sur la place du droit pénal dans le droit du travail et spécialement du droit de la représentation collective : Voir supra : n°25. 161 29 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Chapitre I - L’appréhension de l’intention 29. Le délit d’entrave est une infraction intentionnelle162. Mais si, naguère, les juges du fond163 exigeaient un dol spécial, donc « l’intention dans laquelle les agissements ont été commis et qui s’ajoute au dol général164 », la Cour de cassation se contente d’un dol général, soit « le fait d’accomplir les agissements matériels incriminés par la loi en connaissance de cette incrimination165 ». La volonté consciente de l’agent d’enfreindre la loi pénale et d’en assumer les conséquences et le caractère volontaire de l’acte ou de l’omission suffisent à caractériser l’intention166. Retenant une appréciation in abstracto, le juge raisonne en fonction de ce que la personne poursuivie « devait savoir ou ne pouvait pas ne pas savoir167 ». La simple constatation du caractère volontaire de l’action ou de l’omission suffit168. 30. Cette construction jurisprudentielle permet une application étendue du délit d’entrave, ternie par le manque d’équité qui la caractérise, la Cour de cassation n’hésitant pas à admettre que l’élément intentionnel se déduit de simples « faits constatés169», « de l’infraction constatée170», « d’une omission171». Elle opère un renversement de la charge de la preuve au détriment de la personne poursuivie… moyennant quoi si les employeurs sont nombreux à redouter la sanction pénale, ils 162 « L’article 24 de l’ordonnance du 22 février 1945 organisant les comités d’entreprise le prévoyait expressément dans sa rédaction initiale et la suppression de l’adverbe « intentionnellement » opérée par la loi du 5 juillet 1972 a simplement visé à harmoniser ce texte avec les incriminations analogues à l’exclusion d’un quelconque changement dans la nature de l’infraction » A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 651, p. 412. 163 Alger, 3 juill. 1948 : JCP G, 1949, II, 4699 ; T. corr. Seine, 23 déc. 1948 : JCP G, 1949, II, 4779, note S. DURETESTE ; Douai, 10 juill. 1952 : D. 1953, p. 72 ; Montpellier, 8 déc. 1953 : D. 1954, p. 195. 164 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. 165 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. 166 Cass. crim., 15 fév. 1994 : JCP G, 1994, IV, n° 1209 ; Cass. crim., 17 fév. 1998 : Dr. ouvrier 1998, p. 429. 167 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 652, p. 413. 168 Cass. crim., 22 mars 1994, n° 93-82312 : RJS, 1994, n° 881; Cass. crim., 6 fév. 2007, n° 06-82744, inédit. 169 Cass. crim., 10 fév. 1972, n° 71-90395 : Bull. crim., 1972, n° 56 : « que le caractère intentionnel de cette entrave se déduit nécessairement des faits constatés ». 170 Cass. crim., 28 oct.1980, n° 85-90717, inédit. 171 Cass. crim., 29 juin 1982, n° 81-93572 : Bull. crim., 1982, n° 179 ; Cass. crim., 28 nov. 1989, n° 8982015 : Bull. crim., 1989, n° 452. 30 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’assument comme une fatalité172. Exposés au prononcé d’une peine même en l’absence de toute intention de nuire, ils ont le sentiment de ne pouvoir échapper à la mise en cause de leur responsabilité. Rendre sa place à l’élément intentionnel serait nécessaire (Section I). L’intention de nuire doit être caractérisée (Section II). Section I - L’appréhension générale de l’intention 31. La conception civiliste du dol implique l’intention de nuire173 (§I). Tel n’est pas le cas, en revanche, en matière pénale. L’élément moral peut être déduit de la seule constatation que l’infraction a été volontairement réalisée (§II). L’appréhension de l’intention n’obéit pas aux mêmes canons (§III). §I. Le dol en droit civil 32. partie Il n’est de dol « qu’intentionnel, impliquant le dessein de nuire à l’autre 174 ». Du droit romain (I) au Code civil de 1804 (II), l’intention de nuire en a invariablement constitué un élément clé. I. 33. L’élément intentionnel du dol à travers les âges Droit romain. Le droit romain distinguait le bonus dolus du malus dolus. Le bonus dolus ne pouvait être réprimé en lui-même. Il s’agit de « l’habilité dans les affaires, de la capacité à tirer parti de certaines situations sans appréciation morale 175 ». Le malus dolus pouvait en revanche faire l’objet d’une sanction. Il se caractérise par 172 B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940. Un parallèle peut être établi avec le droit pénal. Le dol est mis en parallèle par de nombreux auteurs avec l’infraction d’escroquerie. (C. pén., art. 313-1). Le Code pénal emploie le terme de manœuvres frauduleuses (J. CARBONNIER, Droit civil. Vol. II, (Les biens. Les obligations), PUF, 2004, Collection Quadrige, n° 957, p. 1992 ; Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 502, p.250; J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil : Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey, 15ème éd., 2012, n° 211, p. 198). 174 J. CARBONNIER, Droit civil. Vol. II, (Les biens. Les obligations), PUF, 2004, Collection Quadrige, n° 957, p. 1992. 175 Carcaterra cité in D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 514. 173 31 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 « l’utilisation avec mauvaise foi (avec la conscience de nuire) de manœuvres entrainant l’une des parties à contracter malgré elle176 ». Le dol est considéré comme un délit en droit romain. Un élément matériel et un élément intentionnel sont les deux caractéristiques déterminantes du dolus malus177. Seul l’élément intentionnel retient notre attention. Ulpien mettait déjà en valeur le lien entre le dol et l’erreur, lien qui subsiste encore de nos jours. Ainsi, commet un dol celui qui « manœuvre, simule en vue de tromper l’autre178 ». L’idée de tromperie, d’intention de nuire existe dès le droit romain et constitue un caractère déterminant du délit. 34. Droit savant. Les romanistes ou glossateurs ont créé une distinction retenue par l’ensemble de la doctrine, au fondement de notre ancien droit : il faut distinguer « le dolus dans causam contractui, manœuvres dont l’effet a été véritablement de déterminer le consentement au contrat, du dolus incidens sans lequel la victime aurait quand même contracté mais sans doute à des conditions meilleures pour elle179 ». Cette distinction apparaît dans les premiers écrits savants comme la Summa Trecensis ou Lo Codi. Elle sera reprise par Durand au XIVe siècle et par Masuer180. 35. Droit canonique. Si les canonistes n’élaborent pas une théorie du dol, ils s’accordent pour « réprouver, dans tous les actes juridiques, l’usage de manœuvres dolosives181 ». Au XIIIe siècle, Saint Thomas enseignait qu’il n’y a pas d’acte de volonté, c’est-à-dire de consentement, sans un acte ou un mouvement de l’intelligence de l’homme182. Le consentement contractuel n’est pas tant « un résultat qu’un processus, une opération intellectuelle mettant en œuvre les facultés mentales et 176 Labéon, cité in D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 516. « Or, la définition de Labéon, que l’on peut considérer comme authentiquement classique, énumère dans un ordre croissant de gravité les différents comportements qui donnent lieu à l’actio doli : la calliditas ad circumveniendum (habilité grâce à laquelle une partie tire profit de l’erreur ou de l’ignorance de l’autre), la fallacia ad fallendum (mensonge qui induit l’autre partie) et la machination ad decipiendum qui suppose des manœuvres, une mise en scène en vue tromper » (D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 516). 178 Ulpien, D. 2. 14. 7. 9 cité in D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 517. 179 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 522. 180 Cité in D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 520. 181 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2 ème éd., 2012, p. 521 - Pour Saint Ambroise, « en toute chose il faut d’abstenir du dol » (generalier in omnibus, dolus abesse debet) (D. DEROUSSIN, op. cit, p. 520). 182 Saint Thomas, Les Sentences de Lombard (IV, 30, qu. 1) (cf. D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 521). 177 32 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 psychologiques de l’homme183 ». L’auteur poursuit et tire de cet enseignement plusieurs conséquences relatives aux capacités intellectuelles de contracter et à l’absence « de fausses représentations de la réalité, qu’elles soient spontanées (erreur) ou non (dol), ou par la contrainte (la violence)184 » venant altérer l’acte de volonté. 36. Coutume. Les droits coutumiers médiévaux s’intéressent non seulement « à l’authenticité mais aussi à l’intégrité du consentement185 ». Après le droit romain, ils accordent au juge le pouvoir de sanctionner l’acte juridique empreint de dol ou de violence par exemple. Le droit coutumier retient, sous la plume de Beaumanoir186, la notion de « tricherie ». Ce n’est qu’au XIVe siècle que le terme « dol », issu du droit romain, s’y substitue. L’élément moral est très présent dans le droit coutumier. Beaumanoir définit la tricherie comme « tout mensonge commis intentionnellement (« à escient ») dans le but de nuire à autrui (« pour autrui grever ») lors même que son auteur n’en tire pas profit187 ». L’intention occupe une place prépondérante chez Beaumanoir. Est conférée au dol une coloration morale188. 37. Ancien droit. Dans l’ancien droit, Domat définit le dol comme « toute espèce d’artifice dont quelqu’un se sert pour en tromper un autre en toute sorte d’engagement, soit volontaire, soit involontaire, il est défendu d’user de l’infidélité, de duplicité, de dol, de mauvaise foi et de toute manière de nuire et de faire du tort 189 ». L’idée de volonté de tromper, de nuire à autrui est très présente. Le dol est vu comme un délit qui suppose à la fois un élément moral, c’est-à-dire l’intention de nuire, de tromper l’autre, et un élément matériel. Cette analyse est présente chez Pothier pour qui le dol est constitué par des manœuvres d’une certaine gravité190. 183 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 521. D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 521. 185 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 523. 186 Ph. de BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvaisis, cité in D. DEROUSSIN, Histoire du Droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 526. 187 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 527. 188 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 527. 189 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 534. 190 « Il n’y a que ce qui blesse ouvertement la bonne foi qui soit, dans ce fort, regardé comme un vrai dol, suffisant pour donner lieu à la rescision du contrat tel que toutes les manœuvres et tous les mauvais artifices qu’une partie aurait employé pour engager l’autre à contracter ; et ces manœuvres doivent être pleinement justifiées » (R.-J. POTHIER, Traité sur différentes matières civiles, (Traité des obligations, Traité du contrat de vente), Paris , 1781, n° 28 et s.). 184 33 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 II. 38. L’élément intentionnel du dol depuis 1804 Le Code civil. Les auteurs du Code civil considèrent le dol comme un vice du consentement et une cause de nullité au même titre que l’erreur et la violence. Défini à l’article 1116 du Code civil, le dol est constitué « lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté191 ». Il a été « la cause du contrat192 ». Conjugué à un élément matériel d’une certaine gravité, l’élément moral est déterminant. Sont accomplis des actes positifs, des « manœuvres », visant à tromper l’autre au moment de contracter. Il peut s’agir de machinations, artifices, manipulations. Au juge est laissée une plus grande liberté pour l’appréciation des faits193, en tenant compte de la personnalité de la victime et de l’effet, sur elle, des manœuvres accomplies. 39. Un délit. Les conditions de « nécessaire gravité de l’acte, [et d’] exigence d’un lien de causalité entre les manœuvres et le consentement émis » rappellent la conception romaine du dol. Le Code civil fait émerger à côté de l’engagement contractuel un engagement délictuel. La loi enjoint de réparer le préjudice résultant du dol. La victime dispose de deux actions, l’une contractuelle, l’autre légale (délictuelle). 40. Jurisprudence. Pour de nombreux auteurs du XIXe siècle, le dol est surtout caractérisé par l’intention de nuire, un « but malhonnête194 ». Dès lors qu’elle développe chez le cocontractant l’idée de contracter, est caractérisé un dol principal ; le dol incident permet seulement d’engager la responsabilité civile du cocontractant sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. La jurisprudence retient cette distinction : l’annulation du contrat est prononcée par le juge lorsque le dol a été déterminant du 191 C. Civ., art. 1116. Notamment FAVART et FENET cité in D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 545. 193 FAVART remarque que « la loi, qui ne peut désigner tous les cas n’en doit désigner aucun : elle laisse aux tribunaux le soin de peser la gravité des circonstances et de juger de l’effet qu’elles ont dû produire sur tel ou tel individu » (cité in D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 545). Le juge bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation. 194 C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon. Traité des contrats, Paris, 1879, I, n° 175. Le terme de malhonnêteté se retrouve aussi chez le Doyen CARBONNIER « Le mot évoque une idée générale de malhonnêteté » (voir : J. CARBONNIER, Droit civil. Vol. II, (Les biens. Les obligations), PUF, 2004, Collection Quadrige, n° 957, p. 1992) ; voir aussi Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, Droit des obligations, LexisNexis, 12ème éd., 2012, n° 530, p. 414. 192 34 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 consentement (dol principal)195. Seuls des dommages-intérêts sont accordés en cas de dol incident196. Le caractère principal ou incident du dol s’apprécie, comme en matière de violence, in concreto197. La solution a été consacrée dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations rédigé sous la direction du Professeur CATALA. Le nouvel article 1111-1, al. 2 proposerait d’apprécier le caractère déterminant « eu égard aux personnes et aux circonstances ». Le dol suppose qu’une erreur soit provoquée mais la Cour de cassation n’assimile pas pour autant l’erreur au dol : « cette mise en relation signifie seulement que le dol suppose l’intention de tromper198 ». 41. Preuve. Le dol ne se présume pas ; il doit être prouvé par tous moyens199. La charge de la preuve repose sur la victime, c’est-à-dire sur la personne qui prétend avoir été trompée200. Des difficultés probatoires ont pu être relevées en matière de réticence dolosive. Selon, la Cour de cassation, le fait de ne rien dire, de ne pas renseigner son cocontractant sur certains éléments du contrat n’est pas constitutif d’un dol201 . L’infléchissement de l’analyse de la Cour de cassation a été progressif. Elle décide que le silence de l’une des parties est parfois facteur de dol202. Ce dernier peut naître du silence d’une partie dissimulant à son partenaire un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait dissuadé de contracter203. Au début des années 1980, la Cour achève cette construction204 en retenant « l’existence d’un dol à l’encontre du cocontractant qui n’a pas suffisamment attiré l’attention de l’autre partie sur des éléments d’ordre juridique, censés connus ou en tout cas susceptibles de l’être205 ». La réticence dolosive n’échappe 195 Cass. req., 9 nov. 1910, S. 1911, 1, 88. Cass. req., 14 juill. 1862, S 1862, 1, 849. 197 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 551. 198 D. DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, Economica, 2ème éd., 2012, p. 551. 199 C. civ., art. 1116, al. 2. 200 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 508, p. 254. 201 Cass. civ., 30 mai 1927 : D. hebdomadaire, 1927.416 ; Cass. com., 1er avr. 1952 : D., 1952, 685, note J. COPPER-ROYER - « Qui ne parle pas ne trompe pas » (J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil : Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey, 15ème éd., 2012, n° 212, p. 199). 202 Cass. com., 21 avr. 1959 : Bull. civ., 1959, n° 178, p. 162 ; Cass. civ. 1ère, 19 mai 1958 : Bull. civ., 1958, n° 251, p. 198. 203 Cass. civ. 3ème, 15 janv. 1971 : Bull. civ., 1971, n° 38, p. 25 ; RTD civ., 1971, p. 839, obs. Y. LOUSSOUARN. 204 Cet ensemble jurisprudentiel a largement contribué à la création de l’obligation précontractuelle d’information ; Cass. civ. 3ème, 3 fév. 1981 : D. 1984, 457, note J. GHESTIN. 205 F. TERRE, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 10ème éd., 2009, n° 233, p. 243. 196 35 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pas à l’exigence d’apporter la preuve de l’intention de nuire. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 juin 2005, a rappelé que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci206 ». L’avantprojet de réforme du droit des obligations rédigé sous la direction du Professeur CATALA consacrait cette jurisprudence retenant qu’un dol est caractérisé par suite de la dissimulation intentionnelle par un contractant d’un fait qui, s’il avait été connu de son partenaire, l’aurait dissuadé de contracter, au moins aux conditions convenues207. §II. Le dol en droit pénal 42. L’article L. 121-3 du Code pénal, dont il n’existait pas d’équivalent dans le Code de 1810, dispose qu’« il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre208 ». De la lecture de ce texte, deux enseignements peuvent être tirés. Il consacre en premier lieu le principe selon lequel la matérialité d’un crime ou d’un délit est subordonnée à l’existence d’une intention. Une infraction suppose non seulement un comportement, qualifié d’élément matériel, mais également « une attitude intellectuelle, un état d’esprit, une psychologie particulière, que l’on appelle l’élément intellectuel de l’infraction209». Le second enseignement vient tempérer le premier en ce que le Code 206 Cass. com., 28 juin 2005 : Bull. civ. 2005, n° 140; RTD civ., 2005.591, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; D. 2005. 2838, obs. S. AMARANI-MEKHI ; D. 2006. 2774, note P. CHAUVEL. Il n’en a pas toujours été ainsi. La Cour de cassation avait procédé pendant un temps à une simplification dans l’appréciation de l’élément intentionnel. La première chambre civile de la Cour de cassation avait jugé à l’occasion d’un contrat de cautionnement conclu entre une banque créancière et une caution, que le silence gardé par la banque sur la situation irrémédiablement compromise du débiteur était constitutif d’une réticence dolosive sans avoir établi l’élément intentionnel. Sans pour autant disparaître, l’élément intentionnel était présumé du seul fait du manquement à l’obligation précontractuelle d’information (Cass. civ.1ère, 13 mai 2003 : RTD civ., 2003, p. 700, obs. J. MESTRE et B. FAGES ; R. DESGORCES, note sous Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : JCP G, 2003, p. 1625 ; J. GHESTIN, note sous Cass. civ 1ère., 13 mai 2003 : JCP G, 2003, p. 1823 ; E MAZUYER, note sous arrêt Cass. civ. 1ère, 13 mai 2003 : D. 2004, 262). Cette simplification est largement critiquable car elle constitue « une présomption d’intention dolosive. (…) Il est vrai que la preuve de l’intention de tromper est une preuve difficile à rapporter, notamment pour le particulier face au professionnel. Cela n’autorise pas, cependant, à évacuer purement et simplement tout débat sur l’existence ou non d’une intention de tromper le cocontractant » (J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil : Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey, 15ème éd., 2012, n° 213-1, p. 203). 207 Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la presciption, P. CATALA, Rapport au Garde des Sceaux, Ministère de la Justice, Documentation Française, 2006. 208 C. pén., art. 121-3. 209 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 463, p. 423. 36 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pénal prévoit une série d’infractions non intentionnelles. Une distinction émerge entre les infractions selon que l’intention en constiue ou non un élément déterminant210. Le principe d’intentionnalité mérite attention (I) avant que ne soit étudiée son application (II). I. 43. Le principe d’intentionnalité L’affirmation du principe d’intentionnalité des crimes et délits par le Code pénal211 (A) exclut en théorie les délits « matériels », où l’infraction est constituée même en l’absence de toute faute d’imprudence ou de négligence212 (B). A. L’adoption d’une conception abstraite de l’intention 44. Notion. La notion d’intention coupable213 n’est pas légalement définie214. Elle apparait comme « une résolution intime d’agir dans un certain sens,[comme une] donnée psychologique qui, en fonction du but qui la qualifie, est souvent retenue comme élément constitutif d’un acte ou d’un fait juridique215 ». L’intention criminelle traduit « l’état psychologique de celui qui commet volontairement un fait qu’il sait 210 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, op. cit., n° 463, p. 423. Les crimes sont toujours des infractions intentionnelles et les délits le sont par principe, mais le législateur peut retenir des dispositions contraires (C. pén., art. 121-3). 212 La commission matérielle des faits incriminés suffisait à caractériser l’intention sans qu’il fût nécessaire de démontrer l’intention, l’imprudence ou la négligence de leur auteur. Ces auteurs précisent que « ces délits étaient fréquents dans des matières techniques (chasse, eaux et forêts, environnement, transport, urbanisme, contributions indirectes, législation du travail), réglementés par d’autres codes que le Code pénal ou par des lois non codifiées » (F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 469, p. 429). Le caractère matériel de ces crimes et délits a été supprimé par la loi du 16 décembre 1992 (Loi n° 92-1336 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal 211 et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, art. 339). Ces délits sont devenus des infractions pour lesquelles la preuve de la négligence ou de l’imprudence ou d’une mise en danger délibérée doit être apportée. 213 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, p. 2144. 214 « L’intention, pas plus que la faute d’ailleurs, n’est nullement définie par le législateur et le mot luimême n’est que très rarement utilisé » ou encore « il reste que l’intention n’est nullement définie et que l’article L. 121-3, déjà deux fois modifié, est loin d’être un modèle de clarté » (J. PRADEL, A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, t.1, Dalloz, 8ème éd., 2012, n° 39, p. 533). Il appartient au juge désormais d’établir la réalité de l’intention ou de la non-intention. Il lui revient d’aménager un débat contradictoire sur l’élément intentionnel. Le juge doit en principe apprécier les faits non plus in abstracto mais in concreto en tenant compte de la psychologie de l’auteur. 215 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. 37 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 prohibé216». L’existence de l’intention se déduit-elle de « la seule constatation objective que l’action ou l’omission constitutive de l’infraction a été volontairement réalisée ou au contraire devra-t-on scruter la psychologie du délinquant217 ? ». La Cour de cassation opte pour la première solution : l’intention est caractérisée par la seule connaissance du caractère délictuel de l’action ou de l’omission218. Est rejeté le critère tiré de la volonté de commettre l’infraction : la Cour renonçe à scruter la psychologie du délinquant, donc à s’interroger, à ce stade, sur les mobiles219. La Chambre criminelle considère l’intention comme « l’exercice d’une volonté consciente de l’illégalité de l’acte commis220 », ce qui conduit à retenir une approche abstraite221 du principe d’intentionnalité. La difficulté est que cette jurisprudence ne caractérise nullement l’intention. L’élément moral doit être appréhendé comme une véritable condition et doit être chaque fois vérifié. En son absence, elle n’est pas consommée222. Est refusée la conception réaliste, dégagée par les positivistes223, selon laquelle l’acte n’est punissable que s’il a été voulu dans un but contraire à l’ordre social, l’élément intentionnel impliquant une volonté déterminée par un motif ou un mobile. 45. Connaissance et volonté. Pour la Cour de cassation, l’intention est constituée de la conscience ou de la volonté de commettre l’infraction et de la connaissance du caractère illicite de l’acte224. Or, ces éléments sont des préalables indispensables mais insuffisants, selon nous, pour caractériser l’intention225. Doit être ajoutée la conscience 216 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. J. PRADEL, A. VARINARD, obs. sous Cass. crim., 18 juill. 1973, Les grands arrêts de droit pénal général, t.1, Dalloz 8ème éd., 2012, n° 39, p. 534. 218 « La seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique la part de son auteur l’intention coupable exigé par l’article. 121-3, al. 1er du Code pénal » (Cass. crim., 25 mai 1994 : Bull. crim.,1994, n° 203 ; Y. MAYAUD « De l’article 121-3 du code pénal à la théorie de la culpabilité en matière criminelle et délictuelle » D. 1997, 37). 219 Cass. crim., 18 juill. 1973, J. PRADEL, A. VARINARD, Les grands arrêts de droit pénal général, t.1, Dalloz 8ème éd., 2012, n° 39, p. 534. 220 Cass. crim., 22 juill. 1926 : S., 1928, I, 73. 221 L’intention réside « dans la volonté de l’agent de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi ; c’est la conscience chez le coupable d’enfreindre la loi » (E. GARÇON, Code pénal annoté, 1ère éd. art. I, n° 77). La majorité de la doctrine s’est accordée sur une définition analogue de l’élément intentionnel lequel peut se définir comme « la volonté de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi pénale » (R. GARRAUD, Traité de Droit pénal, t. 1, 297 et suiv. cité in P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP 1950, I, n° 876). 222 I MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144. 223 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 272, p. 244. 224 P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, I, n° 876. 225 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144. 217 38 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de commettre l’infraction, l’intention résidant dans « l’attitude psychologique qui conduit à l’infraction et l’accompagne226 ». Cette attitude psychologique n’est autre que la volonté laquelle peut se définir comme le choix fait par un agent 227. Or, l’acte volontaire est « l’acte conscient, non imposé228». B. Une suppression théorique de l’infraction matérielle 46. Présomptions…. La suppression de l’infraction matérielle reste dans un certain nombre de cas bien théorique. La circulaire du ministère de la Justice du 14 mai 1993 considérait « qu’en dépit de son importance théorique la suppression des délits matériels ne devrait pas sensiblement diminuer la répression, même si elle constitue incontestablement une mesure plus douce229 ». Des présomptions de faute ou de responsabilité pèsent parfois sur les dirigeants ou certains professionnels. Un dol général parfois suffit. L’existence de l’élément intentionnel résulte de la seule constatation de l’élément matériel. 47. …légales. Les présomptions établies dispensent le ministère public d’apporter la preuve de l’intention ou de la négligence. Selon la Cour de cassation230, elles ne portent pas atteinte à la présomption d’innocence231 protégée par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La présomption d’innocence ne fait pas obstacle aux présomptions de fait ou de droit instituées en matière pénale, dès lors qu’elles prennent en compte « la gravité de l’enjeu et laissent entiers les droits de la défense 232». Cette analyse trouve un appui majeur dans une décision de la Cour 226 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144. I. MOINE-DUPUIS, op. cit., D. 2001, 2144 : « Il paraît bien que cet agent ait eu, à l’origine, la liberté de choisir, c'est-à-dire la possibilité d’agir différemment, pour que l’acte répréhensible soit réputé volontaire (…) ». 228 P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, I, n° 876. La définition usuelle traduit cette idée. L’intention est un « fait de se proposer un certain but ; dessein ferme et prémédité ; décision, désir, volonté », (Dictionnaire de la langue française, Le Petit Robert, éd. 2008). 229 Circ. 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau Code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à son entrée en vigueur. 230 Cass. crim., 17 déc. 1991 : Bull. crim., 1991, n° 481 et 23 févr. 2000 : Bull. crim., 2000, n° 85. 231 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 6.2 : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». 232 Cass. crim., 10 fév. 1992 : Bull. crim. n° 62, il s’agissait d’un texte du Code des douanes. 227 39 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 européenne des droits de l’Homme233 et un relais dans une décision du Conseil constitutionnel qui en admet la légalité à titre exceptionnel « dès lors que [les présomptions de culpabilité] ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité234 ». 48. …prétoriennes. A côté des présomptions légales, il est place pour des présomptions d’origine jurisprudentielle. La Cour de cassation admet en certaines matières l’existence de présomptions de fait parfois extrêmement puissantes qui ne laissent que peu d’échappatoires à la personne qu’elles désignent comme responsable. Ces présomptions visent essentiellement les dirigeants et les professionnels et trouvent à s’appliquer aux infractions qualifiées naguère de « matérielles 235». Exemple en est fourni par l’obligation de sécurité de résultat. L’employeur est présumé responsable des manquements aux règles de sécurité236. La présomption apparaît souvent, en pratique, comme irréfragable237. En présence d’un dol général, c’est-à-dire de la simple conscience de commettre des agissements contraires à la loi pénale, l’intention est établie par la simple commission de l’élément matériel238. Reste à l’auteur à tenter de s’exonérer en apportant la preuve d’une erreur de droit239 ou de fait. II. 49. L’application du principe d’intentionnalité L’application du principe d’intentionnalité n’est pas uniforme. Elle comporte des degrés divers. Le dol général (A) doit être distingué du dol spécial (B) et du dol aggravé (C). 233 CEDH, 7 oct. 1988, Salabiaku, Berger, n° 55, Rev. sc. crim., 1989, p. 167. Cons. Const. n° 99-411 DC du 16 juin 1999, JO 19 juin, p. 9018. 235 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 469-3, p. 432. 236 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 496, p. 306. 237 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 469-3, p. 432. 238 « En matière d’hygiène et de sécurité du travail, le simple constat qu’une prescription obligatoire n’a pas été respectée suffit en principe à caractériser l’élément moral en même temps que l’élément matériel de l’infraction. Aucune intention coupable n’est par conséquent requise au titre de l’élément moral de l’infraction » (A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 496, p. 306). 239 C. pén., art. 122-3 « N’est pas pénalement responsable, la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ». 234 40 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 A. Le dol général 50. Définition. Le dol général consiste en « la volonté de commettre un acte en ayant conscience de violer la loi pénale240 ». Conscience et volonté suffisent à caractériser l’intention de commettre une infraction. En leur absence, il n’y pas d’infraction. Ainsi, lorsque l’auteur de l’acte commet une erreur de fait, il se méprend sur la nature de ce dernier241. 51. La preuve. Il revient au ministère public de caractériser l’infraction sur le plan matériel, moral et intellectuel. L’élément moral se déduit « le plus souvent de la nature même du comportement matériel242». Il résulte de « la nature même du délit et n’a pas besoin d’être affirmé par le juge ». Cette appréciation suscite un renversement de la charge de la preuve. Il revient à la personne poursuivie d’apporter la preuve de l’absence de dol en application du principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. Ici se dessine la distinction entre erreur de droit et erreur de fait : la première n’a pas pour effet de supprimer le dol ; la seconde emporte cette conséquence. 52. Depuis 1994, la Cour de cassation considère que la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d’une prescription légale ou règlementaire suffit à caractériser l’élément intentionnel exigé par l’article 121-3 du Code pénal243. Cette jurisprudence entend « contourner les difficultés résultant de la suppression des délits matériels, est en définitive contestable car le dol général suppose, outre la conscience de violer la loi, la volonté de commettre cette violation244 ». Elle s’inscrit dans un courant identique à celui, maintenant inapplicable, visant à simplifier la preuve de l’intention en matière de réticence dolosive. Cette simplification était largement critiquable car elle 240 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 471, p. 435. Cass. crim., 4 mai. 1995 : D. 1996, Somm. 56, obs. A. ROBERT : en l’espèce l’auteur de l’infraction se croyait à tort propriétaire de la chose dont il s’était emparé. 242 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 473, p. 436. 243 Cass. crim., 25 mai 1994 : Bull. crim., 1994, n° 203 ; Cass. crim., 12 juill. 1994 : Bull. crim., 1994, n° 280, Dr. pén., 1994, comm. n° 237, JCP E, 1995, 87, note E. JOLY-SIBUET, Y. REINHARD ; Cass. crim., 10 janv. 1996 : Dr. pén., 1996, comm., n° 89 ; Cass. crim., 7 janv. 2003 : Bull. crim., 2003, n° 1 ; Cass., Crim., 14 janv. 2004 : Bull. crim., 2004, n° 11, Dr. pén., 2004, n° 50 ; Cass. crim., 28 juin 2005 : Bull. crim., 2005, n° 196 ; D., 2005, IR, p. 2178 ; Rev. sc. crim., 2005, p. 839; D., 2006, 561, note O. FARDOUX. 244 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 473, p. 436 ; C. MARSAT « L’inconscience n’est pas de nature à exonérer le prévenu de sa responsabilité pénale », Dr. pén., 2000, chron. 27. 241 41 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 créait une présomption d’intention dolosive. Si rapporter la preuve de l’intention de tromper est un exercice difficile, notamment pour le particulier face au professionnel, cette difficulté n’autorise pas « à évacuer purement et simplement tout débat sur l’existence ou non d’une intention de tromper le cocontractant245». En droit pénal, si la preuve de l’élément intentionnel ou intellectuel est particulièrement difficile à apporter pour le ministère public, la solution de facilité retenue par la Cour de cassation est largement contestable. En déduisant de l’élément matériel l’élément moral, elle va à l’encontre des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal. Elle évacue le débat relatif à l’existence ou non de l’intention, de la volonté et de la conscience de commettre une infraction. B. Le dol spécial 53. Le dol spécial suppose un élément intentionnel caractérisé, au-delà de « la simple volonté de commettre, en sachant qu’il est interdit, tel ou tel comportement246 ». Il réside dans l’intention d’atteindre un résultat prohibé par la loi pénale247. 54. La question de savoir si une infraction suppose un dol spécial est souvent réglée par la jurisprudence : celle nécessitant que soit atteint un certain résultat impliquant la preuve d’un dol spécial248. 55. Le dol spécial résulte souvent de la nature même de l’infraction : le juge n’a pas besoin de démontrer son existence249. Mais, lorsqu’une ambiguïté affecte l’élément matériel de l’infraction, le juge doit apporter la preuve de l’intention250, à moins que la loi ait établi une présomption d’existence d’un tel dol251. 245 J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil : Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey, 15ème éd., 2012, n° 213-1, p. 203. 246 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 474, p. 437. 247 L’exemple le plus marquant en matière pénale est celui du meurtre. Le dol spécial dans le meurtre réside dans l’intention de tuer la victime (Animus necandi - Cass. crim., 8 janv. 1991 : Bull. crim., n° 14 ; D. 1992, 115, note M. CANTIN CUMYN). 248 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 474, p. 437. 249 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 476, p. 440. 250 Cass. crim., 22 mai 1989, n° 89-81397, inédit. 251 La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 dispose que la diffamation « est réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire de son auteur ». 42 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 C. Le dol aggravé 56. Le dol général ou spécial ne saurait être confondu avec les mobiles définis comme les raisons pour lesquelles l’infraction a été commise252. Par principe le mobile n’est pas pris en compte par les juges. Il est juridiquement indifférent253, la loi pénale ne pouvant pas tenir compte des situations et circonstances particulières. Ce principe souffre néanmoins d’exceptions, multipliées avec l’entrée du nouveau Code pénal254. Le législateur a notamment recours au mobile pour définir l’élément intellectuel d’une infraction intentionnelle, et ce en vue d’aggraver la peine en raison d’un « dol aggravé ». §III. L’appréhension souhaitée de l’intention 57. Critique. La définition juridique de l’intention retenue par la doctrine et par la Cour de cassation est incomplète au regard de l’étymologie de ce terme, né du latin intentio qui veut dire « tendre à ». L’intention suppose un résultat et la volonté d’atteindre ce dernier. Dans le sens usuel, elle est essentiellement « un projet qui oriente vers un but déterminé : un résultat précis et recherché, désiré, poursuivi. L’acte qui révèle cette intention tendra vers ce résultat qui est sa cause, sa raison d’être255». La définition juridique de l’intention ne tient pas compte de la notion de résultat. L’intention correspond à la volonté consciente, c’est-à-dire à la définition d’un dol général alors que la définition usuelle du terme tendrait vers le dol spécial. 252 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 477, p. 441. Sur l’affirmation maintes fois répétée en jurisprudence cf. les ex. cités par J. PRADEL, A. VARINARD, Les grands arrêts de droit pénal général, t.1, Dalloz, 8 ème éd., 2012, n° 39, p. 534; Cass. crim., 8 déc. 1998, n° 97-83318 : Dr. pén., 1999, n° 67 : « Toute appropriation de la chose d'autrui, contre le gré de son propriétaire ou légitime détenteur, caractérise la soustraction frauduleuse constitutive de vol, quels que soient le mobile qui a inspiré son auteur et l'utilisation du bien appréhendé ». « La Chambre estime qu’il y a bien intention pénale même à défaut de toute volonté appropriative les documents devaient être détruits » (I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144). 254 Exemple est fourni de la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien commise au préjudice d’un témoin (C. pén., art. 322-3, 4°) ; actes de terrorisme (C. pén., art. 421-3) ; génocide ou crime contre l’humanité (C. pén., art. 211-1). 255 P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, I, 876. 253 43 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 58. Une nouvelle définition. Un acte intentionnel est « un acte conscient que je pouvais m’abstenir de faire, que j’accomplis en vue d’un résultat précis que je recherche256 ». L’intention n’est retenue que dans les cas où la loi pénale réprime l’acte en fonction d’un résultat et non dans les cas où seul l’acte est prohibé. Or, « l’intention c’est la volonté du résultat »257. Cette définition implique que soit retenue une conception réaliste de l’intention. Elle n’est pas une volonté abstraite mais une volonté déterminée par un motif ou un mobile. Il appartient au juge d’une part d’identifier la volonté de commettre l’infraction telle qu’elle est déterminée par la loi et de s’interroger sur la psychologie de son auteur. Les tribunaux doivent identifier les motifs qui ont conduit l’individu à enfreindre la loi. Cette conception suppose que soient prouvées la connaissance du texte répressif, la volonté du résultat et l’intention de nuire. Au demeurant, cette analyse était déjà présente dans certaines coutumes du Moyen-Age. A cet égard, « la primitivité de la règle pourrait bien être une garantie d’exactitude258 ». 59. Inversion. Le propos précédent induit d’inverser les rapports dol général et dol spécial et de définir « l’intention par le dol spécial sauf dispositions exceptionnelles réclamant un dol général259 ». La notion de dol général serait utilisée pour les infractions dans lesquelles aucun résultat n’est incriminé alors que, si l’infraction est caractérisée par un acte et un résultat, un dol spécial est nécessaire, imposant au juge d’établir la connaissance et la volonté du résultat et, le cas échéant, l’intention de nuire. 60. Effets. Retenir une telle approche est conforme au Code pénal et garantit davantage de cohérence avec le principe « d’intentionnalité ». Elle est en outre conforme au sens usuel et à l’étymologie du terme « intention » et peut servir de base d’une politique pénale plus juste, dans la ligne tracée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il décide que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’un acte. En matière délictuelle, l’élément moral, intentionnel ou non, est requis260. 256 P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, I, n° 876. E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 7. 258 E. WAGNER, op. cit., Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 7. 259 E. WAGNER, op. cit., Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 235. 260 Cons. Const. 16 juin 1999, n° 99-411, loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, Rec. p. 75 ; D. 1999, p. 589, note Y. MAYAUD. 257 44 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Section II - L’appréhension spéciale de l’intention 61. En matière d’entrave, l’intention se déduit nécessairement des faits constatés. Mais le chef d’entreprise a-t-il toujours, pour autant, l’intention de commettre une entrave ? Ne pouvons-nous pas distinguer une entrave voulue, donc condamnable, d’une entrave subie ? La réponse dépend avant tout des solutions retenues par la Cour de cassation laquelle se contente de la seule présence de l’élément matériel (§I). Accorder une place prépondérante à l’intention serait cependant pertinent (§II). §I. L’élément matériel suffisant 62. «Le caractère intentionnel se déduit nécessairement des faits constatés261 », « l’élément intentionnel se déduit nécessairement du caractère volontaire des agissements constatés 262», telles sont les formules laconiques employées par la Cour de cassation afin de donner un semblant de substance à l’intention en matière d’entrave263. Pour la Cour, il s’agit d’accroître l’efficacité de la répression au détriment des règles du droit pénal, en particulier du principe d’intentionnalité (I) et de la possibilité de démontrer sa bonne foi, la présomption d’intentionnalité étant, en effet, quasi irréfragable (II). I. 63. Une Une application a minima de l’article 121-3 du Code pénal infraction matérielle. Le Code pénal affirme le 264 « d’intentionnalité » de toute infraction. La règle vaut pour le délit d’entrave principe . Mais, la détermination du contenu de l’intention a donné lieu à débat entre les juges du fond et la 261 Cass. crim., 10 fév. 1972, n° 71-90395 : Bull. crim., 1972, n° 56. Cass. crim., 13 fév. 1990, n° 89-81592, inédit. 263 M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 1150 ; J. DUTERTRE, « Le délit d’entrave à l’exercice du droit syndical dans les entreprises », Dr. social 1972, p. 221 ; J. LARGUIER et A.-M. LARGUIER, « Le délit d’entrave aux fonctions des représentants du personnel », Dr. social, 1967, p. 550. Pour une critique de l’application de la notion d’intention en droit pénal : voir I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, p. 2144 ; Voir P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, 876. 264 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 607, p. 387. Cass. crim., 9 déc. 2003, n° 02-87125 : M. RICHEVAUX, note sous arrêt, Dr. ouvrier, mai 2004, p. 243. 262 45 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Cour de cassation. Cette controverse, éteinte en 1951265, demeure alimentée par des décisions de quelques juridictions266. Ainsi, la Cour d’appel de Paris, le 17 mars 2006, a relaxé un employeur poursuivi du chef d’entrave pour avoir omis de saisir l’inspecteur du travail dans le délai d’un mois avant l’arrivée du terme du contrat de travail à durée déterminée d’un délégué syndical. Il n’était pas établi que l’employeur ait eu la volonté manifeste de mettre un terme au lien contractuel. Or, pour la Cour de cassation, l’élément intentionnel du délit se déduit « non du but recherché par l’intéressé, mais du caractère volontaire du manquement constaté267 ». Nul n’est besoin de caractériser l’intention268. 64. « Assurer une répression efficace » pourrait être le leitmotiv des tribunaux qui procèdent désormais à une appréciation in abstracto du dol général. Les juges apprécient les faits non en fonction de la personnalité du délinquant, mais par référence au critère du « bon père de famille », c’est-à-dire « en fonction de ce que celui-ci devait savoir ou ne pouvait pas ne pas savoir 269». Une telle appréciation a pour conséquence d’assimiler le délit d’entrave à une infraction contraventionnelle puisque la constatation de l’entrave suffit à établir la faute : cette infraction est désormais « ouvertement une infraction matérielle270». 65. Critique. L’interprétation précédente va à l’encontre du principe d’intentionnalité affirmé par le « nouveau » Code pénal. Ce dernier entendait mettre un terme aux crimes non intentionnels et aux délits matériels. Néanmoins, la suppression 265 Cass. crim., 1er févr. 1951 : JCP G, 1951, 6333, note G. B. ; Cass. crim., 2 août 1951 : Bull. crim., 1951, n° 246 ; Cass. crim., 10 nov. 1953 : Bull. crim., 1953, n° 202 ; Cass. crim., 26 mai 1961 : Bull. crim., 1961, n° 273 ; Cass. crim., 31 janv. 1974 : Bull. crim., 1974, n° 52 ; Cass. crim., 15 fév. 1994 : JCP 1994, 1209. 266 Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-81177, inédit ; Cass. crim., 6 fév. 2007, n° 06-82601: Bull. crim., 2007, n° 29 ; RJS, 2007, n° 621. 267 Cass. crim., 6 fév. 2007, n° 06-82601 : Bull. crim., 2007, n° 29 ; RJS, 2007, n° 621. 268 « La tendance jurisprudentielle est donc de se contenter d’une appréciation purement objective des faits laquelle découle la culpabilité de l’auteur des faits. La preuve de l’intention se déduit de celle des faits matériels » (M. BENILLOUCHE, La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction : plaidoyer pour une nouvelle théorie de la culpabilité, Rev. sc. crim., 2005, p. 529). 269 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 651, p. 412. 270 E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 201. En ce sens voir M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 1146; J. DUTERTRE, « Le délit d’entrave à l’exercice du droit syndical dans les entreprises », Dr. social, 1972, p. 221 ; J. LARGUIER et A.-M. LARGUIER, « Le délit d’entrave aux fonctions des représentants du personnel», Dr. social, 1967, p. 550. 46 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 des « délits matériels » est restée théorique271 tant en matière d’entrave, où la Cour de cassation a maintenu son interprétation, que dans d’autres domaines de la législation du travail, notamment le travail dissimulé272. II. 66. Une présomption quasi irréfragable Le législateur ne peut en principe établir de présomption d’intention. L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen273 l’exclut en matière pénale. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel admettent leur légalité mais commandent de les enserrer dans des limites raisonnables et de veiller au respect des principes fondamentaux274. En matière d’entrave, a été posée une présomption quasi irréfragable d’intentionnalité d’origine prétorienne275. Seul un fait justificatif (A) ou une cause d’irresponsabilité (B) peuvent assurer l’exonération du prévenu. A. Les faits justificatifs 67. Notion. Un fait justificatif est « de nature à excuser un acte, à disculper l’auteur d’un dommage en écartant l’imputabilité ou l’illicéité d’un fait constituant ainsi une cause d’irresponsabilité pénale276 ». En d’autres termes, il constitue une permission de 271 Cass. crim., 6 fév. 2007, n° 06-82601 : Bull. crim., 2007, n° 29; RJS, 2007, n° 621 ; Cass. crim., 22 nov. 2005, n° 04-87451 : Bull. crim., 2005, n° 307 ; Voir en ce sens A. COEURET, « La nouvelle donne en matière de responsabilité », Dr. social, 1994, p. 629 : « On ne peut mieux dire que le constat de la faute se trouve très largement contenu dans celui de l’inaccomplissement des prescriptions légales ou règlementaires, parce que les débiteurs de l’obligation ne pouvaient pas ne pas connaître ces prescriptions. Il ne s’agit pas d’une présomption de faute, mais d’une présomption de connaissance de la loi y compris dans la dimension extra-pénale ». 272 L’analyse est identique en matière de travail dissimulé voir en ce sens A. MARTINON, note sous Cass. soc., 20 févr. 2008, n° 06-44964 : Bull. crim., 2008, n° 42 ; JCP S, 2008, 1235 ; A. MARTINON, note sous Cass. soc., 17 juin. 2008, n° 07-87518 : Bull. crim., 2008, n° 155 ; JCP S, 2008, 1552 ; A. MARTINON, note sous Cass. soc., 16 sept. 2009, n° 07-45622, inédit : JCP S, 2009, 1520 ; A. MARTINON, note sous Cass. soc., 29 sept. 2009, n° 08-82691, inédit : JCP S, 2010, 1030. 273 « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » (DDHC, art. 9). 274 CEDH 7 oct. 1988, Salabakiu c/ France, n° 10519/83 - Cons. Const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs; M. BENILLOUCHE, La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction: plaidoyer pour une nouvelle théorie de la culpabilité, Rev. sc. crim., 2005, p. 529. 275 Cass. crim., 10 fév. 1972, n° 71-90395 : Bull. crim., 1972, n° 56. 276 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. 47 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 la loi d’adopter, dans des cas déterminés, une conduite exceptionnelle qui, dans d’autres circonstances, serait constitutive d’une infraction. Il n’y a de faits justificatifs que ceux prévus par la loi : la légitime défense, l’ordre de la loi et le commandement de l’autorité légitime277. 68. En matière d’entrave, le fait justificatif peut résider, dans certaines circonstances, dans la mise à pied d’un représentant du personnel laquelle lui interdit d’exercer pour un temps son activité professionnelle dans l’entreprise. Une mise à pied, à caractère conservatoire, est concevable lorsqu’un représentant du personnel a commis une faute grave, en attendant le résultat de la procédure d’autorisation engagée auprès de l’administration du travail278. Un comportement fautif peut aussi justifier le prononcé d’une mise à pied disciplinaire, laquelle ne nécessite pas l’autorisation de l’inspection du travail279. Qu’il s’agisse de mise à pied disciplinaire ou conservatoire, le contrat de travail est suspendu ; mais tel n’est pas le cas du mandat280. 69. L’état de nécessité peut justifier qu’une personne, pour sauvegarder ses intérêts ou ceux d’autrui, commette une infraction. Il se distingue de la contrainte. Dans le premier cas l’intéressé peut choisir entre agir ou ne pas agir. Encore faut-il qu’il se trouve face à un danger actuel ou imminent281 non créé par lui282. L’action ou l’omission constituait « l’unique moyen de conjurer le danger283 ». 277 C. pén. 122-4 et 122-5 - Entrent aussi dans cette catégorie, les infractions à la durée du travail, au repos hebdomadaire en cas de travaux urgents dont l’exécution immédiate est nécessaire pour organiser des mesures de sauvetage, pour prévenir des accidents imminents ou réparer des accidents survenus au matériel ou aux bâtiments (C. trav., art. L. 3132-4). 278 C. trav., art. L. 2421-3, al. 4 ; R. 2421-6 et R. 2421-14. A défaut, le délit d’entrave est constitué (Cass. crim., 24 mars 1955 : D. 55, 501, rapp. M. PATIN, Dr. social, 1956, p. 27, rapp. M. PATIN, JCP G, 1956, 9445 note J. BRETHE de la GRESSAYE ; Cass. crim., 11 juin 1974 : Bull. crim., n° 214, JCP 1974, 173 ; pour une application plus récente : Cass. soc., 20 mai 2008, n° 06-86580 : inédit). 279 L’employeur retrouve ses pleins pouvoirs disciplinaires, excepté l’interdiction de sanctionner le représentant du personnel en raison de prises d’initiatives ou de la tenue de certains propos liés à l’exercice de son mandat. La sanction ne doit pas être prise en considération des fonctions représentatives (Cass. crim., 3 mai 1979 : Bull. crim., 1979, n° 382 ; Cass. crim., 8 nov. 1982 : D., 1983. I. R 127). 280 Cass. soc., 23 juin 1999 : RJS, 8-9/99, n° 1090 ; B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 976, p. 517 ; Cass. soc., 23 juin 1999 : RJS, 8-9/99, n° 1090. 281 Cass. crim., 25 juin 1958 : D. 1958, 693, obs. M.-A. LEGAL ; Cass. crim., 21 nov. 1974 : Bull. crim., 1974, n° 345, JCP G, 1975, 18143, note P. MAISTRE DU CHAMBON. 282 Cass. crim., 22 sept. 1999 : Bull. crim., 1999, n° 193, Rev. sc. crim., 2000, p. 385, obs. B. BOULOC. 283 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 431, p. 359. Sur les conditions applicables : TGI Paris, 24 nov. 1980, D. 1982, 101, note D. MAYER ; Cass. crim., 22 mai 1997 : Bull. crim., 1997, n° 201. 48 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 70. L’état de nécessité n’a pas été retenu comme fait justificatif en un cas où l’employeur prétextait de difficultés d’exploitation pour justifier l’arrêt d’un atelier duquel dépendaient les délégués irrégulièrement licenciés284. Il ne l’a pas non plus été en un cas où l’employeur avait consulté le jour même le comité d’entreprise sur une fermeture temporaire de l’entreprise en raison de grèves tournantes285. Il l’a été, en revanche, au profit de l’employeur qui avait consulté le comité d’entreprise sans respecter le délai de trois jours devant en principe séparer la convocation de la réunion et sa tenue parce qu’il devait fermer d’urgence l’établissement pour des raisons de sécurité286. De même, lorsqu’au cours d’une grève, un employeur décide de placer les salariés en chômage technique sans consulter le comité d’entreprise, l’état de nécessité est reconnu s’il apparaît qu’il était placé dans une situation telle qu’il ne pouvait continuer à faire fonctionner l’entreprise occupée et donc paralysée287. B. Les causes d’irresponsabilité 71. Deux facteurs peuvent avoir un impact sur l’imputabilité : l’état des facultés intellectuelles en raison de leur insuffisance tenant à l’âge ou à certains troubles288 ; la présence d’une cause d’irresponsabilité laquelle doit être distinguée de l’erreur (1°), de la contrainte et de la force majeure (2°). 1°. 72. L’erreur Notion. Aux termes de l’article 122-3 du Code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ». Ce texte, né en 1994, trouve son origine dans le fait que la loi se doit d’être claire, accessible et lisible. 73. L’erreur est très rarement retenue. Elle ne l’a été ainsi qu’une seule fois par la Cour de cassation. Un entrepreneur était poursuivi pour avoir, en violation de l'article L. 284 CA de Nîmes, 26 août 1968, JCP, 1969, IV, 13. Cass. crim., 8 fév. 1979 : Dr. ouvrier, 1980, p. 36, note N. ALVAREZ. 286 Cass. crim., 16 mars 1982 : Sté Meyart, inédit. 287 Cass. crim., 30 oct. 1984, n° 83-94370 : Bull. crim., 1984, n° 330. 288 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 442 et s., p. 366. 285 49 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 212-7 du Code du travail, toléré, à douze reprises en un mois, une prolongation excessive de la durée de travail effectif de ses salariés. L’entrepreneur n'avait fait qu'appliquer les clauses d'un accord professionnel élaboré sous le patronage d'un médiateur et faisant référence au Code du travail. L’auteur de l’infraction soutenait que les stipulations de cet accord ne pouvaient être moins favorables pour les travailleurs que les prescriptions légales. La Cour de cassation reconnaît l’erreur de droit : cette dernière résultait « d'une information erronée fournie par l'Administration, représentée aux négociations préalables à la signature de l'accord illicite289 ». 74. L’appréciation faussée de la règle de droit conduit au divorce de « l’acte apparent et [de] l’intention réelle290 ». L’erreur sera prise en considération à condition qu’elle révèle un défaut d’intention. Encore faut-il distinguer l’erreur de droit de l’erreur de fait. a. Erreur de droit 75. Notion. L’erreur de droit résulte de l’ignorance ou du défaut de compréhension des dispositions légales en dépit de la maxime « nemo legem ignorare censetur291 qui interdit à l’auteur d’une infraction « d’échapper à la répression en arguant de son ignorance des textes applicables292 ». Cette présomption de connaissance du droit, véritable « fiction juridique293 » est souvent perçue294 comme un gage d’efficacité du système répressif295. Si le législateur informe les citoyens de la nature des 289 Cass. crim., 24 nov. 1998, n° 97-85378 : JCP G, 1999, 10208, note M.-A. HOUTMANN; Dr. pén., 2000, comm. 22. 290 P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP, éd. G, I, 876. 291 Cass. crim., 24 fév. 1820 : Bull. crim., n° 33. 292 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 674-1, p. 649. 293 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 675, p. 649. 294 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 674-1, p.649 ; M.-L. RASSAT, Droit Pénal général, 2ème éd., 2006, n° 305, p. 355. 295 F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Thèse, Dalloz, 2009, n° 32, p. 43 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 674-1 et s., p. 649 ; M.-L. RASSAT, Droit Pénal général, 2ème éd., 2006, n° 305, p. 355. Le Doyen CARBONNIER a recours aux termes de « stockage législatif » qui accentue toujours selon ses propres termes, « le caractère artificiel de la présomption de connaissance ». (« La maxime nul n’est censé ignorer la loi » en droit français, in Journées de la société de législation comparée, 1984, France, Grèce, RFA, URSS, Pays Nordiques, Italie) Revue trimestrielle de droit comparé, 1984, p. 321). 50 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 comportements interdits296, « en échange il leur impose l’obligation de se renseigner avant d’agir297 ». 76. Conditions. Au-delà des dispositions relatives à la charge de la preuve, l’erreur de droit suppose la réunion de certaines conditions : elle porte sur une règle ; elle présente un caractère d’inévitabilité ; son auteur a véritablement cru en la légitimité de l’acte. 77. Charge de la preuve. Il revient à l’auteur de l’infraction de démontrer que les conditions de recevabilité de l’erreur de droit sont remplies. L’auteur doit « justifier298 » qu’il a commis une telle erreur. Cette précision apparaît superfétatoire. Dès lors qu’une cause d’irresponsabilité pénale est invoquée, l’auteur doit en apporter la preuve sans que le législateur ait besoin de le rappeler. Toutefois, cette précision peut être analysée comme une manière « d’insister sur la force de la présomption de connaissance de la loi qui doit être combattue299 ». Elle a contribué à l’élaboration d’une approche très restrictive de l’erreur de droit par la Cour de cassation. En découlent deux conséquences procédurales : la Chambre criminelle a interdit aux juridictions de fond de relever d’office l’article 122-3 du Code pénal300 ; elle interdit d’invoquer ce texte devant elle pour la première fois301. 78. Erreur sur une règle de droit. L’erreur doit porter sur une règle de droit 302. La présomption de connaissance du droit s’applique à tous les textes quels qu’ils soient. Il est apparu rapidement après l’adoption du Code pénal et au regard de l’inflation normative, que l’erreur de droit serait invoquée le plus souvent dans des matières techniques : l’urbanisme, l’environnement, la fiscalité, les transports, les douanes, et les 296 F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Thèse, Dalloz, 2009, n° 32, p. 43. R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 583, p. 735. 298 C. pén., art., 122-3. 299 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 674-1, p. 649. 300 Seule la personne poursuivie était fondée à invoquer une erreur de droit – Cass. Crim., 15 nov. 1995: Bull. crim., n° 350, JCP G, 1996, 3950, obs. M. VERON ; Cass. crim., 28 juin 2005: Bull. crim.. n° 136, D. 2006, p. 561, note O. FARDOUX. 301 Cass. crim., 27 mars 1996 : Bull. crim., n° 136 ; Rev. sc. crim., 1997, 101, obs. BOULOIR. 302 C’est ce qui la distingue de l’erreur de fait. 297 51 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 relations de travail. En cette matière, l’erreur est davantage invoquée par l’employeur303, le Code du travail s’apparentant à un millefeuille complexe, difficile à appliquer auquel doit faire face un chef d’entreprise souvent juridiquement peu armé. Le bénéfice de l’erreur sur le droit a été accordé, à plusieurs reprises, par les juges. L’employeur avait, par exemple, pu légitimement croire que la consultation préalable du comité d’entreprise lors de départs négociés n’était pas obligatoire304. De même, le non respect de dispositions relatives au temps de travail a pu être justifié en raison d’une erreur de droit305. Cette même erreur a été retenue par la Cour d’appel de Paris306 au profit d’un salarié qui avait subtilisé des documents pour assurer la défense de ses intérêts. Il est vrai que des divergences d’appréciation existaient à ce moment-là au sein même de la Cour de cassation entre la chambre criminelle307 (qui condamne le « vol de documents ») et la chambre sociale308 (qui admet qu’un salarié puisse produire en justice, pour la défense de ses intérêts, des documents dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions). Le salarié pouvait donc légitimement penser qu’il ne commettait pas un acte pénalement répréhensible309. 79. Caractère inévitable de l’erreur. L’erreur de droit est opérante à condition que l’auteur de l’infraction démontre que, malgré ses efforts, il n’a pu connaître la loi310. Le défaut d’intention du chef d’entreprise ne pourrait ainsi se déduire de son ignorance des textes relatifs à la représentation du personnel. L’erreur de droit doit être 303 J. FRAYSSE-CAZALIS : JO Sénat CR, 1er mai 1989, p. 654. CA Reims, 1er avr. 1994, Gaz. Pal.,1994. I. somm. 316. 305 Cass. crim., 24 nov. 1998 : JCP G, 1999, 10208, note M.-A. HOUTMANN ; Droit pén. 2000, comm. 22. 306 CA de Paris, 12ème CH B, 9 nov. 2000. 307 Cass. crim., 16 mars 1999 : D. 2000, somm., p. 120, obs. M. SEGONDS ; Cass. crim., 8 déc. 1998 : D. 2000, somm., p. 87, obs. S. FROSSARD. 308 Cass. soc., 2 déc. 1998 : D. 1999, 431, note H. GABA et D. 2000, somm. p. 87, obs. S. FROSSARD. 309 Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-80254 : Bull. crim., 2004, n° 113, RJS, 2004, n° 887. La Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est rangée du côté de la Chambre sociale. La Chambre criminelle n’a pas retenu le raisonnement des juridictions du fond qui invoquaient l’erreur de droit. La Chambre criminelle estime que l’erreur de droit ne peut être caractérisée car elle n’est pas invincible. Le prévenu n’était pas en mesure de l’éviter. Pour fonder sa décision, la chambre criminelle privilégie les droits de la défense. 310 F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Thèse, Dalloz, 2009, n° 48, p. 55. 304 52 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 invincible. L’auteur de l’acte n’était pas en mesure de l’éviter que ce soit en se renseignant lui-même ou auprès de quelque autorité administrative ou judiciaire311. 80. L’invincibilité de la règle de droit est difficile à prouver quel que soit le domaine concerné312. L’employeur ne saurait « se retrancheer derrière les difficultés de lecture ou d’interprétation des textes313 ». L’erreur de droit fut eb revanche admise en un cas où une information erronée avait été délivrée par l’administration314. 81. Le caractère invincible de l’erreur doit-il être apprécié in abstracto, par référence à la notion de « bon père de famille », ou in concreto, en tenant compte de la situation personnelle de l’individu concerné, de son niveau social, de ses connaissances juridiques ? Retenir cette dernière solution aurait pour conséquence de créer une distorsion entre personnes de niveau social différent315. Une « analyse mixte », tenant compte pour partie de « la situation personnelle du prévenu et de la nature et de la complexité de la règle de droit dont l’ignorance est alléguée316», est donc privilégiée. L’erreur de droit est admise dès lors que l’auteur de l’acte a cru en sa légitimité, « ce qui constitue l’aspect subjectif317 ». Une croyance partielle ne suffit pas318. Si l’erreur de droit est admise, une « non responsabilité » pénale en résulte319. Il est place, en revanche, pour un engagement de la responsabilité civile320. b. Erreur de fait 311 M. COHEN, Droit des comités d’entreprises et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 1150 ; Cass. crim., 1er déc. 1981, n° 81-90377, inédit ; Cass. crim., 18 oct. 1983, n° 82-93209 : Bull. crim., 1983, n° 256 ; Cass. crim., 23 oct. 2007, n° 06-86458, Bull. crim., 2007, n° 249. 312 Sur l’ouverture d’un supermarché sans autorisation : Cass. crim., 19 mars 1997 : Bull. crim., n° 115 ; Rev. sc. crim., 1997, p. 827; Sur l’avertissement sanitaire général sur les paquets de cigarette : Cass. Crim. 13 mai 2003 : Bull. crim., n° 96. 313 Y. MAYAUD, Responsables et responsabilité, Dr. social, 2000, p. 941. 314 Cass. crim., 24 nov. 1998, n° 97-85378 : JCP G, 1999, 10208, note M.-A. HOUTMANN ; Dr. pén., 2000, comm. 22. 315 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 687, p. 662. 316 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, op. cit., n° 687, p. 662. 317 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, op. cit., n° 688, p. 664. 318 Cass. Crim. 14 déc. 1999 : Bull. crim., n° 306. 319 C. pén., art. 122-3 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 691, p. 666. 320 La maxime « nemo legem ignorare censetur» reçoit application en droit civil et son caractère irréfragable demeure. 53 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 82. L’erreur de fait rarement invoquée, porte sur la matérialité des faits. L’auteur du délit ne se rend pas compte qu’il réalise « les opérations dont la description figure dans la loi pénale car il ignore ou il se représente faussement certains aspects pourtant réels de son activité321». 2°. 83. La contrainte et la force majeure N’engage pas sa responsabilité pénale, la personne qui agit sous l’empire de la force majeure ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister322. L’une et l’autre présentent des caractéristiques communes. Les juges les utilisent indifféremment323. 84. Conditions. Invoquée par l’auteur d’une infraction afin de s’exonérer de sa responsabilité, la force majeure doit résulter d’un événement indépendant de sa volonté, avoir un caractère imprévisible, inévitable, être exclusive de toute faute324. La contrainte peut être physique (force naturelle ou force humaine) ou morale (menaces). Elle doit résulter d’un événement indépendant de la volonté de l’auteur de l’infraction : incendie, inondation, sinistre causé par les travaux d’un chantier limitrophe. L’événement ne doit pas non plus être prévisible. S’il l’était, l’employeur aurait pu prendre les dispositions nécessaires afin d’éviter la commission de l’infraction. Il doit être inévitable : il était absolument impossible de se conformer à la loi. Un incendie affectant une partie de l’entreprise n’emporte pas une telle impossibilité325. Enfin, la force majeure et la contrainte doivent être exclusives de toute faute de l’intéressé, par exemple en matière de sécurité. 85. Aperçu. Les hypothèses dans lesquelles la contrainte ou la force majeure ont pu emporter la relaxe de l’employeur sont rares : convocation du comité d’entreprise sans respecter le délai de trois jours séparant normalement la convocation de la réunion pour 321 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 665, p. 420. C. pén., art. 122-3. 323 En ce sens voir F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 672, p. 646. 324 Cass. crim., 27 déc. 1957 : Bull. crim., 1957, n° 877 ; Cass. crim., 8 juill. 1971 : D. 1971, 625 ; Cass. crim., 30 oct. 1984, n° 83-94370 : Bull. crim., 1984, n° 330 ; Cass. crim., 9 déc. 1986 : Bull. crim., 1986, n° 638 ; Cass. crim. 25 sept. 2007, n° 06-84599 : Bull. crim., 2007, n° 222 ; Cass. crim., 16 sept. 2008, n° 07-83420, inédit. 325 Cass. crim., 27 déc. 1957 : Bull. crim., 1957, n° 877. 322 54 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 le consulter sur la fermeture de l’établissement en raison de risques d’accidents du travail326 ; tenue, pendant les congés payés, d’une réunion extraordinaire du comité central d’entreprise à une autre date que celle souhaitée par lui en raison de l’urgence327. En revanche, un empêchement personnel conduisant le chef d’entreprise à ne pas réunir le comité328, des difficultés à établir l’ordre du jour329, des agissements du salarié antérieurs au refus d’autorisation de licenciement et écartés par l’autorité administrative330 ne sauraient constituer des faits justificatifs. 86. Les conditions très strictes d’application des différentes causes d’irresponsabilité ont largement contribué à rendre la présomption « d’intentionnalité » quasi irréfragable, de sorte que le chef d’entreprise rencontre de réelles difficultés à prouver que l’entrave n’a pas été commise intentionnellement331. Cependant, supprimer cette présomption reviendrait à annihiler le délit d’entrave, la charge de la preuve étant fort lourde pour le ministère public. Elever le degré « d’intentionnalité » permettrait une répression plus juste, conforme aux principes du droit pénal. §II. Un élément moral déterminant 87. Un équilibre. Le seul fait pour l’employeur de ne pas informer ou consulter une institution représentative du personnel suffit à caractériser le délit d’entrave sans qu’il soit besoin d’apporter la preuve de l’intention. N’est pas posée la question de savoir si un chef d’entreprise doit être sanctionné alors même qu’il se trouvait dans l’impossibilité matérielle de respecter les attributions des représentants du personnel. Une distinction doit cependant être opérée entre l’entrave subie et l’entrave voulue332 afin de parvenir à un juste équilibre entre la nécessité de se conformer au principe « d’intentionnalité » et la nécessité de garantir l’efficacité de la répression, ce qui suppose de recourir à une nouvelle méthode d’appréhension de l’intention. 326 Cass. crim., 6 févr. 1979, n° 77-91923 : Bull. crim., 1979, n° 56. Cass. crim., 16 mars 1981, n° 81-90999 : Bull. crim., 1981, n° 77. 328 Cass. crim., 26 févr. 1979, n° 80-93003, inédit. 329 Cass. crim., 3 févr. 1981, n° 80-90025, inédit. 330 Cass. crim., 18 juill. 1990, n° 88-86545, inédit. 331 En ce sens B. TEYSSIE, Sur le droit pénal du travail, Dr. social, 2000, p. 940. 332 M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 149. 327 55 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 L’entrave étant une infraction intentionnelle333, sa répression ne peut être décidée qu’en fonction d’un résultat recherché (la tentative) ou atteint (délit consommé)334. Un dol spécial (I) et un mobile (II) sont requis. I. 88. La nécessité d’un dol spécial Le dol spécial est constitué de la volonté d’accomplir un acte que l’on sait défendu par la loi et de la volonté de nuire à autrui, en l’occurrence en empêchant les institutions représentatives du personnel d’exercer pleinement leurs missions335. Sont visés « le fait de porter ou de tenter de porter atteinte336 » ou « le fait d’apporter337 ». 89. Infléchissement jurisprudentiel. Commettre le délit d’entrave suppose d’avoir la volonté d’empêcher les représentants du personnel d’exercer leurs attributions. Le juge se doit de vérifier si l’employeur entendait réellement entraver l’exercice de leurs fonctions par un défaut d’information et de consultation. Deux arrêts anciens de la chambre criminelle de la Cour de cassation, sans pour autant retenir le dol spécial, témoignent d’un léger infléchissement de la doctrine de la Cour en matière d’entrave. Du premier, il ressort que les tribunaux correctionnels ne peuvent pas condamner un employeur poursuivi pour délit d’entrave sans se prononcer sur l’existence de l’élément intentionnel de l’infraction338. Le second a retenu que « les juges du fond doivent (…) rechercher, lorsqu’ils sont invités à le faire, si des circonstances exceptionnelles n’ont pas empêché ladite consultation, l’élément intentionnel se trouvant alors exclu339 ». En l’espèce, l’employeur avait placé le personnel en chômage technique en raison de l’occupation de l’entreprise par les grévistes, ces derniers paralysant totalement 333 Cass., Crim. 1er déc. 1981 : Dr. ouvrier, 1982, p. 280. P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, I, 876. 335 M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 151. 336 C. trav., art. L. 2316-1. 337 C. trav., art. L. 2328-1. 338 Cass. crim., 20 mars 1984, n° 83-93403 : Bull. crim., 1984, n° 118. 339 Cass. crim., 30 oct. 1984, n° 83-94370 : Bull. Crim, 1984, n° 330 : D. 1985 inf. Rap. P. 126 ; M. COHEN, Droit des comités d’entreprises et des comités de groupe, LGDJ, 9 ème éd., 2009, p. 1106. 334 56 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’activité. L’employeur n’avait pas procédé à l’information du comité d’entreprise rendue impossible par le mouvement de grève340. 90. Perspective. Un arrêt plus récent du 8 octobre 2002 offre une perspective intéressante341. En l’espèce, un syndicat reprochait à l’employeur de ne pas avoir organisé les élections des délégués du personnel ni constitué de comité d’établissement. Le directeur des ressources humaines était cité à comparaitre devant le tribunal correctionnel. L’élément matériel de l’infraction était incontestable. L’entreprise et ses établissements ne comportaient pas de délégués du personnel et de comités d’établissement, de sorte que la violation de la loi ne faisait aucun doute. Par conséquent, au regard de la doctrine classique, l’infraction était réalisée. Cependant, contre toute attente, la Cour de cassation fait sienne la décision des juges d’appel qui écartent le délit d’entrave, le prévenu n’ayant pas pensé porter atteinte au fonctionnement régulier des institutions représentatives du personnel. Cet arrêt est intéressant à plus d’un titre. Ne se contentant pas d’un dol général, la Cour de cassation exige un dol spécial. Or, si la violation de la loi est effective, le prévenu n’a pas voulu le résultat ; il n’a pas « pensé porter atteinte au fonctionnement de la représentation du personnel ». Est posée, dans le prolongement de l’analyse précédente, la question du recours aux mobiles. II. 91. La nécessité de recourir aux mobiles A l’instar du droit civil qui apprécie la faute intentionnelle in concreto342, le droit pénal tend de plus en plus vers une « subjectivisation » de la faute343. Il tient compte de la personnalité de l’auteur de l’acte et de la situation particulière dans laquelle il a été 340 Sur les conflits collectifs voir M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011. 341 Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-81177 : note sous arrêt F. DUQUESNE, Dr. social, 2003, p. 143. 342 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrenois, 5ème éd., 2011, n° 53, p. 30. 343 De nombreux textes tendent à « une subjectivisation » de l’élément intentionnel de l’infraction. Ainsi, les lois n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence et n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels ont « substitué une appréciation in concreto à une appréciation in abstracto de l’élément moral» (M. BENILLOUCHE, La subjectivisation de l’élément moral de l’infraction : plaidoyer pour une nouvelle théorie de la culpabilité, Rev. sc. crim., 2005, p. 529). 57 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 commis. Cette « subjectivisation » est révélée par le recours aux mobiles (A). Mais de quelle manière l’appréhender ? Le droit civil suggère des perspectives appropriées (B). A. Le recours au mobile légal 92. Selon JOSSERAND, le droit ne constitue pas « un bréviaire de formules et de rites ; il est devenu une science sociale, un organisme vivant, l’affirmation et le triomphe de la volonté : il n’existe et il ne vaut que dans la mesure et en fonction de cette volonté. Le droit tend de plus en plus à cette subjectivisation, à cette individualisation344». Le droit pénal (1°) et le droit pénal du travail, au travers du délit d’entrave, (2°) ne sont pas restés étrangers à cette démarche. 1°. 93. La « subjectivisation » en droit pénal Le droit pénal est passé de l’indifférence au mobile (a) à sa prise en considération (b). Mais selon quelle méthode pour l’apprécier (c) ? a. Indifférence au mobile 94. Définition. Le mobile « pousse » l’individu à agir de telle ou telle manière. Il constitue le « motif qui détermine la volonté de l’auteur d’un acte et le décide à agir345 ». Il est « l’élément immédiat qui détermine l’action ; c’est l’impulsion individuelle qui provoque chez l’agent, la réaction répréhensible. Essentiellement variables et divers, les mobiles sont l’expression des tendances, des passions, des sentiments de l’individu346 ». Certains ne peuvent être considérés comme légitimes : jalousie, vengeance, haine, envie. D’autres peuvent l’être : droit général à l’information invoqué par les journalistes, droits de la défense347. 344 L. JOSSERAND, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, Dalloz, rééd. 2006, n° 118, p. 157. 345 Le nouveau petit Robert de la Langue française, éd. 2008. 346 P.-A. PAGEAUD, « La notion d’intention en droit pénal », JCP G, 1950, I, n° 876. 347 Cass. crim., 8 déc. 1998 : Bull. Crim. n° 336 ; Cass. crim., 11 mai 2004 : Bull. crim., n° 113 ; Cass. soc., 30 juin 2004 : Bull. Crim. n° 187. 58 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 95. Problématique. L’existence de l’intention se déduit-elle de la seule constatation objective que l’acte constitutif de l’infraction a été volontairement réalisé ou faut-il « scruter la psychologie du délinquant348 ? ». Peut-on recourir aux mobiles pour « caractériser » l’intention ? Doit-on s’en tenir à une appréciation in abstracto de celleci ? Mais « est-on prêt à aller dans le détail de la conscience de l’interdit et [à] peser tous les éléments psychologiques, sociaux, économiques, familiaux, affectifs, qui influent sur cette conscience, individu par individu ? Est-on prêt à renoncer au concept de français moyen ? Est-on prêt à faire de chaque délinquant, un être unique, original, à écouter et à comprendre349 ? » 96. Controverse. Pour la doctrine classique, l’intention se distingue du mobile : « l’intention est une volonté abstraite350 ». L’élément moral requis pour les crimes et les délits réside dans la volonté de l’agent de commettre l’infraction, dans « la conscience d’enfreindre les prohibitions légales351 », sans qu’il n’y ait lieu de rechercher dans chaque cas les raisons qui ont poussé l’auteur de l’infraction à agir, les sentiments qui l’ont animé, les facteurs économiques et sociaux qui s’exerçaient. 97. Pour la doctrine positiviste, l’intention se confond avec le mobile. Seul le mobile pouvait révéler l’état dangereux. Selon les promoteurs de la doctrine de la défense sociale, de ne pas retenir les mobiles exclut toute véritable prise en compte de la psychologie de l’auteur de l’infraction352. 98. Arrêt Lahore. Par l’arrêt « Lahore », rendu en 1977, la Cour de cassation réaffirme un principe fondamental mais critiquable selon lequel : « l’intention ne résidant pas dans les mobiles, ils ne sauraient, quels qu’ils soient, exclure la 348 Cass. crim., 8 févr. 1977, n° 76.91772, J. PRADEL, A. VARINARD, Les Grands Arrêts du Droit Pénal Général, Dalloz, 8ème éd., 2012, n° 39, p. 532. 349 E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 108. 350 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 273, p. 245. 351 E. GARÇON, Code pénal annoté, 1ère éd., art. I, n° 77. 352 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 274, p. 245. 59 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 culpabilité353 ». La Cour manifeste son attachement à la doctrine classique. Peu importe ce qui a conduit l’auteur de l’acte à avoir tel comportement. 99. Un principe. De l’arrêt « Lahore » est né un principe : celui de l’indifférence des mobiles354. La règle s’explique, selon une doctrine classique, par le caractère général et abstrait de la loi. Cette dernière ne saurait prévoir les circonstances de chaque espèce, sous peine d’une extrême complexité. D’autres auteurs invoquent les difficultés liées à la connaissance des mobiles qui pourraient empêcher les juges de « condamner l’auteur d’un comportement matériel incriminé parce qu’il n’aurait pas été possible de démontrer que cette personne avait agi avec l’un des mobiles exigés par la loi 355 ». Mais le propos n’est guère recevable eu égard aux fonctions du procès et à la nécessité de tenir compte des mobiles pour déterminer le quantum de la peine. 100. Les « fonctions essentielles356 » du procès pénal et plus largement du droit pénal, sont au nombre de trois. Dans sa fonction répressive, le droit pénal sanctionne, dans l’intérêt général, des comportements dangereux ou inacceptables. La loi pénale tend à la répression. La peine a une fonction rétributive et utilitaire357. 353 Cass. crim., 8 févr. 1977, n° 76-91772 : Bull. crim., 1977, n° 52 ; J. PRADEL, A. VARINARD, Les Grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 8ème éd., 2012, n° 39, p. 532. 354 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 477, p. 441. 355 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 477, p. 441 ; en ce sens I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144 ; E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 214 et 282. 356 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 47, p. 21. 357 L’article 707 du Code de procédure pénale propose les principes directeurs de la peine : « L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d'exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. L'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ». La peine a pour fonction de prévenir la récidive et d’assurer la réinsertion du délinquant. Ce sens moderne se retrouve aussi dans le Code pénal qui tend, en matière d’application des peines, à l’individualisation de la sanction pénale, c’est-à-dire à la prise en considération tant de la gravité de l’acte que de la personnalité de son auteur lors du prononcé de la peine. Cela renvoie à l’idée selon laquelle la peine doit être plus juste. Ce mouvement pourrait s’inscrire dans l’Ecole néo-classique du XIXe siècle pour qui « tout le droit pénal doit être fondé sur l’idée que la société ne peut punir « ni plus qu’il n’est juste, ni plus qu’il n’est utile ». L’exigence de justice doit conduire à individualiser la peine en fonction de la situation personnelle du condamné. L’exigence d’utilité impose que la peine n’ait pas simplement un but répressif mais qu’elle ait également « une fonction perfectionnelle, qu’elle permette au condamné de s’amender » (F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 49, p. 21). 60 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 101. La fonction expressive du droit pénal tient en ce qu’il est l’expression des valeurs essentielles d’une société, susceptibles d’évoluer au fil du temps traduction d’une morale collective intéressant la personne humaine, les biens, l’Etat et sa sûreté. 102. La fonction protectrice du droit pénal renvoie à son objet immédiat : assurer la protection de la société. En même temps qu’il est répressif, le droit pénal est aussi soucieux des libertés individuelles. L’objectif du jugement est de rappeler qu’il existe des moyens que la société prohibe. Nos « actes ne sont pas des pions poussés par un sujet extérieur au monde358 ». Le jugement constitue un rappel à la réalité, non un simple enregistrement des faits359. 103. L’indifférence des mobiles ne joue pas lorsqu’il s’agit de déterminer le quantum des peines360. Les juges du fond en tiennent compte pour déterminer leur nature et leur montant. Droit à l’information, droits de la défense, pitié, le juge « s’en soucie lorsqu’il recherche, dans l’exercice de son pouvoir d’individualisation, la peine méritée par l’agent361 ». 104. Le réalisme du droit pénal. Les mobiles constituent « un ensemble vaste, confus partiellement inavoué ou impalpable, donc difficilement utilisable362 ». Il n’en demeure pas moins qu’en ne recourant pas aux mobiles, « l’acte vu par le droit est souvent amputé, vide de sens, face à la loi si lourde de sens363 ». Les actes d’une personne trouvent leur justification dans les buts qu’elle s’est elle-même fixée ou vers lesquels elle tend et dans son action au sein de la société364. 358 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144. I. MOINE-DUPUIS, op. cit., D. 2001, 2144. 360 « Les mobiles ne peuvent être retenus par les juges du fond autrement que pour l’application de la peine » (Cass. crim., 13 mai 1992, n° 91-83204 ; Cass., crim. 3 sept. 1996 : Bull. crim., n° 311). 361 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 862, p. 587. 362 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144 ; voir en ce sens E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 214 et 282. 363 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144. 364 « Vivre implique l’enchainement situation/réaction ; il faut « jouer les coups » les uns après les autres, et l’infraction comme tout acte n’est qu’un maillon de cette chaîne (on ne peut l’isoler de l’existence). L’intention signifie que l’agent prend une position déterminée par rapport à sa situation présente, sa volonté tendue vers un but. Il se projette au-delà de son geste immédiat vers une situation révélant une prise de position par rapport à sa vie sociale, sans laquelle l’activité humaine n’a pas de sens » (I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144). 359 61 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 105. L’infraction et son auteur sont un « tout » suggéré par le caractère nécessairement réaliste du droit pénal365. Une place doit donc être accordée aux mobiles : il n’y a pas « d’analyse réelle de la volonté sans recours à ce qui a poussé le délinquant à agir366 ». Le droit ne peut se contenter de décrire « l’envers d’un devoir faire voire celui d’un devoir être367 ». Le droit est reconstruction appuyée sur le réel368. b. Prise en considération du mobile 106. Le législateur a admis dans des cas de plus en plus nombreux la prise en compte des mobiles. Ainsi, la loi du 28 juillet 1894 réprimait les charges anarchistes dès lors qu’elles avaient été commises « dans un but de propagande anarchiste369 ». La loi du 12 février 1924 retenait une approche identique en matière d’atteinte au crédit de l’Etat laquelle supposait d’avoir agi « dans un but de spéculation ou de dépréciation de la monnaie370». De même, les actes de terrorisme sont réprimés dès lors qu’ils ont été commis afin de troubler gravement l’ordre public371. Le recours aux mobiles en d’autres circonstances permet de caractériser une circonstance aggravante. 107. Risque. De nombreuses voix se sont élevées contre le recours au mobile craignant la subjectivité de la part des juges372 : « l’image des Cours d’assises acquittant, en raison d’un mobile, un individu ayant pourtant juridiquement commis une 365 E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 11. 366 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144 ; E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 282. 367 I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144. 368 Selon I. MOINE-DUPUIS, « cette reconstruction doit s’appuyer au moins au départ sur le réel » (I. MOINE-DUPUIS, « L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, 2144). 369 L. du 28 juillet 1894, art. 1 et 2. 370 L. du 12 février 1924. 371 C. pén., art. 421-1. 372 E. MONTEIRO, « Le Concept de harcèlement moral dans le Code pénal et le Code du travail », Rev. sc. crim., 2003, p. 277. 62 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 infraction qui hante les classiques373 ». La loi est là pour déterminer les mobiles acceptables374. c. Appréciation du mobile 108. Mobile légal. Par essence, le dol spécial suppose un mobile. Toute considération d’un résultat implique « psychologiquement la considération d’un mobile. Le résultat n’est que l’expression matérielle du mobile375 ». Le dol spécial introduirait des mobiles d’origine légale qui font ainsi partie de la définition de l’infraction. Le mobile et la volonté sont liés au dol spécial. La volonté du résultat n’est rien d’autre qu’un mobile376. 2°. 109. La « subjectivisation » dans le délit d’entrave Refus de principe. Le mobile est juridiquement indifférent377 à la constitution de l’infraction d’entrave378. En revanche, il peut être retenu au stade de la détermination de la peine379. L’élément intentionnel de l’infraction se déduit du caractère volontaire des agissements constatés quels qu’en soient les mobiles380. Ainsi en est-il lorsque l’employeur refuse de communiquer un rapport à l’expert-comptable désigné par le comité d’entreprise parce qu’il considère que ses conclusions sont contestables et que sa diffusion va accroître les craintes des salariés et « alourdir » un climat social déjà tendu. 373 E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 243. 374 E. WAGNER, op. cit., Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p.195 et p. 243 : « S’il y a une dérogation au principe de l’exclusion du mobile, cette dérogation n’est pas inquiétante puisqu’étant une dérogation, elle ne peut être que d’origine légale, donc limitée ». 375 E. WAGNER, op. cit., Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 243. 376 E. WAGNER, op. cit., Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 243. 377 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 477, p. 441. 378 Cass. crim., 22 mars 1994, n° 93-82312 : RJS, 1994, n° 881 ; Cass. crim., 6 fév. 2007, n° 06-82744 : RJS, 2007, n° 634 : « alors que l’élément intentionnel du délit se déduit non du but recherché par l’intéressé, mais du caractère volontaire du manquement constaté », Voir O. GOUEL, « Délit d’entrave : quelles attitudes pour le CE ? », Cahiers Lamy du CE 2007, n° 66, p. 2 ; Cass. crim., 10 fév. 1972, n° 7190395 : Bull. crim., 1972, n° 56. 379 Cass. crim. 13 mai 1992, n° 91-83204 ; Cass. crim. 3 sept. 1996, n° 94-85046 : Bull. crim., 1996, n° 311. 380 Cass. crim., 23 avr. 1992, n° 90-84031 : Bull. crim., n° 180 ; N. ALVAREZ-PUJANA, Chroniques jurisprudentielles, Dr. ouvrier, 1993, p. 33. 63 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 110. Prémices d’un recours - première étape. La chambre criminelle de la Cour de cassation a adouci quelque peu sa position en admettant en 1984 que « les juges du fond doivent néanmoins, rechercher, lorsqu’ils sont invités à le faire, si des circonstances exceptionnelles n’ont pas empêché [la] consultation, l’élément intentionnel de l’infraction se trouvant alors exclu 381 ». En l’espèce, l’employeur avait décidé de placer les salariés au chômage technique en raison d’un mouvement de grève accompagné d’une occupation des locaux provoquant une paralysie de la production, ce qui aurait dû donner lieu à information et consultation du comité d’entreprise. Leur absence est justifiée par des circonstances exceptionnelles ; l’intention de commettre le délit n’était pas caractérisée. 111. S’appuyant sur l’arrêt précédent, Maxime BAILLY propose au juge pénal de « considérer de manière plus pragmatique l’existence réelle ou supposée de l’infraction au regard de divers éléments objectifs 382 ». Le juge pourrait ainsi tenir compte de la qualité des relations sociales dans l’entreprise, du comportement des représentants du personnel, de la tenue des registres des réclamations des délégués du personnel, de la qualité des procès-verbaux des réunions du comité d’entreprise, du refus de trouver une solution amiable au conflit383. Il faut tenir « une analyse tenant compte du contexte dans lequel l’infraction a pu être commise384». 112. Deuxième étape. Un arrêt du 8 octobre 2002 offre une perspective intéressante en ce qui concerne le recours au mobile385. En l’espèce, un syndicat reprochait à l’employeur de ne pas avoir organisé les élections des délégués du personnel ni constitué de comité d’établissement, ce qui était exact. Cependant, la Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir écarté le délit d’entrave, le prévenu n’ayant pas pensé porter atteinte au fonctionnement régulier des institutions représentatives du personnel. Si la violation de la loi est effective, le prévenu n’a pas voulu le résultat : il ne pensait pas « porter atteinte au fonctionnement de la représentation du personnel ». En effet, un accord signé par l’ensemble des organisations syndicales présentes dans 381 Cass. crim., 30 oct. 1984, n° 83-94370 : Bull. crim., 1984, n° 330. M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 154. 383 M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 155. 384 M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 154. 385 Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-81177 : Dr. social 2003, p. 143, note F. DUQUESNE. 382 64 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’entreprise prévoyait la mise en place d’un comité social d’établissement qui exerçait les fonctions et responsabilités dévolues au comité d’établissement légal, y compris la gestion des activités sociales et culturelles. Les membres de ce comité siégeaient au sein du comité central d’entreprise légalement institué. L’employeur n’entendait donc nullement porter atteinte au fonctionnement régulier des institutions représentatives du personnel. Il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir mis en place un comité d’établissement386. La Cour de cassation tient compte d’éléments factuels, concrets et subjectifs, reconnaissant implicitement la possibilité de recourir aux mobiles. 113. Troisième étape : le mobile légal. En matière de délit d’entrave, le mobile légal pourrait se définir comme « l’empêchement pour les institutions représentatives du personnel d’exercer pleinement leurs missions387 ». Les juges du fond doivent s’interroger sur l’existence du résultat (les institutions représentatives du personnel ontelles été empêchées d’exercer leurs missions, notamment par un manque d’information ou un défaut de consultation ?) et sur la volonté ou non de parvenir à ce résultat (l’auteur de l’infraction l’a-t-il voulu ?). Une question de méthode, alors, surgit. B. L’appréhension du mobile par le juge 114. Comment apprécier les mobiles ? Quel mobile retenir ? L’auteur de l’entrave a- t-il voulu le résultat388 ? Cette volonté s’apparenterait au « mobile » déterminant (ou à la cause) du droit des obligations. Les principes dégagés doivent permettre de déterminer une méthode d’appréciation applicable au droit pénal et singulièrement au délit d’entrave. 115. En droit pénal. Il est concevable de tenir compte d’un mobile légal et unique défini pour chaque infraction : la volonté du résultat389, définie texte par texte ; « tout 386 Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-81177 : Dr. social 2003, p. 143, note F. DUQUESNE. M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 151. 388 M. BAILLY, Essai sur le droit pénal des conflits collectifs du travail, Thèse, PUAM, 2011, n° 151 : « Exiger un dol spécial en particulier dans le cadre des conflits collectifs de travail, serait pertinent ». 389 L. JOSSERAND, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, Dalloz, rééd. 2006, n° 8, p. 10 et n° 1, p. 1 : Sur la place de la volonté, L. JOSSERAND nous invite à « aller plus avant dans le domaine de la volonté lato sensu ; il faut s’inquiéter des résultats que l’agent attendait de son acte, du but qu’il se proposait d’atteindre ; il faut pénétrer jusqu’à son intention, c’est-à-dire à quoi tendait sa volonté ». 387 65 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 autre mobile sera indifférent390 ». Cette volonté correspondrait au mobile déterminant du droit des obligations. Dès lors qu’un individu commet un acte répréhensible, l’infraction, n’est constituée que si son auteur a voulu le résultat. 116. Le juge ne saurait se contenter de déduire du résultat la volonté de l’auteur de commettre l’infraction. Il doit rechercher la raison pour laquelle le résultat a été voulu, donc « sonder les consciences391 ». Une méthode d’appréciation mixte doit être retenue : le juge apprécie objectivement l’existence du résultat de l’action ou de l’omission constatée mais subjectivement les éléments permettant de caractériser la volonté de son auteur. Sa décision pourrait être cassée pour défaut de motivation. Retenir un dol spécial, recourir au mobile légal et retenir une méthode d’appréciation mixte sont trois éléments qui permettront de rendre une place prépondérante à l’élément moral de l’infraction. 117. Une méthode d’appréciation mixte. Le résultat du délit d’entrave s’apprécie différemment selon qu’il faut appréhender l’existence du résultat ou la volonté de nuire. Une méthode d’appréciation mixte est adéquate. D’inspiration civiliste, cette méthode trouve à s’appliquer en matière contractuelle392. L’existence de la cause repose sur une analyse objective mais sa licéité s’apprécie à la lumière d’une analyse subjective : « ce qui est objectivement licite n’en est pas moins nul lorsqu’on ne l’a accompli que pour atteindre une fin illicite393 ». Un schéma quasi identique peut trouver à s’appliquer en matière d’entrave : ce qui est objectivement illicite, n’en est pas moins justifiable si l’acte (ou l’abstention) fut accompli sans avoir l’intention de nuire. Pour L. JOSSERAND, « ces trois notions de volonté, de mobile et de but représentent vraiment le substratum du droit et offrent un caractère d’indivisibilité en ce sens que la première assure la liaison entre les deux autres : le mobile tend vers le but par l’intermédiaire et sous l’action de la volonté qui s’emploie à cette effet : pas de mobiles sans but, pas de but qui ne soit postulé par un mobile et dont la réalisation n’implique un effort de volonté ». 390 E. WAGNER, « La notion d’intention pénale dans la doctrine classique et la jurisprudence contemporaine », Thèse, Clermont-Ferrand I, 1976, p. 242. 391 J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil : Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey, 15ème éd., 2012, n° 265, p. 259 ; H. CAPITANT, F. TERRE, Y. LEQUETTE, in Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, Dalloz, 12ème éd., 2008, n° 156, § 5, p. 98. 392 Elle trouve aussi à s’appliquer en matière d’erreur de droit : les juges « tiennent pour partie compte de la situation personnelle du prévenu, mais au regard de la nature et de la complexité de la règle de droit dont l’ignorance est alléguée » (F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 687, p. 670). 393 J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil : Les obligations, 1. L’acte juridique, Sirey, 15 ème éd., 2012, n° 265, p. 259. 66 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 118. L’existence du résultat s’apprécie objectivement : il s’agit de la cause la plus proche, commune à tout délit d’entrave, empêchant les représentants du personnel d’exercer leurs missions. L’intention de nuire s’apprécie subjectivement : sont recherchés les éléments qui ont conduit l’auteur à vouloir le résultat, ce qui suppose d’appréhender concrètement la situation qui y a conduit. Une telle méthode d’appréciation permet d’accentuer le mouvement de « subjectivisation » du droit pénal amorcé dans d’autres domaines que celui de l’entrave, et notamment en matière de harcèlement moral. 119. Conclusion. La méconnaissance du principe « d’intentionnalité » conduit à condamner l’employeur sans se soucier du but recherché. La « ré-affirmation » de ce principe, l’exigence d’un dol spécial, le recours au mobile légal et à une nouvelle méthode d’appréciation ont pour objet de restituer un sens à l’élément moral. De telles avancées conduisent à restreindre le champ offert à la voie pénale. Elle ne serait ouverte qu’aux seules entraves mises aux attributions des instances de représentation du personnel assorties d’une intention de nuire caractérisée. Pour le surplus, il est des sanctions plus efficaces. 67 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Chapitre II - L’imputation de la responsabilité 120. Entre enchantement et désenchantement. Face au risque de poursuite au titre du délit d’entrave le déséquilibre est manifeste entre les membres des instances de représentation du personnel et l’employeur394. Les éventuels agissements répréhensibles des premiers ne donnent généralement pas lieu à poursuites395. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne le chef d’entreprise. Il ne doit pas trop attendre de la délégation de pouvoirs : la sanction pénale le menace alors même que l’effectivité du droit de la représentation du personnel est le fruit d’une responsabilité partagé entre l’employeur, son délégataire, et les membres élus ou désignés des instances de représentation du personnel (Section I). La personne morale pourrait-elle constituer l’écran de nature à exonérer le chef d’entreprise de sa responsabilité ? Rien n’est moins sûr, l’engagement de la responsabilité des personnes morales étant enfermé dans de strictes conditions (Section II). 394 A. COEURET, « La responsabilité pénale des personnes morales pour accident du travail », Dr. social, 1996, p. 158. 395 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 68 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Section I - L’imputation de la responsabilité aux personnes physiques 121. Principe de personnalité. Selon l’article 121-1 du Code pénal « nul n’est responsable que de son propre fait ». La responsabilité est « à la mesure de la participation personnelle du mis en cause à la réalisation des faits qui lui sont reprochés396 ». Sera engagée la responsabilité de tous ceux qui ont personnellement réalisé l’infraction ou, pour le moins, y ont pris une part active. Les responsabilités en cause ne sont pas « exclusives les unes des autres397 ». 122. Auteur, coauteur, complice. L’auteur matériel est celui qui accomplit le ou les actes constitutifs de l’infraction398. S’ils sont accomplis par plusieurs individus, ils en sont coauteurs, donc auteurs à part entière, d’où il résulte que leur situation juridique est différente de celle du complice399, lequel ne réalise pas en sa personne les éléments de l’infraction mais coopère intentionnellement à la commission de celle-ci. 123. Dans l’entreprise. Le principe de personnalité trouve à s’appliquer en droit pénal du travail400. L’ensemble des acteurs de la vie de l’entreprise sont « potentiellement concernés par la responsabilité pénale inhérente aux relations de travail, en fonction bien sûr de leurs défaillances respectives, et aucun ne saurait a priori être exclu de cette responsabilité401 ». Si le chef d’entreprise est concerné, tout salarié l’est aussi, y compris celui qui est investi de fonctions représentatives. 124. Constat. Le fait personnel se conçoit comme toute action ou omission imputable à celui qui l’a réalisé ou qui a participé à sa réalisation. Mais nombreuses sont les infractions qui ne comportent pas d’imputation particulière402. Présentant un caractère 396 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 941. Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 941. 398 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 309, p. 272. 399 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 310, p. 273. 400 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 942 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 246, p. 247. 401 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 942. 402 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 2 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 247, p. 149 ; Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 942. 397 69 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 impersonnel, elles frappent « toute personne », « quiconque », ou sanctionnent « toute infraction » sans référence à la qualité du délinquant403. Tel est le cas du délit d’entrave. Visant « le fait de404 », « le fait d’apporter405 » ou « le fait de porter atteinte406 », le caractère impersonnel de cette infraction élargit le champ des responsables potentiels. L’entrave peut être réalisée par le chef d’entreprise, par un préposé ordinaire, un représentant du personnel (Sous-section I). Il peut l’être aussi par un salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs (Sous-section II). 403 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 2. 404 C. trav., art. L. 2328-2 ; L. 2335-1 ; L. 2431-1 ; L. 2432-1 et s. 405 C. trav., art. L. 2328-1 ; L. 2346-1 ; L.2355-1 ; L. 2365-1 ; L. 2375-1. 406 C. trav., art. L. 2316-1. 70 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Sous-section I - La responsabilité pénale du chef d’entreprise 126. Responsabilité partagée. Les entraves reprochées au chef d’entreprise ne doivent pas occulter les agissements fautifs des représentants du personnel (lato sensu). Ces derniers acteurs jouent un rôle majeur dans le fonctionnement des instances dont ils peuvent perturber le fonctionnement normal. Le droit de la représentation du personnel suppose pour que son effectivité soit assurée une responsabilité partagée entre le chef d’entreprise (§I) et ses interlocuteurs (§II). §I. La responsabilité pénale du chef d’entreprise 127. Sujet traditionnel. Chargé de mettre en place les instances de représentation du personnel dans l’entreprise et d’en assurer la présidence et de s’attacher à leur bon fonctionnement, l’employeur est le premier exposé à des poursuites au titre du délit d’entrave. Mais la diversité des formes d’entreprises et leur enchevêtrement au sein de groupes aux frontières parfois incertaines peuvent rendre difficile la détermination du responsable (I) et de sa responsabilité (II). I. 128. Détermination du chef d’entreprise responsable Présomption d’autorité. La responsabilité « repose en principe sur celui qui dispose des pouvoirs les plus étendus dans l’ordre interne pour faire respecter la législation sociale407 ». La responsabilité pénale des personnes physiques dans l’entreprise repose sur une présomption d’autorité. En application de ce principe, la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, assimilé le chef d’établissement au chef d’entreprise. Le chef d’établissement est le responsable hiérarchique direct de l’entreprise à l’égard des salariés travaillant dans l’établissement408. Il n’en reste pas 407 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 7. 408 Cass. crim., 23 nov. 1950 : Bull. crim. 1950, n° 267 ; Dr, ouvrier, 1952, p. 358 ; Cass. crim., 23 avr. 1966 : Bull. crim. 1966, n° 125 ; Cass. crim., 16 juin 1971 : Bull. crim. 1971, n° 192 ; Cass. crim., 22 mai 1973 : Bull. crim. 1973, n° 230 ; Cass. crim., 23 janv. 1975 : Bull. crim. 1975, n° 30. S’agissant de la 71 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 moins que pour identifier le chef d’entreprise, il faut conjuguer un critère formel et un critère réel. Dirigeants de droit (A) et dirigeants de fait (B) doivent être identifiés. A. Les dirigeants de droit : le critère formel 129. Définition. La qualité de chef d’entreprise revient à celui qui, au regard de la structure juridique adoptée, est censé en assumer la direction. Dans une entité à structure individuelle, cette qualité revient à celui qui a en charge la direction effective de l’entreprise ; ce dernier assume aussi la responsabilité pénale409. Dans une société (1°), une association (2°), la qualité de chef d’entreprise revient « à la personne qui, à titre originaire, détient la plénitude des pouvoirs de direction sur le personnel et les biens affectés à l’activité410 ». Son identification s’opère en fonction du type de personne morale. 1°. 130. Les sociétés Société à responsabilité limitée. Aux termes de l’article L. 223-18 du Code de commerce, le gérant, personne physique assurant la gestion de la société en assure la direction. Si plusieurs gérants ont été nommés, ils assument une responsabilité collective. Si une infraction est commise, chacun en est coauteur sauf répartition des pouvoirs emportant répartition des responsabilités411. 131. Société anonyme. Dans les sociétés anonymes de type classique412, le président du conseil d’administration a la qualité de chef d’entreprise « en raison de l’importance et de la permanence de ses fonctions413 ». Néanmoins, depuis la loi NRE du 15 mai représentation du personnel, le chef d’établissement est titulaire d’une délégation de pouvoirs puisque la compétence du comité d’établissement qu’il préside, est déterminée en fonction des pouvoirs qui lui sont confiés (C. trav., art. L. 2327-15). 409 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 7 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 250, p. 150. 410 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 251, p. 150. 411 Cass. crim., 30 sept. 2003, n° 02-83183 ; Cass. crim., 19 janv. 1993, n° 92-80157. 412 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 677, p. 366. 413 Cass. crim., 17 oct. 2000 : Bull. crim. 2000, n° 300 ; JCP E 2001, II, p. 904, note J.-H. ROBERT ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 253, p. 151 ; J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 10. 72 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 2001414, la direction générale de la société est assumée, sous sa responsabilité, soit par le président du conseil d’administration, soit par une autre personne, le directeur général, nommée par le conseil d’administration415, assumant le pouvoir exécutif de l’entreprise, ce qui fait également reposer sur lui la responsabilité pénale416. 132. Dans les sociétés anonymes à directoire417, la Cour de cassation retient tantôt la responsabilité du président du directoire418, tantôt, en cas de répartition du pouvoir entre les membres de ce dernier, la responsabilité d’un autre membre de cette instance419. Ainsi, a-t-elle approuvé la relaxe d’un président de directoire dans un cas où s’était produit un accident du travail : sa responsabilité ne pouvait être retenue, faute de posséder, en raison d’une répartition et d’une spécialisation des pouvoirs entre les cinq membres de l’institution, des pouvoirs d’application des règles de production, d’exploitation ou d’hygiène et de sécurité420. 133. Société en nom collectif. La qualité du chef d’entreprise est attribuée soit au gérant unique, soit aux cogérants, sauf spécialisation des fonctions de direction421. 134. Société par actions simplifiée. Les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d’administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée422. Le président est, en sa qualité de représentant légal de la société, investi des pouvoirs les plus étendus pour représenter celle-ci. Il n’en demeure pas moins qu’il peut être procédé à une répartition 414 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques. C. com., art. L. 225-51-1. 416 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 10 ; A. COURET, La loi sur les nouvelles régulations économiques. La régulation dans l’entreprise, JCP G, 2001, 339 ; Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 943. 417 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 677, p. 366. 418 Cass. crim., 9 oct. 1984 : JCP E, 1985, 14495, note G. VACHET. 419 A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social, 1975, p. 396 ; Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 943. 420 Cass. crim., 2 juin 1987 : Synd. des mineurs CFDT de la potasse ; A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social 1975, p. 396 ; J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 11. 421 C. Com., art. L. 221-4. 422 C. Com., art. L. 227-8 ; M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 956, p. 494. 415 73 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 des fonctions de représentation entre le président et le directeur général ou le directeur général délégué423. 2°. 135. Les associations et les syndicats Qu’il s’agisse d’une association ou d’un syndicat, la qualité de chef d’entreprise est attribuée à celui, président, secrétaire général, qui exerce le pouvoir suprême. Il lui revient d’assumer la responsabilité des infractions à la législation sociale424. B. Les dirigeants de fait : le critère réel 136. Définition. Il est important de désigner la personne qui assume effectivement la direction de l’entreprise, indépendamment de la structure juridique adoptée425 : la responsabilité pénale ne tient pas seulement « à des pouvoirs juridiquement aménagés. Elle s’attache encore à l’exercice de pouvoirs qui ne se doublent pas d’une reconnaissance légale ou statutaire426 ». Tel est le cas du salarié, chef de chantier, qui, de fait, se substitue au chef d’entreprise ; sa responsabilité peut, à ce titre, être engagée427. La personnalisation « facteur de responsabilité pénale tient plus à 423 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, 26 ème éd., 2013, n° 954, p. 493. Cette question de la représentation a connu un regain d’intérêt, donnant lieu à un arrêt de la Cour de cassation (Cass. Ch. Mixte., 19 nov. 2010, n° 10-10095, n° 10-30215,Bull. ch. mix., 2010, n° 1). Le communiqué de presse du 19 novembre 2010, l’avis de M. ALLIX, avocat général ainsi que le rapport du Conseiller ANDRE sont consultables sur le site de la Cour de cassation. L’ensemble de ces documents, accompagnant cet arrêt, attirent notre attention sur la confusion opérée par les juges du fond entre la répartition (délégation) entre le président et les directeurs généraux du pouvoir général de représentation de la SAS à l’égard des tiers (C. com. art. L. 227-6) et la délégation de pouvoir fonctionnelle qui permet aux représentants de la SAS, comme de toute société de déléguer leurs pouvoirs de gestion. (Voir sur ce point notamment : A. COEURET, F. DUQUESNE, « Les licenciements dans la SAS : fin d’une controverse et ébauche d’une théorie du pouvoir délégué », Dr. social, 2011, p. 382 ; P. HENRIOT, « La délégation de pouvoirs fonctionnelle un cheval de Troie dans les SAS ? » SSL, 2010, n° 1469, p. 6 ; J.-Ph. ROBE, « Des délégations de pouvoirs dans les SAS, remarques sur quelques arrêts récents », SSL, 2010, n° 1459, p. 15). 424 Cass. crim., 18 janv. 1987 : Bull. crim., n° 29 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 257, p. 152. 425 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 6. 426 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 944. 427 Cass. crim. 10 mars 1998 : Bull. crim., 1998, n° 94, Rev. sc. crim., 1998, obs. B. BOULOC, p. 764. 74 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’effectivité des pouvoirs exercés, qu’à la qualité qui en attribue légalement l’exercice428 ». 137. Incidences. En droit pénal, « l’impuissant n’est pas condamnable429 ». Une personne physique ne saurait être condamnée pour une décision qu’elle n’a pas le pouvoir de prendre. La responsabilité pénale s’abat sur celui qui assume les prérogatives de l’employeur : gestion, direction, surveillance, embauche des salariés430. Parce qu’il est considéré comme le responsable de la société par le personnel de celle-ci431, un salarié peut être désigné comme dirigeant de fait432. 138. Les sociétés créées de fait. Une société créée de fait est une société qui s’ignore. Le critère formel est « inefficace lorsqu’il n’existe pas de structure juridique apparente où il pourrait trouver à s’appliquer433 ». La Cour de cassation a dû tenir compte de ces situations pour déterminer les personnes, détentrices des pouvoirs de gestion, sur lesquelles pèse la responsabilité pénale. Ainsi, un puisatier fut-il reconnu responsable de l’inobservation des règles de sécurité dont l’un de ses deux frères avait été victime. Sa responsabilité pénale a été engagée, car à eux trois ils constituaient une entreprise de fait dont il était le gérant de fait, assurant la direction des opérations de forage434. II. 139. Le régime de la responsabilité De la responsabilité pénale de l’employeur, quels sont les fondements (A) ? Quelle en est l’étendue (B) ? A. Les fondements de la responsabilité pénale de l’employeur 428 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 944. J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 20. 430 Cass. crim., 12 sept. 2000 : Bull. crim. 2000, n° 268, RJS, 2000, n° 554. 431 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 270, p. 158. 432 Contra : Cass. crim., 23 nov. 2004, n° 04-88830 : JCP G 2005, 1122; RJS, 2005, n° 459. 433 J-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220,n° 21. 434 Cass. crim. 16 mars 1971, n° 70-92539 : Bull. crim., 1971, n° 88 ; Rev. sc. crim., 1971, obs. G. LEVASSEUR, p. 944. 429 75 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 140. Complexité. Le régime de la responsabilité pénale du chef d’entreprise n’est « prévu par aucune disposition légale, quelle que soit la réglementation considérée 435 ». Le Code du travail se réfère souvent à la qualité d’employeur pour déterminer l’auteur de l’infraction. Il ne renvoie parfois à aucune qualité précise, visant « toute personne » ou « quiconque »436 . « La neutralité de l’expression employée ne rend pas compte de la complexité du régime de responsabilité pénale du chef d’entreprise et plus généralement de tout décideur437 ». Cette complexité impose d’étudier séparément la responsabilité pénale personnelle du chef d’entreprise (1°) et celle encourue du fait du salarié (2°). 1°. 141. La responsabilité personnelle de l’employeur Le chef d’entreprise répond des infractions qu’il a personnellement commises438. Principe fondamental439 de valeur constitutionnelle440, la responsabilité pénale est inaliénable et ne saurait faire l’objet d’une quelconque assurance. L’employeur peut être auteur, coauteur ou complice. 142. Auteur moral. Le Code pénal engage la responsabilité de celui qui fait (l’auteur matériel), mais aussi, à titre exceptionnel, de celui qui fait faire, l’auteur moral de l’infraction441. Les rédacteurs du nouveau Code pénal ont, un temps, envisagé de punir comme auteur tout instigateur. Certains ont même projeté d’élaborer un texte tendant à retenir la responsabilité du « décideur ». Cette voie n’a pas été empruntée. Le législateur 435 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 270, p. 159. M. DELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l’individu et l’entreprise : culpabilité “du fait d’autrui” ou du “décideur” » », JCP E, 1985, 3218. 437 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 270, p. 260 ; voir aussi : M. DELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l’individu et l’entreprise : culpabilité “du fait d’autrui” ou du “décideur” » », JCP E, 1985, 3218. 438 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 270, p. 158 ; B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 308, p. 272. 439 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 933, p. 634. 440 Cons. constit., 2 déc 1976 : décision n° 1976-70 DC : JO, 7 déc. 1976, p. 7052 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 506, p. 487. 441 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 308, p. 272 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 948, p. 642. 436 76 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 a retenu, comme naguère, la responsabilité, en tant que complice442, de celui qui provoque443, exposé à la même sanction que l’auteur principal444. 143. L’absence de responsabilité pénale du fait d’autrui se déduit du caractère personnel de cette responsabilité445. Un chef d’entreprise ne saurait être pénalement responsable d’une infraction commise par l’un de ses salariés446. Cette solution est acquise pour les infractions intentionnelles : le salarié qui commet intentionnellement une infraction en est responsable, y compris lorsqu’il agit sous la contrainte de son employeur447. La solution est en revanche discutable pour les infractions non intentionnelles. 2°. 144. La responsabilité pénale du fait d’autrui Spécificité du droit pénal du travail448, la responsabilité pénale du chef d’entreprise peut aussi être engagée, sous certaines conditions, en raison d’une infraction révélée par un comportement d’un salarié449, solution affirmée dès 1938450, réaffirmée en 1950451 : l’employeur est responsable pénalement du fait de son salarié. Est consacré un « emprunt de matérialité de l’infraction par rapport au texte incriminateur452 ». La question du fondement de cette responsabilité reste posée. a. Diversité des fondements doctrinaux 442 L’article 121-7, alinéa 2 du Code pénal dispose : « Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre ». 443 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 312, p. 274 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 948, p. 642. 444 C. pén., art. 121-6. 445 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 934, p. 634. 446 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 934, p. 634. 447 Cass. crim., 26 juin 2002, n° 01-87314 : Bull. crim. 2002, n° 148 ; Dr. pén., 2005, comm. 133, obs. M. VERON ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 934, p. 634. 448 M. DELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l’individu et l’entreprise : culpabilité “du fait d’autrui” ou du “décideur” », JCP E, 1985, 3218. Cette responsabilité trouve à s’appliquer en droit des sociétés, ou encore en droit pénal des affaires. Si elle s’applique au chef d’entreprise, elle trouve aussi à s’appliquer à l’égard de « tout décideur » : service hospitalier, commune, entreprise. 449 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 270, p. 158. 450 Cass. crim., 6 janv. 1938 : Gaz. Pal. 1938, I, 813. 451 Cass. crim., 23 nov. 1950 : Dr. ouvrier, 1952, p. 358. 452 M. DELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l’individu et l’entreprise : culpabilité “du fait d’autrui” ou du “décideur” », JCP E, 1985, 3218. 77 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 145. Diversité. A la responsabilité du fait d’autrui, plusieurs fondements sont proposés. 146. Théorie du risque. Puisque le chef d’entreprise « tire avantage de son activité, il doit assumer également les inconvénients453 ». Retenue par certains tribunaux454, cette théorie méconnaît le principe général selon lequel le droit pénal est un droit rétributif455. 147. Théorie de l’employeur complice. Deux séries de difficultés s’opposent à l’application de la théorie de l’employeur complice. La caractérisation de l’élément matériel est aléatoire. De plus, un employeur assistant impassible à l’accomplissement d’une infraction ne peut guère faire l’objet d’une condamnation au titre de la complicité dans la mesure où il n’a rien fait pour empêcher son délégataire ou son subordonné d’agir même si la Cour de cassation considère que lorsque l’auteur principal est puni pour une infraction par omission, la passivité du complice est répréhensible456. 148. La théorie de l’obligation légale de surveillance. Le chef d’entreprise est tenu de veiller au respect de la réglementation par l’ensemble de son personnel. La violation de ces prescriptions « ne ferait que révéler sa propre carence457 ». La responsabilité pénale de l’employeur trouverait son origine dans une abstention, « une faute de négligence antérieure à l’accomplissement de l’infraction458 ». Cette théorie présente l’inconvénient d’aboutir à un éclatement de l’élément matériel de l’infraction entre commission pour le salarié et omission pour l’employeur459. Un tel dédoublement « revient, sans qu’aucun texte ne l’autorise expressément, à consacrer l’existence 453 M. DELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l’individu et l’entreprise : culpabilité “du fait d’autrui” ou du “décideur” », JCP E, 1985, 3218. 454 T. Corr. Pont Audemer, 9 juill. 1958, JCP G, 1958, 10760; T. Pol. Hazebrouck, 4 juill. 1962, JCP G, 1962, 3990. 455 M. DELMAS-MARTY, « Le droit pénal, l’individu et l’entreprise : culpabilité “du fait d’autrui” ou du “décideur” », JCP E, 1985, 3218 ; R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal général , Cujas, 7ème éd., 1997, n° 528, p. 667. 456 Cass. Crim., 26 oct. 1912 : S. 1912, II, p. 225, note Roux ; R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal général , Cujas, 7ème éd., 1997, n° 551, p. 692 ; A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social, 1975, p. 396. 457 A. COEURET, op. cit., Dr. social, 1975, p. 396. 458 A. COEURET, op. cit., Dr. social, 1975, p. 396. 459 Cass. 1er déc. 1923 : A. HENRY, note D. 1924, I, p. 177. R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 528, p. 667. 78 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’infractions de commission, par omission460 », lesquelles sont contraires au principe de légalité. 149. La théorie de l’auteur moral. La référence à l’auteur moral a pour conséquence que « le prétendu responsable pour autrui n’est en réalité que l’un des coauteurs461 ». La pluralité d’auteurs ne s’accompagne pas du dédoublement de l’élément matériel : celuici reste unique. L’employeur est sanctionné en raison d’une faute personnelle laquelle s’analyse en une faute d’imprudence en lien avec l’infraction. Mais il existe une contradiction entre le principe de personnalité des peines et la responsabilité du fait d’autrui ; l’individu pénalement responsable du fait d’autrui doit « comparaître en justice et subir une condamnation personnelle, en réparation d’une infraction à laquelle il n’a apparemment pris aucune part matérielle462 ». Cette contradiction est accentuée par le recours à une présomption irréfragable de responsabilité463. Est consacrée une responsabilité sans faute464. Cette théorie est dans de rares cas appliquée à des infractions intentionnelles. Ainsi, un employeur a-t-il été condamné pour obstacle mis à l’exercice des fonctions d’un inspecteur du travail, bien qu’il fût absent au moment des faits et que ceux-ci aient été commis par ses salariés465. En matière d’entrave aux fonctions de représentant du personnel, dans la mesure où cette infraction est commise matériellement par un salarié, l’employeur ne peut être rendu responsable qu’en application des dispositions applicables en matière de complicité ou de coaction. Si cette théorie peut apparaître souple et efficace, il reste que, juridiquement, elle est 460 A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social, 1975, p. 396 ; G. LEVASSEUR, Rapport XXIème Séminaire, Liège, Rev. sc. crim., 1968-1969, p. 387. 461 A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social, 1975, p. 396. 462 R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 526, p. 664. 463 « Il s’agit d’assurer la répression de faits en eux-mêmes peu graves, mais qui sont fréquents et dont, pour éviter la multiplication, il importe de simplifier la preuve », M.-A. LEGAL, « La responsabilité pénale du fait d’autrui dans son application au chef d’entreprise », Mélanges offerts à J. BRETHE de la GRESSAYE, Bordeaux, éd. Bières, 1968. 464 « Que ce soit positivement ou négativement la faute n’apparaît en effet pratiquement jamais et cela revient à lui conférer l’aspect d’une pure fiction » (A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social, 1975, p. 396). 465 Cass. crim., 8 avr. 1956 : Bull. crim., LEVEL, « La faute involontaire de l’employeur et sa responsabilité pénale à la suite d’agissements de son personnel » JCP G, 1960, 1959 ; « De quelques atteintes au principe de la personnalité des peines », JCP G, 1960, n° 1583. 79 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 dangereuse en ce qu’elle fait l’impasse sur l’élément matériel466. C’est pourtant vers une théorie analogue que le juge et le législateur tournent. b. Unicité d’un fondement jurisprudentiel 150. La faute dans l’exercice du pouvoir. « La responsabilité pénale de l’ouvrier chargé de diriger la manœuvre, à supposer qu’elle fût engagée, n’était pas exclusive de celle du chef d’entreprise, à qui il incombait de veiller personnellement dans les parties de l’entreprise dont il avait l’administration directe, à la stricte application, par ses subordonnés des prescriptions légales ou réglementaires destinées à assurer la sécurité des ouvriers467 ». Cet arrêt fondateur, rendu le 23 novembre 1950, admet que la responsabilité du chef d’entreprise trouve son fondement dans le pouvoir de donner des ordres et de sanctionner disciplinairement les comportements illicites. 151. Critiques. Selon le Professeur BOULOC, la « justification de la responsabilité par la théorie de la faute personnelle du décideur n’est pas très différente de celle qui voit dans le chef d’entreprise un auteur moral de l’infraction matériellement commise par autrui, en dehors et en l’absence de toute réglementation particulière468 ». Pour engager la responsabilité du chef d’entreprise, il n’est pas nécessaire que soit relevé un rapport contractuel ou quasi contractuel, voire de fait. Il suffit que « l’auteur moral ait commis une faute et que cette faute ait été une cause médiate ou indirecte de l’infraction469 ». Peu importe le fondement, faute personnelle ou qualité d’auteur moral ; selon le Professeur BOULOC, la responsabilité pénale du fait d’autrui n’existe pas. Il s’agirait « d’une responsabilité personnelle à raison du fait délictueux commis matériellement par autrui. Si bien que la dérogation aux principes que nul n’est punissable qu’à raison de son propre fait personnel, et que la sanction pénale ne peut frapper que l’auteur de l’infraction, est plus apparente que réelle470 ». 466 A. COEURET, « Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social, 1975, p. 396. Cass. crim., 23 nov. 1950 : Dr. ouvrier, 1952, p. 358 ; Voir aussi Cass. crim., 30 nov. 1950 : D. 1951, p. 161 ; Cass. crim., 14 janv. 1953 : Bull. crim., n° 15 ; Cass. crim., 28 juill. 1953 : Bull. crim., n° 261 ; Cass. crim., 2 févr. 1954 : Bull. crim. n° 50 ; Cass. crim., 29 févr. 1956 : Bull. crim., n° 53. 468 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 390, p. 326. 469 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 390, p. 326. 470 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 390, p. 326. 467 80 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 152. Cette analyse est pour partie contestable. Il existe bien, à notre sens, une responsabilité pénale du fait d’autrui. Il ne s’agit pas simplement d’une responsabilité personnelle à raison d’un fait délictueux commis matériellement par autrui. Le chef d’entreprise est responsable pénalement en raison d’un manquement à son obligation de surveillance. Mais cette responsabilité n’est mise en cause qu’en raison des faits fautifs d’un salarié. Cet emprunt repose sur un lien contractuel ou quasi contractuel ou tient à la dimension contractuelle du rapport établi entre le salarié, qui a commis matériellement la faute, et l’employeur (ou le décideur). La faute personnelle « du décideur investi d’une autorité et de pouvoirs sur l’ensemble de la réalité collective formée par l’entreprise est le seul fondement possible de sa responsabilité pénale471 ». Consacré par le juge, ce fondement est affirmé par la loi du 6 décembre 1976 dont la version initiale visait la faute personnelle des chefs d’établissement, directeurs, gérants ou préposés472. 153. Reste que cette responsabilité a, au fil du temps, évolué. La Cour de cassation a d’abord affirmé de manière plus directe la responsabilité du chef d’entreprise. Ce dernier doit veiller personnellement, à tout moment, « à la stricte et constante exécution473 » des dispositions légales visant à assurer la santé et la sécurité des salariés. Le principe de mise en œuvre de la responsabilité pénale pour faute personnelle a subsisté même si le texte en jeu a fait l’objet à deux reprises de modifications. Le législateur a, en premier lieu, remplacé l’énumération précédente par les termes « d’employeur ou de préposé474 ». Il a, ensuite, remplacé le terme de préposé par « ou son délégataire475 ». La loi du 6 décembre 1976 n’a fait qu’entériner des solutions jurisprudentielles existantes476. La responsabilité repose sur une présomption 471 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 274, p. 161. L. n° 76-1106 du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail. 473 Cass. crim., 19 déc. 1956 : Bull. crim., 1956, n° 859 ; Cass. crim., 4 juin 1957 : Bull. crim., 1957, n° 486 ; Cass. crim., 18 déc. 1963 : Bull. crim., 1963, n° 368 ; Cass. crim., 20 nov. 1974 : Gaz. Pal., 1975, 1, p. 344 ; Cass. crim., 29 janv. 1985 : JCP E, 1985, 14532, note O. GODARD. 474 L. n° 2008-67, 21 janv. 2008, relative au code du travail, art. 3. 475 L. n° 2011-525, du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration du droit, art. 170. Par cette loi, le législateur reconnaît explicitement la possibilité de recourir à la délégation de pouvoir. La lisibilité du texte n’en est que renforcée. 476 En ce sens voir A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 278, p. 163. 472 81 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’autorité ; elle « ne saurait être remise en cause par [une] exigence de faute personnelle477 ». 154. Le juge s’est alors attaché à enrichir, étoffer, et préciser le contenu de cette présomption d’autorité478. Ainsi, la faute personnelle du chef d’entreprise ou de son délégataire peut consister en un défaut de surveillance des salariés479, une défaillance dans l’organisation matérielle ou administrative du travail480, un défaut de formation du personnel aux questions de sécurité481. Ces solutions « modèlent l’obligation du chef d’entreprise en fonction des prérogatives d’autorité qu’il exerce sur son personnel. Elles permettent de penser que le véritable fondement de sa responsabilité pénale se trouve dans le pouvoir de diriger l’entreprise et de sanctionner par la voie disciplinaire les comportements contraires aux impératifs de sécurité482 ». 155. Les lois du 13 mai 1996 et du 10 juillet 2000 ont permis d’asseoir la théorie du pouvoir d’une manière d’autant plus forte qu’elles intervenaient au lendemain de l’adoption du nouveau Code pénal consacrant le principe de la responsabilité pénale du fait personnel. Ces deux lois tempèrent le principe posé via la définition de la faute d’imprudence483. Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’article 121-3 du Code pénal imposait aux juges de rechercher « si en tant qu’employeur pourvu de la compétence, de l’autorité nécessaire et des moyens nécessaires à sa mission, il avait accompli les diligences normales lui incombant (…) notamment en veillant à l’application effective des consignes écrites de sécurité484 ». De la qualité d’employeur 477 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 279, p. 164. « L’attention doit plutôt être portée sur la manière dont le rôle d’autorité exercé par la personne physique ayant eu une telle qualité imprègne les différents aspects de cette faute ». A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 279, p. 164. 479 Pour une décision topique voir Cass. crim., 12 juill. 1988, n° 87-91774 : Bull. crim., 1988, n° 302 ; Rev. sc. crim., 1989, obs. Ch. LAZERGUES, p. 140. 480 Cass. crim., 28 févr. 2006, n° 05-85054 : Dr. social, 2006, p. 1056, note F.DUQUESNE. 481 Cass. crim., 2 mai 1989 : Bull. crim.,1989, n° 175 ; Cass. crim., 23 janv. 2007, n° 05-87726 : RJS, 2007, n° 617. 482 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 279, p. 164. 483 C. pén., art. 121-3 ; Loi n° 2000-647 du 11 juillet 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, art. 1. 484 Cass. crim., 19 nov. 1996, n° 95-85945 : Bull. crim., n° 413 ; Dr. pén., 1996, comm. 33, obs. M.VERON. 478 82 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 découlent compétence, pouvoirs et moyens nécessaires à l’accomplissement de la mission485. 156. Un parallèle peut être établi avec le mécanisme de la délégation de pouvoirs. L’employeur cesse d’être responsable en principe dès lors qu’il a délégué ses pouvoirs à l’un de ses salariés, à condition que ce dernier soit pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission486. Le législateur et le juge confortent l’idée selon laquelle « le véritable fondement de la responsabilité du débiteur de l’obligation pénalement sanctionnée [est] le pouvoir exercé par ce dernier487 ». 157. Il n’en demeure pas moins que cette responsabilité pénale reste imparfaite en ce qu’elle contrevient au principe selon lequel nul n’est punissable qu’à raison de son propre fait et méconnaît la règle selon laquelle la sanction pénale ne peut frapper que l’auteur de l’infraction. L’engagement de la responsabilité de l’employeur découle du fait matériel commis par son salarié. La contradiction avec le premier des principes précédents n’est pas simplement apparente ; elle est réelle. Elle est accentuée par le caractère irréfragable de la présomption de responsabilité du fait d’autrui pesant sur l’employeur488. B. L’étendue de la responsabilité 158. La responsabilité du chef d’entreprise est engagée en raison d’agissements non intentionnels (1°). Les agissements intentionnels d’un subordonné (2°) excluent la responsabilité du chef d’entreprise. 485 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 280, p. 166. Cass. crim., 14 oct. 1997 : Bull. crim., 1997, n° 334 ; Cass. crim., 30 juin 1998 et 3 nov. 1998 : RJS, 1999, n° 53 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 280, p. 166. 487 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 260, p. 154. 488 R. HIDALGO, G. SALOMON, P. MORVAN, « Entreprise et responsabilité pénale », LGDJ, 1994, p. 128. 486 83 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 1°. 159. Les agissements non intentionnels Santé et sécurité. Il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante application des dispositions légales relatives à la santé et à la sécurité des salariés489. Il lui appartient de prendre les dispositions nécessaires commandées par les circonstances et relevant de son obligation générale de sécurité490. La responsabilité du fait d’autrui s’est essentiellement développée à l’occasion des manquements relevés sur ce terrain. La violation par un salarié d’une règle de sécurité peut être reprochée à l’employeur491. Cette responsabilité repose sur une faute personnelle du décideur constituée par un manquement à son obligation de sécurité492. 160. Atteinte à l’intégrité physique. Sont visées les atteintes à l’intégrité physique d’un salarié caractéristiques d’un homicide involontaire493 ou de blessures involontaires494. Le non respect des prescriptions en matière de santé ou de sécurité avec ou sans atteinte à l’intégrité physique du salarié peut être à l’origine de l’engagement de la responsabilité de l’employeur. Dans ces circonstances, la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et la faute commise doit être rapportée495. Il doit être certain496 et constaté par les juges du fond497. Il peut être 489 Cass. crim., 22 mai 1973, n° 72-90777 : Bull. crim., 1973, n° 230 ; Cass. crim., 16 juin 1971 : Bull. Crim. n° 192; Cass. crim., 23 janv. 1975 : Bull. crim., 1975, n° 30 ; Cass. crim., 17 oct. 1995, n° 9385440 : Dr. ouvrier, 1997, p. 36. 490 Cass. crim., 19 nov. 1996, n° 95-85945 : Bull. crim., n° 41 : « Le simple constat qu’une prescription obligatoire n’a pas été respectée suffit en principe à caractériser l’élément moral en même temps que l’élément matériel de l’infraction » (A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 280, p. 166). 491 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 41. 492 C. trav., art. L. 4741-1 ; « Les dispositions édictées par le Code du travail ou les règlements pris pour son application…dans le but d’assurer la protection des ouvriers obligatoires, et il appartient au chef d’entreprise…de veiller personnellement et à tous moments à la stricte et constante application des dispositions réglementaires destinées à assurer la sécurité de son personnel » : Cass. crim., 19 déc. 1956 : Bull. crim. 1956, n° 59 ; Cass. crim., 4 juin 1957 : Bull. crim. 1957, n° 486 ; Cass. crim., 18 déc. 1963 : Bull. crim. 1963, n° 368 ; Cass. crim., 4 nov. 1964 : Gaz. Pal. 1965, 1, p. 80 ; Cass. crim., 15 déc. 1976 : Bull. crim. 1976, n° 369 ; JCP G 1977, IV, p. 35 ; Cass. crim., 2 oct. 1979 : Bull. crim. 1979, n° 267 ; Cass. crim., 29 janv. 1985 : JCP E 1985, II, 14531, note O. GODARD ; Cass. crim., 12 juill. 1988 : Bull. crim. 1988, n° 302 ; Cass. crim., 16 janv. 1990 : JCP G 1990, IV, p. 143 ; Cass. crim., 27 nov. 2001, n° 00-86968, inédit ; Cass. crim., 5 mars 2002, n° 01-86053, inédit. 493 C. pén., art. 221-6. 494 C. pén., art. 222-19, 222-20, R. 622-1, R. 625-2 et R. 625-3. 495 A. ALLAT, A. COEURET, « Accident du travail, les incidences de la loi Perben II », SSL, 14 mars 2005, n° 1206, p. 7. 84 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 direct : la responsabilité de l’employeur est engagée à l’occasion d’une faute simple, pour imprudence, négligence ou manquement à une obligation générale de sécurité498. Ce lien peut aussi être indirect499. Si l’employeur a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, sa responsabilité peut être engagée500. Le chef d’entreprise commet « nécessairement une telle faute quand il se rend coupable de négligence dans l’exercice de ses fonctions501 ». 161. En l’absence d’atteinte à l’intégrité physique. La mise en danger délibérée d’autrui peut résulter du « fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement502 ». 2°. Les agissements intentionnels 496 E. FORTIS, « Les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 en droit pénal », Rev. sc. crim., 2001, p. 737. 497 Jurisprudence constante : Cass. crim., 30 mai 1980 : Bull. crim., 1980, n° 166 ; Cass. crim., 2 mars 1994 : Bull. crim., 1994, n° 85 ; Cass. crim., 14 févr. 1996 : Bull. crim., 1996, n° 78 ; Cass. crim., 17 oct. 2000, n° 99-86710 ; Cass. crim., 4 oct. 2005 : Bull. crim., 2005, n° 251. 498 C. pén., art. 121-3, al. 2 et C. trav., art. L 4121-1 ; pour exemple : Cass. crim., 16 sept. 2008 : Dr. ouvrier, 2009, p. 112, obs. E. LAFUMA. 499 C. pén., art. 121-3, al. 4. 500 A. COEURET, B. GAURIAU, M. MINE, Droit du travail, Sirey, 2ème éd., 2009, n° 724, p. 533. Justifie sa décision la Cour d’appel qui déclare un chef d’entreprise coupable d’homicide involontaire à la suite du décès d’un salarié dans l’éboulement d’une tranchée non étayée ou blindée, après avoir relevé que le prévenu avait pris sa décision de ne pas utiliser le matériel de blindage dont l’installation est prescrite par l’article 72 du décret du 8 janvier 1965 ; une telle faute constitue en effet une faute délibérée au sens des dispositions de l’article 121-3, al. 4 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000 : Cass. crim., 12 sept. 2000 : Bull. crim., 2000, n° 268 ; Cass. crim., 24 oct. 2000, n° 0080170 : Bull. crim., 2000, n° 308; RJS, 2001, n° 391 ; Cass. crim., 5 déc. 2000 : Bull. crim., 2000, n° 363, Rev. sc. crim., 2001, p. 379, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 10 janv. 2001 : Bull. crim., 2001, n° 2, Rev. sc. crim., 2001, p. 577, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 16 janv. 2001 : Bull. crim., 2001, n° 14, Rev. sc. crim., 2001, p. 577, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 5 mars 2002 : Rev. sc. crim., 2002, n° 837, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE ; Cass. crim., 11 févr. 2003 : Bull. crim., 2003, n° 28, Rev. sc. crim., 2003, p. 801, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE ; Cass. crim., 31 janv. 2006 : JCP 2006, II, 10079, note E. DREYER ; Cass. crim., 16 mai 2006 : Bull. crim., n° 136, Rev. sc. crim., 2006, p. 160, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 15 janv. 2008, n° 07-80800 : Bull. crim., 2008, n° 6, JCP G 2008, II, 10082, note J.-Y. MARECHAL ; Cass. crim., 28 avr. 2009 : Bull. crim., 2009, n° 80, JCP G 2009, n° 45, 402, note J.-Y. MARECHAL, Cass. crim., 2 mars 2010 : Bull. crim., 2010, n° 44, n° 09-82607. 501 A. COEURET, B. GAURIAU, M. MINE, Droit du travail, Sirey, 2ème éd., 2009, n° 725, p. 534. 502 C. pén. art. 223-1 ; Cass. crim., 16 févr. 1999 : Bull. crim., 1999, n° 24, D. 2000, 9, note A. CERF : « Le délit de mise en danger d’autrui n’est constitué que si le manquement défini par l’article 223-1 a été la cause directe et immédiate du risque auquel été exposé autrui ». 85 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 162. Principe. Le chef d’entreprise ne saurait être tenu pour responsable des infractions intentionnelles commises par l’un de ses salariés au seul motif qu’il n’a pu l’empêcher de les commettre. Ce serait punir un délit de commission par omission503. Il appartient « à la poursuite de faire la preuve de la culpabilité personnelle du prévenu ; c’est-à-dire de l’imputabilité de l’infraction à ce dernier504 ». 163. Exception. Rare sont les délits d’entrave commis par des salariés de leur propre chef et à l’insu du chef d’entreprise. En pratique, ce dernier est souvent à l’origine de la mesure prise ; le salarié a agi sur ses instructions et en son nom505. La responsabilité pénale est alors cumulative. Ainsi, en dehors de toute délégation de pouvoirs, ont été condamnés pour entrave à l’exercice du droit syndical, des salariés qui s’étaient opposés au retour d’un délégué syndical licencié irrégulièrement dont la réintégration avait été judiciairement ordonnée. Saisie des poursuites engagées contre ces salariés, la Cour d'appel avait cru pouvoir décider que « les employés concernés n'avaient pas le pouvoir de direction et d'autorité nécessaires pour constituer un obstacle juridiquement établi à l'entrée du salarié dans les locaux de l'entreprise ». Ils ne pouvaient être coupable d’entrave. Cet arrêt est cassé506. 164. La condamnation d’un salarié n’exclut pas pour autant la responsabilité du chef d’entreprise. Il appartient à ce dernier, en cette qualité, de faire respecter les normes relatives à la représentation collective et de surmonter par exemple, les oppositions manifestées par des salariés à une réintégration. Elles ne sauraient, constituer un cas de 503 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 45 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 276, p. 162 ; Rev. sc. crim., 1968, p. 325, obs. M.-A. LEGAL ; G. LEVASSEUR, Rapport sur l’imputabilité pénale de l’entreprise économique. Séminaire de Liège. Commission droit et vie des affaires, RD pén. crim. 19681969, p. 405. 504 Cass. crim., 23 mai 1978 : Dr ouvrier, 1978, p. 346, note N. ALVAREZ. 505 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 45. Les principes énoncés ci-dessus sont applicables au délit de discrimination syndicale visé par les articles L. 2141-5 et L. 2146-2 du Code du travail. 506 Cass. crim., 9 déc. 1986, n° 86-90552 : Bull. crim., n° 368, Juri-soc., 1987, n° 2, p.17 ; A. COEURET, « Droit syndical et Droit pénal, Regard sur une collaboration fructueuse », in mélanges J.-M. VERDIER, Dalloz, 2001, p. 7 ; M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 1158. 86 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 force majeure de nature à justifier, l'inexécution d'obligations pénalement sanctionnées et à l'exonérer de sa responsabilité507. §II. La responsabilité pénale des autres acteurs de la vie de l’entreprise 165. Impersonnel. Le délit d’entrave présente un caractère impersonnel : tous les acteurs de l’entreprise sont garants du bon fonctionnement des instances de représentation du personnel. Chacun, y compris les personnes étrangères à l’entreprise, peut être condamné dès lors qu’il a participé à la commission de l’infraction : elle peut être imputée à toute personne fautive ; elle n’est pas réservée au chef d’entreprise508, elle peut être le fait d’un préposé, même en dehors de toute délégation de pouvoirs509, ou d’un tiers510. Parce que la loi ne distingue pas selon l’auteur de l’infraction511, un membre du comité d’entreprise (I), voire le comité d’entreprise lui-même en tant que personne morale (II), peuvent être à l’origine du délit d’entrave. I. 166. Le secrétaire du comité Le secrétaire joue un rôle primordial dans le fonctionnement du comité d’entreprise et partage nombre de responsabilités avec l’employeur au point de pouvoir « à lui seul, perturber le fonctionnement normal du comité512 ». Face à des agissements anormaux, les moyens d’action de l’employeur sont restreints. Une action pénale pour entrave engagée par l’employeur seul est vouée à l’échec (A). Il ne peut pas non plus sanctionner disciplinairement l’intéressé (B). 507 Cass. crim., 9 déc. 1986, n° 86-90552 : Bull. crim., n° 368, Juri-soc., 1987, n° 2, p. 17 ; A. COEURET, « Droit syndical et Droit pénal, Regard sur une collaboration fructueuse », in Mél. J.-M. VERDIER, Dalloz, 2001, p. 7 ; M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 1158. 508 Cass. crim., 18 nov. 1997, n° 96-80002 : Bull. Crim., 1997, n° 390 ; M. HAUTEFORT, « Cession d’entreprise : un mandataire social futur repreneur peut être condamné », JSL, 1998, n° 9 ; note M. COHEN, Dr. Soc., 1998, p. 409. 509 Cass. crim., 9 déc. 1986, n° 86-90552 : Bull. crim., n° 368. 510 Cass. crim., 18 nov. 1997, n° 96-80002 : Bull. crim., 1997, n° 390. 511 M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 1158. 512 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 87 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 A. L’action pénale : une voie condamnée 167. Le secrétaire du comité d’entreprise est avant tout un interlocuteur privilégié à la croisée de la direction, des membres du comité, des salariés et de tiers tels que l’inspecteur du travail ou d’éventuels experts. Il est amené à exercer nombre d’attributions qui, si elles sont détournées de leur objet, peuvent conduire à engager sa responsabilité pénale513 (1°). Les poursuites sont néanmoins rarissimes en raison de l’impossibilité pour l’employeur seul d’agir pénalement (2°). 1°. 168. Identification des comportements répréhensibles Elaboration de l’ordre du jour. Le secrétaire du comité d’entreprise514 participe à l’élaboration de l’ordre du jour conjointement avec l’employeur515. Si l’élaboration de l’ordre du jour est avant tout un droit pour le secrétaire, elle est aussi une obligation. Il doit, par son action, favoriser l’établissement de l’ordre du jour ; il ne saurait s’opposer à son établissement sans motif légitime516. Si le comportement abusif de l’employeur est sanctionné par le délit d’entrave, il doit en être de même pour le comportement du secrétaire qui affecterait le fonctionnement normal de l’institution. Les difficultés relatives à l’établissement de l’ordre du jour ont toutefois été réduites par la loi du 18 janvier 2005 : lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition légale ou conventionnelle, elles sont inscrites de plein droit à l’ordre du jour par l'employeur ou le secrétaire517. Le propos518 s’explique par la volonté de mettre fin aux situations de blocage nécessitant de recourir au juge des référés. Si la règle apparaissait salvatrice, elle n’a toutefois pas emporté tous les effets escomptés. En effet, pour la Cour de cassation, le principe d’une élaboration conjointe demeure même en cas de consultation obligatoire. L’employeur qui entend inscrire une question à 513 Il nous faut ici identifier les attributions du secrétaire du comité qui, lorsqu’elles ne sont pas correctement exercées, peuvent perturber le fonctionnement de l’institution. 514 C. trav., art. L. 2325-15, al. 1er ; Cass. soc., 25 avr. 2007 : RJS, 2007, n° 828. 515 Cass. soc., 10 juill. 2002 : RJS, 2002, n° 1247. Adde, Bourges, 7 déc. 1999 : RJS, 2001, n° 312. 516 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 517 C. trav., art. L. 2325-15 ; TGI Paris, réf., 18 sept. 2008, JCP S 2008, 1632, note I. AYACHE-REVAH et P. ROGEZ. 518 L. n° 2005-32 du 18 juin 2005 de programmation pour la cohésion sociale, art. 77 (JO du 19 janv. 2005, p. 864). 88 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’ordre du jour doit la soumettre au préalable au secrétaire et inversement. Seule la constatation d’un désaccord entre l’employeur et le secrétaire autorise une inscription unilatérale519. 169. La Cour de cassation adopte une lecture stricte du mécanisme d’élaboration conjointe de l’ordre du jour. Si l’intention du législateur était d’épuiser tout ou partie du contentieux, une telle lecture n’y contribue pas. Le risque de contentieux demeure notamment dans l’hypothèse d’une consultation non obligatoire : en l’absence d’une fixation conjointe le recours au juge des référés s’impose520. 170. Le procès-verbal dressé à l’issue de chaque réunion du comité d’entreprise retranscrit le contenu des débats et le résultat des délibérations. Il fait l’objet d’une diffusion ou d’un affichage selon les modalités prévues dans le règlement du comité. Le secrétaire de ce dernier en est chargé521. Cette tâche ne saurait être partagée522 avec le chef d’entreprise ou un autre membre du comité sous peine d’entrave523. En revanche elle peut être déléguée à un salarié du comité. 171. Le défaut d’établissement ou le simple retard dans l’établissement du procès- verbal n’est pas sans conséquences pour l’entreprise. Sur le plan pratique, un défaut d’établissement rend impossible la « certification » de la réunion524. De surcroît, la mise 519 Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 08-40821 : JCP S, 2010, 1419, note F. DUMONT; Adde TGI Angers, réf., 3 mars 2005: RJS, 2005, n° 998 ; TGI Paris, réf., 18 sept. 2008, RJS, 2009, n° 370 ; F. SEBE, « Le secrétaire du CE, un acteur incontournable dans l’entreprise », CLCE, 2011, n° 102, p. 5 ; Cette position est conforme à celle retenue par l’administration : « avant que l’insertion de plein droit ne soit mise en œuvre unilatéralement par le président ou le secrétaire, un entretien en vue d’une fixation conjointe doit être proposé par l’un ou l’autre » (Circ. DGEFP-DRT, n° 2005-47, 30 déc. 2005, fiche n° 4). L’exception ne peut être mise en œuvre avant le principe. « La Cour pose un impératif chronologique : l’élaboration conjointe de l’ordre du jour demeure la règle ; l’exception de l’alinéa 2 de l’article L. 2324-15 du Code du travail ne dispense pas l’employeur de soumettre préalablement au secrétaire la question qu’il entend faire inscrire à l’ordre du jour, même s’il s’agit d’une consultation obligatoire » (F. DUMONT, JCP S, 2010, 1419, note sous Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 08-40821). 520 Cette situation est de nature à justifier des poursuites pour entrave (B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 471, p. 268 ; A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863 ; F. SEBE, « Le secrétaire du CE, un acteur incontournable dans l’entreprise », CLCE, 2011, n° 102, p. 5). 521 C. trav., art. L. 2325-21 ; M. COHEN, « La rédaction des procès-verbaux des réunions du comité d’entreprise », RJS, 2004, p. 107. 522 Cass. crim., 25 févr., 1986 : Dr. social 1987, p. 411, obs. J. SAVATIER ; Cass. soc., 25 nov. 2003 : RJS, 2004, n° 223 et obs. p. 107, M. COHEN. 523 Cass. soc., 25 févr. 1986 : Dr. social, 1987, 411, obs. J. SAVATIER. 524 C. trav., art. R. 2325-1 - Dans l’affaire Oracle, tranchée par la Cour de cassation le 25 novembre 2003 , le juge des référés avait reconnu que si « la loi ne prévoit pas les modalités exactes de rédaction du 89 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 en œuvre d’un projet par l’employeur pourrait être contredite par les termes d’un procès-verbal rendu tardivement que l’employeur n’avait pas eu en sa possession en temps utile525. 172. Le refus du secrétaire de rédiger le procès-verbal ou un retard excessif peut aussi avoir pour conséquence de mettre l’entreprise et son employeur en porte-à-faux à l’égard notamment de l’administration du travail. Tel est le cas en ce qui concerne une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé. Adressée à l’inspecteur du travail dans les quinze jours qui suivent la délibération du comité d’entreprise, elle doit être accompagnée du procès-verbal de la réunion526. De même, en matière de licenciement pour motif économique, le chef d’entreprise est tenu de transmettre l’ensemble des procès-verbaux des réunions du comité d’entreprise consacrées à la procédure de licenciement527. L’administration du travail doit être en mesure de s’assurer que le comité d’entreprise et, plus largement, les institutions représentatives du personnel, ont été réunies, informées et consultées. Le refus du secrétaire de rédiger le procès-verbal ou de l’établir « dans un délai acceptable, porte atteinte au fonctionnement normal de l’institution et est de nature à caractériser un préjudice direct et personnel pour l’entreprise528 ». Des poursuites pour entrave au fonctionnement du comité d’entreprise sont concevables. 173. Un gestionnaire : actes de la vie courante. Chargé d’administrer les affaires courantes intéressant le fonctionnement du comité d’entreprise, le secrétaire doit rendre compte de son activité auprès de ce dernier. Il veille notamment au suivi des délibérations régulièrement intervenues. Il commet le délit d’entrave s’il engage des dépenses qui n’ont pas été votées. Il nuit en effet au bon fonctionnement du comité529. procès-verbal, elle lui assigne une fonction d’information des salariés notamment quant aux propositions du comité d’entreprise et aux décisions de l’employeur sur ces propositions » (TGI Nanterre, 26 juill. 2001, réf., qui a donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2003 (Cass. soc., 25 nov. 2003 : RJS, 2004, n° 223 et obs. p. 107, M. COHEN). 525 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 526 C. trav., art. R 2421-10. 527 C. trav., art. L. 1233-46. 528 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 529 Cass. crim., 4 nov. 1988, n° 87-91705. 90 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 174. Actes nécessitant l’aval du comité d’entreprise. Le comité d’entreprise doit être représenté par l’un de ses membres pour effectuer certains actes ne relevant pas de la vie du courante du comité. Selon le Conseil d’État « les activités de gestion à caractère social ou culturel d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’établissement ne peuvent être exercées que par une personne ou par un organisme ayant reçu une délégation expresse à cet effet530 ». Le comité d’entreprise peut désigner le secrétaire. Cette délégation de pouvoirs suppose un vote du comité. Elle peut être spéciale, et ne concerner que certains actes déterminés, ou générale permettant au représentant d’agir au nom du comité pour l’accomplissement de tous les actes mais sous son contrôle531. Il est d’usage de recourir à de telles délégations pour la gestion des activités sociales et culturelles. Le secrétaire ne peut seul, sans autorisation, procéder au licenciement d’un salarié du comité d’entreprise532 ou fermer une cantine, un centre de loisirs ou une bibliothèque. 175. L’obligation de rendre compte. Le secrétaire du comité doit rendre compte de sa gestion et assurer la transparence de la gestion du comité à l’égard de l’employeur et des salariés de l’entreprise, sachant que le comité d’entreprise doit, chaque année, établir « un compte rendu détaillé de sa gestion financière » indiquant notamment « le montant des ressources du comité » au cours de l’année écoulée et « le montant des dépenses soit pour son propre fonctionnement, soit pour celui des activités sociales et culturelles dépendant de lui ou des comités interentreprises auxquels il participe533 ». 176. L’exercice de la capacité juridique. Le comité d’entreprise doit désigner l’un de ses membres pour le représenter afin d’agir en justice. En pratique, ce rôle revient souvent au secrétaire534, plus rarement à un autre membre du comité535. Une distinction doit être faite entre représenter en justice le comité d’entreprise et exercer les voies de recours. Un mandat général qui envisage ces deux hypothèses permet au secrétaire d’agir en justice et d’exercer les voies de recours. En revanche, si le mandat vise 530 CE, 12 févr. 1993, n° 89733, n° 90074. G. COUTURIER, Droit du travail, PUF 1991, n° 66, p. 125. 532 CE, 12 févr. 1993, n° 89733, n° 90074. 533 C. trav., art. R. 2323-37. 534 Cass. soc., 4 avr. 2001, n° 99-40677. 535 Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-18268. 531 91 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 uniquement la représentation du comité en justice, et non l’exercice des voies de recours, le secrétaire doit, pour interjeter appel, être muni d’un pouvoir spécial. À défaut l’appel formé est irrecevable, sauf régularisation dans le délai de recours536. 2°. 177. Un contentieux rare Si le délit d’entrave peut être commis par un membre quelconque du comité d’entreprise537, ce contentieux demeure marginal même si certains des membres de comités d’entreprise ont été condamnés pour entrave, en ce qu’ils avaient nui par leur comportement au bon fonctionnement du comité538. Tel fut le cas du secrétaire du comité qui avait procédé à deux reprises à une distribution de bons d’achats au profit du personnel malgré l’absence d’une décision en ce sens du comité prise à la majorité des voix. Sur plainte avec constitution de partie civile de certains syndicats, il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d’entrave au fonctionnement du comité. Il fut condamné car il avait « par son comportement irrégulier nui au bon fonctionnement du comité539 ». 178. Le faible nombre de contentieux de ce type « ne traduit nullement un comportement irréprochable de la représentation du personnel au comité d’entreprise mais une réticence des membres du comité à agir contre l’un des leurs 540 », ce qui conduit à un déséquilibre entre les salariés membres du comité et le chef d’entreprise. 179. Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, seul le comité d’entreprise a qualité pour agir et exercer l’action civile541. Il est constant que le chef d’entreprise, 536 Cass. soc., 8 déc. 2009, n° 08-17041 ; Voir F. BARBE, « Le secrétaire doit avoir un pouvoir pour saisir le juge », CLCE n° 90, févr. 2010, p. 16. 537 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 653, p. 413 ; B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1034, p. 554 ; M. COHEN, Droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 9 ème éd., 2009, p. 405 ; A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 538 Cass. crim., 4 nov. 1988, n° 87-91705 : Bull. crim., 1988 ,n° 374 ; Dr. social 1989, p. 212, obs. J. SAVATIER ; Cass. crim., 10 mai 2005, n° 04-84118 ; M. COHEN, Droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 419. 539 Cass. crim., 4 nov. 1988, n° 87-91705 : Bull. crim., 1988, n° 374. 540 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 541 Cass. crim., 21 mai 1998 : RJS, 1998, n° 1242. 92 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 conformément aux dispositions de l’article L. 2324-1 du Code du travail, est, en sa qualité de président, membre à part entière du comité d’entreprise. Mais cette qualité ne suffit pas à rendre recevable l’action en justice exercée en cas d’entrave commise par l’un des membres de l’instance. Une telle action suppose un mandat542. Cette solution est d’autant plus paradoxale que dans certaines matières, et notamment en matière d’accès aux archives du comité, la seule qualité de membre suffit à rendre recevable l’action en justice. De sorte qu’il serait concevable de rendre recevable toute action en justice ou toute constitution de partie civile d’un membre du comité, employeur compris, lorsque le secrétaire porte atteinte à son bon fonctionnement. 180. S’agissant de l’intérêt à agir, le chef d’entreprise doit apporter la preuve d’un préjudice direct pour justifier les poursuites exercées contre un membre du comité. Or la Cour de cassation ne l’admet qu’avec beaucoup de réserve543, ce qui conduit à « un déséquilibre flagrant entre les membres du comité d’entreprise – la délégation du personnel, d’un côté, le chef d’entreprise, de l’autre – face au risque de poursuite au titre du délit d’entrave ; [lequel] n’est ni légitime, ni acceptable544 ». Ce déséquilibre ne doit pas pour autant conduire à une interprétation erronée aux termes de laquelle seul le comité d’entreprise serait titulaire de l’action pour cause d’entrave. Pour que « la sanction [soit] efficace, il faut admettre que tout comportement [puisse] être effectivement sanctionné sur le terrain répressif545 ». Cette analyse ouvre de nouvelles perspectives notamment quant à la qualité des titulaires de l’action au titre du délit d’entrave : les syndicats, l’entreprise en tant que personne morale ou les salariés. Une autre solution, radicale, consisterait à abandonner la voie pénale. B. La voie disciplinaire : une voie obstruée 181. Les salariés protégés peuvent se rendre coupables de faits fautifs justifiant une sanction disciplinaire susceptible d’entraîner la rupture de leur contrat de travail lorsque 542 Cass. crim., 21 mai 1998 : RJS, 1998, n° 1242 ; A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 543 Cass. crim., 4 nov. 1987, n° 87-80856, inédit. 544 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 545 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 93 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 leur comportement, à l'occasion de l'exercice de leur mandat, a méconnu les règles normales d'exercice de leurs fonctions. Néanmoins le régime de la sanction est strictement encadré par le juge. 1°. 182. Le principe de l’immunité disciplinaire Si un représentant du personnel commet une faute dans l’exercice de ses activités professionnelles, l’employeur peut prononcer à son encontre une sanction disciplinaire546. 183. Mais un représentant du personnel peut-il faire l’objet d’une sanction disciplinaire dans l’exercice de son mandat et non au titre de son contrat de travail ? La Cour de cassation semble l’exclure : « une sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu'en raison de faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l'employeur547 ». Confirmant un courant amorcé au début des années 2000, la chambre sociale établit une distinction entre les agissements du salarié traduisant un manquement à ses obligations à l'égard de l'employeur et les comportements étrangers à la vie professionnelle qui ne sont pas rattachables à l'exécution du contrat de travail548. Seuls ceux relevant de la première catégorie sont susceptibles de justifier l'engagement d'une procédure disciplinaire. Ceux relevant de « la seconde catégorie peuvent justifier un licenciement si un trouble caractérisé en a résulté, tenant notamment à la finalité de l’activité et aux fonctions du salarié et ayant eu des répercussions sur la bonne marche de l’entreprise549 ». 184. La chambre sociale a écarté la faute grave commise dans l'exercice du mandat de trésorier du comité comme motif de licenciement de ce salarié. Un fait fautif ne peut s'entendre que d'un fait du salarié contraire à ses obligations à l'égard de l'employeur ; or, un salarié agissant dans le cadre de ses fonctions de trésorier du comité d'entreprise 546 B. BOSSU, note sous Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66792 : JCP S, 2010, 1444. Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66792 : Bull. civ., V, 152 ; JCP S, 2010, 1444, note B. BOSSU. 548 H. ROSE, Y. STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, Economica, 4 ème éd., 2011, p. 634. 549 H. ROSE, Y. STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, Economica, 4ème éd. 2011, p. 636. 547 94 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 n'est pas sous la subordination de l'employeur550. Le principe posé est excessif. Il laisse impunis certains agissements répréhensibles de représentants du personnel. La généralité des termes employés par la Cour de cassation induit l’absence de tempéraments551. 185. De telles solutions doivent être rapprochées de celles retenues s’agissant de la prise en compte de faits relevant de la vie personnelle du salarié. Depuis 1997, la Cour de cassation décide que le fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne [peut] constituer une faute552 et justifier un licenciement. Ce principe connaît cependant des atténuations. Des distinctions sont opérées selon que le fait personnel constitue une atteinte à l’obligation de loyauté découlant du contrat de travail553, porte atteinte à l’obligation de probité554, ou constitue un abus dans l’exercice de ses droits fondamentaux, commis par le salarié555. 186. Lorsque le comportement du salarié a causé un trouble objectif à l’entreprise556, le fait tiré de sa vie personnelle ne constitue pas une faute mais peut être une cause de licenciement. Mesurer le trouble objectif apporté à l’entreprise suppose de tenir compte des fonctions du salarié et de la nature particulière de l’entreprise 557. Des tempéraments identiques pourraient être retenus lorsque le fait fautif cause un trouble objectif à l’intérêt de l’entreprise, une atteinte étant portée à son bon fonctionnement. 2°. 187. L’hypothèse de la rupture du contrat de travail Appelé à connaître du licenciement de représentants du personnel, le Conseil d'Etat décide que lorsque la demande d’autorisation de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu dans le cadre de l'exercice de ses fonctions 550 Cass. soc., 4 juill. 2000, n° 97-44846 : Bull. civ., V, 263 ; JCP G 2000, IV, 2511 ; RJS, 2000, n° 1109 ; SSL, 1005, p. 10. 551 B. BOSSU, note sous Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66792 : JCP S, 2010, 1444. 552 Cass. soc., 16 déc. 1997, n° 95-41326 : Bull. civ., V, 441 ; JCP E, 1999, p. 1247 ; Voir aussi B. BOSSU, F. DUMONT, P.-Y. VERKINDT, Cours de Droit du travail, Montchrestien, 2011, n° 710, p. 319. 553 Cass. soc., 17 avr. 1991 : Dr. social, 1991, p. 48. 554 Cass. soc., 25 fév. 2003, n° 00-42031: Bull. crim., 2003, n° 66. 555 Cass. soc., 16 nov. 1993, n° 91-45904 : Bull. crim., 1993, n° 278. 556 Cass. soc., 17 avr. 1991 : Dr. social, 1991, p. 485. 557 Cass. soc., 17 avr. 1991 : Dr. social, 1991, p. 485. 95 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 représentatives, il appartient à l'administration du travail de rechercher si les faits qui lui sont reprochés sont de nature, « compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé 558 ». Tous les agissements qui ont eu des répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise et qui rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise eu égard à la nature de ses fonctions peuvent conduire à la rupture du contrat de travail. 188. Selon le Conseil d’Etat, le refus du trésorier « sortant » du comité d’entreprise de remettre aux membres de cette institution nouvellement élus les documents relatifs à la gestion de celle-ci ne constituait pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement dès lors qu'il n'était pas établi que ce refus de transmission avait pour but de dissimuler des détournements de fonds559. Ce comportement n'était pas d'une gravité suffisante pour rendre impossible le maintien de l’intéressé dans l'entreprise eu égard notamment à ses fonctions d’agent de fabrication. II. 189. Le comité d’entreprise Si l’entrave au fonctionnement du comité peut être commise par l’un de ses membres, elle peut l’être aussi par le comité d’entreprise, « par l’action conjuguée de ses membres560 » (A). L’exigence de qualité du dialogue social doit permettre à l’employeur de s’opposer à des situations relevant de l’obstruction561 (B). A. Les maux 190. Il est des situations dans lesquelles peut être reproché au comité d’entreprise un détournement ou un abus. 558 CE, 17 oct. 2003, n° 247701 : RJS, 2004, n° 76 ; CE, 4 juill. 2005 : n° 272193 : JCP G, 2005, IV 3006, RJS, 2005, n° 1121 ; CE, 15 déc. 2010, n° 31/6856 : SSL, 2011, n° 1481, p. 6, note M.-C. ROUAULT et F. DUQUESNE. 559 CE, 4 juill. 2005, n° 272193 : JCP G 2005, IV 3006, RJS, 2005, n° 1121. 560 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 561 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 96 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 191. Refus de désigner le secrétaire. Un secrétaire est désigné parmi les membres titulaires du comité d’entreprise562. Que décider si les membres du comité refusent de le désigner ? Une distinction doit être opérée selon les motifs de ce comportement. Il peut être motivé par une attitude fautive de l’employeur, lequel ne facilite pas l’exercice régulier de la mission du secrétaire : non paiement des heures de rédaction du procèsverbal, contradiction permanente dans la rédaction de l’ordre du jour ou dans la gestion des réunions et, au-delà, de l’institution. Ces entraves incitent les secrétaires à démissionner. Ces derniers se succédant à la tête de l’institution, les nouvelles candidatures se font rares. 192. Mais le comportement des élus est parfois loin d’être exemplaire. Les reproches adressés à l’employeur pour la gestion des réunions, des activités sociales et culturelles ou, plus largement, de l’institution, peuvent l’être parfois aux salariés. Le refus de désigner un secrétaire peut résulter de la volonté de bloquer l’institution. 193. Tous ces comportements nuisent au fonctionnement du comité d’entreprise en ce qu’ils créent une carence : en l’absence de secrétaire, la tenue d’une réunion n’est guère concevable. Atteinte est portée à un droit de valeur constitutionnelle aux termes duquel tout travailleur a le droit de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion de l’entreprise563. Elle justifie l’exercice d’une action en justice à l’égard de chacun de ceux qui sont à l’origine de cette situation564. 194. Refus d’émettre un avis. Les décisions de l'employeur intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise sont précédées de la consultation du comité d'entreprise. Dans certains domaines, il dispose, au contraire, d’un droit de veto565 : mise en place d’horaires individualisés566, choix de la forme du 562 C. trav., art. L. 2325-1. Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, al. 8. ; Voir aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise (art.27). 564 Sur cette question, cf Cass. soc., 17 mai 2011, n° 10-12852 : Bull. civ., 2011, n° 108 ; 565 L. MARQUET DE VASSELOT, « De l’expression par le comité d’entreprise de son avis », RJS, 2000, p. 607. 566 C. trav., art. L. 3122-23. 563 97 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 service de santé au travail567, remplacement de toute ou partie du paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur568. 195. Le refus de rendre un avis peut naître du caractère insuffisant des informations communiquées par l’employeur, ou de l’absence de réponse de ce dernier aux questions posées. Le comité d’entreprise est alors en droit de saisir le juge des référés pour qu’il ordonne la suspension de l’opération en cours569 et de susciter des poursuites pénales pour entrave au fonctionnement du comité d’entreprise570. Mais si le refus du comité d’entreprise est justifié par le caractère, selon lui, insuffisant des informations alors que l’employeur a satisfait à toutes ses obligations, ce dernier est en droit d’attendre que l’institution représentative consultée rende un avis. Le comité d’entreprise est « incontestablement tenu par une obligation, corollaire, de celle du chef d’entreprise : il lui appartient de rendre un avis au terme de la procédure d’information571 ». Naguère, aucune disposition légale ne visait l’hypothèse dans laquelle le comité d’entreprise refusait de rendre un avis572. Ce refus de rendre un avis pouvait matérialiser un exercice 567 C. trav., art. D. 4622-2. C. trav., art. L. 3121-24. 569 TGI Paris, 22 janvier 2008, n° 07-16562 ; A. DUCHE, F. SEBE, « Gérer les incidents de réunion en CE », CLCE, 2011, n° 106, p. 9. 570 A. DUCHE, F. SEBE, « Gérer les incidents de réunion en CE », CLCE, 2011, n° 106, p. 9. 571 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863 ; dans le même sens L. MARQUET DE VASSELOT, « De l’expression par le comité d’entreprise de son avis », RJS, 2000, p. 607 ; I. AYACHE-REVAH, Ph. ROGER, « Les conséquences du refus de siéger du comité d’entreprise », JCP S, 2008, 1632. 572 Lorsque le comité d’entreprise refuse de rendre un avis alors que l’employeur a satisfait à l’ensemble de ses obligations d’information et de consultation, la Cour de cassation admettait que les obligations de l’employeur avaient été satisfaites. Selon la Cour, l’absence formelle d’avis valait avis défavorable (Cass. soc., 18 févr. 1998, n° 95-42172 : Bull. civ., 1998; n° 93 ; I. AYACHE, M. AYADI, « Consultation du comité d’entreprise : comment faire face à des situations de blocage à la lumière de la jurisprudence », SSL, 2008, n° 244). Si certains élus étaient tentés par la pratique de la « chaise vide », cette pratique était doublement risquée et au demeurant non-conforme à la philosophie même du système de représentation du personnel qui repose avant tout sur la quête du dialogue. Une pratique risquée, car elle pouvait être assimilée à un refus de rendre un avis négatif (I. AYACHE-REVAH, Ph. ROGER, « Les conséquences du refus de siéger du comité d’entreprise », JCP S, 2008,1632) mais pouvait aussi conduire à ce que le comité d’entreprise soit collectivement engagé par l’avis d’un seul élu. L’avis donné par un seul membre du comité d’entreprise est valable ; peu importe que les autres membres du comité aient quitté la réunion (Cass. soc., 30 sept. 2009, n° 07-20525 : Bull. civ., 2009, n° 217 ; A. DUCHE, F. SEBE, « Gérer les incidents de réunion en CE », CLCE, n° 106, p. 9). Après avoir pris acte du refus de se prononcer, l’employeur mettait en œuvre le projet. Cette solution permettait d’éviter la suspension occasionnée par la procédure judiciaire. « La spécificité de cette solution tient, pour l’employeur, à ne pas qualifier l’attitude du comité, mais à se concentrer sur ses propres obligations » (I. AYACHE, M. AYADI, « Consultation du comité d’entreprise : comment faire face à des situations de blocage à la lumière de la jurisprudence », SSL, 2008, n° 244). L’absence d’avis est inconfortable mais non insurmontable : sous réserve que les conditions d’une consultation régulière soient remplies l’absence d’avis équivaut à l’émission d’un avis 568 98 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 anormal de ses prérogatives constitutif du délit d’entrave573. Aujourd’hui, le propos a quelque peu perdu de son intérêt depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Les consultations sont désormais enfermées dans des délais prédéterminés. A leur issue, le comité d’entreprise demeuré silencieux est réputé avoir rendu un avis négatif574. B. Les remèdes 196. Une solution contraignante. Le risque de poursuites au titre du délit d’entrave conduit de nombreux chefs d’entreprise à ne pas vouloir avancer dans la voie audacieuse visant à passer outre le refus de désigner un secrétaire. Pourrait-il saisir le tribunal de grande instance en référé ? L’action en référé est ouverte aux élus du comité d’entreprise afin d’obtenir une « mesure corrective575 », telle la suspension d’une opération ou la tenue d’une réunion complémentaire. L’absence de secrétaire en raison d’un refus de désignation apparaît comme une difficulté certaine justifiant la saisine du juge des référés par l’employeur. Mais cette solution ne saurait s’inscrire dans la durée : « il ne peut s’agir d’un modèle de fonctionnement du comité d’entreprise576 ». 197. Une solution de conciliation mérite d’être recherché, éventuellement avec l’assistance d’une tierce personne. Si l’employeur ne peut exercer les attributions du secrétaire577, il peut solliciter du juge des référés la nomination d’une personne, chargé d’assumer temporairement cette fonction578. L’intervention d’une « tierce personne et la négatif (TGI Paris, ord. 18 sept. 2008, Comité d’entreprise CETELEM c/ Société CETELEM, n° RG 08/57164 ; I. AYACHE-REVAH, Ph. ROGER, « Les conséquences du refus de siéger du comité d’entreprise », JCP S, 2008, 1632 ; A. DUCHE, F. SEBE, « Gérer les incidents de réunion en CE », CLCE, n° 106, p. 9). 573 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 574 C. trav., art. L. 2323-3. 575 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 576 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 577 Cass. soc., 25 nov. 2003, n° 01-14173 : RJS, 2004, n° 223. 578 TGI Argentan, 25 nov. 1976 : Gaz. Pal. 1977, 2, somm. p. 336 ; TGI Troyes 25 janvier 1978, JCP CI 1979, I, 7718. 99 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 perte par la représentation du personnel d’une prérogative est certainement de nature à favoriser, ensuite la désignation d’un nouveau secrétaire579 ». 198. Une solution à écarter. Dès lors que le comité d’entreprise détourne de leur finalité les prérogatives qu’il tient de la loi, « il est légitime que l’employeur puisse être libéré de toute obligation à son égard après s’être acquitté des siennes580 ». Toutefois, la désignation du secrétaire par le seul président est non seulement inadaptée aux situations de blocage581 mais aussi contestable dans son principe582. 199. Mais en bloquant eux-mêmes les institutions représentatives du personnel, peu important les motifs de ce blocage, les élus se privent de leurs prérogatives et perdent le droit d’en contester les conséquences583. L’employeur « n’est pas le seul responsable du bon fonctionnement du comité d’entreprise584 » ; les élus aussi doivent y être attentifs. Sous-section II - La responsabilité pénale du délégataire 200. Fonctionnel. La délégation de pouvoirs constitue d’abord une modalité d’organisation de l’entreprise. Dans les entreprises à structure complexe, les entreprises multi-sites, les groupes de sociétés, elle se révèle indispensable. Elle l’est à tous égards, y compris pour la gestion des instances de représentation du personnel. La délégation est un outil d’exercice du pouvoir, qui, au second degré, est susceptible d’exonérer l’employeur de sa responsabilité, mais dans de strictes limites. 579 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 580 A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. 581 En effet la personne désignée peut refuser d’assumer son rôle et les prérogatives associées. A. TEISSIER, « Le comité d’entreprise et les nouvelles formes d’expression du délit d’entrave », RJS, 2004, p. 863. En effet la personne désignée peut refuser d’assumer son rôle et les prérogatives associées. 582 F. SEBE, « Le secrétaire du CE, un acteur incontournable dans l’entreprise », CLCE, 2011, n° 102, p. 5. 583 « Les élus du comité d’entreprise ne peuvent refuser d’exercer leur mandat pour ensuite, en tirer argument afin de contester la régularité de la procédure de consultation » (I. AYACHE-REVAH, Ph. ROGER, « Les conséquences du refus de siéger du comité d’entreprise », JCP S, 2008,1632). 584 L. MILLET, « Des limites à la participation de l’employeur à l’élection du secrétaire du CE », RPDS, n° 758, Juin 2008. 100 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 201. Une interrogation. Façonnée par les arrêts rendus par la chambre criminelle, l’effectivité, la réalité et la légalité des délégations de pouvoirs dépendent des réponses apportées par l’entreprise aux questions portant sur la nature et le périmètre de la délégation mais aussi sur les conditions relatives au délégataire : nature des fonctions exercées, statut du délégataire. A ces interrogations s’ajoutent celles portant sur les conséquences pénales d’une délégation. Les réponses fournies conduisent à l’élaboration d’une définition et d’un régime de la délégation de pouvoirs. 202. Une définition. La délégation de pouvoirs trouve son origine en droit romain. Aujourd’hui, la délégation de pouvoirs se définit comme « l’acte par lequel une personne appelée délégant transmet de façon conditionnelle et non définitive à une autre personne appelée délégataire des attributions d’autorité qu’elle avait seule initialement le droit d’exécuter585 ». Elle n’est pas seulement un moyen pour l’employeur de se décharger de ses responsabilités ; elle est avant tout un moyen de diffusion du pouvoir dans l’entreprise, un mécanisme de « responsabilisation » de ses principaux acteurs. Elle est « un instrument au service de la légalité interne de l’entreprise586 ». 203. Un régime. La doctrine majoritaire assimile la délégation de pouvoirs au mandat 587 . La délégation et le mandat ont pour objet l’accomplissement d’actes juridiques588. L’identité d’objet traduit une identité d’effets. A l’image du mandat, le 585 S. MENEGAKIS, note sous Cass. soc., 24 avr. 2003, n° 01-60876 : LPA, 2004, n° 2, p. 8. A. COEURET, « La délégation de pouvoirs », in Le pouvoir du chef d’entreprise, sous la direction de J. PELISSIER, Dalloz, 2002, p. 27-28. 587 B. BOUBLI, « La délégation de pouvoir depuis la loi du 6 déc. 1976 », Dr. social, 1977, p. 82, n° 25 ; Y. GUYON, Les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, Traités des contrats, 5ème éd., LGDJ, 2002, n° 279, p. 405 ; M.-Ch. MONSALLIER, L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, préf. A. VIANDIER, LGDJ, t. 303, 1998, n° 209 et s. ; M. GERMAIN, Traité élémentaire de droit commercial, t. 1, Vol. 2, Les sociétés commerciales (G. RIPERT, R. ROBLOT), 18ème éd. LGDJ, 2002 ; N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 18, p. 31 et n° 62 et s., p. 89. En sens contraire voir la thèse de F. MARMOZ, La délégation de pouvoir, Thèse, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2000. 588 A la différence du louage d’ouvrage qui a pour objet principal l’accomplissement d’actes matériels. Cette distinction est attribuée à C. AUBRY et C. RAU (Cours de Droit français d’après la méthode de M.C.S ZACHARIAE, t. VI, 7 éd., sous dir. n° 94/45/CE, 22 sept. 1994, art. de P. ESMEIN et A. PONSARD, par A. PONSARD et N. DEJEAN de la BATIE, éd. Techniques, 1975). Voir aussi : P.-H. ANTONMATTEI, J. RAYNARD, Droit Civil Contrats spéciaux, LexisNexis, 7ème éd., 2013, n° 472, p. 404 ; A. BENABENT, Les Contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 9ème éd., 2008, n° 629, p. 302 ; Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Les Contrats spéciaux, 5ème éd. Defrenois, 2011, n° 709, p. 714 ; Ph. PETEL, Le contrat de mandat, Dalloz, Connaissance du Droit, 1994, p. 11. 586 101 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 délégataire est tenu d’exécuter sa mission et d’en rendre compte589. Néanmoins, la délégation est un mandat particulier. Elle produit des effets en droit pénal qui « bien que compatibles avec la notion de mandat, sont inhabituels590 ». Ces effets se traduisent tant par le transfert de responsabilité du délégant sur le délégataire que par l’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale. 204. En droit du travail, il faut distinguer le mandat ou la délégation « accessoire » au contrat de travail du mandat ou de la délégation intrinsèquement lié au contrat de travail. Le premier repose uniquement sur le droit commun du mandat. Il s’agit d’un engagement fondé sur un intuitu personae fort ; il ne bénéficie pas des règles applicables à la relation de travail, notamment en cas de modification du contrat ou de transfert d’entreprise. Avec le second, l’exécution de la délégation correspond aux fonctions du salarié : ce dernier bénéficie « d’un pouvoir en vue d’accomplir la fonction pour laquelle il a été embauché591 ». D’origine prétorienne, la délégation de pouvoirs est un mécanisme encadré (§I) aux effets limités en matière de droit de la représentation du personnel (§II). §I. Un recours à la délégation de pouvoirs encadré 205. Le recours à la délégation de pouvoirs en matière de représentation du personnel ne relève pas de l’évidence pour la Cour de cassation. Si la porte demeure entrouverte, elle concerne davantage les aspects fonctionnels de la représentation du personnel. Lorsque la délégation de pouvoirs touche à l’ensemble des dispositions intéressant son organisation et ses missions, elle n’emporte pas nécessairement les effets exonératoires escomptés. Son domaine (I) et ses conditions de validité (II) sont au cœur des débats. I. Domaine de la délégation de pouvoirs 589 C. Civ., art., 1991 et s. ; A. BENABENT, Les Contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 9ème éd., 2011, n° 935, p. 447. 590 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 60, p. 86. 591 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 60, p. 86. 102 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 206. La délégation de pouvoirs trouve à s’appliquer dans toutes les entreprises peu important leur taille. Le cadre privilégié d’application de la délégation de pouvoirs est celui de l’entreprise composite ou multi-sites, comprenant plusieurs établissements géographiquement distincts. Néanmoins, ce mécanisme est largement répandu dans les entreprises mono-site. La question tenant à la taille des entreprises est évincée du débat par le juge répressif, ce dernier la jugeant inopérante592. Seule la recherche mérite attention un courant jurisprudentiel distinguant les pouvoirs extrinsèques (A) des pouvoirs intrinsèques à l’exercice de la fonction de chef d’entreprise (B). A. Les pouvoirs extrinsèques 207. Un après. En rupture totale avec sa précédente jurisprudence, la Cour de cassation a adopté, par cinq arrêts rendus le 11 mars 1993, la position selon laquelle, « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires593 ». L’efficacité de la délégation de pouvoirs a été reconnue en matière de contrefaçon, de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, en matière d’achat sans facture ou de revente à perte594. Si les arrêts rendus ne concernent pas directement le droit pénal du travail, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont pas dénués d’effets en ce domaine. Le principe adopté par la Cour de cassation ayant vocation à s’appliquer de manière générale, une délégation de pouvoirs a produit des effets en matière de travail dissimulé595 ou de défaut de fermeture hebdomadaire596. 592 Cass. crim., 3 janv. 1964 : Gaz. Pal., 1964, 1, p. 313. Cass. crim., 11 mars 1993 : Bull. crim., 1993, n° 112 ; D., 1994, Somm. p. 156, obs. G. ROUJOU de BOUBEE ; Rev. sc. crim., 1994, p. 101, obs. B. BOULOC ; Dr. pén., 1994, p. 10, n° 39, obs. J.-H. ROBERT. 594 Telles ont été les matières dans lesquelles la Cour de cassation s’est prononcée le 11 mars 1993. 595 Cass. crim., 5 mars 2002, n° 01-85242, inédit. 596 Cass. crim., 11 mars 2003, n° 02-82578, inédit. 593 103 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 208. Par ces arrêts, la Cour de cassation a entendu faire taire certaines critiques597 et créer un régime unique de la délégation de pouvoirs : l’admission de la délégation de pouvoirs devient le principe ; l’exclusion légale est l’exception598. Eu égard au peu de textes retenant une telle interdiction, nombre d’auteurs ont déduit du principe posé que tous les pouvoirs du chef d’entreprise pouvaient faire l’objet d’une délégation. Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est attachée à démontrer que nombre de pouvoirs étaient inhérents à l’exercice des fonctions de chef d’entreprise. B. Les pouvoirs intrinsèques 209. La délégation de pouvoirs doit-elle « jouer en toute matière un rôle exonératoire et convient-il de l’étendre, notamment aux dispositions relatives à l’exercice des droits syndicaux dans l’entreprise599 ? ». La chambre criminelle a émis très rapidement des réserves quant à l’utilisation de la délégation de pouvoirs à l’égard des institutions représentatives du personnel. Pourtant, en cette matière le recours à ce mécanisme est courant, voire impératif. Les employeurs se font représenter à la présidence des différentes instances représentatives du personnel moyennant le recours à un mandat donné à l’un de leurs collaborateurs : chef d’établissement, directeur des ressources humaines, directeur juridique, directeur des relations sociales etc. Cette représentation vaut-elle pour autant délégation600? Rien n’est moins sûr, à la lecture des arrêts rendus en ce domaine. 210. Le 15 mars 1994, la Cour de cassation juge inopérant le moyen tiré d’une délégation de pouvoirs invoquée par l’employeur poursuivi du chef d’entrave pour 597 Sur l’incohérence des solutions retenues par la Cour de cassation, Voir notamment J. VEZIAN, note sous Cass. 15 mai 1974 : D. 1976, p. 226. 598 E. DREYER, « Les pouvoirs délégués afin d’exonérer pénalement le chef d’entreprise », D., 2004, 937. 599 M. PUECH, « L’identification du responsable : nouveaux problèmes », Dr. social, 1984, p. 493. L’expression « droits syndicaux » doit être comprise dans un sens large : elle regroupe l’exercice des droits reconnus à l’ensemble des institutions représentatives du personnel. 600 Si toutes les délégations prennent le plus souvent la forme d’une représentation, toutes les représentations ne valent pas délégation. Le recours à la représentation et au mandat se justifie dans nombre d’entreprises par l’impossibilité pour l’employeur, eu égard à la taille de l’entreprise, d’assurer l’ensemble de ses missions. Le recours au mandat a un objet fonctionnel : simplifier le fonctionnement de l’entreprise. En matière d’institutions représentatives du personnel, le mandat tacite est courant mais ne saurait emporter les mêmes effets pénaux qu’une délégation de pouvoirs.. 104 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 défaut de consultation du CHSCT dès lors que, « même lorsqu’il confie à l’un de ses préposés le soin de le représenter audit comité, il appartient au chef d’entreprise qui prend personnellement une décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail de s’assurer de la consultation préalable de celui-ci601 ». La solution est confirmée quatre ans plus tard en ce qui concerne le comité d’entreprise. Lorsqu’il confie à un représentant le soin de présider cette instance, le chef d’entreprise doit s’assurer de sa consultation sans pouvoir opposer l’argument d’une délégation de pouvoirs lorsqu’il prend une mesure de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs602 . En matière d’information ou de consultation les arrêts considérant la délégation de pouvoirs comme inopérante ne manquent pas603. 211. Ces décisions peuvent donner lieu à deux interprétations. La première conduit à retenir un principe d’exclusion de toute délégation en matière d’information et de consultation des représentants du personnel ; cette matière relèverait des pouvoirs propres de l’employeur. La seconde, plus pertinente, conduit à considérer que la délégation de pouvoirs en cette matière ne produit aucun effet. La délégation de présidence ne serait, par principe, qu’une simple représentation dénuée de portée sur le terrain pénal. Cette dernière interprétation a notre préférence604. Elle concilie une jurisprudence plus restrictive avec celle, plus large, aux termes de laquelle tous les pouvoirs de l’employeur peuvent par principe faire l’objet d’une délégation605. Argument pratique, cette interprétation n’est finalement que la représentation fidèle de la réalité de l’entreprise : réalité des situations606 et de la portée de la représentation. Le représentant assure l’information et la consultation en ce qui concerne les décisions prises par le représenté,voire par d’autres que lui. Il ne décide pas des mesures soumises 601 Cass. Crim.,15 mars 1994 : Bull. crim.,1994, n° 100 ; D., 1995, 30, note Y. REINHARD ; Dr. pén., 1994, p. 142, obs., J.-H. ROBERT ; Rev. sc. crim., 1995, obs. B. BOULOC. 602 Cass. crim., 3 mars 1998 : Bull. crim., n° 81; Rev. sc. crim., 1998, 763, obs. B. BOULOC. 603 Cass. crim., 11 juin 2002, Juris-Data n° 2002-01958 : JCP G, 2003, IV, 2358 ; Cass. crim., 20 mai 2003 : Bull. crim., 2002, n° 101, JCP G, 2003, IV, 2318, Juris-Data n° 2003-019361 ; Cass. crim., 14 oct. 2003 : Bull. crim., 2003, n° 190, JCP G 2003, IV, 2918, Juris-Data n° 2003-020658, RJS, 2004, n° 64. 604 En ce sens voir : J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 64 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 653 et s., p. 413 ; Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 942. 605 Cass. crim., 11 mars 1993 : Bull. crim., 1994, n° 112; D. 1994, Somm. p. 156, obs. G. ROUJOU de BOUBEE ; Rev. sc. crim., 1994, p. 101, obs. B. BOULOC ; Dr. pén., 1994, p. 10, n° 39, obs. J.-H. ROBERT. 606 Nombreuses sont les entreprises à recourir à ce mécanisme de représentation dans un souci de bonne marche et de bonne gestion de l’entreprise. 105 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 à l’information et à la consultation607. Enfin, cette interprétation laisse la porte entrouverte à une véritable délégation de pouvoirs. Au chef d’entreprise d’apporter la preuve de la réalité de cette délégation, le salarié disposant réellement du pouvoir de décision et de consultation608. 212. La Cour de cassation a entériné cette interprétation dans un arrêt du 16 septembre 2003. A la suite d’un contrôle de l’inspection du travail, un directeur des ressources humaines est poursuivi pour entrave au fonctionnement régulier du comité d’établissement. Le DRH s’est abstenu de le consulter sur la modification de l’horaire de travail applicable au personnel de l’entreprise609. Or, il bénéficiait d’une délégation de pouvoirs par laquelle le chef d’entreprise lui confiait la présidence du comité d’établissement. La participation personnelle du directeur des ressources humaines à l’entrave a été caractérisée. En l’espèce, la seule responsabilité du délégataire pouvait être engagée, ce dernier disposant de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires ; aucune immixtion du délégant dans l’exercice de ses pouvoirs n’avait été observée. L’entrave est le résultat d’un comportement fautif, volontaire et intentionnel du délégataire610. 213. Une délégation de pouvoirs licite et une participation personnelle du délégataire à l’infraction suffisent à engager la responsabilité personnelle du préposé. Il n’en demeure pas moins que, dans certaines hypothèses, ces deux conditions ne suffisent pas à exonérer l’employeur de sa responsabilité611. La Cour de cassation fait application de la distinction entre pouvoir propre et pouvoir « délégable » au sein même de l’infraction d’entrave. 607 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 941. « La continuité du pouvoir exécutif et consultatif conduit sauf immixtion particulière de l’employeur, à lui faire supporter la responsabilité » (J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 64). 609 L’objet de la consultation était l’abandon de l’horaire collectif au profit d’un passage à un horaire individualisé. La consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel est prévue à l’article L. 3122-23 du Code du travail. 610 Pour une confirmation récente : cf. Cass. soc., 27 mars 2012, n°11-80565 : Bull. civ. 2012, n° 83, JCP E, 2012, 1280, note F. DUQUESNE, JCP S, 2012, 1276, note Th. PASSERONE. 611 « Une délégation de pouvoirs même régulièrement donnée à un collaborateur du chef d’entreprise ne met pas ce dernier à l’abri de toute condamnation pénale pour les infractions commises dans l’un de ses établissements et qui a priori semble se rattacher au domaine délégué » (A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 300, p. 178). 608 106 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 214. Clef. Deux arrêts de la chambre criminelle offrent illustration de situations d’entrave. Dans le premier, en date du 15 mai 2007, était en jeu le défaut de présentation du bilan social ; le second du 6 novembre 2007, traitait la question du renouvellement d’une délégation unique du personnel venue à échéance et non réalisée dans le respect des délais légaux. Dans les deux cas, une délégation de pouvoirs avait été accordée à des subordonnés afin d’assurer la présidence des institutions représentatives du personnel. Etaient reprochés aux prévenus dans la première espèce un manquement au bon fonctionnement du comité, et dans la seconde une signature irrégulière d’un protocole d’accord préélectoral612. La responsabilité pénale encourue pèse-t-elle sur les délégataires ? En cette qualité, il leur appartenait de présenter le bilan social613 ou de conduire le processus électoral614. Selon le juge criminel, même s’il confie à un représentant le soin de présider le comité d’entreprise, le chef d’entreprise engage sa responsabilité à l’égard de cet organisme, s’agissant des mesures relevant de son pouvoir propre de direction ; il ne saurait opposer l’argument pris d’une délégation de pouvoirs. Il doit s’assurer lui-même du fonctionnement des institutions représentatives du personnel. 215. Des arrêts précédents, l’on ne saurait déduire l’impossibilité pour les dirigeants de recourir au mécanisme de la délégation de pouvoirs en matière de représentation du personnel. Seule la question tenant au contenu de la délégation est en jeu. Pour le juge criminel, le chef d’entreprise ne peut pas déléguer des mesures ressortant de son pouvoir propre de direction ; le fait illicite constitutif de l’entrave pourrait être reproché tant au chef d’entreprise qu’au délégataire615. 216. Une ligne de partage apparaît entre les infractions aux normes fonctionnelles de représentation et celles relatives à leurs attributions rattachables au pouvoir de direction du délégant. Relèvent de la première catégorie, les infractions qui se rapportent aux aspects procéduraux du fonctionnement des instances de représentation du personnel : 612 F. DUQUESNE, « Sur le champ d’application de la délégation de pouvoirs », Dr. Social, 2008, n° 4, p. 449. 613 Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n° 126. 614 Cass. crim., 6 nov. 2007, n° 06-86027 : Bull. crim., 2007, n° 266. 615 Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n°126 ; Dr. pén., 2007, n° 108, obs. J.-H. ROBERT ; RJS, 2007, n° 869 ; Cass. crim., 6 nov. 2007, n° 06-86027 : Bull. crim., 2007, n° 266 ; F. DUQUESNE, « Sur le champ d’application de la délégation de pouvoirs », Dr. Social, 2008, n° 4, p. 449. 107 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 établissement de l’ordre du jour des réunions, transmission dans les délais impartis de l’ensemble des documents utiles à l’information et à la consultation. Ces infractions « fonctionnelles » sont directement imputables au délégataire habilité à présider616 l’instance concernée. Entrent dans la seconde catégorie, les décisions qui incombent exclusivement au dirigeant chargé de la confection d’un document617 : bilans sociaux618, mesures que le dirigeant de l’entreprise contrôlée et celui de l’entreprise dominant le groupe sont invités à prendre en cas de demande d’inclusion au sein de cette sphère par un comité d’entreprise619. Sont également visées la tenue dans les délais légaux des élections professionnelles620 et plus largement les règles qui précèdent à la mise en place et au fonctionnement des instances de représentation du personnel ainsi qu’à l’organisation des négociations obligatoires621. Entrent aussi dans cette catégorie les décisions qui incombent exclusivement au dirigeant en raison de leur importance622 car elles engagent l’avenir de l’entreprise, son organisation ou conduisent à une modification importante des conditions de travail ou de l’outil de travail623. 217. A notre sens, cette clef de lecture ne constitue qu’une ligne directrice. Il est toujours permis à un dirigeant de déléguer ses pouvoirs propres à un délégataire à condition qu’il satisfasse aux conditions requises d’autorité, de moyens et de compétence. L’affaire Marks & Spencer est à ce titre significative. Si les juges ne retiennent en définitive que la responsabilité pénale du président du groupe, ils ne s’en sont pas moins intéressés à celles des autres dirigeants. Les juges d’appel, approuvés implicitement par la Cour de cassation624, ont écarté la responsabilité : ces prévenus qui « ne disposaient pas de prérogatives ou compétences permettant de les retenir dans les 616 Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n° 126 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 300, p. 178. 617 F. DUQUESNE, « Sur le champ d’application de la délégation de pouvoirs », Dr. Social, 2008, n° 4, p. 449. 618 Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n° 126. 619 C. trav., art. L. 2331-2. 620 Cass. crim., 6 nov. 2007, n° 06-86027 : Bull. crim., 2007, n° 266. 621 C. trav., art. L. 2242-1. 622 F. DUQUESNE, « Sur le champ d’application de la délégation de pouvoirs », Dr. Social, 2008, n° 4, p. 449. 623 Cass. crim., 16 oct. 2003, n° 02-86661 : Bull. crim., 2003, n° 164 ; Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 0381366 : Bull. crim., 2003, n° 190. 624 Cass. crim., 28 oct. 2008, n° 04-87365. 108 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 liens de la prévention625 ». En présence d’une authentique délégation de pouvoirs, la responsabilité de cadres aurait pu, en revanche, être engagée. 218. Sur le plan pratique, cette grille de lecture permet aux entreprises de mieux appréhender la notion de délégation de pouvoirs, de distinguer les pouvoirs « délégables » des pouvoirs exclusifs et de limiter partiellement le risque pénal qui pèse sur l’entreprise626. II. 219. Conditions de validité La délégation doit répondre à deux séries de conditions intéressant le délégataire (A) et la délégation (B). A. Conditions relatives au délégataire 220. Le délégataire doit être identifié (1°) ; ses moyens doivent être déterminés (2°) ; son accord doit être avéré (3°). 1°. 221. Identification du délégataire Les juges ne peuvent exonérer le chef d’entreprise de toute responsabilité pénale que s’ils constatent au préalable que celui-ci avait délégué ses pouvoirs de gestion des instances de représentation du personnel à un préposé (a) investi par lui et pourvu de la compétence et de l’autorité nécessaires pour veiller efficacement à l’observation des dispositions légales627 (b). 625 CA de Paris, 10 oct. 2005, n° 03/05014. La distinction retenue par la Cour de cassation présente un intérêt certain s’agissant de la nature des sanctions pouvant être prononcées à l’encontre du délégataire. Dès lors qu’il est admis que le fonctionnement de la représentation du personnel ne revêt pas une valeur fondamentale, seule une sanction administrative peut être prononcée ; à moins que la délégation de pouvoirs, dont les conditions sont strictement remplies, ne porte aussi sur les attributions des instances de représentation du personnel qui revêtent une valeur fondamentale. Une sanction pénale peut être prononcée si l’intention de nuire est caractérisée. 627 Cass. crim., 17 nov. 1987, n° 86-92514 : Bull. crim., 1987, n° 416 (s’agissant des règles d’hygiène et de sécurité). 626 109 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 a. La qualité de la personne investie : un préposé 222. L’importance du lien de préposition. La délégation de pouvoirs ne se conçoit que « dans l’exercice plein et entier du rapport de subordination »628. La Cour de cassation s’est attachée à rappeler avec fermeté l’importance de cette condition. Il ne saurait ainsi exister de délégation de pouvoirs entre un administrateur judiciaire et un chef d’entreprise, leurs relations n’étant pas « des relations d’employeur à préposé629 ». L’existence d’un contrat de travail ne suffit pas. Ce dernier doit être en cours d’exécution. Le mécanisme de la délégation de pouvoirs ne saurait s’appliquer dans des hypothèses dans lesquelles le contrat de travail est suspendu630. 223. La délégation de pouvoirs a d’abord reçu une application limitée à un petit nombre de personnes placées au sommet de la hiérarchie de l’entreprise : directeurs et gérants salariés. Les règles en matière d’hygiène et de sécurité ont conduit à un élargissement du recours à la délégation. L’article 173 du Livre II du Code du travail, devenu L. 263-2 puis L. 4741-1, visait les préposés631. La Chambre criminelle en a adopté une définition large. Ainsi censure-t-elle la décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que les chefs de chantier, contremaîtres et chefs d’équipe, n’étant pas mentionnés dans le texte légal, ne pouvaient faire l’objet de poursuites sur la base de la délégation qui leur avait été consentie632. Encore faut-il, néanmoins, que le délégataire appartienne à la hiérarchie de l’entreprise633. 628 F. DUQUESNE, « La délégation de pouvoirs sous les feux de l’actualité des nouvelles formes de mises à disposition », SSL, 2005, n° 1241, p. 8 et s. Voir notamment Cass. crim., 17 nov. 1987, n° 8692514 : Bull. crim., n° 416. Adde, N. FERRIER, La délégation de pouvoir technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Bibliothèque de droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 161 et s., p. 235. Pour le Professeur FERRIER, la délégation de pouvoir est nécessairement accordée à un salarié. 629 Cass. crim., 28 nov. 1995, n° 93-85808 : Bull. crim., 1995, n° 361; Cass. crim., 30 janv. 1996, n° 9483505 : Bull. crim.,1996, n° 53. 630 Cass. crim. 30 mars 2005, n° 03-16167 : Bull. crim., 2005, n° 110. 631 Cet article vise aujourd’hui l’employeur ou son délégataire. 632 Cass. crim., 22 avr. 1966 : Bull. crim., 1966, n° 125. 633 Cass. crim., 14 sept. 1988, n° 88-80687, Martin, Inédit. Adde, A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 301, p. 180. 110 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 224. Dans l’entreprise, il est généralement aisé de rapporter la preuve du lien de préposition634. Mais le chef d'entreprise ne peut, en pratique, déléguer ses pouvoirs à l'un de ses préposés que si l’entreprise a une certaine dimension et possède un certain degré de complexité635. Les entreprises regroupant plusieurs établissements distincts, celles divisées en services636 ou en secteurs d’activité637 constituent des lieux d’application privilégiés de la délégation de pouvoirs. 225. Qu’en est-il dans les groupes de sociétés ? La Cour de cassation admet des dérogations au principe selon lequel la délégation des pouvoirs de l'employeur ne peut être consentie qu'à un salarié de l'entreprise. Elle a ainsi reconnu au dirigeant d'une société mère, qui est en outre le chef de l'entreprise exécutant les travaux, le droit de déléguer les pouvoirs qu'il détient en matière d'hygiène et de sécurité pour l'ensemble des sociétés du groupe au dirigeant de l'une des filiales sur lequel il exerce une autorité hiérarchique638. 226. Dans la mesure où le délégataire doit être en principe un préposé du chef d'entreprise, il importe qu'un pouvoir hiérarchique soit exercé par le dirigeant de la société dominante sur le dirigeant de la filiale. Les conditions générales de validité de la délégation de pouvoirs doivent également être remplies639. 227. Persévérant dans cette démarche, la Cour de cassation a reconnu la validité de délégations de pouvoirs dans des situations dans lesquelles le lien de préposition était très ténu. Elle a ainsi admis qu’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité pouvait être valablement consentie par le représentant légal de chacune des sociétés membres d'une société en participation créée en vue de la réalisation d'un chantier au salarié de l'une des sociétés appartenant à ce groupement, l’intéressé disposant 634 « Le lien de préposition est aisé à mettre en évidence puisqu’il découle de l’existence du contrat de travail » (F. DUQUESNE, « La délégation de pouvoirs sous les feux de l’actualité des nouvelles formes de mises à disposition », SSL, 2005, n° 1241, p. 8 et s.). 635 Cass. crim., 3 janv. 1964 : Gaz. Pal., 1964, 1, p. 313. Adde, A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 308, p. 184. 636 Cass. crim., 21 oct. 1975 : Bull. crim., 1975, n° 222. 637 Cass. crim., 11 mars 1993, n° 90-84931, n° 91-83655, n° 92-80773, n° 91-80958, n° 91-80598 : Bull. crim., 1993, n° 112. 638 Cass. Crim. 26 mai 1994, n° 93-83180 et n° 93-83213 : Bull. crim., 1994, n° 208 ; Voir aussi en matière d’hygiène et de sécurité : Cass. crim., 7 févr. 1995, RJS, 1995, n° 657. 639 A. COEURET, « Délégation de pouvoirs et responsabilité pénale dans l’entreprise », Journal des sociétés, n° 74, p. 29. 111 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 effectivement des pouvoirs, de la compétence et des moyens nécessaires à l'exécution de sa mission640. Elle admet ici le plein effet d'une délégation en matière de sécurité, consentie au nom de chaque société membre d'une société en participation, à un salarié de l'une des entités rassemblées. Aucun pouvoir hiérarchique n’était pourtant perceptible entre l'intéressé et le dirigeant de l'entreprise ayant consenti la délégation. La Cour de cassation se borne à relever l’existence de liens particuliers entre les entreprises concernées et observe d’une part, que la délégation avait été consentie dans le cadre d’un chantier en particulier et non de façon permanente et d’autre part, que la délégation était limitée à l’hygiène et à la sécurité641. 228. En définitive, si le titulaire de la délégation de pouvoirs n’a pas « nécessairement à être le salarié de toutes les entreprises groupées, il doit l’être au moins au sein de l’une d’elles, ce qui exclut de l’agencement le tiers642». b. Les qualités de la personne investie : compétence et autorité 229. Outre l’existence et l’effectivité d’un lien de subordination, trois conditions doivent être remplies pour que le transfert de pouvoirs soit effectif643. Le délégataire doit être pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exécution de sa mission. 230. La compétence peut se définir comme « l’aptitude du préposé à exercer la fonction qui lui est confiée644 ». Sont visées ici la qualification professionnelle de 640 Cass. crim., 14 décembre 1999, n° 99-80104 : Bull. crim. n° 306, RJS, 2000 n° 350 ; Dr. pén., 2000, n° 56, note M. VERON. Sur la double interprétation de cet arrêt voir A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 310, p. 185. 641 A. COEURET, « Délégation de pouvoirs et responsabilité pénale dans l’entreprise », Journal des sociétés, n° 74, p. 29. Plus récemment encore, la Cour de cassation a admis à nouveau l’efficience pénale d’une délégation au sein d’un groupe d’entreprises mais a relèvé que le délégataire, préposé de l’une des sociétés, avait bénéficié de multi-habilitations de la part des dirigeants de chacune des entités concernées (Cass. crim., 13 oct. 2009, n° 09-80857 : Bull. crim., 2009, n° 169 ; Adde, F. DUQUESNE, « Retour sur la délégation de pouvoirs au sein des groupements d’entreprise », Dr. social, 2010, p. 144). 642 A. COEURET, « Délégation de pouvoirs et responsabilité pénale dans l’entreprise », Journal des sociétés, n° 74, p. 29. Certains auteurs ont analysé ces décisions comme permettant de déléguer ses pouvoirs à une personne qui n’est pas nécessairement salarié du délégant : en ce sens voir la note Y. REINHARD, D. 1995, 110, note sous Cass. crim. 26 mai 1994. 643 Cass. crim., 18 janv. 1973, n° 90-89372 : Bull. crim., 1973, n°25; Cass. crim., 11 mars 1993, n° 9084931 : Bull. crim., 1993, n° 112; Cass. crim., 23 nov. 2004, n° 04-81601. Dans le groupe : Cass. crim., 26 mai 1994, n° 93-83179, n° 93-83180 et n° 93-83213 : Bull. crim., 1994, n 208. 644 H. SEILLAN, « La délégation de pouvoirs en droit du travail », JCP E, 1985, II, 14428. 112 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’intéressé, mais aussi sa maturité645. La compétence d’un délégataire a ainsi été contestée en raison de son âge au moment de la première délégation (vingt et un ans) et de sa faible ancienneté dans l’entreprise (un an)646. 231. Compétences techniques. La compétence du délégataire s’entend de son aptitude professionnelle et de ses connaissances techniques, lesquelles doivent correspondre aux prescriptions qu’il est chargé de faire appliquer. La compétence résulte des qualités personnelles du salarié concerné, de sa formation et de son expérience dans l’entreprise et dans la profession. Elle peut nécessiter une formation spécifique eu égard à la nature des fonctions dont il doit assumer la charge647. 232. Compétence juridique. La compétence du délégataire s’entend également de l’état de sa connaissance des textes qu’il doit faire respecter648. Elle s’apprécie en fonction du contenu de la mission qui lui est confiée. Ainsi, une délégation de pouvoirs en matière de représentation du personnel sera plus aisément confiée à un directeur des ressources humaines ou à un directeur des relations sociales qu’à un chef comptable ou un directeur de la communication. En matière d’institutions représentatives du personnel, le délégataire se doit de connaître la législation relative à ces institutions. Le représentant de l’employeur doit avoir les qualités et pouvoirs nécessaires pour assumer les attributions d’un président de comité d’entreprise ou de CHSCT : convocation, fixation de l’ordre du jour, information et consultation des représentants du personnel, etc. La désignation d’un délégataire dont les pouvoirs se limiteraient à entendre les questions des représentants du personnel et à les transmettre au chef d’entreprise est constitutive d’entrave. 233. L’autorité suppose l’exclusivité et l’indépendance. 645 A. MARTINON, note sous Cass. crim., 26 oct. 2010, n° 10-80414 : JCP S, 2011, 1062. Cass. crim., 8 déc. 2009, n° 09-82183 : Bull. crim., 2009, n° 210 ; JSL, 2010, n° 274, p. 4, note de J.E. TOURREIL. 647 En ce sens, Voir Circ., 2 mai 1977 : Dr. social, 1977, p. 490. Ecartent le jeu de la délégation pour absence de cette condition : Cass. Crim.,10 janv. 1963 : Bull. crim., 1963, n° 19 ; Cass. crim., 17 nov. 1970 : Bull. crim., 1970, n° 299 ; Cass. crim., 22 mai 1973: Dr. ouvrier, 1974, p. 325 ; Cass. crim., 17 oct. 1979, D. 1980 I.R. p. 296; Cass. Crim., 25 juill. 1991, Jurisdata n° 1991-004078; Cass. crim., 2 févr. 1993, Jurisdata n° 1993-004783. 648 Cass. crim., 26 mars 2002, n° 01-82280. Pour un exemple en matière d’hygiène et de sécurité ; Cass. crim., 8 févr. 1963, Malingue, inédit : ne remplit pas cette condition un chef d’équipe dont les auditions laissent apparaître qu’il appréciait la dangerosité des travaux au regard de son expérience et non des textes. 646 113 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 234. L’exclusivité. La délégation de pouvoirs doit revêtir un caractère exclusif, « c’est-à-dire être concentrée sur une seule tête pour un même secteur de l’entreprise649 ». La Cour de cassation sanctionne le cumul de délégations650. Le chef d'entreprise ne peut déléguer ses pouvoirs à plusieurs personnes pour l'exécution d'un même travail, un tel cumul étant de nature à restreindre l'autorité de chacun et à gêner les initiatives de tous651. 235. Si les délégations données pour l’exécution d’un même travail sont « en cascade » et non « parallèles», la solution est différente652 : la subdélégation est licite653. L’exclusivité est un élément primordial : « l’efficacité de la délégation de pouvoirs s’amenuiserait si elle [était] partagée654 ». 649 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 320, p. 190. Cass. crim., 2 oct. 1979 : Bull. crim., 1979, n° 267 ; Cass. crim., 6 juin 1989 : Bull. crim., 1989, n° 243 ; Rev. sc. crim., 1990, p. 108, obs. Ch. LAZERGUES ; Dr. ouvrier, 1990, p. 459, note A. PUJANA ; Cass. crim., 26 juin 1990 : RJS, 1990, n° 684 ; Cass. crim., 13 févr. 2001 : Dr. social, 2001, p. 664 ; Cass. crim., 23 nov. 2004 : Bull. crim., 2004, n° 295, RJS, 2005, n° 330 ; Cass. crim., 21 juin 2005 : Dr. social, 2005, p. 1054, note F. DUQUESNE. Ces arrêts font dire à un auteur que « la démultiplication des délégataires neutralise les effets de la délégation » (A. MARTINON, note sous Cass. crim., 26 oct. 2010 : n° 10-80414 : JCP S, 2011, 1062). 651 Cass. crim., 19 mars 1996, n° 94-8454. 652 Avant de sanctionner le cumul de délégations, la chambre criminelle prend soin de relever l’absence de subdélégation. 653 S’agissant de l’effet exonératoire de la subdélégation, la position de la chambre criminelle a évolué. Alors même que la doctrine se prononçait en sa faveur (N. CATALA, JCP CI, 1976, II, 12010, n° 38), la Cour a d’abord exclu tout effet exonératoire de responsabilité (Cass. 6 nov. 1979, n° 78-94345 : Bull. crim., 1979, n° 307). La jurisprudence a ensuite reconnu la possibilité pour l’employeur d’autoriser le préposé délégataire à procéder à une subdélégation (Cass. crim., 8 févr. 1983 : inédit ; D. 1983, Jurispr. p. 639, note H. SEILLAN ; Cass. crim., 25 juin 1991, n° 90-83846). La subdélégation supposait alors une décision de l’employeur. Une telle solution se justifiait, selon le Professeur CESARO, car elle reposait sur l’idée que « transférer des pouvoirs était, en soi, un pouvoir qui devait être confié au délégataire pour pouvoir être exercé » (J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 67). Implicitement en 1991, explicitement en 1996, la jurisprudence s’est affranchie de cette condition. L’autorisation du chef d’entreprise n’est pas nécessaire à la validité des subdélégations dès lors que elles sont régulièrement consenties et à condition que le subdélégataire soit pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de sa mission (Cass. crim., 14 févr. 1991 : Dr. ouvrier, p. 470, obs. ALVAREZ-PUJANA. Cass. crim., 30 oct. 1996, n° 9483650 ; JCP E, 1997, pan. 102 ; JCP G, 1997, IV, p.37). Le subdélégataire doit faire partie de l’entreprise. 654 E. DREYER, « Les pouvoirs délégués afin d’exonérer pénalement le chef d’entreprise », D. 2004, 937. 650 114 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 236. L’indépendance. L’autorité nécessite une forme d’indépendance655, une certaine autonomie656. Le délégataire doit être titulaire d’un pouvoir de commandement suffisant pour obtenir des salariés « l’obéissance indispensable au respect de la loi 657 ». 237. Sur le plan pratique, cette condition appelle deux remarques. D’une part, la délégation doit être acceptée et connue des salariés et des instances de représentation du personnel relevant de l’autorité du délégataire, ce qui suppose qu’elle fasse l’objet d’une publicité658. D’autre part, le délégataire n’est pas un simple intermédiaire hiérarchique chargé de transmettre les ordres de ses supérieurs. Il ne doit pas non plus, lorsqu’il prend une décision, être contraint d’en référer à ces derniers. Le délégataire bénéficie d’une certaine indépendance. La délégation de pouvoirs ne constitue pas pour autant un abandon de son pouvoir par le chef d’entreprise. L’indépendance demeure une indépendance contrôlée et ce, dans un souci de préservation de l’unité du pouvoir de direction659. Le délégant conserve une partie du pouvoir afin de contrôler l’exécution de la délégation. Il s’assure que le délégataire ne sort pas de ses attributions et respecte l’objet de la délégation. A travers ce contrôle, il peut être tentant pour le délégant de s’immiscer dans les attributions de son préposé. Le chef d’entreprise qui aurait pris part à la réalisation de l’infraction ne saurait invoquer la délégation de pouvoirs comme moyen de défense660. Toute immixtion dans le domaine délégué « rend caduque la 655 CA Paris, 4 mars 1963, JCP, 1963, II, n° 13259, note H. GUERIN. Dans le même sens malgré la formule « L’autonomie n’est donc pas synonyme d’indépendance », voir S. MENEGAKIS, note sous Cass. soc., 24 avr. 2003, n° 01-60876 : LPA, 2004, n° 2, p. 8 et voir aussi E. DREYER, « Les pouvoirs délégués afin d’exonérer pénalement le chef d’entreprise », D., 2004, p. 937. 656 L’autonomie se définit comme l’indépendance fonctionnelle. De même que l’autonomie ou l’indépendance fonctionnelle varie en fonction du degré de validité de la personne, l’autonomie ou l’indépendance fonctionnelle du délégataire varie en fonction du degré de contrôle du déléguant. 657 Cass. crim., 24 janv. 1902 : D., 1903, I, p. 463 ; Cass. crim., 30 nov. 1950 : Gaz. Pal. 1951, I, p. 63 ; CA Paris, 4 mars 1963, JCP G, 1963, II, n° 13259, note H. GUERIN. 658 Il est important pour l’entreprise de clarifier, via la diffusion de supports écrits (note de service, livret d’accueil, ou affichage), l’existence et le périmètre des délégations de pouvoir. Cette publicité peut apparaître superflue au regard de la réalité des entreprises lesquelles sont la plupart du temps découpées en services, sections, ou départements avec à leur tête un responsable ; mais elle est nécessaire en ce qu’elle permet à la société de se ménager une preuve écrite de la délégation. 659 S. MENEGAKIS, note sous Cass. soc., 24 avr. 2003, n° 01-60876 : LPA, 2004, n° 2, p. 8 et voir aussi E. DREYER, « Les pouvoirs délégués afin d’exonérer pénalement le chef d’entreprise », D., 2004, p. 937. 660 Cass. crim., 7 juin 2011, n°10-84283, Dr. social, 2011, p. 1196, obs. F. DUQUESNE. En matière d’hygiène et de sécurité voir par exemple : Cass. crim., 21 nov. 2000, n° 98-45420, Bull. Crim. 2000, n° 293 : Dr. social 2001, p. 209, obs. J. SAVATIER. Sur la complexité des rapports entre délégation de pouvoirs et contrat de travail : voir A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 316, p. 188. 115 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 délégation de pouvoirs661 ». Encore faut-il que le ministère public démontre que le délégant a participé personnellement à l’infraction « au mépris de la nécessaire indépendance du délégataire662 ». 238. Le chef d’entreprise continue en revanche à prendre et à assumer les décisions dépassant « le strict cadre dans lequel son délégataire agit663». Ainsi lui appartient-il, avant de prendre une décision importante d’aménagement modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, de s’assurer de la consultation du CHSCT664. La délégation de pouvoirs donnée pour présider le comité est inopérante lorsque la décision est d’une importance telle qu’elle excède les attributions qu’emporte la présidence du CHSCT confiée au délégataire665. La solution pourrait cependant être différente si la délégation concernait tant la présidence du CHSCT que la gestion de l’hygiène et de la sécurité dans l’entreprise666. 2°. 239. Identification des moyens « Qu’est-ce que l’autorité et la compétence sans les moyens indispensables pour les rendre effectives667» ? La Cour de cassation, comme les juges du fond668, est de plus en plus attentive à la réalité des moyens mis à la disposition du délégataire669. Le chef d’entreprise doit avoir mis à sa disposition « les moyens d’assumer réellement la 661 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 316, p. 188. E. DREYER, « Les pouvoirs délégués afin d’exonérer pénalement le chef d’entreprise », Rec. Dalloz, 2004, n° 13, p. 937. 663 E. DREYER, « Les pouvoirs délégués afin d’exonérer pénalement le chef d’entreprise », Rec. Dalloz, 2004, n° 13, p. 937. 664 Cass. crim. 28 nov. 1989 : Bull. crim. n° 452 ; Cass. Crim.,15 mars 1994, n° 93-82109 : Bull. crim., 1994, n° 100 ; D. 1995, Jur. p. 30, obs. Y. REINHNARD ; Rev. sc. crim., 1995, p. 95, obs. B. BOULOC ; Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 03-81366 : Bull. crim., 2003, n° 190 ; 20 mai 2003, Bull. crim. n° 101, Rev. sc. crim., 2003, p. 808, obs. G. GIUDICELLI-DELAGE. 665 Cette solution se déduit de l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 octobtre 2003 (n° 03-81366 : Bull. crim., 2003, n° 190). 666 Si l’apport de cet arrêt n’est pas nouveau, il permet néanmoins de révéler le fonctionnement de la responsabilité dans le mécanisme de la délégation de pouvoir : le juge retenant tantôt la responsabilité du délégataire, tantôt la responsabilité du déléguant, tantôt les deux. 667 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 324, p. 192. 668 CA Grenoble, 29 avr. 1999 : Jurisdata n° 1999-044414; CA Toulouse, 18 nov. 1999 : Jurisdata n° 1999-104638; CA Paris, 1er mars 1993, Jurisdata n° 1993-021615. 669 Cass. crim., 25 janv. 2000, n° 97-86355 : RJS, 2000, n° 542 ; Cass. Crim. 7 nov. 2000, n° 99-87706 ; Cass. crim., 7 nov. 2000, n° 99-87707. 662 116 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 plénitude de cette responsabilité670». La circulaire du 2 mai 1977671 invite à tenir compte notamment de la formation professionnelle du délégataire, particulièrement en matière d’hygiène et de sécurité, de sa qualification dans l’entreprise, du montant de son salaire, de son ancienneté dans l’activité et dans l’entreprise, du nombre de travailleurs placés sous ses ordres, de son pouvoir d’embaucher ou de commander du matériel. 240. Moyens humains. Est inopérante une délégation de pouvoirs en matière de sécurité consentie sans moyens672. Au cas particulier de l’entrave, les moyens humains passent par le recours à des juristes spécialisés et la formation des intervenants aux règles de droit du travail applicables à l’entreprise et aux méthodes de négociation. 241. Moyens matériels. L’existence de moyens matériels est également importante. « D’un délégataire qui ne disposerait pas des moyens matériels pour s’acquitter de sa tâche de surveillance673», la responsabilité ne saurait être engagée. Certaines procédures internes à l’entreprise sont de nature à restreindre le pouvoir d’initiative du délégataire, telle la nécessité d’obtenir de multiples autorisations avant de pouvoir engager des dépenses. La délégation de pouvoirs est inopérante si l’employeur est seul apte à les engager674. En matière de fonctionnement des institutions représentatives du personnel, les moyens matériels consisteront notamment en l’acquisition d’outils documentaires. 242. Particularisme. Les moyens humains et matériels nécessitent une attention particulière à l’heure où le juge tend à reconnaître l’effectivité d’une délégation de pouvoirs dans les groupes de sociétés. La question des moyens pose celle de l’utilité d’une telle délégation. Son utilité dans une société en participation ou dans un GIE est avérée. La délégation de pouvoirs vise à « unifier » les pouvoirs de direction des diverses entreprises constitutives de la société en participation ou membres du GIE sur 670 Cass. crim., 2 févr. 1954 : Bull. crim., 1954, n° 50; Voir aussi Circ. Min., 2 Mai 1977, portant sur la répression des infractions à la réglementation relative à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs, Dr. social 1977, n° 12, p. 490. 671 Circ. Min., 2 Mai 1977, portant sur la répression des infractions à la réglementation relative à l’hygiène et à la sécurité des travailleurs, Dr. social, 1977, n° 12, p. 490. 672 Cass. crim., 25 janv. 2000, n° 97-86355 : RJS, 2000, n° 542. 673 Cass. crim., 7 déc. 2004, n° 03-87015. 674 Cass. crim., 27 janv. 1982, inédit ; Cass. Crim. 29 oct. 1985, n° 84-95559 : Bull. crim., n° 335 ; Cass. crim., 18 avr. 2000, n° 99-86105. 117 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 une même tête et à contrôler l’application des normes en matière de sécurité au cours d’opérations conduites en commun. 243. En présence d’un groupe de sociétés « classique », la délégation de pouvoirs trouve son utilité dans le cadre du pouvoir normatif. Elle permet d’unifier, de standardiser les normes de santé et de sécurité ou celles relatives au dialogue social dans les entreprises constitutives du groupe, voire d’en contrôler l’application. Pour qu’une dimension de contrôle trouve à s’appliquer, la délégation de pouvoirs doit, à notre sens, s’accompagner, pour le délégataire, d’une procédure de détachement dans les filiales. Le dirigeant de la société mère procédera à la désignation soit d’un directeur salarié soit d’un salarié d’une filiale ou de la société mère. Pour que la délégation de pouvoirs soit effective encore faut-il que le salarié ait les moyens et l’autorité nécessaires pour contrôler l’application des normes de sécurité. Le délégataire devra s’entourer de subdélégataires nommés dans les différentes filiales et chargés de contrôler l’application des normes arrêtées par le premier. 3°. 244. Acceptation du salarié Obligation d’information. Il appartient à l’employeur d’informer le délégataire de la nature et des conséquences de la mission confiée. Ainsi, une présentation du contenu de la réglementation applicable apparaît nécessaire. Cette obligation d’information peut notamment se traduire par le suivi d’une formation spécialisée. Une fois informé, le salarié éclairé sur le contenu de la mission et des conséquences pénales qui s’y attachent accepte ou non la délégation. 245. Droit de refus. D’aucuns estiment que le consentement du salarié ne doit pas nécessairement être recherché675. Si l’acceptation du délégataire est nécessaire, il est peu vraisemblable que le seul défaut d’acceptation suffise, dès lors que toutes les autres conditions sont remplies, à rendre inopérante une délégation de pouvoirs676 . 675 Th. DALMASSO, « La délégation de pouvoir », éd. Joly 2000, p. 95 ; C. PUIGELIER, « La délégation de pouvoir en matière d’accident du travail », JCP E, 1993, II, 283, n° 35. Voir aussi Cass. crim., 2 févr. 1982, n° 81-92569 : Bull. crim., n° 36. 676 Cass. crim., 13 sept. 2005, n° 05-80035. 118 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 246. Mais selon une partie de la doctrine677 et de la jurisprudence678, à laquelle nous adhérons, il convient d’insister sur l’obligation d’obtenir le consentement du salarié : la délégation de pouvoirs est un mandat « dont la validité est subordonnée à l’existence du consentement du délégant et du délégataire679 ». Le salarié dispose d’un droit de refus lequel doit s’exprimer de manière formelle680. Les conséquences de ce refus varient en fonction de la nature de la délégation. a. La délégation intrinsèquement liée au contrat de travail 247. Le support privilégié étant le contrat de travail, la délégation de pouvoirs emprunte tout ou partie de son régime681, notamment celui de la modification du contrat. La délégation peut constituer dans certains cas un élément essentiel de ce contrat supposant l’acceptation explicite du salarié en cas de modification682. 248. Le droit de refus est donc amené à jouer pleinement son rôle, non pas tant au moment de la conclusion du contrat, mais en cas de modification de celui-ci. Lors de sa conclusion, la signature du salarié délégataire équivaut à une acceptation de la délégation de pouvoirs. En cas de modification du contrat stricto sensu, et conformément au dispositif en vigueur, l’accord du salarié doit être recherché. Néanmoins une question demeure : eu égard à la nature particulière du contrat de travail et aux spécificités du régime de modification de ce contrat, le refus peut-il être exprimé librement ? 677 B. de MASSIAC, « Responsabilité pénale des dirigeants et délégation de pouvoirs », RJDA 1995, p. 927; J.-F. RENUCCI, « La Délégation de pouvoir », Thème expresse, éd. Francis Lefèvbre, n° 20. Pour une présentation des différentes parties en cause cf. : N. FERRIER, La délégation de pouvoirs, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 190 et s., p. 270. 678 Cass. crim., 13 janv. 1972 : Bull. crim., n° 23 ; Cass. crim., 23 mai 2007, n° 06-87590. 679 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise,Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 191, p. 271. 680 CA Bordeaux, 28 mai 1991, Jurisdata n° 1991-046415. 681 La délégation de pouvoirs subit les aléas auxquels se trouve confronté le contrat de travail au cours de son excécution. (Sur l’étroite intrication de la délégation de pouvoir et du contrat de travail : Cass. soc., 19 juin 2012, n° 11-81654 : SSL 2012, n° 1553, p. 8 note, F. DUQUESNE – La Cour de cassation juge que la suspension du contrat de travail soustrait le salarié à toute responsabilité pénale au titre de la délégation de pouvoir. Il appartient à l’employeur d’assumer les conséquences pénales des manquements. 682 Cass. crim., 24 sept. 2002, n° 01-86288 ; Cass. crim., 25 mai 2004, n° 03-82765. Sur l’application du régime de la modification du contrat de travail à la délégation de pouvoir : cf. N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 193 et s., p. 274. 119 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 249. Une première réserve tient à la valeur du consentement donné par le délégataire salarié. Un tel consentement apparaît vicié en raison du lien de subordination l’unissant à l’employeur. Le salarié serait contraint d’accepter la délégation de pouvoirs par peur de représailles se traduisant par un licenciement ou quelque autre sanction disciplinaire. Cette interprétation est pourtant excessive car elle reviendrait « à condamner a priori pour vice du consentement, toute délégation de pouvoirs accordée postérieurement à la conclusion du contrat de travail, et […] toute modification du contrat de travail683 ». Si le juge a pu reconnaître que le consentement du salarié était vicié en raison de la violence exercée par l’employeur684, l’on ne saurait en revanche « déduire systématiquement du lien de subordination l’existence d’un tel vice685 ». 250. Une seconde réserve tient à la qualification de la modification du contrat de travail causée par la délégation de pouvoirs. En appliquant le régime de la modification du contrat de travail, lequel distingue le simple changement des conditions de travail d’une véritable modification686, au mécanisme de la délégation de pouvoirs, le Professeur FERRIER distingue la délégation de pouvoirs favorisant l’exercice des fonctions du salarié de celle visant à accompagner de nouvelles fonctions ou à aggraver la responsabilité pénale du salarié. La première constitue un simple changement des conditions de travail. La délégation aggrave le contenu des obligations du délégataire mais n’entraîne pas un changement radical des fonctions. L’employeur investit un préposé du pouvoir de gestion des instances de représentation du personnel. La deuxième constitue une véritable modification du contrat de travail la délégation de pouvoirs emportant changement de qualification ou de classification687 : tel est le cas lorsqu’est constatée une augmentation du degré d’autonomie ou du niveau de 683 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 191 et s., p. 271. 684 Cass. crim., 2 févr. 1993 : Dr. Pénal, 1993, comm. 139, J.-H. ROBERT. Sur l’application de la théorie des vices du consentement au contrat de travail : cf. G. LOISEAU, L’application de la théorie des vices du consentement au contrat de travail, in Mél. Offerts à J. GHESTIN, éd. LGDJ, 2001, p. 579. 685 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 191, p. 271 ; Cass. crim., 3 avr. 2002 : D., 2002, 1860 et 1862, notes J.-P. GRIDEL et J.-P. CHAZAL. 686 Cass. soc., 10 juill. 1996, n° 316 PBF : RJS, 1996, n° 900 ; Ph. WAQUET, « La modification du contrat de travail et le changement des conditions de travail », RJS, 1996, p. 791. 687 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 199, p. 280. 120 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 responsabilité. Le préposé serait investi des pouvoirs de consultation des instances de représentation. 251. La troisième réserve tient aux effets du refus de la délégation par le salarié. Le refus d’une délégation de pouvoirs constitutive d’une modification du contrat de travail n’est pas fautif688. En revanche, le refus d’une délégation de pouvoirs constitutive d’un simple changement des conditions de travail s’analyse en un comportement fautif lequel peut justifier un licenciement689, le cas échéant pour faute grave690. b. La délégation accessoire au contrat de travail 252. Conclu par écrit, verbalement ou tacitement, le mandat est un contrat consensuel691. En matière de délégation de pouvoirs, la volonté du mandant et l’acceptation du mandataire peuvent être déduites des circonstances. Néanmoins, eu égard à sa valeur probatoire, l’écrit apparaît nécessaire. La délégation est un contrat dont la validité est subordonnée à l’accomplissement de certaines formalités. 253. Imprévision. En cas d’évolution des circonstances, une application stricte des règles de droit des obligations est à rechercher. Lorsque les parties concluent un mandat ou plus généralement un contrat à exécution successive comme la délégation, elles peuvent tenir compte des circonstances existantes et des événements à venir ; néanmoins, ces données peuvent évoluer. Le principe de fixité interdit au juge de procéder à une révision judiciaire692. Certaines clauses peuvent prévoir la révision en cours de contrat. Au cas particulier, cette révision pourrait intervenir lors de l’entretien annuel d’évaluation. La délégation, si elle n’est qu’accessoire au contrat de travail, n’en est pas moins intégrée à l’exécution de la prestation de travail693. 688 Une telle modification peut conduire à un licenciement à condition que ce dernier soit justifié par l’intérêt de l’entreprise. A l’inverse en l’absence de licenciement, le contrat se poursuit dans les conditions existant avant la délégation. 689 Cass. soc., 23 févr. 2005, n° 03-42018 : Bull. civ., n° 64, Dr. social, 2006, p. 634, note P. BOUAZIZ, Z. GOULET. 690 Cass. soc., 10 juill. 1996 : Dr. social, 1996, p. 975, note H. BLAISE. 691 C. Civ., art. 1985. 692 Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, Defrénois, 6ème éd., 2012, n° 546, p. 291. Sur l’imprévision, Voir L. AYNES, « Sur l’imprévision en droit privé », RJC, 2005, n° 5, p 397. 693 En outre, parmi les obligations du mandataire, se trouve celle de rendre des comptes au mandant. 121 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 B. Conditions relatives à la délégation 254. Parmi les conditions relatives à la délégation, celles tenant à sa durée (2°) et à son champ (1°), méritent de retenir l’attention. 1°. 255. Un champ limité La nature du pouvoir transféré. La question de la nature du pouvoir transféré s’est posée à propos du prononcé de licenciement dans les sociétés par actions simplifiées694. Les décisions de la Cour de cassation ont eu le mérite de clarifier la notion de pouvoir dans l’entreprise. Des arrêts de certaines cours d’appel, une confusion était née entre le pouvoir général de représentation de la société à l’égard des tiers et le pouvoir fonctionnel. Ces deux pouvoirs peuvent donner lieu à délégation. Le pouvoir fonctionnel permet d’assurer un fonctionnement effectif de l’entreprise. Le pouvoir général de représentation s’exerce à l’égard des tiers. Le délégataire, en accomplissant des actes juridiques, apparaît comme le représentant de la société. Cette image « ne doit pas occulter le fait que cette représentation n’est que la suite d’une habilitation particulière émanant du titulaire initial du pouvoir695 » : le directeur général d’une société anonyme tient ses pouvoirs du conseil d’administration. 256. La clef « de la distinction entre les deux types de pouvoir n’est d’autre que le lien de préposition qui unit le délégataire à l’entité pour le compte de laquelle il exerce les pouvoirs qui lui ont été confiés et dont le délégant est l’organe statutairement investie696 ». Cette clé, essentielle, est pourtant la grande absente des arrêts du 19 novembre 2011697. Le pouvoir général de représentation incombe au mandataire social, lequel est préservé de tout lien de subordination698. Le pouvoir de direction et de gestion 694 Le raisonnement qui va suivre est applicable tant au droit civil qu’au droit pénal. A. COEURET, F. DUQUESNE, « Les licenciements dans la SAS : fin d’une controverse et ébauche d’une théorie du pouvoir délégué », Dr. social, 2011, p. 382. 696 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Les licenciements dans la SAS : fin d’une controverse et ébauche d’une théorie du pouvoir délégué », Dr. social, 2011, p. 382. 697 Cass. Ch. Mix., 19 nov. 2010, n° 10-10099 et n° 10-30215 : Bull. Ch. Mix., n° 1 et 2. 698 En ce sens, M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 584, p. 319. Un mandataire social n’est en principe ni commerçant ni salarié ; mais il arrive dans certaines circonstances qu’un cumul de fonctions soit envisageable. 695 122 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 n’est pas traité de la même manière. Une délégation de pouvoirs fonctionnelle suppose l’existence d’un lien de subordination. 257. Une solution identique a été adoptée en droit pénal et ce, depuis les années 2000. Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, condamnent le président du conseil d’administration d’une société anonyme. Si ce dernier ne conteste pas la teneur des faits, il se prévaut d’une délégation de pouvoirs délivrée au directeur général. Les juges du fond retiennent que ni la lettre d'embauche, ni la lettre de mission confiant à celui-ci la fonction technique de directeur d'exploitation, ni la décision du conseil d'administration le désignant comme directeur général ne constituent une délégation de pouvoirs. En conséquence, le président du conseil d’administration ne saurait invoquer pour sa défense la subdélégation consentie par le directeur général aux directeurs de magasins. Pour la chambre criminelle, le moyen est inopérant « en ce qu'il invoque une délibération du conseil d'administration conférant au directeur général des pouvoirs identiques à ceux du président, exercés concurremment aux siens699 ». 258. Pour la chambre criminelle, une nomination en tant que directeur général ne peut pas être analysée comme une délégation de pouvoirs. Le directeur général ne peut pas être tenu responsable à la place du président ni procéder à une quelconque subdélégation de telle sorte que le président puisse bénéficier de l’effet exonératoire. De cette décision naît une distinction entre la répartition du pouvoir par délégation et le processus d’attribution primaire des prérogatives de direction entre mandataires sociaux. Cette attribution, faite par le conseil d’administration dans les sociétés anonymes et formalisée dans les statuts pour la société par actions simplifiée, ne fait pas « du directeur général un préposé délégué dans les pouvoirs du président, chef d’entreprise ». Elle fait de lui un véritable dirigeant, voire un chef d’entreprise. Etant en première ligne, un directeur général peut ainsi voir sa responsabilité pénale rapidement engagée700. 699 Cass. crim., 17 oct. 2011, n° 00-80308 : Bull. crim., 2011, n° 300. Cette affirmation est d’autant plus vraie qu’aujourd’hui les fonctions de directeur général peuvent être exercées séparément de celles de président du conseil d’administration (Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, JORF n° 113 du 16 mai 2001 p. 7776 ; C. Com., art. L. 22551-1). 700 123 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 259. Seul le pouvoir de direction et de gestion dans sa dimension fonctionnelle peut faire l’objet d’une délégation de pouvoirs, et ce à condition qu’un lien de préposition unisse le délégataire au délégant. 260. Objet limité. Le domaine de la délégation de pouvoirs doit être délimité avec précision. L’intégralité des pouvoirs de l’employeur ne saurait faire l’objet d’une délégation unique. Cette impossibilité procède du « caractère d’ordre public de la responsabilité pénale701 ». Néanmoins, les pouvoirs de l’employeur peuvent faire l’objet de plusieurs délégations lesquelles coexisteraient au sein de la même entité à condition « que le champ des responsabilités assumées par chaque délégué puisse être aisément circonscrit702 ». 261. La Cour de cassation s’est aussi prononcée sur le périmètre géographique au sein duquel la délégation s’exerce. Est sans effet une délégation dont l’étendue géographique est trop importante. Valant pour les différents établissements703, elle ne permettait pas un strict respect des règles de sécurité par le délégataire704. 262. Enfin, la Cour de cassation ne retient pas la responsabilité pénale du délégataire si l’infraction résulte d’un fonctionnement général défectueux de l’établissement et ce, quand bien même la défaillance constatée se réaliserait dans la partie de l’entreprise dont il a la charge705. Cette solution est à rapprocher de celles retenues en matière d’entrave lesquelles distinguent les infractions d’entrave portant sur les aspects fonctionnels des institutions représentatives du personnel et celles rattachables au pouvoir d’administration générale du délégant. 2°. Une délégation de pouvoirs pérenne 701 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 327, p. 193. Cette solution apparaît dans un certain nombre d’arrêts anciens : Cass. crim., 28 juin 1902 : Bull. crim., n° 237, D. P. 1903, 1, p. 585 ; Cass. crim., 30 nov. 1950 : Gaz. Pal. 1951, I, p. 63; Cass. crim., 22 avr. 1966 : Bull. crim., 1966, n° 125. 702 N. CATALA, JCP CI 1976, II, 12010, n° 38. 703 Cass. crim., 2 oct. 1980, Chalafre. 704 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 328, p. 194 ; Cass. crim. 20 oct 1987, n° 87-80320. 705 Cass. crim., 6 oct. 1955 : Bull. Crim. n° 388 ; Cass. crim., 25 mars 1997, n° 96-82163 ; Cass. Crim. 7 déc. 2004, n° 03-87015. 124 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 263. Durée - Antériorité. Une délégation signée le jour où un employeur a eu connaissance de l’infraction et que le délégataire a reçu postérieurement au procèsverbal de l’inspecteur n’est pas valable706. Pour être efficace, la délégation de pouvoirs doit être antérieure à la commission de l’infraction. 264. Stabilité. La délégation de pouvoirs doit être permanente. Le transfert de pouvoir doit présenter un caractère stable et durable707. En conséquence, l’efficacité de la délégation de pouvoirs sera fonction de la période pour laquelle elle a été confiée, ce qui implique non seulement qu’elle soit suffisamment longue mais aussi qu’elle ne fasse pas l’objet de fréquentes interruptions708. 265. Le changement de délégant ou de délégataire. Hormis le cas de la révocation, la question de la durée implique de prendre davantage en considération le cas où les personnes des délégants et délégataires viendraient à changer. Il faudra veiller à s’assurer d’une cohérence d’ensemble en cas de changement de poste ou d’interruption de la délégation. 266. Révocation. Une fois conclu, le contrat par sa force obligatoire « échappe à la fantaisie et aux caprices du temps709 ». Le contrat ne peut être révoqué que par mutuus dissensus : « ce que le consentement a fait seul, seul le consentement peut le défaire710». Le mandat déroge à cette règle puisqu’une déclaration unilatérale suffit. L’intuitu personae est l’un des caractères fondamentaux du mandat711, lequel ne saurait se 706 Cass. crim., 13 nov. 1968 : Bull. crim., 1968, n° 297 ; Cass. crim., 10 juin 1980 : Bull. crim., 1980, n° 184. 707 Cass. crim., 21 nov. 1973, n° 72-93898. 708 A. COEURET,« Pouvoir et responsabilité en droit pénal social », Dr. social 1975, n° 7-8, p. 396 : « L’action du délégataire serait en effet illusoire». 709 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 6ème éd., 2012, n° 756, p. 440. 710 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 6ème éd., 2012, n° 756, p. 440. 711 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 139, p. 198. 125 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 concevoir sans qu’une relation de confiance unisse le mandant au mandataire712. Lorsque « la confiance vient à cesser, le contrat doit disparaître713 ». 267. Applicable qu’aux hypothèses dans lesquelles la délégation constitue un accessoire du contrat de travail, cette libre révocabilité souffre de tempéraments fondés sur la qualité des parties714 ou lorsque la délégation est intrinsèquement liée au contrat de travail. Dans cette dernière hypothèse, les solutions définies en matière de modification du contrat sont applicables à la révocation. 268. Une interrogation demeure néanmoins. Elle tient aux conséquences attachées au refus d’une révocation opérant une modification du contrat de travail. Si le refus opposé par le salarié à une telle révocation n’est pas fautif, il n’en demeure pas moins que l’employeur peut le licencier s’il établit une cause réelle et sérieuse de licenciement laquelle s’apprécie « à l’aune des motifs de la modification envisagée par le chef d’entreprise qui doivent être réels, sérieux, et répondre à l’intérêt de l’entreprise 715 ». Le refus d’une révocation opérant un simple changement des conditions de travail est constitutif d’une insubordination caractérisant une faute justifiant un licenciement. 269. Succession. La délégation de pouvoirs, tant en matière pénale qu’en matière civile, est nécessairement remise en cause par la succession de délégataires différents dans une même fonction. La délégation, « forcément personnalisée716 », doit être acceptée par le salarié délégataire, y compris dans les hypothèses où la nature de l’emploi, l’organisation de l’entreprise rendent théorique cette acceptation717. 270. Transfert. Le changement dans la structure juridique de la société employeur n’affecte pas la délégation de pouvoirs dès lors que ce changement n’a pas eu « pour 712 En droit romain, le mandat supposait un rapport d’amitié entre mandant et mandataire : « pas de confiance sans amitié » (Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2011, 5ème éd., n° 546, p. 291.) 713 Ph. MALAURIE, L. AYNES, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, Defrénois, 6ème éd., 2012, n° 555, p. 298. 714 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 139, p. 198. 715 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Bibl. Droit de l’entreprise, Litec, 2005, n° 200, p. 282. La révocation trouve généralement sa cause dans la mauvaise gestion nuisant à l’intérêt de l’entreprise. 716 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 334, p. 196. 717 Sur l’acceptation de la délégation de pouvoir : cf. n°???? 126 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 effet de modifier la portée des pouvoirs initialement consentis718 ». Pour certains juges du fond, la délégation de pouvoirs prend fin en cas de changement d’employeur, à charge pour le nouvel employeur de procéder à une nouvelle délégation. La Cour de cassation a condamné cette interprétation : les juges du fond doivent « davantage s’expliquer sur les conditions et effets de la délégation de pouvoirs invoquée719 ». Le seul transfert de l’entreprise ne saurait remettre en cause la délégation et rendre impossible son invocation par le nouvel employeur. 271. La solution, qui a depuis été confirmée dans deux décisions du 20 juillet 2011, rendues en matière de fusion-absorption, a divers fondements lesquels varient en fonction de la nature de la délégation. Une distinction doit être opérée entre la délégation de pouvoirs accessoire du contrat et la délégation de pouvoirs intrinsèquement liée au contrat. 272. Lorsque la délégation est intrinsèquement liée au contrat, elle emprunte le régime de l’article L. 1224-1 du Code du travail de sorte qu’à l’image du contrat elle survit en principe à la fusion-absorption. Par exception, les termes de la délégation peuvent limiter la durée ou la portée de la délégation. Ainsi, dans l’une des espèces précédentes, la fusion-absorption emportait la caducité de la délégation cette dernière n’étant valable que pour la durée des responsabilités exercées au sein de l’une des sociétés. En outre, la fusion-absorption avait aussi eu pour effet d’étendre le périmètre d’intervention du salarié délégataire : ce dernier ne disposait plus des moyens nécessaires à la bonne gestion de la délégation720. 273. La cassation était encourue non, en raison d’un motif de fond qui aurait conduit à adopter une solution stricte aux termes de laquelle toute fusion-acquisition entraînerait la caducité des délégations antérieurement établies, mais au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale721. Le juge d’appel devait rechercher si la fusion-absorption 718 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 333, p. 195. Cass. crim., 14 mars 2006, n° 05-85889 : Bull. crim., 2006, n° 75 ; RJS, 2008, p. 87 et s. ; Dr. social, 2007, p. 1057, note F. DUQUESNE. 720 Cass. crim., 20 juill. 2011, n° 10-87348 et n° 10-86705 : Dr. pén., 2011, n° 10, comm. 124, note J.-H. ROBERT. 721 C. pén. art. 593 : « Les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne 719 127 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 avait eu pour effet d’entraîner la caducité de la délégation de pouvoirs722. Le juge pénal n’est pas lié par les stipulations contractuelles mais il peut les prendre en considération. Les conventions sont pour lui « des éléments de fait qu’il qualifie de conditions préalables ou d’éléments constitutifs des infractions723». Le juge apprécie la réalité, le contenu et la permanence de la délégation de pouvoirs. 274. Le même raisonnement ne saurait s’appliquer lorsque la délégation constitue un simple accessoire du contrat de travail. La délégation, « qu’elle affecte ou non la responsabilité pénale de son auteur, ne constitue qu’une simple modalité d’exécution724 ». En conséquence, les règles de droit des obligations régissant le mandat trouvent à s’appliquer. Aux termes de l’article 2003 du Code civil, le décès du mandant provoque l’extinction du mandat. Ce principe d’extinction est une règle supplétive qui peut être tempérée par la volonté du mandant de manière expresse ou tacite. Révocable par les héritiers, ce mandat ne saurait être général ; il doit avoir un objet déterminé. 275. Si la délégation de pouvoirs accessoire au contrat de travail est conclue par le dirigeant au nom et pour le compte de la société et non en son nom personnel, cette règle n’empêche pas qu’une telle délégation repose sur un lien de confiance725. Au cas particulier, la fusion-acquisition annihile le mandat et entraîne un changement de direction. La relation de confiance cesse ; la délégation s’éteint à moins que le mandant en décide autrement. 276. L’analyse travailliste du Professeur DUQUESNE des arrêts du 20 juillet 2011 doit être ici rapportée. La solution retenue par la Cour de cassation « tirait conséquence d’une forme parmi d’autres de mise en commun de moyens garantissant la continuité du permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ». 722 Cass. crim., 20 juill. 2011, n° 10-87348 et n° 10-86705 : Dr. pén., 2011, n° 10, comm. 124, note J.-H. ROBERT. 723 J.-H. ROBERT, note sous Cass. crim., 20 juill. 2011, n° 10-87348 et n° 10-86705 : Dr. pén., 2011, n° 10, comm. 124. 724 F. DUQUESNE, « Le sort de la délégation de responsabilité pénale en cas de fusion absorption », SSL, 2011, n° 1504, p. 10. 725 La spécificité de la relation de travail et le souci d’avoir une gestion homogène et fluide de l’entreprise invitent les dirigeants à choisir des délégataires avec lesquels ils ont noué une véritable relation de confiance. 128 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pouvoirs de direction726 ». Seule cette justification permet d’adapter le sort réservé à la délégation lors d’un changement d’employeur, à la diversité des circonstances 727. Le transfert de l’entité s’accompagne-t-il nécessairement d’une extinction du pouvoir de direction ? En effet, la disparition de l’objet même du pouvoir reconnu aux dirigeants, et indirectement la cessation des fonctions du délégant, justifient la caducité de la délégation de responsabilité. 277. Selon le Professeur DUQUESNE, ce qui caractérise les hypothèses de maintien du pouvoir de direction se situe dans le transfert au nouvel employeur d’une organisation parfaitement intégrée en raison de l’autonomie des ressources humaines et matérielles qui y sont mises en œuvre728. Certains transferts ne s’accompagnent pas d’une extinction du pouvoir de direction. Il en est ainsi en cas de cession d’éléments corporels et incorporels poursuivant une finalité propre. Tel serait le cas d’une société qui transférerait l’un de ces établissements. Le chef d’établissement conserve la direction de ce dernier après la cession. L’intuitu personae demeure ; les délégations de pouvoirs ne sont pas caduques. 278. La typologie retenue distingue la fusion-absorption de la fusion par création d’une nouvelle entité. Dans la première, « l’absorbée disparaît et l’absorbante s’enrichit de sa valeur ; il y a transmission universelle du patrimoine de la première à la seconde729 ». Dans la seconde, « deux sociétés s’unissent pour en faire naître une troisième ; les initiatrices disparaissent et de leur décès en naît une troisième730». En cas de fusion, les délégations sont exclues de la transmission. Pour le Professeur DUQUESNE, la survie des délégations dépend de la volonté de la société absorbante. Il faut avant tout déterminer avec précision le ou les responsables pénaux tant dans la société absorbante que dans la société absorbée de sorte qu’une confirmation des 726 F. DUQUESNE, « Le sort de la délégation de responsabilité pénale en cas de fusion absorption », SSL, 2011, n° 1504, p. 10. 727 F. DUQUESNE, « Le sort de la délégation de responsabilité pénale en cas de fusion absorption », SSL, 2011, n° 1504, p. 10. 728 « Tout se passe comme si l’ancien employeur transmettait au nouveau, avec les différents éléments composant l’entité, le moyen d’exercer son pouvoir de direction » (F. DUQUESNE, « Le sort de la délégation de responsabilité pénale en cas de fusion absorption », SSL, 2011, n° 1504, p. 10). 729 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des Sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 1440, p. 718. 730 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des Sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 1440, p. 718. 129 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 délégations en vigueur dans l’entité absorbée ou une redéfinition du périmètre de la mission n’en est pas moins inenvisageable731. 279. Néanmoins, il est des hypothèses dans lesquelles la fusion n’entraîne pas la caducité des délégations. Tel est le cas si la fusion n’emporte pas extinction du pouvoir de direction. Une telle situation est envisageable lorsque la fusion-absorption maintient sans changement l’entité absorbée laquelle devient une filiale ou un établissement de l’entité absorbante. D’autres éléments peuvent intervenir : la présence dans le mandat d’une clause prévoyant la survie de la délégation ou l’application des règles du Code de commerce lesquelles décident qu’en cas de fusion les dirigeants peuvent devenir administrateurs de l’entité absorbante. Le Code du commerce prévoit en effet que le nombre de membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, selon le cas, peut être supérieur à dix-huit pendant un délai de trois ans à compter de la date de la fusion sans pouvoir être supérieur à vingt-quatre732. Dans ces deux hypothèses, l’on pourrait, selon toute vraisemblance, rapporter la preuve tant du maintien du pouvoir de direction que d’une forme d’intuitu personae. 280. La perte de la qualité de dirigeant ou de délégataire de l’entité absorbée n’est pas pour autant « synonyme d’effacement de la responsabilité, qui tant civile que pénale, demeure engagée pour les faits antérieurs à la fusion733 ». Se pose alors la question des effets de la délégation de pouvoirs. §II. Des effets limités 281. Exécution. La délégation emporte des effets quasi identiques à ceux du mandat. Le délégataire est tenu d’exécuter sa mission et d’en rendre compte en cours et en fin de mission. Le caractère intuitu personae de la délégation de pouvoirs n’interdit pas cependant, la subdélégation. Le délégataire doit en tout état de cause, agir dans l’intérêt 731 Cass. soc., 7 avr. 1993, n° 91-42421. C. Com., art. L. 225-95. 733 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des Sociétés, LexisNexis, 26ème éd., 2013, n° 1397, p. 698. 732 130 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 du délégant ou de l’entreprise et accomplir sa tâche avec diligence, prudence et persévérance734. 282. Devoir de conseil. Le délégataire doit mettre son expérience à la disposition de l’entreprise et du délégant. Il l’informe et le conseille « sur l’utilité de l’acte envisagé, les précautions à prendre, la meilleure manière de procéder et les conséquences et risques de cet acte 735 ». Il lui appartient de dissuader le délégant lorsque l’acte peut produire des conséquences dommageables. 283. Responsabilité civile. Une délégation de pouvoirs ne remet pas en cause la responsabilité civile de l’employeur en tant que commettant laquelle est fondée sur les articles 1384 du Code civil et L. 4741-7 du Code du travail 736. Mais le préposé délégataire qui a intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l’égard de ce dernier, peu important qu’il ait agi dans l’exercice de ses fonctions737. La délégation de pouvoirs est avant tout une technique d’organisation et de répartition du pouvoir dans l’entreprise. Mais devant le juge elle devient un moyen de défense (I) permettant, le cas échéant, d’exonérer le délégant de sa responsabilité pénale (II). I. 284. La délégation responsabilité comme moyen d’exonération de la Une de pouvoirs efficace conduit à une responsabilité pénale en principe alternative (A). Mais une responsabilité cumulative n’est pas exclue (B). 734 A. BENABENT, Les Contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 9ème éd., 2011, n° 929 et s, p. 443. 735 A. BENABENT, Les Contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 9ème éd., 2011, n° 934, p. 446. 736 A. COEURET, « Délégations de pouvoirs et responsabilité pénale dans l’entreprise », Journal des sociétés, n° 74, p. 29. 737 Cass. crim., 28 mars 2006, n° 05-82975 : Bull. crim., 2006, n° 91 ; RJS, 2006, n° 918. Dans le même sens : Cass. crim., 20 mai 2003, n° 026-84307 : Bull. crim., 2003, n° 101 ; Cass. crim., 7 avr. 2004, n° 0385698 : Bull. crim., 2004, n° 93. Voir aussi : A. COEURET, R. ZANNOU, « Chronique de Droit pénal », RJS, 2008, p. 87. Cette solution s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle dont l’arrêt COUSIN a posé les fondations. Cet arrêt portait sur les conséquences d’une infraction intentionnelle commise par un préposé auteur d’une faute « qualifiée » au sens de l’article 121-3 du Code pénal : il s’agissait en l’espèce de la violation délibérée d’une obligation de sécurité (Cass. Ass. plén., 14 déc. 2001, n° 00-82066 : Bull. Ass. plén. n° 17 ; RJS, 2002, n° 142). 131 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 A. Une responsabilité alternative 285. En droit pénal, la délégation de pouvoirs est « une cause de non-imputabilité pour le délégant et symétriquement une cause d’imputabilité pour le délégataire738 ». Une infraction ne saurait être retenue à la fois contre le chef d’entreprise et le délégataire739. En conséquence, la délégation de pouvoirs « exclut740 » le délégant au détriment du délégataire. Cette exclusion conduit à étudier successivement la situation du délégataire (1°) et celle du délégant (2°). 1°. 286. La situation du délégataire Responsabilité pénale741. Si l’ensemble des conditions sont remplies, la délégation de pouvoirs est effective, opérant ainsi un transfert de responsabilité. Le délégataire devient pénalement responsable, en lieu et place du délégant, à raison des pouvoirs dont il dispose742. Les juges appliquent au délégataire un raisonnement identique à celui retenu à l’égard du chef d’entreprise. En conséquence, les juges du 738 N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise, Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 295, p. 424 ; Voir aussi : F. MARMOZ, La délégation de pouvoir, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2000, n° 755 et s., p. 295. 739 En matière d’hygiène et de sécurité : « Cass. crim., 23 janv. 1975 : Bull. crim., 1975, n° 30 ; JCP G, 1976, II, 18333, note J.-H. ROBERT; D., 1976, Jurispr., p. 375, note J. SAVATIER ; Cass. crim., 10 févr. 1976 : Bull. crim., 1976, n° 52 ; Cass. crim., 28 mars 1979 : Bull. crim., 1979, n° 127 ; Cass. crim., 14 oct. 1997 : RJS, 1998, n° 48 ; Cass. crim., 14 mars 2006, n° 05-85889 : Bull. crim., n° 75. La responsabilité pénale des infractions poursuivies ne peut être cumulativement retenue contre le chef d'entreprise et un délégataire en raison des mêmes manquements : Cass. crim., 14 nov. 2006, n° 0583367 : JCP G 2007, I, 203, n° 3, obs. J.-F. CESARO. 740 B. BOUBLI, « La délégation de pouvoir depuis la loi du 6 décembre 1976 », Dr. social, 1977, p. 82 ; N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise,Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 295, p. 424 ; A. MAYAUD, « Responsables et responsabilités », Dr. social, 2000, p. 946. 741 Si l’on considère que les aspects fonctionnels de la représentation du personnel ne revêtent pas un caractère fondamental, seule une sanction administrative (dans notre hypothèse) pourra être prononcée à l’encontre du salarié délégataire, à moins que la délégation de pouvoir ne porte aussi sur les aspects relatifs aux attributions (qui revêtent un caractère fondamental), que l’intention de nuire soit caractérisée, auquel cas la voie pénale serait ouverte. La délégation de pouvoirs doit, pour ce faire, être valable en tous ces éléments. 742 Cass. crim., 13 sept. 2005, n° 05-80502 - Un arrêt ancien de la Cour de cassation illustre parfaitement les effets de la délégation de pouvoirs : « La loi fait peser la responsabilité pénale de l’infraction sur le chef immédiat et effectif du service où elle s’est produit ; si cette responsabilité incombe au chef d’entreprise dans les parties qu’il administre directement, elle pèse au même titre, dans ceux des services dont il a délégué la direction, aux directeurs, gérants, préposés, investis par lui et pourvus de la compétence et de l’autorité nécessaire pour veiller efficacement à l’observation de la loi » (Cass. crim., 18 déc. 1936 : Bull. crim., n° 151). 132 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 fond doivent caractériser la faute personnelle du délégataire. L’identité de raisonnement est particulièrement flagrante en matière de santé et de sécurité743. Le délégataire sera poursuivi pour les infractions matériellement commises par d’autres salariés dans la partie de l’entreprise dont il assure la surveillance dès lors qu’une faute est, sur ce point, établie à son encontre744. Cette faute non intentionnelle s’apprécie dans les mêmes termes qu’à l’égard du chef d’entreprise. 287. Subdélégation. A l’image du délégant, le délégataire peut, à son tour, subdéléguer745. Le subdélégant (délégataire) ne s’exonère pas de la responsabilité pénale qu’il encourt en se bornant à invoquer l’existence d’une subdélégation de pouvoirs746. Les obligations en la matière sont identiques à celles mises à la charge du chef d’entreprise. Il doit rapporter la preuve de la validité d’une telle subdélégation et démontrer que l’infraction relève du domaine subdélégué. Sa responsabilité peut être engagée dès lors qu’il n’a pas transféré ses pouvoirs alors qu’il était dans l’impossibilité de les exercer personnellement747. Dès lors que le subdélégataire bénéficie de l’autorité, de la compétence, et des moyens nécessaires pour exercer les missions déléguées, sa responsabilité pénale est engagée en cas d’infraction. 288. Effets sur le statut collectif du salarié délégataire. La délégation de pouvoirs produit des effets en matière d’élections prud’homales et professionnelles. En ce qui concerne les premières, sont électeurs « salariés » dans la section « encadrement » les salariés qui, ayant acquis une formation technique, administrative, juridique, commerciale ou financière, exercent un commandement par délégation de l'employeur. Tel est le cas des agents de maîtrise qui ont reçu une délégation écrite de 743 Cass. crim., 28 févr. 1995, n° 94-82577 : La Cour de cassation approuve les juges du fond lesquels avaient retenu que la faute du prévenu résidait dans l'insuffisance de l'organisation matérielle ou administrative des services en matière d'hygiène et de sécurité et l'absence de directives ou injonctions précises ». 744 Cass. crim., 14 oct. 1997: Bull. crim., 334; Dr. Pénal 1998, comm. 25, J.-H. ROBERT; Rev. sc. crim., 1998, p. 328, note Y. MAYAUD. 745 Cass. Crim.,17 juin 1997, n° 95-83010 : Bull. Crim. 1997, n° 237. 746 Cass. crim., 18 oct. 1995, n° 94-83576. 747 Cass. crim., 17 juin 1997 n° 95-83010 : Bull. crim., n° 237, Dr. Pénal 1998, comm. 188, J.-H. ROBERT, M. VERON ; Cass. crim., 28 févr. 1995, n° 94-82577 ; Cass. crim., 9 nov. 1998, n° 97-86647. 133 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 commandement748. Sont électeurs « employeurs » dans la section « encadrement », les cadres détenant sur un service, un département ou un établissement de l'entreprise une délégation particulière d'autorité, établie par écrit, permettant de les assimiler à un employeur749. En matière d’élections professionnelles, le salarié délégataire ne saurait, selon la Cour de cassation, être électeur (donc éligible) aux fonctions de représentant du personnel750 dès lors que la délégation reçue permet de l’assimiler à l’employeur. Il perd également la possibilité d’être désigné en qualité de délégué syndical751, représentant syndical ou représentant d’une section syndicale752. Peu importe que la délégation n'ait pas été expressément acceptée par l'intéressé753. 2°. 289. La situation du délégant Un principe. Le transfert de responsabilité résultant de la délégation a, dans le même temps, pour effet d’exclure la responsabilité de l’employeur. Cette exclusion est de droit754. Le transfert de responsabilité ne s’opère cependant que dans la limite des pouvoirs transférés par l’employeur au délégataire755. Le délégant demeure responsable des infractions commises dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une délégation de pouvoirs. Ainsi, une délégation valablement concédée pour la présidence du CHSCT ne saurait valoir pour les autres instances de représentation du personnel756. 748 C. trav., art. L. 1441-3 ; Circ. 16 mars 1992 relative à l’organisation des élections prud’homales, JO, 3 avr. 1992, p. 4971 et A. COEURET, « Les responsabilités assumées par le salarié, Source d’indépendance ? », Rev. Trim. de la CA de Versailles, 1996, p. 243. 749 C. trav., art. L. 1441-4. 750 Cass. soc., 6 mars 2001: Bull. civ., V, n° 73, RJS, 2001, n° 620; JSL 2001, n° 77, p. 10, obs. M. HAUTEFORT; Cass. soc., 26 sept. 2002, n° 01-60670 : Bull. civ., V, n° 285, Dr. social 2002, p. 1080, note F. DUQUESNE ; Cass. soc., 6 févr. 2002, n° 00-60488 : Bull. civ., V, n° 58. 751 Cass. soc., 21 mai 2003, n° 01-60882 : Bull. civ., 2003, n° 171, RJS, 2003, n° 1036. 752 Cass. soc., 25 janv. 2006, n° 05-60158 : Bull. Civ. V, n° 39 ; Cf. A. COEURET, « Les responsabilités assumées par le salarié, Source d’indépendance ? », Rev. Trim. de la CA de Versailles, 1996, p. 243. 753 Cass. soc., 4 avr. 2007, n° 06-60124. 754 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 101. 755 Cass. Crim. 27 févr. 1995, n° 94-82178 : Dr. pén. 1997, n° 150 ; Cass. crim., 6 mai 1996, n° 95-83340. 756 Cass. crim., 12 avr. 2005, n° 04-83101 : Bull. crim., n° 129 ; Ch. NEAU-LEDUC, « La responsabilité du dirigeant employeur : éclairage d’actualité », RLDA, 2006, p. 78. 134 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 290. Exceptions. Le principe d’exclusion n’est pas sans limites. La Cour de cassation consacre une double limitation. Elle réserve deux hypothèses, selon que l’employeur s’est immiscé dans les fonctions du délégataire ou que la loi en a disposé autrement757. 291. En premier lieu, toute ingérence du délégant, de quelque manière que ce soit, dans la mission confiée au délégataire est condamnée par la Cour de cassation. L’immixtion du délégant naît du seul fait d’interférer dans la mission confiée au délégataire, d’altérer son indépendance. Ainsi, l’obligation mise à la charge du délégataire d’en référer au dirigeant pour l’exécution de sa mission caractérise l’immixtion du délégant758. 292. L’immixtion est également caractérisée lorsque l’employeur prend part personnellement à la réalisation de l’infraction759. Tel est le cas lorsqu’averti de la nécessité de la consultation, il a volontairement pris la décision de ne pas consulter le comité central d’entreprise préalablement à la signature d’un accord760. Il ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en invoquant une délégation de pouvoirs. L’immixtion est enfin caractérisée lorsqu’est constaté un « dysfonctionnement dans l’organisation de l’entreprise » ayant concouru à la commission de l’infraction et qui est en principe imputable à l’employeur761. Cette participation personnelle, « en aval762 » de la délégation de pouvoirs, ne remet pas nécessairement en cause son existence mais en annihile les effets763. 757 Cass. crim., 11 mars 1993 : Bull. crim., 1994, n° 112. Cass. crim., 20 mars 2007, n° 05-85253 : Bull. crim., 2007, n° 86, Rev. des Sociétés, 2007, p. 590, note B. BOULOC ; Cass. soc., 21 nov. 2000, n° 98-45420 : Bull. civ., V, n° 284 ; RJS, 2001, n° 175 ; Dr. social 2001, p. 209 obs. J. SAVATIER. 759 Cass. crim., 26 nov. 1985, n° 73-92625 ; Cass. crim., 20 mars 1995, n° 93-85076: Bull. crim., 1995, n° 114. Voir a contrario Cass. crim., 28 oct. 2008, n° 04-87365. 760 Cass. crim., 20 mai 2003, n° 02-84307 : Bull. crim., 2003, n° 101. 761 Cass. crim., 25 mars 1997, n° 96-82163. 762 M. GIACOPELLI-MORI, « La délégation de pouvoirs en matière de responsabilité pénale du chef d’entreprise », Rev. sc. crim., 2000, p. 525. 763 Cass. crim., 29 avr. 1996, n° 93-85169 : Bull. crim., 1996, n° 173 ; Cass. crim., 19 août 1997, n° 9683944 : Bull. crim., 1997, n° 285, Rev. Sociétés, 1997, p. 863, obs. B. BOULOC ; Cass. crim., 15 mars 1994, n° 93-82109 : Bull. crim., 1994, n° 100, D. 1995, p. 30, note Y. REINHARD. En conservant « un pouvoir de direction, une autorité nécessaire à la mission de prévention, le chef d’entreprise ne met plus en mesure le délégataire d’assurer l’obligation déléguée. (…) Ce que le chef d’entreprise a donné au délégataire d’une main, il le lui reprend de l’autre» (M. GIACOPELLI-MORI, « La délégation de pouvoirs en matière de responsabilité pénale du chef d’entreprise », Rev. sc. crim., 2000, p. 525). 758 135 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 293. En second lieu, la Cour de cassation réserve l’hypothèse dans laquelle « la loi en dispose autrement ». Cette restriction trouve sa raison d’être dans le principe de légalité des délits et des peines applicable en droit pénal aux termes duquel le texte d’incrimination est d’interprétation stricte. Ce principe est à l’origine, de manière implicite, d’un certain nombre de décisions retenues notamment en matière d’entrave764. Ainsi, le chef d’entreprise ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant une délégation de pouvoirs autorisant un cadre à présider à sa place le CHSCT, dans la mesure où la décision qu’il convenait de prendre concernait les conditions générales de travail, domaine ressortissant exclusivement de la compétence du délégant765. La délégation de pouvoirs est à nouveau privée d’effet. 294. La non admission d’une délégation « en raison de l’existence d’une disposition légale précise et limitative766 » emporte également des effets sur le plan civil et pose la question de sa licéité. La délégation de pouvoirs est un acte767 qui doit satisfaire aux conditions essentielles posées à l’article 1108 du Code civil. Ainsi, l’obligation est nulle lorsque l’objet est frappé d’une impossibilité absolue, tenant par exemple à une prohibition légale768. L’illicéité de l’objet entraîne la nullité de l’acte de délégation et de tous les actes subséquents de manière rétroactive. Les consultations du comité 764 Y. REINHARD, note sous Cass. crim., 15 mars 1994, n° 93-82109 : Bull. crim., 1994, n° 100, D., 1995, p. 30. 765 Cass. crim., 15 mars 1994, n° 93-82109 : Bull. crim., 1994, n° 100, D. 1995, 30, note Y. REINHARD. Une solution identique est retenue en matière d’entrave au comité d’entreprise. Lorsqu’il confie à un représentant le soin de présider cette instance, le chef d’entreprise doit, s’assurer qu’elle a été régulièrement consultée avant d’adopter une mesure entrant dans son champ de compétence : Cass. crim., 3 mars 1998, n° 96-8508 : Bull. crim., 1996, n° 81 ; RJS, 1998, n° 749. 766 Y. REINHARD, note sous Cass. crim., 15 mars 1994, n° 93-82109 : Bull. crim., 1994, n° 100, D. 1995, p. 30. 767 Sur les rapports de la délégation de pouvoirs et du contrat de mandat, cf. N. FERRIER, La délégation de pouvoir, technique d’organisation de l’entreprise,Thèse, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2005, n° 136 et s., p. 193 ; Ph. PETEL, Les obligations du mandataire, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 1988, n°???? ; Y. PAGNERRE, « L’articulation des normes générales et des normes spéciales en droit du travail », in L’articulation des normes en droit du travail, sous Dir. B. TEYSSSIE, Economica, 2011, n° 142 ; Sur le rejet du mandat cf. F. MARMOZ, La délégation de pouvoir, Litec, Bibl. Droit de l’entreprise, 2000, n° 216 et s., p. 75. 768 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 600, p. 331 ; Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, Droit des obligations, LexisNexis, 12ème éd., 2012, n° 259, p. 202. 136 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou du comité d’entreprise menées par le délégataire sont entachées de nullité769. Le délit d’entrave peut être caractérisé. 295. Les conséquences pratiques sont importantes. Il faut procéder à nouveau à l’ensemble des consultations qu’impose le Code du travail. Plane la menace d’une suspension de l’opération en cours. B. Une responsabilité cumulative 296. Pour les infractions de droit commun et pour certaines infractions relevant du droit pénal du travail, le cumul de responsabilités n’est pas exclu770 via les notions classiques de coaction et de complicité (1°). L’engagement de la responsabilité de la personne morale peut aussi conduire à une forme de responsabilité cumulative (2°). 1°. 297. Délégataire et délégant Situations juridiques. Le coauteur a personnellement concouru aux actes matériels constitutifs de l’infraction. Le complice se contente de coopérer à la commission de l’infraction « par un acte matériel (…) avec intention771 ». 298. La responsabilité du coauteur est une responsabilité personnelle qui ne dépend nullement de celle des autres auteurs de l’infraction. Il peut être poursuivi et condamné indépendamment772 de ces derniers. Les peines, les causes d’atténuation ou d’aggravation sont « propres à chaque coauteur et n’ont aucun effet sur la peine de l’autre773 ». La situation juridique du complice dépend en revanche de celle de l’auteur et repose sur le système de l’emprunt absolu de criminalité. L’acte du complice n’a pas de criminalité propre. Il emprunte celle de l’acte de l’auteur principal. La condamnation du complice exige que soit constatée tant l’infraction commise par l’auteur que les 769 Sur les effets de la nullité, cf. Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 715 et s, p. 419. 770 En ce sens : A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 346, p. 203. 771 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 311, p. 274. 772 Pour une présentation des critiques de cette indépendance, cf. E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 943, p. 639. 773 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 311, p. 274. 137 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 éléments constitutifs de la complicité. Doit être relevée la présence d’un fait principal punissable constitutif d’un crime ou d’un délit774, consommé ou tenté par l’auteur principal. Mais l’existence d’un fait punissable suffit ; il n’est pas nécessairement puni ; le complice peut être poursuivi et condamné alors même que l’auteur principal ne l’est pas775. La complicité suppose aussi un acte de participation positif, consommé et antérieur ou concomitant à l’infraction776. Alors que la responsabilité pénale du coauteur est personnelle777, tel n’est pas le cas de celle du complice : il encourt les mêmes peines que l’auteur778. 299. Application au délit d’entrave. L’entrave donne lieu à peu d’applications de la notion de complicité779. Sont plutôt constatées des situations juridiques assimilables à la coaction780. Lorsque la Cour de cassation retient la responsabilité conjointe de chefs d’entreprise et de leurs « délégataires », est posée la question de l’effectivité de la délégation de pouvoirs. Ainsi, en est-il lorsqu’est retenue la responsabilité conjointe pour entrave du chef d’entreprise et d’un cadre chargé de la présidence du comité, faute de consultation de ce dernier sur de nouveaux plans de rémunération, la politique salariale relevant des prérogatives du chef d’entreprise ; le délégataire est également poursuivi en ce qu’il a directement participé aux faits délictueux puisqu’il avait la charge du bon fonctionnement du comité781. 300. De la responsabilité conjointe de chefs d’entreprise et de leurs délégataires pour des faits d’entrave, la jurisprudence offre d’autres illustrations. Deux présidents successifs d’une société et un directeur chargé des affaires sociales sont poursuivis pour entrave au fonctionnement du comité centrale d’entreprise en raison d’une élaboration 774 C. pén., art. 121-7. Cass. Crim. 25 oct. 2005, n° 06-81060 : Bull. Crim. 2006, n° 267: L’auteur peut ne pas être puni parce qu’il est mort ou parce qu’il est inconnu ou en application d’une incapacité liée à l’âge ou à une déficience mentale. 776 Sur ce point: cf. E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n°1053 et s., p. 695. 777 Il sera poursuivi et condamné seul dès lors que le fait qui lui est reproché est punissable à son égard. 778 C. pén., art. 121-7. 779 Contra : T. Corr. Béthune, 12 nov. 1996, 7 ème ch., Meresse : RJS, 1997, n° 552 : ont été reconnus coupables de délit d’entrave un directeur du personnel et son dirigeant, les juges ayant notamment relevé que les courriers étaient cosignés. 780 TGI de Besançon, Ch. Cor. 18 nov. 1994, in Dr. ouvrier, 1995, p.150. 781 Cass. crim., 3 mars 1998, n° 96-85098 : Bull. crim., 1998, n° 81; Rev. sc. crim., 1998, 763, obs. B. BOULOC ; Cass. crim., 20 mai 2003, n° 02-84307 : Bull. crim., 2003, n° 101 ; Cass. crim., 11 juin 2002, n° 3563: RJS, 2002, n° 1134. 775 138 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 unilatérale et d’une communication hors délais de l’ordre du jour, d’une présentation incomplète et tardive des bilans sociaux, de manquements divers dans la procédure de consultation et d’information du comité d’entreprise. La responsabilité des dirigeants est engagée en raison des défaillances relevées sur des mesures ressortissant de leur pouvoir propre. La responsabilité du directeur des affaires sociales l’est pour ne pas avoir rempli avec rigueur les obligations qui lui incombaient au titre du fonctionnement de l’institution représentative du personnel782. La responsabilité « conjointe » retenue par le juge s’apparente à la coaction. En effet, les auteurs du délit d’entrave ont contribué à la réalisation de ses éléments matériels et intentionnels ; la preuve de la coexistence de deux volontés conjointes et distinctes tendant au même but a été rapportée. L’effectivité de la délégation de pouvoirs en sort affaiblie783. Faut-il conclure à une généralisation de l’exclusion de la délégation de pouvoirs en matière de représentation du personnel784 ou décider que le cumul de responsabilité est « le signe d’un dysfonctionnement de la délégation elle-même785 » ? Une vision plus nuancée s’impose : la délégation de pouvoirs, bien qu’inopérante lorsqu’elle est relative aux mesures ressortissant du pouvoir propre de direction, n’en est pas moins effective lorsqu’elle porte sur le seul fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Le cumul des responsabilités n’est donc pas systématiquement synonyme de dysfonctionnements. Liées à une délégation de pouvoirs, il tend à devenir au contraire la norme en matière de représentation du personnel. La porte de la délégation de pouvoirs demeure entrouverte, a minima sur les aspects fonctionnels de la représentation du personnel, a maxima sur l’ensemble des dispositions intéressant leur organisation et leurs attributions786. 2°. Délégataire et personne morale 782 Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n° 126, Rev. sc. crim., 2008, p. 349, obs. A. CERF-HOLLENDER ; Dr. pén., 2007, n° 7, comm. 108, obs. J.-H. ROBERT. Une solution identique est retenue dans un arrêt de la chambre criminelle portant sur la mise en place des institutions représentatives du personnel : Cass. crim., 6 nov. 2007, n° 06-86027 : Bull. crim., 2007, n° 266, Dr. pén., 2008, comm. n° 23, obs. J.-H. ROBERT. 783 Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n° 126 ; Cass. crim., 6 nov. 2007, n° 0686027 : Bull. crim., 2007, n° 266. 784 A. CERF-HOLLENDER, note sous Cass. crim., 15 mai 2007, n° 06-84318 : Bull. crim., 2007, n° 126 ; Rev. sc. crim., 2008, p. 349. 785 Y. MAYAUD, « Responsables et responsabilité », Dr. social 2000, p. 946. 786 Cass. Crim., 16 sept. 2003, n° 02-86661 : Bull. crim., 2003, n° 164. 139 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 301. Absence d’exonération. La responsabilité de la personne morale peut être engagée787 dès lorsqu’un acte a été commis par l’un de ces organes ou représentants788. Il n’y a pas lieu d’établir de faute distincte à la charge de la personne morale pour engager sa responsabilité. Un préposé accède à la qualité de représentant de la personne morale789 lorsqu’il est investi d’une délégation de pouvoirs790. Celle-ci produit « un effet translatif de représentation à l’égard de la personne morale dont la responsabilité pénale doit être engagée en toute hypothèse car c’est en son nom que l’organe ou le représentant agit791 ». L’absence d’exonération de la délégation de pouvoirs à l’égard des personnes y trouve sa justification dans un certain nombre de raisons plus ou moins convaincantes792. Cette mise en cause systématique de la responsabilité de la personne morale sans que soit parfaitement identifié le représentant ou l’organe agissant en son nom n’est pas à l’abri de toute critique793. 302. Parmi les justifications avancées, celle tenant à accroître la responsabilité des personnes morales tout en allégeant celles des personnes physiques 794 doit être écartée d’emblée. De même, est contestable celle aux termes de laquelle « la délégation de pouvoirs implique la délégation de la représentation795 ». Moins contestable est l’argument tiré de « l’inégalité difficilement justifiable entre le chef d’entreprise et le délégataire, celui-ci ne pouvant, quoique placé dans la même situation, voir sa 787 Cass. crim., 9 nov. 1999 : Bull. crim., n° 256, Dr. pén., 2000, comm. 56, note M. VERON ; Rev. sc. crim., 2000, p. 600, obs. B. BOULOC. Une solution identique est retenue en matière de subdélégation : Cass. crim., 26 juin 2001 : Bull. crim., 2001, n° 161. 788 C. pén., art. 121-2. 789 Circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à son entrée en vigueur. 790 Cass. crim., 14 déc. 1999, n° 99-80104 : Bull. crim., 1999, n° 306 ; Dr. pén., 2000, n° 56. Cass. crim., 23 nov. 2010, n° 09-85115). 791 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1107, p. 672. 792 Pour une présentation exhaustive des thèses, cf. J.-H. ROBERT, Les préposés délégués sont-ils les représentants de la personne morale ?, in La sanction du droit, Mél. P. COUVRAT, PUF, 2001, p. 383. 793 Une partie de la doctrine refuse au délégué la qualité de représentant. En ce sens, cf. J.-F. BARBIERI, « L’incidence de la réforme du Code pénal sur la gestion des personnes morales », Les petites affiches, 1993, n° 130, p. 22 et spéc. p. 28 ; M.-E. CARTIER, « La responsabilité pénale des personnes morales : évolution ou révolution ? », JCP 1994, éd. E, suppl. n° 5, p.34 ; J.-H. ROBERT, Les préposés délégués sont-ils les représentants de la personne morale ?, in La sanction du droit, Mél. P. COUVRAT, PUF, 2001, p. 383. 794 B. MERCADAL, « La responsabilité des personnes morales et celles des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits », RJDA 1994, p.375. 795 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal Général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 608, p. 585. 140 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 responsabilité pénale atténuée par celle de la personne morale796 ». L’automaticité de la mise en cause de la responsabilité des personnes morales, notamment en matière d’accident du travail797, mérite d’être dénoncée. Elle produit un effet démobilisateur : « les chefs d’entreprise et les collaborateurs ne se sentent plus menacés par la sanction pénale798 ». Les personnes morales supporteraient alors « le risque pénal » comme les autres risques liés à la vie de l’entreprise en recourant à des provisions comptables ou en constituant une « caisse noire ». Cette systématisation de la mise en cause de la responsabilité des personnes morales ne tient pas tant à l’objet799 de la délégation de pouvoirs qu’à la conception fonctionnelle de la notion de « représentant » retenue par la chambre criminelle, ce terme désignant « tout titulaire secondaire du pouvoir de direction légitimement investi d’une partie de celui-ci par la délégation800 ». 303. Par un arrêt du 11 octobre 2011801, la Chambre criminelle tend cependant à revenir à une exigence d’identification de la personne physique auteur de l’infraction pour s’assurer qu’elle peut être effectivement considérée comme « un organe » ou un représentant de la personne morale. L’exigence d’identification n’est pas nouvelle802 mais elle est affirmée avec vigueur mettant fin aux incertitudes nées des décisions précédentes803. En l’absence de délégation de pouvoirs parfaitement identifiée, les salariés ne sauraient être qualifiés de « représentants » de la personne morale 804. 796 F. DESPORTES, Cah. Jur. élect. et gaz, 1996, n° 519, p. 98 et 99 ; dans le même sens E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1107, p. 672. 797 A. COEURET, « La responsabilité pénale des personnes morales pour accident du travail », Dr. social 1996, p. 158. 798 A. COEURET, « La responsabilité pénale des personnes morales pour accident du travail », Dr. social 1996, p. 158. 799 Selon le professeur COEURET, les infractions commises à l’occasion de délégations portant sur « la gestion administrative » (embauche, licenciement, conclusion de conventions) peuvent être imputables à la personne morale. L’auteur des faits apparaît comme le mandataire de celle-ci. En revanche, les infractions commises à l’occasion des délégations de pouvoirs portant sur la « gestion technique » ne sauraient lui être imputées. A. COEURET, « La responsabilité en droit pénal du travail : continuité et rupture », Rev. sc. crim., 1992, p. 475, et spéc. p. 490 et 491. 800 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 368, p. 224. 801 Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212 : Bull. crim., 2011, n° 202. 802 Cass. crim., 23 mai 2006, n° 05-84846 ; Cass. crim., 16 févr. 2010, n° 09-83991 : Dr. pén., 2010, comm., 74, note M. VERON. 803 Cass. crim., 20 juin 2006, n° 2006, n° 05-85.255 : Bull. crim., 2006, n° 188, D. 2007, p. 617, note J.C. SAINT-PAU ; JCP G, 2006, II, 10199, note E. DREYER ; Dr. pén., 2006, comm., 128, 2e esp., note M. VERON ; Rev. sc. crim., 2006, p. 825, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 15 févr. 2011, n° 10-85324 : Dr. pén., 2011, comm. 62, note M. VERON ; Cass. crim., 26 juin 2007, n° 06-84821 : Dr. pén., 2007, 141 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 II. 304. La délégation comme moyen de défense Actori incumbit probatio805. La charge de la preuve incombe au ministère public ou à la partie civile806. A eux de qualifier juridiquement l’infraction. Encore fautil tenir compte d’un certain nombre de « présomptions de culpabilité807 » qui « ont pour effet, en droit comme en fait, de mettre à la charge de la personne poursuivie la preuve de son innocence, alors que la partie poursuivante ne dispose pas toujours des moyens pour le faire808 ». 305. En matière de travail dissimulé809, se fondant sur le pouvoir de direction de l’employeur a été créée une forme de présomption de culpabilité. Or, « le dirigeant comme tout citoyen, doit bénéficier de la présomption d’innocence et ne devrait pas supporter la preuve d’un acte qui, s’il s’était prouvé, lui permettait d’échapper à une condamnation pénale. C’est au ministère public (…) qu’incombe cette charge de prouver l’absence de délégation810 ». Si, pour la chambre criminelle, aucune présomption de culpabilité ne pèse sur l’employeur811, il n’en demeure pas moins que la partie poursuivie supporte la charge de la preuve (A) non en vertu d’une présomption mais en application du principe classique de droit civil selon lequel le défendeur doit apporter la preuve des moyens de défense qu’il invoque (B). A. Invocation 306. Pour tenter de s’exonérer de sa responsabilité pénale, le chef d’entreprise peut invoquer une délégation de pouvoirs. Le plus tôt sera le mieux : « plus tôt la délégation comm. 135, note M. VERON ; Cass. crim., 22 févr. 2011, n° 10-87.676 : Gaz. Pal. 30-31 mars 2011, p. 8, note J.-C. SAINT-PAU. 804 J.-F. CESARO, note sous Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212 : Bull. crim., 2011, n° 202; JCP S, 2011, 1543. Sur les conditions de la mise en cause de la responsabilité des personnes morales. 805 H. ROLAND, L. BOYER, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., p. 16. 806 Lorsqu’elle se constitue par la voie de l’action. 807 J. BUISSON, « Les présomptions de culpabilité », Procédures, 1999, p. 3. 808 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 7ème éd., 2011, n° 518 et s, p. 551. 809 C. trav., art. L. 8221-4. 810 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 93. 811 Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-82754, 02-82755, 02-82756, 02-82758, 02-82759¸ 02-82760, 0282771. 142 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de pouvoirs [est] invoquée, plus il y aura là un indice favorable à sa reconnaissance 812». Invocable en première instance813 et en cause d'appel814, elle ne peut l’être pour la première fois devant la Cour de cassation815. En outre, une invocation tardive peut affaiblir le caractère certain de la délégation de pouvoirs816. Invoquée817, elle impose au juge de répondre à ce moyen de défense818. B. Preuve 307. Aux termes de l’article 427 du Code de procédure pénale, « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ». L’office de l’employeur (1°) et celui du juge (2°) sont tour à tour sollicités. 1°. 308. L’office de l’employeur Contradiction. « Aucun formalisme particulier ne conditionne la validité de la délégation de pouvoirs. Son existence est une question de fait ». L’écrit n’est pas nécessaire819. A condition qu’elle soit certaine et dénuée de toute ambiguïté, la délégation pourrait être purement verbale et ne consister qu’en des consignes précises ou une mission spécifique confiée au salarié 820. Reste que la Cour de cassation n’admet pas l’efficacité d’une délégation purement verbale821. D’aucuns ont essayé de distinguer le régime de la preuve selon la nature des fonctions du salarié : les directeurs techniques bénéficieraient d’une délégation tacite alors que pour les autres salariés une délégation 812 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 336, p. 198. Cass. crim., 13 juin 1991, n° 90-81544. 814 Cass. crim., 5 janv. 1993, n° 92-81918 : Bull. crim., n° 6 ; Cass. crim., 29 juin 1999, n° 98-84993 : Dr. ouvrier, 1999, p. 383. Telle n’a pas toujours été la solution retenue par la Cour de cassation : Voir notamment : Cass. crim., 26 juin 1952 : Bull. crim., n° 168 ; Cass. crim., 23 févr. 1988 : Bull. crim., n° 93. 815 Cass. crim., 26 sept. 2000, n° 00-80034 ; Cass. crim., 7 avr. 2004, n° 03-83512 ; Cass. crim., 8 juin 2004, n° 03-86331. 816 CA Paris, 20ème Ch. Corr., 3 juin 1988, JurisData n°1988-024616. 817 Il n’appartient pas au juge d’en rechercher l’existence : Cass. crim., 23 nov. 1950 : Bull. crim., 1950, n° 267 ; Cass. crim., 26 juin 1952 : Bull. crim., 1952, n° 168. 818 Implicitement Cass. crim., 22 janv. 1986, n° 84-95210 : Bull. crim., n° 30. 819 Cass. crim., 26 juin 1979 : Bull. crim., n° 232. 820 SSL, Notion de délégation de pouvoir, 1996, n° 815, p. 14. 821 Cass. crim., 11 mars 1993 : Bull. crim., n° 6. 813 143 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de pouvoirs expresse serait exigée822. Une telle distinction ne saurait être accueillie. La preuve de la délégation de pouvoirs ressort souvent, en pratique, d’un faisceau d’indices. 309. Exclusion des délégations formelles. La délégation de pouvoirs ne saurait être uniquement déduite d’un organigramme823, d’une fiche de fonction, « d’une charte de poste824 » figurant dans une convention collective825, d’une note de service826, d’un relevé de consignes courantes de sécurité827, d’une circulaire rédigée en termes généraux adressée à l’ensemble du personnel d’encadrement828, d’un règlement intérieur829. Néanmoins, le rôle probatoire de ces documents est essentiel s’ils sont « suffisamment précis et corroborés par un transfert effectif de pouvoirs830 ». 310. En pratique, il est important de formaliser la délégation par écrit831. Le contrat de travail est son support naturel832. La délégation doit être précise et complète, indiquant l’identité des protagonistes, son périmètre, son objet, la nature des pouvoirs transférés, les moyens dont dispose le délégataire, la date de prise d’effet de l’acte, sans oublier sa signature. 311. Faisceau d’indices. L’employeur doit apporter des éléments précis et convaincants permettant de démontrer l’effectivité du transfert du pouvoir. La preuve de cette effectivité n’est pas toujours fournie selon, que la délégation découle de la nature des fonctions833 ou de la structure de l’entreprise834. En outre, les preuves 822 B. BOUBLI, « La délégation de pouvoirs depuis la loi du 6 déc. 1976, Dr. social, 1977, p.82. Cass. crim., 28 janv. 1975 : Bull. crim., n° 32 ; Cass. crim., 15 janv. 1980, Hiard; Cass. crim., 29 janv. 1985 : JCP E, 1985, II, 14531, note O. GODARD. 824 Cass. crim., 22 mai 1990, n° 89-85416. 825 Cass. crim., 25 févr. 1992 : Bull. crim., n° 179. 826 Cass. crim., 17 juin 1997 : Bull. crim., 1997, n° 237 ; Cass., crim. 13 sept. 2005, n° 05-80035 ; Voir aussi Th. JOFFREDO, « La délégation de pouvoir le juge et l’entreprise », JCP S, 2006, 1886. 827 Cass. crim., 2 oct. 1979, Cirilli, n° 78-93334: Bull. civ. 1979, n° 267. 828 Cass. crim., 28 nov.1979, Sivieude. 829 Cass. crim. 11 janv. 1955 : Bull. crim., n° 21. 830 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 339, p. 200. 831 La forme écrite est recommandée par le ministère dans la circulaire du 2 mai 1977. 832 Th. JOFFREDO, « La délégation de pouvoir le juge et l’entreprise », JCP S, 2006, 1886. 833 Cass. crim., 2 oct. 1979: Bull. crim., 1979, n° 267. 834 Cass. crim., 25 mai 1993, n° 92-85822. 823 144 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 communiquées doivent être « dignes de foi835 ». L’employeur doit enfin se garder de dénigrer les capacités du salarié concerné836. 2°. 312. L’office du juge La réalité et la portée de la délégation de pouvoirs sont laissées à l’appréciation souveraine des juges du fond837. Leur décision doit être suffisamment motivée « de façon à permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la qualité des faits838 ». Le contrôle des critères empruntés à l’autorité, aux moyens et à la compétence doit être opéré globalement839. En résulte une grande variété de décisions, l’appréciation du juge étant fonction de la nature de l’activité, de la taille de l’entreprise et du domaine dans lequel elle déploie son action. Faut-il en tirer la conclusion qu’un encadrement législatif s’impose ? Rien n’est moins sûr tant la loi aurait du mal à épouser l’extrême diversité des situations et à s’adapter à la réalité des entreprises. Section II - L’imputation de la responsabilité aux personnes morales 313. Au regard des objectifs fixés par la loi, la responsabilité pénale des personnes morales apparaît nécessaire en matière d’infractions non intentionnelles. Néanmoins, elle s’adapte mal aux infractions intentionnelles. Comme pris par un sentiment d’inquiétude face à l’ampleur de la réforme, le législateur s’est prononcé en faveur du cumul des responsabilités pénales en ce qui concerne ces infractions. Retenir une conception cumulative et non alternative des responsabilités revient à condamner le 835 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 341, p. 201. Ainsi, un chef d’entreprise qui, lors de la phase d’instruction, aurait maladroitement présenté un salarié comme un « bon ouvrier, gentil mais pas d’une intelligence foudroyante, un bon exécutant » ne saurait de façon crédible soutenir ultérieurement que l’intéressé était son délégataire (Cass. Crim.,17 févr. 2004, n° 03-81687). 837 Cass. crim., 3 déc. 1998 : Bull. crim., 1998, n° 332 ; Cass. crim., 23 mai 2007, n° 06-87590, Bull. Joly Sociétés 2007, 1256, § 331, note D. CHILSTEIN. 838 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 342, p. 202. 839 « Cette appréciation globale (…) apparaît comme la seule solution possible dans la mesure où la frontière entre les critères jurisprudentiels est relativement poreuse» (Master II Droit pénal et science criminelle, Univ. Toulouse I, « La délégation de pouvoirs : jusqu’où ira le juge pénal dans le contrôle de l’organisation interne de l’entreprise », Droit pénal, 2009, n° 9, étude 16). 836 145 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 dirigeant pour une faute qu’il n’avait pas commise personnellement. Il peut paraître contradictoire de soutenir le caractère alternatif de la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales tout en dénonçant les effets pervers de cette responsabilité qui conduit à « déresponsabiliser » les personnes physiques. Conjuguer la volonté de « responsabiliser » les acteurs de l’entreprise et respecter scrupuleusement les principes de droit pénal relève de l’insurmontable. Quelles solutions s’offrent à nous ? Faut-il revenir en arrière et ne retenir la responsabilité des personnes morales qu’en cas d’infractions non intentionnelles ? Une telle solution serait vécue comme un insupportable retour au passé. La responsabilité des personnes morales est entrée dans les mœurs. La solution se trouve-t-elle dans la « redéfinition » des critères d’engagement de leur responsabilité et des règles de partage des responsabilités et leur stricte application par le juge ? 314. L’altération de la responsabilité des personnes physiques est le fruit de l’action conjuguée du législateur et du juge (§ préliminaire) ; le domaine (§I) et les conditions (§II) de la responsabilité sont par eux façonnés. §Préliminaire - Les origines du mal 315. L’altération de la responsabilité des personnes physiques ne résulte pas tant de la lettre de la loi que des circonstances qui ont entouré l’admission de la responsabilité des personnes morales. Les arguments favorables à une telle admission (I) ne font pas oublier l’origine du mal (II). I. 316. Les arguments favorables La personne morale est une réalité technique (A) créée dans le but de répondre à une réalité criminologique (B). A. Une réalité technique 146 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 317. La personne morale est une réalité840. Dès lors qu’un groupement est doté « d’une volonté collective distincte des volontés individuelles de ses membres, il convient de lui reconnaître la personnalité juridique841 ». Cette thèse trouve appui dans l’œuvre de DURKHEIM et notamment dans la notion de « volonté collective » ou de « conscience collective » qu’il définit comme « l’ensemble de croyances et de sentiments communs à la moyenne des membres d’une société842 ». A cette réalité sociologique, s’ajoute une réalité technique consacrée par la Cour de cassation. La personnalité civile n’est pas une création de la loi. Elle appartient, en principe, à tout groupement « pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite, d’être juridiquement reconnus et protégés843 ». La personnalité juridique est octroyée de manière « naturelle » sans intervention des pouvoirs publics. Néanmoins, le groupement doit parvenir « à un degré d’organisation suffisant pour qu’à la cacophonie des expressions individuelles succède une expression collective, traduisant les orientations et décisions arrêtées en commun844 ». B. Une réalité criminologique 318. Aux termes de l’article 121-2 du Code pénal, la responsabilité des personnes morales peut désormais être engagée. Ce texte traduit « la volonté du législateur d’appréhender des comportements collectifs jusqu’ici hors de portée de toute répression pénale845 ». La nécessaire adaptation à de nouvelles formes de délinquance en matière économique, environnementale, sociale et sociétale, les nouvelles formes juridiques des entreprises, la puissance des groupes de sociétés, ont largement contribué à l’essor d’une telle responsabilité. Selon les MM. LE GUNEHEC et DESPORTES, il s’agissait 840 Sur le refus d’admettre le concept même de personnalité moralité : M. PLANIOL, Traité de droit civ, t. I, 1ère éd., n° 3016. Sur la réalité de la personne morale voir : L. MICHOUD, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, 3ème éd., 1932, par L. TROTABAS, p. 101, n° 45 et s. ; L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, t. I, 1938, p. 381, n° 665 ; D. MAYER, Essai d’analyse de la responsabilité pénale des personnes morales à partir de la conception fonctionnelle des sociétés commerciales, in Mél. JEANTIN, Dalloz, 1999, p.295. 841 B. TEYSSIE, Droit Civil – Les personnes, Litec, 14ème éd., 2012, n° 873, p. 449. 842 De la division du travail social, 1893. 843 G. LEVASSEUR note sous Cass. 2ème Civ., 28 janv. 1954, D. 1954, 217 ; JCP G 1954, II, 7978, concl. LEMOINE ; Dr. social 1954, p. 161, note P. DURAND. 844 B. TEYSSIE, Droit Civil – Les personnes, LexisNexis, 14ème éd., 2012, n° 879, p. 451. 845 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 117. 147 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de tirer les conséquences d’une « réalité criminologique» dont l’exposé des motifs du projet de Code pénal déposé en 1986 se fait l’écho. « L’immunité actuelle des personnes morales est d’autant plus choquante qu’elles sont souvent, par l’ampleur des moyens dont elles disposent, à l’origine d’atteintes graves à la santé publique, à l’environnement, à l’ordre économique ou à la législation sociale ». A un droit de plus en plus complexe, une solution adaptée devait être recherchée. La reconnaissance de la responsabilité des personnes morales y contribue. 319. En outre, parmi les effets souhaités, la reconnaissance de la responsabilité des personnes morales devrait permettre d’aborder tout ou partie des thèmes abandonnés au droit administratif, donnant lieu à la création de multiples autorités administratives indépendantes chargées de réguler des pans entiers de l’activité économique et sociale. En effet, alors que les juridictions pénales se trouvaient dans l’incapacité de sanctionner la personne morale, le CSA, l’AMF ou la HALDE le pouvaient846. La reconnaissance par le Code pénal de la responsabilité des personnes morales aurait dû mettre fin « au développement d’un droit para-pénal dont l’application est confiée à des organismes qui voient leur légitimité (…) souvent contestée847 ». II. 320. Les arguments défavorables Certains arguments « avancés à l’appui de la responsabilité pénale des êtres collectifs, purement utilitaires, ramènent le droit pénal à un droit de la sanction 848 ». La reconnaissance de la responsabilité des personnes morales s’est faite en violation de nombreux principes de droit pénal (A). Alors qu’il est avant tout « porteur d’une éthique849 », le droit pénal tend de plus en plus à être appréhendé sous l’angle économique (B). A. Une violation de nombreux principes 846 Pour une critique des autorités administratives indépendantes et plus particulièrement du défenseur des droits (anciennement HALDE) : cf. V. MANIGOT, Le traitement juridique de la discrimination dans l’entreprise. Réflexions sur un risque, LexisNexis, Planète social, 2012, p. 222. 847 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 576, p. 545. 848 Ph. CONTE, P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, Masson/Armand Colin, 5ème éd., 2000, n° 370, p. 198. 849 Ph. CONTE, P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, Masson/Armand Colin, 5ème éd., 2000, n° 370, p. 198. 148 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 321. Une imputation artificielle. Une personne morale n’a pas de conscience850. Ce n’est qu’à travers ses organes ou ses représentants qu’elle est capable d’intelligence et de volonté. Lorsque la faute est commise par une personne physique, l’imputation morale et matérielle est directe. En matière de responsabilité des personnes morales, le lien avec l’infraction est indirect. L’imputation se fait par l’intermédiaire d’une personne physique qui n’est autre que le dirigeant ou son représentant. L’imputation de responsabilité est « en grande partie artificielle851 ». 322. Principe de personnalité des peines. De nombreux auteurs ont dénoncé les effets néfastes d’une sanction pénale prononcée à l’encontre de « l’être collectif 852 ». 323. La généralisation de la responsabilité des personnes morales a entraîné une généralisation de la peine d’amende. Or, qu’elles frappent les dirigeants personnes physiques ou la personne morale, les peines pécuniaires apparaissent insuffisantes et peu dissuasives. Perçues sous un angle purement financier par les dirigeants d’entreprise, les peines d’amende sont répercutées sur la clientèle ou font l’objet de provisions en amont. Seule la dissolution présente un réel caractère dissuasif et préventif ; « mais est-on certain que les juges la prononceront pour condamner au chômage l’ensemble du personnel ?853 ». Définir le quantum de la peine suppose de s’interroger sur les effets d’une sanction à l’égard des tiers. A cet égard, la responsabilité des personnes morales porte atteinte au principe de personnalité des peines. La sanction frappe les autres associés, les salariés, et plus largement tous ceux qui vivent grâce à la personne morale alors qu’ils sont restés étrangers à la faute commise par un dirigeant au nom du groupement. Cette atteinte au principe de 850 « Le propos (…] ne saurait, pour autant masquer le caractère fictif de la reconnaissance à un groupe d’un attribut qui appelle pensée et volonté, ce qu’un groupement, en soi – et par-delà l’illusion des mots – ne possède jamais » (B. TEYSSIE, Droit Civil – Les personnes, LexisNexis, 14ème éd., 2012, n° 877, p. 450). Voir en ce sens : Ph. CONTE, P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, Masson/Armand Colin, 5ème éd., 2000, n° 370, p. 198 ; Ph. CONTE, La responsabilité des personnes morales au regard de la philosophie du droit pénal, in La personne juridique dans la philosophie du droit pénal, sous dir. J.-H. ROBERT et S. TZITZIS, éd. Panthéon Assas, 2001, p. 110. 851 Ph. CONTE, P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, Masson/Armand Colin, 5ème éd., 2000, n° 370, p. 198 852 Ph. CONTE, P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, Masson/Armand Colin, 5ème éd., 2000, n° 371, p. 198. 853 Ph. CONTE, P. MAISTRE du CHAMBON, Droit pénal général, Masson/Armand Colin, 5ème éd., 2000, n° 372, p. 198. 149 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 personnalité des peines doit cependant être tempérée ; toute peine a des répercussions à l’égard des tiers854. 324. En outre, sanctionner « l’être collectif » peut avoir un effet positif en ce que cette mesure invite « la totalité de ses membres à surveiller efficacement l’activité des dirigeants855 ». Appliquée au droit du travail, cette surveillance peut s’exprimer par le recours au droit de retrait856 d’un salarié confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé mais aussi par le recours au droit d’alerte du comité d’entreprise en matière économique857 ou par celui du CHSCT en matière d’hygiène et de sécurité858. 325. Equité. La reconnaissance de la responsabilité des personnes morales a entraîné la confrontation de deux principes. L’un des objectifs poursuivis par la réforme participait d’un souci d’équité. Afin d’assurer le respect du principe aux termes duquel « nul n’est responsable que de son propre fait », il apparaissait nécessaire de limiter la responsabilité personnelle des dirigeants, ce dont témoigne l’exposé des motifs. La reconnaissance de la responsabilité des personnes morales aura pour effet de faire disparaître « la présomption de responsabilité pénale qui pèse en fait aujourd’hui sur des dirigeants à propos d’infractions dont ils ignorent parfois l’existence ». Mais la position ainsi exprimée entre en conflit avec la maxime selon laquelle « nul n’est censé ignorer la loi ». Vue comme « un gage d’efficacité du système répressif859 », elle interdit à l’auteur d’une infraction d’échapper à la répression en arguant de son ignorance des 854 En ce sens voir E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1074, p. 712 : « Une peine privative de liberté ou une peine d’amende prononcée à l’encontre d’un père de famille emporte nécessairement des conséquences sur le train de vie de la famille ». 855 W. JEANDIDIER, Droit pénal général, Montchrestien, « Coll. Domat », 1988, n° 315. Voir aussi J. AMAR, « Contribution à l’analyse économique de la responsabilité pénale des personnes morales », Dr. pén., 2001, Chr., n° 37, p. 5. 856 Le salarié confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé a le droit d’arrêter son travail et, si nécessaire, de quitter les lieux pour se mettre en sécurité. L’employeur ou les représentants du personnel doivent en être informés (C. trav., art. L. 4131-1). 857 (C. trav., art. L. 2323-78) L’examen de la jurisprudence confirme d’ailleurs le caractère particulièrement extensif de la notion de « faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise ». L’existence de tels faits a ainsi été considérée comme établie en présence, notamment, d’un droit d’alerte motivé par un projet de modification de la structure juridique d’une société (Cass. soc., 28 oct. 1996, n° 95-10274) ou par les problèmes techniques, fonctionnels et de coût liés à la mise en œuvre d’un projet informatique (Cass. soc., 11 mars 2003, n° 01-13434). 858 C. trav., art. L. 4131-2 et L. 4132-1 et s. 859 F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Thèse, Dalloz, 2009, n° 32, p. 43 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 674-1, p. 649 ; M.L. RASSAT, Droit Pénal général, 2ème éd., 2006, n° 305, p. 355. 150 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 textes860. Comment un employeur, au regard de la multiplication des normes, peut-il connaître l’état du droit français ?861Si le législateur informe les citoyens de la nature des comportements interdits862, « en échange il leur impose l’obligation de se renseigner avant d’agir863». 326. En conséquence, l’ignorance des comportements répréhensibles ne saurait justifier la mise en cause systématique de la responsabilité de la personne morale au détriment de celle de la personne physique. Le principe aux termes duquel « nul n’est responsable que de son propre fait » trouve aussi à s’appliquer aux personnes morales. En outre, la sanction pénale prononcée à l’encontre de la personne morale en lieu et place du dirigeant personne physique a pour effet de les « déresponsabiliser864». B. Une responsabilité fondée sur une logique économique 327. Logique économique. Les dirigeants « perçoivent la règle comme une contrainte qu’il leur revient de gérer au mieux de leurs intérêts avant de prendre une décision865 ». La condamnation de la personne morale devient un paramètre pris en compte avant la création d’un groupement et surtout une fois celui-ci constitué. Les dirigeants « estiment qu’il est parfois finalement plus rentable de ne pas respecter la réglementation compte tenu de la faiblesse de la sanction au regard des avantages résultant de la violation de la règle866 ». Cette logique est renforcée par le critère d’imputation de l’infraction : la faute a-t-elle « profité » à la personne morale ? La 860 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 674-1, p. 649. 861 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 675, p. 649. Le Doyen CARBONNIER a recours aux termes de « stockage législatif » qui accentue toujours selon ses propres termes, « le caractère artificiel de la présomption de connaissance ». « La maxime nul n’est censé ignorer la loi » en droit français, in Journées de la société de législation comparée, 1984, France, Grèce, RFA, URSS, Pays Nordiques, Italie) Revue trimestrielle de droit comparé, 1984, p. 321. 862 F. ROUSSEAU, L’imputation dans la responsabilité pénale, Thèse, Dalloz, 2009, n° 32, p. 43. 863 R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, 7ème éd., 1997, Cujas, n° 582, p. 733. 864 H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité des personnes morales », Rev. Soc., 2004, p. 283. 865 J. AMAR, « Contribution à l’analyse économique de la responsabilité pénale des personnes morales », Dr. pén., 2001, chron., n° 37, p. 4. 866 J. AMAR, « Contribution à l’analyse économique de la responsabilité pénale des personnes morales », Dr. pén., 2001, chron., n° 37, p. 4. 151 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 notion de profit sous-entend la notion d’économie réalisée par le groupement en commettant l’infraction. 328. La solvabilité des personnes morales. Parmi les raisons de la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales, celui de leur solvabilité tient une place de choix867. Les personnes morales sont souvent des débiteurs plus solvables que les personnes physiques qui les dirigent. Mais cette considération détourne le droit pénal de sa finalité première : sa vocation rétributive868. La peine doit être « une souffrance infligée en compensation du mal causé à la société869 ». La fonction pécuniaire et indemnitaire constitue alors « un inutile doublon870 » puisqu’elle est assurée par la responsabilité civile. §I. Le domaine de la responsabilité des personnes morales 329. La responsabilité des personnes morales vaut pour toutes, à l’exclusion de l’Etat (I). Elle peut trouver en principe à s’exercer à l’égard de toutes les infractions (II). I. 330. Les groupements punissables Définir la notion de groupement punissable suppose que soient définis le champ d’application matériel (A) et le champ d’application temporel (B) du dispositif. A. Le champ d’application matériel 331. Toutes les personnes morales sont susceptibles d’être tenues pour pénalement responsables qu’elles soient de droit public ou de droit privé, à but lucratif ou non, 867 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1076, p. 714. « Remplir les caisses de l’ [de l’Etat], indemniser [les victimes], tel n’est pas le rôle essentiel du droit pénal » (J.-Y. CHEVALLIER, Fallait-il consacrer la responsabilité pénale des personnes morales ?, in Mél. PAILLUSSEAU, Dalloz, 2003, p.110). 869 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 63, p. 31. 870 J.-Y. CHEVALLIER, Fallait-il consacrer la responsabilité pénale des personnes morales ?, in Mél. PAILLUSSEAU, Dalloz, 2003, p.110. 868 152 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 françaises ou étrangères. Peu importe qu’il s’agisse de groupements volontaires ou de groupements dont l’existence est légalement requise871. 332. Les groupements volontaires. Parmi les groupements volontairement créés, certains sont à but non lucratif, d’autres à but non lucratif. Tous sont concernés, y compris les associations872, les congrégations religieuses, les fondations, les partis politiques et les syndicats873. L’admission de la responsabilité pénale de ces derniers soulève cependant un certain nombre d’interrogations. Leur responsabilité peut être engagée en tant qu’employeur à l’occasion de manquements aux règles de droit du travail dont ils ont par ailleurs, pour certains d’entre eux, « la charge de dénoncer la violation874». Ils peuvent aussi voir leur responsabilité engagée en raison d’une infraction commise à l’occasion d’un conflit collectif875. 333. Les groupements dont la présence est légalement imposée peuvent aussi être tenus pour pénalement responsables. Tel est le cas des syndicats de copropriétaires et des institutions représentatives du personnel bénéficiant en vertu de la loi ou de la jurisprudence876 de la personnalité civile877 : comité d’entreprise878, comité 871 Y. GUYON, « Quelles sont les personnes morales de droit privé susceptibles d’encourir une responsabilité pénale ? », Rev. Soc. 1993, p. 235. 872 Voir B. TEYSSIE, Droit Civil – Les personnes, LexisNexis, 14ème éd., 2012, n° 886 et s, p. 458. 873 Voir B. TEYSSIE, Droit Civil – Les personnes, LexisNexis, 14ème éd., 2012, n° 886 et s., p. 458. Bien qu’investie de la mission d’assurer la représentation des intérêts matériels et moraux de ses membres, la section syndicale ne dispose pas de la personnalité civile (Cass. soc., 22 mars et 18 juill. 1979 : Dr. social, 1980, p. 44, obs. J. SAVATIER). 874 En ce sens : A. COEURET, E. FORTIS, Droit Pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 352, p. 213. 875 Sont imputables aux personnes morales les délits de destruction, dégradation et détérioration (C. pén., art. 322-1). Un délégué syndical peut-il engager « par ses actes au cours d’une grève la responsabilité pénale du syndicat qui l’a désigné ? » (A. COEURET, E. FORTIS, Droit Pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 353, p. 213). Des éléments de réflexions peuvent être apportés par les solutions arrêtés par la Cour de cassation dans les années 1990. Les grévistes, « mêmes lorsqu’ils sont représentants du syndicat auprès de l’employeur ou des organes représentatifs du personnel au sein de l’entreprise, ne cessent pas d’exercer individuellement le droit de grève et n’engagent pas, par les actes illicites auxquels ils peuvent se livrer la responsabilité des syndicats auxquels ils appartiennent » (Cass. soc., 17 juill. 1990, n° 88-11937 : Bull. civ., 1990, n° 375 ; n° 88-13494 : Bull. civ., 1990, n°371). La solution pourrait cependant être amenée à évoluer au regard des nouvelles règles applicables à la responsabilité des personnes morales à condition que soit relevée une véritable participation du syndicat aux obstacles apportés à la liberté du travail. Cette participation serait le fait de délégués syndicaux agissant en représentation du syndicat personne morale. 876 Le juge reconnaît « à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite, d’être juridiquement reconnus et protégés ». Cass. civ. 2ème, 28 janv. 1954 : D. 1954, 217, note G. LEVASSEUR, JCP, 1954, II, 7958, concl. LEMOINE. 877 Loin d’être acquise, la personnalité morale de ces institutions a dans un premier temps été écartée au stade des travaux parlementaires. Ces personnes morales participent à l’exercice de libertés publiques 153 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’établissement879, comité central d’entreprise880, comité d’entreprise européen881, comité de groupe882 ou CHSCT883. Si certaines, lorsque la personnalité morale est reconnue par le juge, dans le silence de la loi, estiment que ces « personnes morales de fait » sont exclues de toute responsabilité pénale884, il est permis de retenir l’opinion contraire885. B. Le champ d’application temporel 334. Des interrogations surgissent tenant à la naissance (1°) et à la disparition (2°) des personnes morales. 1°. 335. La naissance La personnalité juridique n’est acquise qu’à l’issue d’une période de constitution ou après l’accomplissement d’un certain nombre de formalités. Tel est le cas pour les sociétés civiles ou commerciales, les GIE ou les associations. Seule la responsabilité des fondateurs (personnes physiques) pourrait être engagée au titre des infractions commises pendant la période de formation. 2°. La disparition garanties par la Constitution. Néanmoins, la responsabilité de ces instances a finalement prévalu « en application du principe d’égalité devant la loi et de la considération que, même garantie par la Constitution, une liberté ne peut s’exercer discrétionnairement puisque le respect de la légalité s’impose à tout citoyen » (A. COEURET, E. FORTIS, Droit Pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 353, p. 213). Les instances de représentation du personnel jouissent au même titre que les partis politiques ou les syndicats d’un statut privilégié : les peines les plus graves, parmi lesquelles la dissolution, ne leur sont pas applicables. Ce tempérament se justifie par le souci de protection de libertés constitutionnelles. 878 C. trav., art. L. 2325-1. La jurisprudence a étendu la personnalité civile à toutes les fonctions du comité (Cass. 2ème Civ., 28 janv. 1954 : D. 1954, p. 217, note G. LEVASSEUR). 879 C. trav., art. L. 2327-18. 880 C. trav., art. L. 2327-12. 881 C. trav., art. L. 2343-7, al.1. 882 Cass. soc., 23 janv. 1990, n° 86-14947 : Bull. civ., V, 1990, n° 20, Dr. social, 1990, p. 326, obs. J. SAVATIER; JCP E 1990, II, 15755. 883 Cass. soc., 17 avr. 1991, n° 89-17993, n° 89-43767, n° 89-43768, n° 89-43769, n° 89-43770 : Bull. civ., V, 1991, n° 206, Dr. social, 1991, p. 516 ; JCP E, 1991, II, 229, note H. BLAISE. 884 Y. GUYON, « Quelles sont les personnes morales de droit privé susceptibles d’encourir une responsabilité pénale ? », Rev. Soc. 1993, p. 235. 885 J. MOULY, « La responsabilité pénale des personnes morales et le droit du travail », LPA, 1993, p. 33. 154 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 336. La disparition d’une personne morale ouvre une phase de liquidation au cours de laquelle la personnalité survit886. Une infraction commise pendant cette période peut engager la responsabilité de la société. La dissolution et la fusion intéressent particulièrement le droit de la représentation collective, leur mise en œuvre supposant l’information et la consultation des institutions représentatives du personnel. 337. La dissolution « sonne le terme de l’existence sociale887 » d’un groupement. Quelle est son incidence en cas de poursuites engagées pour une infraction commise avant cette dissolution ? Aux termes de l’article 133-1 du Code pénal, la dissolution empêche ou arrête l’exécution de la peine. Toutefois, il peut être procédé au recouvrement de l’amende et des frais de justice ainsi qu’à l’exécution de la confiscation et ce jusqu’à la clôture des opérations de liquidation. 338. La fusion. En cas de fusion, la société absorbante ou celle résultant de la fusion ne pourrait être condamnée à la place des personnes morales absorbées ou ayant fusionné pour des infractions commises par elles888. Qu’il s’agisse d’une fusionabsorption ou d’une fusion-création, la Cour de cassation a réaffirmé avec force le principe de personnalité des peines. L’absorption « a fait perdre son existence juridique à la société absorbée 889 ». La fusion entraîne la disparition immédiate de la personne morale, sans phase de liquidation et entraîne simultanément la transmission universelle de son patrimoine890. La Cour d’appel de Bastia a soutenu que « cette personne morale n’a jamais disparu et la société absorbante est substituée à celle-ci avec transmission universelle de tous ses droits, biens, et obligations891 » ; la société absorbante aurait emprunté sa personnalité juridique et, selon la Cour d’appel de Pau, « épousé892 » sa responsabilité pénale. Ces arguments ont été censurés par la Cour de cassation. La 886 C. Civ., art. 1844-8; C. Com., art. L. 237-2; L. 251-2. I. URBAIN-PARLEANI, « La responsabilité des personnes morales à l’épreuve des fusions », note sous Cass. crim., 20 juin 2000 : Rev. Soc., 2001, p. 851. 888 Cass. crim., 20 juin 2000 : Bull. Crim. 2000, n° 237. 889 Cass. crim., 20 juin 2000 : Bull. Crim. 2000, n° 237 ; Cass. crim., 14 oct. 2003 : Bull. crim., 2003, n° 189. 890 C. com., art. L. 236-3 et L. 236-4. 891 CA Bastia, 15 sept. 1999, censuré par Cass. crim., 20 juin 2000 : Bull. Crim. 2000, n° 237. 892 CA Pau, 28 août 2002, censuré par Cass. crim., 14 oct. 2003 : Bull. crim., 2003, n° 189. 887 155 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 règle civiliste de dévolution universelle du patrimoine893 est « sans incidence sur un éventuel transfert de la responsabilité pénale894 ». 339. Bien que jouissant d’une parfaite assise constitutionnelle895 et conventionnelle896, la solution retenue génère « une résistance récurrente897» de la part de la doctrine898 et de certains juges craignant d’assister à un accroissement des fusions de sociétés afin d’échapper à des poursuites. Appelant à une réforme législative899, une partie de la doctrine fonde son raisonnement sur le postulat suivant : si les droits fondamentaux reconnus aux personnes physiques peuvent l’être aux personnes morales, « les règles juridiques ne peuvent méconnaitre la nature des choses, c’est-à-dire assimiler totalement les personnes physiques et les personnes morales900 ». Ce postulat est à l’origine de nombreuses tentatives d’évolution inspirées du droit boursier et du droit de la concurrence visant à lutter contre le risque de fraude. 340. En matière de droit boursier, le Conseil d’Etat a admis qu’une amende disciplinaire, mais non un blâme, puisse être infligée à la société absorbante lorsque 893 En absorbant, l’intégralité du patrimoine (actif et passif), la société absorbante ou nouvellement créée reste civilement responsable des infractions commises par la société absorbée. 894 L. GAMET, « Le principe de personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de sociétés », JCP G, I, 2001, 345. 895 Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé que selon les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « nul n’est punissable que de son propre fait » et « qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive » (Cons. Const. 16 juin 1999, n° 99-411 DC, JO 19 juin, p. 9018 : D. 1999, Jur., p. 589, note Y. MAYAUD). 896 La Cour européenne des droits de l’homme déduit de l’article 6 § 2 de la convention du même nom relatif à la présomption d’innocence, « la règle fondamentale selon laquelle la responsabilité pénale ne survit pas à l’auteur de l’acte délictueux ». Elle ajoute : « hériter de la culpabilité du défunt n’est pas compatible avec les normes de la justice pénale dans une société régie par la prééminence du droit » (CEDH, 29 août 1997, A. P. et E. L. c/Suisse, req., n° 19956/92, §. n° 48 : Gaz. Pal. 19-21 juill. 1998, p. 19). 897 I. URBAIN-PARLEANI, « La responsabilité des personnes morales à l’épreuve des fusions », note sous Cass. crim., 20 juin 2000 : Rev. Soc., 2001, p. 851. E. FORTIS, Y. MULLER, « La responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusion-absorption », JCP E, 2004, I, 1151. 898 Certains auteurs allaient même jusqu’à évoquer le suicide sans risque de personnes morales (P. TRUCHE, « Introduction au Colloque sur la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. Soc., 1993, p. 231). 899 L. GAMET, « Le principe de personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de sociétés », JCP G, I, 2001, 345. 900 Y. GUYON, « Droits fondamentaux et personnes morales de droit privé », AJDA 1998, p.136 ; L. GAMET, « Le principe de personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de sociétés », JCP G, I, 2001, 345 ; E. FORTIS, Y. MULLER, « La responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusion-absorption », JCP E, 2004, I, 1151. 156 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’auteur de l’infraction est la société absorbée901. La chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu une solution analogue en cas de pratique anticoncurrentielle902. Cette solution trouve sa raison d’être dans la notion d’« entreprise » retenue par le droit de la concurrence. L’« aptitude pénale903 » repose non sur la personne morale mais sur l’entreprise conçue comme une entité économique indépendante de toute forme sociale904 de sorte que la responsabilité pénale peut se transmettre malgré les transformations de l’entité905. La Cour de cassation n’a pas suivi ces tentatives de rapprochement906. En effet, les principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure 901 CE 22 nov. 2000, n° 207697 : Rec. Lebon ; AJDA 2000, p. 297, note M. GUYOMAR et P. COLLIN. Le Conseil d’Etat admet des atténuations à l’application des principes fondamentaux du droit pénal aux sanctions répressives non pénales. Le principe de personnalité des peines peut être écarté « lorsque, hors la matière pénale, il en va de l’efficacité et de la cohérence de la sanction » (A. REYGROBELLET, note sous CE 22 nov. 2000, préc., D. 2001, 1609). 902 Cass. com., 23 juin 2004, n° 01-17896 : Bull. Civ. 2004, IV, n° 132 : « Les sanctions prévues à l'article L. 464-2 du Code de commerce [lesquelles revêtent un caractère pénal] sont applicables aux entreprises auteurs des pratiques anticoncurrentielles prohibées, et que lorsque entre le moment où les pratiques ont été mises en œuvre et le moment où l'entreprise a cessé d'exister juridiquement, les pratiques sont imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise, et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle, et dès lors qu'il est sans conséquence que cette transmission ait été le fait de la loi ». En d’autres termes, la responsabilité pénale de la personne morale auteur matériel des faits est transférée à la personne morale qui a repris l’activité économique. La solution transparaissait déjà dans un rapport du Conseil de la concurrence : « si une entreprise cède la totalité de son activité économique et disparaît en tant qu’entreprise, l’entreprise cessionnaire sera alors considérée comme responsable de la pratique incriminée » (Rapp. Cons. Conc. 1991, p. XXXIII). 903 E. FORTIS, Y. MULLER, « La responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusionabsorption », JCP E, 2004, I, 1151. 904 C. Com., art. L. 410-1 et s. Le principe de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise trouve sa source dans la jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes (CJCE, 16 déc. 1975, Rec. CJCE 1975, I, p. 1175 ; CJCE, 28 mars 1984, Rec. CJCE 1984, I, p. 1679). Ce principe se justifie par la finalité répressive et réparatrice des sanctions de pratiques anticoncurrentielles « qui autoriserait un assouplissement du principe de personnalité des peines » (E. FORTIS, Y. MULLER, « La responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusion-absorption », JCP E, 2004, I, 1151). 905 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1081, p. 717. 906 La Cour de cassation a rejeté l’extension du principe de continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise hors du domaine du droit de la concurrence. Ainsi, en droit boursier, l’extension de ce principe a été soutenue par la Commission des opérations de bourse mais rejeté par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 14 mai 1997) et par la Cour de Cassation (Cass. com., 15 juin 1999 : Bull. civ., IV, 1999, n° 127) au motif que le principe de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise est dépourvue de toute portée « dès lors que le sujet de droit de la réglementation boursière n’est pas l’entreprise mais la personne physique ou morale » (E. FORTIS, Y. MULLER, « La responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusion-absorption », JCP E, 2004, I, 1151). Pour le rejet de l’interprétation du Conseil d’Etat : Voir aussi Cass. crim., 20 juin 2000 : Bull. Crim. 2000, n° 237 ; Cass. crim., 14 oct. 2003 : Bull. crim., 2003, n° 189. 157 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pénale ne s’appliquent pas avec la même rigueur907 dans chaque pan du droit ; le risque de fraude reste mesuré. 341. Le risque de fraude. La chambre commerciale de la Cour de cassation conditionne l’application du principe de personnalité des peines à l’absence de fraude à la loi susceptible de vicier l’opération908. La société ne saurait procéder à une scission, une fusion ou une dissolution dans le but avéré d'éluder toute poursuite 909 ou toute condamnation. Cette réserve n’est pas reprise par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il n’en demeure pas moins que si une fusion avait pour objet de soustraire la personne morale aux poursuites engagées, la chambre criminelle n’hésiterait pas à faire échec au principe de personnalité des peines910. Il resterait à démontrer l’existence d’une fraude à la loi. En rapportant la preuve de manœuvres frauduleuses par le biais d’un faisceau d’indices, il faudrait établir que la fusion a eu pour objet de soustraire la société aux poursuites et à une condamnation. 342. Une atteinte au principe de personnalité des peines est admise dans l’hypothèse où une condamnation pécuniaire est intervenue avant la fusion. Celle-ci se transmet vers la société absorbante par l’effet de la dévolution universelle du patrimoine911. La transmission ne porte que sur l’amende et non sur la responsabilité et suppose une condamnation définitive912. Si en théorie le risque de fraude à la loi existe, il reste en pratique peu vraisemblable au regard des statistiques et du besoin de stabilité des entreprises. 343. Plus inquiétante demeure l’hypothèse d’une société de « façade » qui servirait de paravent à ses dirigeants. Une telle société pourrait avoir le même objet, le même nom, 907 E. FORTIS, Y. MULLER, « La responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusionabsorption », JCP E, 2004, I, 1151. 908 La fraude à la loi est un acte régulier accompli dans l’intention d’éluder une disposition impérative et qui, pour cette raison, est frappé d’inefficacité par la jurisprudence ou par la loi (G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8ème éd., 2007). La fraude est « une limite naturelle aux effets des opérations de fusion et de scission » (A. COURET, note sous CA Paris, 14 mai 1997, JCP E, 1997, II, 973, p. 163). 909 Cass. com., 15 juin 1999 : Bull. civ., IV, 1999, n° 127. 910 L. GAMET, « Le principe de personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de sociétés », JCP G, I, 2001, 345. 911 L’amende constitue une peine patrimoniale (Rép. Min. n° 37 : JOAN Q, 23 sept. 1991). 912 En droit pénal, l’exécution d’une sanction par une autre personne est contraire au principe de personnalité des peines. Néanmoins, des tempéraments sont admis par le Conseil constitutionnel pour les condamnations pécuniaires (Cons. const. 2 déc. 1976, n° 76-70 DC, JO, 7 décembre 1976, p. 7052 : Rec. Cons. const., 1976, p. 39). 158 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 une même organisation, les mêmes associés913. Le risque de fraude est néanmoins, encore une fois, maîtrisé. La responsabilité des dirigeants personnes physiques doit être engagée. Certains auteurs voient dans l’interposition de personnes morales au minimum « une mise en scène accréditant le mensonge à la base de l’escroquerie ou de la tentative d’escroquerie914 ». 344. S’il peut paraître choquant de ne pas pouvoir engager la responsabilité pénale de la personne morale bénéficiaire de la fusion ou de la scission pour des manquements commis par la société absorbée ou scindée, cette solution a un double mérite. Elle ne sacrifie aucun principe de droit pénal et permet de « responsabiliser » les dirigeants personnes physiques lesquels peuvent toujours voir leur responsabilité mise en œuvre. II. 345. Les infractions De la généralisation de la responsabilité des personnes morales…. Retenant un principe de spécialité, l’article 121-2 du Code pénal disposait que les personnes morales seraient pénalement responsables « dans les cas prévus par la loi ou le règlement ». Pour pouvoir être engagée, la responsabilité pénale de la personne morale devait être prévue spécialement par le texte qui définit l’infraction. Juridiquement, le principe de spécialité se justifiait par la nature de certaines infractions qui ne pouvaient pas être imputées à une personne morale. En 1994, le législateur a conservé une certaine frilosité à l’égard de la responsabilité des personnes morales. Elle s’explique par « le souci de prudence, par la volonté de maîtriser le développement de cette responsabilité nouvelle, de la cantonner dans des matières où elle apparaîtrait la plus utile ou la plus nécessaire915 ». 346. Le principe de spécialité a été une source d’incohérences tant en ce qui concerne les infractions contenues dans le Code pénal que pour celles qui lui sont extérieures. Ainsi, la responsabilité des personnes morales ne pouvait être engagée qu’au titre des 913 Créées pour « réaliser des «coups » sans en supporter les conséquences [,] ces personnes morales sont de pure forme ; elles n’ont aucune réalité » (E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1081, p. 717). 914 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1081, p. 717 ; Sur la mise en œuvre du délit d’escroquerie : E. DREYER, Droit pénal spécial, Ellipses, coll. « Cours magistral », 2ème éd., 2012, n° 938 et s., p. 417. 915 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 595, p. 657. 159 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 infractions de marchandage, de travail dissimulé ou d’emploi de main-d’œuvre étrangère. Les infractions d’entrave, de discrimination, de même que celles relatives à la durée du travail ou à la sécurité des travailleurs ne pouvaient être opposées à une personne morale. Ces lacunes ont conduit le législateur à procéder en théorie à une généralisation de la responsabilité des personnes morales. 347. …à une fin théorique du principe de spécialité. Depuis le 31 décembre 2005, toutes les infractions susceptibles d’être reprochées à une personne physique peuvent également l’être à une personne morale916. L’article 54 de la loi du 9 mars 2004 a supprimé dans l’article 121-2 du Code pénal les mots « dans les cas prévus par la loi et le règlement ». L’entrée en vigueur de cette disposition a été reportée afin de laisser un délai suffisant pour procéder aux adaptations nécessaires notamment quant à la définition et au quantum de la peine. Ce délai s’est malheureusement avéré inutile puisqu’aucune réflexion de fond n’a été menée. Seules quelques directives ont été prises par le ministère de la Justice. Leur objet portait sur les conséquences d’une telle généralisation et sur la manière dont les infractions nouvellement imputables vont prendre place dans la pratique des parquets et des juridictions. 348. A cette réflexion, la direction des affaires criminelles et des grâces a apporté une contribution sous la forme d’une circulaire du 13 février 2006. Celle-ci comporte en annexe une liste d’infractions pour lesquelles la responsabilité des personnes morales « présente un intérêt pratique particulier917 ». Adressée aux parquets, elle constitue « la feuille de route qu’exceptionnellement (…) 918 de laquelle [les magistrats] ne s’écarteront ». La généralisation de cette forme de responsabilité n’a pas eu l’effet escompté. En dressant une liste des qualifications pénales réputées sensibles (A) d’où ressort celle des qualifications oubliées (B), l’administration a recréé un principe de spécialité. A. Les qualifications pénales réputées sensibles 916 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Circulaire du 13 février 2006 - CRIM 2006 03 E8 - Relative à l'entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales, Bulletin Officiel du Ministère de la Justice nº 101, 1 er janvier au 31 mars 2006. 918 A. COEURET, « Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail. », RJS, 2006, p. 843. 917 160 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 349. Parmi les qualifications pénales réputées sensibles, une distinction doit être opérée entre les infractions figurant dans le Code pénal et celles figurant dans le Code du travail. 350. Infractions figurant dans le Code pénal919. La responsabilité des personnes morales doit être recherchée en cas d’atteinte involontaire à la vie920 ou à l’intégrité physique921 ou psychique922 de la personne. Elles peuvent être déclarées pénalement responsables d’un délit de risques causés à autrui923, de discrimination924, de conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne925. La responsabilité des personnes morales peut être recherchée en cas d’atteinte à la vie privée926 ou d’atteinte aux droits de la personne résultant des fichiers ou traitements informatiques927. 351. Infractions figurant dans le Code du travail. Dès 1994, la responsabilité des personnes morales a pu être engagée à raison d’infractions relatives au travail clandestin, à l’emploi de la main d’œuvre étrangère ou aux trafics de main d’œuvre. Parmi les infractions nouvellement imputables et auxquelles il convient d’accorder une attention particulière, aux termes de la circulaire du 13 février 2006, le délit de non respect des règles d’hygiène et de sécurité prévu à l’article L. 4741-1 du Code du travail trouve une place de choix. Par cette référence, c’est « toute la matière de l’hygiène et de la sécurité du travail qui s’ouvre à la responsabilité pénale des personnes morales928 ». L’imputation d’infractions en matière d’hygiène et de sécurité est accrue par l’amplitude du domaine de l’article L. 4741-1 en ce qui concerne tant les activités visées que les prescriptions dont la violation peut constituer l’élément matériel de 919 Il s’agit d’une liste non exhaustive des infractions prévues par le Code pénal qui intéressent les relations de travail. 920 C. pén., art. 221-7. 921 C. pén., art. 222-21. 922 C. pén., art. 222-33-2 et s. 923 C. pén., art. 223-1 et 2. 924 C. pén., art. 225-4 et 225-2. 925 C. pén., art. 225-16 ; C. pén., art. 225-13 à 15. 926 C. pén., art. 226-1. 927 C. pén., art. 226-64. 928 A. COEURET, « Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail. », RJS, 2006, p. 843. 161 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’infraction929. Doivent également être considérés comme prioritairement imputables aux personnes morales et ce, en lien avec les infractions du Code pénal, le harcèlement moral et la discrimination. B. Les oubliés 352. Délit d’entrave. L’absence du droit de la représentation collective et plus particulièrement du délit d’entrave doit être relevée. Jusqu’en 2005, les infractions relevant de ce champ n’étaient pas imputables aux personnes morales. Pourquoi cet oubli d’une infraction « majeure du droit pénal du travail dont la commission est parfois en étroite liaison avec des considérations économiques et financières se rapportant davantage au fonctionnement de la personne morale qui sert de support à l’entreprise qu’aux individus animant sa gestion930 ? La mise en cause de la responsabilité des personnes morales suppose deux conditions : la réalisation d’un fait matériel constitutif d’une infraction commise par un organe ou un représentant ; le caractère profitable de l’infraction. Ces deux critères ont fait l’objet d’une appréciation extensive. La Cour de cassation n’impose plus nécessairement d’identifier l’auteur - organe ou représentant de l’infraction. Cette absence d’identification vaut pour les infractions non intentionnelles931 et les infractions intentionnelles932 « lorsque les faits illicites se rattachent à l’aspect de la politique de la personne morale notamment son aspect commercial933». 353. Au cas particulier de l’entrave, un clivage apparaît « entre [les infractions] qui par leur matérialité peuvent se rattacher à une politique de gestion de la personne morale et celles qui n’apparaissent que de manière erratique dans le fonctionnement de l’entreprise » ou qui sont nées d’un « conflit relationnel ». A la première catégorie se 929 L’amplitude est accentuée par les nombreux renvois auxquels procède l’article L. 4741-1 du Code du travail. 930 A. COEURET, « Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail. », RJS, 2006, p. 843. 931 Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-85255 : Bull. crim., 2006, n° 188 ; D., 2007, 617, note J.-C. SAINTPAU, 399, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE, 1624, obs. C. MASCALA ; Rev. Soc. 2006, 895, note B. BOULOC ; Rev. sc. crim., 2006, 825, obs. Y. MAYAUD ; JCP 2006, II, 10199, note E. DREYER. 932 Cass. crim., 25 juin 2008, n° 07-80261 : Bull. crim., 2008, n° 873 ; Dr. pén., comm. 140, M. VERON ; Rev. Soc., 2008, p. 873, note H. MATSOPOULOU. 933 A. COEURET, « Le délit d’entrave aux droits collectifs des salariés dans l’entreprise et dans le groupe. Retour sur une incrimination redoutée », RJS, 2011, p. 515. 162 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 rattachent les entraves commises à l’occasion de phases de négociation collective avec les organisations syndicales représentatives. En effet, les transferts d’entreprises, les opérations de fusion ou scission et plus largement toute opération économique ou financière emportant des conséquences sociales sont autant de projets intéressant l’entreprise et imposant l’information et la consultation des institutions représentatives du personnel934. A la seconde catégorie se rattachent les entraves au fonctionnement et à la mise en place des institutions représentatives du personnel, lesquelles résultent le plus souvent « d’une inimitié entre le mandataire des salariés et tel membre de la direction ou de l’encadrement935 », excluant toute condamnation de la personne morale, laquelle n’en retire aucun profit. Constitutives d’une faute « diffuse936 », les entraves de la première catégorie paraissent être seules concernées par la remontée automatique de l’imputation de l’infraction vers la personne morale937. Il n’en demeure pas moins qu’elles constituent des infractions intentionnelles, catégorie d’infractions pour lesquelles l’administration préconise d’engager cumulativement la responsabilité du dirigeant, personne physique, et celle de la personne morale. Il n’est pas certain que le délit d’entrave soit un terrain fertile pour l’engagement de la responsabilité des personnes morales. 354. Objectif. La circulaire ne fait aucune référence aux infractions relatives à la durée du travail et aux repos, ni à celles qui ont trait aux licenciements pour motif économique ou à la formation professionnelle. L’absence de référence à ces infractions, 934 Cass. soc., 27 mars 2012, n° 11-80565 : Bull. Civ. 2012, n° 83, JCP E, 2012, 1280, note F. DUQUESNE, JCP S, 2012, 1276, note Th. PASSERONE. 935 A. COEURET, « Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail. », RJS, 2006, p. 843. 936 Est « diffuse », la faute qui, à raison de l’anonymat du processus décisionnel, ne peut pas être directement imputée à une personne physique ou à un groupe de personnes ayant la qualité d’organe ou de représentant. La Cour de cassation et certaines Cours d’appel ont admis une imputation « directe » d’une personne morale pour une faute diffuse (voir notamment Cass. crim., 22 févr. 2011, n° 10-87676 : Bull. crim., 2011, n° 33 ; Cass. crim., 29 sept. 2009, n° 09-80254 ; Cass. crim., 9 mars 2010, n° 0980543 : Bull. crim., 2010, n° 49). Sur la théorie de la faute diffuse : J.-C. SAINT-PAU, Le risque pénal dans l’entreprise, la responsabilité pénale des personnes morales, Litec, Carré Droit, 2003, n° 124, p. 81 ; J.-C. SAINT-PAU, « Imputation directe et imputation présumée d’une infraction à une personne morale », D. 2012, 1381. 937 La Chambre criminelle a admis pour la première fois la responsabilité pénale de la personne morale pour défaut d’information et de consultation du comité d’entreprise. Au cas particulier, il s’agissait d’une réorganisation au moyen d’une simplification des systèmes de gestion et des méthodes de travail. (Cass. soc., 27 mars 2012, n° 11-80565 : Bull. civ. 2012, n° 83, JCP E, 2012, 1280, note F. DUQUESNE; JCP S, 2012, 1276, note Th. PASSERONE – Voir aussi : A. COEURET, Le responsable en droit pénal du travail, JCP S, 2013, 1223 ; A. COEURET, « Le délit d’entrave aux droits collectifs des salariés dans l’entreprise et dans le groupe. Retour sur une incrimination redoutée », RJS, 2011, p. 515). 163 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pour lesquelles les enjeux financiers sont réels, est d’autant plus surprenante que leur réalisation présente un intérêt certain pour les groupements. Reste qu’une telle absence doit être saluée au regard des valeurs que ces infractions protègent. Une telle solution ne peut que contribuer à la « responsabilisation » des personnes physiques. L’objectif de la circulaire du 13 février 2006 est d’orienter les poursuites vers les infractions dont l’élément matériel résulte de la violation d’une réglementation technique confirmant ainsi un maintien du principe de spécialité. §II. Les conditions de la responsabilité des personnes morales 355. La généralisation de la responsabilité des personnes morales n’a pas emporté les effets escomptés. Parmi « les laissés-pour-compte », le droit de la représentation collective occupe une place de choix. L’on ne saurait tirer de cet oubli des conclusions hâtives car il ne fait aucun doute qu’à l’avenir, un juge pourrait engager la responsabilité de la personne morale au titre du délit l’entrave938, sous certaines conditions (I) et avec des effets non négligeables (II). I. 356. Les conditions de l’imputation Artifice juridique. Le législateur et le juge n’ont pas établi un mécanisme d’imputation directe des infractions à la personne morale. Sa responsabilité est « indirecte939 », par représentation, ce qui implique que les éléments matériels et moraux de l’infraction soient d’abord caractérisés au regard d’une personne physique identifiable et identifiée, agissant en qualité d’organe ou de représentant de la personne morale (A). L’infraction est commise pour le compte de celle-ci (B). A. L’identification nécessaire de l’organe ou du représentant 938 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 939 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 600, p. 572. Les mêmes auteurs emploient aussi les termes de responsabilité « par ricochet » ou « subséquente ». 164 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 357. La personne morale « n’agit jamais directement, mais seulement par l’entremise de personnes physiques940». L’application littérale de l’article 121-2 du Code pénal a conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à censurer les décisions de cours d’appel ayant omis de rechercher si les manquements constatés avaient été commis par un organe ou représentant de la personne morale au sens de ce texte941. Pour être poursuivi, un acte doit avoir été accompli par un organe ou un représentant (1°) identifié (2°). 1°. 358. Un organe ou un représentant Organe. La notion d’organe correspond « au fonctionnement normal du groupement et renvoie à la structure de gestion dont il est doté en vertu de ses statuts ou par la loi942 ». Toute personne physique dotée légalement ou statutairement d’un pouvoir de direction, d’administration ou de représentation peut, par ses actes, engager la responsabilité de la personne morale. Peuvent engager la responsabilité pénale des sociétés de capitaux, non seulement les organes de gestion (président, conseil d’administration, directoire, gérant, etc.) mais aussi les organes de contrôle (conseil de surveillance, assemblées générales d’actionnaires, etc.). 359. Représentant. Sont également visés par l’article 121-2 du Code pénal les représentants de la personne morale. La Cour de cassation a précisé qu’« ont la qualité de représentants, au sens de ce texte, les personnes pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires, ayant reçu une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale ou une subdélégation des pouvoirs d'une personne ainsi déléguée943 ». La qualité de salarié du délégataire ne s’oppose pas à ce qu’il puisse, à 940 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 139. 941 Cass. crim., 18 janv. 2000, n° 99-80318 : Bull. crim., 2000, n° 28, JCP E, 2001, II, p. 278, note F. MARMOZ. 942 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, n° 140. 943 Cass. crim., 26 Juin 2001, n°00-83466 : Bull. crim., n° 161, JCP E 2002, II, 371, note D. OHL. 165 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 certaines conditions, être considéré comme le représentant de la personne morale susceptible comme tel d’engager sa responsabilité pénale944. 360. Si la question a fait l’objet d’âpres débats en doctrine945, la Cour de cassation a retenu une responsabilité de principe du dirigeant de fait. La commission d’une infraction pour le compte de la société par un tel dirigeant engage la responsabilité de la personne morale946. 361. Le salarié. La personne morale n’est pas pénalement responsable des infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions par l’un de ses employés dès lors que celui-ci a agi de sa propre initiative et même si la personne morale a pu bénéficier de l’infraction947. Un préposé peut, néanmoins, engager la responsabilité civile de la personne morale948. 2°. 362. Une identification nécessaire Le juge tendait à faciliter la mise en œuvre de la responsabilité pénale de la personne morale (a). La tendance s’est inversée, annonçant un retour à l’orthodoxie juridique (b). a. Un courant jurisprudentiel « anonymiste » 944 Cass. crim., 1er déc. 1998, n° 97-80560 : Bull. crim. 1998, n° 325, RJS, 1999, n° 216 ; Cass. crim., 14 décembre 1999 : Bull. crim., 1999, n° 306 ; Cass. crim., 26 juin. 2001, n° 00-83466 : Bull. crim. 2001, n° 161; Cass. crim., 23 nov. 2010, n° 09-85115 : Bull. crim., 2010, n° 186; Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 1087212 : Bull. crim., 2011, n° 202 , J.-F. CESARO, JCP S, 2011, 1543. 945 Une partie de la doctrine y était hostile ; la personne morale faisant « plutôt figure de victime que de coupable » (R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 605, p. 759). Une autre partie y était plus favorable. Une telle interprétation risquait « de nuire à l’efficacité de la répression et pourrait inciter certains à organiser par ce biais l’immunité pénale de la personne morale » (A. COEURET, « La responsabilité en droit pénal : continuité et rupture », Rev. sc. crim., 1992, p. 49 ; M. DELMAS-MARTY, « Les conditions de fond de la mise en jeu de la responsabilité », pénale », Rev. Soc., 1992, p. 305). 946 Cass. crim., 17 déc. 2003, n° 00-87872. 947 Circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à son entrée en vigueur. 948 C. civ., art. 1384, al. 5. 166 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 363. Anonymat. Il n’est pas « toujours possible, ni toujours nécessaire, d’identifier un organe ou un représentant pour sanctionner une personne morale949 ». En effet, l’absence d’identification de l’organe ou du représentant auteur de l’infraction n’empêche pas la condamnation pénale de la personne morale. Ce courant jurisprudentiel « anonymiste950 » accroît amplement le processus de « déresponsabilisation » de la personne physique qui voit dans la personne morale une possibilité d’échapper à sa responsabilité pénale. Ce courant vise à la reconnaissance d’une responsabilité directe de la personne morale951. 364. Sur « l’impossibilité » d’identifier l’organe ou le représentant. La responsabilité de la personne morale a pu être « directement » engagée en cas de « faute diffuse », définie comme une faute qui « à raison de l’anonymat du processus décisionnel, ne peut pas directement être imputée à une personne physique ou à un groupe de personnes ayant la qualité d’organe ou de représentant 952». La Cour de cassation et certaines Cours d’appel ont admis une imputation directe à la personne morale pour une faute diffuse notamment en matière d’hygiène ou de sécurité953. 949 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 82-20, fasc. 82-20, n°144. 950 A. COEURET, « Responsabilité pénale de la personne morale pour accident du travail : vers la simplification ? », SSL, 2006, 1281 ; A. COEURET, « La délégation de pouvoirs et les responsabilités pénales dans l’entreprise », RJS, 2012, Chr. p. 3. 951 Or pour reprendre les termes du Conseiller DESPORTES, la personne morale n’est pas « complice de son représentant, pas plus que celui-ci n’est son complice. Le représentant est la personne morale » (F. DESPORTES, rapp. Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484 : Bull. crim., 1997, n° 408, JCP G, 1998, II, 10 023). Les partisans de la reconnaissance d’une responsabilité directe des personnes morales fondent leur espoir sur le droit européen et la pratique de certains Etats membres (Belgique). Le droit européen préconise que « l’entreprise devrait être responsable sans qu’il y ait ou non identification d’une personne physique ayant commis les faits ou omissions constitutifs » (Recommandation (88) 18 sur la responsabilité des entreprises pour infractions). Sur la faute directe voir : J.-Y. MARECHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G, 2009, n° 38, 249 ; J.-C. SAINTPAU, « L’évolution de la responsabilité pénale des personnes morales : d’une responsabilité par représentation à une responsabilité sans représentation, in Essai de philosophie pénale et criminologie, vol. 10, D. 2012 ; J.-C. SAINT-PAU, « Les incidences des évolutions constitutionnelles et européennes sur la responsabilité pénale des personnes morales », RLDA sept. 2011, p. 14 et s. 952 J.-C. SAINT-PAU, « Imputation directe et imputation présumée d’une infraction à une personne morale » D. 2012, n° 21, p. 1381 ; « La responsabilité des personnes morales : réalité et fiction », in Le risque pénal dans l’entreprise, Litec, 2003, p.71 953 Cass. crim., 29 sept. 2009, n° 09-80254 ; Cass. crim., 9 mars 2010, n° 09-80543 ; Cass. crim., 22 févr. 2011, n° 10-87676 ; 167 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 365. Sur la « nécessité » d’identifier l’organe ou le représentant. Aux côtés de la « faute diffuse », la Cour de cassation n’impose plus, pour certaines infractions, qu’on identifie l’organe ou le représentant auteur de celles-ci954. 366. S’agissant en particulier des infractions non intentionnelles d’imprudence ou de négligence, il est concevable de reprocher à la personne morale un manquement sans que soit précisément identifié son auteur lorsque le devoir de veiller au respect de la règlementation reposait nécessairement sur un organe ou un représentant de cette personne morale955 . Certains arrêts vont jusqu’à occulter l’intervention du représentant lors de la condamnation de la personne morale. L’action d’un organe ou d’un représentant « se trouvait (…) irrémédiablement présumée956 ». Au sens de l’article L. 4741-1 du Code du travail, le débiteur de l’obligation de sécurité dans l’entreprise ne peut être que l’employeur ou son délégataire957. Par conséquent, l’inobservation d’une telle règle ne peut être que le fait d’un organe (l’employeur) ou d’un représentant (le délégataire), entraînant la responsabilité de la personne morale. Cette présomption, qualifiée de raccourci probatoire958 ou de preuve par implication959, a pour effet de privilégier les poursuites contre la personne morale. Elle s’inscrit dans la logique purement économique retenue à l’occasion de la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales. Elle n’en est pas moins critiquable car elle porte atteinte au principe 954 Ce courant jurisprudentiel ne fait pas l’unanimité auprès des juges. La Cour de cassation a pu ainsi exiger que soit identifiée la personne physique organe ou représentant avant toute condamnation de l’être moral (Cass. crim., 23 mai 2006, n° 05-84846 ; Rapp. Cass. crim., 16 févr. 2010, n° 09-83.991 : Dr. pén., 2010, comm. 74, M. VERON). 955 La Cour de cassation a décidé que « la personne morale ne saurait se faire grief de ce que les juges du fond l’ont déclarée coupable du délit d’homicide involontaire sans préciser l’identité de l’auteur des manquements constitutifs du délit dès lors que cette infraction n’a pu être commise que pour le compte de la société que par ses organes ou représentants» (Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-85255 : Bull. crim., 2006, n° 188, Rev. sc. crim., 2006, 825, obs. Y. MAYAUD, SSL 2006, obs. A COEURET). La solution a été réaffirmée par la suite (Cass. crim., 26 juin 2007, n° 06-84821 : Dr. pén., 2007, n° 135 ; Cass. crim., 15 janv. 2008, n° 07-80800 : Bull. crim. 2008, n° 6, Dr. pén., 2008, n° 71 ; Cass. crim., 15 févr. 2011, n° 10-85324 : Dr. pén., 2011, comm. 62, note M. VERON. – Voir encore, Cass. crim., 22 févr. 2011, n° 1087676 : Bull. crim., 2011, n°33 ; JurisData n° 2011-002133 ; Gaz. Pal. 30-31 mars 2011, p. 8, note J.C. SAINT-PAU). 956 Cass. crim., 16 mars 2010, n° 09-82.041 : Dr. pén., 2010, comm. 74. ; Rappr. Cass. crim., 15 janv. 2008, n° 07-80.800 : Bull. crim. 2008, n° 6; Dr. pén., 2008, comm. 71, note M. VERON 957 J.-F. CESARO, note sous Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212 : JCP S, 2011, 1543. 958 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 360, p. 220 ; J.-C. SAINT-PAU, « Imputation directe et imputation présumée d’une infraction à une personne morale », D. 2012, 1381. 959 Y. MAYAUD, obs. sous Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-85255 : Bull. crim., 2006, n° 188 ; Rev. sc. crim., 2006, 825. 168 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’interprétation stricte de la loi pénale, à l'exigence de précision suffisante de la loi pénale qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789960 ainsi qu’à la valeur rétributive du droit pénal. 367. Une telle solution ne saurait s’appliquer en principe aux infractions intentionnelles. Pourtant l’absence d’identification de l’organe ou du représentant n’a pas empêché la condamnation de la personne morale si les agissements en cause ont nécessairement été accomplis par un représentant ou par un organe 961. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a étendu cette solution à des infractions intentionnelles de droit commun962. Un arrêt rendu le 25 juin 2008 fait état d’un montage conduisant à l’établissement généralisé de fausses factures s’inscrivant dans le cadre de la politique commerciale de sociétés en sorte que ces faux ne pouvaient avoir été « commis pour le compte de celles-ci que par leur organe ou représentant963». Les infractions intentionnelles de droit commun ne sont pas imputées à des personnes déterminées. Un critère permettant de relier l’infraction aux organes et représentants de la personne morale poursuivie devait être trouvé. L’arrêt du 25 juin 2008 utilise celui de la politique commerciale. Ce critère peut être étendu aux autres politiques économique, sociale, environnementale, etc. Si le critère de la « politique d’entreprise » est intéressant et se révéler utile à l’avenir, une telle notion reste floue et risque d’accentuer le caractère systématique et direct de la responsabilité des personnes morales964. b. Retour à l’orthodoxie juridique 960 Cette solution a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité laquelle n’a pas été transmise au Conseil Constitutionnel (Cass. QPC, 11 juin 2010, n° 09-87884, Dr. pén., 2010, comm. 111, note M. VERON). 961 Cass. crim., 21 mars 2000, n° 98-84714 : Bull. crim., 2000, n° 128 : « Attendu qu'en déclarant les faits constitués à l'égard de la société Z..., la cour d'appel n'a pas méconnu l'article 121-2 du Code pénal, dès lors que la lettre d'avertissement avait nécessairement été produite par le représentant de cette société devant le conseil de prud'hommes et qu'une telle production, effectuée en connaissance de cause, caractérisait l'infraction en tous ses éléments en la personne de ce représentant ». Cet arrêt, antérieur aux premières décisions en matière d’infractions non intentionnelles, annonce un courant nouveau. 962 En droit pénal du travail, la solution a été consacrée de manière erratique en matière de discrimination syndicale (Cass. crim., 23 nov. 2004, n° 09-85152) et de manière significative en cas d’offre d’emploi discriminatoire (C. pén., art. 225-2, 5ème ; Cass. crim., 23 juin 2009, n° 07-85109 : Bull. crim., 2009, n° 126). Adde, A. COEURET, « La délégation de pouvoirs et les responsabilités pénales dans l’entreprise », RJS, 2012, chr., p.3 ; F. DUQUESNE, « L’imputation du délit de discrimination à la personne morale. A propos de l’indépendance des culpabilités », Dr. social, 2009, p. 1171. 963 Cass. crim., 25 juin 2008, n° 07-80261 : Bull. crim., 2008, n° 167. 964 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 360, p. 220. 169 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 368. Fermeté. Le courant jurisprudentiel précédent est remis en cause par deux décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 11 octobre 2011 et du 11 avril 2012. La Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir établi que les manquements résultaient de l’abstention d’un des organes ou représentants de la société et qu’ils avaient été commis pour le compte de celle-ci. N’est pas caractérisée l’infraction permettant d’engager la responsabilité pénale de la personne morale. 369. La première de ces deux décisions faisait état d’une délégation de pouvoirs. La Cour de cassation considère que le juge du fond s’est prononcé sans s'expliquer sur l'existence effective d'une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale au sens de l'article 121-2 du Code pénal965. La Cour de cassation revenait « vers l’exigence d’une identification de la personne physique qui est l’auteur de l’infraction pour s’assurer qu’elle puisse effectivement être considérée comme un organe ou un représentant de la personne morale966 ». La décision rendue était annonciatrice de jours meilleurs. 370. Dans la seconde décision, plus explicite, la Cour de cassation se prononce exclusivement sur les conditions d’engagement de la responsabilité pénale. La Cour fait preuve d’une grande fermeté967 en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les manquements relevés à la charge d’une société résultaient de l’abstention de l’un de ses organes ou représentants et avaient été commis pour son compte968. Selon le Professeur SAINT-PAU, la Cour de cassation « oppose un refus explicite d’une imputation directe d’une infraction à une personne morale 969 ». Faisant preuve d’orthodoxie970, la Cour retient une analyse littérale de l’article 121-2 du Code 965 Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212. J.-F. CESARO, note sous Cass. crim ., 11 oct. 2011, n° 10-87212 : JCP S, 2011, n° 1543. 967 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516. 968 Cass. crim., 11 avr. 2012, n° 10-86974 : Bull. crim., 2012, n° 94; J.-C. SAINT-PAU, « L’imputation directe et imputation présumée d’une infraction à une personne morale », D. 2012, n° 21, p. 1381 ; A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516 ; S. BRISSY, JCP S, 2012, 1269. 969 J.-C. SAINT-PAU, note sous Cass. crim., 11 avr. 2012, D. 2012, n° 21, p. 1381. 970 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 966 170 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pénal. Il appartient désormais au juge d’en apprécier strictement les conditions posées. Le juge doit vérifier que les infractions commises dans l’entreprise sont caractérisées dans le chef de personnes physiques identifiées agissant en qualité d’organe ou de représentant. 371. Personnalisation. Selon le Professeur ROBERT, ce revirement pourrait s’expliquer par des considérations « de politique criminelle971 ». Les statistiques ministérielles démontrent le succès grandissant que rencontre la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales. Le nombre de poursuites est passé entre 2004 et 2008, de 2455 à 3858. Le nombre de condamnations prononcées a bondi de 794 à 1868. Or, un « passé pénal » peut compromettre des « affaires futures972 », notamment dans les pays anglo-saxons dans lesquels les juristes portent une attention particulière aux condamnations intervenues. Ce revirement est annonciateur d’une phase de « responsabilisation » de la personne physique973, mettant en lumière le comportement de l’organe ou du représentant et conduisant à faire ressortir les devoirs incombant aux personnes physiques974. Désormais, la nature de l’infraction ne permet plus de présumer qu’elle a été commise par une personne ayant la qualité d’organe ou de représentant de la personne morale. A l’avenir, il faudra identifier avec précision les personnes physiques ayant commis les manquements aux règles de sécurité et justifier de leur qualité d’organe ou de représentant de la personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal. Rendue en matière d’imprudence, la portée de cette décision ne saurait être limitée aux infractions non-intentionnelles. 971 J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP G, 2011, n° 1385. 972 J.-H. ROBERT, « Resserrement des conditions de la responsabilité pénale des personnes morales », JCP, G, 2011, n° 1385. 973 Pour les Professeur COEURET et DUQUESNE, cette personnalisation de l’auteur de l’infraction contribuera à « un infléchissement de la logique qui, jusqu’alors, privilégiait la responsabilité du groupement ». A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516. 974 L’arrêt intervenu « sonne comme une condamnation catégorique du système simplificateur antérieurement mis au point par la chambre criminelle (…) [et tend] aussi vouloir refonder les bases de la responsabilité pénale des personnes morales et revenir à la conception initiale retenue par le législateur de 1992 » (A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516). 171 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 372. Appliqués aux infractions non intentionnelles, les arrêts précédents n’excluent en rien l’imputation présumée de l’infraction à un organe ou un représentant975 mais imposent l’identification préalable de l’organe ou du représentant976. La Chambre criminelle exige « une recherche approfondie des conditions de mise en œuvre des prérogatives de gestion977 » à l’image de ce qui existe lorsqu’à l’occasion d’un accident plusieurs sociétés sont présentes sur le site. La Cour de cassation commande qu’une description précise des conditions d’organisation du pouvoir ainsi que de la désignation des titulaires de prérogatives éventuellement déléguées soient opérées978. L’identification est d’autant plus nécessaire que l’infraction peut être le fait exclusif d’un salarié victime ou d’un tiers, excluant par la même que soit engagée la responsabilité de la personne morale. L’identification doit, en outre, permettre d’établir la qualité de délégataire du salarié. En effet, un juge pourrait considérer que tel salarié n’a pas de véritable délégation de pouvoirs permettant de l’assimiler au représentant de la personne morale et d’engager sa responsabilité979. 373. En matière d’infraction intentionnelle, l’identification de l’organe ou du représentant est d’autant plus nécessaire980 que les éléments constitutifs de l’infraction sont révélés en la personne de l’organe ou de représentant981. Il n’y a pas d’emprunt de criminalité982 mais « confusion de criminalité 983». Le représentant « est la personne 975 En ce sens : J.-C. SAINT-PAU, note sous Cass. crim., 11 avr. 2012, D., 2012, n° 21, p. 1381 Pour une application récente : Cass. crim., 22 janv. 2013, n°12-80022 : Bull. civ., 2013, n°(en cours), Dr. pén., 2013, comm. M. VERON ; JCP S, 2013, 1369, Chron., A. COEURET. 977 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516 ; A. COEURET, « La délégation de pouvoirs et les responsabilités pénales dans l’entreprise », RJS, 2012, Chr. p. 3. F. DUQUESNE, note sous Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212 : Dr. social 2012, p. 93. 978 Cass. crim., 23 mai 2006, n° 05-84846 ; Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-87147, Dr. social, 2006, p. 1060, obs. F. DUQUESNE. 979 J.-F. CESARO, note sous Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212, JCP S, 2011, 1543. 980 Pour F. DESPORTES, « sauf à commettre le péché (véniel !) d’anthropomorphisme, [il ne voit] pas comment rapporter une telle preuve sans identifier la personne physique qui a commis l’infraction pour le compte de la personne morale car c’est sur la tête de cette personne physique que doit s’apprécier l’existence des éléments constitutifs du délit » (F. DESPORTES, rapp. Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 9685484: Bull. crim., 1997, n° 408, JCP G, 1998, II, 10023). Le professeur SAINT-PAU abonde en ce sens : « la qualité de l’acteur – organe ou représentant – doit être établie avec certitude » (J.-Ch. SAINTPAU, La responsabilité des personnes morales : réalité et fictions, in Le risque pénal dans l’entreprise, Litec, 2003, n° 146, p. 93). 981 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 982 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, spéc. n° 330 et n° 332, p. 286 ; A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516 ; F. DESPORTES, rapp. Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484, Bull. crim., 1997, 976 172 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 morale984 ». L’existence d’une infraction intentionnelle suppose de rapporter la preuve d’une intention. Le critère choisi par les juges repose sur la notion de « politique d’entreprise », laquelle se décline en politique sociale, environnementale, économique, sociétale ou sécuritaire. Ce critère permet de rapporter la preuve d’une intention criminelle. Il est un « révélateur de l’intention 985» et traduit la volonté de la personne morale. Il permet de caractériser en partie l’élément moral. Il ne s’agit pas ici de s’inscrire dans le mouvement qui a tendu à faire reposer la responsabilité des personnes morales sur la preuve d’une faute distincte986. Les éléments constitutifs de l’infraction s’apprécient sur la tête de l’organe ou de son représentant. La majeure partie de la doctrine s’accorde à reconnaître que la volonté de la personne morale ne s’apprécie qu’au travers de la personne physique, de même que l’élément matériel est le fait du dirigeant987. Autrement dit, « la responsabilité de la personne morale requiert la démonstration d’une volonté propre révélée en la personne de ses organes ou représentants sans emprunt direct de criminalité à la personne physique988 ». 374. Néanmoins, ce critère n’est pas suffisant eu égard aux nouvelles exigences posées par la Chambre criminelle. Avec l’arrêt du 11 avril 2012, la Cour de cassation entend faire application de sa jurisprudence antérieure initiée par une décision de la Chambre criminelle en date du 2 décembre 1997 aux termes de laquelle il appartenait au juge de rechercher si le représentant ou l’organe de la personne morale avait commis personnellement les faits constitutifs de l’infraction et si l’élément intentionnel était n° 408, JCP G, 1998, II, 10 023 ; F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 600, p. 572. Pour certains auteurs, en cas d’infractions intentionnelles, la responsabilité des personnes morales ne peut s’expliquer que par un emprunt de criminalité fait à la personne physique par la personne morale (Voir notamment : J.-C. SOYER, Droit pénal et procédure pénale, LGDJ, 21ème éd., 2012, n° 295 et s.). 983 F. DESPORTES, rapp. Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484 : Bull. crim., 1997, n° 408; JCP G, 1998, II, 10023. 984 F. DESPORTES, rapp. Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484: Bull. crim., 1997, n° 408; JCP G, 1998, II, 10023. 985 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516. 986 Sur la thèse de la faute distincte : C. LOMBOIS, Droit pénal général, Hachette, 1994, p. 74 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, 5ème éd. 2001, p. 376-377. 987 B. BOULOC, Droit Pénal général, 22ème éd., 2011, n° 330, p. 287 ; F. DESPORTES, rapp. sous Cass. crim., 2 déc. 1997 : JCP G 1998, II, 10023. 988 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, chron., p. 516. 173 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 caractérisé989. La personne morale ne peut être responsable que si la personne physique ayant agi pour son compte avait la conscience et la volonté d’accomplir un délit. Le juge doit rechercher l’existence de la volonté du résultat et caractériser ainsi un dol spécial. Le juge doit tenir compte d’éléments factuels, concrets et subjectifs mais aussi du mobile pour caractériser l’intention. Parmi ces éléments, la notion de « politique d’entreprise » constitue l’un des révélateurs de l’intention criminelle. Le juge doit enfin s’assurer de l’existence d’un lien certain entre l’intention et l’intérêt du groupement. B. L’identification nécessaire d’une « faute profitable » 375. Selon le Professeur SAINT-PAU, agir pour le compte d’une personne en la remplaçant s’entend « nécessairement d’une activité conforme à son intérêt990 ». La notion de faute profitable induit nécessairement la prise en compte d’un risque. Le groupement doit assumer les risques de son activité. L’idée d’une faute lucrative est présente (1°). Plus largement, la notion de faute commise pour le compte de la personne est « multiforme et varie selon le type d’infraction considérée car l’activité sociétaire ou associative est elle-même multiforme ». Faire émerger vers un critère subjectif complémentaire est nécessaire991 (2°). 1°. 376. La notion de faute « profitable » : le critère objectif La circulaire générale du 14 mai 1993 précise que la personne morale n’est pas responsable des infractions commises par un dirigeant dans l’exercice ou à l’occasion 989 Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484 : Bull. crim., 1997, n° 408 ; JCP G, 1998, II, 10 023, rapp. F. DESPORTES ; Bull. Joly, 1998, p. 512, note J.-F. BARBIERI ; Rev. Soc. 1998, p. 148, note B. BOULOC ; D. 1999, somm. 152, obs.G. ROUJOU de BOUBEE ; Cass. crim., 21 mars 2000 : Bull. n° 128 ; Cass. crim., 30 mai 2000 : Bull. crim., 2000, n° 206 ; Cass. crim., 11 mars 2003 : Bull. crim., 2003, n° 65. 990 J.-C. SAINT-PAU, La responsabilité des personnes morales : réalité et fictions, in Le risque pénal dans l’entreprise, Litec, 2003, n° 146, p. 93. 991 D’autres voies, parmi lesquelles la transposition de la théorie de la « faute séparable des fonctions » applicables en droit civil et en droit administratif (E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1126, p. 681 ; J.-C. SAINT-PAU, « La responsabilité pénale d’une personne physique agissant en qualité d’organe ou représentant d’une personne morale », in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, p. 1011) ou la reconnaissance d’une responsabilité pénale directe des personnes morales (J.-Y. MARECHAL, « Plaidoyer pour une responsabilité pénale directe des personnes morales », JCP G, 2009, 249) doivent être écartées. Ces deux voies renforcent le sentiment de « déresponsabilisation » de la personne physique. En outre, la théorie de « la faute séparable des fonctions » exclut d’engager la responsabilité de la personne physique en cas de faute distincte commise dans le cadre des fonctions. 174 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de l’exercice de ses fonctions, « si ce dirigeant agit pour son propre compte et dans son seul intérêt personnel, parfois même au préjudice de la personne morale992 ». Cette formule laconique retenue par le Code pénal « paraît plus explicite par ce qu’elle exclut que par ce qu’elle inclut993 ». Pour la majeure partie de la doctrine, agir pour le compte de la personne morale signifie agir au nom et dans l’intérêt de celle-ci994. La faute « profitable » doit être analysée comme un intérêt économique. La consommation de l’infraction doit permettre à la personne morale de réaliser un profit995 ou du moins une économie. Cette approche objective convient aux infractions non intentionnelles. Les différentes négligences relevées en matière de santé ou de sécurité doivent permettre d’identifier la réalisation d’un profit ou d’une économie. La responsabilité de la personne morale est désormais nécessairement engagée en cas d’infraction non intentionnelle. Cette solution, aussi contestable soit-elle, se justifie par la volonté du législateur de limiter la responsabilité personnelle des dirigeants. Reste que ce critère ne s’accorde pas aux infractions intentionnelles et ce, à plusieurs titres. En premier lieu, il n’est pas toujours aisé de rapporter la preuve d’un avantage économique qui aurait pu bénéficier à la personne morale. En second lieu, les infractions intentionnelles sont imputables aux personnes morales « sur le seul constat de la faute commise par la personne physique996 ». Adopter une telle solution a pour effet de retenir systématiquement la responsabilité de l’être moral et de « déresponsabiliser » l’être physique face au risque pénal. Une interprétation complémentaire doit être proposée. 2°. 377. L’évolution de la notion : vers un critère subjectif Pour quelle raison la personne morale devrait-elle répondre systématiquement des manquements au droit de la représentation collective d’un responsable des relations 992 Circ. 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à son entrée en vigueur. 993 M. DELMAS-MARTY, « Les conditions de fond de la mise en jeu de la responsabilité pénale », Rev. Soc. 1992, p. 302. 994 Rapp. D. MARCHAND, Doc., AN, Séance, 2 oct. 1989, n° 86; F. DESPORTES, art. 121-2, Code pénal, J-Cl. Pénal, 2001, n° 17 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 372, p. 227. 995 J. POUYANNE, « L’auteur moral de l’infraction », Th., PUAM, 2003, n° 475 et s. 996 A. COEURET, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail », RJS, 2006, Chr., p. 843 ; Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484 : Bull. crim., 1997, n° 404, JCP G, 2008, II, n° 10 023, rapp. DESPORTES ; RJS, 1998, n° 558. 175 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 sociales ou d’un DRH ? Ne conviendrait-il pas de vérifier qu’au comportement ponctuel du décideur ou à l’inimitié existant entre les protagonistes, correspond une pratique d’entrave de plus grande ampleur révélée par la politique affichée du groupement auquel il appartient ?997 Alors qu’il y était pourtant invité par une partie de la doctrine pénaliste998, le législateur n’a pas saisi l’occasion que représentait la généralisation de la responsabilité de la personne morale pour revenir sur le sens de cette seconde condition « en y voyant plus clairement que par le passé, l’exigence de ce que l’acte illicite du décideur a réellement profité à la personne morale ou à tout le moins qu’il est en cohérence avec son fonctionnement habituel999 ». 378. Critère politique. La faute doit profiter à la personne morale. Parmi les premières décisions rendues en matière de responsabilité pénale des personnes morales, un jugement du tribunal correctionnel de Versailles a fait l’objet de nombreux commentaires en ce qu’il illustre parfaitement le nouveau critère. Un chantier avait fait l’objet d’un marché entre la société A et la société B, laquelle avait conclu un certain nombre de contrats de sous-traitance. A l’occasion d’un chantier, l’inspection du travail a procédé à une opération de contrôle. Elle a considéré que la sous-traitance était constitutive du délit de marchandage dans la mesure où il s’agissait en réalité d’une opération à but lucratif ayant eu pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre et pour effet de causer un préjudice aux salariés des entreprises sous-traitantes. Il ressort de la lecture des procès-verbaux de l’inspection du travail que « la situation ayant prévalu (…) n’est pas une situation isolée mais correspond à une politique délibérée de l’entreprise1000 ». Le recours à la sous-traitance a en effet été relevé sur d’autres chantiers. Cette stratégie avait été adoptée « dans le but d’éviter de perdre des marchés et de tenir des délais1001 ». Le délit de marchandage reproché à la société relevait « d’une pratique bien enracinée, presque « d’une culture d’entreprise 1002 ». En conséquence, le critère « politique » joue un double rôle : traduire la volonté de la 997 A. COEURET, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail », RJS, 2006, Chr., p. 843. 998 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 335, p. 291. 999 A. COEURET, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail », RJS, 2006, Chr., p. 843. 1000 T. Corr. Versailles, 18 déc. 1995, SA Tamerelle et a. :JCP 1996, II, 22640, note J.-H. ROBERT. 1001 T. Corr. Versailles, 18 déc. 1995, SA Tamerelle et a. : JCP 1996, II, 22640, note J.-H. ROBERT. 1002 J.-H. ROBERT, JCP 1996, II, 22640, note sous T. Corr. Versailles, 18 déc. 1995, SA TAMERELLE et a. 176 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 personne morale en permettant de caractériser l’élément moral de l’infraction et identifier le « bénéfice1003 » qu’elle a pu retirer de l’opération. Le juge doit s’assurer que la décision « n’est pas en contradiction avec la volonté collective de la personne morale1004 ». Seuls les actes qui s’inscriront dans cette « politique » ou cette stratégie d’entreprise pourront être reprochés à la personne morale. Les actes isolés ne sauraient l’être. Le critère politique apparaît alors comme la clé permettant de résoudre la question du cumul des responsabilités pour ce qui est des infractions intentionnelles. II. 379. Les effets de alternative ? l’imputation : vers une responsabilité Ambigüité. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits. Le législateur autorise le cumul des responsabilités afin d’éviter que la responsabilité des personnes morales ne devienne « un écran utilisé pour masquer les responsabilités personnelles1005 ». Ces termes traduisent la crainte du législateur « d’une fuite en avant » alors même qu’il entend limiter le champ de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux1006. Le législateur est pris entre la volonté d’imposer aux dirigeants un comportement exemplaire et celle de limiter leur responsabilité1007. La solution ne se trouve pas dans le maintien d’une responsabilité cumulative mais dans l’adoption d’une responsabilité alternative. Une telle conception de la responsabilité des personnes morales est retenue pour les infractions non intentionnelles par la loi du 10 juillet 2000 (A). Pour les infractions intentionnelles, la redéfinition du critère du « profit » doit permettre d’adopter une telle conception de la responsabilité (B). A. Les infractions non intentionnelles 1003 Le bénéfice doit être ici compris comme un « avantage » et non comme un « profit » lequel sous entend un intérêt économique. 1004 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, chron. p. 516. 1005 Avant Projet définitif du Code pénal : Doc. Fr. 1978, p.42. 1006 Circ. 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à son entrée en vigueur. 1007 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 151. 177 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 380. L’article 121-2 du Code pénal, tel qu’issu de la loi du 10 juillet 20001008, est à l’origine de la conception alternative de la mise en cause de la responsabilité de la personne morale et de la personne physique1009. Ce texte impose par principe le cumul des responsabilités : « la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». Cette règle s’applique « sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du Code pénal ». Ainsi, seules les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. En l’absence d’une telle faute, seule la responsabilité de la personne morale pourra être engagée1010. La relaxe prononcée « au bénéfice des personnes physiques pour absence de faute caractérisée n’interdit pas de rechercher la responsabilité de la personne morale1011 ». Par exception, une condamnation cumulative de la personne physique et de la personne morale est concevable1012. Le juge peut aussi ne retenir que la responsabilité de la première et relaxer la seconde1013. La circulaire du 13 février 2006 « systématise cette solution1014 » et confirme cette interprétation. Les poursuites contre la seule personne morale doivent être privilégiées en cas d’infraction non intentionnelle mais également en cas d’infraction de nature technique pour laquelle l’intention coupable peut résulter, conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, de la seule inobservation, en connaissance de cause, d’une réglementation particulière. La mise en cause de la personne physique n’interviendra 1008 Loi n° 2000-647 du 10 juill. 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels P. MORVAN, « Responsabilité pénale et droit social, avant et après la loi du 10 juillet 2000 », RJS, 2001, p. 283. 1010 Cass. crim., 24 oct. 2000, n° 00-80378 : Bull. crim., 2000, n° 308; RJS, 2001, n° 391. 1011 J.-F. CESARO, Droit Pénal : Responsabilités, J-Cl., Travail Traité, à jour au 28 juin 2005, Fasc. 8220, n° 152. 1012 Cass. crim., 7 juill. 1998, n° 97-81273 : Bull. crim., 2000, n° 308. 1013 Cass. crim., 26 oct. 2004, n° 03-86970 : Bull. crim., 2004, n° 254. 1014 A. COEURET, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail », RJS, 2006, Chr., p. 843. 1009 178 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 qu’en cas de faute personnelle suffisamment établie et justifiant une condamnation pénale1015. B. Les infractions intentionnelles 381. D’une responsabilité cumulative… En cas d’infraction intentionnelle, une condamnation cumulative est systématique. Personnes physiques et personnes morales sont réputées coauteurs ou complices de l’infraction. La circulaire du 13 février 2006 confirme cette position invitant les procureurs, en cas d’infraction intentionnelle, à engager les poursuites à la fois contre la personne physique, auteur ou complice des faits, et contre la personne morale dès lors que les faits ont été commis pour son compte par un de ses organes ou représentants1016. On ne peut ainsi aboutir qu’à un cumul systématique des responsabilités à moins d’être « doté d’un outil suffisamment efficace pour discerner le degré de convergence entre le mobile du décideur et l’intérêt qu’en retire la personne morale1017 ». Retenir systématiquement une responsabilité cumulative demeure contraire au principe selon lequel « nul n’est responsable que de son propre fait 1018». Il contrevient en outre à la volonté de « justice » véhiculée par les auteurs du nouveau Code pénal1019. La redéfinition de la notion de « pour le compte » telle qu’exprimée précédemment permet de résoudre la question du cumul des responsabilités. 382. …à une responsabilité alternative. La notion de « pour le compte » analysée en un critère subjectif doit permettre d’engager alternativement la responsabilité de la personne morale ou de la personne physique. En matière d’entrave, deux catégories d’infractions doivent être définies1020 : les premières permettent d’engager la 1015 Circulaire du 13 février 2006 - CRIM 2006 03 E8 - Relative à l'entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales, BOMJ nº 101, 1er janvier au 31 mars 2006. 1016 Circulaire du 13 février 2006 - CRIM 2006 03 E8 - Relative à l'entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales, BOMJ nº 101, 1er janvier au 31 mars 2006. 1017 A. COEURET, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail », RJS, 2006, Chr., p. 843. 1018 C. pén., art. 121-1. 1019 B. BOULOC, Droit Pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 335, p. 291. 1020 Sur cette distinction voir : A. COEURET, « Le délit d’entrave aux droits collectifs des salariés dans l’entreprise et dans le groupe. Retour sur une incrimination redoutée », RJS, 2011, p. 515. 179 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 responsabilité de la personne morale ; les secondes permettent d’engager celle de la personne physique. Seules celles qui s’inscrivent dans cette « politique » ou cette stratégie d’entreprise peuvent être reprochées à la personne morale. La responsabilité de cette dernière pourrait être ainsi mise en cause en cas de manquements répétés en matière d’information et de consultation traduisant le peu d’intérêt que porte la direction au rôle des représentants du personnel. Ces entraves apparaissent comme « le prototype de ce qui est imputable à la personne morale parce qu’elles sont à l’évidence liées à une volonté de défense de ses intérêts1021 ». Sont ici visées les entraves commises à l’occasion d’opérations patrimoniales importantes (fusion, acquisition, scission) qui déclenchent des droits à information et à consultation préalables au profit du comité d’entreprise1022 ou celles correspondant à une transformation importante de l’organisation productive de l’entreprise1023. A l’opposé, les actes isolés ne sauraient être reprochés aux personnes morales. Sont notamment visés les délits d’entrave résultant d’une inimitié entre la direction et les représentants du personnel. La personne morale ne doit pas assumer « les conséquences répressives des comportements individuels hostiles aux institutions représentatives des salariés1024 ». Il est permis d’ajouter les entraves résultant d’un manquement à une obligation d’information et de consultation « ponctuelle » ou isolée, à moins que ne soit relevée une stratégie ou un fonctionnement irrespectueux du droit de la représentation collective1025. 383. Cet argumentaire peut s’appuyer sur deux décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Par la première, la Cour a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité selon laquelle l’article 1212 du Code pénal était contraire au principe de légalité des délits et des peines : ce texte ne comporte aucune dérogation injustifiée au principe d’égalité devant la loi et ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence1026. En considérant que cette question ne présentait pas un caractère sérieux, la Cour de cassation ne s’est-elle pas prononcée sur 1021 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 1022 C. trav., art., L. 2323-19 et s. 1023 C. trav., art., L. 2323-6. 1024 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 1025 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 1026 Cass. crim., 29 mars 2011, n° 11-90007 : Bull. crim., 2011, n° 65 ; RJS, 2011, n° 652. 180 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 la manière dont les personnes morales seront poursuivies et condamnées ? Ce refus traduit un strict respect, au profit des personnes morales, du principe de personnalité des peines1027. Par la seconde décision, la Cour « invite » les juges du fond à expliquer en quoi l’infraction reprochée à l’être moral a été accomplie pour son compte1028, « ce qui pourrait ne pas être le cas si le dessein de l’auteur direct de l’entrave paraît trop éloigné de la recherche d’un profit ou d’une économie par le groupement1029 ». 384. Cet argumentaire rejoint la doctrine1030 qui se prononce en faveur de l’instauration d’une responsabilité pénale alternative conforme aux principes directeurs du droit pénal. Ainsi, pour le professeur BOULOC, les juges, à l’image de la solution en vigueur en matière d’entente ou d’abus de position dominante1031, doivent retenir « la responsabilité de la personne physique qu’en cas d’action volontaire et pour son propre compte et à la condition que la personne physique ait pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de l’infraction1032 ». La crainte d’une « déresponsabilisation » resurgit. Cette dernière demeure limitée en raison de l’évolution jurisprudentielle qui place à nouveau la personne physique au cœur du dispositif de la responsabilité des personnes morales et fait peser sur les dirigeants et les représentants de celle-ci l’obligation d’agir avec diligence. Le déclenchement des poursuites à l’égard de la personne morale et 1027 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 1028 Cass. crim., 11 avr. 2012, n° 10-86974 : Bull. crim., 2012, n° 94; J.-Ch. SAINT-PAU, « L’imputation directe et imputation présumée d’une infraction à une personne morale », D. 2012, 1381 ; A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, chron. p. 516 ; S. BRISSY, JCP S, 2012, 1269 ; Adde, A. COEURET , Le responsable en droit pénal du travail, JCP S, 2013, 1223. 1029 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516. 1030 Voir : A. COEURET, « Le délit d’entrave aux droits collectifs des salariés dans l’entreprise et dans le groupe. Retour sur une incrimination redoutée », RJS, 2011, p. 515 ; A. COEURET, F. DUQUESNE, « Responsabilité pénale des personnes morales : un tournant décisif ? », RJS, 2012, Chr. p. 516 ; A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 377 et s., p. 230. Dans ce dernier ouvrage les auteurs appliquent un raisonnement identique aux infractions liées à la discrimination et au prêt de main d’œuvre illicite ou délit de marchandage. Voir aussi : H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. Soc., Févr. 2004, p. 283 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2012, 2ème éd., n° 1124 et. s., p. 681. 1031 Ord. 1er déc. 1986, art 17 ; C. Com., art. L. 420-6. 1032 B. BOULOC, Droit Pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 335, p. 291. 181 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’éventuelle sanction qui en découle1033 jouent alors pleinement leur rôle dissuasif à l’égard des personnes physiques. 385. En définitive, l’être physique serait considéré tantôt comme l’auteur de l’infraction tantôt comme « un rouage consentant mais pris dans une stratégie économique qui la dépasse1034 » conduisant à l’engagement de la seule responsabilité pénale de la personne morale. Ainsi, en contradiction avec la solution préconisée par la circulaire du 13 février 2006, le déclenchement des poursuites ne serait plus par principe cumulatif mais alternatif. En l’absence de comportement de l’être physique révélant une volonté personnelle d’entrave, seule la responsabilité de la personne morale doit être engagée ; une telle solution est conforme à l’article 121-2 du Code pénal : s’il énonce que la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personne physiques, il n’impose aucunement « leur condamnation conjointe1035 ». 386. Exception. Si l’identification de l’organe ou du représentant doit être systématiquement recherchée par le juge, il n’en demeure pas moins que cette solution de principe souffrira toujours d’exceptions, y compris en cas de délit intentionnel, dans les cas, envisagés par la circulaire d’application1036, où l’identification de la personne physique est impossible parce que l’infraction est commise par un organe collégial. Ces infractions constitutives d’une faute diffuse doivent être strictement délimitées « si l’on veut éviter que la mise en cause de cette responsabilité ne devienne une solution de facilité pour les agents de la poursuite qui ne parviendraient pas à confondre la personne physique, auteur du délit1037 ». La responsabilité de la personne morale ne doit être retenue qu’après une tentative préalable d’identification de la personne physique. 387. Conclusion - Une responsabilité partagée. Favoriser le partage des responsabilités dans l’entreprise, tel est le sens des solutions apportées. L’effectivité du droit de la représentation collective suppose une responsabilité partagée entre 1033 La sanction infligée à la personne morale suffirait pour rétablir l’ordre public à condition que soit menée une réflexion de fond sur les peines encourues. Une amende ne saurait suffire. 1034 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 377 et s., p. 230. 1035 A. COEURET, F. DUQUESNE, « Imputation du délit d’entrave de la personne physique à la personne morale », SSL, 2012, n° 1547, p. 11. 1036 Circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau Code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à son entrée en vigueur. 1037 F. DESPORTES, rapp. Cass. crim., 2 déc. 1997, n° 96-85484 : Bull. crim., 1997, n° 408, JCP G, 1998, II, 10023. 182 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’employeur et les instances élues ou désignées de représentation du personnel. Leurs membres sont parmi les garants du bon fonctionnement de ces instances. S’ils les paralysent, ils se privent de l’exercice de leurs prérogatives et doivent en supporter les conséquences pénales ou civiles. Quant au chef d’entreprise, premier responsable dans l’entreprise, il peut tenter de s’exonérer de sa responsabilité au moyen d’une délégation de pouvoirs dont l’efficacité est néanmoins restreinte aux seuls aspects fonctionnels de la représentation du personnel, même si la porte n’est pas fermée à de plus vastes exonérations. Favoriser le partage des responsabilités, tel est le sens de la jurisprudence visant à restreindre la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales. Mais si le chef d’entreprise ne doit pas faire peser le risque pénal sur la seule personne morale, il ne doit pas en revanche supporter seul le poids d’infractions commises dans le cadre d’une stratégie économique qui le dépasse. Une responsabilité alternative s’impose. 183 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Conclusion - Titre I 388. Afin de définir l’étendue des responsabilités, il appartient au juge de caractériser l’élément intentionnel de l’infraction en recourant au dol spécial ! L’auteur doit avoir eu connaissance de l’infraction et avoir voulu le résultat. Cette caractérisation ne pourra se faire qu’au moyen des mobiles. En matière d’entrave, le juge doit s’interroger sur le sens de l’infraction. Résulte-t-elle d’une inimitié ou d’une politique d’entreprise ? Intéresse-t-elle les aspects fonctionnels de l’instance ou ses attributions ? Une triple identification doit être recherchée: de l’auteur (en tenant compte de sa qualité de dirigeant, de salarié bénéficiant d’une délégation de pouvoirs, de salarié membre d’une instance de représentation du personnel ou de personne morale), de la nature de la responsabilité et de la nature de la sanction. 389. Facteur de « déresponsabilisation » dans l’entreprise, la mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales doit être strictement encadrée. Lorsque la jurisprudence impose l’identification d’une personne physique et une détermination précise de la notion de « pour le compte de », elle s’inscrit dans cette perspective favorisant le partage des responsabilités et incitant la personne physique, dirigeant ou représentant, à agir dans le respect des normes en vigueur. 390. Ce souci de la « responsabilisation » des différents acteurs de l’entreprise ne saurait néanmoins se limiter aux éléments constitutifs de l’infraction et à l’identification des responsables. Aller au-delà s’impose1038. 1038 La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales a conduit à une généralisation de la peine d’amende. Or, le principe d’individualisation des peines, « applicables aussi bien aux personnes physiques qu’aux personnes morales, est loin d’être respectée » H. MATSOPOULOU, La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales, Rev. Soc., févr. 2003, p. 287. 184 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Titre II Un traitement effectif des responsabilités 392. Appliqué au droit pénal du travail, le principe d’opportunité intéresse à la fois le ministère public et l’inspection du travail. Or, celle-ci alimente le parquet en procèsverbaux. Mais peu sont dressés, et seuls quelques uns d’entre eux donnent effectivement lieu à des poursuites. A cette inefficacité constatée, des réponses structurelles ou « organisationnelles » peuvent être apportées (Chapitre I). D’autres, plus substantielles, peuvent également être envisagées (Chapitre II). 185 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Chapitre I L’exercice des poursuites 393. Une clef de voûte. L’action du ministère public est conçue et aménagée par le Code de procédure pénale pour mettre en œuvre une réponse pénale1039. Appliqué au droit de la représentation du personnel, cette réponse pénale fait souvent défaut. Les causes en sont structurelles et organisationnelles, tenant à l’absence de politique pénale du travail, l’absence de recours aux alternatives aux poursuites, ou encore au déficit de formation des magistrats et des inspecteurs du travail. Le ministère public joue un rôle décisif en ce qu’il remplit « par vocation les fonctions de l’accusation1040 ». Il est « le maître d’œuvre de la réponse judiciaire1041 ». L’inspecteur du travail n’a pas le pouvoir de mettre en mouvement l’action publique. Son intervention préalable n’en demeure pas moins essentielle. « La bonne préparation des dossiers par les inspecteurs1042 » constitue l’une des clés du dispositif (Section I). Les victimes du délit d’entrave, le comité d’entreprise ou une organisation syndicale, disposent aussi d’un puissant moyen d’action par le biais d’éventuelles constitutions de partie civile (Section II). 1039 Y. MAYAUD, Les recours au juge répressif, Dr. social, 1987, p. 510. R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 325, p. 389. 1041 G. CLEMENT, « Les métamorphoses du ministère public en matière pénale », Mél. J. PRADEL, Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Cujas, 2006, p. 280. 1042 J.-H. ROBERT, « La répression », Dr. social, 2000, p. 955. 1040 186 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Section I - L’exercice de l’action publique 394. Originalité. L’efficacité du système répressif dépend de la qualité des constats, de la rapidité des transmissions des procédures au parquet et de l’étroitesse des relations entre les unités territoriales d’inspection du travail et les autorités judiciaires. L’exercice du principe d’opportunité des poursuites, et par conséquent le rôle du procureur (§II), ne peuvent être dissociés de l’action de l’inspection du travail dans la phase de constatation des infractions précédant la saisine du parquet (§I). §I. L’inspecteur du travail : auteur du procès-verbal 395. Les inspecteurs du travail sont investis d’un pouvoir de contrôle social1043 (I). Disposant du libre choix des suites qu’ils entendent donner aux contrôles menés, ils disposent du pouvoir de dresser des procès-verbaux. La qualité du document établi est l’une des clés de la mise en mouvement de l’action publique (II). I. 396. L’auteur du constat Fondements. Nombreux sont les textes à donner compétence aux inspecteurs du travail pour relever les infractions par procès-verbal1044. La compétence des inspecteurs du travail se fonde au premier chef sur l’article L. 8112-1 du Code du travail : « les inspecteurs du travail sont chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail (…). Ils sont également chargés, concurremment avec les officiers et agents de police judiciaire, de constater les infractions à ces dispositions et stipulations ». L’inspection du travail « est omniprésente ; ses attributions la placent au cœur des relations de travail1045 ». 1043 Ch. LAZERGUES, « La constatation de l’infraction et les poursuites pénales », Dr. social, 1984, p. 480. 1044 La Convention OIT n° 81 du 11 juill. 1947 est ratifiée par la France le 11 août 1950 – C. trav., art. L. 8112-1 et s. 1045 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 448. 187 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 397. De l’indépendance…. Si, de manière générale, l’administration agit dans un milieu homogène et ne fait face qu’à une seule catégorie d’usagers 1046, il n’en est pas de même de l’administration du travail. Cette dernière intervient dans un milieu hétérogène1047 où s’opposent des intérêts divergents : ceux des salariés et de l’employeur1048. Garantie par les conventions internationales n° 81 (art. 6) et n° 129 (art. 8)1049, l’indépendance de l’inspection doit être rangée au nombre des principes généraux du droit1050et des principes fondamentaux du droit du travail au sens de l’article 34 de la Constitution1051. L’indépendance est « une garantie essentielle de l’effectivité du droit du travail1052 ». Elément des « principes de déontologie pour l’inspection du travail1053 », le principe d’indépendance n’apparaît pas « comme un droit des agents concernés mais bien comme une garantie pour les citoyens de pouvoir bénéficier d’un service public organisé qui n’est soumis à aucune influence extérieure indue1054 ». Le principe suppose que l’inspection du travail soit indépendante de l’autorité politique, qu’elle détienne des garanties en matière d’emploi et d’exercice de ses fonctions et dispose de moyens lui permettant d’exercer celles-ci. L’inspecteur du travail doit être à l’abri des influences extérieures : ingérences, pressions, menaces, qu’elles viennent des acteurs sociaux ou d’ailleurs. L’indépendance de l’inspection se traduit, entre autres, dans le libre choix de solliciter ou non la mise en œuvre de l’action pénale1055. 1046 Ainsi, l’administration fiscale n’intervient qu’à l’égard des contribuables. Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 448. 1048 L’inspecteur du travail, compte tenu de ses attributions, est chargé de « faire respecter la loi et les règles objectivement posées. Son secteur d’intervention le place au cœur de la situation économique et sociale et des rapports sociaux entre salariés et employeurs. Les risques ou probalités d’ingérence ou d’intervention ne sont pas nuls ni négligeables. D’où la nécessité de mettre ces agents à l’abri de toute intervention indue. Il s’agit d’une condition impérative, non seulement à l’efficacité de l’inspection du travail, mais aussi à son indispensable crédibilité aux yeux des parties en présence. En ce sens la notion, d’indépendance fait partie intégrante de la déontologie du corps » (CES, Rapp. 24 janv. 1996 sur l’inspection du travail). 1049 Convention OIT n° 81 et 129 : « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence indue ». 1050 CE 9 oct. 1996, n° 167511 : Dr. social 1997, p. 207 note X. PRETOT. 1051 Cons. Const., 17 janv. 2008, Déc., n° 2007-561 DC. 1052 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 1ère éd., 2009, p. 193. 1053 Déontologie de l’inspection du travail – DGT – 2010. 1054 X. DARCOS, préf., in Déontologie de l’inspection du travail – DGT – 2010. 1055 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 1ère éd., 2009, p. 194. 1047 188 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 398. …au principe d’opportunité des poursuites. Ecartée dans un premier temps par les textes internationaux, le principe de libre décision est implicitement reconnu par l’article 17 de la Convention internationale du travail n° 81, lequel prévoit « qu’il est laissé à la libre décision des inspecteurs du travail de donner des avertissements ou des conseils au lieu de recommander des poursuites ». Cette position est confirmée par un arrêt du Conseil d’Etat relatif au décret du 24 novembre 1977 organisant les services extérieurs du travail et de l’emploi. Ni les textes internationaux, ni les dispositions législatives ne limitent « les attributions des inspecteurs du travail à la tâche exclusive du contrôle de la législation et de la règlementation du travail dans les entreprises 1056». 399. L’existence d’une infraction dénoncée par un salarié ne saurait conduire un inspecteur du travail à dresser un procès-verbal1057. L’administration du travail est chargée de faire respecter la réglementation. Elle a le pouvoir d’apprécier les moyens à mettre en œuvre et, par voie de conséquence, de mesurer l’opportunité de dresser un procès-verbal sans pour autant subir la censure du juge administratif1058. Au demeurant, un contrôle juridictionnel restreint, lequel portera sur l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, peut toujours être exercé1059. 400. Pour la Direction générale du travail, l’indépendance est « en interaction avec le principe de libre décision et les pouvoirs prévus par la législation1060 ». Les instructions ministérielles1061 successives affirment que les agents de contrôle doivent disposer « d’un large pouvoir d’appréciation ». Le principe de libre décision ne porte que sur le 1056 CE, 3 juill. 1981, Synd. Gén. CGT, Rec. 1981, p. 301. CE, 3 oct. 1997, n° 161520, Concl. de D. CHAUVAUX, JCP G 1998, II, 10 020. 1058 Le refus de dresser procès-verbal doit être assimilé à un acte administratif (CE, 26 mai 1965, Kutschera : AJDA, 1965, p. 473, note Laporte) susceptible d’être déféré au juge administratif ou de nourrir le contentieux de la responsabilité de l’administration . 1059 Le contrôle restreint consiste pour le juge à vérifier que l’administration n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle concerne la qualification des faits ou le choix d’une décision (lorsque plusieurs solutions sont possibles). Quant à l’erreur manifeste d’appréciation, « l’objectif est d’imposer aux autorités un minimum de bon sens et de logique ou d’éviter des solutions déraisonnables. Ne sont censurées que les erreurs évidentes et grossières ». G. DUPUIS, M-J. GUEDON, P. CHRETIEN, Droit administratif, Sirey, 12ème éd., 2011, n° 840, p. 664, n° 851, p. 670 et n° 853, p. 671. 1060 Déontologie de l’inspection du travail – DGT – 2010, p. 15. 1061 Instruction DGT n° 11 du 12 sept. 2012 sur les procès-verbaux de l’inspecteur du travail, BO Min. Trav., 30 oct. 2012, 2012/10. Sur le caractère immuable de cette pratique : cf. Cl. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 30 - Instruction du 28 mars 2002, n° 200203 concernant les procès-verbaux de l’inspection du travail BO Min. Trav., 20 juin 2002, 2002/11Instruction du 14 mars 1986 relative à l'établissement, à la transmission et au suivi des procès-verbaux. 1057 189 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 choix des moyens juridiques. La liberté de faire ou ne pas faire est entière. En présence d’infractions par lui constatées, l’inspecteur du travail ne peut s’abstenir d’agir ; il n’a que le choix des modalités d’action de son intervention1062. Ce principe ne s’efface qu’en présence de dispositions expresses imposant à l’administration de susciter la mise en œuvre de l’action pénale1063. Il constitue une exception à l’article 40 du Code de procédure pénale qui oblige les fonctionnaires à signaler au procureur les délits dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. II. 401. Le constat Un outil essentiel. Lorsqu’il définit les missions de l’inspection du travail, le Code du travail reconnaît aux inspecteurs le pouvoir de verbalisation1064. Le procèsverbal constitue « un outil essentiel. Son caractère dissuasif est incontestable1065». Il participe « à l’objectif de respect du droit et permettre la sanction des infractions les plus graves1066 ». Dans certaines circonstances, la constatation des infractions par procès-verbal doit être systématique et inconditionnelle. 402. « Patchwork1067 ». La diversité des modes d’interventions1068 trouve sa raison d’être dans l’autonomie des inspecteurs du travail, laquelle constitue une condition essentielle de l’efficacité de leur action1069. Doivent être distingués le contrôle de conformité, l’adaptation de normes générales aux situations particulières ou la conciliation amiable, le conseil et l’information. 403. Observations. L’étude des rapports de l’inspection du travail pour 2011 révèle l’importance de la pratique des observations. L’activité des inspecteurs du travail est avant tout composée d’observations, conseils et conciliations qui ne sont pas vraiment prévus par la loi. Telle est l’originalité de l’intervention de l’inspection du travail 1062 Déontologie de l’inspection du travail – DGT – 2010, p. 21. CE, 7 mai 1971 : Rec. CE p. 334 ; CE, 20 mars 1974 : Rec. CE., p. 200 1064 C. trav., art. L. 8112-1. 1065 Instruction DGT n° 11 du 12 sept. 2012 sur les procès-verbaux de l’inspecteur du travail, BO Min. Trav., 30 oct. 2012, 2012/10. 1066 Instruction DGT n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit.. 1067 V. VIEILLE, « Inspecter le travail ou veiller à l’application du droit du travail : une mission impossible ? », Dr. social, 2006, p. 666. 1068 C. CHETCUTI, Brefs propos sur les modalités d’interventions de l’inspection du travail, Dr. social, 1984, p. 465 – C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 19. 1069 V. TIANO, La réforme contestée de l’inspection du travail, Dr. social, 2006, p. 662. 1063 190 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 marquée du sceau d’un fort décalage entre le droit et la pratique. Les compétences de l’inspecteur « révèlent mal la fonction. A la répression pénale, seule vraiment prévue et aménagée par les textes, s’est substituée une activité de surveillance et de tutelle administrative que les textes ignorent pratiquement 1070». Si certains tribunaux1071 ont pu analyser la lettre d’observation adressée à l’employeur afin qu’il régularise la situation comme une « mise en demeure » susceptible d’un recours pour excès de pouvoir, de telles décisions ne peuvent que démontrer la nécessité de préciser les conditions et les effets de cette pratique. 404. La technique de l’observation est souvent choisie : il est « moins question de sanctionner le délit que d’obtenir effectivement le respect par l’employeur de la règlementation du travail 1072». Trouve ici illustration la première fonction du droit pénal du travail : prévenir1073. Le recours aux observations pose une question de fond : l’inspecteur peut-il être à la fois « conciliateur et gendarme ? L’une des missions ne chasse-t-elle pas l’autre ? Le mélange des genres est-il possible, souhaitable1074 ? ». Il est en vérité justifié de distinguer les fonctions de prévention et de sanction. 405. La mise en demeure préalable apparaît « comme un attribut exclusif de l’autorité publique chargée de constater l’infraction et ou, à l’inverse, elle tend à obtenir du débiteur l’exécution volontaire de l’obligation légale en cause1075 ». Dans le Code du travail, la mise en demeure préalable a pour seul domaine certaines infractions en matière d’hygiène et de sécurité1076 et certaines infractions relatives aux règles d’organisation des services médicaux et sociaux du travail. Plus largement, la mise en demeure est nécessaire dans les situations suivantes : « prescriptions exigeant des modifications importantes (…), prescriptions pouvant donner lieu à des divergences 1070 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 446. TA Versailles, 31 déc. 1992, TA de Nantes 24 oct. 2000. 1072 P. DURAND, R. JAUSSAUD, Traité de droit du travail, Dalloz, 1947, t. 1, p. 364. 1073 Ch. LAZERGUES, « La constatation de l’infraction et les poursuites pénales », Dr. social, 1984, p. 480. 1074 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 1075 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 74, p. 39. Pour le Professeur DELMAS-MARTY, la mise en demeure est le rappel de la loi : « dans la perspective d’améliorer de façon plus ponctuelle la connaissance des lois pénales, est apparue la technique du rappel : avant d’appliquer la loi, les autorités en rappellent l’existence au justiciable » (VIème Journées Françaises de Droit Pénal, Montpellier Novembre 1983). 1076 C. trav., art. L. 4721-4 ; C. trav., art. L. 4721-1; C. trav., art. L. 4731-2. 1071 191 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’interprétation en droit ou en fait, matières nouvellement réglementées1077 ». Cette mise en demeure préalable peut être évincée lorsque les faits constatés sont de nature à porter une atteinte grave à l’intégrité physique des travailleurs1078. 406. Résultant nécessairement d’un écrit1079, la mise en demeure est un acte administratif individuel susceptible de « réclamation1080 » auprès du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail, de l’emploi1081. Un délai d’instruction de 21 jours, renouvelable une fois si les nécessités de l’instruction l’imposent, lui est laissé. Cette réclamation revêt un caractère suspensif. La noncommunication à l’employeur de sa décision vaut acceptation de la réclamation1082. Cette spécificité ne fait pas obstacle à un éventuel recours hiérarchique, lequel n’est pas suspensif. La mise en demeure constitue un acte administratif individuel susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir et d’engager la responsabilité de l’Etat1083. La mise en demeure ne constitue pas un acte de poursuite1084. 407. Certains auteurs voient dans cette technique une source d’ineffectivité du droit pénal du travail : de la mise en demeure à la décision de classement, « sans négliger tous les relais nécessaires à la transmission des procès-verbaux au ministère public, nombre d’affaires se perdent et aboutissent à l’impunité 1085»… ce qui les conduit parfois à prôner une remise en cause de la procédure de mise en demeure1086, oubliant le volet préventif du droit pénal. 1077 C. CHETCUTI, « Brefs propos sur les modalités d’interventions de l’inspection du travail », Dr. social, 1984, p. 466. 1078 C. trav., art. L. 4721-5. 1079 C. trav., art. L. 4721-6. La mise en demeure est adressée au chef d’établissement et portée par écrit sur un registre spécifique datée et signée avec l’indication des contraventions constatées. Un délai est fixé à l’expiration duquel la contravention doit avoir disparu. 1080 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 83, p. 42. 1081 C. trav., art. L. 4723-1. 1082 C. trav., art. R. 4723-3 et 4. 1083 CE, 29 juin 1983, Min. Trav. c/ Sté ACEF, n° 38688. 1084 Cass. crim., 10 déc. 1910 : D. P. 1912-5-24. 1085 J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 1086 En ce sens : N. ALVAREZ, Droit pénal du travail, Thèse, Université Paris I, 1974, Dactyl., p. 127129 ; J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 192 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 408. S’il est « un pur mécanisme d’opportunité1087», ce préalable est nécessaire et s’accorde à la souplesse indispensable de la norme. Le droit perdrait beaucoup « à se défaire de tous les mécanismes de bonne justice qui évitent de recourir trop systématiquement à la justice répressive1088 ». L’extension de ce préalable à de nombreuses inobservations des prescriptions légales ou règlementaires est, au demeurant, parfois souhaitée1089. 409. En matière d’hygiène et de sécurité, l’inspecteur du travail apprécie, sous le contrôle du juge pénal ou, le cas échéant, du juge administratif, si l’installation répond aux prescriptions réglementaires. La mise en demeure ne peut aller au-delà de celles ainsi fixées. Il appartient à l’employeur mis en demeure de choisir les moyens permettant cette mise en conformité. Une telle procédure pourrait trouver application en matière de représentation collective. L’inspecteur du travail pourrait mettre l’employeur en demeure de procéder à telle consultation ou telle information sur tel sujet. De même, dans des situations de blocage, l’inspecteur du travail pourrait mettre le comité d’entreprise en demeure de rendre un avis tant dans les hypothèses dans lesquelles son avis lie l’employeur (chômage partiel, etc.) que dans le cas contraire. Il appartiendrait à l’inspection du travail de contrôler le degré d’information et de consultation des représentants du personnel. Une telle mise en demeure, en cas de restructuration, assurerait une protection optimale des salariés1090. Conformes à la dimension de prévention du droit pénal, ces pratiques préalables à la saisine du juge répressif doivent être encouragées. 410. Contrôle de conformité. Bien que le pouvoir de sanction soit « consubstantiel à l’action de l’inspection du travail1091 », le procès-verbal est souvent perçu comme « un 1087 Pour le Professeur MAYAUD ce préalable obligatoire permet de « juger de l’intérêt du recours au juge répressif en testant la bonne foi du contrevenant et en évitant des poursuites inutiles, à la fois pour lui et pour la société, lorsqu’il fait preuve d’un total repentir » (Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social 1987, p. 510). 1088 Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social 1987, p. 510. 1089 G. LEVASSEUR, Droit social et Droit pénal, in Etudes de droit du travail offert à André BRUN, Librairie sociale et économique, 1974, p. 318 ; J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 446. 1090 C. trav., art. L. 1233-57-5. 1091 J. BESSIERE, « L’inspection du travail, entre stabilité et évolutions », in 13 Paradoxes en Droit du travail, ss dir. Ph. WAQUET, SSL, 2011, n° 1508, p. 41. 193 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 constat d’échec1092 », ce qui revient à nier la possibilité pour l’inspection du travail d’assurer une double fonction de conseil et de police1093. L’inspecteur du travail doit utiliser le procès-verbal « en renfort de son action quotidienne1094 ». Il demeure un moyen parmi d’autres permettant de tendre à une pleine effectivité de la règle1095. La qualité du procès-verbal étant essentielle, il nous faut préciser ses conditions de validité, de fond (A) et de forme (B), avant de s’interroger sur la nature du contrôle exercé (C). A. Les conditions de fond 411. Objectif. Le procès-verbal est « le constat d’infraction à des règles du Code du travail pénalement sanctionnées 1096». Il a pour objet de concentrer dans un document unique l’ensemble des données qui permettront dans un premier temps au parquet d’apprécier s’il y a lieu ou non de poursuivre l’auteur de l’infraction puis, dans un second temps, au juge pénal de prononcer, le cas échéant, une condamnation. La Direction générale du travail a publié le 12 septembre 2012 1097 une instruction relative à la rédaction des procès-verbaux de l’inspection du travail visant à renforcer l’efficacité du système d’inspection et à garantir l’effectivité de la règle de droit. Cette instruction 1092 Ch. LAZERGUES, « La constatation de l’infraction et les poursuites pénales », Dr. social, 1984, p. 484. « Le bon inspecteur est celui qui ne fait pas de procès-verbaux en définitive » (RENDU, Table Ronde RPDS, n° 357, Janv. 1975, p. 10). Le procès-verbal est vu aussi comme l’ultima ratio (J. BESSIERE, « L’inspection du travail, entre stabilité et évolutions », in 13 Paradoxes en Droit du travail, ss dir. Ph. WAQUET ; SSL, 2011, n° 1508, p. 41 ; B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 959 ; J.-E. RAY, « Sanctions et incitations en droit du travail », Liaisons Sociales Magazine, Janv. 2011, p. 96). 1093 Sur les origines du débat : Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs de l’inspection du travail », Dr. social, 1984, p. 458 ; J.-C. JAVILLLIER, « Ambivalence, effectivité et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 380, spéc. ndbp n° 55 et 56. 1094 « Les inspecteurs du travail verbalisent », Revue Actes, mai 1981, n° 31-32, p. 47 à 51. 1095 La mise en œuvre de l’action pénale a pour objectif la modification du comportement du chef d’entreprise. L’éventuelle sanction pénale prononcée par le juge peut « présenter un caractère d’exemplarité de nature à rendre effective l’application du droit du travail » (Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 1ère éd., 2009, p. 288 - Dans le même sens voir les colloques : Droit pénal du travail, Dr. social, 1984 et 1994). Les instructions ministérielles abondent en ce sens. L’instruction technique du 28 mars 2002 précise que le procès-verbal est « un moyen privilégié et indispensable à la fois pour faire sanctionner un comportement répréhensible mais aussi pour garantir l’application de la loi ». Voir aussi Instruction DGT n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit. 1096 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 1ère éd., 2009, p. 288 – P. GUINOT, Th. KAPP, Ph. LAGRANGE, P. RAMACKERS, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, INTEFP, p. 129. 1097 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012 sur les procès-verbaux de l’inspection du travail, BOMT, 30 oct. 2012. Cette instruction annule et remplace celle du 28 mars 2002. 194 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 a pour objet d’actualiser les règles applicables et d’harmoniser « les pratiques professionnelles liées aux évolutions du système d’inspection du travail et aux changements règlementaires et jurisprudentiels intervenus en matière de procédure pénale ». Elle entend soutenir l’action des inspecteurs du travail, faciliter la rédaction des procès-verbaux et améliorer leur qualité. 1°. 412. La description des faits constatés Objectivité. La rédaction de la partie du procès-verbal relative au constat est un élément essentiel conditionnant la suite de la procédure. Les constats doivent être objectifs et ne comporter « aucun jugement de valeur ou de parti pris1098 ». Dans le souci de renforcer cette objectivité, l’administration exige qu’aucune référence textuelle, ni aucune analyse ou déduction n’intervienne dans le constat. La description doit permettre de révéler les éléments nécessaires à la qualification juridique des faits. 413. Force probante. La qualité du constat est d’autant plus importante que les procès-verbaux dressés par l’inspection du travail font foi jusqu’à preuve contraire1099. Cette force probante ne s’applique qu’aux constatations et non aux déductions de l’inspecteur du travail1100. Le procès-verbal n’a de valeur probante que « s’il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et a rapporté de sa compétence ce qu’il a vu, entendu ou constaté personnellement 1101». Ces constatations doivent permettre aux magistrats de disposer des éléments nécessaires pour « appréhender le plus concrètement possible la réalité des faits et d’apprécier la caractérisation de l’infraction1102 ». 414. L’élément légal. Pour que l’infraction soit constituée, il faut que son auteur ou l’activité en cause soit assujetti à l’injonction ou l’interdiction qui fonde l’infraction. 1098 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit. C. trav., art. L. 8113-7 – Il s’agit ici d’une dérogation à l’article 430 du Code de procédure pénale : « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux et les rapports constatant les délits ne valent qu’à titre de simples renseignements ». Pour exemple, les procès-verbaux de réunion du comité d’entreprise, rédigés par le secrétaire, n’a au regard de la loi pénale, que la valeur d’un simple renseignement (Cass. crim., 4 oct. 1977 : Bull. crim., n° 287). 1100 Cass. crim., 28 avr. 1975 : Bull. crim., n° 111, p. 311. 1101 C. Proc. pén., art. 429. 1102 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit.. 1099 195 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Lorsque le texte d’incrimination est lié à un seuil d’effectifs, il est nécessaire d’identifier les salariés concernés en les mentionnant directement dans le corps du procès-verbal ou en joignant un document mentionnant leur identité. Il appartient aussi à l’inspection du travail de préciser les situations dans lesquelles des règles particulières s’appliquent et d’établir par exemple l’existence d’un mandat de représentation du personnel ou d’un mandat syndical. 415. L’élément matériel. La spécificité du droit pénal du travail implique de la part de l’inspection du travail un effort d’explication, de pédagogie et de clarté. L’élément matériel est constitué « par la commission de faits contraires à l’obligation ou l’interdiction visée par le texte soi par une omission ou une carence1103 ». L’inspection du travail doit procéder à un travail d’enquête, de collecte et d’analyse. Pour certaines infractions, tel le délit d’entrave ou de discrimination, doivent être relevés les indices et circonstances susceptibles de les caractériser. Si des délits peuvent être constitués sur la base de certains comportements ou situations de travail, d’autres reposent sur les propos tenus par leur auteur. Ceux-ci doivent être rapportés de manière littérale1104. Il appartient en outre à l’inspection du travail de vérifier que les faits ne sont pas prescrits1105. A ce titre, la date de commission de l’infraction doit être rappelée avec précision. Constitutifs d’actes de procédure pénale, les procès-verbaux doivent être rédigés, datés et signés. Ils sont, par nature, considérés comme des actes de poursuite interruptifs de prescription1106. L’interruption de la prescription ayant pour effet de faire courir à nouveau le délai normal de prescription à compter de l’acte interruptif, la date de clôture du procès-verbal est ici essentielle. 416. L’élément intentionnel ne peut être déduit de la seule violation constatée de la règle. La preuve de la conscience d’enfreindre une prescription légale ainsi que de la volonté d’obtenir un certain résultat doit être rapportée1107. L’inspecteur du travail doit à ce stade relever les éléments, les indices, les faits (écrits, témoignages, etc.), les coïncidences permettant de caractériser l’élément intentionnel. Cette étape est 1103 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit.. Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit.. 1105 La prescription de l’action publique est de dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits et d’un an pour les contraventions (C. Proc. pén., art. 7 à 9). 1106 Cass. crim., 26 nov. 1985 : Bull. crim., n° 378 – Cass. crim., 17 déc. 1991 : Bull. crim., n° 483. 1107 Voir infra n° 89 et suivants. 1104 196 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 essentielle en ce qu’elle constitue un travail préparatoire pour les magistrats du siège et du parquet. En matière d’entrave, l’inspecteur du travail doit se poser deux questions : les institutions représentatives du personnel ont-elles été empêchées d’exercer leur mission, notamment par manque d’information ou défaut de consultation ? L’auteur de l’infraction a-t-il voulu ce résultat ? A-t-il commis le délit d’entrave avec l’intention de nuire ? L’instruction de 12 septembre 2012 recommande à l’inspection du travail de joindre au procès-verbal les observations antérieures, les éventuels échanges, les mises en demeure préalable ou tout autre élément permettant de faire ressortir la volonté d’enfreindre la norme légale1108, la volonté du résultat et l’intention de nuire1109. La réponse à la seconde question découlera des échanges tenus avec l’auteur présumé à l’occasion d’entretiens organisés par l’inspecteur du travail. 2°. 417. La qualification des infractions Le constat est suivi d’une analyse juridique permettant la qualification pénale des actions ou omissions relevées. Formellement distincte des constatations, cette analyse prend la forme d’un avis soumis à l’appréciation des magistrats du parquet et du siège. Le rôle de l’inspection est alors de faciliter le travail du juge. Il lui appartient de faire expressément référence aux textes d’incrimination, d’expliciter leur articulation avec la jurisprudence. Avant de proposer une qualification pénale, l’inspecteur du travail doit établir la relation existant entre les textes d’incrimination et les textes de répression. 3°. 418. L’imputabilité Employeur. Il appartient à l’inspecteur du travail, auteur du procès-verbal, de mentionner les éléments permettant d’identifier le chef d’entreprise personne physique mais aussi, s’il lui apparaît nécessaire que des poursuites soient engagées à l’encontre 1108 Instr. DGT, n° 11 du 12 Sept. 2012 sur les procès-verbaux de l’inspection du travail, BOMT, 30 Oct. 2012. 1109 Cette étape est d’autant plus importante qu’elle détermine la nature des sanctions (administratives ou pénales). Si l’entrave porte sur les attributions des instances de représentation du personnel et a été commise avec l’intention de nuire, la voie pénale est ouverte, le cas échéant une sanction administrative pourrra être prononcée. 197 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de la personne morale, de mentionner la forme de celle-ci, l’identité du représentant ou de l’organe par le truchement duquel sa responsabilité est engagée. Le rôle de l’inspecteur du travail est ici primordial au regard de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de responsabilité des personnes morales. Le juge doit vérifier que les infractions commises dans l’entreprise sont caractérisées dans le chef de personnes physiques expressément identifiées comme agissant en qualité d’organe ou de représentant des personnes morales1110. Il appartient à l’agent de contrôle de rassembler l’ensemble des éléments permettant d’identifier l’auteur de l’infraction et d’apprécier sa qualité ; celle-ci est déterminée en fonction, notamment, de la structure juridique de la personne morale. Il est par conséquent nécessaire de joindre au procèsverbal un extrait K bis lequel permet d’identifier aisément le représentant légal de la personne morale et d’obtenir son casier judiciaire. Il appartient, le cas échéant, à l’inspection du travail de rapporter les éléments susceptibles de caractériser une gérance de fait. 419. Délégataire. Si l’appréciation de la validité d’une éventuelle délégation de pouvoirs appartient à l’autorité judiciaire, il convient de lui fournir toutes informations permettant d’en établir la réalité. L’inspection du travail doit s’intéresser à l’échelle des responsabilités et des pouvoirs dans l’entreprise, aux règles de désignation de leurs titulaires, au circuit habituel de prise de décision, au rôle des différents échelons hiérarchiques pour l’application du droit du travail. Il doit rassembler toutes les informations relatives à la compétence, à l’autorité et aux moyens du délégataire1111. B. Les conditions de forme 420. Ni le Code du travail, ni le Code de procédure pénale n’imposent un quelconque formalisme. La direction générale du travail exhorte les inspecteurs du travail à « adopter et respecter la démarche1112 » décrite dans l’instruction du 12 septembre 2012. Les documents établis doivent être présentés de « façon claire, exhaustive et 1110 cf. Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87212 : Bull. crim., 2011, n° 202 - Cass. crim., 11 avr. 2012, n° 10-86974 : Bull. crim., 2012, n° 94. 1111 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit. 1112 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit. 198 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 structuré1113 ». Une description précise et détaillée des faits constitue l’élément fondamental de la poursuite1114. 1°. 421. Les modalités du constat Circonstances. La mention précise des éléments relevés par l’inspecteur du travail est impérative : elle permet au juge ultérieurement saisi d’avoir une vision complète des faits et de leur chronologie, sans compter que les procès-verbaux dressés par l’inspecteur du travail constituent des actes d’instruction ou de poursuite au sens de l’article 7 du Code de procédure pénale, par lesquels la prescription se trouve interrompue1115. Les constats sont en principe effectués sur place. Toutefois, lorsque l’ensemble des documents nécessaires à l’établissement de l’infraction ont été réunis, le constat peut être établi à la DIRECCTE. Le lieu d’établissement du constat de l’infraction peut être tout point de la circonscription territoriale attribuée à l’agent qui le dresse dès lors que l’un des éléments constitutifs de l’infraction est localisé dans son ressort1116. Les éléments constitutifs de l’infraction doivent être « rassemblés et portés à la connaissance [des agents de contrôle] en vertu de leur pouvoir d'enquête exercé dans le cadre de leur compétence territoriale, c'est-à-dire en rapport direct avec leur mission de contrôle des établissements (…) situés dans leur secteur d'inspection1117 ». En outre, les éléments constitutifs de l’infraction doivent être relevés sur la base d'une communication de pièces en lien avec l'activité de contrôle de l'établissement1118. 422. Le respect du « contradictoire ». La Direction générale du travail invite l’inspection du travail à veiller à l’objectivité des constats, le cas échéant en interrogeant l’employeur ou les salariés pour apprécier le degré d’application des règles 1113 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit. Cet aspect apparaît dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation : « Les juges (…) observent que les circonstances de temps et de lieu relatives aux faits reprochés sont circonscrites avec clarté et précision, que les textes du Code du travail applicables à l’espèce ont bien été énoncés et que le procès-verbal de l’inspecteur du travail, base de poursuite, mentionne sans ambiguïté le nom des salariés concernés par les délits, la liste des entreprises où ils étaient détachés, et les dates de détachements (…) » (Cass. crim., 17 déc. 1991, n° 90-84813: Bull. crim., 1991, n° 483). 1115 Cass. crim., 26 nov. 1985, n° 84-93304 : Bull. crim., 1985, n° 378. 1116 Cass. crim., 7 oct. 1987, n° 86-95847 : Bull. crim.,1987, n° 342. 1117 Cass. crim., 9 déc. 2003, n° 03-80781 : Bull. crim., 2003, n° 238. 1118 Cass. crim., 9 déc. 2003, n° 03-80781 : Bull. crim., 2003, n° 238. 1114 199 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de droit du travail1119. En contrepartie, l’inspecteur du travail est tenu à une obligation de confidentialité laquelle reçoit application chaque fois qu’un salarié membre ou non d’une institution représentative du personnel sollicite son intervention. Cette obligation trouve cependant une limite lorsque l’inspecteur est à l’origine de la visite de contrôle auquel cas, s’il peut recueillir utilement des informations auprès du personnel de l’entreprise, il est tenu d’informer le salarié de l’utilisation qui sera faite ultérieurement de son témoignage1120. S’agissant de leur valeur juridique, les déclarations ainsi recueillies ne sont pas considérées comme des témoignages au sens du Code de procédure pénale. Elles font foi en ce qui concerne leur réalité mais non leur sincérité1121. L’inspecteur du travail peut joindre au procès-verbal les éléments communiqués en défense par l’employeur. L’ensemble doit être accompagné d’une analyse de l’agent de contrôle : il ne peut pas se contenter d’exposer les faits, notamment lorsqu’il s’agit de violation du droit syndical ou d’entrave à l’exercice des fonctions de représentant du personnel1122. Son analyse est de nature à éclairer les autorités appelées à mettre ou non en mouvement l’action publique. 423. L’agent de contrôle est, par ailleurs, en droit de porter « les premiers éléments à la connaissance de l’auteur présumé de l’infraction en cours d’enquête selon les modalités qui lui semblent le plus appropriées1123 ». Cette démarche ne peut que renforcer l’évolution de l’inspection de travail vers un surcroît de neutralité, d’indépendance et d’objectivité. 2°. La rédaction 1119 Convention OIT n° 81, art. 12. L’instruction souligne l’importance de mentionner l’identité du déclarant afin qu’il puisse être entendu par le juge en fonction des nécessités de l’enquête. 1121 P. GUINOT, Th. KAPP, Ph. LAGRANGE, P. RAMACKERS, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, INTEFP, n° 625. 1122 P. GUINOT, Th. KAPP, Ph. LAGRANGE, P. RAMACKERS, Eléments de droit pénal et de procédure pénale, INTEFP, n° 628. 1123 Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit.. 1120 200 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 424. Rigueur. La Direction générale du travail impose des règles rigoureuses d’élaboration et de rédaction du procès-verbal. Elle préconise l’utilisation du modèle annexé à l’instruction de septembre 20121124. 425. Ossature. Le procès-verbal s’ouvre sur un préambule présentant de manière synthétique le contenu de la procédure (résumé des faits, identité de l’entreprise et de l’agent de contrôle, textes applicables, etc.). Suivent les constatations, puis les développements relatifs à la qualification des infractions, à l’imputabilité et aux renseignements complémentaires. Cette dernière partie permet à l’agent de contrôle de rapporter les « conséquences, les enjeux économiques et sociaux, l’attitude de l’auteur de l’infraction au regard de la législation du travail1125 » de nature à déterminer le degré de gravité des faits et la sanction envisagée. Le procès-verbal s’achève par la signature de l’inspecteur du travail précédée de la date de la clôture1126. 426. Infractions multiples. L’ensemble des infractions doivent être relevées dans un même procès-verbal excepté si elles ressortent de domaines différents ou si l’urgence ou la complexité des investigations le justifient. Les infractions doivent alors faire l’objet de procédures distinctes afin de faciliter l’agencement du procès-verbal et son traitement judiciaire. Un contact préalable avec les services du parquet permet de définir au mieux les modalités d’établissement et de transmission des procédures. C. Le contrôle du procès-verbal 427. Avant la transmission au procureur de la République et au représentant de l’Etat, l'agent de contrôle informe la personne visée au procès-verbal des faits susceptibles de constituer une infraction pénale ainsi que des sanctions encourues1127. 1°. La double transmission du procès-verbal 1124 Nous renvoyons ici à la lecture de l’instruction du 12 septembre 2012. Instr. DGT, n° 11 du 12 sept. 2012, op. cit. 1126 La date de clôture est celle de sa rédaction définitive avant la transmission au parquet. 1127 C. trav., art. L. 8113-7. 1125 201 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 428. Obligation. Le Code du travail prévoit une double transmission au parquet et au préfet du département. Il n’impose pas de transmission « hiérarchique » au directeur régional ou de contre-signature de ce dernier. Néanmoins, il existe une pratique aux termes de laquelle les procès-verbaux ne sont pas transmis directement au parquet. En pratique, ils empruntent une voie hiérarchique et font à cette occasion l’objet d’un contrôle du directeur de l’unité territoriale. 429. Cette pratique résulte du décret n° 94-1166 du 28 décembre 1994 relatif à l'organisation des services déconcentrés du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle1128. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi est chargé « des relations avec les autorités judiciaires sous réserve des attributions confiées par la loi aux inspecteurs du travail1129». 430. En outre, l’examen du procès-verbal par le directeur de l’unité territoriale résulte d’une série d’instructions pénales relative aux procès-verbaux de l’inspection du travail dont la dernière date du12 septembre 20121130. Cette transmission hiérarchique est justifiée par la nature « des suites réservées par les autorités judiciaires lesquelles sont largement fonction de la qualité et de la rigueur du document transmis1131 ». 431. Le rôle du directeur de l’unité territoriale. Le directeur régional dispose d’un délai de 15 jours pour notifier d’éventuelles observations relatives à l’applicabilité des 1128 Ce décret a été modifié et codifié (C. trav., art. R. 8122-1) par la suite en 2009 (D. n° 2009-1377, 10 nov. 2009, art. 6, 2° relatif l'organisation et aux missions des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. 1129 Pour l'exercice de ses compétences en matière d'actions d'inspection de la législation du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi peut déléguer sa signature au chef du pôle en charge des questions de travail et aux responsables d'unités territoriales chargées des politiques du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et de développement des entreprises (C. trav., art. R. 8122-2). S’agissant de la transmission des procèsverbaux, la relation avec l’autorité judiciaire doit être organisée au niveau de l’unité territoriale. 1130 Cette pratique est ancrée dans la démarche de l’inspection du travail puisque dès le 19 décembre 1892, l’instruction ministérielle fait obligation aux inspecteurs du travail de transmettre leurs procèsverbaux aux inspecteurs divisionnaires lesquels les visent et décident s’il y a lieu de les transmettre ou non au parquet. S’en est suivie une série d’instructions ministérielles codifiant la pratique de la centralisation et de la transmission hiérarchique : Instruction ministérielle, 15 févr. 1903 - Instruction ministérielle, 16 Août 1948 - Instruction ministérielle du 23 juill. 1971 - Instruction ministérielle, 14 mars 1986 - Instruction ministérielle, 28 mars 2002, n° 2002-3 - Instr. DGT, n° 11 du 12 Sept. 2012, op. cit. 1131 Instr. DGT, n° 11 du 12 Sept. 2012, op. cit. 202 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 textes invoqués, à la légalité du procès-verbal et à la qualité de sa rédaction1132. Dans la mesure où l’agent de contrôle concerné n’estime pas devoir donner suite à ces observations, il adresse en l’état son procès-verbal au directeur de l’unité territoriale, qui le transmet au procureur de la République en y joignant, le cas échéant, une lettre d’accompagnement exposant son avis sur le dossier. Le directeur de l’unité territoriale doit faire connaître au rédacteur du procès-verbal la teneur de cet avis : il lui en adresse une copie. 432. Contribuant à ralentir le processus de transmission du procès-verbal au parquet, ce préalable n’est pas obligatoire1133. Aucun texte n'impose la transmission du procèsverbal de l'inspecteur du travail au directeur [régional]1134. L’article 40 du Code de procédure pénale commande en revanche à l’inspecteur du travail qui a connaissance d’un délit d’en informer sans délai le procureur. En conséquence, l’« obliger à transmettre le procès-verbal au directeur [régional], comme l’indique l’instruction pénale du [12 septembre 2012], est contraire à la fois à l’article L. 8113-7 du Code du travail et à l’article 40 du Code de procédure pénale1135 ». 433. Une telle pratique entre par ailleurs en conflit avec l’article 6 de la Convention OIT n° 81 relatif à l’indépendance de l’inspection du travail. Sur ce fondement, le Conseil d’Etat a pu juger que le directeur d’unité territoriale n’a pas le pouvoir d’enjoindre les inspecteurs du travail à dresser procès-verbal ou de se substituer à eux pour le faire1136. Dans le même sens, il a annulé une circulaire ministérielle prévoyant que la mise en œuvre de la sanction pénale ne devait pas être laissée à la seule initiative de l’inspecteur et confiant au directeur le pouvoir de décider des suites à donner aux infractions des employeurs1137. Le directeur d’unité territoriale n’est chargé des rapports 1132 Instr. DGT, n° 11 du 12 Sept. 2012, op. cit., n° 3-1. Il est de jurisprudence constante que les circulaires ministérielles interprétatives et les instructions adressées par les ministres à leurs subordonnés n’ont pas de valeur juridique autonome, ne s’imposent pas aux tribunaux et ne sont pas opposables aux tiers (CE 15 mai 1987, Ordre des avocats à la Cour de Paris, Rec., p. 175). En ce sens - A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 103, p. 52. 1134 Cass. crim., 28 janv. 1997, n° 95-84257 note M. COHEN, « Les effets du procès-verbal d’un inspecteur du travail », Dr. social, 1997, p. 456. 1135 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 103, p. 52. 1136 CE 24 févr. 1988 : Rec. CE, Tables, p. 583, Concl. du Com. Gouv. de CLAUSADE, Dr. social, avr. 1989, p. 326. 1137 CE 3 oct. 1997 : JCP G II 10020 1133 203 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 avec les autorités judiciaires que « sous réserve des attributions confiées par la loi aux inspecteurs du travail ». La question posée est alors celle de la nature du contrôle exercé par les directeurs d’unité territoriale. 434. L’instruction de la Direction générale du travail ne vise qu’un contrôle de l’applicabilité des textes invoqués et plus généralement de la légalité du procès-verbal et de la qualité de sa rédaction. S’agissant de la forme, le contrôle doit être d’autant plus strict que le procès-verbal encourt la nullité s’il n’est pas signé et daté ou s’il ne mentionne pas le nom et les qualités de l’agent de contrôle. L’annulation du procèsverbal emporte nullité de la procédure subséquente. Le contrôle hiérarchique effectué est un contrôle en opportunité1138. D’aucuns ont dénoncé ce caractère qui fait que « l’essentiel de la chaîne pénale se concentre sur ses moments administratifs initiaux1139 ». Si le choix de déclencher les poursuites appartient au procureur, celui de verbaliser ou non appartient à l’inspecteur, le choix de transmettre ou non appartient au directeur. Ce filtrage serait motivé « tantôt par l’importance de l’employeur, tantôt par celle de l’infraction1140 ». Si la première hypothèse est largement contestable et traduit un manquement grave de l’inspection du travail, la seconde n’est qu’une conséquence de l’orientation prise par les pouvoirs publics dans la définition de la politique pénale1141. 435. Or, en raison de leurs fonctions, les directeurs régionaux, et incidemment les directeurs d’unité territoriale, sont chargés de mettre en œuvre la politique définie par les pouvoirs publics afin d’améliorer les relations et les conditions de travail dans les entreprises. Ils définissent les orientations générales des actions d’inspection de la législation du travail, qu’elles organisent et coordonnent. Les autorités centrale et locale 1138 Pour Bruno SILHOL, la « DDTEFP n’exerce plus en pratique de contrôle de l’opportunité du procèsverbal » (B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 959). Cette affirmation doit être contestée dans la mesure où les instructions ministérielles exhortent les agents de contrôle à transmettre les procès-verbaux aux directeurs lesquels procèdent à un contrôle de légalité, de qualification et de forme. Ce contrôle permet aux directeurs de déterminer une cohérence dans l’action pénale. 1139 Ch. LAZERGUES, « La constatation de l’infraction et les poursuites pénales », Dr. social, 1984, p. 484. 1140 J.-C. JAVILLLIER, « Ambivalence, effectivité et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 1141 Il suffit de consulter les rapports successifs de l’inspection du travail pour comprendre l’importance de la santé et de la sécurité des salariés dans la politique pénale. L’élaboration d’une politique pénale conduit nécessairement à une forme de sélectivité dans l’application du droit. 204 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 doivent « veiller à la nécessaire complémentarité et à l’équilibre des actions décidées au niveau national ou local avec la part d’initiative de l’agent 1142 », de sorte que les directeurs doivent être informés de l’existence des procédures en cours. En pratique, ils peuvent avoir connaissance des procès-verbaux dressés grâce à CAP SITERE1143, outil destiné notamment à traiter le dossier, à partager l'information sur les établissements et structures complexes, à gérer les procédures de signalement et à suivre les procédures judiciaires1144. La transmission hiérarchique est indispensable en ce qu’elle permet aux directeurs d’unité territoriale d’assurer la cohérence de l’action pénale. Le principe d’indépendance doit s’articuler avec le principe de subordination hiérarchique1145. La mise en œuvre des politiques « se traduisant par des orientations et des actions collectives participe à l’exercice normal des missions1146 » sans qu’aucune atteinte soit portée au principe d’indépendance1147. Toutefois, l’inspecteur doit conserver la possibilité de transmettre directement le procès-verbal au parquet, peu important que cette transmission directe soit justifiée par l’urgence ou non. Il ne s’agit finalement que de mettre en œuvre l’une des priorités du plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail éléboré en 2006 visant à conférer la priorité au contrôle1148. L’un des objectifs fixés est que chaque inspecteur puisse « consacrer une part significative de son temps aux priorités du plan régional et une part à l’initiative de l’agent 1149». 436. Célérité. Aucune disposition légale n’impose de respecter des délais de transmission en ce qui concerne les procès-verbaux. Le manque de célérité dans la 1142 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 1ère éd., 2009, p. 197. 1143 Arrêté du 6 oct. 2006 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé " CAP SITERE ", destiné à la gestion des dossiers d'établissement par les agents des services du secteur travail du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, JO n° 244 du 20 oct. 2006, n° 3, art. 3. – Cet outil est en cours d’évolution (Le projet « Pour un ministère fort » en cours d’étude (http://www.sud-travail-affaires-sociales.org). 1144 Arrêté du 6 oct. 2006, op. cit., art. 1. 1145 Convention OIT sur l’inspection du travail, n° 81, 1947, art. 4 – En ce sens Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 332. 1146 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 332. 1147 CE, 24 mai. 2000, n° 210558. 1148 Plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail, 9 mars 2006. 1149 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 54. 205 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 transmission des procès-verbaux au parquet est souvent dénoncé1150. Le délai de rédaction était avant 2012 d’un à quatre mois conduisant à des délais de quatre à six mois pour la transmission au parquet. Un procès-verbal de gendarmerie en matière d’accident du travail est transmis sous quinze jours. Il était nécessaire de réduire ces délais dans la mesure où l’efficacité de la réponse pénale dépend de la brièveté des délais entre la constatation de l’infraction et la condamnation. 437. L’instruction du 12 septembre 2012 prévoit que la transmission doit avoir lieu dans un délai n’excédant pas deux mois à compter de la date du constat. A l’heure des nouvelles technologies et au regard des enjeux en termes de crédibilité de l’action des services d’inspection du travail tant auprès des services judiciaires que des usagers, il importe de réduire au maximum les délais de transmission des procès-verbaux. Il faut dès lors envisager une transmission dans les quinze jours suivant la date du dernier constat. 2°. 438. L’information De l’auteur de l’infraction. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives1151, l’agent de contrôle doit informer la personne visée au procèsverbal1152. Cette information systématique était déjà préconisée par l’Administration1153. Elle l’est encore dans l’instruction du 12 septembre 20121154. Il s’agit d’une information 1150 Ch. LAZERGUES, « La constatation de l’infraction et les poursuites pénales », Dr. social, 1984, p. 484 ; Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité et ineffectivité du droit du travail », Dr. social, 1996, p. 603 ; A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 103, p. 52. 1151 En l’absence de précision, ces nouvelles dispositions s’appliquent à compter du lendemain du jour de la publication de la loi au Journal Officiel soit le 24 mars 2012. 1152 C. trav., art. L. 8113-7. L’innovation doit être saluée en ce qu’elle est enfin conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal en droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 36). 1153 Instruction technique n°2002-03 du 28 mars 2002 concernant les procès-verbaux de l’inspection du travail : « L’agent verbalisateur indique exclusivement au plaignant qu’il a dressé un procès-verbal qui a été transmis au parquet, en précisant le numéro d’ordre sous lequel celui-ci l’a enregistré et la référence des infractions constatés. Mais en aucun cas, il ne doit être transmis de copie de procès-verbal ». 1154 Instr. DGT, n° 11 du 12 Sept. 2012, op. cit., n° V-4. 206 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de la personne visée par le procès-verbal, non de la communication d’une copie du procès-verbal1155. 439. Cette solution avait été suggérée par le Conseil d’Etat amené à se prononcer sur la proposition d’étendre à toutes les infractions aux règles de droit du travail passibles d’une peine d’amende inférieure ou égale à 7500 euros l’obligation faite aux inspecteurs et contrôleurs de travail de communiquer à l’employeur, au plus tard dans le délai d’un mois, les procès-verbaux constatant ces infractions. Pour le Conseil d’Etat, l’établissement et le traitement d’un procès-verbal établi par un inspecteur du travail doivent obéir aux règles issues de la convention OIT n° 81 relative à l’inspection du travail et à celles fixées par le Code de procédure pénale. Il en ressort qu’un procèsverbal constitue « autant un acte d’information destiné au Parquet, qu’un élément de procédure pénale. A ce titre, le procès-verbal est couvert par le secret de l’enquête institué par l’article 11 du code de procédure pénale tel qu’interprété par la chambre criminelle de la Cour de cassation1156 ». 440. Dans une procédure donnant lieu à une instruction, les parties ne sont pas autorisées à obtenir copie des procès-verbaux et ce, en considération du principe du secret de l’instruction posé à l’article 11 du Code de procédure pénale 1157. Au stade du jugement, les parties ont en revanche libre accès aux pièces du dossier, notamment aux procès-verbaux, en vertu de l'article 6, § 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il importe peu qu’elles soient assistées ou non par un avocat1158. 441. De la victime de l’infraction. L’inspection du travail se doit d’informer la victime de l’infraction, laquelle peut être amenée à exercer l’action civile devant les juridictions pénales ou civiles. Pour l’inspection du travail, connaître le choix de la 1155 Conformément à l’article L. 8113-7 du Code du travail, ce n’est qu’en cas d’infraction aux dispositions relatives à la durée du travail qu’un exemplaire d’un procès-verbal doit être remis à la personne visée au procès-verbal. 1156 Avis du Conseil d’Etat du 19 septembre 2011. 1157 Les avocats sont habilités à recevoir des copies de l’ensemble des pièces du dossier, notamment des procès-verbaux (C. Proc. pén., art. 114). Ils peuvent transmettre une reproduction des copies obtenues à leur client (C. Proc. pén., art. 114-1) 1158 Cass. crim., 12 juin 1996, n° 96-80219 : Bull. crim., 1996, n°248. 207 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 victime d’exercer l’action constitue un élément pertinent à exploiter lorsqu’il souhaite que des poursuites soient engagées1159. §II. Le ministère public : auteur de la décision sur la poursuite 442. Un dogme1160. Les poursuites constituent « l’acte procédural par lequel une partie à la procédure, exerçant son action, saisit une juridiction d’instruction ou de jugement, ouvrant ainsi le procès pénal1161 ». Le procureur de la République reçoit les plaintes et « apprécie la suite à leur donner 1162» donc la pertinence des poursuites (I). Toute infraction « poursuivable n’est pas nécessairement poursuivie1163 ». Les infractions « poursuivables » sont nombreuses en droit de la représentation du personnel mais peu d’entre elles font l’objet de poursuites et, a fortiori, de condamnations. Le classement sans suites a des causes multiples : « imperceptibilité » des enjeux, insuffisante qualité des procès-verbaux, complexité de la règlementation. Quelles solutions apportées (II) ? I. 443. Le principe d’opportunité des poursuites L’infraction « poursuivable » s’entend comme celle « commise par une personne dont l’identité et le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l’action publique1164». Le contenu (A) et les limites doivent être précisés (B). Une alternative peut être trouvée (C). A. Une définition 444. Entre indépendance et corrélation. Le système de l’opportunité des poursuites s’oppose à celui de la légalité. Dans ce dernier système, lequel trouve application dans 1159 L’information de la victime est impérative car l’exercice de l’action civile constitue un obstacle à l’engagement de poursuites administratives par l’inspecteur du travail. 1160 J. PRADEL, Procédure Pénale, éd. Cujas, 16 ème éd., 2011, n° 578, p. 515. 1161 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1465, p. 955. 1162 C. Proc. pén., art. 40, al. 1. 1163 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1138, p. 754. 1164 C. Proc. pén., art. 40-1. 208 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de nombreux Etats européens1165, notamment en Allemagne ou en Espagne, le ministère public est tenu de mettre en mouvement l’action publique lorsqu’il estime que les faits portés à sa connaissance constituent une infraction « poursuivable » quels que soient leur gravité ou leurs circonstances. Parmi les bienfaits de ce système, figurent la lisibilité du droit et l’égalité des citoyens devant la loi. En outre, l’action des parquets serait encadrée par la loi et « non surveillée par un ministre soucieux de leurs performances1166 ». Entendre respecter l’égalité des citoyens devant la loi est un objectif louable mais conduit inévitablement à un engorgement des tribunaux. L’automatisme des poursuites paralyse l’action du juge pénal. Si l’égalité du citoyen devant la loi1167 doit « guider l’action du ministère public1168 », une distinction doit être faite entre égalité et égalitarisme. L’accomplissement du principe d’égalité des citoyens devant la loi ne doit pas contraindre à l’uniformité. Il existe « des circonstances tenant à l’acte ou à la personne, qui justifient, pour la même infraction, des traitements différents1169 ». Le principe d’égalité doit se conjuguer « avec un principe inhérent à l’acte judiciaire : celui d’individualisation1170». 445. Or, le système de l’opportunité des poursuites offre « la faculté1171» au parquet de ne pas poursuivre tous les auteurs d’infractions. Ce système individualise « la répression dès le stade de la poursuite, en fonction, notamment de la personnalité de l’auteur présumé et de la gravité des faits reprochés1172 ». Préconisé par le Conseil de 1165 Le principe de légalité des poursuites est notamment en vigueur en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Portugal (cf. Sénat, Etude de législation comparé, n° 195, mars 2009, L’instruction des affaires pénales). 1166 J. LEBLOIS-HAPPE, « Plaidoyer pour la légalité des poursuites », JCP G, 2010, n° 168. 1167 Le principe d’égalité entre les justiciables a valeur constitutionnelle (Constitution du 4 oct. 1958, art. 2 – Déclaration des droits de l’homme, art. 2). 1168 G. CLEMENT, « Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale », in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 276. 1169 M. DELMAS-MARTY, « La politique pénale est-elle une politique publique comme les autres ? », Rev. sc. crim., 1994, p. 154. 1170 G. CLEMENT, « Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale », in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 277. 1171 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de Procédure pénale, Economica, 2 ème éd., 2012, n° 1140, p. 755. 1172 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de Procédure pénale, Economica, 2 ème éd., 2012, n° 1140, p. 755. Pour les professeurs MERLE et VITU, l’opportunité des poursuites permet d’accorder plus d’importance «à la vie de l’affaire et à ses transformations. L’appréciation de l’intérêt général n’a pas lieu une fois pour toutes, au début des poursuites ; elle sous-tend chacune des décisions essentielles prises par le Ministère public, aux moments marquants du déroulement de la procédure » (R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 325, p. 389). 209 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’Europe1173, ce système permet aux tribunaux de maîtriser le flux des affaires et d’adapter la répression à chaque situation1174. Individualisant la poursuite, il porte néanmoins atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi1175. Il méconnait le principe de légalité criminelle1176. Les deux systèmes, en présence, pris « à l’état pur, sont défectueux1177 ». D’aucuns ont estimé qu’il fallait les assortir de correctifs, ce qui peut conduire à relever certaines corrélations1178. De même que des correctifs sont apportés à la flexibilité du système de l’opportunité, les Etats qui ont adopté le système de la légalité des poursuites y apportent quelques tempéraments. Ainsi, l’Allemagne renonce à poursuivre les infractions de faible importance, ne troublant pas gravement l’ordre public1179. B. Des limites 446. Des correctifs ont été apportés au système de l’opportunité des poursuites afin d’éviter tout abus de la part du parquet tenté de ne prendre en considération que « l’intérêt social1180 ». 447. Le premier correctif résulte du contrôle hiérarchique. Cette subordination hiérarchique1181 est « un trait fondamental de l’organisation du ministère public1182 ». Le 1173 Recommandation du Conseil de l’Europe, n° 87 sur la simplification de la justice pénale, 17 sept. 1987, p. 2 et s. ; Recommandation du Conseil de l’Europe, n° 19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, 6 oct. 2000, p. 1et s. 1174 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 592, p. 582. 1175 Les professeurs MERLE et VITU soulignent le risque d’arbitraire: « il est de plus à craindre que, sous le couvert, de l’opportunité, ne s’introduise un intolérable arbitraire, puisque, dit-on le ministère public classera peut-être certaines affaires pour obéir à des injonctions du gouvernement, ou pour favoriser certains coupables haut placés » (R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 324, p. 388). 1176 Le principe d’opportunité des poursuites n’est pas contraire à l’article 6,§1 de la Convention européenne des droits de l’homme (Cass. crim., 21 sept. 1993 : Gaz., Pal. 1993, II, 573). 1177 J. PRADEL, Procédure Pénale, éd. Cujas, 16 ème éd., 2011, n° 577, p. 514; dans le même sens R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 324, p. 388. 1178 J. PRADEL, Procédure Pénale, éd. Cujas, 16 ème éd., 2011, n° 577, p. 514. 1179 Des auteurs notent un rapprochement des deux systèmes. De même que certains correctifs sont apportés à la flexibilité du système de l’opportunité, les Etats ayant adopté le système de la légalité des poursuites y apportent des tempéraments. L’Allemagne renonce à poursuivre les infractions de faible importance, ne troublant pas gravement l’ordre public (F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de Procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1140, p. 755). 1180 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 598, p. 589. 1181 De ce trait caractéristique fondamental, l’amovibilité et la révocabilité des magistrats du parquet découlent. Les magistrats du ministère public peuvent être déplacés, rétrogradés ou révoqués par le garde 210 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 procureur est un représentant de l’exécutif1183. En application du principe d’opportunité des poursuites, le ministère public demeure libre de prendre une décision conforme « à son sentiment personnel1184 ». Toutefois, cette libre décision doit s’intégrer dans une politique pénale plus large. 448. Dans le souci de garantir l’égalité des citoyens devant la loi, le Code de procédure pénale prévoit que les décisions sur l’action publique doivent être prises en considération de la politique pénale conduite au niveau national par le ministre de la Justice, lequel adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique1185. Cette politique publique doit déterminer les priorités à mettre en des sceaux après un avis « simple » de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. A l’inverse, les magistrats du siège sont inamovibles et sont nommés après avis conforme du CSM. 1182 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 171, p. 150. 1183 « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux » (Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958, art. 5) qui représente le pouvoir exécutif et conduit la politique pénale définie par le gouvernement. 1184 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 601, p. 592. 1185 C. Proc. pén., art. 30 - Sur cette pratique : M. DELMAS-MARTY, « La politique pénale est-elle une politique publique comme les autres ? », Rev. sc. crim., 1994, p. 154. Une loi relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique a été adoptée par le Parlement le 27 juillet 2013 (L. n°2013-669 relative aux attributions du Garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique). Cette loi prévoit une modification substantielle des relations entre le garde des sceaux et les parquets en prohibant la possibilité pour le ministre d’adresser des instructions dans des affaires individuelles. La loi abroge partiellement l’article 30 du Code de procédure pénale (al. 3). Autre « nouveauté », la responsabilité de conduire la politique pénale est confiée au Garde des sceaux. La loi se contente ici de reprendre les dispositions existantes au sein du Code de Procédure pénale (C. Proc. pén., art. 30, al. 1 sur la conduite de la politique pénale par le Garde des sceaux). Toutefois, elle confie la conduite de l’action publique aux procureurs généraux près les Cours d’appel. Cette solution est de conduire à une application changeante de la loi pénale selon les Cours d’appel. Toutefois, la loi a le mérite de confirmer une pratique existante en invitant les procureurs généraux à dresser un rapport annuel portant sur l’activité et la gestion des parquets de leurs ressorts. Le rapport portera sur l'application des lois et la mise en œuvre des instructions générales. Le but est de « nourrir la politique pénale pour l'adapter si nécessaire, de prendre si besoin des initiatives législatives et de répondre à des questions parlementaires ». (Ch. TAUBIRA, 27 mars 2013, Présentation du projet de loi aux Procureurs généraux). Reste qu’il s’agit d’une simple confirmation puisque cette mission découlait de la nature même des fonctions confiées au Procureur général. En application de l’article 35 du Code de procédure pénale, il doit veiller à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel et au bon fonctionnement des parquets de son ressort. Interlocuteur privilégié du ministre de la Justice, le procureur général doit lui rendre compte de la mise à exécution de ses instructions dans son ressort. A ce premier projet de loi, s’ajoute un projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature,. Il prévoit une « intervention du Conseil dans les nominations des magistrats est substantiellement renforcée. La nomination de l'ensemble des magistrats du parquet, y compris les procureurs généraux, est subordonnée à son avis conforme. Le pouvoir disciplinaire à l'égard de ces mêmes magistrats, qui appartenait au ministre de la justice, lui revient désormais» (Exposé des motifs). La solution était préconisée de longue date par la doctrine (J. PRADEL, J.-P. LABORDE, « Du ministère public en matière pénale, A l’heure d’une éventuelle autonomie ? », D. 1997, chron. p. 161 – H. MAYNIER, F. CASORLA, « Du procureur général près la Cour de cassation au procureur général de la 211 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 œuvre et fixer les orientations générales de l’action publique. La finalité d’une telle politique réside dans la volonté d’« inscrire le traitement individuel des contentieux dans un cadre d’ensemble visant à une application cohérente de la loi, en fixant des priorités compte tenu des circonstances et en veillant au respect de l’égalité entre les citoyens1186». 449. L’action publique est elle-même harmonisée au niveau régional par le procureur général. Ce dernier est chargé d’animer et de coordonner l’action des procureurs de la République1187 ainsi que la conduite de la politique pénale par les parquets de son ressort1188. Il appartient au procureur de la République de définir localement les priorités pénales en liaison avec les différents représentants de l’Etat de son ressort (préfet, recteur, directeurs des administrations décentralisées, etc.). Les priorités définies dans le cadre de plans départementaux de sécurité doivent être adaptées aux réalités locales. Cette adaptation conduit à reconnaître l’existence d’une véritable « politique des procureurs 1189». Cette politique, qui n’est qu’une heureuse conséquence du principe d’opportunité des poursuites, entraîne une hétérogénéité des pratiques à l’échelon régional1190 qui rend nécessaire « un suivi et une évaluation, une harmonisation et une coordination des pratiques, un contrôle et un suivi de l’action 1191». Ce suivi et cette République », Gaz. Pal., 1993, 1, Doctr., p. 359 - M. DELMAS-MARTY, « La politique pénale est-elle une politique publique comme les autres ? », Rev. sc. crim., 1994, p. 154). Cette loi et ce projet de réforme méritent d’être salués bien qu’une fois encore des critiques peuvent être émises. L’ultime étape devrait conduire le législateur à confier au procureur général près la Cour de cassation les fonctions de chef du parquet afin d’éviter d’accorder une totale liberté aux procureurs généraux pouvant entraîner de graves inégalités entre les parquets. A ce titre, il pourrait enjoindre les procureurs généraux près les Cours d’appel d’engager ou de faire engager les poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites (J. PRADEL, J.-P. LABORDE, « Du ministère public en matière pénale, A l’heure d’une éventuelle autonomie ? », D. 1997, chron. p. 161). Seraient conciliés les principes de la séparation des pouvoirs avec celui nécessaire hiérarchie du ministère public (J. PRADEL, » La procédure pénale, à l’aube du troisième millénaire », D. 2000, chron. p. 1). 1186 Rapport au Président de la République de la commission de réflexion sur la justice, P. TRUCHE, Doc. Française, 1997. 1187 Les procureurs généraux fixent des objectifs, ou des actions prioritaires. D’autres recourent à des lettres de mission. 1188 C. Proc. pén., art. 35. – Les procureurs généraux participent aux plans départementaux de sécurité routière, aux cellules de lutte contre les violences scolaires, aux comités départementaux des chefs de services financiers. 1189 G. CLEMENT, Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale, in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 288. 1190 J. VOLFF, Le ministère public, Que sais je ? PUF, p. 44. 1191 G. CLEMENT, « Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale », in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 288. J. PRADEL ; J.-P. LABORDE, « Du ministère public en matière pénale, à l’heure d’une éventuelle autonomie », D. 1997, Chron., p. 142. 212 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 coordination résultent de la structure pyramidale du ministère public. Elle se traduit matériellement de manière formelle par la rédaction de rapports ou de manière informelle par les échanges nombreux au sein du parquet et entre le ministère public et le Garde des sceaux1192. 450. Reste que ce principe de subordination hiérarchique n’est pas sans limites. Les procureurs généraux et les procureurs de la République disposent d’un pouvoir propre d’engagement des poursuites sans ordre de leurs supérieurs ou contre leur volonté. De telles poursuites demeurent régulières1193. 451. L’instauration d’une politique pénale permet au système de l’opportunité des poursuites de conjuguer le principe d’égalité et celui de l’individualisation des poursuites. L’égalité des citoyens devant la loi « oblige à des réponses pénales cohérentes à l’échelon national, régional, et local 1194». Une politique pénale cohérente ne doit pas avoir pour effet de négliger les disparités existantes à chaque échelon. Il appartient au ministère public de « prioriser » les infractions en fonction de leur gravité mais aussi des caractéristiques propres de son action1195. 452. Deuxième correctif. Le Code de procédure pénale prévoit une obligation d’information générale. Ce devoir est protéiforme et conduit à placer le ministère public au cœur du processus pénal. 453. Première branche du devoir d’information, les acteurs du ministère public sont tenus de faire part à leur supérieur des affaires importantes. Ce devoir implique en outre la rédaction d’un rapport à chaque échelon. Le procureur de la République dresse un état des lieux de l’activité et de la gestion du parquet1196. Un devoir identique est à la 1192 Cette pratique est confirmée par le projet de loi exposé plus haut. « Si par exemple, le Procureur général interdit à un procureur de la république d’exercer l’action publique, le procureur de la république peut tout de même agir et saisir valablement la juridiction répressive. Si au contraire, un procureur général donne au procureur de la république l’ordre de poursuivre et que celui-ci refuse, le procureur général n’a pas la possibilité d’engager les poursuites en ses lieu et place », B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 174, p. 152. 1194 G. CLEMENT, « Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale », in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 277. 1195 Recommandation du Conseil de l’Europe, n° 19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, 6 oct. 2000, n° 3. 1196 C. Proc. pén., art. 35. 1193 213 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 charge du procureur général près la Cour d’appel, lequel adresse au Garde des sceaux un rapport d’activité sur la politique pénale menée dans le ressort de la Cour1197. 454. Seconde branche du devoir d’information, lorsque le ministère public exerce les poursuites ou a recours à une mesure alternative, il se doit d’aviser les plaignants et les victimes. De même, en cas de classement sans suites, le procureur doit en informer ces dernières en leur précisant « les raisons juridiques ou d’opportunité1198 » à l’origine de sa décision. Cette exigence d’information et de motivation conduit « à donner plus de transparence à la justice et réduire le nombre des classements car une motivation pouvant s’avérer malaisée, une réponse systématique sera plus fréquente1199 ». 455. Troisième branche du devoir d’information, il appartient au ministère public d’informer ses partenaires locaux ou régionaux de ses pratiques et de l’orientation de sa politique pénale. Les parquets ont développé une politique de communication en direction des élus1200. Ils peuvent porter à leur connaissance ou à celle des représentants de l’Etat (préfet, recteur ou directeurs des administrations décentralisées, etc.) le taux de réponse pénale accompagné d’explications1201. Ce devoir d’information et de concertation s’accomplit au sein des instances locales telles que les conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance1202. La participation à de telles instances de concertation impose au ministère public « le sens du dialogue et de la communication [et leur permet] d’expliciter la conduite de l’action publique et les choix procéduraux ainsi que les priorités de politique pénale1203 ». 456. Troisième correctif. « L’inertie du ministère public est contrée par l’action de la victime1204 ». Le Code de procédure pénale ouvre à la partie civile la possibilité de porter plainte avec constitution de partie civile1205. Le parquet est alors dans l’obligation 1197 Projet de loi sur l’indépendance de la Justice présenté en Conseil des ministres. C. Proc. pén., art. 40-2. 1199 J. PRADEL, Procédure Pénale, éd. Cujas, 16 ème éd., 2011, n° 578, p. 515. 1200 Rapport Min. Justice, « Maires/ministère public », Dir. des Aff. Crim., et des Grâces, nov. 2003. 1201 Rapport Min. Justice, « Maires/ministère public », Dir. des Aff. Crim., et des Grâces, nov. 2003. 1202 D. n° 2002-999, 17 juill. 2002 relatif aux dispositifs territoriaux de sécurité et de coopération pour la prévention et la lutte contre la délinquance 1203 G. CLEMENT, Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale, in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 290. 1204 J. LEBLOIS-HAPPE, « Plaidoyer pour la légalité des poursuites », JCP G, 2010, 168. 1205 C. Proc. pén., art. 85. 1198 214 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de poursuivre. Il ne peut faire obstacle à l’action de la partie civile pour des raisons d’opportunité1206. 457. Quatrième correctif. Plus que d’un correctif, il s’agit plutôt d’un obstacle temporaire. L’exercice des poursuites par le ministère public est subordonné à une mise en demeure préalable. Celle-ci reçoit application pour les infractions commises en matière d’hygiène ou de sécurité des salariés1207. Cette mise en demeure pourrait être étendue à d’autres dispositions, et singulièrement à celles relatives aux institutions représentatives du personnel. Le délai de régularisation serait fonction de la nature de l’infraction. C. Une alternative 458. Examen. La question posée au parquet réside dans « l’utilité concrète de la répression1208». S’il appartient au législateur de définir la nature des comportements répréhensibles, il revient à l’autorité compétente d’appliquer la loi avec « discernement1209». Le ministère public, appelé à se prononcer « sur le bien-fondé apparent de l’action publique1210», doit examiner les faits portés à sa connaissance. Le Conseil de l’Europe propose une grille de lecture permettant de respecter tant le principe d’égalité de tous devant la loi que celui visant à individualiser la justice pénale. La décision d’engager des poursuites ou d’y renoncer doit se fonder sur la gravité, la nature, les circonstances et les conséquences de l’infraction, mais aussi la personnalité du suspect, la condamnation envisageable, les effets de cette condamnation et la situation personnelle de la victime1211. Il appartient d’abord au parquet de s’assurer de l’existence de l’ensemble des éléments caractérisant l’infraction. Il lui appartient ensuite de déterminer « le sujet passif de l’action publique1212 ». S’agit-il d’une personne 1206 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de Procédure pénale, Economica, 2 ème éd., 2012, n° 1140, p. 755. 1207 C. trav., art. L. 4721-4. 1208 R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 325, p. 389. 1209 J. LEBLOIS-HAPPE, « Plaidoyer pour la légalité des poursuites », JCP G, 2010, n° 168. 1210 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 590, p. 580. 1211 Recommandation du Conseil de l’Europe, n° 87 sur la simplification de la justice pénale, 17 sept. 1987, p. 2 et s. 1212 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 165, p. 144. 215 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 physique ou d’une personne morale ? La personne visée bénéficie-elle de faits justificatifs, d’une cause de non imputabilité ou d’immunité ? Le parquet se prononce enfin sur la recevabilité de l’action publique. Il doit s’assurer de l’existence des conditions permettant le prononcé par le juge d’une éventuelle condamnation. Des réponses apportées par le ministère public, la décision d’engager ou non les poursuites découlera. 459. Une réponse pénale1213. Le parquet peut décider d’engager les poursuites par la voie d’une citation directe, en incitant l’ouverture d’une information judiciaire par un juge d’instruction ou en recourant aux techniques dites « de poursuites alternatives » à l’image de la comparution immédiate ou de la convocation sur procès-verbal. A côté de l’exercice des poursuites et du classement sans suites, une troisième voie lui est ouverte, celle de l’alternative aux poursuites. Le ministère public subordonne « sa décision à l’attitude ultérieure de l’auteur de l’infraction 1214» en recourant notamment à la médiation pénale, à la composition pénale ou à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Sous réserve de remplir les conditions légalement posées, l’utilisation d’alternatives aux poursuites conduit au classement sans suites des infractions. L’emploi de ces mécanismes remédie à l’encombrement des tribunaux et rend plus efficace l’action de la justice. 460. L’exercice des poursuites et l’emploi de mesures alternatives constituent les deux mouvements de la « réponse pénale1215 ». Cette notion prend la forme, en pratique, du taux d’affaires « poursuivables ». En 2011, le taux de réponse pénale était de 88,7%. Son corollaire, le taux de classement sans suites, représente la part des affaires « poursuivables » qui n’ont pas reçu de réponse judiciaire. S’agissant de la décision du ministère public d’engager les poursuites, cette dernière est marquée du sceau de l’irréversibilité. Le ministère public ne peut revenir sur une décision de poursuite. Le principe d’indisponibilité interdit au parquet d’arrêter les poursuites une fois qu’elles sont engagées. L’action publique ne peut s’achever que par une décision du juge 1213 La notion de « réponse pénale » est apparue dans l’article 6 de la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et programmation pour la Justice (n° 2002-1138, JORF 10 sept. 2002, p. 14934). 1214 R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 328, p. 392. 1215 Sur l’étude des modalités d’exercice de la réponse pénale voir Section II du présent chapitre. 216 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’instruction (un non lieu), ou d’une juridiction de jugement (une relaxe ou une condamnation). Ce système permet d’assurer le respect du principe d’indépendance entre les juridictions d’instruction et de jugement1216. 461. Un classement sans suites. Une première catégorie de classements sans suites concerne les infractions insusceptibles de poursuites que l’auteur de l’infraction soit inconnu, ou en raison de l’extinction de l’action publique, ou encore parce que l’infraction est insuffisamment caractérisée. En 2011, cette catégorie représentait plus de 70 % (3 333 020) des affaires traitées (4 751 586) par les services du Parquet1217. Ces affaires sont considérées comme non « poursuivables » en raison de charges insuffisantes1218. 462. Une seconde catégorie concerne les classements sans suites précédés de la réussite de l’une des mesures alternatives aux poursuites, laquelle n’a pas été provoqué l’extinction de l’action publique. Cette catégorie concerne aussi les classements sans suites « secs » ou d’opportunité non précédés d’une quelconque réponse pénale. Sur les 30% restant (1 418 566), les infractions ayant donné lieu à des poursuites représentent 44,3% (628 368) et celles ayant donné lieu à des alternatives aux poursuites représentent 39,3% (558 0031219) des affaires traitées. Les classements sans suite ne représentent que 11,3% des affaires « poursuivables » (159 676). Le législateur a fait preuve d’hostilité à l’égard de tels classements, ces derniers ne pouvant être justifiés que par des « circonstances particulières liées à la commission des faits1220 ». La rédaction du troisièmement de l’article 40-1 du Code de procédure pénale devait accroître le nombre des classements sans suite ordinaires. Reste que le législateur est demeuré silencieux quant à la nature des circonstances justifiant un classement d’opportunité. En pratique, le ministère public recourt à de tels classements face à des infractions mineures, ne représentant pas une réelle menace pour l’ordre public. L’inaction de la victime ou son opposition à l’engagement d’une action publique, le comportement fautif de la victime, la réparation spontanée assurée par l’auteur de 1216 J. PRADEL, Procédure Pénale, éd. Cujas, 16ème éd., 2011, n° 578, p. 515. En 2011, 5 243 334 procès-verbaux ont été reçus. 1218 Les chiffres clés de la Justice 2012, Ministère de la Justice. 1219 Les chiffres clés de la Justice 2012, Ministère de la Justice. 1220 C. proc. pén., art. 40-1. 1217 217 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’infraction, la régularisation de la situation sont autant de données permettant au ministère public d’asseoir une décision de classement d’opportunité1221. Lorsque l’employeur fait « amende honorable1222 », la réparation du dommage peut prendre une forme pécuniaire ou matérielle. Auteur d’un délit d’entrave, ayant donné lieu à la transmission d’un procès-verbal au ministère public, l’employeur régularise sa situation en procédant à l’information et à la consultation des représentants du personnel. Le ministère public peut alors s’abstenir d’engager des poursuites. 463. La décision de classement sans suites est une mesure d’administration judiciaire1223, dépourvue de l’autorité de la chose jugée1224. Une telle décision peut donner lieu à un recours hiérarchique de la victime auprès du procureur général près la Cour d’appel1225. En outre, la victime d’une infraction classée peut mettre en mouvement l’action publique par le biais d’une plainte avec constitution de partie civile ou par voie de citation directe devant une juridiction de jugement. II. 464. Le principe d’opportunité des poursuites en droit pénal du travail Les causes de classement sans suites sont nombreuses. Certaines causes sont propres au droit du travail, d’autres sont inhérentes à toute infraction (A). Le classement sans suites emporte des effets non négligeables sur l’action de l’administration (B). Toutefois, des remèdes existent (C). 1221 Les chiffres clés de la Justice 2012 visent les recherches infructueuses, les désistements ou carences du plaignant, un état mental déficient, la responsabilité de la victime, le désintérêt, la régularisation, le préjudice, le trouble peu important. 1222 L’amende honorable était une peine infamante d’Ancien Régime. La peine consistait pour le condamné à reconnaître publiquement sa faute et à en demander pardon à Dieu, à la société et aux hommes. Très courante, cette peine était seule appliquée aux fautes d’une faible gravité. 1223 R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 329, p. 392 ; A. VITU, « Le classement sans suite », Rev. sc. crim., 1947, p. 505. 1224 Cette décision a un caractère provisoire. Le ministère public peut encore revenir sur sa décision à condition que l’action publique ne soit pas éteinte. Il importe peu que de nouveaux éléments soient intervenus ou non. Le ministère public n’a pas à justifier sa décision. 1225 La décision de classement sans suite n’est pas une décision juridictionnelle mais une décision administrative (Cass. crim., 6 juin 1952 : Bull. crim., n° 142 ; Cass. crim., 5 déc. 1972 : Bull. crim., n° 375, Rev. sc. crim., 1973, p. 716, obs. J.-H. ROBERT). 218 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 A. Les causes du classement sans suites 465. Causes propres au droit du travail. Les causes du classement sans suites en droit du travail sont quasi « idéologiques ». Le ministère public est peu disposé à engager des poursuites contre les chefs d’entreprise. Ces derniers ne perçoivent pas nécessairement « les enjeux financiers et sociaux attachés à l’infraction1226 ». S’il ne fait aucun doute que les magistrats contribuent « à l’ineffectivité du droit pénal du travail 1227», il ne s’agit pas ici de dénoncer un quelconque désintérêt pour la matière. L’imperceptibilité des enjeux trouve sa justification dans la complexification croissante du droit du travail et sa versatilité. L’on ne peut que constater l’enrichissement constant du droit de la santé et de la sécurité, la spécificité de la réglementation en matière de durée du travail, l’évolution continue du droit de la représentation collective et ses péripéties jurisprudentielles, ou encore l’impact de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 relatif à la sécurisation de l’emploi sur les restructurations mais aussi sur les modalités d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel. La place prise par le droit européen et le droit international ou les questions prioritaires de constitutionnalité aggravent le phénomène1228. L’ineffectivité du droit du travail tiendrait au droit du travail1229. Or, la formation des magistrats en droit du travail est quasi absente des programmes de l’Ecole nationale de la magistrature. Il appartient aux magistrats de s’informer et de se former eux-mêmes ce qui nécessite « un investissement en temps (…) important1230 ». Ce dernier élément est corroboré par une constatation factuelle : le taux de classement sans suites est moins élevé là où il existe un magistrat spécialisé. 1226 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 962. J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 388. 1228 Th. KAPP, J-P. TERRIER, P. RAMACKERS, «Les mutations de l’inspection du travail », SSL, 2012, n° 1561, p. 4. 1229 « Ainsi, passe-t-on à l’organisation du procès du droit du travail : droit obèse, composé de normes de nature et d’intérêt divers que l’on retrouve dans un code qui n’en a que le nom, compilation dans laquelle le plus grand des compétents ne pourrait se retrouver. Le ministre du travail, Jacques Barrot, a indiqué combien cette complexité du droit du travail, « pour réelle qu’elle soit sur certains points, peut aussi être parfois l’alibi de l’incivisme ou de refus de l’engagement » (Circ. DRT 96/1 du 30 janvier 1996, relative aux orientations d’action dans le domaine des relations de travail) » (Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité et ineffectivité du droit du travail », Dr. social, 1996, p. 598). 1230 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 962. 1227 219 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 466. Causes inhérentes à toute infraction. Toute règle de droit comporte « un pourcentage toujours appréciable parfois considérable d’ineffectivité1231 ». Ces ineffectivités partielles trouvent leur source dans des causes fortuites ou réfléchies. Les premières sont étrangères à la volonté des gouvernants : le criminel échappe à la justice. Les secondes résultent de la volonté du ministère public. Ce phénomène de « tolérance administrative1232» est défini par le Doyen CARBONNIER comme un « acte de volonté du pouvoir à des fins d’intérêt public1233 ». Ce phénomène conduit le ministère public à ne plus croire opportun d’exercer les poursuites et ce, même en présence des éléments constitutifs de l’infraction. Mais ce phénomène n’est pas irréversible. Il n’est pas exclu qu’à l’avenir des poursuites soient à nouveau engagées. Le principe d’opportunité des poursuites peut conduire à rendre ineffectives un certain nombre d’infractions, notamment celles de faible gravité qui n’intéressent pas ou peu l’ordre public. Le principe d’opportunité des poursuites trouve pleinement à s’appliquer dans cette dernière catégorie. En fonction de la nature de l’infraction, de sa gravité, mais aussi des choix arrêtés au titre de la politique pénale nationale ou locale, le ministère public effectue un choix dans l’engagement des poursuites. Le critère emprunté est celui de la gravité de l’infraction et de l’atteinte portée à l’ordre public ; il renvoie à la distinction opérée par GAROFALO, lequel distingue les crimes et délits par nature des crimes par détermination de la loi. Si les premiers peuvent se définir comme « des actes graves réprouvés par la collectivité », les seconds ont été érigés par l’Etat « en infractions pour des raisons politiques, économiques, sociales, liées à son action1234». Le droit pénal du travail, spécialement le délit d’entrave, appartient à la catégorie des infractions par détermination de la loi. Ces infractions ne bénéficient pas d’une présomption de gravité. En outre, le ministère public a tendance « à considérer que la vie intérieure (…) des entreprises relève d’un ordre privé et donc intéresse peu l’ordre public1235 ». A l’exception des infractions relatives à la santé et à la sécurité et celles relatives au travail illégal, les autres infractions de droit pénal du travail, ne sont pas prioritaires. 1231 J. CARBONNIER, Flexible Droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10 ème éd., 2001, p. 142. 1232 J. CARBONNIER, op. cit., p.141. 1233 J. CARBONNIER, op. cit., p.141. 1234 J. LEAUTE, « Criminologie et science pénitentiaire », PUF, 1972, p. 29. 1235 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 962. 220 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 467. Il n’existe pas a priori de prédispositions au désintérêt du ministère public pour le droit pénal du travail. Toutefois, consciemment ou non, il ne mesure pas nécessairement son importance et les enjeux qui s’y attachent. L’inspection du travail doit faire preuve de pédagogie en annexant un rapport à ses procès-verbaux précisant notamment les enjeux de l’infraction1236. B. Les effets du classement sans suites 468. Nocif. Un classement d’opportunité favorise « chez l’auteur de l’infraction un sentiment d’impunité et chez la victime un sentiment d’injustice et d’insécurité1237» et « décrédibilise » l’action de l’inspection du travail. 469. « Zhǐ lǎohǔ1238 » (Tigre de papier). La décision de classement sans suites, lorsqu’elle se « justifie » par la faible gravité de l’infraction, entraîne une perte de crédibilité de l’inspection du travail1239. Elle est nécessairement analysée comme un désaveu mettant l’inspecteur du travail en difficulté face à l’entreprise verbalisée qu’il est amené à revoir par la suite. Le juge a-t-il « pleine conscience d’avoir un pouvoir singulier, celui de décrédibiliser la parole et l’intervention de l’inspecteur dans l’entreprise 1240 »? Le système de l’inspection du travail se fonde sur la menace du procès-verbal qui permet d’obtenir une régularisation de la situation. Elle est la « pierre angulaire de la prévention ; or tout s’effondre si la menace n’a pas d’effet dissuasif, si c’est un tigre de papier1241». 470. Dépénalisation de fait. Il existe « un très faible niveau de répression pénale, surtout si on le rapproche du nombre élevé d’infractions constatées par les seuls services 1236 B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, 2000, p. 962. F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1160, p. 768. 1238 Lentigre de papier est la traduction littérale de l'expression chinoise « zhǐ lǎohǔ », désignant une chose apparemment menaçante, mais en réalité inoffensive . 1239 «Tout inspecteur sait les dangers qu’encourt son action future dans l’entreprise dès lors que son procès-verbal sera classé sans suites (…)» (Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité et ineffectivité du droit du travail », Dr. social, 1996, p. 604) – « La relaxe, comme la faiblesse des condamnations, sont autant de fils qui retiennent la main de celui qui pourrait dresser procès-verbal » (J.C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 380). 1240 Ph. AUVERGNON, op. cit., Dr. social, 1996, p. 604. 1241 B. SILHOL, op. cit., p. 962. 1237 221 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de l’inspection du travail au cours de leurs activités de contrôle1242 ». Sans, toutefois, se garder d’interpréter « cette disproportion entre faits constatés et faits sanctionnés comme une preuve d’ineffectivité du droit 1243», il n’en demeure pas moins que l’on assiste à une dépénalisation de fait de pans entiers de la législation du droit pénal du travail1244. C. Les remèdes au classement sans suites 471. Comment améliorer l’articulation des interventions du juge et de l’inspection du travail ? La mission de celle-ci ne peut être réduite à une fonction répressive. Elle est aussi majoritairement préventive. Des procès-verbaux sont dressés lorsque l’infraction est empreinte d’une certaine gravité et nécessite une réponse pénale1245. L’inspection du travail peut avoir du mal à comprendre des classements sans suite ou des condamnations insignifiantes. A l’opposé, le ministère public reste parfois dubitatif devant les procèsverbaux dressés par les inspecteurs du travail. Il attend souvent un avis ou un commentaire technique explicitant les raisons du procès-verbal. 472. Chantiers1246. L’élaboration d’une véritable politique pénale en droit du travail (1°) et le développement des relations institutionnelles entre parquets et directions du travail (2°) s’imposent. 1°. Un partenariat privilégié 1242 E. SERVERIN, «L’application des sanctions pénales en droit social : un traitement juridictionnel marginal », Dr. social, 1994, p.657. 1243 E. SERVERIN, op. cit., Dr. social, 1994, p.657. 1244 La dépénalisation de fait ne conduit pas nécessairement à une ineffectivité totale de la règle de droit. Le recours par l’inspection du travail à des moyens divers (mise en demeure, lettre d’observations, etc.) rend effective, du moins partiellement, l’application du droit du travail dans les entreprises. L’utilisation de ces moyens alternatifs conduit à s’interroger sur l’utilité de la sanction en droit pénal. 1245 Les inspecteurs du travail estiment que « le tri de gravité a été fait » (Ph. AUVERGNON, Etude sur les sanctions et mesures correctives de l’inspection du travail : le cas de la France, Rapp. BIT, avr. 2011, n° 3.5.). 1246 Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE, Respect du droit du travail : entre politique de contrôle et politique pénale, DRTEFP, 2004, p. 73 ; Th. KAPP, J-P. TERRIER, P. RAMACKERS, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2013, 2 ème éd., p. 434 ; Ph. AUVERGNON, Etude sur les sanctions et mesures correctives de l’inspection du travail : le cas de la France, Rapp. BIT, avr. 2011, n° 3.6. 222 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 473. Un concept. L’information « initie la transparence, la concertation et le dialogue1247 ». Dès les années 1970, a été établi un lien entre parquet et inspection du travail dans certaines régions1248. Le principe de ces rencontres est posé par un ensemble de circulaires du ministère de la Justice1249 et une note conjointe des ministères de la Justice et du Travail du 28 mars 20021250. Est privilégié le principe de concertation entre l’inspection du travail et les parquets. Une meilleure connaissance des attributions, des contraintes et des limites des actions respectives est « de nature à régler, en les anticipant, des difficultés qui pourraient naître d’une simple incompréhension des règles qui régissent nos fonctionnements1251 ». Cette concertation se traduit en pratique par des réunions périodiques. Est préconisée une réunion annuelle1252. A notre sens, le nombre de rencontres doit être fonction de la taille, du nombre et de l’implantation géographique des différents services, tant judiciaires qu’ administratifs. 474. Cette concertation vise un triple objectif : 1) la compréhension de la politique suivie, par l’inspection du travail ; le ministère public est invité à « améliorer la prise en charge du traitement pénal par un examen attentif des procédures initiées par l’inspection du travail au moyen d’une présentation des actions de contrôle retenues localement par le directeur1253 » ; 2) améliorer le suivi judiciaire des procès-verbaux (résultats des audiences, existence de voies de recours, etc) ; 3) obtenir dans certains cas graves un traitement prioritaire. 475. Le dialogue. Lorsque l’inspecteur du travail se situe dans la perspective d’une sanction pénale, il ne dispose d’aucun moyen officiel pour suivre la procédure engagée et connaître son résultat. Il appartient aux agents de contrôle et aux magistrats du 1247 G. CLEMENT, « Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale », in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire, Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p.290. 1248 M. COLCOMBET, Table Ronde, RPDS, n° 357, janv. 1975, p. 18-19. 1249 Circ. Min. Justice, 2 mai 1977 ; Circ. Min. Justice, 1er mars 1990. 1250 Note d’orientation – Min. Justice – Min. Travail, n° 2002-04 du 28 mars 2002 concernant les relations entre les parquets et les directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, BO Trav., n° 2002/11, 20 juin 2002. 1251 Note d’orientation – Min. Justice – Min. Travail, n° 2002-04 du 28 mars 2002, op. cit., introduction. 1252 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 256. 1253 Note d’orientation – Min. Justice – Min. Travail, n° 2002-04 du 28 mars 2002, op. cit., introduction. 223 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 parquet chargés du droit du travail de nouer des contacts personnels réciproques1254. De tels contacts peuvent se traduire par un effort de coordination. Mais un tel dialogue dépend de la bonne volonté des protagonistes. 476. Absentes, informelles, personnalisées ou institutionnalisées, l’existence de relations entre les services diffère selon les régions1255. L’approche retenue par le département des Landes en matière de suivi des procédures pénales a valeur d’exemple. Une relation personnalisée a été mise en place entre un agent de l’inspection du travail et le Parquet. L’inspecteur du travail centralise les procès-verbaux et les demandes d’avis du ministère public. Il assiste aux audiences relatives au droit du travail lesquelles sont spécialisées. Il assure « un suivi très dynamique des procédures transmises au Parquet en lui présentant personnellement l’intégralité des dossiers ainsi que leurs enjeux économiques et sociaux1256 ». Dans un département limitrophe, un mode de fonctionnement analogue a été adopté. Marqué par l’absence de référent, il repose néanmoins sur une relation personnalisée conduisant à une information systématique des dates d’audience et à une assistance à celles-ci. Cette collaboration, minimale ou maximale, est efficace et effective. Elle conduit le parquet à ne procéder à aucun classement sans suite des procès-verbaux, à des délais de jugement satisfaisants et à l’utilisation des procédures alternatives aux poursuites. Il appartient à la Direction générale du travail et aux ministères du Travail et de la Justice d’assurer la généralisation de ces pratiques. 477. Au sein du ministère public, il appartient au procureur de la République de désigner un membre du parquet comme référent ou interlocuteur privilégié de l’inspection du travail. Cette exigence de spécialisation des membres du parquet n’est pas nouvelle. Une circulaire interministérielle du 28 octobre 1997 recommande aux procureurs de la République de « sectoriser » l’organisation des parquets de « façon à 1254 J. MICHEL, op. cit., p. 257. Cf. « L’approche département par département » en région Aquitaine opérée en 2004 par Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE (cf. Respect du droit du travail : entre politique de contrôle et politique pénale, DRTEFP, 2004, p. 46). 1256 Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE, op. cit., p. 48. 1255 224 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 mieux adapter l’exercice de l’action publique à la réalité de la délinquance et allier ainsi proximité dans le temps (…), à la proximité dans l’espace1257 ». 478. La question d’un éventuel recours au traitement instantané1258 demeure. Ce système1259 « recouvre au profit de la société et de la victime, une réponse pénale rapide et adaptée : les procédures sont traitées dans la mesure du possible dans le temps le plus proche de la constatation des faits et de l’aboutissement de l’enquête ». Le « traitement » induit l’exercice par le ministère public de l’opportunité des poursuites. Il convient de parvenir à la simultanéité du temps de l’enquête de police et du temps du parquet. Ce traitement peut assurer1260 « l’instantanéité des deux phases d’enquêtes1261 » et la célérité de la procédure. L’existence de nouveaux modes d’exercice des poursuites ou d’alternatives aux poursuites, de même que les innovations en matière de nouvelles technologies rendent nécessaire la création de nouvelles formes de communication. Le développement de la téléphonie mobile, le courrier électronique, la visioconférence sont autant de moyens techniques au service de la justice avec lesquels le ministère public doit se familiariser1262 en vue de faciliter le dialogue établit entre les enquêteurs et le parquet1263. 479. Le traitement instantané présente un intérêt certain en droit pénal du travail et singulièrement en matière de santé et de sécurité à l’occasion d’accidents du travail conduisant au décès d’un salarié et en matière de représentation du personnel à l’occasion de restructurations donnant lieu à des procédures d’information et de 1257 Circ. Interministérielle relative à la mise en œuvre des contrats locaux de sécurité, 28 oct. 1997, II, 3. - Recommandation du Conseil de l’Europe, n° 19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale, 6 oct. 2000, n° 8. 1258 F. ZOCCHETTO, Rapport d’information n° 17 du sénat relatif aux procédures accélérées de jugement en matière pénale, 2005-2006. 1259 Sur la question de la nature juridique : cf. C. MIANSONI, « La nature juridique du traitement en temps réel des procédures pénales », AJ Pénal, 2012, p. 152. 1260 Pour une opinion contraire : G. CLEMENT, « Les métamorphoses du Ministère public en matière pénale », in Le droit Pénal à l’aube du troisième millénaire », Mél., J. PRADEL, Cujas, 2006, p. 274. Sur cette question voir B. BASTARD, C. MOUHANA, L’urgence comme politique pénale ? Le traitement en temps réel des affaires pénales, Arch. Pol. Crim., 2006/1, n° 28. 1261 C. MIANSONI, « La nature juridique du traitement en temps réel des procédures pénales », AJ Pénal, 2012, p. 152 ; F. DEBOVE, « La justice pénale instantanée, entre miracles et mirages », Dr. pén., 2006, Etude, n° 19. 1262 B. BASTARD, C. MOUHANA, « L’urgence comme politique pénale ? Le traitement en temps réel des affaires pénales », Arch. Pol. Crim., 2006/1, n° 28, p. 153. 1263 C. MIANSONI, op. cit., p. 152. 225 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 consultation. Ce mode d’organisation assure l’instauration d’un dialogue entre les services du parquet et ceux de l’inspection du travail. 480. La transparence. En 2007, a été créé au sein de la direction générale du travail l’Observatoire des suites pénales réservées aux procès-verbaux de l’inspection du travail1264. Evaluer et valoriser l’action pénale de l’inspection du travail tel est l’objectif poursuivi : l’observatoire doit connaître des suites réservées aux procédures pénales transmises aux parquets par l’inspection du travail, apporter un appui aux services déconcentrés dans la mise en œuvre de l’outil pénal et améliorer la qualité rédactionnelle des procès-verbaux. Il doit faciliter l’élaboration de propositions en matière de sanction pénale ou administrative. Enfin, il doit permettre d’élaborer une politique pénale du travail en concertation avec le ministère de la Justice. 2°. 481. Vers une politique pénale du travail L’ensemble des moyens présentés ne sauraient être efficients qu’à la condition de s’inscrire dans une politique pénale du travail1265. Le ministère public est la clé de voûte de la déclinaison régionale de la politique pénale définie par le gouvernement. Il lui appartient de déterminer les priorités en fonction des réalités de son ressort. Or, en matière de droit du travail, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de politique pénale gouvernementale ; au mieux les parquetiers sont dans l’auto-définition1266 (a). La mise en œuvre d’une politique pénale induit plusieurs évolutions : une réflexion menée sur la formation des magistrats (b), le recours systématique aux alternatives aux poursuites (c) et l’instauration d’audiences spécialisées (d). 1264 Note DGT du 14 mars 2007 relative à la mise en place d’un observatoire des suites pénales réservées aux procès-verbaux de l’Inspection du travail. 1265 En ce sens : J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 254 : « S’il est une mesure qui recueille le consensus, c’est bien celle de la définition et de la mise en œuvre d’une véritable politique pénale. Pas une rencontre avec les personnels de l’inspection du travail, leurs organisations syndicales, les associations de l’inspection du travail et les confédérations syndicales de salariés sans que n’ait été déplorée l’absence totale de toute politique pénale en droit du travail et sans que l’accent ait été mis avec une particulière insistance sur l’impérieuse nécessité qu’il y a de la définir et de la mettre en œuvre ». 1266 Ph. AUVERGNON et S. LAVIOLETTE, Respect du droit du travail : entre politique de contrôle et politique pénale, DRTEFP, 2004, p. 73. 226 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 a. Une détermination conjointe 482. Les ministères de la Justice et du Travail doivent déterminer conjointement la politique pénale du travail en procédant à la réécriture de la note d’orientation du 28 mars 2002. Cette politique doit tenir compte des actions nationales et locales, des problématiques propres à l’inspection du travail, de la politique pénale des parquets. Il convient de déterminer, au regard notamment des résultats fournis par l’Observatoire des suites pénales, les infractions présentant un degré de gravité justifiant qu’elles soient traitées en priorité. Parmi ces infractions, celles relatives à la santé et la sécurité, au travail dissimulé et à la représentation du personnel (spécialement celles relatives à l’information et la consultation en matière de restructuration) doivent être traitées prioritairement. Il faut définir avec précision les règles de fonctionnement du parquet, des unités territoriales et des inspecteurs du travail avec l’ambition de sensibiliser le premier aux procédures spécifiques à l’inspection du travail. Il est par ailleurs nécessaire de prévoir la formalisation du suivi administratif des procédures, peu important qu’il s’agisse des signalements au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale ou des procès-verbaux, et de traiter des modalités d’exercice des voies de recours et de la connaissance des avis de classement sans suites et de leurs motifs. 483. Dans le ressort des tribunaux de grande instance dans lesquels se trouvent des zones importantes d’activités industrielles ou tertiaires, il importe que soit créée une section spécialisée dans les infractions sociales, économiques et financières à la tête de laquelle se trouverait un magistrat du parquet spécialisé. Il lui appartiendra non seulement d’orienter les investigations et d’en suivre les développements, mais aussi d’établir par un dialogue constant un climat propice à une application effective des priorités de politique pénale du travail. Pour les autres tribunaux de grande instance, la participation d’un représentant de l’unité territoriale aux audiences ou à certaines d’entre elles, notamment pour les procédures « sensibles », serait pertinent. b. La formation 484. La formation des magistrats (1) et des inspecteurs du travail (2) comporte d’incontestables marges de progression. 227 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 1) La formation des magistrats 485. Formation initiale. Outre les différents stages qu’ils sont amenés à effectuer dans le cadre de leur formation à l’ENM, les auditeurs de justice sont assujettis à des périodes d’étude et de préparation aux premières fonctions. Ces périodes ont notamment pour objectif1267 l’acquisition des compétences fondamentales du métier de magistrat1268 et l’acquisition des techniques professionnelles fondamentales communes ou propres aux différentes fonctions1269. Les formations s’organisent autour de différents pôles portant notamment sur le processus de décision et de formalisation de la justice civile et pénale, sur la communication judiciaire, sur l’administration de la justice ou sur la « vie de l’entreprise ». 486. Chaque pôle de formation dispense deux cycles de formation : le premier commun à tous les auditeurs, le second tenant compte de la fonction choisie1270. S’agissant du pôle de formation « vie de l’entreprise », les enseignements dispensés à tous les auditeurs portent sur l’environnement économique et social et donnent lieu à des conférences relatives à l’intelligence économique, la régulation ou le dialogue social. En outre, les auditeurs sont sensibilisés au « management » des entreprises ainsi qu’aux différentes étapes de la vie des sociétés (constitution, procédures collectives, dissolution, etc.). Le second cycle de formation tenant compte de la fonction choisie, et précédant l’entrée en fonction, vise à approfondir les contentieux et les procédures propres aux futures fonctions exercées au pénal et au civil (délinquance économique, financière et technique). 487. Les enseignements dispensés portent en droit sur le droit processuel1271, non (ou très peu) sur le droit matériel1272. Ne pourrait-on pas envisager d’inclure au sein du 1267 Programme pédagogique, août 2012, http://www.enm-justice.fr. Il s’agit des compétences en matière d’éthique, de déontologie ou de communication (IX Programme pédagogique, août 2012, objectifs des séquences de formation). 1269 Les thèmes abordés portent sur la prise de décision, l’écrit judiciaire, l’oralité judiciaire, etc. (IX Programme pédagogique, août 2012, objectifs des séquences de formation). 1270 La période précédant la première prise de fonction doit permettre aux auditeurs d’approfondir les techniques professionnelles ainsi que d’acquérir des éléments d’environnement propres à l’exercice de la fonction choisie (IX - Programme pédagogique, août 2012, objectifs des séquences de formation). 1271 Sont visés les enseignements relatifs à la procédure pénale, la procédure civile, l’organisation juridictionnelle privée, etc. 1272 Ou substantiel – sont visés les enseignements qui attraient « au fond du Droit, fondé sur les divisions du Droit » (G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2008). 1268 228 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 cursus de formation des magistrats, spécialement dans le second cycle de formation précédant la première prise de fonction, un enseignement portant sur le droit matériel en lien avec la fonction choisie ou avec le champ d’intervention du magistrat lorsque la fonction choisie reste large ? 488. Formation continue. Les actions de formation continue prennent en compte le droit matériel. Le droit social, au même titre que les autres branches du droit, paraît « davantage pris en compte dans le cadre de la formation continue1273 ». En 2013, des actions de formation ont notamment été organisées sur l’actualité jurisprudentielle en droit du travail, le contentieux de la sécurité sociale ou encore la lutte contre le travail illégal1274. 2) La formation des inspecteurs du travail 489. Formation initiale et continue. Dispensée par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, la formation initiale des inspecteurs du travail comporte en alternance des périodes d’enseignement à l’Institut et des stages hors de ce dernier. Les enseignements dispensés au cours de ces deux périodes portent notamment sur les politiques du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, l'entreprise et les différents milieux d'intervention, le cadre juridique et les instruments de l'action de l'administration, ou les disciplines juridiques, scientifiques et techniques touchant aux relations et conditions de travail1275. Des enseignements de droit pénal sont présents tout au long du cursus de formation1276. Ils visent à permettre aux inspecteurs du travail de maîtriser la procédure et le droit pénal ainsi que la rédaction des constats et des procès-verbaux. Cette formation est complétée par un stage en juridiction et au sein des services déconcentrés au cours desquels les inspecteurs-élèves sont amenés à rédiger des procès-verbaux. 1273 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 268. 1274 Catalogue 2013 de la formation continue, ENM, http://www.enm-justice.fr. 1275 Arrêté du 28 juin 2000, fixant les modalités de la formation et les conditions d’évaluation et de sanction de la scolarité des inspecteurs-élèves, NOR : MESO0010486A, art. 3. 1276 Pour une présentation exhaustive de la formation : J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 260 - http://www.institutformation.travail.gouv.fr/. 229 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 490. Les inspecteurs du travail bénéficient d’une formation continue articulée autour des règles de procédure pénale et l’élaboration d’une stratégie pénale en lien avec le ministère public1277. 491. Vœu. Le renforcement des formations induit nécessairement celui des liens entre l’INTEFP et l’ENM1278. Ce rapprochement doit permettre aux magistrats et aux inspecteurs du travail d’appréhender les enjeux économiques, sociaux et judiciaires et d’approfondir la connaissance de leurs métiers respectifs. Il apparaît nécessaire de développer, au sein même des cursus de formation initiale et continue, des stages d’accueil réciproque1279. Ce rapprochement « s’inscrit – et s’impose - tout naturellement dans le cadre de la mise en œuvre d’une véritable politique pénale en droit du travail1280 ». c. Systématiser le recours aux alternatives aux poursuites 492. Troisième voie. Nées de la pratique des parquets, les mesures alternatives constituent une véritable troisième voie1281. Les membres du ministère public sont encouragés à y recourir afin de désengorger les tribunaux tout en assurant une réponse pénale aux procès-verbaux transmis par l’inspection du travail1282. 1) La finalité des alternatives aux poursuites 493. Désengorger. Le recours aux alternatives réparatrices ou punitives visent « à accroître la capacité de traitement de l’institution judiciaire, c’est-à-dire à augmenter le 1277 Sur le contenu des formations : cf. J. MICHEL, op. cit., p. 262 - http://www.institutformation.travail.gouv.fr/. 1278 L’INTEFP organise ainsi des cycles de formation à destination des magistrats : Catalogue 2013 de la formation continue, ENM, http://www.enm-justice.fr. 1279 J. MICHEL, op. cit., p. 269. 1280 J. MICHEL, op. cit., p. 269. 1281 L’article 40-1 du Code de procédure pénale, tel qu’il résulte de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (n° 2004-204, art. 68), identifie distinctement trois voies : l’engagement des poursuites, le recours à une alternative aux poursuites et le classement sans suites. La loi du 9 mars 2004 « installe clairement les alternatives aux poursuites comme une voie nouvelle ouverte à l’action publique » (M.-C. DESDEVISES, L’option entre prévention et répression : les alternatives aux poursuites, un nouveau droit pénal des majeurs, in Mél. R. OTTENHOF, Le champ pénal, Dalloz, 2006, p. 168). 1282 Puisqu’elles apportent une réponse pénale à une infraction, les alternatives aux poursuites constituent une action à fin publique (Ph. CONTE, « La nature juridique des procédures alternatives aux poursuites : de l’action publique à l’action à fin publique ? », Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et sciences criminologiques, PUAM, 2007, p. 189). 230 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 rapport entre la quantité de décisions produites et le temps et les moyens nécessaires pour y parvenir1283 ». Il faut désengorger les juridictions en redessinant les modalités d’intervention des magistrats. 494. Accroître la célérité. Le recours aux alternatives aux poursuites s’inscrit dans l’exigence de célérité des procédures mentionnée à l’article préliminaire du Code de procédure pénale1284. Ce dernier dispose « qu’il doit être définitivement statué sur l’accusation dont [une] personne fait l’objet dans un délai raisonnable1285 ». Toutefois, les mesures alternatives ne sont pas « nécessairement fondées sur l’idée d’une urgence à répondre à une situation particulière. Elles visent plus largement à systématiser et diversifier les réponses pénales1286 ». La notion de célérité induit une exigence de qualité et exclut, la notion de rapidité. Une circulaire du 13 décembre 2002 précise que « les mesures alternatives aux poursuites font partie intégrante des réponses pénales et doivent à ce titre en respecter toutes les exigences de qualité1287 ». Le ministère public veille « à la qualité des procédures et à la rigueur dans l’examen des charges1288 ». 495. Systématiser. Pour le Professeur PRADEL, « l’une des idées majeures du législateur [en 2004] est le principe d’une réponse judiciaire systématique1289 ». Cet objectif de « systématisation1290 » d’une réponse pénale n’apparaît qu’implicitement 1283 C. VIENNOT, Le procès-pénal accéléré, Etude des transformations du jugement pénal, Dalloz, 2012, n° 9, p. 9. 1284 L’exigence de célérité est « un élément récurrent » des réformes de l’institution judiciaire. L’auteur dresse la liste des nombreux rapports et ouvrages ayant dénoncé les lenteurs de l’institution judiciaire. Elle s’emploie à déterminer le sens, la nature et la valeur de cette exigence de célérité. L’auteur considère que la célérité est « une notion plus large que celle de délai raisonnable [au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme], permettant à la fois d’assurer le respect de cette exigence européenne et l’accroissement de l’efficacité de l’institution judiciaire » (C. VIENNOT, Le procès pénal accéléré, Etude des transformations du jugement pénal, Dalloz, 2012, n° 16 et s., p. 13 et s.). 1285 C. Proc. pén., art. préliminaire ; C. Org. Jud., art. L. 111-3 ; cf. B. BOULOC, La durée des procédures : un délai enfin raisonnable ?, Rev. sc. crim., 2001, n° 1, p. 55. 1286 C. VIENNOT, op. cit., n° 18 et s., p. 16 et s. 1287 Circ.13 déc. 2002, NOR. JUS. D. 0230200 C. 1288 Circ.13 déc. 2002, NOR. JUS. D. 0230200 C. 1289 J. PRADEL, Vers un « aggiornamento » des réponses de la procédure pénale à la criminalité (1 ère et è.me 2 parties), JCP G, 2004, p. 821 et p. 881. 1290 Le recours systématique aux mesures alternatives contribue à l’éclatement de la finalité de la procédure pénale. Le professeur PRADEL observe que les lois adoptées au début des années 2000 « confirment l’idée maîtresse d’une procédure à deux vitesses : durcissement pour la grosse criminalité, accélération et simplification pour la moyenne criminalité. Décidément il y a bien éclatement… » (J. PRADEL, La procédure pénale française aujourd'hui: éclatement ou nouvel équilibre? Cujas, 2003, p. 617). Sur la finalité de la procédure pénale : R. GASSIN, Considérations sur le but de la procédure pénale, in Mél., J. PRADEL, Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Cujas, 2006, p. 114. 231 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 dans le Code de procédure pénale1291 mais ressort explicitement des rapports WARSMANN1292 et ZOCHETTO1293 ainsi que de circulaires ministérielles. Pour le ministère de la Justice, l’article 40-1 du Code de procédure pénale « affiche en effet clairement l'objectif de la généralisation de la réponse pénale1294 ». Le législateur attend du ministère public qu’un classement sans suite ne soit plus décidé à raison notamment de la faible gravité de l’infraction1295 ou d’un manque de moyens1296. 496. Diversifier et graduer. Le législateur accompagne en pratique cet objectif de systématisation en diversifiant les mesures alternatives1297. La diversification des réponses pénales « induite par le développement des procédures accélérées permet (…) d’instituer une graduation des réponses1298 ». Il appartient au ministère public de diversifier et de graduer ses réponses en fonction de la gravité de l’infraction, de la personnalité et du parcours de son auteur. La réponse pénale doit être en adéquation avec la nature et la gravité de l’infraction1299. 1291 Le Code de procédure pénale précise que si l'auteur des faits est connu, le classement sans suite « en opportunité » ne peut intervenir que si des circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient (C. Proc., pén. art. 41-1). 1292 Rapp. J.-L. WARSMANN, Commission des lois de l’Assemblée nationale, 14 mai 2003, p. 202. 1293 Rapp. F. ZOCHETTO, Commission des lois du Sénat, sept. 2003, p. 286. 1294 Circ. Min., CRIM 2004-04 E8 du 14 mai 2004 relative à la présentation des dispositions de procédure pénale immédiatement applicables de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, n° 1-1. Lorsqu’une infraction est commise par un auteur identifié, le procureur de la République doit apporter une réponse pénale consistant « soit en la mise en mouvement de l'action publique, soit en une procédure alternative » (Circ. Min. , 14 mai 2004, préc.). 1295 S’agissant des infractions de faible gravité, la circulaire du 14 mai 2004 précise que « l'objectif de généralisation de la réponse pénale, qui peut, dans les cas les moins graves, consister dans (…) le rappel à la loi, devrait avoir pour conséquence d'inciter les parquets à utiliser plus fréquemment cette mesure, notamment dans des cas où, par le passé, la procédure faisait l'objet d'un simple classement sans suite en raison de la faiblesse du trouble à l'ordre public ou du préjudice » (Circ. du 14 mai 2004, op. cit., n° 1-1). 1296 Jusqu’au début des années 2000, les classements d’opportunité étaient justifiés par le manque de moyens (Rapport HAENEL, les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, n° 513, Paris, Sénat, 1998, p. 6). Ces classements seraient « motivés par l’impossibilité matérielle de répondre à l’ensemble des faits portés à la connaissance des autorités judiciaires » (C. VIENNOT, Le procès-pénal accéléré, Etude des transformations du jugement pénal, Dalloz, 2012, n° 10, p. 9). 1297 En dix ans, le législateur a, pas à pas, légalisé ces mécanismes. En 1993, le législateur expérimente la médiation pénale et la réparation directe à l’égard de la victime. Ces solutions sont complétées par des lois du 23 juin 1999 et du 9 mars 2004. 1298 C. VIENNOT, Le procès-pénal accéléré, Etude des transformations du jugement pénal, Dalloz, 2012, n° 11, p. 11. 1299 Le professeur PRADEL distingue les affaires non sérieuses, des affaires moyennement sérieuses, des affaires assez sérieuses et des affaires très sérieuses. A chaque catégorie, il propose d’appliquer corrélativement une réponse pénale : la médiation pénale, puis la composition pénale, puis la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, et enfin l’engagement immédiat des poursuites (J. PRADEL, Vers un « aggiornamento » des réponses de la procédure pénale à la criminalité (1ère et 2ème parties), JCP G, 2004, p. 821 et p. 881). 232 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 2) La mise en œuvre des alternatives aux poursuites 497. Les critères. Quelle que soit l’infraction commise1300, le procureur de la République peut recourir à une mesure alternative lorsqu’il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits1301. Ces trois critères ne sont pas cumulatifs1302. Le recours aux alternatives est réservé aux faits de faible gravité, élucidés, reconnus par le mis en cause ou non sérieusement contestables1303. En d’autres termes, le choix du procureur de la République est fonction de la nature et de la gravité de l’infraction, des antécédents et de la personnalité de son auteur, de l’existence d’une victime et de sa qualité. 498. L’exécution. L’exécution de la mesure alternative est en principe sans incidence sur l’action publique1304. Cette solution paraît juridiquement fondée mais contrevient « à la logique même des alternatives aux poursuites1305 ». L’auteur de l’infraction peut « théoriquement faire l’objet de poursuites postérieurement à la réalisation des mesures prescrites1306 ». En pratique, la bonne exécution de la mesure est suivie d’un classement sans suites d’opportunité. Toutefois, ce classement sans suite n’interdit pas à la victime de déclencher des poursuites1307. Pour éviter un tel écueil, il est nécessaire que le ministère public informe tant la victime que l’inspecteur du travail dès la décision de mettre en œuvre une formule alternative. 499. L’articulation des procédures. Le Code de procédure pénale prévoit un principe de gradation de la réponse pénale1308. L’efficacité et la crédibilité de ces 1300 Circ. Crim. 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 1-2-1 : « Il n’existe aucune restriction légale quant au contentieux susceptibles de relever du champ des alternatives aux poursuites impliquant tant des personnes physiques que des personnes morales ». 1301 C. Proc. pén., art. 41-1. 1302 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1162, p. 769. 1303 Circ. Crim. 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 1-2-1. 1304 Cass. crim., 21 juin 2011, n° 11-80003 : Bull. crim., 2011, n° 141. 1305 F. DESPREZ, note sous Cass. crim., 21 juin 2011, n° 11-80003 : Bull. crim., 2011, n° 141, D. 2011, p. 2379 - J.-B. PERRIER, « Alternatives aux poursuites : l’orthodoxie juridique face à l’opportunité pratique », D. 2011, p. 2349. 1306 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1175, p. 778. 1307 Cass. crim., 17 janv. 2012, n° 10-88226 : Bull. crim., 2012, n° 12. 1308 C. Proc. pén., art. 41-1. 233 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 mesures prises se fondent « sur la certitude d’une sanction, en cas d’échec imputable à l’auteur1309 ». La direction des affaires criminelles et des grâces précise que cette règle « de cohérence (…) s’applique à toutes les affaires, y compris les moins graves 1310 ». Une réponse graduée et proportionnée doit être apportée. Aussi, en cas de nonexécution de la mesure en raison du comportement de l'auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en œuvre une composition pénale ou engage des poursuites. Trois situations doivent être distinguées. 500. Première situation, l’auteur du délit d’entrave, refuse de déférer à la convocation. La circulaire ministérielle invite le ministère public à procéder à une nouvelle convocation ainsi qu’aux vérifications d’usage. Au regard du comportement de l’auteur des faits, la voie de la composition pénale apparaît inopportune. Il appartient au ministère public d’engager les poursuites. 501. Deuxième situation, l’exécution des obligations imposées est incomplète. Le ministère public appréciera l’opportunité des poursuites compte tenu de l’échec imputable à l’auteur et des difficultés que ce dernier a pu rencontrer dans la mise en œuvre de la mesure. La voie de la composition pénale peut constituer « une solution juste et équilibrée1311 ». 502. Troisième situation, la réitération des faits alors que l’auteur a déjà bénéficié d’une mesure alternative. Le ministère de la justice privilégie l’engagement des poursuites pénales à moins de proposer dans le cadre d’une composition pénale « une mesure particulièrement substantielle et tangible1312 » : une amende ou une obligation de formation. 3) La diversité des mesures alternatives 503. Les articles 41-1 et 41-2 du Code de procédure pénale dressent une liste des mesures alternatives aux poursuites. Toutes ces mesures, à l’exception de la composition pénale, relèvent de l’exercice des prérogatives du procureur sans que soit 1309 Circ. Crim., 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 2.2.1. Circ. Crim., 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 2.2.1. 1311 Circ. Crim., 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 2.2.2. 1312 Circ. Crim., 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 2.2.2. 1310 234 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 mise en mouvement l’action publique1313. Parmi ces mesures alternatives, seules celles se trouvant en adéquation avec le droit pénal du travail sont ici répertoriées. 504. Rappeler. Le législateur a consacré une pratique ancienne des parquets. Le rappel à la loi consiste, dans le cadre d’un entretien solennel, à rappeler à l’auteur des faits le contenu de la règle de droit, la peine prévue et la sanction encourue en cas de réitération des faits. Cette mesure doit favoriser la prise de conscience chez le mis en cause des conséquences de ses actes tant pour la société que pour la victime. Le contexte spécifique du droit pénal du travail rend nécessaire le respect d’un certain formalisme. Afin d’assurer la graduation de la réponse pénale, il est essentiel que le rappel à la loi soit notifié verbalement1314 par un délégué du procureur. Cette notification doit avoir lieu soit au sein du tribunal de grande instance soit dans l’une des Maisons du droit. 505. Régulariser. Le procureur de la République peut demander à l’auteur des faits de réparer le dommage résultant de ceux-ci. Au cas particulier, il n’est pas exclu que le procureur invite l’employeur à procéder à la consultation de l’instance de représentation du personnel, à lui délivrer telle information ou tel document, etc. Toutefois, une telle injonction reste en pratique de peu d’effet, voire, est inadaptée. L’inspection du travail dispose déjà d’un arsenal de mesures tendant à effacer les manquements au droit de la représentation collective. En outre, cette mesure apparaît inadaptée au regard des délais de transmission du procès-verbal par l’inspection du travail. Dans les phases de restructuration par exemple, l’urgence s’impose1315. 1313 C. Proc. pén., art. 41-1. La circulaire du 14 mai 2004 prévoit que le rappel peut être adressé par courrier. Cette solution doit, au regard des spécificités du droit pénal du travail, être écartée (Circ. Crim., 04-16-E8, 14 mai 2004). 1315 La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi prévoit que l’administration peut être saisie de toute demande tendant, avant transmission de la demande de validation ou d’homologation, à ce qu’il soit enjoint à l’employeur de fournir les éléments d’information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs, les conventions ou accords collectifs. L’autorité administrative se prononce dans un délai de cinq jours (C. trav., art. L. 1233-57-7). Les contentieux relèvent de la compétence en premier ressort du tribunal administratif. Est exclut tout recours en référé devant le tribunal de grande. 1314 235 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 506. Réparer. La réparation du dommage résultant des faits recherche « le désintéressement effectif de la victime (…) par le dédommagement de nature pécuniaire1316 ». 507. Orienter. La mesure d’orientation consiste à demander à l’auteur des faits de prendre contact avec une structure de formation. L’article 41-1, 2° identifie une série de stages qui n’intéressent pas le droit pénal du travail. Toutefois, cette liste n’est pas limitative. Aussi en matière d’hygiène et de sécurité, le ministère public oriente les employeurs vers les structures de formation institutionnelle à l’image des CRAMA ou de l’OPPBTP1317. Au cas particulier du droit de la représentation du personnel, il pourrait enjoindre les employeurs à suivre des stages de formation sur le fonctionnement et les missions des institutions représentatives du personnel auprès de l’administration du travail, des Universités, des OPCA, ou des structures privées. 508. Concilier. La mesure de médiation pénale1318 consiste, grâce à l’intervention d’un tiers, « à mettre en relation leur auteur et la victime afin de trouver un accord sur les modalités de réparation mais aussi de rétablir un lien et de favoriser, autant que possible, les conditions de non réitération de l’infraction alors même que les parties sont appelées à se revoir ». La médiation ne peut être mise en œuvre qu’à la demande ou avec l’accord de la victime. Le contenu des accords trouvés est varié : réparation en nature du dommage causé, engagement d’adopter dans l’avenir un comportement spécifique, etc. En cas de réussite de la médiation, l’accord fait l’objet d’un procèsverbal dressé par le procureur de la République ou le médiateur et signé par l’ensemble des parties. Appliquée au droit de la représentation collective, la médiation apparaît comme une mesure à exploiter dans les situations de paralysie à l’occasion desquelles les torts sont partagés. Le procès-verbal de l’inspection du travail doit être transmis dans les plus brefs délais. La mesure de médiation favorisera « l’apaisement des conflits 1316 Circ. Crim., 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 2.1.1. Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE, Respect du droit du travail : entre politique de contrôle et politique pénale, DRTEFP, 2004, p. 59. 1318 Pour une étude approfondie de la médiation pénale : G. BLANC, « La médiation pénale », JCP G, 1994, 3760 ; Ch. LAZERGUES, Médiation pénale, justice pénale et politique criminelle, Rev. sc. crim., 1997, p. 186. Pour un point de vue pratique de la médiation pénale : Th. LEBEHOT, « Le cadre juridique de la médiation pénale », AJ Pénale 2011, p. 216 ; E. MAUREL, « Le recours à la médiation pénale par le procureur de la République », AJ Pénal 2011, p. 219. 1317 236 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 alors qu’une sanction pénale peut les attiser1319 ». Les membres d’une instance de représentation du personnel sont amenés à se côtoyer à nouveau dans le cadre tant de leurs fonctions professionnelles que de leurs activités « syndicales ». La poursuite ne peut que « générer des rancœurs, source de réitération prochaine1320 ». 509. Composer. La composition pénale1321 constitue une alternative aux poursuites punitives « dans la mesure où elle tend à sanctionner la personne impliquée1322 ». La nature punitive de cette alternative commande l’intervention d’un juge1323. La composition pénale ne peut être mise en œuvre si l’action publique est engagée par la partie civile. Elle est applicable à tous les délits punis d’une peine principale d’amende ou d’un emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans. A ce titre, la circulaire du ministère de la Justice précise que la mesure de composition pénale « d’une densité particulière compte tenu de sa spécificité procédurale, de son contenu et de ses effets juridiques, doit être exclusivement réservée aux affaires qui auraient pu faire l’objet d’une citation devant le tribunal correctionnel1324 ». L’article 41-2 du Code de procédure pénale énumère limitativement les mesures susceptibles d’être proposées dans le cadre de la composition. Dix-sept mesures sont assimilables à des peines complémentaires. Trois mesures : l’amende de composition1325, l’obligation d’effectuer un stage de formation et la réparation du dommage causé par l’infraction1326 intéressent le droit pénal du travail. 1319 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1170, p. 775. 1320 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1362, p. 901. 1321 Pour une étude approfondie de la composition pénale : cf. S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1388, p. 916 - F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1187, p. 786 ; J. PRADEL, Procédure Pénale, Cujas, 16ème éd., 2011, n° 598 et s., p. 529 ; J. PRADEL, « Une consécration du « plea bargaining » à la française : la composition pénale instituée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 », D. 1999, Ch. p.379 – J. LEBLOIS-HAPPE, « De la transaction pénale à la composition pénale », JCP G, 2000, n° 3, p. 63. 1322 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1369, p. 906. 1323 Cons. Const., Déc. 95-360 DC, 2 févr. 1995 relative à l’injonction pénale, JO 7 févr., p. 2097. 1324 Circ. Crim., 2004-03 E5/16-03-04, BO, Min. Justice, n° 93, n° 2.1.2. 1325 Le montant de l’amende de composition ne peut excéder celui de l’amende encourue, au cas particulier 3750€ (C. trav., art. L. 2328-1 (notamment)). Il doit être fixé en tenant compte de la gravité des faits ainsi que des ressources et des charges de la personne (C. pén., 132-24). 1326 Cette mesure est issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite Loi Perben II. 237 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 510. La composition se déroule en trois temps1327 : le procureur de la République propose les mesures et recueille l’accord de l’auteur des faits ; il appartient au président du tribunal de valider la composition1328 ; l’auteur des faits exécute les mesures sous le contrôle du procureur de la République ou de son délégué. L’exécution de la composition pénale conduit à l’extinction de l’action publique1329 et à l’inscription de la composition au bulletin n° 1 du casier judiciaire pour une durée de trois ans1330. Toutefois, l’action civile survit1331. L’échec de la composition peut résulter tant du rejet que de l’inexécution totale ou partielle des mesures proposées. Il appartient au procureur de la République d’engager les poursuites soit par citation directe soit en recourant à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité1332. En cas de condamnation, il appartiendra au magistrat du siège de tenir compte des sommes déjà versées et du travail accompli1333. d. Des audiences spécialisées 511. Spécialisation. Quelle que soit la taille du tribunal de grande instance et ses spécificités, l’instauration d’audiences spécialisées en droit pénal du travail doit être privilégiée. Ces litiges seraient regroupés lors d’une même audience. Néanmoins, il ne serait pas exclu que ces audiences connaissent d’autres litiges extérieurs au droit du 1327 Sur la procédure de mise en œuvre de la composition pénale : cf. S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1388, p. 916 - F. DESPORTES, L. LAZERGESCOUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1187, p. 786 ; J. PRADEL, Procédure Pénale, Cujas, 16ème éd., 2011, n° 598 et s., p. 529. 1328 A ce titre, le juge est chargé de vérifier la régularité de l’acte. Il ne peut que valider ou refuser de valider la composition. 1329 Certains auteurs s’interrogent sur le risque de dérive « dans le transfert de l’acte de juger ou du moins perçu comme tel du siège au parquet » (C. LAZERGUES, « La dérive de la procédure pénale », Rev. sc. crim., 2003, p. 644). Toutefois, ce risque doit être écarté car les mesures alternatives revêtent « un caractère préventif et ne [sauraient] prêter à confusion avec une quelconque peine » (G. CLEMENT, Les métamorphoses du ministère public en matière pénale, in Mél., J. PRADEL, Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Cujas, 2006, p.284). Ces mesures n’emportent pas extinction de l’action publique à l’exception de la composition pénale. En effet, les mesures proposées dans le cadre de la composition peuvent être assimilées à des peines entrainant une confusion des pouvoirs des magistrats du siège et du parquet. Reste que la composition pénale comporte « un aspect juridictionnel » puisqu’elle faire l’objet d’une validation du juge. La décision appartient au juge et non au ministère public. 1330 La mention est retirée du casier judiciaire à condition que l’auteur des faits n’ait subi aucune autre condamnation à une sanction pénale (criminelle ou correctionnelle) ou n’ait pas exécuté une nouvelle composition pénale (C. Proc. pén., art. 769). 1331 Cass. crim., 24 juin 2008, n° 07-87511 : Bull. crim., 2008, n° 162 - L’action civile est portée devant le tribunal correctionnel statuant à juge unique sur les seuls intérêts civils. 1332 En ce sens : J. PRADEL, « Vers un « aggiornamento » des réponses de la procédure pénale à la criminalité (1ère et 2ème parties) », JCP G, 2004, p. 825. 1333 C. Proc. Pén. art. 41-2. 238 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 travail1334. L’instauration de telles audiences n’est pas toujours réalisable au regard de la faiblesse du contentieux en droit pénal du travail dans certaines juridictions. D’aucuns estiment que la spécialisation des audiences conduirait à « déculpabiliser les employeurs qui se retrouvent alors uniquement entre délinquants patronaux1335 ». Toutefois, outre un éventuel gain de temps, les audiences spécialisées ou semi-spécialisées rendent possible la présence de l’inspection du travail. Elles permettent une meilleure sensibilisation des magistrats et rendent possible la détermination « d’une ligne jurisprudentielle claire sur un contentieux précis 1336 ». Le recours à la spécialisation des audiences est concevable quel que soit le procédé d’engagement des poursuites1337. 1) La voie lente 512. La citation directe, du ministère public ou de la partie lésée qui devient alors partie civile, est utilisée pour saisir le tribunal correctionnel. La citation directe prend la forme d’un exploit d’huissier comportant notamment la désignation du ministère public, celle de l’huissier auteur de l’exploit, la dénomination et les coordonnées de la personne poursuivie et la détermination précise des faits1338. La tâche du ministère public est simplifiée en droit pénal du travail, puisqu’il dispose du procès-verbal transmis par l’inspection du travail. 2) Des voies rapides 513. Les délits d’entrave répétés commis à l’occasion de restructurations peuvent conduire à la suspension de l’opération prononcée par le juge des référés. A cette sanction civile doit être ajoutée, lorsqu’est caractérisée une volonté de nuire et que les faits sont répétés, une sanction pénale. Le cadre dans lequel l’entrave a été commise 1334 Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE, Respect du droit du travail : entre politique de contrôle et politique pénale, DRTEFP, 2004, p.61. 1335 Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE, op. cit., p.61. 1336 Ph. AUVERGNON, S. LAVIOLETTE, op. cit., p.61. 1337 Une fois que le procureur de la République a pris la décision de poursuivre. Il lui appartient de mettre en mouvement l’action publique. L’information est obligatoire pour les crimes et facultative pour les délits. Le procédé de l’information vise à saisir un juge d’instruction lequel sera chargé d’instruire l’affaire. Il est indispensable dans les affaires complexes « dont il paraît difficile de mettre à jour toutes les ramifications et où les responsabilités précises apparaissent malaisément 1337». Ce procédé reste peu utilisé en matière d’entrave et doit être écarté1337. 1338 Sur les conditions de forme de la citation directe cf. J. PRADEL, Procédure Pénale, Cujas, 16ème éd., 2011, n° 605, p. 537 ; R. MERLE, A. VITU, Traité de droit criminel, Procédure Pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 344, p. 409. 239 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 appelle une répression plus rapide que le procédé de la citation directe. Le ministère public dispose de deux voies : la convocation par procès-verbal, le plaider-coupable1339. 514. La convocation par procès-verbal1340. Expérimenté sous le vocable « rendez- vous judiciaire », la convocation par procès-verbal peut se définir comme « une voie procédurale de poursuite consistant à saisir un tribunal devant lequel le procureur de la République convoque une personne à laquelle il a lui-même notifié la prévention1341 ». Ce procédé est ouvert pour tous les délits ; peu importe la nature et le quantum de la peine encourue1342. Le procureur de la République invite l’auteur des faits à comparaître devant le tribunal dans un délai compris entre dix jours et deux mois. Il lui indique le lieu, la date et l’heure de l’audience1343. La convocation vaut citation à personne1344. 515. La poursuite alternative : le plaider-coupable1345. Créée par la loi du 9 mars 2004, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité permet au procureur de la République, pour des délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieur ou égale à cinq ans, de proposer une ou plusieurs peines à un prévenu qui reconnaît sa culpabilité et qui accepte la qualification pénale retenue. En cas d’accord de l’auteur des faits, la ou les peines proposées doivent faire l’objet d’une homologation 1339 Le recours à la comparution immédiate doit être écarté, le délit d’entrave étant exclu du champ d’application de ce procédé. Le champ d’application « s’expliquait par le caractère exceptionnel de cette procédure qui voulait normalement exclure les infractions trop peu graves pour justifier un tel moyen procédural, ou trop graves pour permettre une poursuite et un jugement accélérés alors que le prévenu risquait une forte peine de prison » (S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1568, p. 989). 1340 Pour une présentation approfondie de la convocation par procès-verbal : J. PRADEL, Procédure Pénale, Cujas, 16ème éd., 2011, n° 607, p. 539. 1341 S. GUINCHARD, J. BUISSON, op. cit., n° 1596, p. 998. 1342 C. Proc. pén., art. 397-6. 1343 C. Proc. pén., art. 394, al. 1. 1344 C. Proc. pén., art. 410. 1345 C. Proc. pén., art. 495-7 à 495-16 ; Pour une étude approfondie : Circ. Crim-04-12-E8-02.09.04, Présentation des dispositions de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité relatives à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. J. PRADEL, Procédure Pénale, Cujas, 16 ème éd., 2011, n° 613, p. 545 ; S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1603 et s., p. 1000 ; B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 596-1, p. 588. ; J. PRADEL, Vers un « aggiornamento » des réponses de la procédure pénale à la criminalité (1ère et 2ème parties), JCP G, 2004, I, 132, n° 20et s. ; C. SAAS, De la composition pénale au plaider-coupable : le pouvoir de sanction du procureur, Rev. sc. crim., 2004, p. 827 ; P.-J. DELAGE, Résistances et retournements. Essai de synthèse du contentieux relatif à la procédure de « plaider-coupable », Rev. sc. crim., 2010, p. 831. 240 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 par le président du tribunal de grande instance1346. Ce magistrat peut, par la même décision, statuer sur la demande de dommages et intérêts formée par la victime. 516. Le ministère public peut recourir à cette reconnaisance préalable en cas d’affaires simples et reconnues, pour lesquelles le prévenu est prêt à assumer une sanction dès lors qu’elle intervient rapidement. La sanction doit être prévisible. Le recours à cette procédure présente un intérêt certain dans les contentieux techniques tenant par exemple au non-respect des règles d’hygiène et de sécurité1347. Elle doit permettre une meilleure « régulation des flux pénaux, en mettant à la disposition des juridictions correctionnelles plus de temps pour se consacrer à l’examen des procédures les plus complexes1348 ». Elle entend désengorger les audiences correctionnelles, diminuer les délais de jugement et conduire au prononcé de peines mieux adaptées et plus efficaces puisqu’elles sont acceptées par l’auteur du délit. Section II - L’exercice de l’action civile 517. Face à l’inertie du ministère public, l’institution représentative du personnel élue ou désignée victime d’un délit d’entrave est en droit d’en demander la réparation en exerçant une action en dommages-intérêts devant un tribunal civil ou devant un tribunal répressif1349. Ce dernier sera appelé à statuer tant sur l’action publique, objet principal du procès, que sur l’action en réparation du dommage. 1346 L’ordonnance d’homologation doit être motivée. Il ne s’agit pas d’une simple validation comme dans le cadre de la composition pénale. L’homologation consiste en « une approbation judiciaire à laquelle la loi subordonne certains actes et qui supposant du juge un contrôle de légalité et un contrôle d’opportunité » (G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2002, 3 ème éd.). Il appartient au juge de vérifier la réalité des faits et leur qualification juridique. Il doit également vérifier que le prévenu a reconnu les faits en présence de son avocat et accepté la ou les peines. Enfin, il lui appartient de vérifier la légalité et la proportionnalité des peines. (Sur la distinction homologation-validation : cf. Ph. CONTE, « La nature juridique des procédures alternatives aux poursuites : de l’action publique à l’action à fin publique ? », Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et sciences criminologiques, PUAM, 2007, p. 189 ; A. VALOTEAU, « Le jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité : une autre procédure de jugement ou une autre manière de juger ? », Dr. pén., 2006, ch. n° 8). 1347 Circ. Crim-04-12-E8-02.09.04, Op. cit., n° 1.3.1. 1348 Circ. Crim-04-12-E8-02.09.04, Op. cit., Paragraphe introductif. 1349 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 225, p. 206. 241 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 518. Deux recours distincts. L’action publique peut être mise en mouvement par la partie lésée devant la même juridiction et en même temps que l’action publique ou devant une juridiction civile séparément de l’action publique. Outre des justifications historiques1350, ce droit d’option a des motifs pratiques. Le recours à la voie criminelle permet de remédier « à une éventuelle inertie du ministère public1351 ». La victime jouit d’avantages non négligeables parmi lesquels : l’économie des frais d’un procès civil, le bénéfice des preuves rassemblées par le ministère public. En outre, la célérité des procédures est accrue. Le choix de la victime est en principe marqué du sceau de l’irrévocabilité1352. Toutefois, l’irrévocabilité ne prive pas la victime du droit d’intenter devant le tribunal répressif une action civile différente1353. 519. Devant le tribunal répressif, ce droit s’exerce concomitamment à l’action publique si la victime retient la voie de l’intervention1354. En cas d’inertie du ministère public, la victime peut citer directement le prévenu devant la juridiction de jugement en recourant à un exploit d’huissier1355. La citation directe met en mouvement l’action publique et l’action civile. La victime devient partie civile1356. 520. Portée devant un tribunal civil, l’action civile donne lieu à un jugement civil distinct du jugement pénal relatif à l’action publique. Le juge civil bénéficie d’une 1350 R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5ème éd., 2001, n° 356, p. 421 - B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 284 et s., p. 274. 1351 R. MERLE, A. VITU, op. cit., n° 356, p. 421. 1352 Ce choix résulte d’un adage latin : Electa una via, non datur recursos ad alteram. Le choix n’est pas irrévocable si la victime a opté pour la voie criminelle (C. Proc. pén., art. 4). L’irrévocabilité de l’option ne vaut que si la victime a choisi la voie civile (C. Proc. pén., art. 5) avec, cependant, des tempéraments. L’irrévocabilité n’est retenue que si la condition que « les deux actions successivement portées devant la juridiction civile et devant le tribunal répressif ont le même objet, la même cause et mettent en présence les mêmes parties » (R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Procédure pénale, Cujas, 5 ème éd., 2001, n° 358, p. 423). 1353 A ainsi, été jugée recevable l’intervention de deux salariés délégués du personnel comme parties civiles au procès pénal et ce alors même qu’ils avaient engagé auparavant une autre action contre leur employeur devant le conseil de prud’hommes. Cette dernière action trouvait son fondement dans l’inexécution d’obligations contractuelles tandis que celle exercée devant la juridiction répressive tendait à la réparation du préjudice moral résultant de l’infraction pénale ayant porté atteinte à l’exercice des fonctions de représentants du personnel (Cass. crim., 7 juill. 1970 : Bull. crim., 1970, n° 237). 1354 Sur le temps de l’intervention : cf. Cass. crim., 17 juin 2008 : Bull. crim., 2008, n° 149. Sur les modalités de l’intervention : cf. C. Proc. pén., art.419 et s. 1355 C. Proc., Pén., art. 551. 1356 Il faut recourir à la plainte avec constitution de partie civile dans les cas où la citation directe n’est pas possible, soit parce que l’auteur de l’infraction est inconnu soit parce que l’information judiciaire est obligatoire (crime). Sur les conditions et les effets de la constitution de partie civile voir B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 303 et s., p. 294. 242 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 indépendance absolue à l’égard du juge pénal lorsqu’il rend son jugement avant la mise en mouvement de l’action publique. La chose jugée au civil n’a aucune autorité au criminel1357. Tel n’est pas le cas lorsque le juge civil est saisi postérieurement à la mise en mouvement de l’action publique ou au jugement pénal. L’article 4 du Code de procédure pénale aux termes duquel le criminel tient le civil en état trouve à s’appliquer1358. La décision de surseoir à statuer exige la réunion de deux conditions : l’action publique doit être exercée effectivement devant la juridiction pénale ; l’action vindicative et l’action indemnitaire doivent être relatives aux mêmes faits 1359. Le principe précédemment exposé porte en soi la règle selon laquelle la chose jugée au criminel a autorité sur le civil1360. Si les actions publique et civile sont distinctes, et si le tribunal civil ne statue qu’après la décision du juge pénal, le juge civil « ne jouit pas d’une liberté entière d’appréciation et de décision1361 ». Les conditions d’exercice de l’action civile lui confèrent un caractère accessoire. Ce caractère est lié à la dualité des objectifs poursuivis par l’action civile. 521. Un double objectif. L’action civile présente les traits d’une action en responsabilité civile délictuelle. Il ne s’agit pas pour autant « d’une action en réparation 1357 Le juge civil peut statuer « aussitôt sans attendre l’engagement et le jugement de l’action publique, et il a toute liberté d’appréciation et de décision » (B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23 ème éd., 2012, n° 312, p. 303). 1358 « Ce texte traduit la volonté d’éviter une éventuelle contrariété des jugements. Cet adage vise à assurer « la primauté de la décision du juge pénal qui intéresse la société sur la décision civile qui n’intéresse que les particuliers » (H. ROLAND, L. BOYER, Adages du droit français, Litec, 4 ème éd., 1999, p. 124-125). 1359 Cass. req. 5 juin 1982 : D. 1883, I, 291 ; Cass. civ., 13 mars 1950 : D. 1950, 414. « La Cour de cassation considérait que le sursis s’imposait au juge civil « dès que la décision à intervenir sur l’action publique était susceptible d’influer sur celle de la juridiction civile » (Voir notamment : Cass. civ., 21 juin 1957 : JCP, 1958, II, 10598, note CACHIA ; Cass. civ., 9 juill. 1980 : JCP 1980, IV, 361 – Cass. civ. 1ère., 6 janv. 1993 : Bull. civ., 1993, n° 1). Depuis la loi du 5 mars 2007 (L. n° 2007-291, JO, 6 mars 2007, p. 4206), l’application de ce principe d’ordre public (Cass. civ., 16 juin 1936 : S. 1936, 1, 131) est toutefois limitée aux seules actions civiles en réparation du dommage causé par l’infraction (C. Proc. pén., art. 4.). 1360 H. ROLAND, L. BOYER, op. cit., p. 125 - Sur l’autorité de la chose jugée : voir S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 2651 et s., p. 1575 ; B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 977 et s., p. 1026. 1361 B. BOULOC, op. cit., n° 321, p. 311 - Nombreux sont les arrêts de la Cour de cassation à rappeler que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache « à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé » (Voir notamment : Cass. civ. 1ère , 24 oct. 2012, n° 11-20442 : Bull. civ., I, n° 209. ; Cass. civ. 2ème, 4 juin 2009, n° 08-11163 : Bull. civ., II, 2009, n° 140. – Cass. soc., 27 sept. 2006, n° 05-40208 : Bull. civ., V, 2006, n° 292. – Cass. civ., 4 avr. 1960 : Bull. civ., n° 19). 243 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’un dommage d’origine quelconque, mais d’un dommage qui puise sa source dans une infraction à la loi pénale1362 ». Elle dépend de l’action publique. 522. L’action civile poursuit une finalité patrimoniale1363. L’objectif de ce « recours réparateur » est d’obtenir le versement de dommages-intérêts en réparation du dommage résultant de l’infraction que ce soit devant les juridictions répressives ou les juridictions civiles. Toutefois, elle peut également avoir pour objet d’obtenir la remise en l’état ou le remboursement des frais de procédure nés du procès pénal. 523. Lorsqu’elle est exercée devant les tribunaux répressifs, une finalité rétributive s’y ajoute. L’exercice de l’action civile met en mouvement l’action publique. L’action civile a une fin extrapatrimoniale. Une distinction doit être opérée entre le droit d’exercer l’action civile et celui de demander le versement de dommages-intérêts : « l’impossibilité de demander au juge répressif réparation du dommage subi ne prive pas du droit d’exercer l’action civile1364 ». Cette solution est confirmée par l’article 418 du Code de procédure pénale : la demande de dommages-intérêts est purement potentielle1365. L’action civile a un effet pénal. Elle peut être exercée uniquement dans le but d’aboutir au prononcé d’une condamnation1366. Action indemnitaire, l’action civile apparaît comme une voie exceptionnelle, le juge pénal n’ayant pas, en principe, à connaître de l’indemnisation d’un préjudice1367. Action exceptionnelle, seul celui qui a personnellement subi un préjudice découlant directement de l’infraction peut exercer l’action civile. Ainsi, en matière d’entrave, l’action civile n’est ouverte qu’aux seules instances élues ou désignées de représentation du personnel. Or, si le délit d’entrave est une infraction impersonnelle, il peut être commis par un élu ou une institution représentative du personnel. Un tel fait ne crée-t-il pas un préjudice à l’endroit des salariés ou de l’employeur ? Ce préjudice peut-il conduire à l’élargissement du cercle 1362 B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 228, p. 208. Sur la distinction action civile à fin extrapatrimoniale et patrimoniale : cf. M. DELMAS-MARTY, Droit pénal des affaires, 3ème éd., I, p. 234 à 236 ; B. BOULOC, Procédure Pénale, Dalloz, 23ème éd., 2012, n° 227, p. 207. 1364 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 212, p. 126. 1365 C. Proc. pén., art. 418, al. 3 : « La partie civile peut, à l'appui de sa constitution, demander des dommages-intérêts correspondant au préjudice qui lui a été causé ». 1366 S. GUINCHARD, J. BUISSON, op. cit., n° 1171, p. 818. 1367 Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social, 1987, p. 510. 1363 244 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 des auteurs d’une action civile (§II) en tout état de cause exercée dans les limites que tracent les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale (§I). §I. Les limites de l’action civile : la notion d’intérêt à agir 524. La jurisprudence relative à l’application de l’article 2 du Code de procédure pénale est abondante, complexe et fluctuante. La Cour de cassation s’est employée à interpréter strictement les conditions de recevabilité de l’action civile. Elle est un droit exceptionnel1368 qui, en raison de sa nature, doit être contenu dans les limites fixées par le législateur1369 (I). Les habilitations législatives accordant à des associations la possibilité de déclencher les poursuites se sont néanmoins multipliées1370 (I). I. 525. La définition originelle de l’action civile Un trio. L’action civile n’est recevable que si le préjudice subi est actuel, personnel et direct. 526. Un préjudice actuel. Pour la Chambre criminelle, « est réparable, le préjudice qui apparaît au juge du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de chose actuel et comme étant susceptible d'estimation immédiate 1371 ». Le préjudice actuel s’oppose au préjudice éventuel lequel dépend d’événements inconnus avant leur réalisation. Le préjudice actuel existe effectivement au moment de la mise en mouvement de l’action civile et est réparable1372. 527. Un préjudice direct. Le caractère direct du préjudice constitue la condition « cardinale1373 » de recevabilité de l’action civile exercée devant un tribunal répressif. 1368 Voir en ce sens S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1173, p. 818 - F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1314, p. 858. 1369 Cass. crim., 8 avr. 1986, n° 85-91987 : Bull. crim., 1986, n° 116. 1370 P. MAISTRE DU CHAMBON, « Ultime complainte pour sauver l’action publique », in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et Sciences criminologiques, PUF, 2007, p. 283. Sur le dévoiement de l’action civile : Voir A. DECOCQ, L’avenir funèbre de l’action publique, Mél. F. TERRE, Dalloz-PUFJurisclasseur, 1999, p. 781 ; S. GUINCHARD, Les moralistes au prétoire, Mél. FOYER, PUF, 1997, p. 477. 1371 Cass. crim., 21 oct. 2003, n° 02-85836 : Bull. crim., 2003, n° 196. 1372 Cass. crim., 26 oct. 1994, n° 93-85463 : Bull. crim., 1994, n° 340. 1373 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1170, p. 817. 245 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Le préjudice causé par la réalisation de l’infraction est subi par la victime directe ou initiale. Le préjudice doit être « en relation de causalité directe avec l’infraction1374 ». Pour la Chambre criminelle, le dommage doit « prendre directement sa source dans le délit poursuivi1375 ». Est irrecevable l’action des personnes qui invoquent un dommage sans lien direct avec l’infraction poursuivie1376. Le préjudice est indirect « s’il est en rapport causal trop lointain avec l’infraction1377 ». Un salarié ne subit aucun préjudice direct par suite du détournement de tout ou partie de la subvention de fonctionnement du comité d’entreprise par un membre de ce dernier1378. Reste que la notion de « préjudice direct » est difficile à appréhender1379. 528. Un préjudice personnel. L’action civile est réservée à ceux qui « ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction1380 ». Une atteinte a été portée à leur intégrité physique, à leur patrimoine, leur honneur ou leur intégrité morale. Dans « la pureté originelle de l’action civile, seule peut prétendre à ce droit la personne qui a été elle-même atteinte par l’infraction poursuivie1381 ». 529. Valeur sociale protégée. « A toute infraction correspond une valeur à défendre, à toute incrimination se rattache un intérêt protégé, et c’est cette valeur ou cet intérêt qui sont en définitive le critère de causalité directe indispensable à la recevabilité de l’action 1382 ». Le ministère public et la victime doivent « défendre une valeur identique, de telle sorte que la partie civile en défendant ses propres intérêts participe à la défense 1374 Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social 1987, p. 514. Cass. crim., 9 mai 2007: Bull. crim., 2007, n° 120. 1376 Cass. crim., 14 févr. 2006: Bull. crim., 2006, n° 36. 1377 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 219, p. 130. 1378 Cass. crim., 16 oct. 1997 : Bull. crim., 1997, n° 341; Dr. ouvrier, 1998, p. 46, note RICHEVAUX. 1379 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, Traité de procédure pénale, Economica, 2ème éd., 2012, n° 1370, p. 901 ; S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1217 et s., p. 840. 1380 C. Proc. pén., art. 2. 1381 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1179, p. 822. 1382 Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social 1987, p. 514. 1375 246 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de l’intérêt général1383 ». En l’absence de concordance entre le préjudice allégué et l’intérêt protégé par l’infraction, l’action civile doit être déclarée irrecevable1384. II. 530. La définition actuelle de l’action civile Evolution. La Cour de cassation a octroyé la qualité de victime pénale aux victimes civiles « qui lui paraissaient particulièrement dignes d’intérêts1385 ». Tel est le cas des héritiers reprenant l’action civile du de cujus1386 et des proches de la victime immédiate1387. 531. L’article 3, al. 2 du Code de procédure pénale dispose que l’action civile est recevable pour tous chefs de dommages, matériels, corporels ou moraux, découlant des faits objets de la poursuite. Originellement ce texte a été inséré afin de permettre aux victimes de blessures involontaires à l’occasion d’accidents de la circulation d’être indemnisées de leur dommage matériel et corporel1388. La Chambre criminelle a admis la recevabilité de constitutions de partie civile sur ce fondement1389 et a étendu cette solution à d’autres infractions1390. Ainsi admet-elle la constitution de partie civile des personnes qui ne sont pas, au sens strict, des victimes de l’infraction mais ne sont que des victimes collatérales ayant subi un préjudice découlant des faits qui donnent lieu à 1383 P. MAISTRE DU CHAMBON, « Ultime complainte pour sauver l’action publique », in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et Sciences criminologiques, PUF, 2007, p. 285 - Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social 1987, p. 514. 1384 La victime qui agit devant les tribunaux répressifs « n’obéit pas qu’à des préoccupations indemnitaires, elle poursuit un objectif vindicatif » (P. MAISTRE DU CHAMBON, op. cit., p.284). 1385 S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure Pénale, LexisNexis, 8 ème éd., 2012, n° 1216, p. 840. 1386 Cass. Ass. Plén., 9 mai 2008, n° 05-87379 : Bull. crim., 2008, n° 1 – M. SANCHEZ, « Vers une meilleure définition de la partie lésée par l’infraction : à propos de deux arrêts rendus par l’Assemblée plénière le 9 mai 2008 », Dr. pén., étude 12, p. 13. 1387 Cass. crim., 9 févr. 1989, Sté Ford France, n° 87-81359 : Bull. crim., 1989, n° 63 ; D. 1989, 614, note BRUNEAU ; D. 1989, 389, obs. PRADEL. 1388 Cass. crim., 16 mars 1964 : Bull. crim., 1964, n° 94. 1389 Voir en ce sens : F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, op. cit., n° 1371, p. 901. 1390 La Chambre criminelle considère que le vol d’un bien n’est pas nécessairement préjudiciable au seul propriétaire de celui-ci mais il peut l’être également aux emprunteurs ou aux utilisateurs, la soustraction les mettant dans l’impossibilité de rendre ou d’utiliser le bien (Cass. crim., 5 mars 1990 : Bull. crim., 1990, n° 103 ; Cass. Crim.,12 janv. 1994 : Bull. crim., 1994, n° 16). Pour une solution contraire: cf. Cass. crim., 23 avr. 2003, n° 02-84375 : Bull. crim., 2003, n° 84 : L’infraction d’entrave à la liberté du travail a pour objet de protéger cette liberté. Une société s’était constituée partie civile dans le but d’obtenir le versement de dommages-intérêts. La cour d'appel avait admis que les barrages ayant entraîné la fermeture du magasin pendant une matinée avaient causé à cette société une perte commerciale. Pour la chambre criminelle, le préjudice dont la réparation était demandée n'était que la conséquence indirecte de l'infraction. Seuls les salariés non grévistes peuvent être considérés comme des victimes directes de l’infraction. 247 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 des poursuites. Le dommage subi, qu’il soit matériel, moral ou corporel, résulte bien de la commission de l’infraction pénale ; toutefois, n’est pas caractérisée l’atteinte à l’intérêt légitime protégé par la loi pénale. 532. Attentatoire au caractère exceptionnel de l’action civile, l’intervention des victimes collatérales devant les juridictions pénales est cependant admise afin d’éviter « un émiettement des procès et de permettre au juge pénal, qui a une bonne connaissance des faits poursuivis, de statuer à la fois sur l’action publique et sur l’indemnisation du dommage1391 ». §II. Les auteurs de l’action civile 533. A qui la qualité de victime pénale peut-elle être reconnue ? En matière d’entrave, certains peuvent à coup sûr s’en prévaloir (I). Pour d’autres, le débat est ouvert (II). I. 534. Les auteurs incontestés de l’action civile Incontestés. Il n’est point de débat lorsque sont remplies les conditions posées par l’article 2 du Code de procédure pénale. Ainsi en est-il des institutions représentatives du personnel pour les atteintes portées à leurs attributions ou à leur fonctionnement (A). D’autres groupements bénéficient d’une habilitation législative générale à l’image de celle accordée aux organisations syndicales pour défendre l’intérêt collectif de la profession (B). A. L’exercice de l’action civile par les institutions représentatives 535. Défense des intérêts propres. Les institutions représentatives du personnel peuvent se constituer partie civile à condition que l’infraction leur cause un préjudice direct et personnel. Tel le cas du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité 1391 F. DESPORTES, L. LAZERGES-COUSQUER, op. cit., n° 1371, p. 901. 248 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 et des conditions de travail au titre de l’entrave mise à leur fonctionnement : elle leur cause nécessairement un préjudice direct dont ils sont fondés à demander réparation1392. 536. Défense des intérêts collectifs. Le comité d’entreprise et le CHSCT n’ont pas vocation à représenter les différentes catégories de personnel ni les intérêts généraux de la profession1393. Le CHSCT a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés ainsi qu'à l'amélioration de leurs conditions de travail1394. Le comité d’entreprise a pour objet d'assurer l’expression collective des salariés permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives notamment à la gestion de l'entreprise et à l'organisation du travail1395. Leur éventuelle constitution de partie civile suppose qu’ils justifient d'un préjudice direct et personnel découlant des infractions poursuivies. S'agissant de délits d'homicide ou de blessures involontaires subis par des tiers, l’action civile du CHSCT est irrecevable faute que soient remplies les conditions posées par l’article 2 du Code de procédure pénale1396. De même en est-il pour le comité d’entreprise1397. 537. Nécessité d’un mandat. Ni le président1398, ni le secrétaire du comité n’en sont les représentants légaux. Il leur appartient de désigner, à l’issue d’une délibération1399, 1392 Sur l’entrave pour défaut de consultation du comité d’entreprise et du CHSCT : Cass. crim., 12 avr. 2005, n° 04-83101 : Bull. crim., 2005, n° 129, Dr. pén., comm., note J.-H. ROBERT; Dr. social, 2005, p. 856, note F. DUQUESNE ; Ch. NEAU-LEDUC, « La responsabilité du dirigeant employeur : éclairage d’actualité », RLDA, 2006, p. 78. 1393 F. PETIT, La notion de représentation dans les relations collectives de travail, LGDJ, 2000, n° 280, p. 322. 1394 C. trav., art. L. 4612-1. 1395 C. trav., art. L. 2323-1. 1396 L’arrêt concernait l’effondrement du terminal de l’aéroport Roissy-CDG. L’action civile d’un syndicat de pilote fut jugée recevable alors que celle du CHSCT fut écartée (Cass. crim., 11 avr. 2005, n° 05-82414 : Bull. crim., 2005, n° 254, JCP S, 2006 note A. MARTINON ; F. DUQUESNE, « La constitution de partie civile du CHSCT en cas de délits d’homicides et de blessures involontaires », Dr. social, 2006, p. 43 ; H. GABA, « Action syndicale : concurrence ou complémentarité avec les prérogatives des IRP et les droits individuels », JSL, 2013, n° 335, p.4). 1397 Cass. crim., 28 mai 1991, n° 90-83957 : Bull. crim., 1996, n° 226 – Sur l’action en justice du comité d’entreprise : Voir M. KELLER, P. MAYNIAL, « Ne faudrait-il pas admettre plus largement l’action en justice du comité d’entreprise ? », RDT, 2007, p. 428 ; M. VERICEL, « Pour la reconnaissance d’une action en justice du comité d’entreprise aux fins des intérêts ses salariés de l’entreprise », Dr. social, 2007, p. 1153. 1398 Le chef d'entreprise, en sa qualité de président du comité d'entreprise, ne peut le représenter en justice que s'il a été mandaté à cet effet (Cass. soc., 11 novembre 1986 : Bull. civ. V, p. 399, n° 527 ; F. SEBE, « Le président du comité d’entreprise : son rôle, ses droits, ses obligations », CLCE, 2013, n° 124, p. 12). 1399 Pour pallier en urgence l’irrégularité des mandats de représentation du comité d’entreprise, la majorité des membres du comité central d’entreprise ont tenté de procéder à une confirmation en signant un document hors toute réunion. Ils soutenaient à l’audience qu’ils étaient prêts à confirmer le mandat. Le 249 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’un de leurs membres, investi d’une délégation expresse de pouvoir, pour les représenter en justice1400. En pratique, ce rôle revient souvent au secrétaire du comité d’entreprise1401 ou du CHSCT1402, plus rarement à un autre membre du comité1403. Une distinction doit être effectuée entre l’action initiale en justice du comité et l’exercice des voies de recours. Un mandat général vaut sur ces deux terrains. Si le mandat ne vise pas l’exercice des voies de recours, l’appel du mandataire suppose qu’il soit muni d’un pouvoir spécial. À défaut l’appel interjeté est irrecevable, sauf régularisation dans le délai de recours1404. B. L’exercice de l’action civile par les organisations syndicales 538. Action dans l’intérêt collectif de la profession. Les organisations professionnelles ont le droit d’agir en justice et peuvent devant toutes les juridictions exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession1405. 539. Conditions. Pour que l’action exercée par le syndicat prospère, il faut que soit relevé un fait source d’un préjudice direct ou indirect, occasionnant un dommage matériel ou moral à une catégorie professionnelle que le syndicat représente et dont l’intérêt collectif est atteint. Ce dernier ne se confond ni avec les intérêts individuels des salariés1406 ni avec l’intérêt général1407. Une organisation syndicale a-t-elle un intérêt à agir en cas de méconnaissance des prérogatives des institutions représentatives du personnel ? « Le non respect des attributions reconnues aux représentants du personnel tribunal de grande instance répond péremptoirement que de tels « mandats » ne sauraient se substituer à la délibération de l’instance collégiale (TGI Paris, 22 mars 2012, n° 12/51982). 1400 Sur les conditions de la délégation cf. F. SEBE, « Le secrétaire du CE : un acteur incontournable dans l’entreprise », CLCE, 2011, n° 102, p. 5. 1401 Cass. soc., 4 avr. 2001, n° 99-40677. 1402 Cass. soc., 7 déc. 2004, n° 02-19076. 1403 Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-18268. 1404 Cass. soc., 8 déc. 2009, n° 08-17041 – v. F. BARBE « Le secrétaire doit avoir un pouvoir pour saisir le juge », CLCE n° 90, févr. 2010, p. 16. 1405 Sur la notion d’intérêt collectif de la profession : v. B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 101 et s., p. 60. 1406 Le syndicat n'est pas recevable à défendre en son nom les intérêts propres du salarié : v. en ce sens : Cass. crim., 11 mai 1999, n° 97-82169 – Cass. soc., 23 janv. 2008, n° 05-16492 : Bull. civ., 2008, n° 22. 1407 Cass. crim., 22 déc. 1987 : D., 1988, somm. 355, obs., J. PRADEL ; Cass. soc., 24 juin 2008, n° 0516492. 250 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 porte-t-il un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession1408 » ? La Cour de cassation répond par l’affirmative : le défaut de réunion, d'information ou de consultation des institutions représentatives du personnel porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession à laquelle appartiennent les salariés de l’entreprise. Une organisation syndicale peut agir sur le fondement de l’entrave mise au fonctionnement d’une institution représentative : elle est, en soi, source de préjudice pour l’ensemble de la profession concernée1409. La règle posée tant par la chambre criminelle1410 que par la chambre sociale1411 de la Cour de cassation dispense les organisations syndicales d’apporter la preuve de l’atteinte aux intérêts collectifs de la profession 1412. Certaines décisions récentes sont néanmoins susceptibles de remettre en cause partiellement cette solution. Toutes gravitent autour d’une question : l’action exercée dans l’intérêt collectif de la profession est-elle recevable lorsque les représentants du personnel ont été consultés mais insuffisamment informés ? Ces décisions sont-elles annonciatrices d’un retour à l’orthodoxie juridique ? 540. Printemps 2011. Deux décisions de la Cour d’appel de Paris rendues les 4 et 19 mai 2011 marquent le début d’une évolution. La première est née de la décision d’une société du secteur agroalimentaire de confier ses « stands financiers » à une filiale du groupe, spécialisée dans les services bancaires et les assurances. Pour la société, cette opération s’analysait en une modification de la situation juridique de l’employeur avec transfert d’une entité économique autonome. Une organisation syndicale avait demandé la communication du contrat conclu entre la société mère et sa filiale en vue d’organiser le transfert de l’activité. Pour la Cour d’appel de Paris, dès lors que la procédure d’information et de consultation des comités d’entreprise concernés a été régulièrement mise en œuvre1413, la défense de l’intérêt collectif de la profession « ne peut permettre à 1408 E. LAFUMA, note sous CA Paris, 19 mai 2011,n° 09/24383, Dr. ouvrier, 2011, n° 760, p. 682. Cass. crim., 7 oct. 1959, n° 58-93562 ; Cass. crim., 16 nov. 1999 : Dr. ouvrier, 2000, p. 180 ; Cass. crim., 23 oct. 2007, n° 06-86458 :Bull. crim., n°249 ; Cass. crim. 26 mai 2009, n° 08-82979. 1410 Cass. crim., 3 déc. 1996 : Bull. crim., 1996, n° 441. 1411 Cass. soc., 20 oct. 1998 : Dr. social, 1999, p. 91, obs. J. SAVATIER - Cass. soc., 24 juin 2008, n° 0711411 : Bull. n° 140, Dr. ouvrier, 2008, p. 626, note C. MENARD. 1412 Voir : M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 9 ème éd., 2009, p. 1129. 1413 En l’espèce la procédure d’information et de consultation a donné lieu à un avis d’abstention à l’unanimité du comité central d’entreprise et à un avis favorable à l’unanimité du comité d’entreprise de la société spécialisée. 1409 251 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 un syndicat d’agir en justice au lieu et place du comité d’entreprise, seul en charge de l’appréciation concrète du contenu de l’information qui lui est donné1414 ». 541. Le second arrêt est né de la décision d’un comité d’entreprise, suivi par plusieurs organisations syndicales, d’agir en justice pour défaut d’information et de consultation dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Le tribunal de grande instance avait considéré que le comité d’entreprise avait reçu les informations nécessaires. Le comité avait acquiescé au jugement. En revanche, deux organisations syndicales interjetèrent appel de la décision. Selon la Cour d’appel de Paris, si l’action à caractère collectif reconnue au syndicat l’autorise à obtenir le respect des dispositions légales imposant l’existence d’une procédure d’information et de consultation dans l’entreprise au profit d’une institution représentative du personnel, seule cette dernière reste en charge de « l’appréciation in concreto de la régularité et de la pertinence des modalités d’une telle procédure qui a effectivement été mise en œuvre1415 ». Si l’action syndicale peut accompagner l’action du comité d’entreprise, elle ne peut s’y substituer. 542. La solution retenue par la Cour d’appel de Paris conduit à opérer une distinction selon qu’est invoqué un défaut ou une irrégularité de consultation. Cette distinction est unanimement condamnée par la doctrine1416 en ce qu’elle fait notamment dépendre la recevabilité de l’action du motif invoqué1417. Elle semble difficilement conciliable avec la jurisprudence de la Cour de cassation, dans sa formation criminelle, aux termes de laquelle « le fait d'apporter entrave au fonctionnement d'un comite d'entreprise est, en lui-même, générateur d'un préjudice subi par la profession (…) dont les syndicats (…) ont qualité pour demander réparation1418 ». Or, l’action tendant à contester la régularité de la procédure de consultation ne peut se distinguer de celle tendant à contester son 1414 CA Paris, 4 mai 2011, n° 10/15514. CA Paris, 19 mai 2011, n° 09/24383. 1416 « L’argument tiré de l’absence de contestation du comité d’entreprise ou de son acquiescement semble davantage relever de l’appréciation du bien fondé de la demande que de sa recevabilité » (A. STOCKI, « Information-consultation du comité d’entreprise sur les conséquences de la restructuration menée par une société tierce », note sous CA Paris, 28 janv. 2013, n° 12/18102, Cah. Soc., 2013, n° 251, p.121) ; Adde, E. LAFUMA, note sous CA Paris, 19 mai 2011, n° 09/24383 ; Dr. ouvrier, 2011, n° 760, p. 682 ; O. LEVANNIER GOUËL, « L’action syndicale liée à l’action du comité d’entreprise : l’action syndicale sous tutelle », note sous CA Paris, 19 mai 2011, n° 09/24383, SSL, 2011, n° 1499, p. 11. 1417 A. STOCKI, op. cit., p.122. 1418 Cass. crim., 28 nov. 1984, n° 83-93094 : Bull. crim., 1984, n° 375. 1415 252 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 existence, une procédure imparfaite étant assimilable à une absence de procédure1419. Reste que la chambre sociale ne semble pas retenir cette distinction et concentre, à juste titre, le débat sur l’intérêt à agir des organisations syndicales. 543. Automne 2012. Trois arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation les 11 et 26 septembre puis le 27 novembre 2012, semblent manifester un retour à l’orthodoxie : la Cour adopte une position stricte s’agissant de la notion d’intérêt à agir. Consécutif au pourvoi formé contre la décision de la Cour d’appel de Paris du 19 mai 2011, l’arrêt du 27 novembre 20121420, après avoir relevé que le comité d’entreprise s’était désisté de son appel, acquiesçant ainsi au jugement ayant constaté qu’il avait été régulièrement informé et consulté, décide qu’un syndicat était irrecevable à agir : aucun fait susceptible de porter un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’il représentait n’était établi. La Cour de cassation se place sur le terrain de l’intérêt à agir pour déclarer l’action du syndicat irrecevable. Un auteur1421 considère qu’elle a adopté une solution de principe. L’action en justice d’une organisation syndicale serait irrecevable lorsque le comité d’entreprise s’estime rempli de ses droits. Une telle approche laisserait apparaître en filigrane la distinction entre l’irrégularité et l’absence d’information et de consultation. Néanmoins, s’il est certain que la chambre sociale concentre le débat sur l’intérêt à agir d’une organisation syndicale, elle n’a pas adopté une solution de principe rejetant toute action syndicale lorsque le comité d’entreprise s’estime rempli de ses droits. La spécificité des faits1422 ne permet pas de tirer des enseignements généraux de cet arrêt, au demeurant non publié au bulletin. Le constat préalable du désistement du comité d’entreprise traduisant l’absence de faute de l’employeur selon la Cour d’appel, a conduit cette dernière à juger « en amont1423 » la recevabilité de l’action. Elle a adopté une solution pragmatique afin vraisemblablement, de faire l’économie d’un débat au fond. Confirmé par la Cour de 1419 O. LEVANNIER GOUËL, « L’action syndicale liée à l’action du comité d’entreprise : l’action syndicale sous tutelle », note sous CA Paris, 19 mai 2011, n° 09/24383, SSL, 2011, n° 1499, p. 11. 1420 Cass. soc., 27 nov. 2012, n° 11-22798, inédit. 1421 A. WULVERYCK, Interview, AEF.info, Dépêche n° 176223. 1422 Les organisations syndicales se sont jointes à l’action initiée par le comité d’entreprise ; une fois débouté par le juge de première instance, le comité s’est désisté de son appel acquiesçant au jugement. 1423 Aurélien WULVERYCK précise qu’une autre solution avait été évoquée à l’occasion de l’audience devant la Cour d’appel. Il s’agissait de déclarer l’action recevable, le juge aurait dû alors apprécier s’il y avait une faute de l’employeur. Selon toute vraisemblance, le juge aurait débouté les organisations syndicales eu égard notamment à la position adopté par le comité d’entreprise (A. WULVERYCK, Interview, AEF.info, Dépêche n° 176223). 253 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 cassation le raisonnement a le mérite de « recentrer » indirectement le débat sur la notion d’intérêt à agir. 544. Le 11 septembre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé l’analyse retenue par la Cour d’appel de Paris le 4 mai 2011 : « si les syndicats professionnels peuvent (…) exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt de la profession qu'ils représentent, notamment en cas de défaut de réunion, d'information ou de consultation des institutions représentatives du personnel lorsqu'elles sont légalement obligatoires, ils ne sont pas recevables à agir pour demander communication à leur profit de documents qui, selon eux, auraient dû être transmis au comité d'entreprise1424 ». La Cour de cassation ne retient pas la distinction opérée entre inexécution et irrégularité de la procédure d’information et de consultation1425. Le recours à l’adverbe « notamment » traduit la volonté de la Cour de ne pas restreindre la recevabilité de l’action syndicale à la seule inexécution de la procédure d’information et de consultation1426. Une organisation syndicale pourrait invoquer en justice l’irrégularité de cette procédure mais à condition d’établir qu’un préjudice direct ou indirect a été porté à l’intérêt collectif de la profession. Autre enseignement qu’il est permis de tirer de l’arrêt de la chambre sociale : elle fonde sa décision sur la notion d’intérêt à agir excluant toute présomption d’existence d’un préjudice. Ce retour à l’orthodoxie est conforme à la jurisprudence criminelle1427 et civile de la Cour de cassation selon laquelle le défaut de réunion, d'information ou de consultation des institutions représentatives du personnel porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession1428. La Chambre sociale a jugé recevable l’action en référé d’une organisation syndicale dans le but de mettre fin à un trouble manifestement illicite affectant l’intérêt collectif de la profession, obtenant ainsi la suspension d’une mesure adoptée par l’entreprise, et ce alors même que le comité 1424 Cass. soc., 11 sept. 2012, n° 11-22014 : Bull. crim., 2012, n° 226. Pour un avis contraire : v. G. LOISEAU, note sous Cass. soc., 11 sept. 2012, n° 11-22014 : Bull. crim., 2012, n° 226, JCP S, 2012, 1521. 1426 Y. TARASEWICZ, C. JACQUELET, L’action du syndicat face aux droits du comité d’entreprise et des salariés, SSL, 2012, n° 1554, p. 10. 1427 Pour la chambre criminelle, le fait de porter entrave au comité d’entreprise est « en lui-même générateur d’un préjudice subit par la profession » (Cass. crim., 7 oct. 1959, n° 58-93562 - Cass. crim., 28 nov. 1984, n° 83-93094 : Bull. crim., 1984, n° 375). En outre, l’action d’une organisation syndicale est indépendante de celle du comité d’entreprise. 1428 Cass. crim., 3 déc. 1996 : Bull. crim., 1996, n° 441 - Cass. soc., 24 juin 2008, n° 07-11411 : Bull. n° 140, Dr. ouvrier, 2008, p. 626, note C. MENARD. 1425 254 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 n’était pas partie à l’instance1429. De ces arrêts deux principes peuvent être déduits : l’existence d’un préjudice est toujours présumée lorsqu’une organisation syndicale relève un défaut de consultation ; dès lors, en revanche, qu’elle entend contester la régularité de la procédure de consultation, elle doit établir l’existence d’un préjudice direct ou indirect porté à l’intérêt collectif de la profession. 545. Au cas particulier, la Cour a dénié au syndicat « le droit d’agir en défense des intérêts collectifs de la profession pour obtenir la communication [à son profit] de documents dont le comité d’entreprise aurait dû être le destinataire1430 ». L’organisation syndicale entendait prendre connaissance de documents que le comité d’entreprise n’avait pas consulté. Elle agissait dans son seul intérêt1431. La décision d’irrecevabilité s’imposait : le Code du travail organise la procédure d’information et de consultation en cas de changement dans la situation juridique de l’employeur1432 au profit du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Un syndicat ne saurait prétendre être le destinataire des informations visées ni bénéficier d’une quelconque procédure de consultation1433. Mais il est permis de penser qu’une action syndicale visant à ordonner la communication au profit du comité d’entreprise des documents litigieux aurait été jugée recevable1434. 546. En évinçant la présomption d’existence d’un préjudice lorsqu’une organisation syndicale conteste la régularité de la procédure d’information et de consultation, la Cour de cassation vise deux objectifs : écarter tout risque d’immixtion d’une 1429 Cass. soc., 24 juin 2008, n° 07-11411 : Bull. n° 140, Dr. ouvrier, 2008, p. 626, note C. MENARD. S. TOURNAUX, « De quelques précisions sur l’action syndicale en défense des intérêts collectifs », Lexbase hebdo, 2012, n° 499. 1431 Cette allégation est corroborée par la lecture des demandes signifiées à la Cour d’appel. Le syndicat demandait au juge « d’enjoindre la société (…) d’avoir à produire le contrat commercial la liant à sa filiale » (CA Paris, 4 mai 2011, n° 10/15514). 1432 C. trav., art. L. 2323-19. 1433 Pour le professeur LOISEAU, le syndicat n’est pas « institutionnellement fondé à y avoir accès » (G. LOISEAU, note sous Cass. soc., 11 sept. 2012, n° 11-22014 : Bull. crim., 2012 : A paraître ; JCP S, 2012, 1521. Dans le même sens cf. S. TOURNAUX, « De quelques précisions sur l’action syndicale en défense des intérêts collectifs », Lexbase hebdo, 2012, n° 499 ; Y. TARASEWICZ, C. JACQUELET, « L’action du syndicat face aux droits du comité d’entreprise et des salariés », SSL, 2012, n° 1554, p. 10). En sens contraire : H. GABA, « Un syndicat ne peut se voir communiquer un document destiné normalement au CE », CLCE, 2012, n° 119, p. 25 ; H. GABA, « Action syndicale : concurrence ou complémentarité avec les prérogatives des institutions représentatives du personnel et les droits individuels », JSL, 2013, n° 335, p. 4. 1434 En ce sens v. S. TOURNAUX, op. cit., n° 499 ; Y. TARASEWICZ, C. JACQUELET, op. cit., p. 10 ; H. GABA, « Une syndicat ne peut se voir communiquer un document destiné normalement au CE », CLCE, 2012, n° 119, p. 25 – En sens contraire : G. LOISEAU, op. cit., JCP S, 2012, 1521 1430 255 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 organisation syndicale dans les prérogatives du comité d’entreprise « pour en tirer un avantage dans son intérêt propre1435 » ; lutter contre le risque d’immobilisme suspect du comité d’entreprise. 547. La Cour a confirmé sa position dans un autre arrêt. Au cas particulier, deux organisations syndicales avaient agi afin d’obtenir le paiement de la subvention de fonctionnement due à un comité d’entreprise qui, pour sa part, ne sollicitait rien. Or, une organisation syndicale « n’a pas qualité pour agir aux lieu et place d’un comité d’entreprise afin d’obtenir le versement de sa subvention de fonctionnement1436 ». Si la méthode convainc, la solution, néanmoins, peut surprendre dans la mesure où l’action des organisations syndicales était justifiée par l’intérêt des salariés « de voir agir à leur profit un comité d’entreprise rempli de ses moyens financiers légaux pour fonctionner du point de vue économique1437 ». 548. La Cour de cassation amorce un retour partiel à l’orthodoxie symbolisé par la nécessité pour une organisation syndicale de caractériser l’existence d’un préjudice et d’un intérêt à agir lorsque l’action porte sur la régularité de la procédure de consultation1438. 1435 G. LOISEAU, note sous Cass. soc., 11 sept. 2012, n° 11-22014 : Bull. crim., 2012, n° 226, JCP S, 2012, 1521. 1436 Cass. soc., 26 sept. 2012, n° 11-13091, inédit. 1437 D. BOULMIER, note sous Cass. soc., 26 sept. 2012, n° 11-13091, inédit : Dr. social, 2013, p. 84. 1438 A la lumière de la solution qu’elle a dégagée le 28 janvier 2013, la Cour d’appel de Paris nous invite à un nouveau rendez-vous en 2014 (Y. TARASEWICZ et C. JACQUELET, « L’action du syndicat face aux droits du comité d’entreprise et des salariés », SSL, 2012, n° 1554, p. 10). En effet, la Cour déclare que l’action des organisations syndicales sollicitant la suspension de la procédure de consultation du comité d’entreprise européen est irrecevable au motif que seuls les représentants du personnel sont en droit de critiquer « la pertinence et la loyauté des informations délivrées à cette occasion » (CA Paris, 28 janv. 2013, n° 12/18102, RJS, 2013, n° 388 - A. STOCKI, Information-consultation du comité d’entreprise sur les conséquences de la restructuration menée par une société tierce, Cah. Soc., 2013, n° 251, p.121). Toutefois, la position de la Cour d’appel n’est pas partagée par les autres juridictions du fond comme en témoigne une ordonnance de référé du 16 octobre 2012. Le président du tribunal de grande instance du Havre a considéré qu’un syndicat était recevable à agir en suspension d’un plan de réorganisation au motif que le président du CHSCT n’avait pas respecté l’obligation de transmettre aux membres de l’instance les documents nécessaires au recueil de leur avis quinze jours avant la réunion du comité et ce alors que ce dernier n’était pas partie à l’instance et avait émis un avis sur le projet (TGI Havre, 16 oct. 2012, n° 12/391, Dr. ouvrier, févr. 2013, p. 145, note E. BAUDEU ; dans le même sens TGI Thionville, 22 avr. 2008). 256 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 II. 549. Les auteurs contestés de l’action civile Contestés1439. Deux catégories de personnes sont affectées par le non respect des règles relatives aux institutions représentatives du personnel : les salariés et l’employeur. L’entrave au fonctionnement régulier du comité d’entreprise ne peut causer un préjudice direct à un salarié de l’entreprise qui n’est pas membre du comité1440. Toutefois, le salarié est une victime « civile » (A). La question de la recevabilité de l’action civile de l’employeur fondée sur une entrave qui ne lui est pas imputable demeure (B). A. 550. L’exercice de l’action civile par les salariés L’abus de confiance (1°) et le délit d’entrave (2°) sont deux infractions intéressant particulièrement les salariés. 1°. 551. L’abus de confiance Le détournement de la subvention de fonctionnement versée au comité d’entreprise ne porte pas directement préjudice aux salariés. Ces derniers ne sauraient se constituer partie civile devant une juridiction répressive contre les membres du comité pour abus de confiance1441. En raisonnant par analogie, une solution identique pourrait être retenue s’il s’agissait d’un détournement partiel de la subvention destinée aux activités sociales et culturelles, encore qu’il faille tenir compte de la destination spécifique des fonds versés par l’employeur au titre de ces activités. « Le comité d'entreprise assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés ou de leur famille, quel qu'en soit le mode de financement (…)1442 ». Si la subvention de fonctionnement n’intéresse par essence que le comité d’entreprise, celle versée au titre 1439 Toute personne « qui invoque un dommage actuel direct et certain et qui se prévaut d’un intérêt légitime juridiquement protégé, et qui (…) est en situation de solliciter réparation du juge civil, n’est pas pour autant une victime au sens pénal » (P. MAISTRE DU CHAMBON, « Ultime complainte pour sauver l’action publique », in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et Sciences criminologiques, PUF, 2007, p. 284). 1440 Cass. crim., 6 mars 1975 : Bull. crim., 1975, n° 74. 1441 Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86231 : Bull. crim., 1997, n° 341. 1442 C. trav., art. L. 2323-83. 257 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 des activités sociales et culturelles intéresse les salariés et leurs familles. Un détournement, même partiel, de la subvention destinée à ces activités aurait pour conséquence d’en priver le salarié lui causant un préjudice qui pourrait alimenter un intérêt à agir en justice pour abus de confiance. 2°. 552. Le délit d’entrave Alors même que « les salariés [ont] un certain intérêt à la bonne application des règles gouvernant leurs institutions représentatives1443 », la Cour de cassation déclare irrecevable leur constitution de partie civile en raison d’un défaut de réunion ou de consultation : ce dernier ne leur inflige pas un préjudice personnel1444. Un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 17 mai 2011 en matière d’élections professionnelles, n’est-il pas cependant porteur d’une évolution1445 ? Licencié pour faute grave, un salarié contestait son licenciement et réclamait des dommages-intérêts à raison de l’absence de mise en place des institutions représentatives du personnel. Alors même que l’entreprise remplissait les conditions de seuils d’effectifs rendant obligatoire l’organisation des élections professionnelles, l’employeur s’était consciemment abstenu d’agir. Un salarié pouvait-il, à titre individuel, réclamer des dommages-intérêts en raison de cette défaillance ? La Cour d’appel d’Angers l’avait exclu1446. Censurant cette décision, la Cour de cassation souligne que « l’employeur qui, bien qu’il y soit légalement tenu, n’accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice aux salariés privés ainsi d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts1447. 1443 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 216, p. 129. Cass. crim., 3 déc. 1996, n° 95-84647 : Bull. Crim. n° 441 ; Cass. soc., 7 déc. 1999, n° 97-43106 : Bull. crim., 1999, n° 470. 1445 Cf. R. VATINET, L’instrumentalisation de la responsabilité civile à titre de sanction en droit du travail, in La sanction pénale en droit du travail sous dir. B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 204, spéc. n° 227. 1446 CA Angers, 15 déc. 2009. 1447 Cass. soc., 17 mai 2011, n° 10-12852 : Bull. civ., 2011, n° 108. 1444 258 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 553. La solution n’est pas nouvelle1448. Le législateur et le juge ont reconnu que le défaut d’information et de consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel ouvrait droit, en l’absence de procès-verbal de carence, au versement d’une indemnité. Ainsi, en matière de licenciement pour motif économique, cette défaillance ouvre droit pour le salarié au versement d’une indemnité au moins égale à un mois de salaire brut1449. Une solution analogue est adoptée par la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de licenciement pour inaptitude professionnelle. En cas de défaillance, le salarié a droit à une indemnité au moins égale à douze mois de salaires1450. Circonscrite jusqu’à présent, cette décision ouvre la voie à une indemnisation systématique. 554. Droits fondamentaux. La solution adoptée résulte d’une application combinée de l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (lequel garantit le droit de tout travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l’entreprise), de l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, de l’article 8, § 1 de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (selon lequel les États membres veillent à ce que des procédures administratives ou judiciaires appropriées permettent de faire respecter les obligations édictées) et des articles 1382 du Code civil, L. 2323-1 et L. 2324-5 du Code du travail. Pour la Chambre sociale, la faute délictuelle commise par l’employeur cause « nécessairement un préjudice aux salariés1451 ». L’omission de l’employeur « qui ne pourrait pas se justifier par la production d’un procès-verbal de carence établit à elle seule l’existence de ce préjudice1452 ». Les textes ci-dessus rappelés permettent d’évaluer le préjudice moral subi par le salarié. 1448 Sur les sanctions spécifiques envisagées par la loi et la jurisprudence : J.-Y. KERBOURC’H, note sous Cass. soc., 17 mai 2011, n° 10-12852 : Bull. civ., 2011, n° 108, JCP S, 2011, n° 1419. 1449 C. trav., art. L. 1235-15. 1450 Cass. soc., 7 déc. 1999, n° 97-43106. 1451 Cass. soc., 17 mai 2011, n° 10-12852 : Bull. civ., 2011, n° 108. 1452 J.-Y. KERBOURC’H, note sous Cass. soc., 17 mai 2011, n° 10-12852 : Bull. civ., 2011, n° 108, JCP S, 2011, n° 1419. 259 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 555. Perspectives. Se fondant notamment sur les mécanismes de responsabilité civile, l’arrêt précédent ouvre de nouvelles perspectives1453. L’action en justice, qu’elle soit pénale ou civile, repose en priorité sur l’intérêt à agir. Dans la décision du 17 mai 2011, le salarié justifiait d’un tel intérêt en ce qu’il était privé d’une possibilité de représentation et de défense de ses intérêts, valeur sociale protégée par l’infraction. La faute de l’employeur était constitutive tant d’une faute civile que d’une faute pénale1454. Le salarié, en défendant ses propres intérêts, participe à la défense de l’intérêt général, de sorte qu’il peut se constituer partie civile et provoquer le déclenchement des poursuites pénales contre l’employeur au titre du délit d’entrave1455. Une plume particulièrement autorisée semble entériner cette solution1456. Toutefois, cette action doit être strictement circonscrite. L’absence de procès-verbal de carence est ici déterminante. 556. En outre, si en matière de mise en place des institutions représentatives du personnel, le préjudice subi est certain, personnel et directement causé par l’infraction, il n’est pas sûr qu’une défaillance au stade du fonctionnement d’une institution donne aux salariés un intérêt à agir. L’information et la consultation constituent avant tout des prérogatives propres aux représentants du personnel1457. Ces perspectives tracées 1453 R. VATINET, L’instrumentalisation de la responsabilité civile à titre de sanction en droit du travail, in La sanction pénale en droit du travail sous dir. B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 227. 1454 C. trav., art. L. 2316-1 ; C. trav., art., L.2328-1 1455 « Cependant la généralité des termes employés par son attendu de principe permettent d’y voir une décision riche de potentialités. Tous les salariés de l’entreprise n’ont-ils pas à souffrir du même préjudice non seulement en l’absence de mise en place du comité d’entreprise mais aussi chaque fois que les droits consultatifs de celui-ci sont méconnus préalablement à l’adoption de décisions qui intéressent l’ensemble du personnel » (R.VATINET, op. cit., n°227). 1456 L. PECAUT-RIVOLIER , Y. STRUILLOU, Chronique des jurisprudences sur la représentation du personnel, SSL, 2011, n° 1515, p. 6 : « L’absence d’institution représentative, si elle n’est pas justifiée par un procès-verbal de carence, justifie donc, systématiquement, la sanction de l’employeur sur le plan de la responsabilité civile individuelle, sans préjudice d’éventuelles poursuites pénales sur le fondement du délit d’entrave ». 1457 La chambre criminelle de la Cour de cassation a assoupli sa jurisprudence s’agissant des conditions de recevabilité de l’action civile. Toutefois, la valeur sociale défendue par le ministère public diffère de celle défendue par le salarié. Le délit d’entrave garantit le bon fonctionnement des instances de représentation du personnel et le respect de leurs attributions. Les membres des instances de représentation du personnel au même titre que l’employeur, qui la préside, sont garants du bon fonctionnement desdites instances, de leur efficacité et de leur crédibilité, autant de valeurs sociales protégées par le délit d’entrave. En outre, cette infraction garantit indirectement aux salariés la possibilité d’être représentés et de défendre leurs intérêts. De sorte qu’en cas d’entrave portant sur le fonctionnement des représentants du personnel, le salarié peut subir un dommage actuel et certain découlant des faits de l’infraction et ainsi, se prévaloir d’un intérêt légitime juridiquement protégé. Il n’en demeure pas moins que ce préjudice est indirect. Le salarié ne peut « par voie de conséquence s’adresser au juge pénal, alors même que son préjudice trouve 260 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 doivent être pour partie rejetées en ce qu’elles font peser sur l’employeur une épée de Damoclès1458 bridant son action. B. L’exercice de l’action civile par l’employeur 557. Abus de confiance. La Cour de cassation rejette la constitution de partie civile de l’employeur en présence d’un abus de confiance commis par le secrétaire du comité d’entreprise1459. Le détournement des fonds de ce dernier n’est pas de nature à causer un préjudice direct à l’entreprise. Peu importe qu’elle soit à l’origine de la dénonciation des faits1460. 558. Une distinction doit être établie entre les intérêts de l'entreprise et ceux du comité afin de prévenir toute confusion. Un détournement opéré aux dépens du comité ne cause pas à l'employeur un préjudice direct lui permettant d'agir en son nom propre. Peu importe que les fonds du comité proviennent pour l'essentiel de versements effectués par l'entreprise. Une fois versés, ces fonds sortent « définitivement du patrimoine de l'entreprise pour entrer dans celui du comité 1461 ». 559. Délit d’entrave. Un employeur est-il recevable à agir sur le fondement du délit d’entrave en cas de dysfonctionnement qui ne lui serait pas imputable ? Selon, la Cour de cassation, un président de comité d’entreprise ne saurait citer en correctionnelle le secrétaire dudit comité pour entrave à son fonctionnement, le président n’ayant subi aucun préjudice direct et personnel et n’ayant reçu aucun mandat de la part du comité pour agir1462. L’absence de préjudice direct et personnel au sens du Code de procédure pénale1463 exclut toute constitution de partie civile de l’employeur. Toutefois, de tels arguments ne sont pas insurmontables. Ainsi, a été jugée recevable l’action civile de l’employeur à l’encontre du secrétaire du comité d’entreprise qui n’établissait pas les son origine dans une infraction » (P. MAISTRE DU CHAMBON, « Ultime complainte pour sauver l’action publique », in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et Sciences criminologiques, PUF, 2007, p. 284). 1458 L’employeur vivra quotidiennement sous la menace d’une plainte avec constitution de partie civile ou d’une citation directe. 1459 Cass. crim., 6 avr. 2005, n° 04-85.799 : Dr. social, 2005, p. 825, note P.-Y. VERKINDT. 1460 Cass. crim., 23 nov. 1992, n° 92-81499 - Cass. crim., 6 avr. 2005, n° 04-85799. 1461 obs. sous Cass. crim., 23 novembre 1992 : RJS, 1993, n° 161. 1462 Cass. crim., 26 mai 1998, n° 97-80079 - Cass. crim., 6 avr. 2005, n° 04-85799. 1463 CA Paris, 16 Oct. 1998, D. 1999, inf. rap., p. 2. 261 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 procès-verbaux des réunions1464. L'entreprise a pour obligation de veiller au bon fonctionnement des institutions représentatives des salariés. L’employeur a intérêt à poursuivre toute personne qui met obstacle à leur fonctionnement régulier. 560. Qu’en est-il lorsque le comité d’entreprise a recours à des manœuvres dilatoires visant à faire échouer ou retarder un projet de l’entreprise ? En paralysant eux-mêmes les institutions représentatives du personnel, les élus portent atteinte à l’intérêt économique et social de l’entreprise, mais ils nuisent aussi au bon fonctionnement de l’institution concernée justifiant ainsi une action de l’employeur : ce dernier a un « véritable intérêt à ce que [les institutions représentatives du personnel] fonctionnent normalement et à ce qu’elles soient crédibles1465 » au regard notamment de la place considérable qu’elles s’occupent. Le détournement de fonds, le recours à des manœuvres dilatoires sont autant de faits constitutifs du délit d’entrave au fonctionnement régulier de l’institution concernée en ce qu’ils portent atteinte à sa crédibilité et réduisent son efficacité1466. 561. Conclusion. Politique pénale. Garantir l’effectivité et l’efficacité de la représentation collective suppose de « perfectionner » la voie pénale et de vaincre l’inertie du ministère public. L’identification des causes du classement sans suites a permis de déterminer les moyens d’y remédier. L’efficacité du système répressif doit reposer sur une politique pénale du travail d’envergure. Définie conjointement par les ministères du Travail et de la Justice, elle doit reposer sur des priorités et des objectifs communs. Elle suppose de développer des actions de formation à destination des magistrats et des inspecteurs du travail. Elle impose de diversifier l’exercice des poursuites en recourant à des mécanismes alternatifs et en développant les audiences spécialisées. L’action civile de la victime constitue un moyen efficace de vaincre l’inertie du ministère public. A cet égard, l’élargissement du cercle des auteurs de l’action civile à l’employeur paraît pertinent. Outre le caractère impersonnel du délit 1464 CA Paris, 15 mars 1999, JurisData n° 1999-022923. La Cour de cassation valide implicitement cette interprétation dans un arrêt du 10 mai 2005. La Cour condamne pour entrave et abus de confiance le trésorier et le secrétaire d’un comité d’entreprise qui ont procédé à des transferts de fonds sans attendre la délibération du comité (Cass. crim., 10 mai 2005, n° 04-84118 : Dr. social, 2005, p. 936, obs. F. DUQUESNE). 1465 P.-Y. VERKINDT, note sous Cass. crim., 6 avr. 2005, n° 04-85.799 : Dr. social, 2005, p. 825. 1466 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 219, p. 130. 262 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’entrave1467, la politique d’assouplissement des conditions de recevabilité de l’action civile menée par la Chambre criminelle « militent en faveur1468 » d’une action civile de l’employeur. Une telle solution se justifie au regard de l’obligation légale qui pèse sur lui de veiller au bon fonctionnement des institutions représentatives du personnel. 1467 Il ne résulte nullement du Code du travail que le délit d’entrave ne puisse être commis que par l’employeur ou son représentant. 1468 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 218, p. 130. 263 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Chapitre II - Le prononcé des sanctions 563. Un constat. Les circonstances ne manquent pas dans lesquelles, les entreprises préfèrent « privilégier le succès de l’opération économique et assumer le risque pénal1469 ». Les peines d’amende et d’emprisonnement encourues en matière d’entrave ne permettent pas de répondre aux fonctions de la sanction pénale. Elles ne suffisent pas toujours à convaincre les employeurs de respecter les normes régissant les relations de travail. Une insuffisante individualisation de la sanction contribue à leur inadéquation. 564. Une réponse. Si les développements relatifs à l’exercice des poursuites ont permis d’apporter des réponses d’ordre structurel et « organisationnel » au manque de célérité de la sanction, la quête de l’effectivité suppose désormais de se préoccuper de sa nature. Une réflexion en deux temps doit être menée. L’inadéquation des peines encourues en matière d’entrave aux fonctions de la sanction pénale ne doit pas conduire à exclure les peines de référence. Dès lors, la question tenant à un éventuel accroissement de la sévérité des peines principales doit être posée. Elle constituera le premier temps de notre réflexion. Des efforts en matière d’individualisation de la peine doivent par ailleurs être fournis. Le juge correctionnel ne doit plus s’en tenir au prononcé d’une amende (Section I). Il doit non seulement faire appel aux techniques de variation de la sanction mais aussi diversifier la réponse pénale en recourant aux peines complémentaires et aux peines alternatives. A cet égard, la recherche de sanctions « positives » tournées vers l’avenir est impérative (Section II). 1469 P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 238, p. 147. 264 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Section I - L’objet de la sanction pénale 565. La peine est une réponse édictée par la loi « à l’effet de prévenir et, s’il y a lieu de réprimer l’atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction1470 ». Les peines encourues en matière d’entrave n’ont qu’un effet limité (§1). L’accroissement de la sévérité des peines de référence peut contribuer à un surcroît d’effectivité du dispositif1471 (§2). §I. Les fonctions de la sanction pénale 566. Triptyque. La sanction pénale est utilisée autant pour prévenir que pour éduquer ou punir. Ces trois fonctions ressortent de l’article 132-24 du Code pénal : « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Les quelques condamnations prononcées en matière d’entrave ne permettent pas de mesurer précisément leur valeur punitive (III). La sanction pénale ne joue guère le rôle dissuasif (II) et pédagogique (I) qui en est en principe attendu. I. 567. La fonction pédagogique oubliée Nécessité. « Une répression qui ne se préoccupe pas de réadapter les délinquants fait une œuvre vaine ou inhumaine1472 ». Le législateur entend favoriser la « resocialisation » d’individualisation de des l’auteur de l’infraction peines ou à d’autres en recourant mesures à des permettant modes d’éviter l’incarcération1473. Or, parmi les sanctions prononcées et ce, quelle que soit la nature de l’infraction, ni l’emprisonnement ni la peine d’amende n’ont une quelconque vertu 1470 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. L’accroissement de la sévérité n’emportera un retour à l’effectivité qu’à condition qu’il soit accompagné d’une véritable politique pénale du travail. A défaut, le seul accroissement de la sévérité (tel que le sous-entend le ministère du Travail dans le « Projet Pour un ministère fort ») ne suffira pas à faire prendre conscience aux entreprises du risque pénal. La crainte suscitée par cet accroissement ne durera qu’un temps (celui de l’effet d’annonce). 1472 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 502, p. 415. 1473 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 65, p. 31. 1471 265 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 éducative. La privation de liberté, rarement retenue en matière d’entrave 1474, a au contraire un effet « désocialisant »1475. La mission de réinsertion est pourtant une obligation légale1476. D’autres peines, à l’instar des stages de citoyenneté ou de formation, ont en revanche une vertu socialisante en ce qu’elles « inculquent ou rappellent un certain nombre d’exigences fondamentales1477 ». II. 568. La fonction dissuasive altérée Notion. La première fonction du droit pénal est d’être « un droit expressif des valeurs essentielles d’une société et des règles d’organisation de la vie en société 1478 ». La fonction d’intimidation a toujours eu les faveurs du législateur1479 et de la Cour européenne des droits de l’homme1480. La peine ne doit pas être seulement « envisagée par rapport au coupable mais aussi par rapport à une collectivité1481 ». 569. La prévention spéciale « s’entend de l’inhibition de l’activité délictueuse chez les délinquants1482 ». Elle vise à éviter que l’auteur d’une infraction déjà condamné se rende coupable de récidive. Toutefois, de nombreuses études ont démontré que la 1474 Pour des exemples de condamnations avec sursis : Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 10-82151 ; Cass. crim., 13 avr. 2010, n° 09-83649 ; Cass. crim., 25 sept. 2007, n° 06-84.599 : Bull. crim., 2007, n° 222 ; Cass. crim., 28 janv. 2004, n° 02-85141 : Bull. crim., 2004, n° 22 ; TGI, Strasbourg, 4 Mars 1988, Dr. ouvrier, 1988, p. 510. 1475 « L'enfermement ne sert aujourd'hui qu'à punir de manière bête et aveugle » (E. NOËL, M. SANSON, Aux côtés des détenus. Un avocat contre l’Etat, Bourin Editeur, 2013). Voir sur la surpopulation carcérale : B. PENAUD, De l’inflation législative à la surpopulation carcérale : pour une réforme des peines, Gaz. Pal., 20-22 sept. 2009, p. 4 ; L.-H.-C. HULSMAN, Défense sociale nouvelle et critères de discrimination, in Mél. ANCEL, Pedone, t. 2, p. 22. 1476 L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 1 : « Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». 1477 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1199, p. 809. 1478 C. LAZERGUES, La diversification des réponses pénales à la commission d’une infraction au droit pénal du travail, Rev. sc. crim., 1992, p. 493. 1479 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 497, p. 412 - E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1195, p. 805. 1480 La Cour EDH évoque « l’effet dissuasif du droit pénal » (CEDH, 19 févr. 1997, Laskey, Jaggard et Brown c/ RU, req. n° 21627/93, §44). Les peines doivent présenter une certaine gravité lorsqu’elles répriment la violation d’un droit garanti (CEDH, 1 er Juin, 2010, Gäfgen c/ Allemagne, req. 22978/05, § 124). 1481 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1203, p. 812. 1482 P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 243, p. 149. 266 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 sanction, même répétée, ne suffit pas à éteindre « l’intérêt à accomplir l’acte puni 1483 ». Un auteur particulièrement averti recourt aux concepts fondamentaux du « béhaviorisme » afin d’accroître l’efficacité de la sanction1484. Le « behaviorisme » identifie cinq principes1485 : - intensité : la sanction doit être d’une intensité élevée plutôt que graduellement augmentée1486 ; - immédiateté : le laps de temps entre la commission de l’infraction et la punition doit être bref ; - non contradiction : la sanction ne doit pas être contredite par des récompenses obtenues antérieurement ou postérieurement ; - continuité et cohérence : la sanction doit être perçue comme certaine et à la hauteur de celle attendue ; - obligation de proposer une conduite alternative non punie et offrant une récompense équivalente ; 570. La prévention générale « s’entend de l’inhibition de l’activité criminelle à laquelle les non-délinquants pourraient éventuellement s’adonner1487 ». Certaines études ont tenté d’établir un lien entre la sévérité de la peine et la criminalité1488. Mais 1483 P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n° 265 et s. , p. 165 et s. Le professeur MORVAN recommande au législateur de prendre en compte ces caractères lorsqu’il édicte des sanctions en droit social. Pour cet auteur, « l’objectif des pouvoirs publics en matière sociale est de modifier les comportements (et parfois les mentalités des représentants des employeurs) en leur adressant des stimuli impliquant un renforcement ou une punition » (P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 234, p. 230. 1485 P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n° 271 et s, p. 167 et s. 1486 « Pour dissuader de recommencer, il semble qu’il faudrait que les premières peines qu’ils ont subies aient été sévères et pénibles alors que les délinquants primaires sont souvent traités avec bienveillance par les tribunaux pour leur donner des chances de poursuivre honorablement leur vie » (J.-L. BERGEL, Une problématique des sanctions pénales ?, in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et sciences criminologiques, PUAM, 2007, p. 91). 1487 P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n° 238, p. 147. 1488 R. GASSIN, « La confrontation du système français de la sanction pénale avec les données de la criminologie, in Confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec les données de la criminologie », D. 1969. 177 et s. Voir aussi P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n° 265 et s., p. 165 et s. ; R. GASSIN, S. CIMAMONTI, Ph. BONFILS, Criminologie, Dalloz, 7 ème éd., 2011, n° 809, p. 715. 1484 267 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’aggravation des sanctions est « dépourvue d’effet d’intimidation collective1489 ». Accroître la sévérité des peines encourues n’engendre aucune diminution du nombre d’infractions commises. L’idée selon laquelle la menace d’une sanction détourne de l’infraction reste une vue de l’esprit1490. 571. L’absence de sanction systématique en matière d’entrave, prive la sanction d’effet dissuasif1491. Les causes génériques d’altération de cette fonction sont nombreuses. Outre l’absence de certitude et de célérité, l’individualisation de la peine a « nécessairement pour conséquence de limiter son caractère dissuasif 1492 ». L’absence de « publicité1493 » ou de transparence dans l’exécution de la sanction pénale1494 constitue une autre cause d’altération1495. 572. En droit pénal du travail, l’effet dissuasif ne réside pas tant dans la sanction pénale, laquelle se traduit en matière d’entrave par le paiement d’une amende dont les maxima1496 ne sont jamais prononcés, mais dans l’éventuelle médiatisation de l’infraction et dans l’accomplissement des démarches procédurales. La garde à vue et la comparution devant le tribunal correctionnel seraient vécues par les chefs d’entreprise comme une expérience traumatisante. 1489 P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 238, p. 147. 1490 J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 16ème éd., 2012, n° 565, p. 500 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1196, p. 805 – P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n° 265 et s, p. 259 et s. ; B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 497, p. 412. 1491 Il suffit pour s’en convaincre de consulter les statistiques de l’observatoire de suites pénales (L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., Nov. 2012, annexes, n° IIC Verbalisation 2011 et suites judiciaires en 2006 et 2007). 1492 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1196, p. 805. 1493 Toutefois, la publicité est sensiblement plus forte en matière d’entrave que dans d’autres domaines notamment en raison de l’affichage et de la distribution de tracts syndicaux. 1494 En ce sens cf. E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1197, p. 806 – J.-P. DOUCET, La loi pénale, Saint Gildas de Rhys, 3ème éd., 2003, p. 362, n° III-113. 1495 A la fonction dissuasive de la peine, a longtemps été associée une exigence tenant à son exemplarité. L’exemplarité de la peine était fondée sur l’idée que « la présence du peuple doit porter la honte sur le front du coupable, et la présence du coupable dans l’état où l’a réduit son crime doit porter dans l’âme du peuple une instruction utile » (Rapport sur le projet de Code pénal, in Œuvres de M. LEPELTIER SAINT FARGEAU, A. LACROSSE, Bruxelles, 1826, p. 124). La même idée sera reprise par J. BENTHAM (in Traité de législation civile et pénale, Rey et Gravier, éd. 1830, 3 ème éd., t.2, p. 286). 1496 De 2008 à 2011, le montant moyen des amendes prononcées au titre du délit d’entrave était respectivement de 1993€, 1685€, 1847€ et 2168€. Le maximum de 3750€ est rarement atteint toutefois, l’on dénote une constante augmentation du quantum moyen de l’amende depuis 2009 (Source : Les condamnations inscrites au casier judiciaire (années consultées : 2008 à 2011), www.justice.gouv.fr ). 268 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 III. 573. La fonction rétributive recherchée Notion. La fonction de rétribution est inhérente à la notion de peine 1497. Toute infraction doit être suivie d’une sanction afin de rétablir l’ordre public violé. Selon BECCARIA, une peine « doit être essentiellement publique, prompte, nécessaire, la moindre des peines applicables dans les circonstances données, proportionnée au délit et déterminée par la loi1498 ». La sanction doit être proportionnée à la gravité de l’infraction1499. La sanction est supposée afflictive : elle est ressentie par l’auteur des faits comme « une souffrance ou tout au moins une privation, une gêne sensible1500 ». Toutes les peines, qu’elles soient restrictives de liberté ou patrimoniales, sont afflictives. La peine est aussi infamante « puisqu’elle désigne le condamné à la réprobation sociale1501 ». 574. Application. S’agissant du délit d’entrave, est perceptible l’inadéquation des sanctions au regard de la gravité des faits. Si l’on écarte la peine de prison laquelle n’est que parcimonieusement prononcée, le quantum de l’amende est modeste1502. Pour l’employeur, le bénéfice retiré de l’infraction est généralement plus important que les désagréments liés au prononcé de la peine 1503. Bien qu’existant, le caractère afflictif et infamant demeure mesuré. La gêne occasionnée sur le plan patrimonial est souvent supportée par l’entreprise1504. Quant à l’opprobre, elle reste limitée au cadre de celleci1505. 1497 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 500, p. 413. BECCARIA, Dei Delitti e delle pene, 1764. 1499 Une théorie nouvelle du « sentencing » se développe dans de nombreux pays anglo-saxons. Cette théorie « prône la nécessité d’une proportionnalité entre la gravité des infractions commises et la sévérité des peines prononcées » (J.-L. BERGEL, Une problématique des sanctions pénales ?, in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et sciences criminologiques, PUAM, 2007, p. 92). Voir aussi R. GASSIN, S. CIMAMONTI, Ph. BONFILS, Criminologie, Dalloz, 7 ème éd., 2011, n° 724. 1500 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 803, p. 599. 1501 J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 16ème éd., 2012, p. 564. 1502 « Le quantum ridicule de l’amende correctionnelle incite les dirigeants à privilégier le succès de l’opération économique et assumer le risque pénal » P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 248, p. 154. 1503 Le propos doit toutefois être mesuré lorsque le condamné est un salarié titulaire d’une délégation de pouvoir. 1504 A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 37. 1505 Certaines condamnations peuvent avoir une résonance internationale. Certaines entreprises anglosaxonnes sont particulièrement vigilantes s’agissant du passé pénal des salariés. 1498 269 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 575. Solution. La fonction de prévention ou de dissuasion de la peine est intimement liée à la fonction punitive. Il est « indéniable que l’effet intimidant de la peine devient plus tangible lorsque la menace d’un châtiment concret s’abat avec certitude sur un délinquant déterminé1506 ». Ce n’est que parce qu’une peine est certaine, sévère et prononcée avec célérité qu’elle remplit sa fonction rétributive et par conséquent sa fonction dissuasive. Certitude, célérité, sévérité, publicité apparaissent comme les traits caractéristiques permettant d’accroître l’efficacité de la sanction pénale et l’effectivité de la norme qu’elle protège. §II. L’identification des sanctions pénales 576. Peines de référence. Dans l’arsenal des peines correctionnelles cohabitent les peines privatives de liberté et les peines d’amende. Toute infraction doit « nécessairement être punie de l’une ou l’autre de ces peines1507 ». Selon l’article L. 2328-1 du Code du travail « le fait d'apporter une entrave soit à la constitution d'un comité d'entreprise, (…), soit à la libre désignation de leurs membres, soit à leur fonctionnement régulier, (…) est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros1508 ». S’agissant des peines encourues par les personnes morales, la peine d’amende, encourue de plein droit par tous les groupements, correspond au quintuple de l’amende à laquelle est exposée une personne physique. La personne morale peut aussi être condamnée à l’une des peines énumérées à l’article 131-39 du Code pénal à condition qu’elle soit expressément prévue par la loi, parmi lesquelles, seules l’exclusion des marchés publics et la publicité de la décision. L’étude des peines principales de référence induit de distinguer la sanction pénale commune (I) des sanctions pénales propres (II). 1506 R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 654, p. 824. 1507 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 756, p. 720. 1508 C. trav., art. L. 2328-1. 270 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 I. 577. La sanction pénale de l’amende L’amende est « une pénalité pécuniaire consistant dans l’obligation de verser au trésor public une somme déterminée par la loi 1509 ». En matière d’entrave, le quantum de la peine n’en est pas considérable1510, ce qui peut inciter « les dirigeants à privilégier le succès de l’opération économique et assumer le risque pénal 1511 ». Faut-il pratiquer la multiplication des amendes (A) ? Est-il pertinent d’en revaloriser le montant (B) ? A. 578. L’extension de la règle de multiplication des amendes Spécificité. Le Code pénal pose le principe selon lequel, lorsqu’à l'occasion d'une même procédure, la personne poursuivie est reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, chacune des peines encourues peut être prononcée. Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu'une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé1512. Spécificité du droit pénal du travail, le Code du travail tient parfois compte du nombre de salariés affectés par l’infraction dans le but d’accroître la répression1513. Ainsi, en matière d’hygiène et de sécurité, le législateur prévoit une multiplication du nombre d’amendes par le nombre de salariés concernés par l’infraction1514. L’utilisation de ce coefficient multiplicateur peut conduire au prononcé d’une amende au montant considérable lorsque plusieurs centaines de salariés sont concernés1515. En outre, le recours à ce coefficient n’exclut pas l’application de celui applicable aux personnes morales ce qui 1509 G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007. La gêne occasionnée sur le plan patrimonial est souvent supportée par l’entreprise (En ce sens voir A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p.37). 1511 P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 238, p. 147. 1512 C. pén., art., 132-3 – cf. Sur le concours réel d’infractions : B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 750 et s., p 562. 1513 A. COEURET, E. FORTIS, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5 ème éd., 2012, n° 443, p. 267. 1514 C. trav., art. L. 4741-1 – Cette multiplication des amendes trouve à s’appliquer en matière contraventionnelle (cf J.-F. CESARO, Droit pénal – Sanctions, J.-Cl. Travail, Fasc. 82-25, n° 73). 1515 Cass. crim., 15 févr. 2011, n° 10-87185 : Ainsi s’agissant du non respect du SMIC, le Tribunal de Police de Lyon a prononcé une peine d’amende d’un montant égal à 516 000€ (3000€ multiplié par 172 salariés). 1510 271 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 peut entraîner une double multiplication l’une par le nombre de salariés, l’autre par cinq voire par dix en cas de récidive1516. 579. Mise en place des institutions. Dérogatoire aux règles du droit commun, la multiplication des amendes apparaît particulièrement adaptée aux infractions commises dans le champ du droit du travail dès lors qu’elles affectent inévitablement l’ensemble des salariés de l’entreprise. D’aucuns s’interrogent sur la possibilité d’étendre cette règle1517. Au préalable, il apparaît important de rappeler qu’elle ne s’applique qu’aux seuls cas dans lesquels l’infraction affecte directement les salariés 1518. Ainsi, en est-il de l’infraction aux dispositions d’une convention collective étendue en matière de salaire1519 ou de la violation des dispositions relatives au repos dominical1520. La Cour de cassation s’oppose à l’extension d’un coefficient multiplicateur à des infractions qui n’affectent pas directement les salariés1521. Ainsi, cette règle ne saurait s’appliquer par principe au délit d’entrave, cette infraction n’affectant qu’indirectement les salariés. Une telle multiplication pourrait néanmoins présenter un intérêt certain s’agissant de l’entrave à la mise en place des institutions représentatives du personnel. Privés d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts, les salariés sont affectés directement par l’infraction. B. La revalorisation du quantum de la peine d’amende 580. Une nécessité. Au titre du délit d’entrave, le quantum des amendes ne dépasse pas le seuil de 3750 euros. Ce montant introduit « inconsciemment, mais inévitablement, dans l’esprit du juge [et des employeurs] l’idée selon laquelle les infractions en droit du travail ne présentent pas un caractère de gravité équivalent aux infractions de droit commun prévues par le Code pénal 1522 ». L’infraction n’emporterait 1516 A. COEURET, Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail, RJS, 2006, p. 851. 1517 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 279. 1518 J.-F. CESARO, Droit pénal – Sanctions, J-Cl. Travail, Fasc. 82-25, n° 78. 1519 C. trav., art. R. 2263-3. 1520 C. trav., art. R. 3135-2. 1521 Cass., 4 déc. 1936, D. Hebdomadaire, 1937, p. 136. 1522 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 275. 272 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 qu’un trouble minime à « l’ordre social public »1523. Il y a là une source d’affaiblissement de la norme pénale et, plus largement, l’une des sources d’ineffectivité du droit du travail et de « banalisation » de la voie répressive. 581. En outre, la faiblesse du quantum est d’autant plus marquante1524 que les peines correctionnelles prévues par le Code pénal débutent pour les plus faibles, à six mois d’emprisonnement et à 7500 euros d’amende et s’élèvent à un an d’emprisonnement et à 15000 euros d’amende1525. Se fondant sur une règle non écrite mais respectée de manière constante1526, les auteurs du nouveau Code pénal ont opéré une corrélation entre les deux peines principales1527. Ce mode de détermination a, par la suite, été généralisé aux infractions nouvellement créées en dehors du Code pénal. Cette revalorisation, qui peut paraître excessive1528, se justifie par « la volonté du législateur de permettre au juge (…) de sanctionner efficacement les délinquants les plus fortunés [et] par l’institution de la responsabilité pénale des personnes morales dont les capacités financières sont sans commune mesure avec celles des personnes physiques1529 ». Impératif d’efficacité et d’effectivité, la revalorisation du quantum se justifie aussi par une volonté d’harmonisation des peines délictuelles situées hors du Code pénal ou dans son périmètre1530. La revalorisation se justifierait en raison de la nature de la valeur sociale protégée ; le droit de la représentation collective revêt une valeur fondamentale1531. A cet égard, la sanction pénale ne serait encourue qu’à la condition que l’entrave concerne les attributions des instances de représentation du personnel et qu’une volonté de nuire ait été caractérisée. 582. Application. Le quantum des peines d’amende au titre du délit d’entrave ne devrait pas être inférieur au quantum minimum des peines d’amende correctionnelles 1523 J. MICHEL, op. cit., p. 275. J. MICHEL, op. cit., p. 274. 1525 Cette disparité se justifie par une raison historique. Les infractions réprimées par le Code du travail ont été codifiées avant l’adoption du nouveau Code pénal. 1526 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 559, p. 451. 1527 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1285, p. 868. 1528 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 833, p. 793. 1529 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, op. cit., n° 833, p. 793. 1530 En ce sens voir Ministère du Travail, Pour un ministère fort (http://www.sud-travail-affairessociales.org) 1531 L’accroissement de la sévérité pourrait être justifié par le caractère fondamental du droit de la représentation collective. 1524 273 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 prévues par le Code pénal, donc compris entre 7 500 € et 15 000 € d’amende. Cette revalorisation emporterait une majoration des peines applicables en cas de récidive. Le quantum de la peine sera porté au maximum à 75 000 € pour les personnes morales. Aux termes de l’article 131-38 du Code pénal, le taux de l’amende est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques. Il appartiendra au juge de moduler le montant de l’amende en fonction des capacités financières de la personne physique ou morale condamnée. II. 583. Les sanctions pénales hors amende Parmi les sanctions pénales hors amende, certaines, à l’instar de la peine d’emprisonnement, ne sont applicables qu’aux seules personnes physiques. D’autres, énumérées à l’article 131-9 du Code pénal, sont encourues par les personnes morales uniquement. En conséquence, il nous appartient de nous interroger sur la place de la peine d’emprisonnement (A) et sur la nécessité de recourir à des sanctions prises sur le fondement de l’article 131-9 du Code pénal en matière d’entrave (B). A. L’emprisonnement 584. Peine de principe. Supprimé en matière contraventionnelle, l’emprisonnement demeure en matière correctionnelle. En matière d’entrave, l’emprisonnement est prévu dès la première infraction1532 ; il constitue une alternative à l’amende. L’emprisonnement est rarement prononcé par les tribunaux correctionnels. Lorsqu’il est prononcé, il ne s’agit que très rarement d’une peine de prison ferme1533, plus souvent d’une peine de prison avec sursis1534. En témoigne la quinzaine de décisions rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation depuis 19881535. 1532 C. trav., art. L. 2328-1. Aucune peine de prison ferme n’a été prononcée depuis 2007. Les peines d’emprisonnement ferme prononcées en 2004 (1), 2005 (3), et 2007 (1) étaient d’une durée comprise entre un et trois mois (Sources : Les condamnations inscrites au casier judiciaire de 2004 à 2010, www.justice.gouv.fr). 1534 Entre une et cinq peines d’emprisonnement avec sursis simple sont prononcées par an depuis 2008 (Sources : Les condamnations inscrites au casier judiciaire (années consultées : 2008 à 2011), www.justice.gouv.fr) 1535 Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 10-82151 ; Cass. crim., 13 avr. 2010, n° 09-83649 ; Cass. crim., 25 sept. 2007, n° 06-84599 : Bull. crim., 2007, n° 222 ; Cass. crim., 28 janv. 2004, n° 02-85141 : Bull. crim., 2004, n° 22 ; Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 03-81366 : Bull. crim., 2003, n° 190 ; Cass. crim., 16 sept. 1533 274 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 585. Critiques. Perçue naguère comme la sanction pénale idéale1536, « la privation de liberté s’expose aujourd’hui à une sérieuse contestation1537 ». Si l’objectif recherché était de réinsérer l’individu dans la société par le travail, la réforme pénitentiaire d’après-guerre n’a jamais produit les effets escomptés. Face à cet échec flagrant, certains auteurs n’hésitent pas à prôner le refus de l’emprisonnement 1538 le réservant aux seules condamnations pour crime ou délit en récidive1539. Cette solution est déjà retenue pour certaines infractions relevant du droit pénal du travail ; seule la récidive peut conduire au prononcé d’une peine d’emprisonnement pour les infractions aux dispositions relatives aux contrats à durée déterminée1540, au travail temporaire1541, aux services de santé au travail1542, à l’hygiène et à la sécurité1543. Les infractions mettant en cause la sécurité des personnes1544 sont uniquement punies d’une peine d’amende pour les primo-délinquants. Cette solution présente l’avantage d’apporter une réponse pénale graduée. B. Les sanctions pénales encourues sur prévision de la loi 586. Inadéquation. S’agissant des peines énumérées à l’article 131-39 du Code pénal, il faut exclure d’emblée les confiscations (al. 8° et 10°) et les interdictions de détenir un animal (al. 11°) ou d’émettre des chèques (al. 7°). Une solution identique est retenue à l’égard de la dissolution (al.1°) qui, en raison de ses conditions 2003, n° 02-86661 : Bull. crim., 2003, n° 164 ; Cass. crim., 28 juin 1994, n° 93-82824 ; Cass. crim., 29 nov. 1988, n° 86-92693. 1536 La privation de liberté était « la peine par excellence dans les sociétés civilisées » ( P. ROSSI, Traité de Droit pénal, 1829, t. 3, p. 169). 1537 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1279, p. 865. 1538 M. ANCEL, « La prison pour qui ? », Rev. Pénit., 1976, p. 702 et s. - E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1278 et s., p. 865. Certains s’interrogent même sur l’opportunité de recourir aux châtiments corporels. « Quelques coups de badine sur le bas du dos, ou sur la plante des pieds sont moins dégradants et moins pénibles pour un condamné que la cohabitation dans une cellule avec un drogué » (J.-P. DOUCET, La loi pénale, Saint Gildas de Rhys, 3 ème éd., 2003, p. 397, n° III-217). 1539 La privation de liberté ne serait plus encourue par les primo-délinquants mais uniquement par les récidivistes. 1540 C. trav., art. L. 1248-1 à 3. 1541 C. trav., art. L. 1254-1 à 10. 1542 C. trav., art. L. 4541-1. 1543 C. trav., art. l. 4741-1. Cette liste est non exhaustive. 1544 Les infractions mettant en cause la sécurité des personnes sont d’une gravité supérieure à celle d’une infraction mettant en cause le droit de la représentation collective. 275 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’application1545, ne peut qu’être exclue. En outre, alors même qu’elles feraient l’objet d’une prévision de la loi, les sanctions restantes apparaissent en inadéquation avec les faits d’entrave1546. L’exclusion des marchés publics (al. 5°) et l’interdiction de lancer un appel public à l’épargne (6°) peuvent être retenues lorsque l’infraction est sans rapport avec les marchés publics et financiers. Toutefois, « quel juge judiciaire oserait priver du droit de concourir aux marchés publics une personne condamnée pour [délit d’entrave1547] » ? Ces sanctions présentent un caractère de gravité certain et doivent être prévues par les seules dispositions du Code des marchés publics et du Code des marchés financiers1548. Choisir une peine qui n’affecte pas directement les salariés est un exercice difficile. Les victimes directes ou indirectes du délit d’entrave n’ont pas à subir « les conséquences des sanctions pénales infligées à l’être moral qui les emploie1549 ». Or, les peines précédentes (l’exclusion des marchés publics, de la fermeture de l’établissement ou de l’interdiction d’exercer une activité professionnelle) ne sont pas sans incidence sur la situation des salariés et, plus largement, sur celle de l’entreprise1550. Parmi les mesures énumérées à l’article 131-39 du Code pénal, seule la peine d’affichage et de diffusion présente un intérêt certain. Reste qu’en matière d’entrave, cette peine n’est pas prévue. 587. Pour être encourues, les sanctions énumérées à l’article 131-9 du Code pénal doivent être prévues par la loi. En outre, ces peines ne peuvent être prononcées à l’encontre des infractions entrant, à compter du 31 décembre 2005, pour la première fois dans le champ d’application de la responsabilité des personnes morales. Seule une peine d’amende est encourue de plein droit par les auteurs (personnes morales) d’un délit 1545 Le juge pénal peut recourir à la dissolution lorsque la personne morale a été créée ou, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans (C. pén., art. 131-39). 1546 Le juge pénal pourrait toutefois y recourir en cas d’entraves répétés d’une gravité certaine où l’intention de nuire serait particulièrement avérée. 1547 J.-H. ROBERT, Le coup d’accordéon ou le volume pénale des personnes morales, Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, 2006, p. 983. 1548 J.-H. ROBERT, op. cit., p. 984 – C. Marchés publiques art., 43. 1549 J. MOULY, La responsabilité pénale des personnes morales et le droit du travail, PA, 1993, n° 120, p. 33 – A. COEURET, La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales. Son impact en droit du travail, RJS, 2006, chron., p. 843 ; P. LE CANNU, « Les sanctions applicables aux personnes morales en raison de leur responsabilité pénale », PA, 1993, n° 120, p. 16. 1550 Rappelons que lorsqu’il existe au sein d'une personne morale citée ou amenée à comparaître devant une juridiction de jugement, des représentants du personnel, le ministère public les avise de la date et de l'objet de l'audience, par lettre recommandée adressée dix jours au moins avant la date de l'audience (C. pén., art. R. 131-53). 276 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’entrave1551. Toutefois, plusieurs auteurs suggèrent de permettre l’application de certaines peines complémentaires dès lors qu’elles seraient encourues par les personnes physiques1552. Cette solution est préconisée par la circulaire d’application de la loi du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité des personnes morales1553. Au cas particulier du délit d’entrave, le juge peut prononcer une peine complémentaire d’affichage et de diffusion de la décision à l’encontre de la personne physique1554. Cette peine pourrait être prononcée à l’encontre de la personne morale alors même qu’aucun texte ne le prévoit. Toutefois, cette solution est source d’insécurité1555. Il est regrettable que « la suppression du principe de spécialité ait été adoptée sans concertation ni réflexion sérieuse sur les aménagements de la législation1556 ». Les auteurs sont nombreux à inviter le législateur à reprendre le travail afin notamment d’établir une concordance entre les peines prévues pour les personnes physiques et celles encourues par les personnes morales1557. 1551 Telle est la solution retenue par la circulaire du 13 février 2006 laquelle préconise « qu’en l’absence de dispositions législatives ou règlementaires spécifiques ; les autres peines susceptibles d’être prévues contre les personnes morales en application des articles 131-39 et 131-43 du Code pénal ne sont pas encourues et ne peuvent être prononcées ». 1552 B. BOULOC, « Les personnes morales toujours responsables pénalement », Rev. Droit des affaires, Lamy, 2006, p. 10 - F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 856, p. 825 ; M.-E. CARTIER, De la suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres Propos. In Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, 2006, p. 120. 1553 Circ. 13 févr. 2006, relative à l’entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi n° 2004-204, du 9 mars 2004, généralisant la responsabilité pénale des personnes morales, NOR : JUSDO630016C. 1554 C. pén., art. 131-10. 1555 A ce titre, la loi du 12 mai 2009, laquelle fait suite au rapport J.-M. COULON, parachève la généralisation de la responsabilité pénale. Rappelant que la loi Perben II a généralisée la responsabilité pénale, elle se contente d’extraire les dispositions pénales (dans ou hors le Code pénal) qui prévoyaient encore cette responsabilité et énonçaient la peine encourue. Ces précisions inutiles sont maintenant supprimées. Source de simplification, ce parachèvement reste toutefois incomplet. Il ne répond pas aux attentes de la doctrine. 1556 M.-E. CARTIER, De la suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres Propos, in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, 2006, p. 120. 1557 J.-C. PLANQUE, « Réflexions en matière de responsabilité pénale des personnes morales », Gaz. Pal., 4-6 janv. 2009, p. 11 - M.-E. CARTIER, op. cit., p. 120 - P. LE CANNU, « Les sanctions applicables aux personnes morales en raison de leur responsabilité pénale », PA, 1993, n° 120, p. 16 - J.H. ROBERT, Le coup d’accordéon ou le volume pénale des personnes morales, Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, 2006, p. 983 ; H. MATSOPOULOU, « La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », Rev. Des Sociétés, 2004, p. 283. 277 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 588. Innovation. Les sanctions encourues par la personne morale sont tournées vers le passé1558. Orientée vers la répression, la sanction est nécessairement négative. La peine ne peut pas « se désintéresser du passé. La considération principale (…) pour le juge se situe dans le passé : infraction commise, dommage social causé, trouble dans l’ordre public, faute de l’auteur1559 ». Toutefois, la peine ne peut se désintéresser totalement de sa fonction pédagogique. Ne pourrait-on soumettre la personne morale à l’élaboration d’un plan visant à prévenir les faits objets de l’incrimination1560 ? Cette pratique est inspirée du « corporate-compliance ». Les entreprises établissent « un programme de conformité visant à prévenir la commission d’infractions pénales 1561 ». L’objectif est de recenser les comportements répréhensibles et d’identifier les mesures permettant d’y remédier. L’élaboration d’un tel programme autoriserait l’entreprise à échapper à une condamnation ou à bénéficier d’une diminution de la sanction. Appliquée à l’entrave mais aussi aux obligations propres à la santé et à la sécurité1562, une telle pratique pourrait permettre à l’entreprise, en lien avec l’administration du travail et les représentants du personnel, de déterminer les bonnes pratiques à mettre en œuvre afin d’anticiper et d’amender le processus d’information et de consultation des représentants du personnel. Le plan ne saurait rester une « coquille vide ». Il doit comprendre des objectifs précis, déterminer les moyens d’y parvenir et ceux permettant leur évaluation1563. Sans constituer une cause d’irresponsabilité pénale1564, ce plan révèlerait la bonne foi de l’auteur des faits pouvant motiver une décision de relaxe ou une sanction atténuée. Sa mise en œuvre constituerait une sanction positive qui pourrait être prononcée avant l’exercice des poursuites par le procureur au titre des alternatives aux poursuites ou après l’exercice des poursuites par le juge à l’occasion d’un ajournement du prononcé de la peine avec injonction de faire. 1558 « Pourquoi avoir négligé l’aspect positif des mesures qui sont de nature à amender l’action des personnes morales ? » (P. LE CANNU, « Les sanctions applicables aux personnes morales en raison de leur responsabilité pénale », PA, 1993, n° 120, p. 21). 1559 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 501, p. 414. 1560 D’autres auteurs préconisent que le juge puisse prononcer des injonctions de faire afin de remédier à la situation répréhensible et de permettre aux personnes morales d’amender leur comportement. 1561 M.-E. CARTIER, De la suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres Propos, in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, 2006, p.113. 1562 En ce sens : J.-C. PLANQUE, Réflexions en matière de responsabilité pénale des personnes morales, Gaz. Pal., 4-6 janv. 2009, p. 11. 1563 Le contenu du plan fera l’objet de développements ultérieurs 1564 M.-E. CARTIER, De la suppression du principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Libres Propos, in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, 2006, p. 113. 278 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 589. Conclusion. Accroître seulement la sévérité des peines de référence est inefficace1565 à moins que la sanction pénale ne soit publiée, certaine et prononcée avec célérité1566. La certitude de la sanction ne s’oppose pas à son individualisation. A ce titre, il est nécessaire de recourir tant aux mécanismes classiques de graduation des peines qu’aux peines complémentaires. La création de sanctions positives, à l’instar de « l’injonction de faire », s’inscrit dans cette démarche d’individualisation. Section II - L’individualisation de la sanction pénale 590. Libre choix1567. En matière correctionnelle, sauf la peine d’emprisonnement ferme1568, le juge n’a pas à motiver sa décision1569 et ce, quelle que soit la nature de la sanction prononcée. Il détermine librement la sanction qu’il entend infliger. Toutefois, il doit faire « œuvre de pédagogie1570 » en explicitant les raisons pour lesquelles telle sanction a été adoptée. La sanction ne serait-elle pas mieux accueillie si le condamné connaissait les raisons qui ont conduit à son prononcé1571 ? En ayant recours au principe de personnalisation, le juge peut faire varier l’intensité de la peine (§1). Il peut aussi adapter la sanction pénale en la diversifiant. Le Code pénal lui permet de prononcer à titre de peines principales des peines complémentaires (§2). 1565 J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 16ème éd., 2012, n° 565, p. 500 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1196, p. 805 – P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n° 265 et s., p. 259 et s. ; B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 497, p. 412. 1566 La peine doit être perçue comme certaine et à la hauteur de celle attendue. En ce sens : P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 244, p. 149. 1567 La sanction pénale s’applique « à des faits objectifs, commis dans des circonstances particulières par un auteur dont le passé, la personnalité, la responsabilité, l’environnement, la situation,… varient dans chaque cas, si bien que le droit pénal, sous peine d’être aveugle, doit permettre au juge d’en tenir compte en infligeant une peine » (J.-L. BERGEL, Une problématique des sanctions pénales ?, in Mél. R. GASSIN, Sciences pénales et sciences criminologiques, PUAM, 2007, p. 92). 1568 C. pén., art. 132-19, al. 2. 1569 Voir E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1519 et s., p. 995 ; J. LEBLOIS-HAPPE, « Le libre choix de la peine par le juge : un principe défendu bec et ongles par la chambre criminelle », Dr. pén., avr. 2003, chr. 11. 1570 E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1 ère éd., n° 365, p. 154. 1571 Il s’agit de présenter succinctement les circonstances de l’infraction, d’expliciter les éventuelles causes d’irresponsabilité mais aussi les éventuelles causes d’aggravation ou de minoration de la peine. (Sur le principe d’absence de motivation et sur la conformité de ce principe au regard de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme : cf. E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1ère éd., n° 360 et s, p. 152 et s.). 279 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 §I. L’intensité de la sanction pénale 591. Objectif. Le principe de personnalisation est inscrit à l’article 132-24 du Code pénal1572. La peine doit concilier la protection de la société, la sanction du coupable et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions. A l’aune de cet objectif, le juge correctionnel doit déterminer la nature et le quantum de la peine en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur (I). Le Code pénal invite le juge correctionnel à ne pas prononcer une peine d’emprisonnement à moins que la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur la rendent nécessaire. Le juge doit, en tout état de cause, déterminer la sanction pénale adéquate (II). I. 592. Les critères de variation Le juge pénal n’est pas un simple « distributeur de peines fixes1573 ». La peine est choisie par le juge en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction (A) et des circonstances de celle-ci (B). A. La personne 593. Les éléments neutres ne révèlent aucun jugement de valeur1574. Lorsque les juges prononcent une peine d'amende, ils déterminent son montant en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction1575. Il appartient à l’employeur ou à son représentant de rapporter les éléments permettant d’établir la situation financière dans laquelle se trouve l’entreprise. Fait-elle face à des difficultés économiques structurelles ou conjoncturelles ? Fait-elle l’objet d’une procédure de redressement ou 1572 Sur la valeur constitutionnelle du principe de personnalisation : v. F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, Droit Pénal général, Economica, 2009, 16 ème éd., n° 941 et s., p. 897 – S. FROSSARD, « Quelques réflexions relatives au principe de personnalité des peines », Rev. sc. crim., 1998, p. 703. 1573 R. MERLE, A. VITU, Traité de Droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 97, p. 149. 1574 E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1 ère éd., n° 350, p. 147. 1575 La citation informe le prévenu qu'il doit comparaître à l'audience en possession des justificatifs de ses revenus ainsi que de ses avis d'imposition ou de non-imposition, ou les communiquer à l'avocat qui le représente (C. proc. pén., art. 389). 280 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de liquidation judiciaire ? En outre, il appartiendra au juge de tenir compte de la dimension de l’entreprise. S’agit-il d’une PME, d’une entreprise familiale, d’une multinationale, etc. ? Dans les entreprises de petite taille, l’employeur a-t-il les moyens de recourir « à une assistance juridique pertinente1576 » ? Au sein des entreprises de grande taille, le juge appréciera « l’architecture des délégations (…) à mettre le chef d’entreprise à l’abris de toute poursuite au titre des infractions entrant dans le champ du transfert opéré1577 ». 594. Les éléments psychologiques. En droit pénal, le juge peut se fonder sur des éléments afférents à l’auteur de l’infraction. Il tient compte de la minorité et « de la situation de faiblesse psychologique » de ce dernier. L’auteur des faits était-il atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ? Spécificité du droit pénal du travail, le juge ne s’attardera pas sur ces éléments. 595. Passé pénal. Le juge doit tenir compte du passé pénal de l’employeur. L’auteur des faits est-il primo-délinquant, récidiviste, multirécidiviste ? Entrent dans le champ de la personnalisation « tous les antécédents para-pénaux, fiscaux, administratifs, (…) à même d’éclairer le juge dans sa prise de décision 1578 ». Le juge doit s’appuyer sur l’expertise de l’inspection du travail et sur les relations qu’elle entretient avec la société. Parmi les antécédents administratifs, le juge doit se référer aux lettres d’observation, aux mises en demeure qui ont pu être adressées à l’employeur. La qualité du procèsverbal, la qualité du rapport annexé et la présence à l’audience de l’inspection du travail seront ici déterminantes. B. L’infraction 596. Circonstances. Le juge a recours aux mobiles au moment de déterminer le quantum et la nature de la peine. Il peut moduler la sanction pénale en fonction des circonstances dans lesquelles l’infraction est intervenue. Son examen portera sur les relations entretenues par les institutions représentatives du personnel avec la direction, 1576 B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, n° 11, p. 940. B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, n° 11, p. 940. 1578 E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1 ère éd., n° 353, p. 149. Le juge peut tenir compte de ces éléments à condition qu’ils aient été soumis au respect du contradictoire (Cass. crim., 2 juill. 1998 : Bull. crim., 1998, n° 213). 1577 281 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 sur le comportement de chacun à l’occasion des réunions ou en dehors d’elles. L’étude des procès-verbaux de réunion est particulièrement probante. L’employeur conteste-t-il constamment le rôle des représentants du personnel ou, au contraire, donne-t-il des gages de sa volonté de créer un dialogue social de qualité ? L’élaboration en concertation avec les instances de représentation du personnel d’un plan de bonnes pratiques constitue un facteur d’individualisation favorable dès lors qu’elle intervient après la commission d’entraves. L’employeur fait-il face à des manœuvres dilatoires répétées de la part des membres des instances de représentation du personnel afin de retarder tel ou tel projet ? Une étude approfondie des comportements des acteurs de l’entreprise est déterminante. II. 597. Les techniques de variation Une peine d’emprisonnement ferme ne doit être prononcée que si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur la rendent nécessaire, toute autre sanction apparaissant manifestement inadéquate1579. A condition que la personnalité et la situation du condamné le permettent, cet emprisonnement doit faire l’objet d’une mesure d’aménagement : semi-liberté1580, placement à l’extérieur1581, fractionnement de la peine1582. Outre ces mécanismes de variation propres à l’emprisonnement1583, d’autres dispositifs permettent une adaptation de la peine, en l’atténuant via l’ajournement ou le sursis (A) ou en l’aggravant en cas de récidive (B). A. L’atténuation 598. Le Code du travail assortit de sanctions pénales l’inobservation des prescriptions édictées pour assurer la santé et la sécurité des salariés ou l’information et la consultation de leurs représentants du personnel. Mais la condamnation du prévenu constitue-t-elle « une réponse appropriée, dans la mesure où le but poursuivi (…) est 1579 C. pén., art. 132-24. C. pén., art. 132-25, al. 1. 1581 C. pén., art. 132-25, al. 7. 1582 C. pén., art. 132-28. 1583 Le fractionnement de l’amende est toutefois possible à condition qu’il réponde à un motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social (C. pén., art. 708, al. 3). 1580 282 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 moins de punir que d’obtenir la mise en conformité de telle mesure avec la loi 1584 » ? A cet égard, l’ajournement avec injonction ou le sursis avec mise à l’épreuve présentent un intérêt certain. Autre hypothèse, le chef d’une entreprise familiale est exposé à de multiples fautes de gestion commises de manière non intentionnelle. S’il redoute la sanction pénale, il « l’assume comme une fatalité tant il a la conviction qu’il ne peut échapper à l’erreur et que plaider l’erreur de droit est un exercice difficile1585 ». La dispense de peine ne mérite-t-elle pas d’être utilisée ? L’atténuation au stade du prononcé de la peine (1°) ou au stade de son exécution (2°) peut se révéler pertinente. 1°. 599. L’atténuation au stade du prononcé de la peine Le « pardon judiciaire1586 ». Lorsqu’il apparaît que le reclassement du prévenu est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé, le juge peut dispenser de peine l’auteur des faits incriminés1587. Il y a « dissociation immédiate et définitive entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine1588 ». La dispense de peine s’applique à toutes les sanctions principales et entraîne l’exclusion des peines complémentaires1589. 600. L’ajournement1590. Lorsque les conditions de la dispense de peine ne sont pas remplies mais qu’elles pourraient l’être dans un avenir proche1591, le juge peut ordonner l’ajournement du prononcé de la peine. La juridiction renvoie sa décision sur le fond à une date ultérieure. 1584 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 1028, p. 961. 1585 B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, n° 11, p. 940. 1586 P. COUVRAT, « L’ajournement du prononcé de la peine. De quelques difficultés », Rev. sc. crim., 1985, p. 622. Adde, « Partout où existe une autorité disciplinaire, que ce soit dans la famille au profit du père ou dans les administrations au profit des supérieurs hiérarchiques, la première loi de la bonne discipline…, c’est presque toujours, à moins de cas absolument graves, le pardon pour la première faute. La société serait donc seule à ne jamais pardonner » (R. SALEILLES, L’individualisation de la peine, 2ème éd., 1909, éd. Alcan, p. 196). 1587 C. pén., art. 132-59. 1588 J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 16ème éd., 2012, n° 565, p. 500. 1589 Le juge doit statuer sur l’action civile (C. pén., art. 132-58, al. 2). 1590 Th. PAPATHEODOROU, « La personnalisation des peines dans le nouveau code pénal français », Rev. sc. crim., 1997, p. 15. 1591 J. PRADEL, op. cit., n° 565, p. 500. 283 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 601. Le juge peut ordonner l’ajournement simple du prononcé de la peine lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d'être acquis, que le dommage causé est en voie d'être réparé et que le trouble résultant de l'infraction va cesser. La présence du prévenu à l’audience est indispensable. 602. Dans des conditions identiques à l’ajournement simple, le tribunal correctionnel peut prononcer un ajournement avec mise à l’épreuve pendant un an au plus1592. Il peut imposer l’observation de l’une ou plusieurs obligations mentionnées à l’article 132-45 du Code pénal parmi lesquelles l’obligation de suivre un enseignement ou une formation professionnelle ou de réparer tout ou partie des dommages causés par l’infraction1593. Aussi séduisant soit-il, ce mécanisme n’apparaît pas adapté à la réalité du monde de l’entreprise au regard des contraintes qu’emporte la mise à l’épreuve 1594. 603. L’ajournement avec injonction s’applique à un prévenu personne physique ou personne morale. Sa présence à l’audience n’est pas déterminante. Cette décision d’ajournement ne peut intervenir qu’une seule fois. Le Code du travail a recours à ce mécanisme en matière d’égalité professionnelle. Est retenu le principe d’une dispense de peine au profit de l’employeur déclaré coupable de discrimination sexiste s’il répond à l’injonction du juge dans un délai déterminé par des mesures concrètes propres à assurer le rétablissement de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes1595. 604. Ce mécanisme ne peut être mis en œuvre que si un texte d’incrimination le prévoit. Il est permis de regretter que ce système ne soit pas davantage praticable1596, 1592 C. pén., art. 132-63. Seules les personnes physiques peuvent bénéficier d’un ajournement avec mise à l’épreuve. 1593 C. pén., art. 132-45, al. 1, 5°, 18 . Voir E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1ère éd., n° 658 et s, p. 272. 1594 Au cours du délai d’épreuve, le prévenu doit satisfaire aux mesures de contrôle qui lui sont imposées par le Code pénal, notamment répondre aux convocations du juge de l’application des peines et du travailleur social ou prévenir des éventuels changements de résidence ou des déplacements effectués (C. pén., art. 132-43 et 132-44). 1595 L’adoption des mesures doit se faire en concertation avec le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel (C. trav., art. L. 1146-2 et 3 ; J.-F. CESARO, « Un nouveau droit de l’égalité professionnelle ? », Dr. social, 2008, p. 654 ; J.-F. CESARO, Les sanctions, in L’égalité en droit social, LexisNexis, 2012, p. 97). 1596 A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 37 ; F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 1026, p. 960 ; Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social, 1987, p. 514 ; Ch. LAZERGUES, « La 284 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 spécialement en matière d’entrave. A ce titre, l’injonction pourrait être de deux ordres. En premier lieu, le juge pourrait enjoindre l’employeur de procéder à l’information et à la consultation des représentants du personnel conformément aux prescriptions légales. Toutefois, cette voie apparaît inopérante au regard du temps judiciaire1597. Seconde voie, le juge pourrait enjoindre l’employeur de procéder à l’élaboration d’un plan de bonnes pratiques. Si la menace de la sanction ne constitue pas une incitation suffisante, le Code pénal permet au juge d’assortir l’injonction d’une astreinte1598. Ces possibilités de dissuasion sont plus « profitables à la justice et au monde du travail que la voie de la répression pure et dure1599 ». 605. Issue. Quel que soit le mécanisme retenu, l’ajournement du prononcé de la peine « oblige à reconvoquer le délinquant donc à audiencer à nouveau son affaire, [occasionnant] une surcharge de travail1600 ». A l'audience de renvoi, tenant compte de la conduite du prévenu, le juge peut soit le dispenser de peine, soit prononcer la peine prévue par la loi, soit ajourner une nouvelle fois son prononcé1601. 2°. 606. L’atténuation au stade de l’exécution de la peine Le sursis simple1602. Le juge correctionnel qui prononce une peine peut ordonner qu'il soit sursis à son exécution1603. Le prévenu doit être averti en personne des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise diversification des réponses pénales à la commission d’une infraction au droit pénal du travail », Rev. sc. crim., 1992, p. 499. 1597 De longs mois séparent la commission de l’infraction du prononcé de la peine. A cet égard, la saisine du juge des référés ou de l’administration du travail s’agissant de l’information et de la consultation dans une phase de restructuration apparaît plus efficiente. 1598 A condition que le texte d’incrimination le prévoit (C. pén., art. 132-67). 1599 Y. MAYAUD, « Les recours au juge répressif », Dr. social, 1987, p. 514. 1600 Ch. LAZERGUES, « La diversification des réponses pénales à la commission d’une infraction au droit pénal », Rev. sc. crim., 1992, p. 497. 1601 C. pén., art. 132-60 et s. 1602 Pour un descriptif complet du sursis simple : E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1530 et s., p. 1005 - E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1 ère éd., n° 615, p. 257. 1603 Lorsque l’auteur des faits est une personne physique, le sursis est applicable en matière correctionnelle, aux condamnations d’emprisonnement prononcées pour une durée inférieure ou égale à cinq ans au plus, à l’amende, à la peine de jours-amende, aux peines complémentaires à l’exception de la peine d’affichage. Lorsque le délinquant est une personne morale, le sursis est applicable en matière correctionnelle aux condamnations à une amende et à certaines peines énumérées à l’article 131-39 du Code pénal (C. pén., art. 132-32). 285 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 dans des délais fixés par le juge. Le sursis simple emporte suspension de l’exécution de la peine pendant une durée de cinq ans maximum1604. Si aucune infraction n’a été commise dans le délai fixé, la condamnation initiale est déclarée non avenue. Dans le cas contraire, la condamnation initiale est mise à exécution. Le sursis est révoqué. 607. Le sursis à l’exécution de la condamnation n’est pas « autre chose que la substitution d’une peine judiciaire personnelle à une menace judiciaire anonyme 1605 ». A l’égard de certains employeurs1606, primo-délinquants ou récidivistes, cette suspension de l’exécution de la peine produit « une menace suffisante pour [les] inciter à se conduire correctement1607 ». Est constaté un engouement certain pour le prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis en matière d’entrave. En témoigne la quinzaine de décisions rendues par la Cour de cassation depuis 19881608. Ce « relatif engouement1609» pour le prononcé d’une peine avec sursis trouve sa source dans diverses interventions du législateur. Ce dernier exhorte les juges correctionnels au prononcé du sursis et à n’appliquer la peine d’emprisonnement qu’après avoir spécialement motivé le choix de celle-ci1610. 608. Le sursis avec mise à l’épreuve a un champ d’application limité. Applicable aux seules personnes physiques, il ne peut être prononcé que pour une condamnation à une peine de prison d’une durée inférieure ou égale à cinq ans1611. La mise à l’épreuve est une procédure contraignante pour l’auteur des faits. Elle aboutit à une véritable « mise en tutelle du délinquant1612 ». Elle participe surtout d’« une liberté surveillée1613 » en ce qu’elle emporte application de mesures de contrôle et impose des obligations de faire ou de ne pas faire visées à l’article 132-45 du Code pénal. Un tel 1604 C. pén., art. 132-35. P. CUCHE, Précis de droit criminel, Dalloz, 5 ème éd., 1934, p. 217. 1606 Seraient potentiellement visés ici les dirigeants d’entreprises de grande taille. 1607 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1530, p. 1005. 1608 Cass. crim., 8 nov. 2011, n° 10-82.151 ; Cass. crim., 13 avr. 2010, n° 09-83649 ; Cass. crim., 25 sept. 2007, n° 06-84.599 : Bull. crim., 2007, n° 222 ; Cass. crim., 28 janv. 2004, n° 02-85141 : Bull. crim., 2004, n° 22 ; Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 03-81366 : Bull. crim., 2003, n° 190 ; Cass. crim., 16 sept. 2003, n° 02-86661 : Bull. crim., 2003, n° 164 ; Cass. crim., 28 juin 1994, n° 93-82824 ; Cass. crim., 29 nov. 1988, n° 86-92693. 1609 E. GARÇON, V. PELTIER, Droit de la peine, Litec, 2010, 1 ère éd., n° 613, p. 256. 1610 C. pén., art. 132-19, al. 2. 1611 C. pén., art. 132-40 et s. 1612 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 799, p. 597. 1613 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1548, p. 1012. 1605 286 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 mécanisme doit être exclu en cas d’entrave à moins qu’il ne fasse l’objet d’une adaptation aux réalités économiques et sociales de l’entreprise1614. B. L’aggravation 609. La récidive légale. Une personne n’est en état de récidive légale qu’à la condition que « les deux infractions qui lui sont successivement reprochées ont été séparées entre elles par un jugement devenu définitif de condamnation1615 ». En l’absence de jugement, il n’y a que concours réel d’infractions1616. L’état de récidive légale s’apprécie objectivement au moyen d’une comparaison entre deux termes. 610. Le premier est constitué par une condamnation pénale définitive et toujours existante, prononcée par une juridiction française. Le second résulte de la commission d’une nouvelle infraction. Si plusieurs situations peuvent être distinguées, nous n’envisagerons que l’hypothèse de la récidive purement correctionnelle. La récidive conduit au relèvement des peines principales à condition que le prévenu, déjà condamné définitivement pour un délit, commette, dans le délai de cinq ans à compter de l’expiration de la précédente peine, un délit identique1617. Spéciale1618, la récidive ne peut être caractérisée que par la commission d’infractions relevant de la même qualification. 611. Conséquences. La récidive emporte le doublement des peines d’emprisonnement et d’amende encourues. Appliquée au délit d’entrave, la peine d’emprisonnement serait de deux ans. En raisonnant par analogie avec la règle qui joue en matière d’hygiène et de sécurité, la peine actuelle d’un an d’emprisonnement pourrait être réservée au seul récidiviste. Quant à la peine d’amende, elle oscillerait entre 15 000 et 30 000 euros s’agissant de la condamnation d’une personne physique. Le quantum de 1614 A cet égard, l’une des adaptations à réaliser consisterait en la suppression des convocations et des visites du travailleur social. De même, l’obligation de prévenir le juge des déplacements que l’employeur serait amené à accomplir est de nature à faire obstacle à la bonne exécution de ses obligations professionnelles. 1615 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1399, p. 923. 1616 C. pén., art. 132-2. 1617 C. pén., art. 132-10. 1618 F. DESPORTES, F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 925, p. 882 ; C. de JACOBET de NOMBEL, Théorie générale des circonstances aggravantes, Dalloz, coll., NBT, 2006, n° 117 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1428, p. 941. 287 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 la peine serait porté à 150 000 euros au maximum pour les personnes morales. En effet, lorsque la récidive est constituée, la personne morale encourt le décuple de l’amende prévue pour les personnes physiques. §II. L’adaptation de la sanction pénale 612. Diversification. Nombreux sont les auteurs à appeler à une diversification des sanctions pénales. Ils souhaitent qu’il soit recouru plus fréquemment aux peines complémentaires que le Code pénal permet de prononcer à titre de peines principales en matière correctionnelle1619 (I). Le juge pénal dispose d’autres moyens de diversification de la sanction pénale parmi lesquels le jour-amende et la sanction-réparation. Ils doivent être privilégiés (II). I. 613. Le recours aux peines complémentaires Parmi les peines complémentaires, seuls l’affichage et la diffusion de la décision (A) ou l’obligation de formation (B) présentent un intérêt certain. A. La sanction médiatique 614. Name and shame à la française. L’impact d’une condamnation sur l’image de l’entreprise est important aux yeux des dirigeants. En témoignent les protestations des organisations patronales1620 suite à la mise en place d’un classement des grandes entreprises en matière de prévention du stress professionnel. Ce système permettait d’évaluer l’état d’avancement dans la mise en œuvre d’une politique de prévention du stress au travail1621. L’atteinte à l’image des entreprises était caractérisée. Le conseil 1619 C. pén., art. 131-5-1 et 131-11. Face aux réclamations patronales, le système, « inspiré de la pratique du name and shame fît long feu (…) et fut retiré » (P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 231, p. 140 ; J.-E. RAY, Sanctions et incitations en droit du travail, Liaisons sociales Magazine, Janv. 2011, p. 96). 1621 Le ministère du Travail n’avait publié sur le site internet « travailler-mieux.gouv.fr » que la liste classée verte. Il s’agissait des entreprises qui avaient déclaré avoir signé un accord ou engagé un plan d’action concerté. Les autres listes, orange et rouge, n’ont pas fait l’objet de publication. Elles visaient les entreprises ayant déclaré avoir engagé une ou plusieurs réunions de négociation d'un accord (orange) ou 1620 288 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’orientation sur les conditions de travail observait que « cette stigmatisation avait imprimé à la négociation collective sur ce thème un élan qui était retombé avec la baisse de la pression gouvernementale1622 ». 615. La sanction d’affichage ou de diffusion a un réel retentissement en ce qu’elle porte atteinte à l’image, à la réputation d’une société. Elle peut « guider les choix de la clientèle d’un groupe, détourner le public d’une organisation philanthropique, déconsidérer un syndicat1623 ». Toutefois, la diffusion ou l’affichage demeure l’ultime peine infamante en ce qu’elle cherche « à atteindre le condamné dans la réputation qu’il a auprès de ses concitoyens1624 ». La publication est une sanction pénale qui doit être strictement encadrée et réservée à la seule personne morale1625. 616. Conditions. La publication peut se faire par voie d’affichage ou de diffusion. Il appartient au juge de préciser la durée et les lieux de l’affichage. Il peut également ordonner la diffusion d’un communiqué dont il aura précisé le contenu. La diffusion peut être effectuée par insertion au Journal officiel ou dans d’autres publications de presse. Ces modalités sont alternatives. Un juge ne saurait prononcer l’affichage et la diffusion sauf si un texte spécial le prévoit. Les frais d’affichage ou de diffusion sont supportés par le condamné mais ne peuvent excéder le maximum de l’amende encourue1626. B. L’obligation de formation : une sanction pédagogique celles ayant répondu négativement au questionnaire du ministère ou n'ayant apporté aucun élément permettant de constater un engagement de négociation ou d'action sur le stress (rouge). 1622 P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 231, p. 140. 1623 P. LE CANNU, « Les sanctions applicables aux personnes morales en raison de leur responsabilité pénale », PA, 1993, n° 120, p. 17. 1624 B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 628, p. 494. 1625 La peine d’affichage ou de diffusion constitue « une résurgence de la peine d’exposition publique ». Elle produit un « effet afflictif en dehors du droit pénal des affaires car la flétrissure morale qui en résulte peut rejaillir sur la famille du condamné, ce qu’il ne souhaite pas forcément » (E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1306, p. 880). 1626 C. pén., art. 131-35. 289 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 617. Expérimentation. Dans une étude sur les sanctions et mesures correctives de l’inspection du travail1627, le Professeur AUVERGNON a relevé le développement de diverses pratiques1628 prises localement dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites. Parmi les initiatives observées, il relève la formation des chefs d’entreprise qui ont fait l’objet de procès-verbaux de l’inspecteur du travail en matière d’hygiène et de sécurité ou de santé au travail. Cette pratique des « stages professionnels » s’inscrit dans le cadre de la composition pénale qui peut être proposée par le procureur de la République avant l’exercice des poursuites1629. Pour le ministère de la Justice, le domaine de la sécurité et de la santé au travail constitue l’un des champs d’application des « stages alternatifs aux poursuites1630 ». Il est permis de regretter que le ministère de la Justice n’ait pas généralisé cette pratique des « stages professionnels » aux autres branches du droit du travail, spécialement au droit de la représentation collective. Ce « stage professionnel » constituerait une sanction pénale particulièrement appropriée pour les chefs d’entreprises familiales ou de petite taille. Les stages peuvent « se décliner, dans leur variété, en diverses qualifications, expresses ou tacites, plus ou moins imprégnées de considérations répressives (…) le stage gouverne le choix punitif1631 ». Le stage peut être une cause d’extinction de la poursuite1632, une obligation du sursis avec mise à l’épreuve1633, une modalité de l’ajournement avec injonction ou une peine1634. 618. Objectif. L’objectif du stage est d’apporter « une réponse pédagogique et [de tendre] à la prévention de la réitération (…). Il doit favoriser une prise de conscience de la nature et des conséquences de la transgression de la loi 1635 ». Il vise à faire connaître et à expliquer les textes législatifs et réglementaires applicables, à inciter les chefs 1627 Ph. AUVERGNON, Etude sur les sanctions et mesures correctives de l’inspection du travail, Document de travail, n° 15 avril 2011, BIT, p. 53. 1628 Ph. AUVERGNON, n° 15 avril 2011, BIT, p. 54. 1629 C. proc. pén., art. 41-2, 7. 1630 Circ. Min. Just. DACG,16 mars 2004 relative à la politique pénale en matière de réponses alternatives aux poursuites et de recours aux délégués du procureur, n° CRIM.04-3/E5-16-03-04. Dans le même sens : « Le domaine de la sécurité et de la santé au travail est donc directement concerné par la composition pénale » (Note DGT relative aux stages professionnels et aux alternatives aux poursuites, 20 avr. 2010, réf. D.10-0553). 1631 G. VERMELLE, Stages, in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, p. 1138. 1632 C. Proc. pén., art. 41-1 et 2. 1633 C. pén., art. 132-45. 1634 C. pén., art. 131-6. 1635 Circ. Min. Just. DACG, 16 mars 2004, op. cit., annexe fiche n° 7. 290 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’entreprise à prendre en compte le droit de la représentation collective. Ce stage tend à faire évoluer les comportements des responsables d’entreprises et de leurs salariés. 619. Contenu. Le stage n’a « véritablement de sens que s’il est en rapport avec l’infraction commise1636 ». La formation s’organiserait autour d’ateliers théoriques et d’ateliers pratiques. Ateliers théoriques d’abord, le contenu de la formation pourrait être adapté à la situation personnelle de l’entreprise et de son responsable. A ce titre, l’élaboration d’un questionnaire sur la situation de l’entreprise au regard du droit de la représentation collective permettrait d’en adapter le contenu. Des ateliers pourraient aborder de manière très générale les thèmes de la mise en place, du fonctionnement ou des attributions des institutions représentatives du personnel. D’autres, plus « ciblés », pourraient porter sur le thème de l’infraction relevée : les budgets du comité d’entreprise, la communication des informations au comité d’entreprise ou encore l’articulation des consultations dans une phase de restructuration. Ateliers pratiques, la formation doit proposer aux chefs d’entreprise des mises en situation et favoriser l’échange de bonnes pratiques. 620. Les modalités du stage doivent être déterminées par décret. Le stage professionnel obéit à « des exigences pédagogiques1637 » lesquelles tiennent notamment à la détermination d’un calendrier, des programmes, des lieux, du contrôle et de la validation du contenu de la formation. L’animation des stages professionnels par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi doit être nourrie par les interventions des différents acteurs du droit social : universitaires, inspecteurs du travail, médecins du travail, avocats, magistrats, etc. La formation a un coût. Un mécanisme analogue à celui existant en matière de diffusion du jugement peut être adopté : les frais de formation sont supportés par le prévenu à hauteur du maximum de l’amende encourue. II. 621. Le recours aux peines alternatives L’institution de peines alternatives à l’image du jour-amende (A) et de la sanction-réparation (B) qui peuvent être prononcées à la place de l’amende ou de 1636 1637 G. VERMELLE, Stages, in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, p. 1137. G. VERMELLE, Stages, in Mél. B. BOULOC, Les droits et le Droit, Dalloz, p. 1137. 291 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’emprisonnement à titre de peine principale, ouvre la voie à la personnalisation des peines. A. Le jour-amende 622. « A mi-chemin entre l’amende et l’emprisonnement1638 » le jour-amende est encourue par les personnes physiques en matière correctionnelle. La peine de joursamende présenterait en matière d’entrave un double intérêt. Elle constituerait tant une alternative à l’emprisonnement qu’un moyen de justice sociale. 623. Une alternative à l’emprisonnement. Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, le juge correctionnel peut, à la place de l’emprisonnement, prononcer une peine de jours-amende. Le Code pénal ne présente pas expressément cette peine comme une alternative à l’emprisonnement1639. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’elle permet au juge correctionnel de sanctionner autrement un chef d’entreprise qui ne présente aucune « dangerosité » imposant de le priver de liberté. Le juge dispose d’« un substitut en numéraire aux journées d’enfermement qui auraient pu être prononcées1640 ». 624. Un moyen de justice sociale ? Le législateur a entendu parvenir au prononcé « de peines pécuniaires qui représentent le même sacrifice financier pour tous les condamnés, par la diminution de leur niveau de vie proportionnelle à l’importance de leurs ressources1641 ». La peine de jours-amende est distincte de la peine d’amende. Elles ne peuvent être prononcées cumulativement1642. Ce mécanisme ne constitue pas « une technique d’individualisation de la peine1643 » ni une « simple modalité de 1638 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1291, p. 872. Aucun texte, à l’exception de la circulaire d’application, n’interdit au juge de prononcer cumulativement une peine de jours-amende et une peine d’emprisonnement. Au demeurant cette solution n’a jamais été pratiquée (Voir J.-H. ROBERT, Droit pénal général, PUF, coll. « Themis », 6ème éd. 2005, p.446 ; F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, Droit Pénal général, Economica, 16ème éd., 2009, n° 788 et s., p. 744 ; B. BOULOC, Droit pénal général, Préc., Dalloz, 22ème éd., 2011, n° 560, p. 452). 1640 E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2 ème éd., 2012, n° 1291, p. 872 ; dans le même sens : B. SCHÜTZ, Les jours-amende : entre l’espoir et la réalité, in Mél. A. VITU, Droit pénal contemporain, Cujas, 1989, p. 460. 1641 B. SCHÜTZ, Les jours-amende : entre l’espoir et la réalité, in Mél. A. VITU, Droit pénal contemporain, Cujas, 1989, p. 460. 1642 C. pén., art. 131-9. 1643 B. BOULOC, Chronique législative, Rev. sc. crim., 1983, p. 691. 1639 292 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 calcul1644 ». Toutefois, elle permet d’adapter le quantum de l’amende en fonction de la situation financière du prévenu. L’institution du jour-amende présente un intérêt certain en ce qu’elle peut conduire le juge à dépasser le maximum de l’amende prévue pour une infraction. Toutefois, le législateur a posé une double limite. Le montant de chaque jour-amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges du prévenu et ne peut excéder 1 000 euros. De plus, le nombre de jours-amende est déterminé en tenant compte des circonstances de l'infraction, il ne peut excéder trois cent soixante. Le défaut total ou partiel de paiement entraîne l'incarcération du condamné pour une durée correspondant au nombre de jours-amende impayés. B. La sanction-réparation 625. Un « hybride transgénique1645 ». Hybride, la peine de sanction réparation est autant une peine alternative qu’une peine complémentaire à l’emprisonnement et à l’amende auxquels elle peut se substituer ou qu’elle peut compléter. Emportant obligation de réparation, la peine de « sanction-réparation » est assurément « transgénique ». Cette peine s’inscrit dans le courant qui tend à placer la victime au cœur du droit pénal et à faire de la réparation « un élément essentiel de la réinsertion du condamné1646 ». L’exposé des motifs de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance confirme cette orientation : « la création de cette nouvelle peine vient combler une évidente lacune de notre droit pénal et de notre procédure pénale au regard des objectifs de répression d’une part et d’indemnisation des victimes d’autre part ». La prise en compte du préjudice subi par le droit pénal n’est pas en soi une innovation1647. Avec la création de la peine de « sanction-réparation », la fonction 1644 B. SCHÜTZ, op. cit., p. 464. F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, Droit Pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 790-9, p. 751. 1646 M. GIACOPELLI, « Libres propos sur la sanction-réparation », D. 2007, p. 1551. 1647 En effet, la réparation du préjudice subi par la victime est une condition préalable en cas de recours aux alternatives aux poursuites. En outre, la réparation du préjudice peut conditionner tant le prononcé que l’exécution de la peine. La réparation peut constituer l’une des obligations à la charge du prévenu en cas de sursis avec mise à l’épreuve ou en cas d’ajournement du prononcé de la peine avec injonction de faire (F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, op. cit., n° 790-9, p. 751). Toutefois, à la différence de la sanction-réparation, il n’y a « aucune confusion possible entre la peine et la réparation qui s’articulent entre elles selon des modalités bien définies » (E. FORTIS, Janus et la responsabilité, Variations sur la sanction-réparation créée par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, in Mél G. VINEY, LGDJ, 2008, p. 452). Nombreux sont les auteurs à dénoncer cette confusion (B. 1645 293 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 réparatrice de la sanction pénale atteint son paroxysme1648. La réparation du préjudice n’est plus une simple « condition d’une diminution ou d’une absence de peine1649 » ; elle devient une véritable sanction pénale. « La réparation est nommée peine1650 ». 626. Intérêt pratique. Cette peine profite avant tout à la victime1651 ; elle peut en bénéficier même en l’absence de constitution de partie civile 1652. Un tribunal correctionnel pourrait, sur les réquisitions du procureur de la République ou à la demande d’une organisation syndicale qui se serait constituée partie civile1653, exhorter l’employeur à réparer en nature ou à indemniser le préjudice subi par le comité d’entreprise ou à lui payer des dommages-intérêts ; l’accord de la victime n’est requis que pour l’exécution de la peine en nature. L’exécution de la réparation est constatée par le procureur de la République ou son délégué1654. 627. Dans le courant, contestable, qui tend à placer la fonction réparatrice au cœur du droit pénal, la sanction-réparation a le mérite de répondre à un paradoxe1655. Le procureur de la République ou le juge correctionnel se préoccupe du sort de la victime lorsqu’il met en place une alternative aux poursuites pour les infractions délictuelles les moins graves ou prononce une peine assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve pour les délits les plus graves1656. Il n’existait aucune solution pour les délits d’une gravité intermédiaire, à l’image du délit d’entrave, lesquels font l’objet d’une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis simple. Si, en se constituant partie civile, la PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, thèse, LGDJ, 2007 ; E. DREYER, Droit Pénal général, LexisNexis, 2ème éd., 2012, n° 1305, p. 878 ; J.-F. CESARO, La sanction pénale, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 152, p. 87). 1648 B. PAILLARD, La fonction réparatrice de la répression pénale, thèse, LGDJ, 2007. Pour cet auteur, la responsabilité pénale est fondée sur une faute « qui rejette la fonction réparatrice, il faudrait logiquement en tirer les conséquences nécessaires et purger la sanction pénale de son encombrante fonction réparatrice » (B. PAILLARD, op. cit., n° 654, p. 313). 1649 E. FORTIS, Janus et la responsabilité, Variations sur la sanction-réparation créée par la loi n° 2007297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, in Mél. G. VINEY, LGDJ, 2008, p. 452. 1650 E. FORTIS, op. cit., p. 452. 1651 J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 19ème éd., 2012, n° 607, p. 510. 1652 J. PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 19ème éd., 2012, n° 607, p. 510. 1653 Il ne s’agit nullement d’une condition de mise en œuvre de la peine de sanction-réparation. Elle peut être prononcée librement par le juge. Toutefois, cette sanction pourrait être une conséquence de la constitution de partie civile d’une organisation syndicale lorsqu’elle agit seule dans l’intérêt collectif de la profession. 1654 C. Pén. art. 131-8-1, al. 4. 1655 F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, Droit Pénal général, Economica, 16 ème éd., 2009, n° 790-9, p. 751. 1656 F. DESPORTES, F. LE GUHENEC, op. cit., n° 790-9, p. 751. 294 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 victime pouvait obtenir le versement de dommages-intérêts, elle devait recourir à l’exécution forcée si le prévenu ne s’exécutait pas. Or, l’objectif de la sanctionréparation est d’assurer l’effectivité du paiement des dommages-intérêts. Le non-respect de la mesure peut conduire le juge à prononcer une sanction pénale. Il lui appartient de fixer la durée maximum de l’emprisonnement ou le montant maximum de l’amende1657 qui pourra être prononcé le cas échéant. Cette « peine de peine1658 » aurait pour fonction de faciliter l’exécution d’une autre peine1659. 628. Conclusion. L’aggravation de la sévérité des peines de référence, les démarches innovantes en matière de sanction, ajoutées aux efforts d’individualisation menés par le juge sont autant de moyens permettant d’accroître, chez les employeurs, « la perception et la conscience du risque pénal1660 ». 1657 Ils ne peuvent excéder respectivement six mois et 15 000 euros (C. pén., art. 131-8-1, al. 5). Ph. SALVAGE, « Les peines de peine », Dr. pén., 2008, étude n° 9. 1659 N’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Les peines d’emprisonnement et d’amende sont loin d’être toujours exécutées. Susceptible d’influencer le comportement du prévenu, le prononcé d’une peine différée ne paraît pas cependant « de nature à résoudre globalement le problème des difficultés d’exécution des sanctions pénales car il se révèle, à la réflexion, aussi aléatoire, voire plus lourdes que les moyens de contrainte habituels. Ce n’est pas nécessairement en ajoutant des peines aux peines que l’on simplifie la matière tout en la rendant plus efficace » (Ph. SALVAGE, « Les peines de peine », Dr. pén., 2008, étude n° 9, n° 12). 1660 P. MORVAN, op. cit., n° 240, p. 148. 1658 295 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Conclusion - Titre II 629. Un sursaut. Convaincre les entreprises « que la certitude, la sévérité et la célérité de la peine ont augmenté est une opération de communication délicate1661 ». Elle appelle de la part des autorités judiciaires en lien avec l’administration du travail un véritable sursaut1662. La quête de l’effectivité induit la définition d’une véritable politique pénale du travail commune. Ainsi, la qualité des procès-verbaux, le recours à des audiences spécialisées, le recours aux alternatives aux poursuites, la définition de nouvelles sanctions associées aux efforts d’individualisation de ces dernières peuvent accroître la certitude et la célérité des procédures. Cette politique doit aussi permettre de faire connaître les motifs de l’accroissement de la sévérité des peines justifié notamment par le champ d’application, désormais restreint, de la voie pénale et par la nature de la valeur sociale protégée, le droit de la représentation collective revêtant un caractère fondamental. La détermination de priorités et d’objectifs communs, le développement de la formation des magistrats et celle des inspecteurs du travail, notamment sur les enjeux économiques et sociaux dans l’entreprise ou sur les rouages de leurs administrations respectives, permettront d’accroître la prise de conscience par eux et par l’ensemble des acteurs de l’entreprise de l’importance du droit pénal du travail. 1661 P. MORVAN, A quelles conditions les sanctions financières en droit social sont-elles dissuasives ?, in La sanction en droit du travail, sous dir., B. TEYSSIE, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 240, p. 148. 1662 « Réaction par laquelle on se ressaisit après une période de renoncement » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, www.cnrtl.fr). 296 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Conclusion – Partie I 630. Une vision parcellaire. La quête de l’effectivité du droit de la représentation collective imposait que soient étudiées les questions classiques de caractérisation de l’élément moral, d’identification des responsables, d’engagement des poursuites et de prononcé d’une condamnation. Des réponses substantielles et structurelles inscrites dans la tradition pénale française ont été apportées. Elles n’offrent qu’une vision parcellaire des solutions permettant de remédier à l’ineffectivité. La restriction du champ d’application de la sanction pénale aux seules infractions d’entrave revêtant un caractère fondamental, et assorties d’une intention de nuire caractérisée, suppose la quête d’autres mesures applicables lorsque sont commises d’autres infractions. La voie extra-pénale mérite d’être explorée. 297 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Partie II - L’effectivité du droit de la représentation collective assurée par la voie extra-pénale : l’innovation 632. Un dédoublement. La quête de l’effectivité impose de recourir à des solutions nouvelles. Les irrégularités qui peuvent survenir à l’occasion de la mise en place ou du fonctionnement des institutions représentatives du personnel peuvent être anticipées au moyen de mécanismes de prévention ou, le cas échéant, réprimées au moyen de sanctions en dehors de toute autorité judiciaire (Titre I). Le recours au du juge civil doit être envisagé (Titre II). 298 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Titre I - L’effectivité assurée sans recours au juge 633. Entre prévention et sanction. Prévenir les fautes des dirigeants et des élus ainsi que les risques est le premier moyen d’effectivité du droit de la représentation collective. « Responsabiliser » les acteurs du dialogue social commande de ne plus recourir aux seules mesures répressives mais d’adopter des mesures préventives permettant de développer la prévention du délit d’entrave dans l’entreprise. Ces outils s’articulent autour de la définition du verbe « prévenir ». Le premier sens retenu s’entend d’ « aller au devant pour faire obstacle à quelque chose au moyen d’un ensemble de mesures destinées à éviter un événement qu’on ne peut prévoir et dont on pense qu’il entraînerait un dommage pour l’individu ou la collectivité1663 ». Dès lors, l’entreprise doit se doter d’une véritable politique sociale moyennant la conclusion d’un accord unique sur la représentation du personnel. Cet accord vise à éviter des conflits dans le fonctionnement des instances de représentation du personnel (Chapitre I). 634. Le second sens retenu s’entend « d’informer et d’instruire d’une situation passée ou présente1664 » et de conseiller l’auteur des faits afin qu’il y soit remédié. Cette voie suppose l’intervention d’un tiers, en l’occurrence celle de l’administration du travail via une double évolution : accroître la dimension de conseil inhérente aux fonctions de l’inspection du travail ; retenir une appréhension rénovée du champ d’application de la voie pénale dans le droit de la représentation du personnel (Chapitre II). 1663 1664 Définition du Centre Cational de Ressources Textuelles et Lexicales (www.cnrtl.fr). Dictionnaire de la langue française, Le Petit Robert, 1994. 299 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Chapitre I - Une effectivité assurée par le jeu de la négociation 635. Une exhortation. Le Code du travail offre maintes possibilités de négociation relatives au fonctionnement des instances de représentation du personnel, permettant ainsi à l’employeur et aux organisations syndicales d’aménager positivement les dispositions concernant le comité d’entreprise1665. Le législateur admet la possibilité, dans certains domaines, que soient négociés des accords de méthode dont la « vocation naturelle1666 » est l’appréhension des modalités d’information et de consultation des instances de représentation du personnel. Ces opportunités de négociation doivent être interprétées comme autant d’exhortations à l’adresse des entreprises et des organisations syndicales d’appréhender le droit de la représentation collective, de le modeler et de l’adapter aux spécificités de l’entreprise et ce, dans le respect d’un certain nombre d’exigences minimales. 636. Il est cependant permis de regretter une absence d’harmonisation de ces dispositifs1667. Un effort de coordination devrait être accompli. Les accords de méthode « historiques » ont trait essentiellement aux procédures d’information et de consultation des représentants du personnel à l’occasion de restructurations. Toutefois, une telle opération doit s’inscrire dans un dialogue social continu. L’entreprise doit définir une stratégie sociale à long terme, communiquée et argumentée. Les accords de méthode de « deuxième génération », les règlements intérieurs et les accords d’encadrement des processus de consultation et d’expertise visés par la loi du 14 juin 2013, appelés à s’appliquer à l’occasion de consultations ordinaires, s’inscrivent dans cet objectif1668. 1665 C. trav., art. L. 2325-4. P.-H. ANTONMATTEI, « Accord de méthode 2005, génération 2005 : la « positive attitude », Dr. social, 2005, p. 400. 1667 B. TEYSSIE, « A propos d’une négociation triennale : commentaire de l’article L. 320-2 du Code du travail », Dr. social, 2005, p. 377. 1668 L’accord d’encadrement du processus de consultation s’applique à la quasi-totalité des thèmes de consultation (cf. A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 16). 1666 300 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 637. Outre le souci d’harmoniser les différentes opportunités de négociation et la volonté de « modeler » le droit de la représentation du personnel en fonction des spécificités de chaque entreprise, l’accord doit être vu comme un moyen de prévention au service du dialogue social. D’aucuns ont pu constater la diminution du nombre de procédures contentieuses lorsque les plans de sauvegarde de l’emploi sont encadrés par un accord de méthode1669. La création d’un dialogue social continu dans chaque entreprise, la volonté de prévenir les contentieux et d’harmoniser les ensembles (Section Préliminaire) en tenant compte des spécificités de chaque entreprise conduisent à forger une norme unique intéressant le fonctionnement des instances de représentation du personnel dont il faut en déterminer le contenant (Section I) et le contenu de la négociation (Section II). 1669 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013, 1205, n°16. 301 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Section Préliminaire - Typologie des opportunités de négociation 638. Une typologie des accords de méthode doit être établie afin que soit dressée une liste des opportunités de négociation offertes par le législateur. De ce point de vue, l’accord de méthode1670, qu’il soit « typique » (§I) ou atypique (§II), trouve dans le droit des relations collectives de travail un terrain particulièrement fertile. §I. Les accords de méthode « typiques » 639. Première génération. La loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 avait ouvert la possibilité « à titre expérimental » de déroger par accord collectif aux dispositions fixant les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise. Les accords conclus avant la loi du 3 janvier 2003 ne pouvaient contenir que des clauses plus favorables que la norme légale. Le législateur a entériné les accords ainsi conclus à l’occasion d’une phase de restructuration et permis qu’ils dérogent à certaines règles d’ordre public. Des lois successives ont pérennisé et étendu ce dispositif lequel figure désormais aux articles L. 1233-21 et suivants du Code du travail1671. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi renouvelle profondément la procédure applicable aux « grands licenciements » pour motif économique. L’employeur, pour l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi, peut emprunter deux voies : élaborer un document unilatéral soumis à l’homologation de l’administration ou négocier un accord majoritaire soumis à validation. Cet accord ne fait pas « disparaitre la catégorie des accords de méthode1672 ». Ces deux catégories d’accords peuvent fixer, par dérogation aux règles de consultation des instances de représentation du personnel, les modalités d'information et de consultation du comité 1670 La notion d’accord de méthode est ici entendue comme tout accord portant sur le fonctionnement des instances de représentation du personnel. Elle n’est pas limitée au seul domaine du licenciement pour motif économique. 1671 L. n° 2005-32 du 18 janv. 2005 de programmation pour la cohésion sociale – L. n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. 1672 J.-F. CESARO, « La consultation des représentants du personnel relative au PSE », JCP S, 2013, 1204. 302 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d'entreprise applicables lorsque l'employeur envisage de prononcer le licenciement pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours1673. 640. Deuxième génération. Les organisations syndicales représentatives bénéficient d’autres opportunités pour aménager les modalités d’information et de consultation des représentants du personnel. Ainsi, la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 a introduit les « accords de méthode de deuxième génération1674 ». L’article L. 2323-61 du Code du travail permet de « clarifier utilement la présentation de l’information périodique1675 ». Ce texte autorise les partenaires sociaux à adapter, dans les entreprises d'au moins trois cents salariés, les modalités d'information du comité d'entreprise et à organiser l'échange de vues auquel la transmission de ces informations donne lieu. Cet accord peut substituer à l'ensemble des informations et documents à caractère économique, social et financier un rapport dont il fixe la périodicité1676. 641. Accords sur la stratégie d’entreprise. Le cadre de l’obligation triennale de négociation offrait une nouvelle opportunité aux partenaires sociaux de négocier sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise ainsi que ses effets prévisibles sur l’emploi et les salaires1677. L’utilisation du passé est de rigueur puisque la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a tracé le champ et les modalités d’une obligation de consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques de l’entreprise1678. La base de données sert de support à cette consultation1679. Cette obligation de consultation conduit nécessairement à une adaptation des accords d’entreprise issus de l’obligation triennale de négociation. Si la négociation reste encouragée, elle demeure « une simple faculté et non une 1673 A cet égard, bien qu’il puisse aussi déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi cet accord relatif aux licenciements pourrait être assimilé à un accord de méthode. 1674 P. MORVAN, Restructurations en droit social, Litec, 3ème éd., 2013, n° 956, p. 596. 1675 R. VATINET, « Les droits d’information du comité d’entreprise remaniés », JCP S, 2006, 1072, n° 2. 1676 Le contenu de ce rapport est précisé par l’article L. 2323-61 du Code du travail. Le rapport porte sur l'activité et la situation financière de l'entreprise, l'évolution de l'emploi, des qualifications, de la formation et des salaires, le bilan du travail à temps partiel dans l'entreprise, la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes, les actions en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés dans l'entreprise. 1677 L. n° 2005-32 du 18 janv. 2005 de programmation pour la cohésion social, art. 72 ; B. TEYSSIE, « A propos d’une négociation triennale : commentaire de l’article L. 320-2 du Code du travail », Dr. social, 2005, p. 377. 1678 C. trav., art. L. 2323-7-1. A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 9 et s. 1679 C. trav., art., L. 2323-7-2. 303 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 obligation1680 ». Désormais, un accord peut adapter le contenu des informations en fonction de l'organisation et du domaine d'activité de l'entreprise1681. §II. Les accords de méthode atypiques 642. Les règlements intérieurs des instances de représentation du personnel ainsi que les accords d’encadrement des processus d’expertise et de consultation signés par le comité d’entreprise constituent, eu égard à leur contenu, des accords de méthode atypiques portant sur le fonctionnement et les modalités d’information et de consultation des instances de représentation du personnel. 643. Règlements intérieurs. Les règlements intérieurs du comité d’entreprise1682 ou du CHSCT précisent utilement leurs modalités de fonctionnement même si le Code du travail « n’évoque pas la faculté pour le CHSCT de se doter d’un règlement intérieur1683 ». Le règlement intérieur porte notamment sur les conditions de réunion de l’instance, les modalités de vote, le rôle dans le comité d’entreprise des représentants syndicaux, l’organisation de l’information et de la consultation en établissant un calendrier des obligations d’information ou de consultation, les conditions d’octroi de budgets, les moyens de communication1684. 644. Les accords d’encadrement des processus d’expertise et de consultation. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 permet à l’employeur et au comité d’entreprise de déterminer par accord les délais de consultation1685 et le délai dans lequel l’expertcomptable ou l’expert technique remet son rapport1686. L’objectif est de permettre aux représentants du personnel « de disposer d’un temps nécessaire (suffisant) afin 1680 A. STOCKI, « Vers une extension des prérogatives des représentants du personnel sur les choix stratégiques de l’entreprise », JCP S, 2013, 1065, n° 25 et s. 1681 C. trav., art. L. 2323-7-2, al. 4. 1682 C. trav., art. L. 2325-2. 1683 J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2ème éd., 2012, n° 207, p. 172. 1684 Sur le contenu du règlement intérieur du comité d’entreprise : cf. M. COHEN, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 406 ; Sur le contenu du règlement intérieur du CHSCT cf. J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2ème éd., 2012, n° 207, p. 172. 1685 C. trav., art. L. 2323-3. 1686 C. trav., art. L. 2325-42-1. 304 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’accomplir utilement leur mission et d’éviter que le temps de consultation ait pour effet (voire pour objet) de retarder la réalisation de l’opération1687 ». 645. Les opportunités de négociation sont multiples. L’accord unique a vocation à appréhender l’ensemble des modalités d’information, de consultation et de consultation des instances de représentation du personnel. Section I - Le vecteur de la négociation 646. La négociation d’accords de méthode constitue un outil efficace d’évitement du conflit. Mais la diversité de ces accords rend malaisé le choix d’un contenant. Accord atypique ou accord d’entreprise, il ne saurait être déterminé (§II) sans que soient d’abord précisés les objectifs de la négociation (§I). §I. L’appréhension de la négociation 647. La négociation est encouragée au niveau européen et national (I). Toutefois, le dialogue social a un coût, lequel doit être supporté par l’entreprise (II). I. 648. Une négociation encouragée Aux termes de la directive du 11 mars 2002 relative à l’information et à la consultation des travailleurs, les Etats membres peuvent confier au niveau approprié, y compris celui de l’entreprise ou de l’établissement, le soin de définir librement et à tout moment, par voie négociée, les modalités d’information et de consultation des travailleurs1688. Cette « confiance dans le dialogue social1689 » est présente en France en matière de licenciement pour motif économique et de représentation du personnel. En 1687 A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 16. 1688 Dir. 2002/14/CE du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, art. 5. 1689 P. MORVAN, Restructurations en droit social, Litec, 3ème éd., 2013, n° 957, p. 597. 305 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 témoigne la faculté de négocier des accords collectifs1690 ou des accords de méthode qui tendent à améliorer ou à encadrer les procédures d’information et de consultation. En témoigne aussi, plus récemment, l’article 8 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 portant sur les nouveaux droits collectifs en faveur de la participation des salariés, lequel préféré à de multiples reprises « le consensualisme de l’accord à l’autorité de la loi1691 ». II. 649. Une négociation intéressée Un équilibre. La négociation est « attractive seulement lorsque chaque partie trouve un intérêt à conclure un accord1692 ». A cet égard, la directive du 11 mars 2002 précise que l’employeur et les partenaires sociaux doivent travailler dans un esprit de coopération et dans le respect de leurs droits et obligations réciproques en tenant compte à la fois des intérêts de l’entreprise et de ceux des travailleurs, notamment lors de la définition des modalités d’information et de consultation1693. La négociation d’un accord traduit la recherche d’un équilibre entre les intérêts en présence. Les instances de représentation du personnel et l’employeur partagent un intérêt commun tenant à l’édification d’un dialogue social durable au niveau de l’entreprise ou de l’établissement. La négociation tend à anticiper les difficultés afin de « sécuriser » les procédures d’information et de consultation. 650. Anticiper et sécuriser. Dès 2003, la négociation collective était appréhendée comme un mode de « sécurisation » des procédures de licenciement pour motif économique1694. Cette quête de « sécurisation », par la voie de la négociation, est accrue dans les lois successives qui ont façonné le droit du licenciement pour motif économique. Cette même quête anime les partenaires sociaux et le législateur lorsqu’ils déterminent en 2013 les nouveaux droits en matière d’information et de consultation des représentants du personnel. La négociation d’un accord sur les délais d’expertise et de 1690 Au sens de l’article L. 2325-4 du Code du travail. A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 1. 1692 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013, 1205, n° 17. 1693 Dir. 2002/14/CE du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, art. 1 §3. 1694 F. FAVENNEC-HERY, « Restructurations, deux maîtres mots : négociation, anticipation », SSL, Supplément, 2005, n° 1242, p. 9. 1691 306 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 consultation ordinaire témoigne de cet attachement à la « sécurisation » des procédures. L’accord unique sur le fonctionnement des institutions représentatives du personnel s’inscrira dans cet objectif à l’occasion, ou non, de restructurations. La négociation doit permettre de « sécuriser » les procédures d’information et de consultation. L’anticipation des incidents de séance, des effets d’un défaut d’information, y compris dans les « périodes stables », mais aussi l’encadrement des processus de consultation et d’expertise, permettent à l’entreprise et aux représentants du personnel de se prémunir de contentieux coûteux et stériles ou de situations de blocage nuisant au bon fonctionnement de l’entreprise. Le conflit social et le recours au juge sont souvent des alternatives au défaut ou à la mauvaise qualité du dialogue social. 651. Un accroissement des moyens. L’intérêt des instances de représentation du personnel dans la négociation s’exprime par un nécessaire accroissement de leurs moyens. L’anticipation et la « sécurisation » des procédures obligent l’entreprise à prévoir des contreparties lesquelles peuvent se traduire par l’augmentation du nombre d’heures de délégation, le développement de moyens de communication avec les salariés, la définition d’un calendrier lorsque l’entreprise fait face à des projets d’une certaine ampleur économique ou sociale, l’organisation de réunions préparatoires. Toutefois, l’aspect purement matériel des moyens des instances de représentation du personnel doit être dépassé. Il faut introduire une véritable reconnaissance du mandat. Si le dialogue social représente un coût certain, sa qualité participe au développement de l’entreprise. En effet, la négociation d’entreprise n’est pas seulement un lieu de confrontation d’intérêts divergents ; elle doit aussi conduire au développement de l’entreprise. §II. Le produit de la négociation 652. Que la négociation ouvre des perspectives plus favorables aux instances de représentation du personnel1695 ou permette de déroger, sous certaines conditions, aux règles procédurales d’information et de consultation du comité d’entreprise fixées par le 1695 C. trav., art. L. 2325-4. 307 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 législateur en matière de licenciement pour motif économique1696, son produit est en principe un accord collectif de droit commun, liant les parties signataires et s’appliquant aux salariés en vertu de son effet erga omnes1697. Mais le recours à l’accord collectif constitue-t-il la seule voie admissible1698 ? Les accords de méthode pouvant créer des obligations à la charge du comité d’entreprise, l’interrogation tient davantage à leur opposabilité au comité d’entreprise (I). Selon la réponse apportée, les conditions de la négociation varieront (II). I. 653. L’opposabilité de l’accord au comité d’entreprise Une solution pratique juridiquement insatisfaisante. La question de l’opposabilité de l’accord collectif au comité d’entreprise1699, qui avait fait l’objet d’âpres débats1700 dès la signature des premiers accords de méthode, persiste aujourd’hui. Les « contorsions1701 » du législateur lors de l’adoption de la loi du 14 juin 2013 témoignent « d’une difficulté à justifier que la conclusion de l’accord de méthode échappe aux instances élues de représentation du personnel1702 ». Il est dès lors permis de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le législateur n’a pas permis la conclusion d’un accord de méthode entre le comité d’entreprise et l’employeur. Jusqu’en 2003, les accords de méthode étaient conclus entre l’employeur et le comité lui-même. En 1696 C. trav., art. L. 1233-21 – L. 1233-24-1. G. AUZERO, « Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal au conventionnel », Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 867. 1698 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013,1205, n° 4. 1699 En effet, le comité d’entreprise n’est ni un sujet ni même une partie signataire de l’accord. 1700 G. COUTURIER, « Le choix de la procéduralisation conventionnelle », SSL Supplément, 2004, n° 1152, p. 6 ; J. BARTHELEMY, « La contribution de l’accord de méthode à l’édification d’un droit social plus contractuel », SSL, Supplément 2004, n° 1152, p. 10 ; T. GRUMBACH, « Redonner aux syndicats le pilotage de la négociation sur l’emploi », SSL, supplément 2004, n° 1152, p. 17 ; P.-H. ANTONMATTEI, « Accord de méthode, génération 2005 : la positive attitude », Dr. social, 2005, p. 399 ; F. FAVENNEC-HERY, « Restructurations, deux maître mots : négociation, anticipation », SSL, 2005, n° 1242, p. 9 ; G. AUZERO, « Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal au conventionnel », Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 867 ; A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013,1205 - Contre : Voir les critiques virulentes de Pascal RENNES à propos de la loi du 18 janvier 2005 laquelle accentue selon lui « la domestication des comités d’entreprise par la voie d’accords d’entreprise » (« D’un débat majeur à un accord mineur », Dr. ouvrier, 2003, p. 311). Dans le même sens : v. Ch. BAUMGARTEN, « Accords de méthodes : un marché de dupes », Dr. ouvrier, 2003, p. 358. 1701 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013,1205, n° 4 – L’auteur évoque notamment la possibilité pour les organisations syndicales de recourir à l’assistance d’un expertcomptable dans le cadre de la négociation d’un accord de méthode ; l’expert étant lui-même mandaté par le comité d’entreprise (C. trav., art. L.1233-34). 1702 A. TEISSIER, op. cit., n° 4 1697 308 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 transférant aux seules organisations syndicales la possibilité de négocier un tel accord, le législateur en 2003 précise la nature juridique des accords de méthode : la qualification d’accord collectif est retenue. Une ordonnance du tribunal de grande instance de Versailles a affirmé, sans aucun fondement1703, que le contenu de l’accord (collectif) de méthode s’imposait au comité d’entreprise1704. Réaffirmé par la loi du 14 juin 2013, le choix de l’accord collectif paraît être justifié par son contenu1705. L’accord de méthode a notamment pour objet d’articuler les procédures de consultation des instances de représentation du personnel de sorte que « le choix d’un interlocuteur unique apparaît à ce titre pragmatique1706 ». En outre, le recours à la négociation d’un accord atypique aurait proscrit toute négociation de branche ou de groupe1707. 654. Nombreux sont les auteurs1708 à se réfugier derrière les pratiques des entreprises qui tendent à associer formellement ou factuellement (par l’effet du cumul des mandats)1709 le comité d’entreprise à la négociation de l’accord de méthode. Cette solution pratique trouve dans la loi du 20 août 2008 un appui certain puisqu’elle subordonne désormais la désignation aux fonctions de délégué syndical à la condition que le salarié ait présenté sa candidature aux élections et obtenu un minimum de suffrages1710. Certains auteurs recommandent d’obtenir « la signature du comité d’entreprise au pied de l’accord pour lui conférer force obligatoire à son égard1711 ». Cette signature confère une valeur contractuelle à l’accord collectif. Un contrat de droit commun conclu entre le comité et l’entreprise se superposerait à l’accord collectif. « Sécurisant » les accords signés, ces pratiques ne permettent pas d’apporter une solution à la question de l’opposabilité. 1703 A l’exception de l’article 2 de la loi du 3 janvier 2003 lequel prévoit que l’accord de méthode constitue un accord collectif (L. n° 2003-6, 3 janv. 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques). 1704 TGI Versailles, 8 sept. 2003, n° 03/01344. 1705 C. trav., art. L. 1233-24-1. 1706 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013,1205, n° 4. 1707 G. AUZERO, « Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal au conventionnel », Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 867. 1708 P.-H. ANTONMATTEI, « Accord de méthode, génération 2005 : la positive attitude », Dr. social, 2005, p. 399 ; G. AUZERO, « Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal au conventionnel », Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 867 ; A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013, 1205. 1709 A. TEISSIER, op. cit., n° 4. 1710 C. trav., art. L. 2143-3. 1711 G. AUZERO, « Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal au conventionnel », Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 867. 309 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 655. Une solution juridique attrayante. En application des dispositions de l’article L.2324-5 du Code du travail, l’employeur et les organisations syndicales peuvent négocier des dispositions plus favorables relatives au fonctionnement ou aux attributions du comité. L’accord collectif confère des droits au comité d’entreprise qui n’est ni partie ni représenté1712. Il apparaît que ces dispositions recourent au mécanisme civiliste de la stipulation pour autrui laquelle fait « naître un droit sur la tête d’un tiers qui n’était et ne devient pas partie1713» en portant atteinte à la relativité des contrats1714. En effet, dans ce « contrat » conclu entre deux personnes, les organisations syndicales (le stipulant) et l’employeur (le promettant), ce dernier s’engage au profit du comité d’entreprise (tiers bénéficiaire) lequel devient directement créancier du promettant1715. La stipulation est valable parce que le stipulant a un intérêt personnel à son exécution1716. Elle ne peut en principe faire naître qu’un droit au profit du tiers bénéficiaire. Cependant, la Cour de cassation a admis à plusieurs reprises que la stipulation pour autrui n’excluait pas que le bénéficiaire soit tenu à certaines obligations1717. Cette stipulation doit être acceptée par le tiers bénéficiaire : il manifeste ainsi son adhésion « à un contrat conclu en dehors de lui1718 ». 656. Au cas particulier, l’accord unique de méthode s’analyserait en une stipulation pour autrui. Cet accord pourrait faire naître des droits sur le fondement de l’article L. 2325-4 du Code du travail. Ces droits pourraient être accompagnés d’obligations nouvellement créées à la charge du comité d’entreprise. Le champ matériel de ces obligations serait limité aux règles procédurales applicables en matière de licenciement pour motif économique. Elles ne pourraient s’appliquer qu’à condition que le comité 1712 P. RENNES, « D’un débat majeur à un accord mineur », Dr. ouvrier, 2003, p. 311. Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 807, p. 418. 1714 C. civ. art.1165 ; Sur les conditions de la stipulation pour autrui : Voir Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 807 et s, p. 418. ; Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, Droit des obligations, LexisNexis, 12 ème éd., 2012, n° 481 et s., p. 372. 1715 Contra : P. RENNES, « D’un débat majeur à un accord mineur », Dr. ouvrier, 2003, p. 311. 1716 C. Civ., art. 1121 ; Agissant dans l’intérêt collectif de la profession, l’intérêt des organisations syndicales est ici certain. 1717 Cass. civ., 1ère, 21 nov. 1978 : Bull. civ., I, n° 356; D. 1980, note CARREAU ; Cass. Civ. 1ère, 8 déc. 1987 : Bull. civ., I, n° 343. 1718 Ph. MALAURIE, L. AYNES, Ph. STOFFEL-MUNCK, Les obligations, Defrénois, 5ème éd., 2011, n° 818, p. 426 ; G. VENANDET, « La stipulation pour autrui avec obligation acceptée par le tiers bénéficiaire », JCP G, 1989, I, 3391. 1713 310 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’entreprise ou l’institution représentative concernée les ait préalablement acceptées. Cette « acceptation » se traduirait par une consultation du comité d’entreprise ou de l’instance concernée. Par le biais de la stipulation pour autrui, l’accord serait opposable au comité d’entreprise lequel deviendrait un créancier et un débiteur. 657. Vers une consultation concomitante du comité d’entreprise. Depuis la loi du 18 juin 2005, la consultation du comité d’entreprise ne constitue plus une condition de validité de l’accord de méthode. Toutefois, la doctrine s’accorde à considérer que le comité d’entreprise doit être consulté en application des principes dégagés par la Cour de cassation dans sa jurisprudence EDF-GDF1719. La Cour s’est prononcée en faveur d’une consultation concomitante du comité d’entreprise à l’ouverture de la négociation ou au plus tard avant la signature de l’accord lorsque la négociation relève du champ de ses attributions consultatives1720. Cependant, l’accord de méthode ne traitant que de la procédure d’information et de consultation du comité, « l’hésitation est permise1721 » : ce n’est « qu’en opportunité que la consultation préalable du comité d’entreprise doit être conseillée 1722 ». 658. Une solution identique1723 doit être retenue dès lors que l’accord collectif est analysé en une stipulation pour autrui avec obligation. La consultation du comité d’entreprise, tiers bénéficiaire, est inéluctable. Cette consultation préalable ou concomitante constituerait à nouveau une condition de validité de l’accord de 1719 Pour une analyse critique de cet arrêt : v. B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 498, p. 283. 1720 Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13498 : Bull. civ., 1998, n° 219 : Le défaut de consultation du comité d'entreprise, sanctionné selon les règles régissant le fonctionnement des comités d'entreprise, n'a pas pour effet d'entraîner la nullité ou l'inopposabilité d'un accord collectif d'entreprise conclu au mépris de ces dispositions. - Dr. social, 1998, p. 579, note J.-Y. FROUIN - D. 1998, p. 608, note G. AUZERO ; M. COHEN, « La consultation du comité d’entreprise avant la conclusion d’un accord collectif », RJS, 1998, p. 435 – P.-H. ANTONMATTEI, « Comité d’entreprise et négociation collective », RJS, 1998, p. 611; Cass. soc., 19 mars 2003, n° 01-12094. 1721 G. AUZERO, « Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal au conventionnel », Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 867. 1722 F. FAVENNEC-HERY, « Restructurations, deux maître mots : négociation, anticipation », SSL, 2005, 1242, p.11 - G. AUZERO, op. cit., p. 867 - P.-H. ANTONMATTEI, « Accord de méthode, génération 2005, la positive attitude », Dr. social, 2005, p. 399. 1723 Cette solution trouve à s’appliquer dès lors que la signature de l’accord collectif par le comité d’entreprise lui confère une valeur contractuelle. 311 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 méthode1724 dès lors qu’il aurait pour effet de créer des obligations nouvelles à la charge du comité. II. 659. Les conditions de la négociation Au-delà des difficultés relatives à l’opposabilité de l’accord collectif au comité d’entreprise, cette qualification juridique emporte un certain nombre de conséquences tenant aux conditions de négociation. 660. Les acteurs. La négociation relève en principe de la seule compétence des délégués syndicaux à condition que l’entreprise en soit pourvue1725. Toutefois les lois du 4 mai 2004 et du 20 août 2008 ont rendu accessible la négociation d’accords collectifs d’entreprise à la représentation élue du personnel. Ouverte dans les entreprises comptant moins de 200 salariés1726, le champ matériel de la négociation est vaste. Elle peut porter « sur des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif1727 ». Le Code du travail n’exclut donc pas a priori le principe d’une négociation d’un accord atypique portant sur le droit de la représentation du personnel. Toutefois, l’objet de cet accord serait limité à la négociation de dispositions plus favorables concernant le fonctionnement du comité d’entreprise. En effet, la négociation d’un accord atypique est proscrite lorsqu’il s’agit de déroger aux règles procédurales d’information et de consultation fixées par le législateur en matière de licenciement pour motif économique1728. De surcroît, l’accord atypique aurait pu être envisagé 1724 L’article 2 de la loi du 3 janvier 2003 prévoit que la consultation du comité d’entreprise est une condition de validité de l’accord de méthode (L. n° 2003-6, 3 janv. 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques). 1725 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1117, p. 624 ; J.-F. CESARO, « La négociation dans les entreprises pourvues de délégués syndicaux », Dr. social, 2009, p. 658. 1726 Sur les conditions de la négociation dérogatoire : E. JEANSEN, Y. PAGNERRE, « La négociation dérogatoire », JCP S, 2009, 1572 – A. MAZEAUD, « La négociation des accords d’entreprise en l’absence de délégué syndical », Dr. social, 2009, p. 669. 1727 C. trav., art. L. 2232-21. 1728 C. trav., art. L. 2232-21, al. 1.- L’impossibilité « partielle » de recourir à la négociation dérogatoire apparaît regrettable en ce qu’elle prive les entreprises de moins de 200 salariés dépourvues de délégués syndicaux de la faculté de négocier un accord unique de méthode et d’aménager les modalités de consultation du comité d’entreprise. Les mêmes regrets peuvent être formulés actuellement à l’égard de la négociation des nouveaux accords relatifs aux licenciements mais aussi à celle des accords de méthode « canal historique » (A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013,1205, n° 5). 312 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 « comme un mécanisme subsidiaire en cas d’échec de la négociation collective1729 » tant l’on connaît l’opposition de principe de certains syndicats à l’accord de méthode1730. 661. Enfin, s’il ne peut être considéré comme un véritable acteur, le comité d’entreprise doit être associé à la négociation collective. Cette association se traduit, selon la solution retenue, par la consultation des instances de représentation du personnel concernées ou par la participation à la négociation ou, a minima, à la signature de l’accord. 662. Le niveau. Si l’accord relatif aux licenciements s’entend d’une négociation au niveau de l’entreprise1731, l’accord de méthode, à l’instar de l’accord collectif au sens de l’article L. 2325-4 du Code du travail portant sur le droit de la représentation collective, peut être d’entreprise, de groupe ou de branche1732. L’entreprise est cependant le niveau de négociation privilégié. En effet, l’une des premières raisons d’un accord de méthode est d’aménager les prérogatives du comité d’entreprise et d’articuler les interventions dans l’entreprise des différentes instances d’une manière appropriée. Les niveaux de la branche et du groupe n’apparaissent pas pertinents1733. Reste que la possibilité de négocier un accord de branche ouvre la voie à l’application de dispositions homogènes dans les PME dépourvues d’organisations syndicales1734. Quant à la négociation de groupe, elle présente un intérêt certain en matière de restructuration1735 ou de fonctionnement de la représentation du personnel. La conclusion d’un accord de groupe peut présenter l’avantage de déterminer une politique sociale cohérente à ce 1729 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013,1205, n° 5. « Les partenaires sociaux sont parfois réticents à s’engager à froid pour définir un cadre général de procédure de consultation du comité d’entreprise » (A. de RAVARAN, « Négocier les restructurations après la loi du 18 janvier 2005 : aspects pratiques », Dr. social, 2006, p. 298 ; Ch. BAUMGARTEN, « Accords de méthodes : un marché de dupes », Dr. ouvrier, 2003, p. 358. 1731 C. trav., art. L. 1233-24-1. 1732 C. trav., art. L. 1233-21. 1733 F. SIGNORETTO, « Les accords de méthode, » RPDS, 2005, p. 283 ; P.-H. ANTONMATTEI, « Accord de méthode, génération 2005, la positive attitude », Dr. social, 2005, p. 399 ; A. de RAVARAN, « Négocier les restructurations après la loi du 18 janvier 2005 : aspects pratiques », Dr. social, 2006, p. 298. 1734 P. MORVAN, Restructurations en droit social, Litec, 2ème éd., 2010, n° 848, p. 541. 1735 Lorsqu’il s’agit par exemple de mettre en œuvre des actions de mobilité professionnelle ou géographique au niveau du groupe (en ce sens : A. de RAVARAN, « Négocier les restructurations après la loi du 18 janvier 2005 : aspects pratiques », Dr. social, 2006, p. 298) ; D. CHATARD, Réflexions sur le jeu croisé des pouvoirs et des responsabilités dans les groupes de sociétés, Essai en droit du travail, Thèse, LexisNexis, Planète sociale, 2012, n° 212 et s., p. 79 et s. 1730 313 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 niveau renforçant ainsi la communauté de travail1736. Toutefois, un inconvénient demeure : les mesures négociées au niveau du groupe pourraient être considérées comme une simple base de négociation ouvrant la voie à une éventuelle adaptation de ces mesures aux spécificités des filiales1737. 663. Le dénouement. Qu’il soit collectif ou dérogatoire, la validité de l’accord d’entreprise sur le droit de la représentation du personnel est subordonnée à la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ou d’élus justifiant d’une certaine audience. Elle est en principe subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives justifiant d’une audience au moins égale à 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des membres titulaires du comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, quel que soit le nombre de votants, et à l’absence d’opposition d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50% des suffrages exprimés à ces mêmes élections1738. La seule présence de clauses dérogatoires aux règles d’information et de consultation du comité d’entreprise applicables à l’occasion des phases de restructuration ne commande pas de retenir une autre règle de validité1739. 664. La validité de l’accord est par exception subordonnée à sa conclusion par des membres titulaires du comité d'entreprise représentant la majorité des suffrages 1736 D. CHATARD, op. cit., n° 187 et s., p. 171. « Cette pratique condamne cependant l’accord de groupe à n’être qu’une source normative a minima » (D. CHATARD, op. cit., n° 192, p. 73). 1738 C. trav., art. L. 2232-12 – B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1143, p. 634. 1739 En effet, la règle de validité propre aux accords relatifs aux licenciement aurait pu être retenue (C. trav., art. L. 1233-24-1). La validité d’un tel accord est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli « au moins 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives au premier tour des élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou à défaut des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants » (C. trav., art. L. 1233-24-2). Toutefois, cette règle de validité n’a de raison d’être que parce que l’accord porte avant tout sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et peut également porter sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise. Les conditions propres de validité de l’accord, ne sont applicables qu’à condition que l’accord définisse le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Dès lors, si la négociation engagée sur le fondement de l’article L. 123324-1 du Code du travail ne parvient pas à déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi mais se contente d’aménager les conditions de consultation du comité d’entreprise, le fruit de cette négociation s’analysera non en un accord relatif aux licenciements mais en un accord de méthode ; les conditions de validité sont celles propres à tout accord collectif d’entreprise (En ce sens : J.-F. CESARO, «La consultation des représentants du personnel relative au PSE», JCP S, 2013, 1204). 1737 314 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 exprimés lors des dernières élections professionnelles et à l'approbation par une commission paritaire de branche1740. Section II - L’objet de la négociation 665. La définition du contenu de l’accord permet d’identifier, sans prétendre à l’exhaustivité1741, les obstacles qui paralysent le dialogue social dans l’entreprise et de déterminer les moyens d’y remédier. Ces clauses qui tiennent à la finalité de l’accord doivent être distinguées des clauses communes. A ce titre, les acteurs de la négociation collective doivent s’attacher à déterminer le champ d’application de l’accord, sa durée1742 et les modalités de sa révision1743. En effet, un accord doit constamment être adapté au gré des évolutions législatives et jurisprudentielles et des transformations de l’environnement économique et social. Peut-être prévue la tenue d’une réunion annuelle permettant non seulement d’envisager une révision de l’accord mais aussi d’évaluer les conditions de sa mise en œuvre. L’évaluation constante des pratiques contribue à l’édification d’un dialogue social de qualité. A côté de ces clauses usuelles, d’autres ont pour objet de définir, de manière concertée, la stratégie sociale de l’entreprise. L’ensemble du droit de la représentation collective aurait vocation à intégrer l’accord. Cependant, l’étude du contenu de la négociation conduit à identifier les thèmes sources de contentieux et pour lesquels le législateur sollicite en alternance les organisations syndicales ou la représentation élue du personnel. L’objectif de prévention commande que l’accord apporte des solutions en amont à ces obstacles qui paralysent le dialogue social dans l’entreprise. L’appréhension de ces opportunités par les acteurs du dialogue social doit leur permettre de « moduler » le droit de la représentation collective, de l’adapter aux caractéristiques propres de chaque entreprise (secteur d’activité, investissement des élus, de l’entreprise et des salariés dans le dialogue social). Une 1740 C. trav., art. L. 2232-22 - B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 1192, p. 650. 1741 L’accord pourrait notamment porter sur la représentation des salariés au conseil d’administration dont la place et le rôle ont été modifiés par la Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (art. 9). 1742 C. trav., art. L. 2222-4. 1743 C. trav., art. L. 22261-7. J. SAVATIER, « Révision d’une convention collective de travail : conditions de suppression d’un avantage », RJS, 1989, p. 491 – L. FLAMENT, « A propos de l’impact de la loi du 20 août 2008 sur la révision des accords collectifs », RJS, 2011, p. 257. 315 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 étude thématique permet de balayer l’ensemble du fonctionnement des instances de représentation du personnel en distinguant leurs moyens (§I) de leurs interventions (§II) §I. Les moyens des instances de représentation du personnel 666. « Donnant-donnant ». L’accord unique envisagé s’articule autour de deux objectifs : la sécurisation des procédures de consultation et le renforcement des prérogatives des instances élues ou désignées. Leur réalisation suppose un triple encadrement : du processus de consultation (I), de la communication de l’information (II) et de la fin du mandat (III). I. 667. L’encadrement du processus de consultation Le processus de consultation est le lieu de nombreux affrontements lesquels tiennent tant aux délais accordés aux élus pour l’exercice de leurs mission (A) qu’aux incidents qui perturbent le fonctionnement des instances de représentation du personnel (B). A. Le cadre temporel 668. La volonté de fixer « un cadre temporel des consultations des institutions représentatives du personnel et du recours à l’expertise », réaffirmée par l’exposé des motifs du projet de loi d’où est issue la loi du 14 juin 2013, n’est pas nouvelle. Dès 2003, le législateur a permis aux entreprises de négocier des accords de méthode ayant vocation à fixer les conditions de la consultation des instances de représentation du personnel, notamment par la définition d’un calendrier. La loi du 14 juin 2013 admet l’encadrement des délais d’information et de consultation que l’entreprise se trouve (1°) ou non en phase de restructuration (2°). 316 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 1°. 669. En phase de restructuration Orchestration. Aux termes de l’article L. 1233-46 du Code du travail, l’employeur doit notifier à l'autorité administrative tout projet de licenciement pour motif économique au plus tôt le lendemain de la date prévue pour la première réunion du comité d’entreprise. Au plus tard à cette date, elle indique, « le cas échéant, l'intention de l'employeur d'ouvrir la négociation1744 ». Si le seul fait d'ouvrir cette négociation avant cette date ne peut constituer une entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, reste que « la chronologie adoptée (…) conduit à un chevauchement du dispositif légal et de la procédure conventionnelle1745 ». Pour répondre à cette difficulté, l’accord unique pourrait prévoir, comme le préconisent l’ensemble des auteurs1746, la tenue d’une réunion « 01747 » au cours de laquelle le comité d’entreprise recevrait les documents visés à l’article L. 1233-30 du Code du travail, d’informer les organisations syndicales et le comité d’entreprise de la volonté d’ouvrir des négociations portant sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et de recueillir l’avis du comité d’entreprise sur ce projet d’ouverture de négociations. A cette occasion, le comité d’entreprise peut désigner un expert lequel sera chargé d’apporter toute analyse utile aux organisations syndicales pour mener la négociation1748. Si cette dernière aboutit, une réunion « 0bis » au cours de laquelle le comité d’entreprise portera un jugement sur le projet d’accord que les organisations syndicales s’apprêtent à signer pourrait être 1744 C. trav., art. L. 1233-46. F. FAVENNEC-HERY, « Licenciement économique : un changement d’acteur », JCP S, 2013, 1258, n° 15. 1746 J.-F. CESARO, «La consultation des représentants du personnel relative au PSE», JCP S 2013, 1204, n° 27 ; Y. TARASEWICZ, « A propos de la nouvelle procédure de licenciement collectif pour motif économique », SSL, 2013, n° 1592, p. 62. 1747 Ces réunions « 0 » ne constituent pas la première réunion prévue par l’article L. 1233-30 du Code du travail (J.-F. CESARO, «La consultation des représentants du personnel relative au PSE», JCP S 2013, 1204, n° 27 - Y. TARASEWICZ, « A propos de la nouvelle procédure de licenciement collectif pour motif économique », SSL, 2013, n° 1592, p. 62 – En sens contraire : A. TEISSIER, « Le temps de la procédure de consultation en cas de PSE », JCP S, 2013, 1259); de sorte que les délais maxima ne commencent pas à courir. Ces consultations relèvent du droit commun et nécessitent l’application des délais définis par le présent accord ou à défaut par décret au sens de l’article de l’article L. 2323-3 du Code du travail. Ces délais, qui ne peuvent être inférieurs à quinze jours, doivent permettre au comité d'entreprise d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises. 1748 C. trav., art. L. 1233-34. 1745 317 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 prévue1749. L’employeur poursuit la procédure d’information et de consultation en se référant aux dispositions de l’accord. En cas d’échec des négociations, l’employeur aura recours à la voie unilatérale dans les conditions définies par le Code du travail. 670. Voie unilatérale. Le Code du travail organise l’information et la consultation du comité d’entreprise relative au projet de licenciement pour motif économique et au plan de sauvegarde de l’emploi. Il précise l’objet et la durée des consultations. Le comité d’entreprise doit être réuni au moins deux fois ; les réunions doivent être espacées d’au moins quinze jours1750. Il appartient à l’employeur et à lui seul de déterminer le nombre de réunions obligatoires. Toutefois, le dispositif n’est pas totalement clos. Ainsi, s’agissant du calendrier des consultations portant notamment sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l’emploi, le Code du travail prévoit une durée maximale laquelle varie en fonction du nombre de salariés licenciés1751. Une convention ou un accord collectif peut retenir des « délais différents1752 ». Si l’étude d’impact de la loi du 14 juin 2013 n’envisageait qu’un simple accroissement de la durée, l’emploi de l’adjectif « différent » ouvre la possibilité de prévoir des délais plus longs ou plus courts1753. L’accord pourrait ainsi fixer des délais en tenant compte de l’ampleur du projet, de la taille de l’entreprise et de la nature des difficultés invoquées1754. 671. Voie négociée. La définition du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi constitue le seul thème obligatoire de négociation. Dès lors, il est permis d’envisager la conclusion d’accords partiels se contentant de renvoyer, s’agissant des modalités d’information et de consultation, à l’accord propre au fonctionnement des instances de représentation du personnel. Le Code du travail délimite les thèmes ouverts à la négociation. Ainsi, les parties à l’acte collectif ne peuvent déroger à la communication aux représentants du personnel des renseignements prévus aux articles L. 1233-31 à L. 1749 J.-F. CESARO, «La consultation des représentants du personnel relative au PSE», JCP S 2013, 1204, n° 27. 1750 C. trav., art. L. 1233-30, I, al.4. 1751 C. trav., art. L. 1233-30, II : Deux mois lorsque le nombre de licenciements est supérieur à 100, trois mois lorsqu’il est compris entre 100 et 250 et quatre mois lorsqu’il est au moins égal à 250. 1752 C. trav., art. L. 1233-30, II, al. 2. 1753 Le Code du travail après la loi de sécurisation de l’emploi, RDPS, 2013, n° 818, p. 204. 1754 Observations du syndicat de la magistrature sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, Dr. ouvrier, 2013, p. 313. 318 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 1233-33 du Code du travail ni aux règles générales d'information et de consultation du comité d'entreprise et notamment à son caractère préalable, au caractère précis des informations données et à la nécessaire motivation des réponses apportées1755. Il est en revanche possible de négocier le nombre et le calendrier des réunions, la liste des documents à produire et les conditions et délais de recours à l’expertise 1756. L’espace de négociation est vaste. Il faut espérer que les acteurs en soient « imaginatifs et ambitieux1757 ». A cet égard, les solutions retenues par le passé dans le cadre des accords de méthode ont vocation à perdurer1758. 2°. 672. Hors phase de restructuration Le mécanisme. Les parties à l’acte collectif, après consultation du comité d’entreprise, doivent s’attacher à déterminer les délais dans lesquels les consultations seront enfermées. A défaut, l’accord pourra se contenter de renvoyer au décret. La fixation des délais doit associer un double objectif : le comité d’entreprise doit disposer d’un délai d’examen suffisant lui permettant d'exercer utilement sa compétence, le temps de la consultation ne doit pas avoir pour effet d’entraver la bonne marche de l’entreprise ou « de retarder la réalisation de l’opération projetée1759 ». 673. Le champ d’application de l’article L. 2323-3 du Code du travail est étendu. Il concerne l’ensemble des consultations périodiques1760 mais aussi les consultations relatives à la marche générale de l’entreprise, au droit d’expression des salariés1761, au bilan social1762, au contingent annuel d’heures supplémentaires1763. Le Code du travail prévoit un délai de consultation minimal de quinze jours. Ni l’accord, ni les dispositions réglementaires à venir ne peuvent y déroger. La fixation du cadre temporel de la 1755 C. trav., art. L. 2323-2, L. 2323-4 et L. 2323-5. ANI 13 janv. 2013 sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, art. 20, I. 1757 A. TEISSIER, « Point de vue pratique : les accords de méthode », JCP S, 2013, 1205, n° 13. 1758 Bilan des accords de méthode conclus en 2005, JCP S 2006, act. 233 ; Le développement des accords de méthode en 2005-2006, JCP S 2007, act. 250. 1759 A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263. 1760 C. trav., art. L. 2323-6 à 60. 1761 C. trav., art. L. 2281-12. 1762 C. trav., art. L. 2323-72. 1763 C. trav., art. L. 3121-11. 1756 319 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 consultation par la négociation lui permet cependant de l’adapter aux spécificités de l’entreprise. 674. Quels sont les acteurs de la négociation ? Est prévue la conclusion d’un accord entre l’employeur et la majorité des membres titulaires élus du comité d’entreprise1764. Dès lors, la négociation du cadre temporel par les organisations syndicales ne serait envisageable qu’après une éventuelle modification législative sauf à considérer que les délais définis par les parties à la négociation seraient nécessairement plus favorables que les délais légaux. En effet, est prévu un délai minimal de quinze jours1765, de sorte qu’une négociation pourrait s’inscrire dans le cadre de l’article L. 2325-4 du Code du travail lequel permet aux organisations syndicales de négocier des dispositions plus favorables relatives au fonctionnement du comité d’entreprise. 675. La variation. L’accord ne peut pas fixer un seul délai de consultation. Telle est pourtant la solution retenue par le projet de décret d’application de la loi du 14 juin 2013 : il retient un délai unique d’un mois à compter de la communication de l’information par l’employeur1766. Cette solution présente l’avantage de la simplicité. Mais elle ne tient pas compte de la nature de la consultation ni des spécificités de l’entreprise. Or, l’étendue du champ d’application de l’article L. 2323-3 du Code du travail commandait de les prendre en considération. Le texte actuel doit être interprété comme une exhortation à la négociation1767. Le souci d’adapter la législation aux caractéristiques de l’entreprise doit conduire les acteurs de la négociation à tenir compte de la nature et de l'importance des consultations et, le cas échéant, de l'information et de la consultation du ou des CHSCT dans la détermination des délais de consultation. Pour certains auteurs, la variation des délais induit l’impossibilité d’anticiper l’étendue 1764 C. trav., art. L. 2323-3. C. trav., art. L. 2323-3. 1766 Ce délai est porté à deux mois en cas d’intervention d’un expert, à trois mois en cas de saisine d’un ou de plusieurs CHSCT, et à quatre mois en cas de saisine d’une instance de coordination des CHSCT (Projet de décret portant sur les délais de consultation du comité d’entreprise et d’expertise ainsi que sur la base de données économiques et sociales, LSQ, 15 oct. 2013, n°16446). 1767 Il n’en demeure pas moins que la détermination par voie règlementaire de délais tenant compte de la nature de la consultation aurait permis de parer aux éventuels obstacles à la négociation lesquels conduiraient à l’application du délai unique d’un mois. Or, il n’est pas certain que toutes les consultations nécessitent un délai d’un mois pour rendre un avis. 1765 320 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 temporelle de la consultation1768. Au contraire, le caractère périodique et répétitif des consultations permet aux partenaires sociaux de déterminer des « délais types » en fonction de la nature de la consultation, de l’ampleur du projet et du nombre d’instances de représentation à consulter. Source de fluidité de la procédure de consultation, la détermination des délais de consultation en amont peut contribuer à éviter les crispations susceptibles de naître à l’occasion de chaque réunion consacrée à la négociation sur les délais. B. Les incidents de séance 676. La négociation d’un accord relatif au fonctionnement de la représentation du personnel doit permettre de répertorier les incidents qui peuvent naître à l’occasion des réunions des instances de représentation du personnel et d’identifier les moyens d’y remédier1769. 677. L’absence du secrétaire. Une réunion ne peut se tenir sans secrétaire, ce dernier étant notamment le garant de la rédaction du procès-verbal1770. Son absence doit conduire à la désignation d’un remplaçant. Des règles de remplacement peuvent être fixées par l’accord. Le secrétaire-adjoint, s’il en existe un, est le plus souvent désigné comme remplaçant du secrétaire1771. En l’absence de dispositions spécifiques, les membres du comité peuvent élire à la majorité un secrétaire de séance, lequel est obligatoirement un membre titulaire du comité1772. 678. La participation des tiers aux réunions. L’accord peut déterminer les conditions de participation des personnes tierces aux réunions du comité. En effet, outre ceux (chef d’entreprise, élus, représentants syndicaux) qui participent de plein droit aux réunions du comité et ceux qui y participent de manière occasionnelle car la réunion 1768 En ce sens : « Les institutions représentatives du personnel fragilisées », RPDS, 2013, n° spécial, n° 818, p. 190. 1769 I. AYACHE-REVAH, M. AYADI, « Gérer le blocage du CE », CLCE, 2011, n° 106 – P. BOUAZIZ, « Eviter les blocages au CE », 2010, n° 97. 1770 F. SEBE, « Le secrétaire du CE : un acteur incontournable dans l’entreprise », CLCE 2011, n° 102. 1771 Sur les règles de suppléance voir M. DENIAU, « Remplacer un titulaire au CE », CLCE, n° 91, 2010, p. 2. 1772 Cass. soc., 5 janv. 2005, n° 02-19080. 321 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 relève de leurs compétences (médecin du travail, expert1773, etc.), des tiers peuvent être invités à assister à une réunion. Une telle participation nécessite l’accord du président du comité d’entreprise et de la majorité des membres titulaires1774. 679. Visioconférence. Les parties à l’acte collectif peuvent prévoir le recours à la visioconférence lorsque les élus sont éloignés géographiquement 1775. Toutefois, il n’est pas conseillé de recourir à ce système lorsque l’entreprise est en phase de restructuration1776. La Cour de cassation subordonne le recours à la visioconférence à la condition qu’aucun participant n’ait formulé d’observations ni manifesté un quelconque refus et qu’aucune question inscrite à l’ordre du jour n’implique un vote à bulletin secret1777. 680. La suspension de séance ne fait l’objet d’aucune réglementation légale. L’accord doit s’attacher à édicter les règles de durée, de motivation et de modalités de vote de la suspension de séance1778. 681. La violence verbale. Les membres du comité ont le droit de prendre la parole pour exprimer leur opinion pendant les séances. Il en est ainsi des représentants syndicaux, de l’employeur et de ses collaborateurs, des membres titulaires et suppléants du comité d’entreprise. La violation de ce droit est constitutive du délit d’entrave1779. Les débats peuvent parfois être virulents et donner lieu de la part des membres du comité à des excès. Pour les éviter, l’accord peut établir des règles de comportement. 1773 Selon l’Administration, l’expert-comptable, l’expert technologie et l’expert libre peuvent assister à la réunion du comité d’entreprise consacrée à l’examen de la question sur laquelle ils ont établi un rapport (Circ. DRT n° 12, 30 nov. 1984). 1774 Les juges estiment que « si le président du comité ne peut imposer à la majorité de ses membres la présence de tiers aux réunions de cet organisme, cette même majorité ne peut davantage inviter des personnes étrangères au comité sans l’accord de l’employeur» (Cass. soc., 22 nov. 1988, n° 86-13368). 1775 En ce sens : F. PETIT, « Les séances du comité central d’entreprise en visioconférence », Dr. social, 2012, p. 98. 1776 « Le choix de débuter par ces exemples accablants d’un patronat effrayé par la réaction violente du corps social des usines qu’ils ferment n’est pas anodin. Il permet d’affirmer que la visioconférence ne doit surtout pas être subterfuge pour échapper à la colère des salariés, mais un moyen de communiquer pour améliorer le dialogue avec eux » (S. NIEL, « Réunir le comité d’entreprise en visioconférence », Les cahiers du DRH, 2011, n° 177, p. 19). 1777 Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-20918 : Bull. civ., 2012, n° 243 ; D. 2011, 2734 ; RDT 2012, p. 46, obs. F. SIGNORETTO. Sur les conditions de recours à la visioconférence : cf. S. NIEL, op. cit., n° 177, p. 18. 1778 F. BARBE, « Du bon usage de la suspension de séance », Les Cahiers Lamy du CE n° 2, févr. 2002, p. 2. 1779 Cass. crim., 12 mars 1970, n° 69-91317. 322 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 II. 682. L’encadrement de l’information Afin d’être en mesure de formuler un avis motivé, les instances de représentation du personnel doivent disposer non seulement d’informations précises et écrites transmises par l’employeur1780 mais aussi de sa réponse motivée. Or, la qualité, la nature et la date de transmission des délais font l’objet d’un contentieux nourri. La loi du 14 juin 2013 prévoit la mise en place d’une base de données unique. Fixé par le Code du travail, son contenu peut toutefois être aménagé par accord. L’introduction d’une telle base est de nature à circonscrire une partie des contentieux. Reste que la primeur des informations délivrées par l’entreprise n’est pas sans contrepartie. Les élus peuvent être tenus à une obligation de confidentialité. En outre, la communication des informations aux salariés doit être règlementée (A). Pour l’exercice de leurs missions, les instances de représentation du personnel peuvent bénéficier du concours d’experts facilitant la compréhension de l’information (B). A. La communication de l’information 683. La négociation relative à la communication de l’information doit permettre d’aménager le contenu de la base de données, outil de diffusion de l’information vers les acteurs salariés du dialogue social (1°), et s’attacher à déterminer les modalités de diffusion des informations vers les salariés (2°). 1°. De l’entreprise vers les instances de représentation du personnel 684. Une base de données unique. L’accès à une information complète et actualisée constitue un enjeu majeur pour l’implication des instances de représentation du personnel. L’information, « souvent, est la clé de l’action1781». Malgré les essais fructueux du rapport annuel d’ensemble1782 et du rapport annuel unique1783, 1780 Cass. soc., 27 mars 2012, n° 11-80565 : Bull. Civ. 2012, n° 83, JCP E, 2012, 1280, note F. DUQUESNE ; JCP S, 2012, 1276, note Th. PASSERONE. 1781 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 375, p. 216. 1782 C. trav., art. L. 2323-47. 1783 C. trav., art. L. 2323-61. 323 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’information demeure éclatée, difficile d’accès et parfois non actualisée. Sa nature, sa qualité, la date de sa transmission constituent une source de contentieux. Face à ce constat, le législateur a imposé aux entreprises de constituer une base de données unique1784. 685. Le contenu légal. L’objectif est de centraliser les informations économiques et sociales concernant l’entreprise. Le législateur a dressé une liste non exhaustive des informations contenues dans la base. Elles portent sur les investissements1785, les fonds propres et l’endettement, les éléments de rémunération des salariés et des dirigeants, les activités sociales et culturelles, la rémunération des « financeurs », les flux financiers, les aides publiques, les crédits d’impôt, la sous-traitance, les transferts financiers et commerciaux. La base de données comprendra à l’avenir les éléments d’information contenus dans les rapports et informations transmis de manière récurrente au comité d’entreprise1786. 686. Le contenu conventionnel et règlementaire. Le contenu des informations peut être enrichi par le biais d’un accord collectif en fonction de l’organisation et du domaine d’activité de l’entreprise. A terme, que ce soit par voie règlementaire1787 ou voie conventionnelle, il est permis d’envisager que le bilan social, le rapport relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes, le rapport sur la gestion prévisionnelle des emplois, le rapport annuel d’ensemble1788, le rapport annuel unique1789 soient intégrés dans la base. 687. Le « champ couvert est [déjà] immense1790 » mais les potentialités, eu égard à la nature des destinataires de ces informations, sont considérables. En effet, les données sont accessibles en permanence aux membres du comité d’entreprise (ou, à défaut, aux 1784 Les entreprises de 300 salariés et plus disposent d’un an et celles de moins de 300 salariés disposent d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi pour mettre en place cette base de données unique. 1785 Emploi, évolution et répartition des contrats précaires, des stages et des emplois à temps partiel, formation professionnelle et conditions de travail, information en matière environnementale (C. trav., art. L. 2323-7-2). 1786 C. trav., art. L. 2323-7-3 (applicable au plus tard le 31 décembre 2016). 1787 Sur l’étendue réglementaire : Projet de décret portant sur les délais de consultation du comité d’entreprise et d’expertise ainsi que sur la base de données économiques et sociales, LSQ, 15 oct. 2013, n°16446. 1788 C. trav., art. L. 2323-47. 1789 C. trav., art. L. 2323-61. 1790 B. TEYSSIE, Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 : « Vers un nouveau droit du travail ? », JCP S 2013, 1257. 324 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 délégués du personnel), aux membres du CHSCT et aux délégués syndicaux. Dès lors, ne serait-il pas concevable que les informations destinées au CHSCT, à l’instar du rapport annuel sur la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail ou du programme annuel de prévention des risques1791, soient intégrés à la base de données ? De même ne pourrait-on intégrer, pour une durée déterminée, les informations et les rapports de l’entreprise ou des experts liés à une consultation ponctuelle1792 (déménagement, opération de restructuration, etc.)? La base de données ne serait plus seulement un simple support de préparation des consultations1793. Elle constituerait un outil d’anticipation et de partage des données dans l’entreprise indispensable pour que soit assurée l’effectivité d’un dialogue social de qualité. L’ampleur matérielle de la base impliquera de structurer les données en fonction de leurs destinataires et de leur nature1794. 688. Transmission. La mise en place de la base de données unique, eu égard aux opportunités de négociation qu’elle offre, permet d’épuiser tout ou partie du contentieux tenant à la date de transmission des informations. Cette base de données vaut communication des informations rassemblées au comité d’entreprise ou à l’instance concernée1795. La mise à disposition devrait constituer « le fait générateur des consultations annuelles prévues par la loi et par conséquent le point de départ du délai pour que le comité rende son avis dans le cadre de telle ou telle consultation1796 ». Afin d’éviter un contentieux, l’accord peut prévoir l’envoi aux élus et aux délégués syndicaux d’un courriel avec accusé de réception ayant pour objet de prévenir les 1791 C. trav., art. L. 4612-16 ;Sur la nature des informations transmises : v. J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2012, n° 254, p. 215. 1792 « Conçu pour des informations permanentes, ce dispositif mériterait d’être généralisé » (P.-H. ANTONMATTEI, « Donner l’information en matière économique et financière : brefs propos sur des évolutions récentes », Dr. social, 2013, p. 100) - Le Code du travail dispose que « les consultations du comité d’entreprise pour des évènements ponctuels continuent de faire l’objet de l’envoi de ces rapports et informations » (C. trav., art. L. 2323-7-3 applicable au plus tard le 31 décembre 2016). 1793 La base de données constitue le support de préparation de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise (C. trav., art. L. 2323-7-1). 1794 H.-J. LEGRAND, L. BEZIZ, « La consultation annuelle sur les orientations stratégiques et leurs conséquences », SSL, 2013, n° 1592, p. 28. 1795 Cette présomption ne vaut que si l’employeur actualise les informations de la base de données unique dans le respect de la périodicité prévue par le Code du travail et indique aux membres du comité d’entreprise les conditions dans lesquelles cette actualisation est portée à leur connaissance. En outre, l’employeur doit mettre à la disposition des membres du comité d’entreprise les éléments d’analyse ou d’explication prévus par le Code. 1796 H.-J. LEGRAND, L. BEZIZ, op. cit., n° 1592, p. 28. 325 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 destinataires d’une mise à jour de la base de données. En revanche, l’introduction de la base de données ne favorise pas l’épuisement du contentieux tenant à la qualité et à la nature de l’information. 689. Caractères de l’information. Les données revêtent un caractère prospectif et rétrospectif en ce qu’elles portent sur l’année en cours, les deux années précédentes, et intègrent des perspectives concernant les trois années suivantes1797. Plus largement, s’agissant de la qualité des informations délivrées, l’article L. 2323-4 du Code du travail dispose que le comité d’entreprise doit bénéficier d’informations précises et écrites1798. Certains juges y ajoutent le caractère loyal de l’information délivrée par l’entreprise1799. Au-delà de la généralité des termes employés, il importe que les instances de représentation du personnel disposent du temps nécessaire à la réalisation de leur mission. En vue de permettre l’appropriation de l’information, l’accord unique doit a minima se référer aux critères posés par le Code du travail et la jurisprudence et a maxima consigner les engagements de l’entreprise de délivrer une information précise, écrite et loyale. L’information délivrée dépend aussi du respect par son destinataire de son obligation de discrétion : il « y va de la confiance que lui accorde son informateur, sans laquelle la source se tarit1800». 2°. 690. Des instances de représentations du personnel vers les salariés Communications des élus. La diffusion des publications des instances élues n’est pas règlementée1801. L’accord peut reconnaître expressément le droit de diffuser 1797 C. trav., art. L. 2323-7-2. Cass. soc., 27 mars 2012, n°11-80565 : Bull. Civ. 2012, n° 83, JCP E, 2012, 1280, note F. DUQUESNE, JCP S, 2012, 1276, note Th. PASSERONE. 1799 TGI Nanterre, Réf., 9 sept. 2011, n° 11/02010 – Au cas particulier, le tribunal de grande instance de Nanterre a débouté le comité d’entreprise en constatant qu’il avait bénéficié d’une information précise, complète et loyale et que l’employeur n’était pas tenu de produire les contrats sous réserve de fournir des informations précises et suffisantes pour permettre au comité d’apprécier la portée et la validité du projet. 1800 B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 375, p. 216. 1801 La loi reconnaît un droit d’affichage au comité d’entreprise en matière de procès-verbal (C. trav., art. L. 2325-21) et de compte-rendu annuel de gestion (C. trav., art. R. 2323-37). Pour le reste, le législateur ne prévoit rien sur les modalités de communication du comité, mais reconnaît implicitement au comité d’entreprise le droit de disposer de panneaux d’affichage, puisque les syndicats peuvent faire leurs communications sur des panneaux réservés à cet usage et « distincts de ceux qui sont affectés aux communications des délégués du personnel et du comité d’entreprise » (C. trav., L. 2142-3). Le comité d’entreprise a aussi la possibilité d’éditer des bulletins ou des journaux d’information, des questionnaires ou enquêtes, dans la mesure où ces informations se rapportent à ses compétences en matières économique 1798 326 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 par la voie électronique des informations aux salariés limitées aux compétences et activités des élus. Les entreprises peuvent mettre à leur disposition un espace sur l’intranet de l’entreprise permettant la diffusion des procès-verbaux ou de communiquer sur les actions menées par le comité. 691. Communications syndicales. La règlementation ne concerne que l’information syndicale. L’affichage des communications syndicales est effectué librement sur des panneaux réservés à cet usage, distincts de ceux affectés aux communications des délégués du personnel et du comité d’entreprise. Un exemplaire des communications syndicales est transmis à l’employeur, simultanément à l’affichage. Les panneaux sont mis à la disposition de chaque section syndicale selon des modalités fixées par accord avec l’employeur1802. Ce dernier a donc l’obligation de prévoir des tableaux d’affichage pour chaque section syndicale différents de ceux prévus pour les représentants du personnel. L’accord doit s’attacher à définir l’emplacement et visibilité des panneaux, leur taille, leur nombre, etc. 692. Les acteurs du dialogue social peuvent diffuser électroniquement leurs publications ou communications soit par la messagerie professionnelle des salariés, soit par l’intranet de l’entreprise1803. En effet, depuis la loi du 4 mai 2004, « un accord d’entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l’intranet de l’entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l’entreprise1804 ». L’utilisation de la messagerie professionnelle est strictement réglementée. L’accord doit fixer les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion en précisant notamment les conditions d’accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message1805. Si aucun accord n’est conclu, les syndicats ne peuvent pas utiliser ou sociale (Cass. crim., 23 mai 1978, n° 77-91361). Tous les frais sont imputables sur le budget de fonctionnement du comité d’entreprise. 1802 C. trav., art. L. 2142-3. 1803 Sur l’utilisation de l’intranet par les organisations syndicales voir : M. DEMOULAIN, Nouvelles technologies et droit des relations de travail, Essai sur une évolution des relations de travail, Thèse, éd. Panthéon-Assas, 2012, n° 626 et s., p. 271 et s. 1804 C. trav., art. L. 2142-6. 1805 C. trav., art. L. 2142-6 - Il faut prévoir une information préalable des salariés, leur laisser le temps de s’opposer à l’envoi des messages et leur permettre de se retirer de la liste d’envoi. 327 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’intranet ni la messagerie professionnelle pour diffuser leurs tracts1806. Afin de ne pas entraver le bon fonctionnement du réseau informatique de l’entreprise et l’accomplissement du travail, notamment par l’envoi trop régulier de messages à caractère syndical, l’accord peut limiter l’envoi de messages aux heures situées en dehors du temps de travail. Enfin, l’accord doit interdire aux syndicats d’utiliser les adresses e-mails des salariés pour diffuser des publications autres que syndicales. 693. Une limite. L’accord doit rappeler la nécessité pour les élus et les représentants syndicaux de respecter l’obligation de confidentialité et de discrétion à laquelle ils sont légalement tenus. La confidentialité leur impose « une obligation négative : ne pas diffuser1807 ». La loi du 14 juin 2013 contribue au développement des prérogatives des élus et à l’élargissement du cercle des assujettis à l’obligation de discrétion. Le législateur «amplifie le risque de diffusion d’informations dont la nature peut apparaître confidentielle1808 ». Les auteurs de l’accord national interprofessionnel d’où est issue la loi précédente avaient institué de nouvelles garanties. L’employeur devait indiquer aux élus « les raisons et la durée souhaitable de ce caractère confidentiel1809 ». Le législateur ne les a pas retranscrites reprenant simplement les dispositions ordinairement applicables aux membres du comité d’entreprise1810. Dès lors, l’obligation de discrétion porte sur les informations réputées confidentielles par la loi1811 ou « présentant un 1806 Une exception vient tempérer ce principe. En effet, avant la loi de 2004, l’utilisation de l’intranet ou de la messagerie professionnelle était possible à condition soit d’avoir été autorisée par l’employeur, soit d’avoir été organisée par un accord d’entreprise (Cass. soc., 25 janv. 2005, n° 02-30946). L’utilisation de l’intranet pouvait donc résulter d’une autorisation de l’employeur implicite. Or, la Cour de cassation a jugé que l’employeur qui a toléré par le passé l’usage de l’intranet à des fins syndicales ne pouvait pas sanctionner un salarié pour avoir diffusé des tracts par l’intranet de l’entreprise (Cass. soc., 27 juin 2007, n° 06-40246 – Voir aussi : Cass. soc., 11 janv. 2012, n° 11-14292 : Bull. civ., 2012, n°16 , JCP S, 2012, 1154). 1807 L. PECAULT-RIVOLIER, « La confidentialité : droit ou obligation du représentant du personnel ? », Dr. social, 2012, p. 471. 1808 A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 6 - I. ODOUL-ASOREY, « De l’information-consultation anticipée des IRP… à la refondation du droit commun de l’informationconsultation », RDT, 2013, p. 193. 1809 ANI, 11 janvier 2013, sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, art. 12 – L’exigence de motivation de la confidentialité sera-t-elle retenue par le juge ? (A. MARTINON, op. cit., JCP S, 2013, 1263, n° 6). Cette exigence de motivation dénotait une certaine « volonté des partenaires sociaux de limiter le recours par l’employeur à l’obligation de discrétion » (A. STOCKI, «Vers une extension des prérogatives des représentants du personnel sur les choix stratégiques de l’entreprise », JCP S 2013, 1065, n° 21). 1810 C. trav., art. L. 2325-5. La confidentialité est rappelée au niveau européen. 1811 C. trav., art. L. 2323-10 – C. trav., art. L. 2323-82. 328 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 caractère [objectivement1812] confidentiel et données comme telles par l’employeur1813 ». Ces informations doivent être telles, selon la Cour de cassation, que leur diffusion serait préjudiciable à l’entreprise1814. La base de données peut être dématérialisée. Le recours à l’outil informatique conduira les acteurs de la négociation à déterminer « les règles propres à garantir la confidentialité et l’intégrité des données1815 ». B. La compréhension de l’information 694. Le Code du travail prévoit plusieurs cas le comité d’entreprise peut recourir à un expert1816. Jusqu’à l’intervention de la loi du 14 juin 2013, le législateur ne fixait pas le temps nécessaire à l’expertise. Le nouvel article L. 2325-42-1 du Code du travail est « un instrument d’efficacité du processus décisionnel et tend à empêcher que l’expertise n’entrave la marche de l’entreprise1817 ». Ce texte encadre les délais d’expertise avec une « relative souplesse1818 ». 1812 TGI Lyon, 9 juill. 2012, n° 12/01153, TGI Evry, 9 nov. 2012, n° 12/01095, RJS, 2013, n° 216 - L. PECAULT-RIVOLIER, « La confidentialité : droit ou obligation du représentant du personnel ? », Dr. social, 2012, p. 470. 1813 C. trav., art. L. 2325-5, al. 2 – TGI Lyon 11 déc. 1984, Dr. social, 1985, note J. SAVATIER, L’obligation de discrétion des membres du comité d’entreprise, p. 111. Voir également : B. TEYSSIE, Droit du travail, Relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 465, p. 265 ; B. TEYSSIE, Secret des affaires et droit du travail, in Mél. J.-P. LE GALL, Fiscalité et entreprise : politiques et pratiques, Dalloz, 2007, p. 87. 1814 Cass. soc., 6 mars 2012, n° 10-24367 : JCP S, 2012, 1248, note E. JEANSEN ; D. 2012, 2622, note P. LOKIEC, J. PORTA ; J. SAVATIER, « L’obligation de discrétion des membres du comité d’entreprise », Dr. social, 1985, p. 111 ; L. PECAULT-RIVOLIER, op. cit., Dr. social, 2012, p. 469. J.-E. RAY, « Protéger l’information aujourd’hui et demain, Secret, confidentialité, discrétion, loyauté », Dr. social, 2013, p. 111, Spéc., p. 114-115. - La condition d’atteinte à l’intérêt de l’entreprise est retenue dans la directive européenne du 11 mars 2002 : « Les représentants du personnel (…) ne sont pas autorisés à révéler aux travailleurs ou à des tiers des informations qui, dans l’intérêt légitime de l’entreprise, leur ont été expressément communiquées à titre confidentiel » (Dir. 2002/14/CE du 11 mars 2002, art. 6 – Voir en ce sens : B. TEYSSIE, Secret des affaires et droit du travail, in Mél. J.-P. LE GALL, Fiscalité et entreprise : politiques et pratiques, Dalloz, 2007, p. 87, spéc., n° 4 et s.). Rappelons enfin que la méconnaissance d’une telle obligation envers des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur peut être sanctionnée disciplinairement. 1815 H.-J. LEGRAND, L. BEZIZ, « La consultation annuelle sur les orientations stratégiques et leurs conséquences », SSL, 2013, n° 1592, p.30. 1816 M. CARON, « Le nouveau visage de l’expertise après la loi de sécurisation de l’emploi », SSL, 2013, n° 1594. 1817 A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 14. 1818 M. CARON, op. cit., SSL, 2013, n° 1594. 329 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 695. La négociation a vocation à porter sur le délai dans lequel l’expert pourra demander à l’employeur les informations nécessaires à la réalisation de sa mission et sur le délai dans lequel il pourra remettre sa réponse. L’expert-comptable ou l’expert technique doivent remettre leur rapport dans un délai raisonnable fixé par accord entre l’employeur et le comité ou, à défaut, par voie réglementaire1819. Une fois encore la question des acteurs de la négociation est posée. Une réponse identique à celle retenue en matière d’encadrement du processus de consultation peut être retenue. En effet, les délais déterminés par décret traduiront la notion de délai raisonnable retenue par le législateur1820. Dès lors, le résultat de la négociation sera nécessairement plus favorable que les délais fixés par les dispositions règlementaires ouvrant la voie à leur possible négociation par les organisations syndicales. III. 696. L’encadrement du mandat Une nécessité. L’exigence de « sécurisation » des procédures de consultation commande que soient adoptées, en contrepartie, des mesures permettant d’accroître les moyens des élus et de valoriser leur rôle au sein de l’entreprise. Les mesures de nature à concilier la vie professionnelle et la carrière syndicale s’inscrivent dans ce cadre. Aux termes de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, un accord doit déterminer les mesures de nature à concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale ; il doit permettre de prendre en compte l’expérience acquise dans le cadre de l’exercice de mandats par les 1819 Ces délais ne trouvent pas à s’appliquer lorsque le comité d’entreprise a recours à l’expertise à l’occasion d’un licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 1233-34). 1820 Le projet de décret est incomplet sur ce point. Il détermine uniquement les délais applicables en cas de recours à l’expert-comptable dans le cadre d’une opération de concentration (C. trav., art. L. 2325-35, I, 3e) ou de recours à l’expert technique. Pour les autres cas de recours (examen annuel des comptes, orientations stratégiques, exercice du droit d’alerte, etc), le décret ne détermine aucun délai. En outre, le décret fixera certainement le point de départ du délai. La date de désignation de l’expert apparaît comme la plus adaptée (A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 14). 330 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 représentants du personnel désignés ou élus1821. La négociation d’un tel accord est une nécessité1822 car la représentation du personnel opère progressivement une mutation1823. 697. L’esprit de la négociation. A l’origine de cette mutation, se trouve une double évolution. Une évolution « générationnelle » d’abord : les nouvelles générations d’élus n’entendent pas se consacrer entièrement au syndicalisme ou à des fonctions de représentation du personnel. Leur engagement est limité dans le temps. Une évolution des fonctions ensuite : les lois du 20 août 2008 et du 14 juin 2013 conduisent à une véritable professionnalisation de la représentation du personnel et de la représentation syndicale1824. La loi du 20 août 2008 accroît la place de la négociation dans l’entreprise accroissant l’implication des délégués syndicaux dans la vie de celle-ci. Le législateur bouleverse les conditions de conclusion d’un accord collectif en exigeant une majorité d’engagement. Mais il bouleverse aussi les conditions de désignation des délégués syndicaux désormais fondées sur les résultats de chacun aux élections professionnels1825. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 s’inscrit dans le même mouvement de professionnalisation. Elle ouvre de nouveaux champs de négociation et de consultation. Le comité d’entreprise est notamment appelé à se prononcer sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Cette consultation est « le signe d’une conception de participation renforcée des salariés à la vie de l’entreprise ; ces derniers sont associés, par le jeu d’avis et de recommandations, aux choix opérés par les organes décisionnels1826 ». Cette « cogestion esquissée1827 » (ou à la française) induit nécessairement une professionnalisation du mandat d’élu. L’exercice du mandat prend 1821 C. trav., art. l. 2142-5. L’obligation triennale de négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences incite également les entreprises d’au moins trois cents salariés à négocier sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l’exercice de leurs fonctions. 1822 « La négociation collective d’entreprise est le vecteur de prédilection de la mise en œuvre de ce type d’outils » (R. CHISS, « Professionnalisation et gestion de carrière des représentants du personnel », JCP S, 2012, 1160). 1823 S. NICOLET, « Représentants du personnel : concilier mandat et activité professionnelle », (Propos tenus par P.-H. HARAN, Directeur des ressources humaines et de la communication de Thales Systèmes aéroportés, Conférence LJA-CDRH-Lamy Social), Les Cah. DRH, 2012, n° 190, p. 23. 1824 R. CHISS, « Professionnalisation et gestion de carrière des représentants du personnel », JCP S, 2012, 1160. 1825 Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-26457 : JCP S 2013, 1316, note Y. PAGNERRE. 1826 A. MARTINON, « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou nouveau partage de responsabilités », JCP S, 2013, 1263, n° 9. 1827 B. TEYSSIE, « Vers un nouveau droit du travail ? A propos de la loi du 14 juin 2013 », JCP S 2013, 1257. 331 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 « une coloration plus technique et plus responsabilisante que par le passé1828 ». La gestion de la carrière et des compétences des représentants du personnel est indispensable. Elle s’organise autour de quelques objectifs : la « sécurisation » des parcours, la place des élus au sein de l’entreprise, l’investissement des employeurs en vue d’accompagner leur professionnalisation. 698. Un contenu variable. Les accords signés dans les plus grandes entreprises1829 prennent en compte la reconnaissance des compétences et la validation des acquis de l’expérience1830. L’entreprise doit accompagner les élus tout au long de leur mandat et lors de la reprise de leur activité professionnelle au moyen, notamment, d’entretiens d’évaluation1831. Elle doit aussi reconnaître les compétences acquises et apprécier les qualités des représentants du personnel. L’accent doit être mis sur la formation des élus 1828 R. CHISS, op. cit., JCP S, 2012, 1160. Charte AXA sur la reconnaissance du parcours syndical dans le développement de la carrière et l’évolution professionnelle, 5 mai 2009, www.wk-rh.fr – EADS, Accord sur le droit syndical et le dialogue social, 13 févr. 2009, www.wk-rh.fr – NEXTER, Accord relatif au droit syndical et aux institutions représentatives du personnel au sein de l’UES, 1 er déc. 2008, www.wk-rh.fr – THALES, Accord de groupe sur l’exercice du droit syndical et le dialogue social dans THALES, 23 nov. 2006, www.wk-rh.fr – Tableau de synthèse, Les Cah. DRH, 2012, n° 190, p. 23. 1830 L’accompagnement doit permettre d’identifier les compétences acquises et d’élaborer un projet professionnel. L’élaboration de ce dernier peut se faire par le biais de la validation des acquis de l’expérience (VAE). L’accessibilité de ce dispositif est souvent limitée aux seuls élus titulaires de mandats dont le volume de l’activité syndicale par rapport au temps de travail occupe tout ou partie de leur activité dans l’entreprise (Charte AXA sur la reconnaissance du parcours syndical dans le développement de la carrière et l’évolution professionnelle, 5 mai 2009, www.wk-rh.fr - EADS, Accord sur le droit syndical et le dialogue social, 13 févr. 2009, www.wk-rh.fr, art. 14). 1831 Les entreprises s’attachent à planifier des entretiens durant la prise, l’exercice et la fin du mandat (THALES, Accord de groupe sur l’exercice du droit syndical et le dialogue social dans THALES, 23 nov. 2006, www.wk-rh.fr, art. 3.1 et 3.2). Ces rencontres, animées habituellement par le service des ressources humaines ou par les responsables hiérarchiques (NEXTER, Accord relatif au droit syndical et aux institutions représentatives du personnel au sein de l’UES, 1er déc. 2008, art, 4.4.1, www.wk-rh.fr), se déroulent en présence du « manager » et du représentant du personnel. L’entretien permet d’informer le « manager » de la nature du mandat et des conséquences qu’il emporte sur l’activité professionnelle. La création de fiches de postes (R. CHISS, op. cit., JCP S, 2012, 1160) permet de définir les missions des représentants du personnel, d’identifier les compétences nécessaires, d’apprécier le niveau de responsabilité. Cet outil permet de « considérer le mandat comme un métier à part entière » (R. CHISS, op. cit., JCP S, 2012, 116). Il peut être utilisé tant par les salariés intéressés par l’exercice d’une fonction représentative que par leurs « managers » afin qu’ils adaptent leurs exigences en termes d’objectifs en fonction du mandat exercé. L’accord THALES prévoit qu’un document écrit intitulé « Adaptation travail et mandat syndical » peut être établi « afin de déterminer l’aménagement de la charge de travail prenant en compte l’exercice du mandat ». (THALES, op. cit., art. 3.1). Les entretiens annuels permettent d’établir un bilan et de définir des objectifs en ce qui concerne l’équilibre entre activité professionnelle et activité syndicale (Sur cette question : Voir V. MANIGOT, Le traitement juridique de la discrimination dans l’entreprise, Réflexions sur un risque, Thèse, LexisNexis, Planète Social, 2012, n° 749 et s., p. 267 et s. ; R. CHISS, op. cit., JCP S, 2012, 1160). A l’issue du mandat, les services de ressources humaines doivent accompagner les « anciens » élus vers la reprise d’une activité professionnelle au sein de l’entreprise. 1829 332 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 et de leurs responsables hiérarchiques1832. La formation de ces derniers doit contribuer à leur faire prendre conscience de l’intérêt, de la place et du rôle des instances de représentation du personnel1833. Les entreprises peuvent enfin prendre des engagements en matière d’évolution des rémunérations, de classification et de déroulement des carrières1834. L’objectif est d’éliminer d’éventuelles inégalités1835 avec l’ambition de parvenir à une gestion de qualité du dialogue social. §II. L’intervention des instances de représentation du personnel 699. Dans l’exercice de ses attributions consultatives, le comité d’entreprise émet des avis et des vœux1836. Mais le Code du travail reste imprécis sur les modalités d’expression de ces avis1837. L’accord collectif doit y remédier en privilégiant le recours 1832 La formation des élus dans un premier temps : la qualité du dialogue social nécessite un niveau de connaissances économiques et sociales élevé. Certains accords prévoient l’organisation de sessions de formation. A celles-ci, s’ajoutent d’autres sessions plus traditionnelles portant sur l’exercice du mandat (NEXTER, Accord relatif au droit syndical et aux institutions représentatives du personnel au sein de l’UES, 1er déc. 2008, art. 4.5.,www.wk-rh.fr). 1833 La formation des « managers » dans un second temps (Accord de groupe sur l’exercice du droit syndical et le dialogue social dans THALES, 23 nov. 2006, www.wk-rh.fr, art. 4-1 et s. ; Tableau de synthèse, Les Cah. DRH, 2012, n° 190, p. 23 ; voir I. TARAUD, « Mandat et activité professionnelle : quelles règles pour une bonne conciliation ? », CLCE, 2011, n° 103, p. 24). Plus ou moins associés au dialogue social dans l’entreprise, ces derniers doivent comprendre et connaitre le fonctionnement des instances de représentation, acquérir et maitriser « des éléments de langage indispensables aux échanges quotidiens » avec les élus. Il est indispensable que les managers disposent de formations portant sur les évolutions et le cadre historique de la représentation du personnel en insistant sur le rôle joué par les organisations syndicales et sur leur vision de ces institutions représentatives du personnel (S. NICOLET, « Représentants du personnel : concilier mandat et activité professionnelle », Thales Systèmes aéroportés, Conférence LJA-CDRH-Lamy Social, Les Cah. DRH, 2012, n° 190, p. 23). 1834 L’accord EADS recourt à des panels de référence (EADS, Accord sur le droit syndical et le dialogue social, 13 févr. 2009, www.wk-rh.fr, art. 14). 1835 L’évolution de carrière et de rémunération des salariés élus doit être déterminée comme pour tout autre salarié en fonction des caractéristiques de l’emploi, de la nature des tâches à accomplir et des aptitudes professionnelles de l’intéressé tout en prenant en considération les compétences acquises et le temps consacré à l’exercice d’un mandat de représentation du personnel. A titre d’exemple, en matière de rémunération, l’accord NEXTER prévoit qu’un salarié mandaté dont le temps consacré à l’exercice de son mandat est inférieur ou égal à un mi-temps bénéficie au même titre que les autres salariés des règles d’évaluation et de suivi de carrière de droit commun. En revanche, si le temps consacré à l’exercice du mandat est supérieur à un mi-temps, son titulaire bénéficie d’un entretien annuel obligatoire avec le service des ressources humaines. Ce salarié mandaté bénéficie d’une augmentation équivalant à la moyenne des augmentations accordées au regard de la catégorie socioprofessionnelle à laquelle il appartient (NEXTER, Accord relatif au droit syndical et aux institutions représentatives du personnel au sein de l’UES, 1er déc. 2008, www.wk-rh.fr, art. 4.3. – Tableau de synthèse, Les Cah. DRH, 2012, n° 190, p. 23). 1836 C. trav., art. L. 2323-4. 1837 B. GAURIAU, « Les modes d’expression de l’avis du comité d’entreprise », Dr. social, 2007, p. 184. 333 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 au vote comme moyen d’expression (I). De surcroît, la consultation du comité d’entreprise est parfois rendue délicate lorsque coexistent dans une même entreprise des CHSCT, des comités d’établissement, le comité d’entreprise européen, un comité de groupe, etc. Lorsqu’un projet se dessine, la consultation de ces différentes instances conduit parfois l’entreprise vers d’inévitables contentieux. L’accord doit s’attacher à déterminer quelques principes en matière d’articulation des consultations (II). I. 700. La consultation : l’expression d’un avis Il est des circonstances dans lesquelles le recours de vote est expressément prévu. Ainsi, en cas de licenciement d’un salarié protégé le Code du travail décide que l’employeur doit recueillir l’avis du comité d’entreprise ce qui suppose un vote1838. Il en est de même pour la nomination ou le licenciement du médecin du travail qui exige un vote à bulletin secret1839. En outre, certaines situations dans lesquelles le comité d’entreprise dispose d’un droit de veto, rendent nécessaire le recours au vote. Tel est notamment le cas pour la mise en place d’horaires individualisés1840, le choix de la forme du service de santé au travail1841, le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur1842. 701. En outre, les dispositions générales qui gouvernent le fonctionnement du comité, sans imposer formellement un vote, y font parfois très clairement référence1843. Ainsi, l’article L. 2325-18 du Code du travail laisse entendre que le vote est la modalité ordinaire d’expression de l’avis : « les résolutions sont prises à la majorité des membres présents » et « le président du comité ne participe pas au vote lorsqu’il consulte les membres élus1844 ». Néanmoins, aucune position de principe ne saurait être tirée des analyses doctrinales ou jurisprudentielles. 702. En doctrine. Pour une partie de la doctrine, le vote n’est pas impératif. Ainsi, selon le Professeur COUTURIER, une consultation peut « avoir lieu sans vote, soit que 1838 C. trav., art. R. 2421-15. C. trav., art. R. 4623-14. 1840 C. Trav., art. L. 3122-23. 1841 C. trav., art. D. 4622-2. 1842 L. 3121-24. 1843 B. GAURIAU, « Les modes d’expression de l’avis du comité d’entreprise », Dr. social, 2007, p. 184. 1844 C. trav., art. L. 2325-18, al. 2. 1839 334 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 le comité ait adopté au cours de la réunion une position suffisamment claire, soit qu’il ait refusé de voter 1845». Ainsi, l’existence de l’avis du comité est établie non pas par un vote mais par la lecture des procès-verbaux attestant la réalité et le sérieux des discussions intervenues en son sein. Constatant la multiplication des cas où le comité d’entreprise doit être consulté par l’employeur, le Professeur SAVATIER estime que « l’exigence d’un vote pour chacun d’eux aboutirait à un formalisme très gênant1846». Le Professeur LOKIEC abonde en ce sens en s’interrogeant : « L’avis doit-il systématiquement être précédé d’un vote ? Sur ce point le Code ne dit mot 1847 ». Cette position est confortée par des praticiens pour qui l’avis du comité d’entreprise ne saurait se résumer à un « oui » ou un « non », sauf dans certains cas où la loi exige un vote. L’avis « n’est pas et ne doit pas être positif ou négatif, favorable ou défavorable 1848 ». Il suffit que la lecture des procès verbaux fasse ressortir que les élus se sont prononcés sur la question soumise à leur avis1849. 703. Une autre partie de la doctrine reste plus équivoque. Si le professeur TEYSSIE rappelle qu’ « à l’issue des débats, le comité est parfois appelé à voter 1850 », il ajoute que le comité « est également appelé à voter lorsqu’il doit prendre une décision, adopter une proposition, formuler un vœu ou un avis1851 ». 704. Pour d’autres auteurs enfin, lorsque le Code du travail soumet une décision du chef d’entreprise à la consultation du comité, « il entend que soit recueilli l’avis collectif, né précisément d’un vote, pas seulement de l’avis des seuls membres qui ont 1845 L’auteur s’appuyait sur des exemples pris en application du droit des licenciements antérieur à 1986, qui faisait courir certains délais à partir du jour où les représentants du personnel avaient été consultés. Lorsque le comité d’entreprise s’était réuni à plusieurs reprises, il appartenait au juge de déterminer la réunion au cours de laquelle il avait été consulté. Or, le juge ne retenait pas « nécessairement la réunion au cours de laquelle les élus avaient voté mais celle à laquelle il avait été mis à même de débattre1845 » (G. Couturier, Traité de droit du travail t. II, Les relations collectives de travail, PUF, 2001, n° 68 - CE, 22 avr. 1983, n° 33446; CE, 7 juin 1985, n° 29842 ; Cass. soc., 12 nov. 1975 : Bull. civ., n° 526 (arrêt isolé)). 1846 J. SAVATIER, « Les délibérations du comité d’entreprise », Dr. social, 1983, p. 395. Selon le même auteur, la concertation entre la société et les représentants du personnel peut être pleinement efficace « sans qu’il soit nécessaire de voter à tout propos ». 1847 P. LOKIEC, Droit du travail TII, Les relations collectives de travail, PUF, 2011, n° 115, p. 106. 1848 P. BOUAZIZ, « L’avis du CE sur la marche de l’entreprise », CLCE, 2009, n° 82, p.22. 1849 P. BOUAZIZ, « L’avis du CE sur la marche de l’entreprise », CLCE, 2009, n° 82, p.22 ; D. JULLIEN, « Le CE doit émettre un avis en connaissance de cause », CLCE, 2009, n° 86, p. 19. 1850 B. TEYSSIE, Droit du travail, Les relations collectives, LexisNexis, 8 ème éd., 2012, n° 475, p. 269. 1851 B. TEYSSIE, Droit du travail, Les relations collectives, LexisNexis, 8ème éd., 2012, n° 475, p. 269. 335 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pris la parole1852 ». Ainsi, l’avis implique « un vote qui l’arrête, le formalise1853 ». Les décisions tant de la Cour de cassation que des juges du fond laissent à penser qu’ils optent pour cette dernière solution. 705. En jurisprudence. La Cour de cassation ne s’est jamais expressément prononcée sur le recours systématique au vote1854. A l’occasion d’un conflit intéressant le CHSCT, sa position a sensiblement évolué1855. Etait en cause la validité de l’avis préalable du CHSCT. Dans son pourvoi, l’employeur soutenait « qu’en l’absence de dispositions légales et règlementaires imposant une forme particulière à l’avis que doit donner le CHSCT, cet avis peut prendre la forme d’un tour de table au cours duquel chacun de ses membres exprime son avis ». Or, la Cour de cassation affirme que l’avis du CHSCT ne peut résulter que d’une décision prise à l’issue d’une délibération collective « c’est-à-dire du processus de vote des membres présents1856 ». L’avis de chacun de ses membres ne saurait constituer l’avis du CHSCT1857. 706. La Cour d’appel de Paris avait déjà souligné que « l’avis du CHSCT ne pouvait ressortir que d’une décision collective à l’issue d’un vote et non, comme en l’espèce, de 1852 F. PETIT, La notion de représentation dans les relations collectives de travail, LGDJ, 2000, n° 113 et s., p. 139. 1853 J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, Droit du travail, Dalloz, 27ème éd., 2013, n° 1164, p. 1230. 1854 Dans un arrêt du 5 décembre 2006, la Chambre sociale imposait que l’avis du comité d’entreprise soit exprimé par ses membres et non par les organisations syndicales auxquelles ils appartiennent. Dans son pourvoi, l’employeur s’était livré à une analyse littérale du Code du travail qui évoque un « avis motivé » et non un vote. Selon lui, si le législateur sait imposer la tenue d’un scrutin lorsqu’il exige un vote, l’emploi de l’expression « avis motivé » désignerait nécessairement autre chose qu’un vote (B. GAURIAU, « Les modes d’expression de l’avis du comité d’entreprise », Dr. social, 2007, p.184). La Cour de cassation ne répond pas à la question de la nécessité d’un vote et n’énonce pas expressément que l’avis du comité d’entreprise impose un vote (Cass. soc., 5 déc. 2006, n° 05-21641 : Bull. civ., 2006, n° 371). Saisie de la même contestation, la Cour d’appel de Paris a adopté un raisonnement identique : « si la mise en œuvre d’un vote n’est pas systématiquement nécessaire pour que se dégage la majorité requise, encore faut-il, à cette fin, que l’opinion de chaque membre soit recueillie individuellement et exprimée clairement, de manière à ce qu’émerge, de ses opinions individuelles, un avis majoritaire qui sera celui du comité lui-même, entité juridiquement autonome, distincte de celle de ses membres » (CA Paris, 18 ème Ch., 24 mai 2007, Dr . Ouvr., nov. 2007, p. 520). La Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ne font pas du vote la forme obligatoire et systématique de l’avis du comité d’entreprise « sans doute pour lui laisser une liberté relative dans le choix des moyens utilisés » (B. GAURIAU, « Les modes d’expression de l’avis du comité d’entreprise », Dr. social, 2007, p.184). 1855 Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-23206 : Bull. civ., 2012, n°7. 1856 V. CARON, A.-L. DODET, « L’avis du CHSCT consulté par l’employeur doit résulter d’un vote », JCP E, 2012, 1148. 1857 J.-B. COTTIN, « L’avis suppose une délibération collective », obs. sous Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-23206 : JCP S 2012, 1101. 336 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’expression des opinions de ses membres (...)1858 ». Une solution semblable doit être retenue pour le comité d’entreprise1859. 707. Dans un arrêt du 27 mars 2012, la Cour de cassation a décidé que le comité d’entreprise qui formule une appréciation ne rend pas un avis. Une simple communication en réunion n’est pas suffisante pour recueillir un avis motivé. Les appréciations et objections formulées par ce dernier à l’issue d’une réunion ne peuvent s’analyser en un « avis motivé » au sens de l’article L. 2323-4 du Code du travail1860. La notion « d’avis motivé est contraire à celle d’avis implicite1861 ». Une formalisation expresse est donc requise. L’« avis motivé » nécessite une délibération du comité d’entreprise1862. Le recours systématique au vote est retenu par une décision de la Cour d’appel de Paris en date du 8 février 2012 et par une ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Nanterre du 20 avril 20121863. Les positions doctrinales et jurisprudentielles en présence laissent à penser que l’avis du comité d’entreprise s’exprime « obligatoirement» par un vote. Si, en pratique, le comité l’utilise selon une fréquence inégale, le vote est de loin préférable. Il est utile à double titre en ce qu’il permet « de lever tout doute sur la réalité de la consultation des élus du personnel (...) et incarne un fonctionnement démocratique1864». La définition des modalités du vote relève de l’accord collectif1865. II. L’articulation des consultations 1858 CA Paris, 14 juin 2010, n° 10/02561 (décision donnant lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2012). 1859 J.-B. COTTIN, « L’avis suppose une délibération collective », obs. Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 1023206 : JCP S 2012, 1101 ; F. PETIT, note obs. Cass. soc., 10 janv. 2012, n° 10-23206 : Dr. social, 2012, p. 318. 1860 Cass. crim., 27 mars 2012, n° 11-80565. 1861 Th. PASSERONE, note sous Cass., 27 mars 2012, n° 11-80565 : JCP S, 2012, n° 1276. 1862 Th. PASSERONE, op. cit., JCP S, 2012, n° 1276. 1863 Dans une ordonnance de référé rendue le 20 avril 2012, le tribunal de grande instance de Nanterre souligne qu’un simple débat sans vote ne levant pas toutes les ambiguïtés d’un projet de prime n’est pas une consultation du comité d’entreprise (TGI Nanterre, 20 avril 2012, n° 12/00989). Le juge des référés confirme qu’un débat sur le sujet a bien été engagé mais que « les ambiguïtés du projet n'ont pas été clairement explicitées, étant souligné que les salariés s'attendaient à être rémunérés selon les mêmes conditions qu'au cours de l'édition 2011, alors même que la politique tarifaire changeait ». Le tribunal a considéré que « les élus n'ont pas été à même de vérifier in concreto le devenir de ce nouveau mode de rémunération ». Or la prime de productivité instaurée constitue un changement dans le mode de rémunération pour lequel « le CE aurait dû être informé et consulté, la consultation impliquant un vote sur le mode de rémunération en fin de débat ». 1864 B. GAURIAU, « Les modes d’expression de l’avis du comité d’entreprise », Dr. social,. 2007, p. 184. 1865 P. LOKIEC, Droit du travail TII, Les relations collectives de travail, PUF, 2011, n° 115, p. 106. 337 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 708. Lorsque deux instances de représentation du personnel sont amenées à rendre concurremment un avis à l’occasion d’une consultation, la question de l’articulation des procédures se pose. L’enchevêtrement des consultations est fréquent. L’évitement des contentieux commande que soit arrêté par l’accord unique les règles d’articulation des procédures. Une solution identique est retenue dans chaque hypothèse. Elle tient au caractère préalable de la consultation du comité central d’entreprise (A), du CHSCT (B) et du comité d’entreprise européen (C) par rapport à celle du comité d’entreprise. A. La consultation préalable du comité central d’entreprise 709. Le niveau de compétence. En matière économique, les comités d’établissement disposent d’attributions identiques à celles du comité d’entreprise dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs de ces établissements1866. Le comité central d’entreprise intervient sur les questions qui excèdent les limites de leurs pouvoirs1867. Dans les matières où la décision appartient à la direction générale de l'entreprise, les comités d'établissement ne sont obligatoirement consultés que dans la mesure où la mise en œuvre de la décision et son application à l'établissement rendent nécessaire l'élaboration de dispositions particulières relevant normalement du chef d'établissement1868. Toutefois, le Code du travail reste imprécis sur l’ordre des consultations. La circulaire ministérielle du 30 novembre 1984 considère que la consultation du comité central d’entreprise doit précéder ou suivre celle des comités d’établissement selon les cas1869. De manière générale, le comité central est consulté sur la décision de principe et les comités d’établissement ne le sont que si cette décision a des conséquences appelant des adaptations locales prises par le chef d’établissement1870. La consultation du comité central précède donc celles des comités d’établissement. 1866 C. trav., art. L. 2327-15. C. trav., art. L. 2327-2. 1868 Cass. crim., 11 févr. 1992, n° 90-87500 : Bull. crim., 1992 n° 68. 1869 Circ. Min. 30 nov. 1984, portant application des dispositions concernant le comité d’entreprise dans la loi n° 82-915 du 28 october 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, p. 14. 1870 Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-20939 : Bull. civ., 2002, n° 217. 1867 338 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 710. Une solution identique doit être retenue en matière de restructuration 1871. La consultation du comité central d’entreprise intervient d’abord1872. La première réunion de cette instance fait courir les délais fixés par l’article L. 1233-30 du Code du travail. Les consultations des différents comités d’établissement doivent intervenir avant l’expiration du délai. Quelle que soit la voie choisie (négociée ou unilatérale) les solutions retenues en matière d’articulation des consultations trouvent à s’appliquer. Seuls les délais de consultation varient selon qu’ils ont été ou non définis conventionnellement. 711. Enfin, le Code du travail consent à une définition conventionnelle des compétences respectives des comités d’établissement et du comité central d’entreprise en matière d’activité sociale et culturelle1873. La conclusion d’un accord collectif facilitera le règlement « des difficultés d’organisation et de gestion des œuvres sociales entre les différents niveaux de l’entreprise1874 ». B. La consultation préalable du CHSCT 712. CHSCT - Principe de spécialité. Instance spécialisée, le CHSCT intervient en amont. Il éclaire le comité d’entreprise qui conserve une compétence générale1875. L’avis du CHSCT doit précéder celui du comité d’entreprise1876. Lorsqu’il est consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail, le comité d’entreprise doit disposer de l’avis du CHSCT. Il s’ensuit que le comité d’entreprise est recevable à 1871 Le Code du travail dispose que « le ou les comités d'établissement tiennent leurs deux réunions respectivement après la première et la deuxième réunion du comité central d'entreprise tenues en application de l'article L. 1233-30 » (C. trav., art. L. 1233-36). 1872 Instruction DGEFP/DGT n° 2013/13 du 19 juillet 2013 relative à la mise en œuvre de la procédure de licenciement économique collectif, II. 3. Le caractère préalable de la consultation du comité central d’entreprise était déjà retenu sous le régime anciennement applicable (Circ. Min. 30 nov. 1984, portant application des dispositions concernant le comité d’entreprise dans la loi n° 82-915 du 28 oct. 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, p. 14). 1873 C. trav., art. L.2327-16. L’accord collectif doit être conclu entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives dans les conditions prévues à l’article L. 2232-12 du Code du travail. Il s’agit des conditions de validité d’un accord d’entreprise. 1874 R. VATINET, « Les droits d’information du comité d’entreprise remaniés », JCP S 2006, 1072, n° 15. 1875 C. trav., art. L. 2323-27 et L. 2323-28. Sur le principe de spécialité : Voir E. MILLION-ROUSSEAU, La représentation élue du personnel en matière de santé sécurité, Thèse, Paris 2, 2011, Dactylographié, n° 498 - J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2ème éd., 2012, n° 266 et s., p. 227 et s. 1876 J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2ème éd., 2012, n° 266 et s, p. 227 et s. 339 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 invoquer, dans le cadre de sa propre consultation, l’irrégularité, de celle du CHSCT1877. Par le passé, les juges du fond avaient déjà affirmé que le CHSCT devait être consulté préalablement à la saisine du comité d’entreprise, ce dernier devant bénéficier de l’avis de cette instance avant de se prononcer lui-même1878. Cette règle d’articulation, soutenue par une large partie de la doctrine1879, doit figurer dans l’accord unique. 713. Restructuration. Une solution identique trouve à s’appliquer en matière de restructuration lorsqu’elle emporte des conséquences en termes de conditions de travail, de santé et de sécurité1880. La consultation du CHSCT doit avoir lieu dans le respect du délai fixé à l’article L. 1233-30 du Code du travail ou arrêté conventionnellement1881. Selon le professeur CESARO, une lecture littérale du texte conduit à admettre qu’il n’y a pas lieu de consulter le CHSCT avant de consulter le comité d’entreprise puisque l’avis du CHSCT peut être rendu à la fin de la procédure. Cette lecture, aussi séduisante soit-elle, suscite la perpexité. Le CHSCT n’intervient que « sur un aspect du projet sur lequel le comité d’entreprise doit émettre un avis général et que celui-ci a le droit et le 1877 Cass. soc., 4 juill. 2012, n° 11-19678 : Bull. civ., 2012, A paraitre, JCP S, 2012, 1399, note L. CAILLOUX-MEURICE. 1878 CA Paris, 11 nov. 2004, CPAM de Paris c/ CE de CPAM de Paris, Dr. ouvrier, 2005, p. 438, note A. de SENGA - CA Paris, 13 mai 2009, n° 08/23442. 1879 Le Professeur TEYSSIE souligne ainsi que « l’avis de l’instance spécialisée, limité aux aspects du projet relevant de sa compétence, éclairera utilement les membres du comité d’entreprise» (B. TEYSSIE, Droit du Travail, Relations collectives, 8ème éd., LexisNexis, 2012, n° 502, p. 686 ; dans le même sens E. MILLION-ROUSSEAU, La représentation élue du personnel en matière de santé sécurité, Thèse, Paris 2, 2011, Dactylographié, n° 498, p. 309 ; J.-B. COTTIN, Le CHSCT, Lamy, 2013, n° 266 et s. p. 227 et s. ; P. BOUAZIZ, Des prérogatives respectives du CE et du CHSCT et de l’articulation des réunions d’information et de consultation, Dr. ouvrier, 2008, p. 505). Toutefois certains auteurs n’hésitent pas à remettre en cause « cette « accessoirisation » du CHSCT, notamment en matière de restructuration, à l’aune des nouvelles dispositions applicables en la matière (J.-F. CESARO, «La consultation des représentants du personnel relative au PSE», JCP S, 2013, 1204). 1880 Instruction DGEFP/DGT n° 2013/13 du 19 juillet 2013 relative à la mise en œuvre de la procédure de licenciement économique collectif, III. 2 - « Si le lien entre licenciement pour motif économique et impact sur les conditions de travail n’est pas juridiquement établi, il est en pratique quasi-automatique » (M. PATIN, « Licenciement pour motif économique : information et consultation du CE et du CHSCT », JCP S 2010, 1425). La jurisprudence reconnait de plus en plus aisément qu’un projet de la direction entraine une modification importante des conditions de travail. La formulation très large de l’article L. 4612-8 du Code du travail ainsi que « la montée en puissance du CHSCT fait tomber un à un dans l’escarcelle de sa consultation les projets qui, jusque là n’étaient appréhendés que sous l’angle économique de la consultation du comité d’entreprise » (P.-H. d’ORNANO, « La consultation du CHSCT en cas d’aménagement important modifiant les conditions de travail », JCP S, 2010, 1226). Tel est le cas d’opérations d’externalisation, de réorganisation ou de restructuration. Ces opérations sont souvent reconnues comme caractérisant des aménagements importants (CA Paris, 13 mai 2009, n° 08/23442 - CA Bordeaux, 10 janv. 2011, n° 09/04046 - CA Paris, 10 janv. 2011, n° 10/16642 – Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-68161). 1881 J.-F. CESARO, « La consultation des représentants du personnel relative au PSE », JCP, S 2013, 1204, n° 19. 340 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 besoin de connaître l’avis du CHSCT 1882». Ce dernier prononce « un avis technique1883 » et n’est consulté que sur les conséquences en termes de conditions de travail, de santé et de sécurité. Le principe de spécialité trouve ici à s’appliquer pleinement1884. L’avis du CHSCT précède celui du comité d’entreprise. 714. Instance de coordination. Lorsque la consultation porte sur un projet commun à plusieurs établissements, le Code du travail prévoit la constitution d’une instance de coordination des CHSCT. Cet organe a pour mission d’organiser le recours à l’expertise pour l’ensemble de l’entreprise. Il peut rendre un avis sur le projet commun sans que cet avis puisse se substituer à celui des CHSCT d’établissement. Si le législateur détermine strictement les conditions de désignation des membres de l’instance, les situations autorisant sa réunion et, plus largement, les règles de fonctionnement1885, un accord peut prévoir des modalités de particulières1886. Pourraient faire l’objet d’une négociation : l’assistance de l’employeur, la présence de suppléants, l’organisation d’une instance durable, l’organisation d’instances de coordination d’un périmètre inférieur à l’entreprise1887. L’accord peut enfin déterminer les conditions d’articulation de cette instance, des différents CHSCT, du comité central d’entreprise et des comités d’établissements. A cet égard, deux solutions peuvent être envisagées. La première revient à considérer que la consultation de l’instance de coordination et des CHSCT doit être conduite dans le délai total de consultation du comité central d’entreprise et des comités d’établissement. La seconde revient à considérer que la consultation de l’instance de coordination intervient dans le délai de la consultation du comité central d’entreprise et celle des CHSCT dans les délais applicables aux comités 1882 P. BOUAZIZ, « Des prérogatives respectives du CE et du CHSCT et de l’articulation des réunions d’information et de consultation », Dr. ouvrier, 2008, p. 505. 1883 S. NIEL, Cl. MORIN, « IRP : qui consulter et dans quel ordre ? », CDRH, 2012, n° 185 p. 3. 1884 Ce principe de spécialité a été adopté expressément dans certains accords collectifs. Tel est le cas de la convention collective de la métallurgie. Son article 15 dispose que « le CHSCT est réuni préalablement à la réunion du comité d’entreprise ou d’établissement au cours de laquelle ce dernier est consulté sur les effets prévisibles des nouvelles technologies à l’égard de l’hygiène, de la sécurité et des conditions de travail du personnel (Accord sur les problèmes généraux de l’emploi, art. 15). 1885 C. trav., art. L. 4616-1 ; D. n° 2013-552, 26 juin 2013 - Voir J.-B. COTTIN, « L’instance de coordination des CHSCT », JCP S, 2013, 1264 – L. PECAUT-RIVOLIER, « L’instance de coordination des CHSCT », Cah. Soc., 2013, n° 254, p. 302. 1886 C. trav., art. L. 4616-5. 1887 J.-B. COTTIN, « L’instance de coordination des CHSCT », JCP S, 2013, 1264. 341 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’établissement1888. Quelle que soit la solution retenue, il importe que le comité d’entreprise dispose de l’avis du ou des CHSCT pour rendre un avis général sur le projet. C. Le caractère préalable de la consultation du comité d’entreprise européen 715. L’accord peut enfin déterminer les règles d’articulation des consultations du comité d’entreprise européen et du comité d’entreprise. Cette question a été régulièrement soulevée à l'occasion de restructurations afin de déterminer une éventuelle primauté du comité d’entreprise européen sur les instances nationales de représentation du personnel. Les juges du fond retiennent des solutions variables, constatant tantôt l'absence de priorité du comité d’entreprise européen 1889, tantôt l'existence d'une priorité dudit comité1890. D'autres confirment le principe de nonpriorité tout en le nuançant : « il convient de rechercher si dans le cas d'espèce et au regard de la situation spécifique de la société, l'articulation des consultations doit faire prévaloir la consultation européenne sur la consultation nationale 1891 ». 716. La directive du 6 mai 2009 comporte une disposition destinée à clarifier les relations entre le comité d’entreprise européen et les instances nationales de représentation des salariés en invitant les parties à prévoir l’articulation des deux échelons de représentation lors de la conclusion de leur accord. A défaut, elle invite les législations nationales à déterminer les modalités d’articulation des consultations des instances1892 pour que le comité d'entreprise européen puisse, le cas échéant, être informé avant ou en même temps que les instances nationales de représentation des travailleurs, tout en ne réduisant pas le niveau général de protection des 1888 J.-F. CESARO, « La consultation des représentants du personnel relative au PSE », JCP S, 2013, 1204. 1889 TGI Sarreguemines, ord., 21 avr. 2009, n° 09/00048, Continental, RDT 2009, p. 390, note H. TISSANDIER. 1890 TGI Paris, ord. 10 oct. 2003, Seita ; TGI Melun, Ord. 13 oct. 2006, Beiersdorf ; TGI Paris, n° 11/00433, 24 avr. 2011, GDF Suez. 1891 TGI Nanterre, ord. 1er août 2003, SA Alstom Power Turbomachines ; TGI Paris, ord. 27 avr. 2007, Alcatel-Lucent, SSL, 2007, n° 1306, p. 9 et s., note J.-Ph. LHERNOULD ; JSL, 2007, n° 214, p. 4 et s., note G. BELIER. 1892 Dir. n° 2009/38/CE, 5 mai 2009, art. 12. 342 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 travailleurs1893». Ce considérant ouvre la possibilité de réintroduire la simultanéité des consultations ou la primauté du comité d’entreprise européen sur les instances nationales. 717. La solution retenue par l'ordonnance de transposition en droit français est ambigüe. En l’absence d’accord ou lorsque l'accord ne prévoit pas les modalités d'articulation, le processus d'information et de consultation est mené tant au sein du comité d'entreprise européen que des institutions nationales représentatives du personnel1894. Cette solution, qui ne vaut qu'à défaut de disposition conventionnelle, semble privilégier deux procédures parallèles sans accorder de primauté à l'une ou à l'autre. La nouvelle directive est comparable à la jurisprudence française aux termes de laquelle les procédures de consultation du comité d'entreprise national et du comité d’entreprise européen n'ont pas le même objet ni le même champ d'application, rien ne s'opposant à ce que les consultations européenne et nationale soient menées de façon indépendante, concomitante ou successive1895. 718. Le caractère préalable de la consultation du comité d’entreprise européen est soutenu par une large partie de la doctrine. L’accord unique sur la représentation du personnel pourrait retenir une règle de répartition en se fondant sur le principe retenu à l’occasion de l’articulation des consultations du comité central d’entreprise et des comités d’établissement1896. Dès lors, doit être consultée « en dernier lieu, [l’instance] dont l’avis a l’impact le plus fort sur la décision adoptée ; les consultations qui la précèdent ont pour objet d’éclairer les représentants en vue de délivrer l’avis final1897 ». L’avis rendu préalablement par le comité d’entreprise européen nourrira, à l’instar de celui du CHSCT, la réflexion du comité d’entreprise. 719. Conclusion. La définition d’une politique sociale par l’entreprise favorise l’anticipation (et par conséquent la prévention) des conflits et des contentieux qui 1893 Dir. n° 2009/38/CE, 5 mai 2009, cons. n° 36. C. trav., art. L. 2341-9. 1895 CA Versailles, 27 janv. 2010, n° 09/07384 et TGI Sarreguemines, ord. n° 09/00048, 21 avr. 2009. 1896 J.-F.CESARO, « La consultation des représentants du personnel relative au PSE », JCP S 2013, 1204, n° 11. 1897 A. MARTINON, « Les relations collectives de travail dans les groupes de sociétés à caractère transnational », Dr. social, 2010, p. 797 ; B. KRIEF, « L’articulation du comité d’entreprise européen et des instances transnationales de représentation du personnel », JCP S 2012, 1116. 1894 343 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 peuvent en résulter. Le législateur permet l’appréhension par les acteurs de l’entreprise du droit de la représentation du personnel en facilitant son adaptation aux spécificités de l’entreprise. La qualité des phases d’information et de consultation économique et sociale, ainsi que du fonctionnement des instances élues ou désignées, l’accroissement de leurs moyens contribuent à l’effectivité du dialogue social dans l’entreprise. 344 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Chapitre II - Une effectivité assurée hors le jeu de la négociation 720. De l’ignorance…. La quête de l’effectivité du droit de la représentation collective doit « reposer sur d’autres formes d’intervention plus ou moins complémentaires du contrôle1898 ». Intervenant extérieur, l’inspection du travail « à la française1899 » est caractérisée par la diversité des missions qui lui sont confiées. Les attentes à son égard sont nombreuses1900. Généraliste, elle a pour fonction de contrôler, d’informer, de conseiller et de concilier. Chargés de veiller à l’application de la législation du travail, les inspecteurs du travail disposent d’un pouvoir de contrôle et de verbalisation1901 ; le Code du travail ignore, en revanche, tant la pratique des observations1902 que la possibilité pour l’inspecteur de prononcer une sanction administrative. 1898 J. BESSIERE, L’inspection du travail, entre stabilité et évolutions, in 13 Paradoxes en Droit du travail, sous dir. Ph. WAQUET, SSL, 2011, n° 1508, p. 41. 1899 Ce terme ne sous-entend « aucun jugement de qualité, il est seulement l’expression de l’embarras qu’éprouve l’observateur étranger à appréhender toutes les données d’un système d’inspection dont les membres exercent une véritable magistrature sociale avec un talent rarement comparable et une formation d’un niveau rarement égalé » (Rapport de la mission tripartite d’évaluation de l’efficacité de l’inspection du travail en France, BIT, Genève 1981). Cette expression permet de distinguer l’inspection du travail française des autres systèmes. Elle désigne aussi les spécificités d’un modèle d’inspection source d’inspiration de nombreux pays en voie de développement (M. J. PIORE, A. SCHRANK, Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin, Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 1-26). 1900 «On attend en effet de l’inspecteur français du travail, tel que l’histoire l’a situé au carrefour de l’activité économique et de la vie sociale, qu’avec une maîtrise permanente et un sens aigu des relations humaines, il « dise le droit », qu’il soit, sans être le plus souvent un technicien, à l’écoute des progrès de la technologie et des risques qu’elle engendre, qu’il se montre apte au raisonnement économique dans l’exercice des fonctions de conciliateur, qu’il assume des responsabilités économico-politiques qui l’éloignent de sa vocation première de protecteur du travailleur ; qu’il se montre un administrateur avisé car des tâches de gestion lui seront parfois déléguées par l’administration centrale ; et enfin, à toutes ces aptitudes, on trouvera normal qu’il ajoute celles d’être le conseiller naturel des employeurs, des travailleurs et de leurs organisations, l’éducateur lorsque la loi est nouvelle, le vulgarisateur lorsque l’application est complexe, sans que jamais s’altèrent l’autorité et l’indépendance nécessaires à l’exercice de ses fonctions principales dont la phase la plus délicate est sans conteste son action répressive » (Rapport de la mission tripartite d’évaluation de l’efficacité de l’inspection du travail en France, BIT, Genève 1981). 1901 C. trav., art. L. 8112-1. Cette question ayant déjà fait l’objet de développements, seule la dimension de « conseil » retient notre attention. 1902 Certains textes du Code du travail y font référence : C. trav., art. R. 4614-5 et R. 4622-7. 345 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 721. …à la considération. Si la tradition française « demeure très attachée au principe de responsabilité pénale du chef d’entreprise1903 », l’administration du travail, le monde universitaire1904 et le monde professionnel1905 s’inscrivent tour à tour dans le mouvement tendant à étendre, le cas échéant généraliser, les sanctions administratives en droit du travail. La voix de l’administration du travail s’exprime au travers de nombreux rapports. Parmi eux, ceux intitulés « Pour un Code du travail plus efficace » et « L’inspection du travail » adressés au ministère du travail successivement en 2004 par Michel de VIRVILLE et en 2005 par Jean BESSIERE font état de la nécessité de recourir en lieu et place des sanctions pénales à des sanctions administratives1906. Plus récemment encore, le projet « Pour un ministère fort » entend renforcer les pouvoirs de l’administration du travail en la dotant de la possibilité de prononcer des sanctions administratives. Enfin, en investissant le Direccte d’un pouvoir d’injonction en matière d’information et de consultation des instances de représentation du personnel à l’occasion d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique, la loi n° 2013-504 du 18 juin 2013 porte en elle les prémices d’un recours à la sanction administrative. 1903 J.-F. CESARO, La norme pénale, l’entreprise et le droit du travail, Dr. social, 2005, p. 139. A l’occasion d’un colloque sur le droit pénal du travail, le professeur TEYSSIE s’interrogeait en ces termes : « D’autres voies ne mériteraient-elles pas d’être explorées ? (…) il est des sanctions plus efficaces, parfois même si redoutables qu’il conviendrait d’en faire un usage prudent pour éviter que leur prononcé n’emporte irrémédiablement la mort de l’entreprise : interdiction professionnelle, interdiction d’accéder à tout ou partie des aides publiques, exclusion de tout ou partie des marchés publics, surtaxation fiscale, développement d’un droit répressif non pénal, etc.» (B. TEYSSIE, « Sur le droit pénal du travail », Dr. social, 2000, p. 940) ; Adde, A. COEURET, E. FORTIS, « La place du droit pénal dans le droit du travail », Rev. sc. crim., 2000, p. 36 : « Peut-être serait-il par exemple envisageable, pour certaines infractions déterminées et dans des conditions permettant l’exercice des droits de la défense, de donner directement un pouvoir de sanction à l’inspecteur du travail afin d’accroître la certitude de la répression dans certains domaines ». ; B. SILHOL, « L’inspection du travail et le choix de l’action pénale », Dr. social, p. 963 ; J.-C. JAVILLIER, « Ambivalence, effectivité, et adéquation du droit pénal du travail : quelques réflexions en guise d’introduction », Dr. social, 1975, p. 375. 1905 Les organisations patronales reconnaissent que « le fait que la sanction civile ou administrative puisse se révéler plus efficace que la sanction pénale est un élément à prendre en compte dans la qualification de la sanction » (Contribution du MEDEF, « Réflexions sur la place du droit pénal dans la Société française », DAJ, Juin 2000, p. 9). 1906 « Les sanctions peu appliquées ou inadaptées devraient être supprimées ou remplacées soit par des sanctions administratives ou civiles soit par des mesures préventives » (Rapport « Pour un Code du travail plus efficace », M. de VIRVILLE, 15 janv. 2004, n° 4.4.2). « La question des outils à disposition des agents est cependant toujours d’actualité et porte le plus souvent sur les possibilités de développement des amendes administratives» (Rapport « L’inspecteur du travail, M. J. BESSIERE, 5 janv. 2005, p. 67). 1904 346 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 722. De même, longtemps rejetée, la fonction de conseiller s’est considérablement développée pour devenir la première mission de l’inspection du travail1907. En témoigne le nombre élevé de lettres d’observation adressées aux entreprises contrôlées1908. Un constat identique peut être fait en matière de représentation du personnel où la part des observations représente 98,4% (62265) des suites à interventions constatant au moins une infraction (63316) et 43,8% des suites à intervention qu’elles constatent ou non une infraction1909. 723. Confier à l’inspection du travail la fonction de conseil à côté de celle de police du travail n’est point une idée nouvelle. Le débat est ancien tant au sein de la profession qu’au sein de la doctrine. Certains auteurs estiment néanmoins qu’il existe une contradiction à vouloir concilier l’inconciliable, considérant qu’il y a « une forme d’antinomie beaucoup plus qu’une continuité logique1910 » entre ces deux fonctions. Toutefois, l’indépendance reconnue par l’article 17 de la Convention de l’OIT de 1947 aux inspecteurs du travail est assurée par le système d’inspection français dans la mesure où les agents d’inspection disposent du choix des modalités d’action de leur intervention. L’inspecteur a le pouvoir d’apprécier les moyens à mettre en œuvre et, par voie de conséquence, de mesurer l’opportunité de préconiser une mesure préventive, de dresser un procès-verbal ou de prononcer une sanction administrative. Ce principe trouve sa justification non seulement dans l’inflation des textes qui ne sont pas toujours adaptés aux situations concrètes1911 mais également dans la diversité des situations rencontrées. Une infraction résultant d’une simple négligence et dont les effets sont réversibles ne nécessite pas la rédaction d’un procès-verbal lequel serait très certainement classé sans suite par le procureur mais pourrait justifier le prononcé d’une sanction administrative. A l’inverse, une infraction particulièrement grave portant atteinte aux droits fondamentaux des salariés ou aux libertés individuelles, de même que 1907 La pratique des observations est ancienne et recommandée par le ministère du Travail : JOAN, 2 juin 1972, p. 2094 - Instruction ministérielle 15 févr. 1903 - Instruction ministérielle 16 Août 1948 Instruction ministérielle du 23 juill. 1971 - Instruction ministérielle 14 mars 1986 - Instruction ministérielle 28 mars 2002, n° 2002-3 - Instr. DGT, n° 11 du 12 Sept. 2012, sur les procès-verbaux de l’inspection du travail, BOMT, 30 Oct. 2012 - C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 36. 1908 Le rapport de l’inspection du travail en 2011fait état de 226300 lettres d’observations (L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., Nov. 2012). 1909 L’inspection du travail en France en 2011, Rapp. Min. Trav., Nov. 2012, p. 85. 1910 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 446. 1911 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 446. 347 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 la répétition d’une infraction dans une même entreprise conduira l’inspection du travail à en dresser un et à le transmettre au parquet. La conjonction de ces pouvoirs contradictoires donne « son vrai visage à l’inspection du travail française et lui confère autorité et crédit dans chacune de ses missions1912 ». La finalité répressive de l’action de l’inspection du travail ne doit pas occulter sa fonction préventive. Elle doit offrir aux entreprises l’opportunité de rendre effectif le dialogue social en recourant à des méthodes d’accompagnement et d’évaluation innovantes. Une révolution de l’administration du travail est souhaitée ; son avenir est dans l’articulation de ses fonctions préventives (Section 1) et répressives (Section 2). Section I Une prévention administrative rénovée 724. Conseiller. La mission de conseil résulte de la nécessité dans laquelle s’est trouvée l’inspection du travail de faire face à l’explosion de la demande individuelle qu’elle provienne des salariés ou des entreprises1913. Une étude menée par le professeur AUVERGNON a démontré l’engouement non seulement des employeurs mais aussi des représentants des salariés et des services d’inspection pour les fonctions de conseil1914. Le rôle de l’inspecteur est devenu « préventif avant d’être correctif, il est de convaincre plus que de contraindre1915 ». Mais, la fonction de conseil de l’inspection du travail ne doit pas être réduite à des observations rappelant l’état du droit1916. L’inspecteur, « s’il souhaite peser dans les choix de l’entreprise, jouer un rôle social utile à l’avenir,[doit] développer une professionnalisation du conseil1917 » en allant au delà du seul renseignement1918. Les frontières avec les fonctions de conseil juridique1919 1912 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 459. En ce sens : CES, Rapp. 24 janv. 1996 sur l’inspection du travail ; Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 327. 1913 Sur les demandes individuelles voir T. KAPP, « L’inspection du travail face à la demande individuelle », Dr. ouvrier, déc. 2002, p. 563. 1914 Ph. AUVERGNON, « Inspection du travail : quelle utilité aujourd’hui ? Dissonances et concordances d’une réponse à trois voix », RFAS, 1992, p. 21 et s. 1915 M. FONTANET, JO Sénat, Séance du 20 juin 1972, p. 2346. 1916 Contra : Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ère éd., 2013, p. 72. 1917 M. PERRON, « L’inspection du travail, l’approche de l’entreprise par les dysfonctionnements, » Rev. Echange-travail, 1992, p. 24. 1918 En ce sens : v. C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 36. 348 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 sont alors ténues. L’inspecteur doit délivrer des avis ou des consultations sur ce qu’il convient de faire ainsi que sur les moyens d’y parvenir. Il doit « amener le chef d’entreprise à se situer comme un acteur du changement1920», le cas échéant en formulant des recommandations. La fonction de conseil trouve une assise juridique dans la Convention OIT n° 81 : l’inspection du travail est chargée « de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d'observer les dispositions légales1921». Cette fonction trouve également sa justification dans l’approche latine à laquelle appartient le système français d’inspection du travail. Alors que le modèle anglo-saxon en vigueur aux EtatsUnis et dans les pays d’Europe du Nord présente un caractère accusatoire, disséminé1922 et punitif, le modèle latin, système global d’inspection, « se montre initialement plus conciliant et pédagogique en cas d’inobservation des règles1923». L’approche latine laisse aux inspecteurs la latitude nécessaire pour ajuster leurs décisions à la situation de l’entreprise1924. 725. Des défis doivent être surmontés, notamment faire face à une législation prolixe et à un contexte socio-économique particulièrement instable. Or, la mission de conseil ne s’exerce pas de la même manière en période de croissance économique que dans un contexte de crise et dans un environnement fortement concurrentiel. Ces défis bouleversent tant l’activité de l’inspection que celle des entreprises intensifiant ainsi le besoin de changement. A ces difficultés, s’ajoute la nécessité pour l’inspection du travail de justifier de son efficacité. L’irruption des notions de performance et d’efficacité dans le langage courant de l’inspection et de l’organisation internationale du travail1925 ont conduit le ministère du Travail à mener des réformes 1919 Le conseiller juridique est une « personne qui donne à une autre des avis, des renseignements, des consultations ou qui l’assiste, soit dans la défense en justice de ses intérêts soit dans la gestion de ses affaires » (G. CORNU, Vocabulaire Juridique, PUF, 2007). 1920 P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 70. 1921 Convention OIT n° 81, art. 3. 1922 Les auteurs s’attachent à présenter les différentes agences de contrôle aux Etats-Unis (M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 5). 1923 M. J. PIORE, A. SCHRANK, op. cit., Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 2. 1924 M. J. PIORE, A. SCHRANK, op. cit., Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 2. 1925 OIT, Rapport V, Administration du travail et inspection du travail, 2011. 349 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 « organisationnelles » d’ampleur1926. Enfin, parce que les employeurs ne perçoivent souvent que les aspects contraignants et les conséquences financières des missions de l’inspection du travail, celle-ci a besoin d’asseoir sa légitimité, laquelle suppose que l’inspection consente « à échanger avec l’ensemble de la société civile et [à] accepter que ses choix soient éclairés par le dialogue avec les partenaires sociaux1927 ». Les inspecteurs du travail doivent se nourrir des échanges formels et informels noués avec les partenaires sociaux, les salariés et les employeurs. La règle serait mieux acceptée par ses destinataires s’ils se sentaient compris par les inspecteurs du travail. Cette compréhension passe par la prise en compte de l’intérêt économique de l’entreprise… laquelle suppose parfois une évolution du regard des inspecteurs sur les entités placées sous son contrôle. 726. Comment l’inspection du travail peut-elle améliorer sa capacité à introduire des changements positifs dans l’entreprise ? Le modèle latin d’inspection est caractérisé par sa flexibilité et la latitude laissée aux inspecteurs dans l’application de la réglementation. Cette flexibilité se traduit, en pratique, par un choix des dispositions à appliquer prioritairement1928. Elle permet aux agents « d’élaborer un programme de mise en conformité graduelle » avec les dispositions en vigueur. Autrement dit, les inspecteurs du travail négocient l’application de la norme1929. Il est vrai qu’une application littérale de la législation du travail est illusoire1930. Il faut élaborer des 1926 Trois séries de réformes depuis 2006 sont menés par le Ministère du Travail : - le plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail (Les rapports de l’inspection du travail de 2006 à 2010, La documentation française – Instruction de la DGT, n° 2011-01, 18 janv. 2011, BOMT, 28 févr. 2011, n° 2, Relative à l'évaluation des actions engagées au niveau régional dans le cadre du PMDIT et de la fusion des services d'inspection du travail ; « L’inspection du travail poursuit sa mue en 2009 », SSL, 2011, n° 1486 ; J. BESSIERE, « L’inspection du travail, entre stabilité et évolutions », in 13 Paradoxes en Droit du travail, SSL, 2011, n° 1508, p. 40 ; Th. KAPP, J-P. TERRIER, P. RAMACKERS, « Les mutations de l’inspection du travail », SSL, 2012, n° 1561, p. 4) ; - La revue générale des politiques publiques en 2009 (J. BESSIERE, « L’inspection du travail, entre stabilité et évolutions », in 13 Paradoxes en Droit du travail, SSL, 2011, n° 1508, p. 40) ; - Le projet « Pour un ministère fort » en cours d’étude (http://www.sud-travail-affaires-sociales.org). 1927 V. TIANO, « La réforme contestée de l’inspection du travail », Dr. social, 2006, p. 662. 1928 M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 6. 1929 « Osons dire que nous négocions l’application du droit » (G. BUTAUD, F. PERIN, M. THERY, « Les funambules de l’inspection du travail », Dr. social 1985, p. 271). Dans le même sens : A. HIDALGO, « Inspection du travail : crise d’identité et tranches de vie », Dr. social, 1992, p. 853 ; C. CHETCUTI, « Bref propos sur les modalités d’intervention de l’inspection du travail », Dr. social, 1984, p. 464. 1930 Comme une confirmation, la loi du 14 juin 2013 accorde aux entreprises qui franchissent les seuils de 11 et 50 salariés deux dérogations par rapport aux obligations traditionnelles qui figurent dans le Code du 350 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 méthodes d’action et d’évaluation garantissant « aux entrepreneurs et aux salariés une application uniforme et objective de la réglementation1931 ». L’inspecteur doit changer de méthode. Ce changement doit être de nature à faire évoluer positivement les pratiques de l’employeur et à rendre plus effective l’application du droit du travail. L’employeur doit prendre conscience que son application constitue un facteur de développement économique de l’entreprise. En recourant à une nouvelle « clé d’entrée », celle du dysfonctionnement, l’inspecteur doit démontrer que l’absence d’un dialogue social de qualité a un coût direct ou indirect pesant sur la compétitivité ou la productivité de l’entreprise (Sous-section II). Ce changement de méthode appelle dans certains cas un changement de culture (Sous-section I) Sous-section I - Un changement de culture administrative 727. Légitimité. Le changement de culture doit permettre d’asseoir la légitimité des agents face à des employeurs percevant la réglementation et l’inspection du travail comme des obstacles à la compétitivité de l’entreprise. L’inspection doit renforcer sa neutralité dans l’exercice de ses missions de contrôle ou de conseil (§I). Une application uniformisée du droit du travail doit être par ailleurs recherchée. Même s’ils sont profondément attachés à leur indépendance, les inspecteurs du travail expriment1932 le besoin d’une autorité centrale élaborant une politique, une doctrine et une stratégie, donnant des directives et définissant des priorités. Passer d’une culture individuelle à une culture collective est nécessaire (§II). travail. L’employeur disposera de 90 jours pour l’organisation des élections professionnelles à compter du jour de l’affichage. Il disposera par ailleurs d’un délai d’un an pour satisfaire aux obligations récurrentes d’information et de consultation du comité d’entreprise (Sur cette question voir : B. GAURIAU, « Elections professionnelles et consultation du comité d’entreprise », JCP S, 2013, 1265 ; F. PETIT, « Seuils d’effectifs et délais supplémentaires pour l’exercice des droits collectifs », Dr. social, 2013, p. 846). 1931 C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 37. 1932 Un directeur adjoint du travail exprime ces difficultés dans des termes similaires : « tout en craignant une surcharge de travail qu’engendrerait un pilotage directif qui ne les aiderait pas à hiérarchiser leurs tâches, ils souffrent aussi de la faiblesse des régulations internes de leurs services et une fraction significative d’entre eux aspirent à davantage de choix collectifs » (V. TIANO, « La réforme contestée de l’inspection du travail », Dr. social, 2006, p. 665). 351 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 §I. De la partialité à la neutralité 728. Opinions politiques. L’inspection du travail est marquée par les opinions politiques des inspecteurs souvent peu portés à la bienveillance à l’égard des dirigeants de l’entreprise1933 préférant apporter « une contribution à la défense des travailleurs1934». Cette déformation trouve son origine dans l’approche selon laquelle il faut protéger le plus faible, le salarié, face au plus fort, l’employeur1935. L’activité de contrôle attachée à mettre en évidence les défaillances de l’entreprise contribue à faire perdurer certains préjugés1936, sans compter que les membres de l’inspection du travail sont parfois fortement imprégnés par l’idéologie qui ne les incline pas à comprendre les difficultés des entreprises1937. L’impartialité devrait être au cœur de leur action1938, leur interdisant d’afficher, dans l’exercice de leurs missions, leurs opinions politiques ou syndicales1939. Pour autant, cette garantie est-elle suffisante alors même que l’inspecteur du travail est placé « au cœur de la situation économique et sociale et des rapports sociaux entre salariés et employeurs1940 » ? Si l’administration agit en général dans un milieu homogène et ne fait face qu’à une seule catégorie d’usagers 1941, il n’en est pas de même de l’administration du travail. Cette dernière intervient dans un milieu hétérogène1942 où s’opposent les intérêts divergents des salariés et des employeurs. Dès lors, l’affiliation syndicale et le militantisme de certains inspecteurs du travail n’entrentils pas en contradiction avec la nature des fonctions exercées ? Un tel débat suscite les passions. Reste une certitude : la liberté syndicale reconnue aux inspecteurs du travail 1933 M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 6. 1934 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 448. 1935 Voir V. TIANO, « La réforme contestée de l’inspection du travail, » Dr. social, 2006, p. 662 ; Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 448 ; M. J. PIORE, A. SCHRANK, op. cit., Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 10. 1936 V. TIANO, « La réforme contestée de l’inspection du travail » Dr. social, 2006, p. 662. 1937 Un auteur a pu relayer les propos d’un inspecteur se définissant comme « les valets rouges du gouvernement» (V. VIEILLE, « Inspecter le travail ou veiller à l’application du droit du travail : une mission impossible ? », Dr. social, 2006, p. 666). 1938 L’impartialité constitue le premier des principes de la déontologie des inspecteurs du travail arrêtée en 2010. 1939 Le principe d’impartialité s’applique « également au choix et aux modalités de l’action de l’inspection du travail, quel que soit le niveau hiérarchique concerné» (Déontologie de l’inspection du travail – DGT – 2010). 1940 CES, Rapp. 24 janv. 1996 sur l’inspection du travail. 1941 Ainsi, l’administration fiscale n’intervient qu’à l’égard des contribuables. 1942 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 448. 352 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 ne les dispense pas de prendre en compte l’intérêt économique des entreprises dans l’exercice de leurs missions1943. 729. Des défis permanents. L’entreprise et l’inspection du travail doivent faire face à une inflation législative constante. Depuis la fin des années 1970, les auteurs dénoncent les réformes « nourrissant elles-mêmes de nouvelles réformes, chacune appelant une règlementation difficile à mettre en place (…) relayée à son tour par un flux de circulaires et de réponses écrites qui ne sont pas toujours d’emblée adaptées aux situations locales1944 ». Le droit de la représentation du personnel n’y échappe pas. En témoignent les réformes successives qui en 2008 et 2013 ont profondément bouleversé le fonctionnement et les attributions des instances représentatives. Le développement de la négociation collective d’entreprise accroît la difficulté d’appréhender le corpus normatif. 730. La complexité de la tâche est accrue par l’effet de crises économiques et le développement de nouveaux modes d’organisation des entreprises : recours à la soustraitance, extériorisation des centres de décision auxquels s’ajoutent la mondialisation et la « tertiarisation » de l’économie, la construction d’entreprises en réseaux, la montée en puissance des groupes de sociétés, etc. 731. « Cet emballement législatif 1945» et ces évolutions économiques renforcent le besoin de neutralité et d’impartialité. Ils appellent les inspecteurs du travail à appliquer le droit du travail en tenant compte de l’intérêt économique des entreprises, des difficultés qu’elles rencontrent, du taux de chômage, du « climat social ». Limiter ou suspendre l’application de la règle en vigueur peut se révéler pertinent afin de préserver les emplois ou de favoriser le rétablissement d’une entreprise. L’inspection du travail doit être « l’instrument du développement social mais aussi économique1946 ». Elle doit associer la nécessaire protection des salariés et celle des entreprises. La flexibilité du 1943 R. CHAPUS, Droit administratif général, montchrestien, T. 2, 12 ème éd., n°289 et s. Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 450 ; M. LAFOUGERE, « L’inspection du travail dans un monde en mutation, Les défis auxquels elle est confrontée », RFAS, 1992, p. 43. 1945 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 450. 1946 M. LAFOUGERE, « L’inspection du travail dans un monde en mutation, Les défis auxquels elle est confrontée », RFAS, 1992, p. 4. 1944 353 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 modèle latin d’inspection du travail, qui se veut plus conciliant et pédagogique que le modèle anglo-saxon, constitue, à cet égard, un atout non négligeable. §II. De l’individuel au collectif 732. Un équilibre à trouver. Garantie par les conventions OIT n° 81 (art. 6) et n° 129 (art. 8)1947, l’indépendance de l’inspection du travail doit être rangée au nombre des principes généraux du droit1948. La traduction pratique de ce principe suppose notamment que l’inspection du travail soit indépendante de l’autorité politique1949. L’inspecteur du travail doit être à l’abri des influences extérieures qu’elles viennent des acteurs sociaux ou d’ailleurs. L’indépendance de l’inspection se traduit, entre autres, dans le libre choix de solliciter ou non la mise en œuvre de l’action pénale1950. Mais l’indépendance n’est pas l’autonomie1951. L’inspection du travail ne dispose « d’aucune norme quant à la manière dont devra être conduite [son] action1952 ». S’agissant des conditions d’exercice des fonctions d’information et de conseil et de la nature des actes informels qui en découlent, le silence du Code du travail est particulièrement éloquent1953. L’absence de priorités collectives et de méthode d’évaluation ne permet 1947 Convention OIT n° 81 et 129 : « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence indue». 1948 CE 9 oct. 1996, n° 167511 : Dr. social 1997, p. 207, note X. PRETOT. 1949 L’inspection doit en outre détenir des garanties en matière d’emploi et d’exercice des fonctions et disposer de moyens lui permettant d’exercer sa mission. 1950 Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 194. 1951 En ce sens : « Le reproche est fait aussi à l’inspection du travail d’être trop autonome, faite de « chefs locaux », largement coupés de leur hiérarchie ; à quoi s’ajoute, dans certains cas le grief de politisation » (Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 448). 1952 C. CHETCUTI, « Réflexions sur l’inspection du travail », Dr. social, 1976, p. 36. 1953 « L’essentiel de l’activité des inspecteurs du travail est fait d’observation et de conseils ou de conciliation qui ne sont ni vraiment prévues ni a fortiori organisés par les textes » (Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 460). L’auteur s’interroge notamment sur la nature juridique des lettres observations. Cet auteur expose de « solides raisons de reconnaitre la qualité d’actes administratifs» aux lettres d’observations. Cette solution conduirait à « réintroduire le doit là ou l’essentiel de la mission légale de contrôle des inspecteurs ». Elle serait un gage de sécurité pour les parties. Soumise aux exigences formelles d’un acte administratif (Sur la forme de l’acte administratif cf. Y. GAUDEMET, Droit administratif, LGDJ, 20 ème éd., 2012, n° 625 ; P. CHRETIEN, N. CHIFFLOT, Droit administratif, Sirey, 13ème éd., 2012, n° 604), les observations seraient rendues sous contrôle hiérarchique et juridictionnel (application des règles régissant les procédures non contentieuses et contentieuses). Au cas particulier, la nature juridique de la lettre d’observation importe peu. L’objectif recherché tient davantage à la normalisation des relations entre l’inspection et les entreprises et à l’uniformisation de l’application des règles de droit du travail. 354 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 pas d’élaborer un plan de contrôle des entreprises cohérent et équitable1954. De nouvelles méthodes de travail, à caractère collectif, doivent être élaborées. L’inspecteur ne doit pas « [vivre] ses fonctions comme une sorte d’exercice libéral 1955». Un équilibre doit être trouvé entre « l’indépendance dans les choix du contrôle et la nécessaire réactivité individuelle aux constats de terrain [et] un jeu plus collectif des agents de contrôle1956». La définition des priorités collectives ne signifie pas que l’inspection du travail ne répondra plus aux demandes des salariés ou des entreprises 1957. Le plan de modernisation de développement de l’inspection du travail (PMDIT) a partiellement répondu à ces attentes1958. Le projet « Pour un ministère fort » en cours d’élaboration par les services du ministère du Travail entend favoriser le développement d’actions collectives (II) nécessitant une adaptation de l’organisation de l’inspection du travail (I). Ce dispositif doit être complété de nouvelles méthodes d’évaluation (III). I. 733. Une adaptation de l’organisation Structures. Le projet « Pour un ministère fort » distingue, à l’instar du plan de modernisation, trois niveaux. Le niveau de proximité comporte lui-même un premier échelon : la « cellule de base », appelée section, correspond à un territoire géographique identifié affecté à un seul inspecteur du travail1959, ce qui emporte un accroissement du nombre de sections géographiques « mono-inspecteur ». La taille restreinte des sections présente des avantages certains : elle assure aux inspecteurs une meilleure connaissance des entreprises relevant de leur champ d’action ; elle permet aux entreprises et à leurs salariés d’identifier précisément leur interlocuteur ; elle favorise les échanges, formels 1954 M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 10. 1955 Y. GAUDEMET, « Les limites des pouvoirs des inspecteurs du travail », Dr. social, 1984, p. 451. 1956 Ph. AUVERGNON, op. cit., PUB, 2007, 1ère éd., p. 261. 1957 Sur la demande individuelle voir : T. KAPP, « L’inspection du travail face à la demande individuelle », Dr. ouvrier, Déc. 2002, p. 563 – X. HAUBRY, Le contrôle de l’inspection du travail et ses suites, L’Harmattan, 2010, p. 54 et s. – T. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Ed. Liaisons Sociales, 2 ème éd., 2013, p. 375 et s. 1958 Le ministère du Travail a posé les principes déontologiques qui encadrent l’action de l’inspection du travail. La déontologie conforte ainsi « la cohérence [naissante] de l’action des agents à tous les niveaux de la hiérarchie, les protège des risques liés à des comportements insuffisamment réfléchis, comme elle protège les administrés eux-mêmes des risques d’arbitraire » (X. DARCOS, préf., in Déontologie de l’inspection du travail – DGT – 2010). 1959 Par suite de la suppression du corps des contrôleurs du travail, l’inspecteur ne disposera plus de deux contrôleurs à ses côtés. Ces derniers deviennent des inspecteurs du travail (Ass. Nat., Question n° 23129, M. FEKL, JO 04/06/2013, p. 5929). 355 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 ou informels, entre ces différents acteurs. Le second échelon est celui de « l’unité de contrôle », appelée actuellement « unité territoriale », regroupant huit et douze « cellules de base » ; les secrétariats y sont localisés. Ces unités sont placées sous la responsabilité d’un directeur-adjoint du travail chargé de fonctions hiérarchiques et d’animation. Elles sont le lieu adéquat pour mener des actions concertées sur une thématique précise à l’égard d’entreprises relevant du même secteur d’activité1960. 734. Au niveau régional, le plan de modernisation s’est notamment traduit, en pratique, par la création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Le nouveau plan conserve cet échelon d’impulsion, de coordination, d’appui et d’évaluation. Toutefois, le ministère du Travail entend créer à ce niveau des unités régionales d’appui spécialisées dans le contrôle de certains risques. 735. Enfin au niveau national, l’inspection du travail dispose de structures centrales : la Direction générale du travail, chargée notamment d’animer la politique du travail ; le Conseil national du travail qui contribue à assurer l'exercice des missions et des garanties de l'inspection du travail1961. Le projet « Pour un ministère fort » envisage de mettre en place « un groupe national de veille, d’appui et de contrôle » composé d’un nombre restreint d’inspecteurs du travail, chargé de la coordination des actions qui ne peuvent l’être efficacement au niveau local. Les membres de ce groupe peuvent intervenir de leur propre chef ou en appui auprès des unités régionales ou territoriales. Cette approche innovante permet d’agir efficacement au niveau national1962. 736. Il revient à la Direction générale du travail de déterminer les orientations de la politique qui doit être conduite, de coordonner et d’évaluer les actions, notamment en matière de contrôle de l’application de la législation du travail1963. Depuis 2006, l’inspection du travail s’est inscrite dans cette démarche. Des priorités collectives ont 1960 A titre d’exemple, une action de formation relative à la mise en place des institutions représentatives du personnel pourra être menée auprès des PME ; une action de prévention des risques liés à la sécurité des chantiers pourra être menée auprès des entreprises du secteur du BTP, etc. 1961 C. trav., art. D. 8121-1. 1962 http://www.sud-travail-affaires-sociales.org. 1963 C. trav., art. R. 8121-14. 356 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 été fixées. Au nombre de dix huit, elles sont aujourd’hui « facteur de dispersion1964». Le projet « Pour un ministère fort1965 » entend définir chaque année deux à quatre priorités nationales pour produire un changement significatif et des résultats visibles auxquelles pourraient s’ajouter deux ou trois priorités définies régionalement1966 en fonction des spécificités locales. Ces priorités doivent être déterminées collectivement et s’inscrire dans la durée. Il apparaît cependant difficile d’arrêter des objectifs annuels tout en souhaitant qu’ils s’inscrivent dans la durée. Le risque d’accumulation, au fil des ans, est inévitable et source de dispersion1967. II. 737. La définition de priorités collectives Approche ascendante. Deux approches peuvent être retenues lors de la détermination des priorités d’action. L’approche descendante « se caractérise par la juxtaposition de programmes élaborées au niveau national, régional et local1968». Le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas y recourent. Un cadre, des objectifs ou des priorités sont définis au niveau national dans des termes ouverts. Dans un second temps, il appartient aux niveaux intermédiaires de concevoir les moyens de les mettre en œuvre « en fonction de leur charge de travail, de leurs priorités et des politiques régionales1969». Une telle approche ne garantit pas une application uniforme de la réglementation. L’approche ascendante est préférable. La France, la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Grèce ont élaboré une politique au niveau national après avoir procédé à la consultation des entités régionales. Les inspecteurs sont « des capteurs de la réalité de l’application du droit dans les entreprises et des évolutions de celle-ci, des détecteurs de questions toujours vives et de questions émergentes dans l’application du Code du 1964 M. SAPIN, Réunion des DIRECCTE, 27 juin 2013, http://www.sud-travail-affaires-sociales.org. Cf. les différentes interventions de M. SAPIN, et moutures du projet sur le site http://www.sudtravail-affaires-sociales.org. 1966 Le projet en cours d’élaboration prévoit un changement relatif à l’organisation de l’inspection du travail. 1967 Il s’agit par conséquent de définir des objectifs périodiques. Ainsi, un objectif triennal se traduira en pratique par des actions de formation, des contrôles renforcés sur les entreprises de tel ou tel secteur d’activité. Au cours et à l’issue des trois ans, il sera nécessaire de procéder à une évaluation des pratiques et des actions menées. Des objectifs nouveaux seront alors arrêtés. Ils porteront sur d’autres pans du droit du travail. L’attention des inspecteurs sur les objectifs précédents sera nécessairement moindre. Cette solution n’est qu’une conséquence d’une application négociée du droit du travail . 1968 P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 70. 1969 P. PREVOSTEAU, op. cit., Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 70. 1965 357 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 travail, et des concepteurs de stratégies pertinentes pour faire avancer le droit 1970». L’implication de l’inspection du travail dans l’élaboration des objectifs et dans la définition d’actions menées sur le terrain est décisive. Les inspecteurs font face quotidiennement aux interrogations des entreprises et des salariés mais aussi aux expériences innovantes d’entreprises soucieuses d’adapter la réglementation à leurs besoins et à leur situation économique. La définition de la politique du travail doit répondre à une logique de « vases communicants »1971. Le projet « Pour un ministère fort » la retient: la définition des objectifs doit reposer sur des échanges constants entre les cellules de base, les unités de contrôle, les DIRECCTES et la Direction générale du travail. Il est permis de regretter l’absence de participation des organisations syndicales et patronales à la détermination de ces objectifs. 738. Méthode. A notre sens, la première étape exigerait « un examen approfondi du contexte réglementaire afin d’identifier précisément les problèmes majeurs1972 » rencontrés par les entreprises ou les salariés1973. A cet égard, les inspecteurs du travail disposent actuellement d’un outil essentiel de saisie de l’activité (CAP SITERE) dont l’utilisation demeure cependant largement controversée1974. Utilisé dans sa dimension collective et conformément à son objet, cet outil permettrait non seulement d’apprécier l’activité en identifiant les thèmes récurrents mais aussi de mesurer l’impact du système d’inspection et de favoriser les échanges au sein de celui-ci. 1970 K. CHASSAING, F. DANIELLOU, Ph. DAVEZIES, B. DUGUE, J. PETIT, Le travail vivant des agents de l’inspection du travail, Rapport Direccte, Ile de France, 2011, p. 13. Dans le même sens : les inspecteurs « joue un rôle fondamentale de régulation mais aussi d’observation et d’enregistrement de l’évolution des références de la société Ph. AUVERGNON, « Contrôle étatique, effectivité, et ineffectivité du droit du travail », Dr. social 1996, p. 606 – Voir aussi : C.-E. TRIOMPHE, Mutation du travail, transformations de l’action publique et effectivité du droit : les défis de l’inspection du travail française, in L’effectivité du droit du travail, A quelles conditions ?, sous dir. Ph. AUVERGNON, PUB, 1ère éd., 2007, p. 228. 1971 P. MERIAUX, « Réforme ou contre-réforme ? », RDT, 2006, p. 359 ; M. SAPIN, Réunion des DIRECCTE, 27 juin 2013, http://www.sud-travail-affaires-sociales.org. 1972 D. WEIL, « Pour une approche stratégique en matière d’inspection du travail », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 406. 1973 L’étude des rapports annuels de l’inspection du travail et de l’outil CAP SITERE est ici déterminante. 1974 Les agents dénoncent la note émanant de la direction de l’administration générale et de la modernisation des services (DAGEMO) qui invite les directeurs à sanctionner les inspecteurs qui n’utiliseraient pas l’outil de saisie de comptes-rendus CAP SITERE (DAGEMO, Note du 27 févr. 2013, http://www.sud-travail-affaires-sociales.org). Le projet « Pour un ministère fort » prévoit la mise en place d’un nouveau logiciel de saisie plus ergonomique et correspondant aux attentes de l’inspection du travail. 358 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 739. Priorités. De manière concertée, et au regard des axes préalablement identifiées, seront arrêtées trois ou quatre priorités ainsi que les moyens et actions choisis pour les mettre en œuvre et les critères d’évaluation. Les objectifs quantitatifs doivent être évités. En effet, les mesures de productivité fondées sur le nombre de procès-verbaux dressés « favorisent le zèle excessif, ce qui peut fort bien compromettre les intérêts des travailleurs et des employeurs1975 ». L’une des priorités pourrait concerner la mise en place d’institutions représentatives du personnel dans les entreprises qui en sont dépourvues. La réalisation de cet objectif triennal supposerait que soient mis en place des actions de formation, des contrôles spécifiques sur l’ensemble des entreprises dépourvues de représentants du personnel et qu’un dialogue soit instauré avec les salariés et les employeurs pour leur faire prendre conscience de l’importance du dialogue social au sein de l’entreprise et de la nécessité que soient élus des représentants du personnel. Au terme des trois ans, chaque « cellule de base » aura identifié les entreprises dépourvues de représentants du personnel, chaque unité de contrôle aura réalisé un certain nombre d’actions de formation, etc. D’autres critères pourraient être retenus. Ainsi, le nombre d’entreprise ayant procédé à l’organisation d’élections professionnelles, le nombre de procès-verbaux de carence, sont autant d’éléments significatifs de la prise de conscience de l’importance du droit de la représentation du personnel par les entreprises et les salariés. III. 740. Une nouvelle méthode d’évaluation Innovation. L’objectif des nouvelles méthodes d’évaluation réside dans la nécessité d’uniformiser au niveau régional et national les réponses apportées aux entreprises et d’accroître l’efficacité des services de l’inspection du travail. Certains1976 préconisent à juste titre la mise en place d’un programme de recherche et d’évaluation sur les méthodes auxquelles ont recours les inspecteurs du travail. Est recommandée l’approche utilisée par le monde médical pour régulariser la pratique clinique en milieu 1975 M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p.14. 1976 M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 22. 359 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 hospitalier1977. La première étape suppose d’inviter certains agents à commenter des dossiers qu’ils ont eu à traiter personnellement. La Direction générale du travail (ou une commission ad hoc) pourrait ensuite identifier une série de canevas types qu’un groupe plus étendu d’agents serait amené à analyser. La troisième étape conduirait l’administration centrale « à évaluer l’éventail des réponses et leur degré d’uniformité 1978 » afin d’élaborer pour chaque canevas une ou plusieurs réponses possibles. Nourris au fil du temps par le biais d’un logiciel à l’instar de CAP SITERE, les canevas et l’éventail des réponses seraient à la disposition des agents. Sous-section II - Un changement de méthode administrative 741. Accompagner. Le déploiement d’une nouvelle stratégie suppose de procéder « à un réaménagement important des perceptions culturelles des dirigeants1979 ». En effet, certains employeurs ne perçoivent que les aspects contraignants et les conséquences financières des missions de l’inspecteur du travail. Ce dernier est perçu comme « un gendarme » et non comme un allié. D’une fonction de contrôle, l’inspection doit passer à une fonction d’accompagnement des entreprises1980. Ce changement de méthode comporte une triple déclinaison. Classer : les entreprises ne se situent pas sur un pied d’égalité face à l’accès au droit. L’inspecteur doit identifier les entreprises récalcitrantes ou non « sensibilisées » au droit du travail (§1). Persuader : l’inspecteur doit être doté d’une nouvelle clé d’entrée, celle du « dysfonctionnement ». Il doit démontrer que 1977 Ces auteurs font notamment référence à une étude menée aux Etats-Unis (P. ADLER, P. RILEY, S. KWON, J. SIGNER, B. LEE, R. SATRASALA, « Performance improvement capability : Keys to accelerating performance improvement in hospitals », California Management Review, vol. 45, n° 2 p. 12-33). 1978 M. J. PIORE, A. SCHRANK, « Le renouveau de l’inspection du travail dans le monde latin », Rev. Inter. Trav., Vol. 147, n° 1, p. 22 1979 M. PERRON, « L’inspection du travail, l’approche de l’entreprise par les dysfonctionnements », Rev. Echange-travail, 1992, p. 24. 1980 Certaines DIRECCTES sont entrées dans une telle démarche. En témoigne la DIRECCTE RhôneAlpes qui a créé une mission d’appui du dialogue social. Mobilisée par tous les acteurs, cette aide favorise l’entente sur des orientations et des objectifs à atteindre. En outre, elle participe à la définition d’un plan d’action et à la mise en place d’un suivi permettant de réaliser concrètement les orientations retenues (L’appui au dialogue social, réussir le dialogue social dans l’entreprise, DIRECCTE Rhône-Alpes, ARAVIS, www.rhone-alpes-direccte.gouv.fr). 360 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’application des règles du droit du travail ne représente pas un coût pour l’entreprise mais contribue à son développement (§2). Rapprocher : l’inspection du travail doit se doter des moyens permettant d’améliorer les rapports qu’elle entretient avec les entreprises (§3). §I. Classer 742. L’inspecteur du travail doit établir un classement des entreprises situées dans sa section ou « cellule de base »1981 afin d’orienter ses contrôles et de porter une attention particulière aux entreprises exprimant de réelles difficultés dans l’application des règles de droit du travail. Trois groupes peuvent être distingués : les entreprises classiques, les entreprises inadaptées au droit et les entreprises du « non droit »1982. 743. Entreprises « classiques ». Dans la catégorie des entreprises « classiques », figurent les entreprises (les grandes entreprises) dotées d’institutions représentatives du personnel et de délégués syndicaux. Elles se plient aux exigences légales et concluent maints accords collectifs parfois à caractère dérogatoire. Ainsi, l’institution d’un comité d’entreprise européen fut-elle parfois « précédée des initiatives de groupes organisant spontanément, généralement par la voie conventionnelle, des instances européennes de concertation1983». Certains groupes d’entreprises vont au-delà en créant une instance de représentation du personnel mondial1984. Que décider lorsque, par voie d’accord, est créée une instance unique de représentation du personnel exerçant les missions des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail1985 ? Quelle doit être l’attitude de l’inspecteur du travail ? L’accord n’est pas, a priori, préjudiciable aux salariés1986. L’administration du travail peut décider de « s’engager dans l’expérience » en demandant « des garanties de contenu et 1981 Ce classement se faire au moyen d’une fiche de « prise de contact » invitant les entreprises à faire connaître leurs dirigeants, leurs représentants du personnel et les difficultés rencontrées dans l’application du droit du travail. 1982 A. HIDALGO, « Inspection du travail : crise d’identité et tranches de vie », Dr. social, 1992, p. 853. 1983 B. TEYSSIE, Droit et pratique du comité d’entreprise européen, LexisNexis, 2012, n° 2. 1984 B. TEYSSIE, Droit et pratique du comité d’entreprise européen, LexisNexis, 2012, n° 175. 1985 A. HIDALGO, op. cit., Dr. social, 1992, p. 853. 1986 En choisissant la voie répressive, il n’est pas certain que l’inspecteur soit suivi par le juge pénal. 361 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 de suivi1987 ». Ce type d’initiatives peut être, à l’avenir, source d’évolution de la législation. 744. L’entreprise « inadaptée » est celle qui applique partiellement le droit du travail, souvent une entreprise de faible taille qui paie les cotisations sociales, verse des salaires parfois substantiels, respecte le droit de la durée du travail. Mais est constatée l’absence de candidats lors des élections professionnelles organisées dans l’entreprise. Il se peut aussi que le défaut de représentation du personnel soit le fait d’un employeur qui attend que lui soit présentée une demande d’organisation d’élections, peut-être parce qu’il ne souhaite pas que la vie de l’entreprise soit troublée par la présence de représentants du personnel. L’inspection du travail doit conduire en pratique une action de formation, à destination des salariés ou de l’employeur, portant notamment sur l’utilité et le rôle des instances de représentation du personnel. Elle peut accompagner l’entreprise et les salariés dans la composition d’une liste « a-syndicale », dans une démarche visant à concilier l’exercice d’un mandat et la poursuite de l’activité professionnelle ou une démarche d’accompagnement dans l’exécution des mandats. 745. Dans l’entreprise de « non-droit », l’employeur s’abstient d’appliquer la législation du travail dans son ensemble. Au cas particulier du droit de la représentation collective, il s’oppose à la mise en place des instances de représentation du personnel, refuse tout dialogue social, met obstacle à toute présence syndicale1988. L’inspecteur du travail doit progressivement, mais avec fermeté, tendre à une application effective des normes en vigueur, notamment en ce qui concerne la santé, la sécurité des salariés, leur rémunération, la mise en place des instances de représentation du personnel lesquelles constituent des relais non négligeables pour parvenir au respect de la législation du travail1989. 1987 A. HIDALGO, op. cit., Dr. social, 1992, p. 853. L’entreprise du « non-droit » est « digne du XIXème Siècle » (A. HIDALGO, « Inspection du travail : crise d’identité et tranches de vie », Dr. social, 1992, p. 853). 1989 M. LAFOUGERE, « L’inspection du travail dans un monde en mutation, Les défis auxquels elle est confrontée », RFAS, 1992, p. 43. 1988 362 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 §II. Persuader 746. L’objectif. L’inspecteur du travail doit persuader les employeurs que la qualité du dialogue social et des conditions de travail et, plus largement, le respect de la règlementation en vigueur constitue un facteur de développement économique. Il doit mettre en exergue « les dysfonctionnements et les pertes de compétitivité1990 » que sa méconnaissance génère. Il doit entrer dans la logique économique « du dirigeant en vue de le sensibiliser et imposer la nécessité du changement1991». Il faut qu’il soit perçu non « comme un empêcheur de produire en rond mais comme un agent de compétitivité, un allié de l’entreprise1992». Il lui appartient d’établir une relation entre les défaillances dans l’application de la législation du travail et les pannes, non-maîtrise des délais, accidents du travail, contentieux, pertes de marchés enregistrés. 747. Application. L’absence d’un dialogue social de qualité est susceptible de peser directement ou indirectement sur la compétitivité ou la productivité de l’entreprise. S’il est probable que le simple « oubli », conscient ou inconscient, de consulter le CHSCT en matière d’installations sanitaires1993 n’a guère d’impact, qu’en est-il lorsqu’une opération1994 de grande ampleur est suspendue1995 ou anéantie1996 par le juge des référés1997 en raison d’une insuffisance d’information ou de consultation ? Est retardé ce projet qui peut être vital pour la survie de l’entreprise. La suspension engendre non seulement des coûts liés au contentieux mais aussi des pertes de productivité. Même s’il 1990 M. PERRON, « L’inspection du travail, l’approche de l’entreprise par les dysfonctionnements », Rev. Echange-travail, 1992, p. 24. 1991 M. PERRON, op. cit., Rev. Echange-travail, 1992, p. 24. 1992 M. PERRON, op. cit., Rev. Echange-travail, 1992, p. 24. 1993 C. trav., art. R. 4228-18. 1994 Sont notamment visés : les changements d’activité, les réorientations de l’entreprise ou les réimplantations, les licenciements pour motif économique, les déménagements, l’introduction de nouvelles technologies, etc. 1995 Sur la suspension : Cass. soc., 28 nov. 2000 : RJS, 11/01, n° 212 ; Cass. soc., 25 juin 2002 : RJS, 10/02, n° 1144 ; Cass. soc., 26 oct. 2010 : JCP S 2010, 1542 note L. SEBILLE, RJS, 1/11, n° 54 ; Cass. soc., 6 mars 2012 : RJS, 5/12, n° 469 ; TGI Nanterre, réf., 22 déc. 2000, RJS, 11/01, n° 1305 ; TGI Paris, réf., 23 avr. 2002, RJS, 11/02, n° 1248 ; TGI Nanterre, réf. 10 sept. 2004, RJS, 01/05, n° 52 ; TGI Paris, réf., 20 nov. 2006, RJS, 04/07, n° 461 ; TGI Paris, réf., 22 janv. 2008, RJS, 04/08, n° 442 ; TGI Paris, réf., 12 mai 2009, RJS, 11/09, n° 863. 1996 Sur la remise en l’état : Cass. soc., 16 avr. 1996 : Dr. social, 1996, p. 484. 1997 Ou à l’avenir par l’administration du travail si le projet s’analyse en un licenciement pour motif économique emportant mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. 363 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 est parfois difficile d’apporter une démonstration chiffrée1998, l’administration doit s’attacher à « placer les problématiques de travail au centre des questions de compétitivité et de performance économique1999 ». Elle contribue ainsi à la prise de conscience de l’employeur qu’un dialogue social de qualité participe au développement économique de l’entreprise. §III. Rapprocher 748. Objectif. L’inspection du travail doit se doter de moyens lui permettant de se rapprocher des entreprises. L’organisation de rencontres trimestrielles, des actions de formation, la participation à la détermination des priorités collectives permettent de réaliser ce rapprochement. Cette collaboration est souhaitée par l’Organisation internationale du travail. L’article 5 de la Convention OIT n° 81 dispose que l’autorité compétente doit prendre des mesures pour favoriser la concertation entre l’inspection du travail, les employeurs et les travailleurs ou leurs représentants. A cette fin, l’OIT préconise l’organisation de conférences, la création de commissions mixtes, mesure qui a les faveurs du Conseil économique, social et environnemental2000. 749. Des commissions. Le CES a naguère préconisé la création de commissions consultatives paritaires composées de représentants des organisations syndicales et patronales. Mises en place au niveau départemental, ces commissions auraient eu pour objet de permettre une collaboration régulière entre l’inspection du travail et les acteurs de l’entreprise2001. Pour satisfaire aux recommandations du CES et de l’OIT, un décret n° 83-135 du 24 février 1983 a créé le Conseil national de l’inspection du travail2002, 1998 M. PERRON, op. cit., Rev. Echange-travail, 1992, p. 27. J. BESSIERE, « L’inspection du travail, entre stabilité et évolutions, in 13 Paradoxes en Droit du travail, sous dir. Ph. WAQUET, SSL, 2011, n° 1508, p. 41. 2000 CES, Avis sur la réforme de l’inspection du travail, JO du 19 nov. 1965, p. 766. 2001 CES, Avis sur la réforme de l’inspection du travail, JO du 19 nov. 1965, p. 766. 2002 P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 260 ; Ph. AUVERGNON, « Débats et idées sur l’inspection du travail sous la Ve République », Dr. ouvrier, p. 93 ; Th. KAPP, P. RAMACKERS, J.-P. TERRIER, Le système d’inspection du travail en France, Liaisons Sociales, 2ème éd., 2013, p. 230. 1999 364 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 organisation tripartite notamment chargée de donner régulièrement son avis sur l’état d’application du droit du travail mais qui n’a jamais été installée sous cette forme2003. 750. Des commissions tripartites pourraient être créées au niveau régional. Leur objet serait limité. Composées d’employeurs et de salariés, réunies dans des conditions et des délais déterminés, ces commissions participeraient à la détermination, à la mise en œuvre et à l’évaluation des objectifs de l’inspection du travail. Connaissant le terrain, les participants s’attacheraient notamment à échanger sur les difficultés d’application des règles du droit du travail, à charge pour le directeur régional ou son représentant de transmettre ces éléments à la Direction générale du travail. 751. Une charte de contrôle. A l’instar de l’URSSAF, l’inspection du travail doit se doter d’une charte de contrôle. Ce texte présenterait les dispositions mises en œuvre à l’occasion d’une visite d’inspection. Elle serait remise à cette occasion. Elle informerait les entreprises de leurs droits et obligations. Elle présenterait successivement les raisons du contrôle, son auteur, son déroulement (information de l’entreprise, lieu, période, etc.), son issue, et ses effets (constat, observations, etc.). Section II - Des sanctions administratives rénovées 752. Sanctionner autrement. La quête de l’effectivité impose de recourir à des outils répressifs d’une nature autre que pénale. Le recours à la répression administrative, plus répandu dans d’autres pans du système juridique français, apparaît nécessaire. Quasiinstantanées2004 ou prononcées dans un laps de temps bref suivant la commission de l’infraction, non contredites par des récompenses obtenues antérieurement ou postérieurement, perçues comme certaines et à la hauteur de celles attendues, d’une intensité relativement élevée, ces sanctions répondent aux principes du behaviorisme garants de leur efficacité2005. Elles sont par conséquent de nature à garantir l’effectivité 2003 Depuis 2007, le décret de 1983 est abrogé et le Conseil contribue à assurer l'exercice des missions et garanties de l'inspection du travail (D. n° 2007-279, 2 mars 2007). 2004 A. MARTINON, Les sanctions extérieures au droit privé, in La sanction en droit du travail, sous dir. B. TEYSSIE, éd. pantheon-assas, 2012, n° 27. 2005 P. MORVAN, Criminologie, LexisNexis, 2013, n°271 et s. p. 265 et s. 365 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 du droit de la représentation collective. Or, la sanction administrative n’a jamais été aussi présente à l’esprit du législateur. En témoignent notamment le projet « Pour un ministère fort » qui entend permettre à l’inspection du travail de prononcer des sanctions administratives. Dans le même sens, la loi du 14 juin 2013 dote le Direccte d’un pouvoir d’injonction en matière d’information et de consultation des élus. Reste à déterminer leurs champs d’application respectifs. Si l’injonction du Direccte prononcée dans l’urgence, actuellement limitée au licenciement pour motif économique collectif, paraît pouvoir être étendue à l’ensemble du droit de la représentation du personnel (Sous-section I), il n’en est pas de même de la sanction administrative prononcée hors l’urgence. En effet, si le recours à la sanction administrative est inéluctable en raison de l’appréhension rénovée de la voie pénale, son champ d’application est limité (Soussection II). Sous-section I - La sanction administrative dans l’urgence 753. Innovation. La loi de sécurisation de l’emploi a profondément rénové le droit du licenciement pour motif économique2006. L’innovation tient notamment à la mise en place d’un mécanisme de validation ou d’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi par l’administration du travail. Son intervention se situe en aval de la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel. Toutefois, ses pouvoirs s’étendent à l’ensemble de la procédure. A ce titre, l’administration dispose d’un pouvoir d’injonction. Ainsi, toute demande tendant, avant la demande de validation ou d’homologation, à ce qu’il soit enjoint à l’employeur de fournir les éléments d’information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle légale ou conventionnelle de procédure doit être adressée à l’administration. Le législateur a privilégié cette solution non contentieuse qui a toutes les chances d’aboutir. En effet, si l’injonction ne peut être contestée qu’ultérieurement à l’occasion d’un 2006 Les plans de sauvegarde de l’emploi, Colloque Université Paris 2 Panthéon-Assas, in JCP S 2013, n° 1201 à 1212. 366 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 recours formé contre la décision d’homologation ou de validation2007, le risque selon lequel elle pourrait rester lettre morte paraît limité. Le refus de l’employeur de mettre en œuvre les injonctions de l’administration l’exposerait à un refus de validation ou d’homologation. 754. Extension. Une telle procédure ne peut-elle pas couvrir tout le droit de la représentation collective2008 ? Une réponse positive semble pouvoir être apportée. Chargée de veiller à l’effectivité du dialogue social et dotée d’un pouvoir d’injonction, l’administration est à même d’assurer le rétablissement de la légalité. Le recours au seul juge des référés n’apparaît plus inéluctable. En effet, ce pouvoir d’injonction est marqué par sa souplesse et sa facilité de mise en œuvre. La saisine de l’administration pourrait être le fait tant des instances élues ou désignées de représentation du personnel que de l’employeur. A l’instar des demandes adressées à l’occasion d’une procédure de licenciement pour motif économique collectif2009, les demandes d’injonctions doivent être motivées que ce soit par un défaut d’information ou de consultation ou un manquement « matériel » (relatif à l’expertise, au budget, aux locaux, etc.). Le Direccte dispose de cinq jours à compter de la réception de la demande pour se prononcer. Il peut entendre les parties et dispose de la faculté de reporter le terme du délai d’information et de consultation. S’il fait suite à la demande, il adresse une lettre d’injonction à l’auteur du manquement. L’autorité administrative en délivre une copie à l’auteur de la demande. La lettre d’injonction précise les délais dans lesquels l’auteur des faits doit se conformer à la demande de la DIRECCTE et ceux dans lesquels l’auteur doit informer 2007 Les décisions de l’administration sont insusceptibles de recours dans l’immédiat. Les motifs de contentieux relatifs à la procédure de licenciement pour motif économique sont ainsi regroupés dans une action en justice unifiée autour de la compétence du tribunal administratif. 2008 Cette interrogation n’est pas nouvelle. Dans le souci de garantir l’effectivité de la règle de droit, certaines organisations syndicales s’entendent sur la nécessité de doter l’inspection du travail du pouvoir de faire cesser, le cas échéant au moyen d’une astreinte, les troubles dans un certain nombre de cas et notamment en cas d’atteinte au fonctionnement des institutions représentatives du personnel (J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 176 et p. 446). 2009 S’agissant des demandes adressées à l’occasion d’un licenciement pour motif économique collectif, elles doivent être motivées et expliciter la nature des informations demandée, les raisons pour lesquelles l’employeur n’a pas répondu à la demande d’information initiale ainsi que celles pour lesquelles cette information est indispensable pour permettre d’éclairer les auteurs de la demande (Instr. DGEFP/DGT n° 2012/13, 19 juill. 2013, op. cit., Fiche n° 2, p. 7. 367 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’administration des suites données. Ces décisions sont susceptibles d’un recours gracieux ou hiérarchique et, le cas échéant, contentieux2010. 755. Une telle procédure est attrayante car elle emprunte les vertus de la « conciliation ». Pour le ministère du Travail, le pouvoir d’injonction constitue moins une sanction qu’un moyen « de repositionner les acteurs de l’entreprise dans une dynamique de dialogue et de recherche de compromis plutôt que de confrontation2011 ». Ce nouvel outil permet de faire intervenir un tiers lorsque le dialogue social entre l’employeur et les représentants du personnel est difficile, voire rompu. Placée au cœur des relations de travail, l’autorité administrative peut s’imposer comme un interlocuteur privilégié, un intermédiaire entre les parties2012. Sous-section II La sanction administrative hors le jeu de l’urgence 756. Un objectif. Les atouts de la sanction administrative sont connus : rapidité et efficacité. Rapidité « car la sanction administrative est détachée du contentieux2013 ». Efficacité car elle peut être « plus dissuasive que la perspective de quelques sanctions pénales2014 ». Le recours à une sanction administrative doit permettre de « recentrer » la sanction pénale sur la protection des droits fondamentaux. Il peut, en outre, contribuer « à alléger la charge qui pèse sur l’ordre judiciaire et [apporter] un crédit nouveau aux 2010 Les décisions du DIRECCTE pourront faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un référé-liberté (C. Justice Adm., art. L. 521-1). Dans ce dernier cas, le juge administratif se prononce dans les quarante huit heures. Toutefois, la mise en œuvre d’un tel référé est subordonnée à trois conditions : l’urgence, l’atteinte à une liberté fondamentale, une atteinte grave et manifestement illégale. La difficulté « de satisfaire à toutes ces exigences a pour conséquences un assez faible succès des requêtes » (P. CHRETIEN, N. CHIFFLOT, Droit administratif, Sirey, 13ème éd., 2012, n° 655). En droit du travail, le référé-liberté permet d’obtenir la suspension du refus d’autorisation de licenciement ou celle de l’autorisation de licenciement (cf. M.-C. ROUAULT, « Le référé-liberté et le droit du travail », SSL, 2005, 1202). 2011 Instr. DGEFP/DGT n° 2012/13, 19 juill. 2013, relative à la mise en œuvre de la procédure de licenciement pour motif économique collectif, Fiche n° 2, p. 1. 2012 Etude d’impacte (L. 2013-504 relative à la sécurisation de l’emploi), Partie IV, 1.4.a. 2013 A. MARTINON, Les sanctions extérieures au droit privé, in La sanction en droit du travail, sous dir. B. TEYSSIE, éd. Pantheon-Assas, 2012, p. 29. 2014 A. MARTINON, op. cit., p. 29. 368 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 inspecteurs du travail en raison de l’effectivité de [leur] mission de contrôle2015 ». L’étude préalable de certains systèmes européens (§ préliminaire) doit permettre d’identifier le régime de la sanction administrative (§I) et de préciser les garanties dont elle doit être assortie (§II). § Préliminaire. Les systèmes mixtes de répression 757. Tour d’horizon. S’agissant du recours aux sanctions administratives d’importantes divergences apparaissent au sein de l’Union européenne. Deux systèmes peuvent être distingués: le système mixte et le système unique de répression2016. La plupart des pays ayant opté pour ce dernier ont choisi la voie répressive judiciaire. A l’opposé, l’Allemagne, la Belgique, la Grèce, le Suède, la Suisse, la Pologne, l’Espagne2017 et le Portugal ont adopté un système mixte. A l’exception des deux derniers pays cités2018, ce sont les défaillances des poursuites pénales qui les ont conduits à recourir à des poursuites administratives. Mises en œuvre par l’administration du travail, les sanctions administratives constituent un élément clé de son action. Le système de poursuites pénales français fait face aux mêmes défaillances. Dès lors, la recherche de nouvelles sanctions commande que soient présentés succinctement les systèmes de répression mixte allemand, portugais, espagnol et belge. 758. L’Allemagne connaît deux types de sanctions administratives : le timbre- amende, qui vise à réprimer les manquements mineurs, et l’amende administrative qui tend à sanctionner des infractions d’un degré de gravité supérieur dont la liste est fixée par le législateur. Ces amendes sont directement prononcées par l’inspecteur du travail à l’issue d’une enquête contradictoire. L’ouverture d’une enquête et, le cas échéant, le prononcé d’une sanction administrative constituent des décisions discrétionnaires de 2015 P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 319. 2016 J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p.46. 2017 Proposées par l’inspection du travail, les sanctions sont prononcées par une autorité administrative et peuvent être contestées par l’employeur devant le juge. 2018 L’ampleur de la répression administrative dans ces deux pays résulte moins des défaillances des juridictions pénales que de l’Histoire. Les régimes autoritaires de Franco et de Salazar ont privilégié le recours à une forte répression administrative. 369 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 l’administration2019. Pour fixer le montant de l’amende l’administration tient compte de la gravité des faits et de la situation économique de l’entreprise2020. 759. Le Portugal connaît les procédures de contre-ordonnance et de contravention. Celle-ci naît de la méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires indépendamment de toute intention de nuire. Il appartient à l’inspection du travail de proposer une sanction administrative qui, le cas échéant, peut être judiciairement contestée2021. La procédure de contre-ordonnance consiste en une poursuite administrative qui se substitue aux poursuites engagées devant le juge pénal. Une telle procédure résulte des violations de dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles dont le degré de gravité ne justifie pas une procédure juridictionnelle2022. L’auteur des faits encourt à titre principal une amende administrative et à titre complémentaire des sanctions proches de celles susceptibles d’être prononcées par le juge pénal français : interdiction de concourir aux marchés publics, suppression des aides publiques, interdiction d’exercer certaines activités, etc.2023. Comme en Allemagne, le montant de l’amende est fonction de trois critères : la gravité de l’infraction, la dimension de l’entreprise appréciée à la lumière du nombre de salariés concernés et niveau de culpabilité de l’auteur. 760. Sur le plan procédural, le droit du travail portugais s’efforce d’appliquer fidèlement les normes posées à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La procédure de sanction apparaît relativement « lourde ». L’application du principe de séparation entre le constat de l’infraction et l’instruction conduit à une multiplication des acteurs et des étapes de la procédure. Une fois le procès-verbal dressé, l’inspecteur le transmet au directeur régional de l’inspection lequel peut procéder ou non à sa confirmation. En cas de confirmation, le 2019 Inspection du travail dans la communauté européenne - Santé et sécurité – Système juridiques et sanctions, Rapport Commission européenne, 1995. 2020 R. FREYERMUTH, « Les modes et moyens d’intervention de l’inspection du travail allemande », in Rapport à la Commission européenne 1995. 2021 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, n° 1.3.2. 2022 Relèvent désormais uniquement du droit pénal les infractions qui portent atteinte à des valeurs fondamentales (D. GOMES, « L’expérience portugaise des sanctions administratives. Le droit d’ordonnance sociale », Interd’ITS, Bulletin de liaison de l’association Villermé, 2001). 2023 D. GOMES, « L’expérience portugaise des sanctions administratives. Le droit d’ordonnance sociale », Interd’ITS, Bulletin de liaison de l’association Villermé, 2001. 370 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 procès-verbal est remis à une section d’instruction qui le notifie à l’auteur de l’infraction. Ce dernier dispose d’un délai pour soit présenter ses observations (ce qui assure le respect du principe du contradictoire) soit payer volontairement l’amende, sauf si l’infraction est d’une gravité certaine et qu’un dol est caractérisé ou si l’infraction est constituée par la non remise d’une information ou d’un document. Le paiement de l’amende n’est possible qu’une fois le document ou l’information en cause présentée. Le refus de payer l’amende conduit son auteur devant « un instructeur exempté » qui n’a pas participé à l’enquête. Cette nouvelle phase a pour objet de « découvrir la vérité matérielle, dans le respect absolu des droits de la défense, et la rigoureuse observation des principes d’officialité, d’impartialité de proportionnalité et de justice2024 ». L’employeur peut bénéficier du soutien d’un avocat, éventuellement au titre de l’aide judiciaire. L’instruction, d’une durée de soixante jours à compter de la nomination de l’instructeur, permet de procéder à l’audition de l’employeur, de l’inspecteur du travail, des salariés et des instances de représentation du personnel. A l’issue de l’instruction, est élaborée une proposition de décision motivée et de sanction. Il appartient au directeur régional de se prononcer par le biais d’une décision motivée, susceptible de faire l’objet d’une contestation judiciaire. 761. L’Espagne. L’administration du travail espagnole peut prononcer directement des amendes administratives. L’inspecteur du travail peut sanctionner toute infraction aux normes relatives à l’hygiène, à la sécurité et à la santé des salariés et, plus largement, aux dispositions intéressant le contrat de travail, le licenciement, la durée du travail ou la représentation du personnel. Le montant de l’amende est déterminé en fonction de critères similaires à ceux utilisés par les systèmes portugais et allemand. L’inspecteur tient compte de la gravité de l’infraction, du comportement de l’employeur, du nombre de salariés affectés, du chiffre d’affaires de l’entreprise et d’éventuelles récidives2025. Le procès-verbal est transmis à l’employeur ainsi qu’à l’autorité du travail compétente pour engager les poursuites2026. L’entreprise dispose 2024 D. GOMES, « L’expérience portugaise des sanctions administratives. Le droit d’ordonnance sociale », Interd’ITS, Bulletin de liaison de l’association Villermé, 2001. 2025 F. MILLERA, « L’inspection du travail en Espagne », INTEFP, 1988, p. 42 2026 L’autorité varie en fonction du montant de l’amende proposée (Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, n° 2.3.). 371 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations et prendre connaissance du dossier. L’administration se prononce sur le montant de l’amende et notifie sa décision. L’employeur dispose de quinze jours pour la payer, sauf à exercer un recours hiérarchique2027 puis contentieux2028. 762. La Belgique. Le système adopté par la Belgique repose sur un principe de subsidiarité. Si le ministère public décide de ne pas intenter de poursuites pénales, l’administration peut engager des poursuites administratives. L’engagement de poursuites pénales fait en revanche obstacle au prononcé d’une sanction administrative. Le particularisme du système belge réside aussi dans le fait que l’autorité administrative dispose du pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites2029. Mais son particularisme s’achève là. Les droits de la défense sont garantis par la mise en œuvre d’une procédure contradictoire au cours de laquelle la personne poursuivie peut présenter ses observations et par l’ouverture de voies de recours contre la décision de l’administration2030. §I. L’identification de la sanction administrative 763. Le recours à la répression administrative implique une triple identification : de l’auteur de la sanction (I), de l’infraction commise (II), de la sanction prononcée (III). I. 764. Identification de l’auteur de la sanction La séparation des fonctions d’accusation et de décision. Le pouvoir de prononcer des sanctions administratives doit-il être reconnu à l’inspecteur du travail, auteur du procès-verbal, ou doit-il être confié à une autre autorité administrative le 2027 Le recours hiérarchique emporte suspension de l’obligation de payer l’amende. Le silence gardé par l’autorité hiérarchique vaut décision implicite de rejet (Inspection du travail dans la communauté européenne, op. cit., Rapport Commission européenne, 1995, n° 2.3.). 2028 Le recours contentieux ne suspend pas l’application de la décision et son exécution (Inspection du travail dans la communauté européenne, op. cit., Rapport Commission européenne, 1995, n° 2.3.). 2029 La mise en œuvre des poursuites dépend d’un service spécialisé du ministère du Travail (cf. J. MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, t. II, La Documentation Française, 2004, p. 81). 2030 Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, p. 14 et s. 372 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 Direccte ou le directeur-adjoint (chargé, dans le nouveau système, des fonctions hiérarchiques au sein de son unité de contrôle) ? L’interrogation sous-jacente tient à l’application du principe d’impartialité énoncé à l’article 6,§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales lequel, lorsqu’il est appliqué à une juridiction pénale, conduit à la séparation des fonctions d’accusation et de décision2031. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, il importe peu que l’exigence d’impartialité s’applique à la phase administrative de sanction dès lors qu’est exercé un contrôle juridictionnel ultérieur répondant aux exigences d’impartialité posées par l’article 6 de la Convention2032. La solution retenue par la juridiction européenne ne s’oppose pas à ce que le pouvoir de prononcer des sanctions administratives soit confié aux inspecteurs du travail2033. Ainsi, le système d’inspection du travail allemand confie aux inspecteurs le soin de prononcer directement les amendes administratives à l’issue d’une procédure contradictoire2034. II. 765. Identification de l’infraction « administrative2035 » L’introduction de sanctions administratives dans le droit de la représentation collective commande que soient identifiées les infractions justifiant les prononcer (A) et que soit appréciée leur place dans le système des sanctions applicables en matière de représentation collective (B). A. Les critères d’identification des sanctions administratives 2031 C. Proc. pén., art. préliminaire. Le Conseil constitutionnel adopte une solution analogue en jugeant que « le principe de séparation des pouvoirs (…) ne fait pas obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d’une part que la sanction susceptible d’être infligée est exclusive de toute privation de liberté et d’autre part que l’exercice du pouvoir de sanction est assorti de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis » (Cons. const., 28 juill. 1989, n° 89-260, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, cons. 6). 2033 A l’exception de l’interdiction de concourir aux marchés publics qui relève des pouvoirs du préfet. 2034 Ce système n’a, à l’heure actuelle, fait l’objet d’aucune condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. Cf. Commission européenne, Inspection du travail dans la communauté européenne, Santé et sécurité, Système juridiques et sanctions, Rapport, 1995, n° 1.3.2. 2035 La notion d’infractions administratives n’est pas consacrée par le législateur. Toutefois, certains auteurs emploient cette expression (M. DELMAS-MARTY, C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica, 1992, p. 53 ; J. MOURGEON, La répression administrative, LGDJ, 1967, p. 317 et s. 2032 373 François SEBE | Thèse de doctorat | 10 décembre 2013 766. Caractérisation. L’infraction administrative est caractérisée par trois éléments « dont la pierre angulaire est le principe de dépénalisation2036 » : la nature de la transgression, le dommage subi et l’intérêt protégé2037. L’infraction administrative tient davantage du non-respect de règles administratives et de fautes matérielles2038. Le dommage est constitué par « la simple menace ou le préjudice éventuel ou d’une atteinte quantitativement faible2039 ». L’intérêt protégé, c’est-à-dire l’intérêt de l’administration stricto sensu2040 ou de l’intérêt général2041, « concerne en priorité de simples règles de discipline de la vie et non les valeurs fondamentales2042 ». 767. Application. Au cas particulier du délit d’entrave, l’utilisation de ces trois critères conduit à distinguer les entraves au fonctionnement des instances de représentation du personnel de celles relatives à leurs attributions. L’entrave au fonctionnement s’analyse davantage en une faute matérielle. L’atteinte au droit de la représentation collective, valeur fondamentale, reste toutefois quantitativement faible.. Enfin l’intérêt protégé concerne en priorité des règles de discipline relevant de la vie courante des instances de représentation du personnel. Ces atteintes pourraient faire l’objet de poursuites administratives. A l’opposé, les atteintes quantitativement fortes, où l’intérêt protégé concerne une valeur fondamentale, à l’instar des attributions consultatives des instances de représentation du personnel, caractérisées par une véritable intention de nuire, feraient l’objet de poursuites pénales. Les frontières de cette distinction, reposant sur la nature de l’infraction et le « degré d’intention », ne sont pas étanches. Une entrave répétée au fonctionnement d’une instance de représentation du personnel exposerait son auteur, dont l’intention de nuire est avérée, à être poursuivi 2036 P. PREVOSTEAU, Conceptions et mutations de l’inspection du travail, Thèse, Paris 2, 1997, Dactylo., p. 319 ; Sur la dépénalisation voir M. DELMAS-MARTY, C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica, 1992, p. 59 et s. 2037 Rev. sc. crim., 1985, p. 225, JO Sénat, Séance 9 mai 1989, p. 558. 2038 Si l’autorité administrative doit s’assurer de l’existence d’un élément moral, la tendance est de se contenter à caractériser l’existence d’une simple faute matérielle. 2039 M. DELMAS-MARTY, C. TEITGEN-COLLY, Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal, Economica, 1992, p. 62. 2040 A cette catégorie appartiennent les infractions définies comme les violations d’une obligation administrative « impliquant l’existence d’un rapport de droit particulier entre l’administration et la personne visée » (M. DELMAS-MARTY, C. TEITGEN-COLLY, op. cit., 1992, p. 56). 2041 A cette catégorie appartiennent les infractions administratives qui « n’impliquent aucune relation antérieur à la violation entre l’administrat