Refus de soins

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Le refus de soins
« Qui mieux que vous sait vos besoins ? Apprendre à se connaître est le premier des
soins … » Jean de La Fontaine
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de m’avoir invité à ces Assises relatives au refus de soins.
Les différentes hypothèses de refus de soins auxquelles sont confrontés les
praticiens sont multiples et variées, ainsi que l’a relevé le docteur Faroufja.
Les textes régissant le refus de soins ne sont pas codifiés dans un ensemble
homogène.
Comme l’a parfaitement rappelé le docteur Faroudja, les règles applicables au refus
de soins sont à rechercher aussi bien dans le code civil, le code pénal, le code de la
santé publique, le code de déontologie médicale, et bien évidemment dans la
jurisprudence, c’est-à-dire dans l’application de ces règles faite par le juge, qu’il soit
administratif, judiciaire ou pénal.
Je ne les citerai donc pas à nouveau.
Je ferai, tout d’abord, un bref rappel des règles en vigueur.
Cet éclatement des règles en vigueur aboutit à ce que quatre juges distincts ont
vocation à intervenir, en matière de refus de soins.
Le juge pénal d’abord, compétent à l’égard de tout médecin ou tout agent de santé,
qu’il travaille dans le public ou dans le privé.
Le juge civil ensuite compétent à l’égard des professionnels libéraux ou des
cliniques.
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Le juge administratif enfin compétent lorsque l’accident survient dans un hôpital
public avec cette précision que, dans ce cas, c’est la responsabilité de l’hôpital qui
est recherchée et non celle du soignant.
A cet égard, il convient de rappeler que le médecin libéral est lié à son patient par un
contrat. Tel n’est pas le cas pour un médecin exerçant son activité dans un
établissement public.
Enfin, l’ensemble des médecins est, bien évidemment, soumis au contrôle de son
activité par le conseil de l’ordre, qui examine l’exercice de la médecine au regard des
règles déontologiques.
Les sanctions susceptibles d’être prononcées seront différentes selon les juridictions
saisies.
Les juges civil ou administratif prononceront des sanctions pécuniaires.
Le conseil de l’ordre prononcera, quant à lui, des sanctions professionnelles allant du
blâme à la suspension d’activité ou à la radiation.
Les sanctions prononcées par le conseil de l’ordre sont ensuite soumises au contrôle
du juge administratif, et en particulier du Conseil d’Etat.
Enfin, le juge pénal prononcera des condamnations allant jusqu’à l’emprisonnement.
J’en reviens maintenant plus précisément au refus de soins.
Ainsi que cela vient d’être vu, le refus de soins peut résulter du malade lui-même,
pour différentes raisons personnelles (psychologique voire psychiatrique,
philosophique ou physiques).
Le refus peut également résulter du médecin.
Eu égard au délai qui m’est imparti, je ne développerai que cette dernière à travers
les textes en vigueur, mais surtout de la jurisprudence des différentes juridictions.
Il convient donc de s’interroger sur l’appréciation faite par les différentes juridictions
des cas où le refus de soins est licite de ceux où il est sanctionné.
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I – Les refus de soins autorisés
Il convient de rappeler que si l’essence même du médecin est de soigner, il ne lui
est, pour autant, pas interdit, dans certains cas, de refuser d’administrer des soins.
Ce refus peut résulter, soit d’une décision volontaire, soit lui être imposée par la loi.
A- Le refus volontaire
L’article R. 4127-47 du code de la santé publique dispose ainsi que « hors le cas
d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de
refuser ses soins pour des raisons professionnelles et personnelles ».
Ce texte est relativement flou et l’on pourrait penser, a priori, qu’il peut laisser une
grande marge d’appréciation au professionnel de santé.
Il est, au contraire, assez encadré dans la mesure où le principe est l’administration
de soins, et le refus n’est que l’exception.
Si l’on reprend le texte précité, il appartient au médecin de justifier de raisons
personnelles et professionnelles.
Il convient, à cet effet, de rappeler que le médecin libéral ne se trouve pas dans une
situation analogue à celle du médecin hospitalier.
Le médecin libéral se trouve lié au patient par une relation contractuelle.
Mais cette possibilité de refuser d’administrer des soins n’est pas fondée sur la
notion de liberté contractuelle mais sur une justification d’ordre déontologique.
Le praticien hospitalier, lui, est soumis à des exigences de service public, comme les
principes d’égalité, de neutralité et de continuité du service public.
Il n’en demeure pas moins que les règles précitées de l’article R. 4127-1 lui sont
applicables.
Un médecin a toujours la possibilité de refuser un soin lorsqu’il existe des risques
d’atteinte à sa sécurité.
Ainsi, il a été jugé qu’est légitime le refus pour une infirmière de se déplacer en zone
de détention sans être accompagnée d’un membre du personnel de surveillance (CE
15 mars 2007, n° 183545).
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De même, lorsqu’un patient est agressif, le conseil national de l’ordre des médecins
a déjà, à plusieurs reprises, jugé que la réorientation vers un confrère est possible
(CNO 16 mai 2002 ; 19 février 2003 ; 6 septembre 2007).
Les justifications apportées par le médecin doivent être objectives, et ne pas être
liées à la personne même du patient ou son statut. Si tel était le cas, le
comportement du médecin serait alors discriminatoire.
Le refus de soins doit nécessairement s’accompagner d’une réorientation médicale
afin de ne pas laisser le patient sans soins.
Certaines hypothèses de refus de soins sont expressément prévues par la loi.
B – Les refus légalement autorisés
Tel est le cas pour la réalisation d’IVG ou de stérilisation à visée contraceptive
(article L. 2123-1, L. 2212-8 et R. 4127-18 du CSP).
Là encore, l’information du patient prime : il appartient au professionnel de santé de
réorienter le patient vers d’autres professionnels.
C – Les refus obligatoires
Dans certains cas, le médecin est tenu de ne pas faire droit à la demande du patient.
Tel est le cas pour lorsque l’acte qui lui est demandé dépasse le domaine de ses
compétences (article R. 4127-70 du CSP), sauf urgence.
Il en est également de même lorsque l’acte serait susceptible de faire courir un
risque au patient.
Ainsi, le CNO a-t-il jugé qu’est justifié le refus pour un médecin de réaliser une
anesthésie sur un enfant ayant reçu une précédente anesthésie 72 heures plus tôt
(10 janvier 2007).
Un médecin ne doit pas non plus faire preuve d’une obstination déraisonnable, d’un
acharnement thérapeutique.
Cette hypothèse est cependant peu fréquente en pratique.
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Le tribunal administratif de Nîmes, dans son jugement du 2 juin 2009, avait ainsi jugé
qu’un centre hospitalier avait commis une faute en raison d’une réanimation trop
longue d’un enfant né en état de mort apparente et ayant conservé de lourdes
séquelles.
Mais, ce jugement a été annulé par la cour administrative d’appel de Marseille, qui
n’a pas retenu l’existence d’une obstination déraisonnable (CAA Marseille 12 mars
2015, n° 10MA03054).
Il existe également les hypothèses des IVG et des actes d’assistance médicale à la
procréation.
Ces actes ne peuvent être réalisés qu’à certaines conditions.
Ainsi, une IVG ne peut être réalisée qu’avant la fin de la 12ème semaine de
grossesse, à l’exception des IVG réalisées dans un but thérapeutique.
Si une parturiente sollicite une IVG une fois le terme passé, le médecin est alors tenu
de refuser de pratiquer l’IVG.
Les actes d’assistance médicale à la procréation ne peuvent, quant à eux, être
réalisés que pour des femmes en âge de procréer et vivant en couple.
Le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) a ainsi pu
refuser l’insémination à une femme du sperme congelé de son mari décédé.
Et le TGI de Rennes a confirmé ce refus (15 octobre 2009).
Après avoir relaté brièvement certaines hypothèses de refus de soins licites, venonsen aux cas, plus nombreux en jurisprudence, où le médecin a été condamné pour
refus de soins.
II – Les refus de soins non autorisés
La jurisprudence est, en effet, plus fournie en ce domaine, qu’elle soit ordinale ou
pénale.
Les hypothèses peuvent être variées.
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Il convient tout d’abord de rappeler qu’un médecin ne saurait être condamné qu’à la
condition d’avoir commis une faute, et la charge de la preuve incombe au patient.
Ensuite, il appartient de regarder les circonstances dans lesquelles est intervenu le
refus de soins, et en particulier la notion d’urgence.
Le refus licite de soins peut s’effacer lorsqu’il y a urgence à intervenir.
L’obligation de délivrer des soins prime alors.
Il appartient au médecin de prendre les informations nécessaires afin de s’assurer s’il
y a ou non urgence à intervenir.
S’il refuse de recueillir ces informations, il est alors susceptible d’engager sa
responsabilité.
Tel est le cas d’un médecin de garde ayant refusé de se rendre au chevet d’un
enfant qui a été victime d’un traumatisme crânien et dont l’état s’est dégradé durant
la nuit (CNOM 20 septembre 1989).
Il appartient au médecin, qui ne peut se déplacer, de trouver une solution alternative.
Et la mésentente avec un confrère (CNOM 25 janvier 2001) ou avec un patient (CA
Paris 29 avril 1988) ne saurait justifier une abstention alors fautive.
Le médecin, face à une situation d’urgence, risque aussi malheureusement, des
poursuites au plan pénal, et ce à plus forte raison si l’issue est défavorable.
L’article 223-6 du code pénal réprime ainsi le délit de non assistance à personne en
péril (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende).
Pour que la faute soit caractérisée, il faut qu’il existe un péril grave et imminent. Le
médecin doit également avoir conscience de ce péril.
Il a ainsi été jugé qu’un médecin-chef a été reconnu coupable de non-assistance à
personne en danger pour avoir tardé à transférer un détenu à l’hôpital : « Attendu
que les juges en déduisent que les deux prévenus, ayant conscience du péril
imminent menaçant le détenu, même s'ils en ignoraient la nature, se sont abstenus,
le matin du décès, de lui rendre visite, d'organiser son transfert médicalisé et de
l'accompagner à l'hôpital, afin d'apporter assistance et soulagement au malade en
grande détresse » (Crim. 1er juin 1999, n° 98-83101).
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Il est nécessaire qu’il existe un péril imminent : « Attendu que, pour déclarer Paul X...
coupable d'homicide involontaire, la cour d'appel énonce que l'affection dont était
atteint le jeune Z..., diagnostiquée avant son admission à l'hôpital, nécessitait un
traitement antibiotique en extrême urgence, associé à la mise en œuvre de moyens
de réanimation ; qu'elle relève que, par suite de négligences fautives, imputables au
chef de service " dans l'organisation de la délégation des pouvoirs dévolus à chaque
praticien " en cas d'extrême urgence, le malade n'a bénéficié d'aucun soin pendant
plusieurs heures, ce qui a irrémédiablement entraîné son décès » (Crim. 26 mars
1997, n° 95-81439).
Encore faut-il que le médecin ait conscience de l’imminence du péril.
Un médecin qui n’a pas été informé de l’évolution défavorable de l’état de santé du
patient ne saurait être condamné (Crim 20 janvier 1988, n° 86-91520).
Cette circonstance est toutefois appréciée strictement.
Ainsi, lorsqu’un médecin est informé d’un accouchement survenu à domicile dans
des conditions précaires, il a conscience des risques courus par le nouveau-né et ne
peut s’exonérer de se déplacer, surtout s’il est de garde (Crim. 17 février 1972, n°
70-91746).
Et l’appel adressé à un médecin équivaut à une présomption de péril imminent. Ainsi,
se rend coupable de non-assistance à personne en danger le médecin qui n’a pas
répondu aux sollicitations téléphoniques pressantes émanant à deux reprises du
tenancier d’un débit de boissons, l’informant qu’un client avait perdu connaissance et
ne parvenait pas à se réveiller, ceci bien que le médecin n’ait pas été informé du
heurt de la tête du client sur le carrelage de la salle du bar (Riom 7 juin 2000).
Tel est également le cas d’un chirurgien de garde, qui, informé téléphoniquement
qu’un blessé de la route souffrant de plusieurs traumatismes important était dirigé sur
l’hôpital et que sa présence était demandée, refuse de se déplacer (Trib. Corr.
Draguignan 28 janvier 1983).
L’erreur de diagnostic, quant à elle, ne suffit pas à caractériser le délit de nonassistance à personne en danger qui implique une abstention volontaire
d’intervention.
Tel est le cas d’un médecin qui, n’ayant pas diagnostiqué une grossesse extrautérine, ne procède pas à une hospitalisation immédiate de la parturiente (Pris 18
février 2000).
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Le délit n’est pas non plus caractérisé lorsque le médecin se trouve dans
l’impossibilité de se déplacer. Il doit cependant s’assurer que le patient recevra bien
des soins de la part d’un tiers (Crim. 26 mars 1999).
Les démarches effectuées doivent cependant être suffisantes.
Ainsi, il a été jugé que n’a pas provoqué un secours le médecin qui s’est contenté de
se décharger de son obligation d’assistance à un tiers en conseillant aux parents
d’un enfant malade d’aller à l’hôpital, faute d’avoir appelé le SAMU, les pompiers ou
l’hôpital pour préparer la venue de l’enfant (Crim. 4 février 1998).
Indépendamment de la notion de non-assistance à personne en danger, il appartient
également au médecin de s’assurer de la continuité de soins.
Cette hypothèse est essentiellement mise en œuvre par la juridiction ordinale.
Là encore, une mésentente entre collègues ne rend pas l’interruption de soins licites.
Le CNO a ainsi sanctionné une infirmière qui a interrompu brutalement les soins
sans s’assurer de la continuité des soins (8 mars 2006, n° 4094).
Il en est également ainsi même en cas de mésentente avec le patient (CA Paris 29
avril 1988).
Un anesthésiste a été condamné pour avoir refusé d’intervenir en raison de la
présence d’un confrère de la clinique (CNOM 25 janvier 2001, n° 7379).
Cette continuité des soins se combine avec le principe de permanence des soins.
Un médecin de garde a refusé de se déplacer en estimant que le domicile du malade
ne se trouvait pas dans sa zone de garde ; un deuxième refus a été opposé à la suite
d’un nouvel appel de la famille. Au final, un autre médecin de garde a accepté de se
déplacer alors que le domicile ne se trouvait pas dans sa zone de garde. Le CNOM a
condamné le médecin qui ne s’est pas déplacé aux motifs qu’il aurait du transmettre
les coordonnées du médecin de garde du secteur et prendre des nouvelles du
patient (CNOM 12 juin 1997, n° 5641).
Pour en finir, je vous parlerai des refus de soins résultant de discriminations.
Ces hypothèses sont, là encore, nombreuses et variées.
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Elles sont réprimées tant par le code pénal (225-1) que par le code de la santé
publique (1110-3).
La loi HPST du 21 juillet 2009 a expressément ajouté le bénéfice de la CMU ou de
l’AME aux critères discriminatoires de refus.
Ces dernières discriminations semblent être les plus nombreuses.
Ainsi, une enquête du collectif inter associatif sur la santé (étude du 25 mai 2009)
relève que 22% des médecins spécialistes du secteur II refusent de prendre en
charge des patients bénéficiaires de la CMU.
En définitive, le médecin a la liberté de réaliser ou non des soins.
Mais, cette liberté doit se combiner avec le droit qu’a chaque patient de recevoir des
soins.
Il appartient alors à un médecin, s’il refuse de réaliser un soin, de permettre au
patient de pouvoir bénéficier d’une continuité des soins avec un autre praticien.
Cette liberté s’apprécie également à la lumière de l’urgence.
Et les différentes juridictions, qu’elles soient civiles, administratives, ordinales ou
pénales, n’hésitent pas à condamner des praticiens lorsque le refus n’est pas
objectivement justifié.
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