Biologie au quotidien Ann Biol Clin 2012 ; 70 (1) : 89-92 Triple infection fongique chez un patient avec cirrhose hépatique Triple fungal infection in a patient with liver cirrhosis Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Kazali Alidjinou1 Daniel Mathieu2 Jean Frédéric Colombel3 Nadine François1 Daniel Poulain1 Boualem Sendid1 2 Service de réanimation médicale, Pôle de réanimation, Résumé. L’incidence des mycoses invasives est en augmentation significative, notamment chez les sujets immunodéprimés ou ayant des pathologies sous-jacentes sévères. Elles sont responsables d’une lourde morbidité et d’une mortalité importante. Ces infections nécessitent donc un diagnostic rapide et une thérapeutique adéquate mais aussi une prévention optimale chez les sujets avec des facteurs de risque. Nous rapportons un cas de triple infection fongique associant une aspergillose pulmonaire invasive à Aspergillus fumigatus, une candidémie à Candida albicans et une pneumocystose à Pneumocystis jirovecci. Le contexte clinique de ce patient est une cirrhose hépatique avec des antécédents de traitement immunosuppresseur pour une maladie de Crohn et un lymphome non hodgkinien. Le patient n’a pas reçu de prophylaxie antifongique. Sous traitement l’évolution a été défavorable avec décès dans un tableau de défaillance multiviscérale. 3 Service de gastro-entérologie et hépatologie, Pôle de spécialités médicales, CHRU de Lille Mots clés : triple infection fongique, Candida albicans, Aspergillus fumigatus, Pneumocystis jirovecci, cirrhose hépatique 1 Laboratoire de parasitologie-mycologie, Institut de microbiologie, Centre de biologie pathologie, <[email protected]> Abstract. The prevalence of invasive mycoses is increasing, especially among patients who are immunocompromised or hospitalized with serious underlying diseases. Such infections are associated with a high morbidity and significant mortality, requiring early diagnosis and appropriate treatment but also an optimal prophylaxis in patients with high risk factors. We report a case of triple fungal infection including an invasive pulmonary aspergillosis by Aspergillus fumigatus, a candidemia by Candida albicans and a Pneumocystis pneumonia. The overall clinical picture of this patient was liver cirrhosis with medical history of immunosuppressive treatment for Crohn disease and a non-hodgkin lymphoma. There was no antifungal prophylaxis for this patient. Under treatment, the issue was unfavourable with multivisceral failure. Article reçu le 29 juillet 2011, accepté le 3 octobre 2011 Key words: triple fungal infection, Candida albicans, Aspergillus fumigatus, Pneumocystis jirovecci, liver cirrhosis doi:10.1684/abc.2011.0654 L’observation Monsieur C, âgé de 58 ans est admis le 9 juillet 2010 à l’unité de soins intensifs de gastro-entérologie et hépatologie pour ictère cutanéo-muqueux. Les antécédents de ce patient sont marqués par un asthme dans l’enfance ; une maladie de Crohn évoluant depuis 1966 avec atteinte du grêle et du côlon ayant nécessité de multiples interventions de réduction et plusieurs lignes de traitement médical avec corticoïdes, azathioprine et infliximab ; un lymphome malin non hodgkinien de type B de l’intestin grêle compliquant le traitement immunosuppresseur en 2007, traité par chirurgie et chimiothérapie ; une exogénose non sevrée et une hépatite virale B ancienne guérie. Le diagnostic d’hépatite aiguë alcoolique et virale B avec cirrhose débutante a été posé et le patient traité par ténofovir et corticothérapie, avec corticorésistance et absence de projet de transplantation hépatique. L’évolution est marquée par l’apparition d’un sepsis évoluant vers un choc septique et la découverte d’une pleuropneumopathie droite. Le malade a bénéficié d’une antibiothérapie probabiliste associant pipéracilline-tazobactam et ciprofloxacine, et d’une Pour citer cet article : Alidjinou K, Mathieu D, Colombel JF, François N, Poulain D, Sendid B. Triple infection fongique chez un patient avec cirrhose hépatique. Ann Biol Clin 2012 ; 70(1) : 89-92 doi:10.1684/abc.2011.0654 89 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Biologie au quotidien expansion volémique. Devant l’instabilité persistante, il a été transféré en réanimation le 20 août 2010. L’examen clinique montre une température à 37,5 ◦ C, un ictère cutanéo-muqueux majeur, une pression artérielle à 96/39 mmHg, une fréquence cardiaque à 130 min, une fréquence respiratoire à 26 cycles/min, des râles bronchiques bilatéraux et une saturation à 93 % sous 9 L/min d’oxygène. L’examen neurologique est normal en dehors d’un discret astérixis et on note également une hépatomégalie avec des angiomes stellaires. Sur le plan paraclinique, l’ECG est normal, la radiographie du thorax objective un épanchement pleural droit de moyenne abondance et une opacité alvéolaire de la base droite (figure 1). Le bilan biologique initial montre des leucocytes à 23 G/L, la concentration en hémoglobine à 76 g/L, des plaquettes à 62 G/L, le TCA à 100 s (témoin à 32 s), le TP à 17 %, les monomères de fibrine à 150 g/mL et les D-dimères à 4,5 g/mL. L’urée était à 23 mmol/L, la créatinine à 371 mol/L, la kaliémie à 4,5 mmol/L, la natrémie à 130 mmol/L, la calcémie à 1,75 mmol/L, la phosphorémie à 1,58 mmol/L, la bilirubine totale à 508 mol/L (avec une bilirubine directe à 349 mol/L) et les valeurs des enzymes de cytolyse à 3 fois la normale. La protéine C réactive est à 53 mg/L et la procalcitonine à 0,8 ng/L. La mesure des gaz du sang réalisée sous 12 L/min d’oxygène retrouve un pH à 7,17, une PaCO2 à 36 mmHg, une PaO2 à 104 mmHg, des bicarbonates à 13 mmol/L et une lactatémie à 7 mmol/L. Documentation microbiologique Dès l’admission, un examen bactériologique standard et la recherche de bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR) dans le liquide broncho-alvéolaire (LBA) et dans le liquide pleural sont négatifs. Les recherches d’antigénurie Legionella (BinaxNOW® ) et d’anticorps sériques antiChlamydia pneumoniae sont également négatives. La recherche de virus respiratoires (Adenovirus, Influenza, Parainfluenza, virus respiratoire syncitial, Herpes simplex virus, Varicelle-zona virus, Cytomegalovirus) en immunofluorescence directe et en culture est restée négative dans le LBA. L’examen direct du LBA en mycologie a révélé la présence de rares filaments mycéliens septés (figure 2). La mise en culture a permis l’isolement d’Aspergillus fumigatus. La sensibilité aux antifongiques a été réalisée par la méthode E-test® permettant d’estimer les concentrations minimales inhibitrices (CMI) pour les principaux antifongiques systémiques : itraconazole (0,38) ; voriconazole (0,125) ; caspofungine (0,023) posaconazole (0,094) ; amphotéricine B (3). Le diagnostic d’aspergillose invasive a été conforté par la mise en évidence d’antigène aspergillaire (Platelia® ) dans le LBA (index = 5,5) et dans le sérum (index = 4,8). Bien que l’examen microscopique du LBA n’ait pas permis de révéler des formes trophiques ou kystiques de Pneumocystis, l’immunofluorescence directe (kit Bio-rad) a permis de révéler de très rares formes kystiques de P. jirovecci. Ces résultats ont été confirmés par PCR en temps réel (amplification du gène mt LSU RNAr). Deux hémocultures et des urines ont été également prélevées. Candida albicans a été isolée à la fois dans les hémocultures et dans les urines. Son profil de sensibilité aux antifongiques a permis de révéler des CMI (E-test® ) très faibles vis-à-vis de flurocytosine (0,06), amphotéricine B (0,25), fluconazole (1), voriconazole (0,06), caspofungine (0,03), posaconazole (0,125) anidulafungine (0,015) micafungine (0,03), à l’exception de l’itraconazole (0,25). Le A B C D E F Figure 1. Radiographie du thorax à l’admission du patient en gastro-entérologie le 10 juillet 2010 montrant un parenchyme pulmonaire normal (A), puis le 18 août 2010 quand le patient avait présenté une pleurésie et des opacités alvéolaires irrégulières de la base droite (B). Les radiographies ultérieures (C-F) réalisées respectivement les 20, 21, 22 et 23 août 2010 après admission du patient en réanimation montrent une aggravation rapide des lésions précédentes et une extension au poumon controlatéral. 90 Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 1, janvier-février 2012 Triple infection fongique chez un patient avec cirrhose hépatique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. A B Figure 2. Frottis du liquide de lavage broncho-alvéolaire après coloration au giemsa (A) ou au bleu de toluidine (B) mettant en évidence de rares filaments mycéliens septés et à bords parallèles (x 500). diagnostic de candidémie a été conforté par la mise en évidence d’une antigénémie Candida à 311 pg/mL (Platelia® ). La présence de ßD-1,3-glucanes (Fungitell® ) à 1 608 pg/mL est compatible avec le diagnostic d’une ou plusieurs infection(s) fongique(s) invasive(s). La prise en charge initiale a consisté en la poursuite de l’oxygénothérapie puis intubation et ventilation mécanique, expansion volémique et transfusions, une corticothérapie et un traitement anti-infectieux fait de pipéracillinetazobactam, ciprofloxacine et fluconazole puis introduction le 21 août 2010, de caspofungine et voriconazole après découverte de filaments aspergillaires dans le LBA. L’évolution clinique a été défavorable avec persistance d’une instabilité hémodynamique majeure, un syndrome de défaillance multiviscérale malgré un traitement optimal. La réanimation et les thérapeutiques actives ont été arrêtées après 48 h avec constatation du décès du patient. Le point de vue du clinicien L’incidence des mycoses invasives est en forte progression. Les principaux agents en cause sont représentés par Candida spp., Cryptococcus neoformans, Pneumocystis jirovecii et Aspergillus sp. [1]. Les maladies fongiques invasives (MFI) en l’absence d’une prise en charge rapide et adéquate sont d’un mauvais pronostic. Les patients de soins intensifs avec une défaillance multiple d’organes ainsi que les patients immunodéprimés de manière sévère ou prolongée sont particulièrement à risque. Les MFI chez les patients immunocompétents sont extrêmement rares. De ce point de vue, les MFI peuvent être toutes considérées comme Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 1, janvier-février 2012 des maladies opportunistes [2]. Dans notre observation, le patient présentait une combinaison de facteurs de risque incluant, d’une part, une thérapeutique immunosuppressive pour la maladie de Crohn associant de l’azathioprine, des corticoïdes et un anti-TNF␣, l’infliximab et, d’autre part, le lymphome non hodgkinien et la cirrhose hépatique. La survenue d’infections opportunistes au cours de thérapeutiques immunosuppressives est bien connue. Plus particulièrement l’utilisation des anti-TNF␣ qui a révolutionné la prise en charge de plusieurs pathologies inflammatoires chroniques, a été associée à un risque accru d’infections opportunistes dont notamment à champignons. Les infections fongiques rapportées dans ce contexte sont diverses et les agents en cause peuvent être des levures, des champignons filamenteux ou des champignons dimorphiques endémiques [3]. La cirrhose hépatique a été rapportée comme un facteur favorisant d’infections fongiques chez des patients n’ayant pas d’autres pathologies sous-jacentes [4]. Les sujets ayant une défaillance hépatique présentent en effet une atteinte profonde de l’immunité même en l’absence de thérapeutiques immunosuppressives et leur taux de lymphocytes est inversement proportionnel à la défaillance hépatique [5]. Les candidémies surviennent fréquemment sur ce terrain et sont greffées d’une très forte mortalité [6]. L’aspergillose pulmonaire invasive a été également rapportée chez ces patients avec une issue souvent fatale et même une cirrhose non décompensée est un facteur de risque d’aspergillose invasive [7]. Le clinicien doit donc y penser devant une fièvre persistante, sans étiologie bactérienne documentée. Il se pose également la question de la prévention de ces infections chez le patient ayant une cirrhose hépatique. À notre connaissance, aucune prophylaxie 91 Biologie au quotidien antifongique spécifique n’est actuellement recommandée chez ce type de patient. Une prophylaxie efficace et standardisée des MFI est difficile à mettre en œuvre en raison de la multiplicité des agents pathogènes incriminés. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Le point de vue du biologiste La prise en charge des maladies fongiques invasives reste un véritable défi pour les cliniciens s’occupant de patients avec des facteurs de risque. La non-spécificité des symptômes représente un obstacle pour le diagnostic précoce de certitude, nécessaire pour un choix judicieux des antifongiques tenant compte du spectre d’activité et du risque de résistance. De plus, les cultures mycologiques, gold standard pour le diagnostic, peuvent être négatives surtout aux stades précoces de l’infection. Par ailleurs, obtenir un prélèvement d’un site normalement stérile pour la culture ou l’histopathologie peut nécessiter des techniques invasives, et il est difficile de déterminer si une culture positive provenant d’un site non-stérile est due à une contamination ou à une véritable infection [8]. De nouveaux marqueurs sérologiques ont donc été développés pour tenter de répondre à l’exigence de rapidité du diagnostic. Le ßD-1,3-glucane est un composant commun de la paroi fongique qui permet la détection avec de bonnes performances de divers champignons à l’exception de Cryptococcus et des zygomycètes. L’exclusion d’une candidose invasive dans les cas suspects est par exemple une bonne indication de ce test, vu sa bonne valeur prédictive négative, mais une standardisation reste encore nécessaire. La détection du galactomannane dans le diagnostic de l’aspergillose invasive est de plus en plus fréquente et ce test sérologique présente une bonne sensibilité et une bonne spécificité. La recherche de l’antigène mannane peut être également très intéressant dans le diagnostic précoce de candidose invasive. Ces marqueurs n’ont pas été encore suffisamment évalués pour les autres liquides biologiques [9, 10]. Les méthodes de biologie moléculaire peuvent également être d’une grande utilité pour affirmer la présence d’un agent fongique et pour 92 l’identifier, mais elles restent limitées par l’indisponibilité de tests commerciaux standardisés [9]. La rapidité du diagnostic au cours des infections fongiques invasives, notamment chez les sujets à risque, reste une préoccupation majeure. En dépit de leurs limites, les nouveaux marqueurs antigéniques apportent parfois des réponses utiles mais ils doivent être encore améliorés, mieux évalués et standardisés. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Pfaller MA, Diekema DJ. Epidemiology of invasive mycoses in North America. Crit Rev Microbiol 2010 ; 36 : 1-53. 2. Pappas PG. Opportunistic fungi : a view to the future. Am J Med Sci 2010 ; 340 : 253-7. 3. Marie I, Guglielmino E. Non tuberculous anti-TNF associated opportunistic infections. Rev Med Interne 2010 ; 31 : 353-60. 4. Rolando N, Harvey F, Brahm J, Philpott-Howard J, Alexander G, Casewell M, et al. Fungal infection : a common, unrecognised complication of acute liver failure. J Hepatol 1991 ; 12 : 1-9. 5. Lombardo L, Capaldi A, Poccardi G, Vineis P. Peripheral blood CD3 and CD4 T-lymphocyte reduction correlates with severity of liver cirrhosis. Int J Clin Lab Res 1995 ; 25 : 153-6. 6. Safdar A, Bannister TW, Safdar Z. The predictors of outcome in immunocompetent patients with hematogenous candidiasis. Int J Infect Dis 2004 ; 8 : 180-6. 7. Lipke AB, Mihas AA. Non-decompensated cirrhosis as a risk factor for invasive aspergillosis : a case report and review of the immune dysfunction of cirrhosis. Am J Med Sci 2007 ; 334 : 314-6. 8. Stevens DA. Diagnosis of fungal infections : current status. J Antimicrob Chemother 2002 ; 49(Suppl. 1) : 11-9. 9. Chandrasekar P. Diagnostic challenges and recent advances in the early management of invasive fungal infections. Eur J Haematol 2009 ; 84 : 28190. 10. Kedzierska A, Kochan P, Pietrzyk A, Kedzierska J. Current status of fungal cell wall components in the immunodiagnostics of invasive fungal infections in humans : galactomannan, mannan and (1–>3)-beta-D-glucan antigens. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2007 ; 26 : 755-66. Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 1, janvier-février 2012