Le problème des faibles doses en radiothérapie : quel risque de

doi : 10.1684/bdc.2013.1855
Bull Cancer vol. 100 N12 décembre 2013 1333
Synthèse
General review
Volume 100 N12 décembre 2013
©
John Libbey Eurotext
Article rec¸u le 17 septembre
2013,
accepté le 19 septembre 2013
Tirés à part :J.-M. Cosset
Le problème des faibles doses
en radiothérapie : quel risque
de carcinogenèse radio-induite ?
The issue of low doses in radiation therapy and impact on
radiation-induced secondary malignancies
Cyrus Chargari1,2, Jean-Marc Cosset3,4
1Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, service d’oncologie-radiothérapie, 75005 Paris, France
2Institut Gustave-Roussy, Inserm 1030, radiothérapie moléculaire, 94805 Villejuif, France
3Institut Curie, département d’oncologie-radiothérapie, 75005 Paris, France
4Hôpital privé des Peupliers, unité de radiothérapie, groupe Générale de Santé, 8, place de l’Abbé-Georges-Hénocque,
75013 Paris, France
<jean-marc.cosset@curie.net>
Pour citer cet article : Chargari C, Cosset JM. Le problème des faibles doses en radiothérapie : quel risque de
carcinogenèse radio-induite ? Bull Cancer 2013 ; 100 : 1333-42.
doi : 10.1684/bdc.2013.1855.
Résumé. Plusieurs études suggèrent fortement qu’il
existe une augmentation du risque de seconds cancers
chez les patients longs survivants d’un premier cancer
et ayant rec¸u une radiothérapie dans l’historique
de leurs traitements. Le plus souvent, les cancers
radio-induits surviennent dans les volumes exposés
aux plus fortes doses d’irradiation. Cependant, l’impact
des «faibles »doses (<5 Gy) dans la carcinogène
radio-induite est d’autant plus important à considérer
que les techniques modernes de radiothérapie confor-
mationnelle avec modulation d’intensité (RCMI) ou
de radiothérapie stéréotaxique augmentent significati-
vement les volumes concernés par ces faibles doses.
Le risque inhérent à ces nouvelles technologies est
discuté et les estimations réalisées sont étroitement
dépendantes du modèle de risque utilisé. Ainsi, le
modèle linéaire sans seuil, remis en question par
certains auteurs, suggère que la RCMI pourrait doubler
le risque de seconds cancers. Il semble que seule la
protonthérapie permette de protéger les tissus sains à la
fois des faibles et des fortes doses. À l’exception notable
des tumeurs pédiatriques, où le risque de seconds can-
cers (beaucoup plus important que chez l’adulte) doit
impérativement être pris en compte, les données épi-
démiologiques tendent à relativiser le risque de second
cancer lié aux faibles doses. Cependant, le recul
clinique demeure encore insuffisant et une augmen-
tation même modérée du risque de seconds cancers
pourrait dans certains cas contrebalancer le bénéfice
lié à une radiothérapie de haute précision. Il demeure
donc indispensable d’intégrer le risque inhérent aux
Abstract. Several studies have well documented
that the risk of secondary neoplasms is increasing
among patients having received radiation therapy
as part of their primary anticancer treatment. Most
frequently, radiation-induced neoplasms occur
in volume exposed to high doses. However, the
impact of lowdoses (<5 Gy) in radiation-induced
carcinogenesis should be clinically considered
because modern techniques of intensity-modulated
radiation therapy (IMRT) or stereotactic irradiation
significantly increase tissue volumes receiving
low doses. The risk inherent to these technologies
remains uncertain and estimates closely depend on
the chosen risk model. According to the (debated)
linear no-threshold model, the risk of secondary
neoplasms could be twice higher with IMRT, as
compared to conformal radiation therapy. It seems
that only proton therapy could decrease both high
and low doses delivered to non-target volumes.
Except for pediatric tumors, for which the unequi-
vocal risk of second malignancies (much higher
than in adults) should be taken into account, epide-
miological data suggest that the risk of secondary
cancer related to low doses could be very low, even
negligible in some cases. However, clinical follow-
up remains insufficient and a marginal increase
in secondary tumors could counterbalance the
benefit of a highly sophisticated irradiation tech-
nique. It therefore remains necessary to integrate
the potential risk of new irradiation modalities in a
1334 Bull Cancer vol. 100 N12 décembre 2013
C. Chargari, J.-M. Cosset
nouvelles technologies d’irradiation dans une évalua-
tion au cas par cas intégrant les objectifs thérapeutiques
mais également les cofacteurs de risque, tels que l’âge
(essentiellement), les chimiothérapies associées ou le
mode de vie.
risk-adapted strategy taking into account therapeu-
tic objectives but also associated risk factors, such
as age (essentially), chemotherapy, or life style.
Mots clés : faibles doses, irradiation, seconds cancers,
radiothérapie avec modulation d’intensité
Key words: low doses, irradiation, secondary neoplasms,
intensity-modulated radiation therapy
Introduction
De nombreuses études soulignent qu’il existe un excès
du risque de seconds cancers chez les patients ayant
un antécédent de radiothérapie. En 2007, l’analyse de
11 cohortes de patients avait permis d’estimer que le
risque relatif (RR) de présenter un second cancer était de
1,31 (IC95 % : 1,15-1,49) après radiothérapie, comparé
à la population générale. Cette augmentation du risque
n’est pas spécifique à la radiothérapie, car le RR pour les
patients non irradiés était de 1,12 par rapport à la popu-
lation générale. La comparaison des patients irradiés
avec les patients pris en charge pour un cancer, mais
n’ayant pas rec¸u de radiothérapie, montre un écart net-
tement plus faible, avec un RR de 1,08 (1,00-1,17) [1].
Ces seconds cancers surviennent préférentiellement à
proximité des volumes ayant rec¸u une dose intermé-
diaire ou élevée, définie comme une dose allant de 5 à
50 Gy, voire en plein volume de traitement. Ce constat
ne doit pas faire négliger l’impact des faibles doses dans
la carcinogenèse radio-induite. En effet, les organes
éloignés des volumes recevant les fortes doses sont éga-
lement concernés par le risque de tumeur radio-induite,
à l’exception notable des sarcomes secondaires qui
se développent typiquement dans les volumes irradiés
aux plus fortes doses [2-4]. Par ailleurs, la probléma-
tique des faibles doses prend toute son importance avec
les évolutions des traitements réalisées au cours des
20 dernières années. Largement utilisées aujourd’hui
en routine, les «nouvelles »technologies comme
la radiothérapie conformationnelle avec modulation
d’intensité (RCMI) permettent de mieux «conformer »,
c’est-à-dire adapter, le volume irradié au volume cible.
En réduisant l’irradiation à fortes doses des organes
sains, il est possible de diminuer la toxicité déterministe
de la radiothérapie, voire d’envisager des stratégies
d’escalade de dose pour améliorer le contrôle loco-
régional. Cependant, ces techniques augmentent le
volume d’irradiation des tissus sains, bien que la dose
rec¸ue soit faible, et certaines modélisations ont même
suggéré un doublement du risque de carcinogenèse
radio-induite par la RCMI [5]. Nous présentons ici un
état des lieux du risque de carcinogenèse radio-induite
et de la contribution respective des faibles doses, à
l’éclairage de l’impact des nouvelles technologies de
traitement.
Préambule : définition
des « faibles » doses
La définition des faibles doses, telle qu’on peut la trou-
ver dans le rapport BEIR VII, est d’environ 0,1 Gy pour
les photons et les électrons utilisés en radiothérapie [6].
Ce seuil, basé sur des données de radioprotection, est
difficilement applicable à la radiothérapie et d’autres
définitions ont donc été proposées. Ainsi, le seuil supé-
rieur de 5 Gy est plus souvent retenu pour définir les
«faibles »doses en radiothérapie, alors que les «fortes »
doses sont définies au-delà de 50 Gy. En revanche, ce
seuil de 5 Gy, cohérent dans le cadre du traitement
des cancers, est très supérieur aux 100 mSv (0,1 Gy),
le plus souvent considéré comme «seuil »du risque
carcinogène chez l’adulte.
Il existe schématiquement trois sources de rayonne-
ments responsables de l’irradiation en dehors des
champs :
le rayonnement diffusé dans le patient à partir des
faisceaux de traitement ;
le rayonnement diffusé à partir de l’accélérateur, prin-
cipalement ses collimateurs, les filtres, les caches et les
lames ;
l’irradiation de «fuite »de la tête de la machine.
La contribution respective de ces sources d’irradiation
varie selon la région anatomique que l’on étudie. Dans
les régions de fortes doses, il s’agit principalement du
rayonnement diffusé dans le patient et du diffusé lié
aux collimateurs. Quand on s’éloigne des volumes de
traitement, dans les régions dites «intermédiaires »,
la contribution relative du rayonnement diffusé dans
le patient augmente. Enfin, dans les régions de faibles
doses, à distance, il s’agit principalement du diffusé
dans le patient et de l’irradiation de fuite de la tête de
la machine.
Faibles doses et carcinogenèse
radio-induite : données cliniques
Lymphomes de Hodgkin
Le bon pronostic de la maladie de Hodgkin locali-
sée, l’utilisation sur une longue période de champs
de traitement étendus et le long recul sur de grandes
Bull Cancer vol. 100 N12 décembre 2013 1335
Problématique des faibles doses en radiothérapie
cohortes de patients ont fait de cette maladie l’un
des meilleurs modèles d’étude du risque de seconds
cancers radio-induits [7]. La technique réalisée dans
les années 1970 et 1980 utilisait une irradiation sus-
diaphragmatique en mantelet et/ou une irradiation en
«Y inversé »(plus ou moins complet), et délivrait
une dose de l’ordre de 40 Gy à de larges volumes.
Avec un suivi atteignant 20 à 25 ans, l’observation
d’un excès de seconds cancers a conduit à limiter
les volumes de traitement [7, 8]. Un jeune âge au
moment du traitement et l’étendue des champs de
radiothérapie sont les principaux facteurs de risque [9-
13]. L’analyse du devenir des patients traités pour une
maladie de Hodgkin montre que les principaux types
de cancers secondaires sont le cancer du sein chez
la femme et de la thyroïde chez l’homme ; les deux
sexes sont touchés par les cancers des glandes sali-
vaires, les cancers pleuropulmonaires et les tumeurs
cutanées et osseuses. Ces cancers surviennent majori-
tairement dans les zones de fortes doses [9-13]. Dores
et al. ont analysé 2 153 cas de seconds cancers surve-
nant chez 32 591 patients traités entre 1935 et 1994,
et ont montré que le principal site concerné était le
poumon, avec un RR de 2,8. Il n’était pas retrouvé
d’incidence accrue des cancers touchant les organes
situés à distance des faisceaux ou systématiquement
protégés, comme le larynx [7]. Le risque de cancer
mammaire est particulièrement élevé. Pour une femme
âgée de 55 ans et irradiée à l’âge de 25 ans en man-
telet pour une maladie de Hodgkin, il atteindrait 29 %
(IC95 % : 20,2-40,1) [14]. Ces données sont à nuancer
car le risque est inférieur lorsque l’irradiation mam-
maire incidente s’inscrit dans le traitement d’autres
pathologies, suggérant l’existence d’une susceptibilité
spécifique aux seconds cancers en cas de maladie
de Hodgkin [15, 16]. Par ailleurs, certains cofacteurs
de risque, comme l’utilisation d’une chimiothérapie
à base d’agents alkykants mais surtout le tabagisme,
augmentent exponentiellement le risque de seconds
cancers [12, 17-20]. Lorigan et al. ont effectué une ana-
lyse systématique des études ayant porté sur la toxicité
tardive du traitement des lymphomes. Le RR de cancer
pulmonaire était compris entre 2,6 et 7,0. La radiothé-
rapie et la chimiothérapie contribuaient toutes deux à
cette augmentation du risque, sur un mode additif. Le
tabagisme multipliait le risque associé à chacun de ces
traitements [21]. Dans une étude cas-témoins incluant
plus de 19 000 patients traités pour un lymphome,
Travis et al. ont estimé que le tabagisme multipliait
par 20 le risque de cancer pulmonaire. Dans le sous-
groupe des patients ayant rec¸u une radiothérapie et
des agents alkylants, le RR de cancer bronchopul-
monaire était de 7,2 (IC95 % : 2,8-21,6) chez les
non-fumeurs ou lorsque le tabagisme était inférieur à
un paquet par jour. En cas de tabagisme supérieur à
un paquet par jour, le RR atteignait 49,1 (!) (IC95 % :
15,1-187) [22].
Cancers mammaires
Dans une revue extensive des seconds cancers sur-
venant après traitement d’un cancer du sein chez
322 863 femmes diagnostiquées entre 1973 et 2000, le
risque était augmenté de 18 %. La radiothérapie entraî-
nait un surcroît de seconds cancers de l’œsophage,
de cancers du poumon et de sarcomes [23]. Dans
la méta-analyse conduite en 2005 par l’Early Breast
Cancer Trialists’ Collaborative Group (EBCTCG), la
radiothérapie augmentait le risque de seconds cancers,
en particulier de cancers mammaires controlatéraux
(p= 0,002), et de cancers pulmonaires (p= 0,0007). Le
risque de cancer de l’œsophage était à la limite de
la significativité (p= 0,05) [24]. Dans l’expérience de
l’institut Curie, qui a porté sur 13 471 patientes recevant
une radiothérapie et 3234 patientes témoins, le risque
cumulatif à dix ans était significativement augmenté
pour les sarcomes (p= 0,02) et les cancers pulmonaires
(p= 0,02), sans effet sur les autres types de cancers
situés plus à distance des faisceaux de radiothérapie [4].
Récemment, Berrington de Gonzalez et al. ont évalué
le risque de second cancer chez 182 057 survivantes à
cinq ans d’un traitement locorégional pour un cancer
du sein invasif. Avec un suivi médian de 13 ans, le RR de
second cancer solide était de 1,45 (IC95 % : 1,33-1,58)
pour les régions recevant des doses supérieures à 1Gy
(poumon, œsophage, plèvre, os, tissus mous), mais de
1,09 seulement (IC95 % : 1,04-1,15) pour le cancer
mammaire controlatéral (irradiation de l’ordre de 1Gy).
Il n’était pas montré d’augmentation du risque pour les
sites recevant des doses inférieures à 1Gy [25]. Comme
pour les lymphomes, le tabagisme est un important
facteur de risque de survenue de cancers pulmonaires
après radiothérapie [26]. Il existe également des fac-
teurs de risque non liés au traitement. Ainsi, une étude
publiée en 2011 montre un excès du RR de seconds
cancers non mammaires chez des patientes préméno-
pausées, même si elles n’ont rec¸u ni radiothérapie, ni
traitement systémique adjuvant [27].
Cancers de la prostate
L’impact des irradiations prostatiques sur le risque de
second cancer est controversé et pourrait s’inscrire dans
un biais de surveillance ou de diagnostic [28, 29].
Cependant, plusieurs grandes études suggèrent une
élévation du risque de certains cancers, en particu-
lier du cancer de vessie. L’analyse du devenir de
34 889 patients traités pour un cancer de la prostate
montre que le risque de carcinome urothélial de ves-
sie n’est pas significativement augmenté après huit ans
de suivi [30]. Mais d’autres études portant sur plus de
120 000 patients montrent un excès significatif, mais
cependant faible, de la fréquence des tumeurs solides
chez les longs survivants irradiés, en particulier de car-
cinomes de vessie et du rectum, et des sarcomes dans
les champs de traitement [31]. Il semble cependant que
1336 Bull Cancer vol. 100 N12 décembre 2013
C. Chargari, J.-M. Cosset
la différence s’explique surtout par un risque inférieur
de cancers dans le groupe chirurgical seul, peut-être en
raison de biais de sélection (ex. : moins de tabagisme
chez les opérés) [32]. Dans l’expérience de la Mayo
Clinic, seul le risque de cancer vésical était augmenté
et uniquement en situation adjuvante, une explication
possible étant que la paroi vésicale est alors davantage
irradiée [33]. D’autres auteurs rapportent des données
plus péjoratives. Ainsi, Bhojani et al. ont examiné le
risque de cancer de vessie, du rectum ou du poumon
après prostatectomie radicale (n= 8 455) ou radiothé-
rapie (n= 9 390). À 60 mois ou plus du traitement,
le risque de cancer de vessie, du rectum, ou même
du poumon était significativement supérieur dans le
groupe radiothérapie (p= 0,02, p<0,001, p= 0,004,
respectivement) [34]. Les données de la littérature sont
cependant concordantes pour souligner que le risque
lié à la curiethérapie est inférieur à celui de la radio-
thérapie externe, voire nul. L’analyse du devenir de
243 082 patients a montré que comparativement à la
prostatectomie, le RR de cancer de vessie était de
1,72 après radiothérapie (IC95 % : 1,55-1,90) ver-
sus 1,56 après association radiothérapie-curiethérapie
(IC95 % : 1,30-1,87) versus 1,23 après curiethérapie
seule (IC95 % : 1,01-1,50). Pour les cancers rectaux, il
était de 1,17 (IC95 % : 1,01-1,35) pour la radiothérapie,
mais non significatif pour l’association radiothérapie-
curiethérapie ou la curiethérapie seule [35]. Huang
et al. ont rapporté leur expérience d’une cohorte de
2 120 patients ayant rec¸u une radiothérapie 2D (36 %),
3D ou avec modulation d’intensité (29 %), une curie-
thérapie (16 %) ou l’association d’une radiothérapie
2D à une curiethérapie (19 %). La comparaison avec
une cohorte appariée de patients traités chirurgicale-
ment montrait que la radiothérapie externe augmentait
le risque de cancer à plus de cinq ans du traitement
(HR = 1,86 ; IC95 % : 1,36-2,55). En analysant les tech-
niques utilisées, seule la radiothérapie 2D augmentait
le risque de second cancer, à moins que ne soit utili-
sée la technique du complément en curiethérapie [36].
Le risque absolu de seconds cancers semble donc très
faible, voire non significatif, en particulier avec les
techniques de traitement modernes et concerne prin-
cipalement les organes situés dans les zones exposées
aux plus fortes doses [37].
Population pédiatrique
Globalement, les survivants d’une radiothérapie dans
l’enfance ont un risque de trois à six fois supérieur
de développer un second cancer, avec une incidence
cumulée de 3,5 à 25 %. Kleinerman a étudié les can-
cers de la thyroïde survenant après radiothérapie chez
des enfants, principalement irradiés pour des tumeurs
bénignes (plus de 10 000 irradiations pour traitement
d’une teigne et plus de 28 000 irradiations pour un
hémangiome), et ayant rec¸u des doses relativement
faibles (en moyenne 0,1 à 1,4 Gy au niveau de la thy-
roïde). Pour les enfants âgés de moins de 15 ans au
moment de l’exposition, il existait une relation linéaire
dose-réponse à partir de 0,1 Gy et l’excès du RR était
de 7,7 (IC95 % : 2,1-2 8,7) par Gray. Le risque de can-
cer de la thyroïde diminue lorsque les patients sont
irradiés à un âge plus avancé, mais il persiste 30 ans
après l’exposition [37]. Ces données montrent que la
thyroïde des enfants est particulièrement sensible aux
effets carcinogènes de l’irradiation, même à des doses
très faibles. Pour des doses dépassant1à2Gy,ilexiste
également un risque accru de tumeurs cérébrales, qui
diminue quand les patients sont irradiés à un âge plus
avancé [38, 39]. Il faut intégrer à ce risque une suscep-
tibilité génétique, en fonction de la tumeur primitive
initialement traitée. Ainsi, il a été montré que le ratio des
cas de cancers observés sur les cas attendus était de 6,4
(IC95 % : 5,7-7,1) chez des patients irradiés avant l’âge
de 21 ans, la plupart des cas de cancers survenant dans
les champs de traitement. Le risque était le plus élevé
lorsque les patients étaient traités pour un neuroblas-
tome (RR = 24,2), mais il était nul pour les néoplasies
du système nerveux central [40, 41]. L’impact de la
chimiothérapie doit également pris en compte, en parti-
culier celui des anthracyclines qui augmentent le risque
de seconds cancers [42].
Traitements modernes
et faibles doses
Imagerie de repositionnement
Le développement de technologies d’irradiation de
plus en plus précises oblige à l’amélioration des tech-
niques d’imagerie embarquée et de repositionnement,
permettant elles-mêmes de réduire les marges autour
des volumes cibles. Cependant, la multiplication des
procédures d’imagerie entraîne elle-même une aug-
mentation des faibles doses délivrées en dehors des
volumes cibles. La dose totale délivrée par une image-
rie quotidienne au cours d’un traitement sur plusieurs
semaines peut dans certains cas dépasser le Gray, et
il faut alors la prendre en compte dans la dosimétrie.
Cependant, outre l’impact théorique sur le risque de
carcinogenèse à distance du volume cible, on ignore
aujourd’hui quels sont les effets biologiques d’une irra-
diation à faibles doses liée à l’imagerie, et en particulier
dans quelle mesure l’impact d’une telle irradiation sur
les mécanismes adaptatifs (systèmes de réparation, etc.)
peut affecter la réponse à la radiothérapie quand la
séance de traitement est réalisée immédiatement après
l’imagerie de repositionnement. Kan et al. ont étu-
dié les doses délivrées par la tomographie à faisceaux
coniques (CBCT), utilisée dans le cadre d’une radio-
thérapie guidée par l’imagerie embarquée. La dose
efficace délivrée était de 10,3 mSv pour une imagerie
Bull Cancer vol. 100 N12 décembre 2013 1337
Problématique des faibles doses en radiothérapie
de la région oto-rhino-laryngée et atteignant 27,3 mSv
pour une imagerie thoracique. Ces données suggèrent
que la réalisation quotidienne d’une imagerie de type
CBCT pourrait augmenter le risque de second cancer
[43]. Un projet de soutien aux techniques innovantes et
coûteuses (STIC) en cours vise à évaluer la radiothérapie
guidée par l’imagerie dans le cancer de la prostate et en
particulier la fréquence optimale des contrôles de repo-
sitionnement. Un suivi prolongé sera nécessaire afin de
mettre en évidence un éventuel impact sur le risque de
seconds cancers.
Radiothérapie conformationnelle
avec modulation d’intensité
La RCMI permet de diminuer les volumes recevant
des fortes doses d’irradiation. Cette amélioration est
permise par le gradient de dose de la technique et
la diminution du rayonnement diffusé du collimateur
et/ou dans le patient. En effet, les faisceaux sont habi-
tuellement plus petits et les filtres dynamiques génèrent
moins d’irradiation diffusée que les filtres mécaniques.
Cependant, l’utilisation de la RCMI et d’un nombre plus
élevé de faisceaux augmente le volume irradié à doses
faibles et intermédiaires. De plus, c’est l’irradiation de
fuite au niveau de la tête qui prédomine à distance
des volumes cibles. Par conséquent, la dose «faible »
distribuée avec la RCMI augmente, puisque le nombre
d’unités moniteurs (UM) nécessaires au traitement pour
délivrer la dose attendue à la tumeur est plus élevé,
d’un rapport3à4,comparativement à la radiothérapie
conformationnelle 3D. Le choix de l’énergie des pho-
tons utilisés est également un facteur d’irradiation en
dehors des volumes de traitement, car les fortes énergies
sont un facteur de production de neutrons secondaires.
Ainsi, Schneider et al. ont fait l’estimation que la RCMI
de la prostate utilisant des photons de 6 MV aug-
menterait le risque de 15 % en comparaison à une
radiothérapie conventionnelle à quatre faisceaux, et
que cette augmentation atteindrait 20 et 60 % pour des
photons de 15 et 18 MV, respectivement [44]. D’autres
auteurs se sont intéressés à la radiothérapie postopé-
ratoire des cancers du col utérin et de l’endomètre et
ont également calculé un risque accru lié à l’utilisation
de photons de haute énergie dans le cadre d’une RCMI
[45].
Il faut noter le cas de l’utilisation de filtres méca-
niques en radiothérapie conformationelle 3D, qui est
un facteur important d’augmentation du nombre d’UM
[46, 47]. Followill et al. ont évalué la dose équiva-
lente corps entier délivrée par différentes techniques
de traitement et estimé le risque de second cancer
lié à une irradiation focalisée à la dose de 70 Gy.
Avec une radiothérapie conventionnelle, l’utilisation de
filtres mécaniques augmentait le risque, quelle que soit
l’énergie photonique utilisée, en augmentant le nombre
d’UM et le rayonnement diffusé [48]. Dans une étude
prospective portant sur 120 patientes prises en charge
pour un cancer du sein (50 Gy), Woo et al. ont mesuré la
dose d’irradiation à quatre sites distincts et ont montré
que la dose minimale diffusée rec¸ue à un point situé
sur l’abdomen allait de 0,06 à 1,55 Gy. L’utilisation
de filtres mécaniques comme technique de compen-
sation était le facteur le plus significativement associé
à une augmentation du rayonnement diffusé, triplant
la dose délivrée en dehors du faisceau, en comparai-
son à un traitement par RCMI et filtres dynamiques
[49]. Fréquemment utilisés pour une irradiation mam-
maire classique, les filtres mécaniques sont donc un
facteur d’irradiation à faibles doses qui pourrait aug-
menter le risque de second cancer, encourageant donc
l’utilisation de filtres dynamiques.
Tomothérapie hélicoïdale
La tomothérapie hélicoïdale («tomothérapie »)
présente l’intérêt d’une irradiation avec rotation héli-
coïdale d’une source de photons de 6 MV. Elle permet
de créer des gradients de dose étroits autour des
volumes cibles [50]. Cependant, l’irradiation hélicoï-
dale augmente également le volume de tissu sain irradié
à faibles doses. Dès 1997, Followill et al. avaient estimé
la probabilité de décéder d’un second cancer après
une irradiation à la dose de 70 Gy, et estimé que le
risque était de 2,5 % pour une tomothérapie hélicoï-
dale avec photons de 6 MV, soit plus du double du
risque d’une RCMI avec photons de 6 MV. Cependant,
ce risque estimé restait inférieur à celui lié à une RCMI
utilisant des photons de plus haute énergie (4,5 % pour
la RCMI 18 MV, 8,4 % pour la RCMI 25 MV) [48].
L’augmentation du nombre d’UM pour les traitements
en tomothérapie aurait pu laisser présager une augmen-
tation plus significative du risque, mais ce désavantage
était compensé par le fait qu’une irradiation à énergies
élevées augmente la production de neutrons secon-
daires. Plusieurs auteurs ont calculé les doses délivrées
en dehors des champs de traitement par la tomothérapie
sérielle et hélicoïdale, et montré qu’elle était supérieure
à celle délivrée par des traitements conventionnels [51].
Cependant, cette augmentation pourrait être compen-
sée par les améliorations réalisées sur les appareils de
nouvelle génération :
la diminution du rayonnement résiduel de fuite
autour de la tête de l’accélérateur ;
l’amélioration de l’homogénéité de la dose ;
la réduction de la dose intégrale délivrée aux organes
sains [52-54].
Radiothérapie stéréotaxique :
l’exemple du Cyberknife®
Le Cyberknife®utilise un accélérateur de 6 MV monté
sur un robot sophistiqué [55]. Bien que l’irradiation soit
très précise, car réalisée au moyen d’un grand nombre
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