Théâtre de la Manufacture CDN de Nancy - Lorraine 5
Pourquoi avoir choisi Woyzeck ?
Woyzeck est une grande œuvre. Elle a presque 200 ans et pourtant on pourrait croire qu’elle a été écrite
hier. Georg Büchner est mort très jeune (à 23 ans), ce qui ne l’empêche pas d’être un grand écrivain. Sa
mort est une perte énorme pour l’humanité. Sa production est malheureusement maigre (en taille), mais
très riche en idées. Le texte de Woyzeck est composé de brouillons, d’esquisses. Ce côté éclaté de la pièce,
de l’histoire qui est racontée, m’intéresse beaucoup. C’est à nous d’organiser les choses. Et le résultat
ne doit pas être forcément linéaire, car oui, on peut raconter d’une autre façon que de manière linéaire.
Dans cette pièce, il existe un fil rouge, une histoire centrale, puis des tas de trous à combler, des éléments
(d’aujourd’hui, d’hier ou de demain) que l’on peut rassembler, mettre autour, répéter ou aller rechercher.
Puis Woyzeck me touche par son histoire profondément humaine.
Quel lien existe-t-il entre Woyzeck et Hamlet, ta précédente création ?
J’ai choisi ces deux pièces pour aborder la folie. Hamlet utilise la folie pour faire éclore la vérité tandis que
Woyzeck la subit. Ce dernier ne va pas bien. Il a des idées discontinues, il entend des voix. Son discours
est fragmenté. Quand Büchner a écrit cette pièce, les sciences psychologiques naissaient à peine et on ne
connaissait pas encore la schizophrénie. Mais il est certain que Woyzeck souffre de cette maladie. Büchner
décrit des phénomènes de la schizophrénie avant la lettre. Il est évident que les schizophrènes existaient
avant qu’ils ne soient diagnostiqués comme tels.
Vous êtes partis d’une seule traduction?
Nous avons mélangé différentes traductions, ainsi que le texte original. Chaque traduction produit sa
propre version. Woyzeck est très connu des gens de langue allemande. Il fait partie de leurs traditions
théâtrales. Il est moins connu en francophonie. En général, on a du mal à se saisir des clés et des moyens
de jeu nécessaires à ce type de littérature. Dans cette pièce, on est davantage sur le rendu de l’histoire, de
la fable que sur le développement psychologique des personnages. C’est ce qui caractérise la littérature
allemande, à l’inverse de la littérature française qui travaille davantage le rendu des émotions, des
sensations (cf. le romantisme du XIXème siècle). Ici, ce sont des blocs d’histoire. C’est très moderne, il n’y
a aucune lamentation, ni intériorisation. Les francophones ont plus de mal avec Woyzeck car ils sont trop
logiques, trop romantiques...
Comment s’est déroulée l’organisation de la matière? Avez-vous sélectionné certains fragments, supprimé
d’autres passages... ?
J’ai évidemment beaucoup travaillé en amont. Après est venue la phase des répétitions, et comme souvent
tout ce qu’on avait prévu initialement a volé en éclats. Sont alors nées d’autres choses. Nous avons
réorganisé complètement la matière. Il n’y a pas nécessairement de lien chronologique ou géographique
entre les scènes. Se suivent-elles? Telle scène devait-elle précéder telle autre ? On ne sait pas. Ces scènes
se suivent sans réellement se suivre.
Y a-t-il tout de même une fable derrière ces fragments?
Oui, il y a une fable. Sinon, on ne pourrait rien bouger, rien inventer. Au théâtre, il y a toujours un récit. Que
ferait le spectateur sans récit? S’il n’y avait pas de récit au théâtre, ça serait comme s’il n’y avait pas de
toile à une peinture. Oui, il resterait le concept, l’idée. Mais, selon moi, du théâtre entièrement conceptuel
ne peut exister.
Si tu devais résumer l’histoire, que dirais-tu ?
Woyzeck, un soldat, est en couple avec Marie. Elle a un enfant. On ne sait pas vraiment si c’est Woyzeck
le père de cet enfant. Il surprend Marie en train d’avoir commerce avec un autre soldat. Commerce sexuel,
ENTRETIEN AVEC
MICHEL DEZOTEUX