Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute

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L’Encéphale (2009) 35, 586—594
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
THÉRAPEUTIQUE
Les personnes atteintes de schizophrénie
et la rechute
Persons suffering from schizophrenia and relapses
C. Passerieux a,∗, F. Caroli b, E. Giraud-Baro c
a
Service hospitalo-universitaire de psychiatrie adulte, centre hospitalier de Versailles,
177, rue de Versailles, 78157 Le Chesnay, France
b
Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75674 Paris, France
c
Intersecteur soins et réhabilitation psychosociale, CHS de Saint-Égrève, 3, rue de la Gare, 38521 Saint-Égrève, France
Reçu le 15 juin 2009 ; accepté le 1er octobre 2009
Disponible sur Internet le 29 octobre 2009
MOTS CLÉS
Schizophrénie ;
Rechute ;
Hospitalisation ;
Observance ;
Psychoéducation
KEYWORDS
Schizophrenia;
Relapse;
Hospitalisation;
∗
Résumé Dans la schizophrénie, la rechute est fréquente et intéresse plus d’un patient sur deux
dans les deux ans qui suivent le premier épisode [10]. Le vécu de la rechute par les patients
et leur entourage a cependant été rarement étudié. Pour ce faire, une enquête a été réalisée
auprès de 316 patients schizophrènes et de 82 de leurs proches : concernant la dernière rechute,
seuls 4 % des patients et 7 % des proches citent spontanément l’arrêt du traitement comme cause
de la rechute. Néanmoins, dans près de 40 % des rechutes, le patient reconnaît avoir arrêté ou
ralenti son traitement juste avant d’être hospitalisé ; concernant le vécu de l’hospitalisation,
87 % des patients et 86 % des proches estiment que l’hospitalisation a été utile ; concernant
la prévention de la rechute, 91 % des patients et 100 % des proches jugent important le faite
d’éviter une nouvelle rechute. Cinquante-neuf pour cent des proches ont déclaré qu’il était
difficile de vérifier la prise du traitement par le patient. Soixante-douze pour cent des proches
ont estimé le traitement injectable rassurant, 69 % qu’il était plus simple qu’un traitement
par voie orale. Ces résultats soulignent la sous-estimation du défaut d’observance dans les
causes de la rechute et l’importance d’une prise en charge concertée du patient atteint de
schizophrénie.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Summary
Introduction. — In schizophrenia, relapse is a common event that affects more than half the
patients within 2 years after a first episode [10]. It is a real setback for them and their relatives.
Surprisingly, we do not have much information on how patients and their relatives experience
the relapse.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Passerieux).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2009.10.005
Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute
Compliance;
Psychoeducation
587
Method. — A national survey was conducted among 316 schizophrenic outpatients treated with
antipsychotics, and 82 of their relatives. The survey assessed the following four aspects: disease
history, last relapse history, hospitalization experiences, and relapse prevention.
Results. — Regarding the disease history, the average psychiatric follow-up was 13 years and
patients had been hospitalized five times on average. Relatives reported approximately the
same history. Regarding the last relapse, 9/10 of relatives reported that this relapse led to
hospitalization and 69% of patients understood that their hospitalizations were due to relapse.
4% of patients and 7% of relatives identified the end of the treatment as a precursor to relapse.
While a lack of compliance was found in about four relapses out of 10. It has also been shown
that patients confided primarily in the medical team and the relatives thought to be the first
confidant of patients. Regarding the experience of hospitalization, 87% of patients and 86% of
relatives judged the hospitalization useful. For both, hospitalization represented a solving step
to manifestations of relapse. Regarding the relapse prevention, almost three patients out of four
thought they knew what to do in order to avoid a new relapse, while only 52% of the relatives
thought patients knew what to do for this matter. For more than one third of the patients, the
last relapse (3 years ago) was still a painful event. Avoiding a new relapse was considered very
important or important by 91% of patients and 100% of relatives. Relatives felt that regular
appointments with the medical team helped avoid relapses. Fifty-nine per cent of relatives
have said it was difficult to verify whether or not the treatment was taken by a schizophrenic
patient. Relatives’ opinion on the injectable treatment was favorable and approximately 50%
of the patients declared knowing of injectable treatments. Among these 72% felt that such
treatment was reassuring, 69% said it was simpler than oral therapy, and 67% thought it was
the most suitable to check the compliance. Only 31% considered it restricting for the patient,
against 54% who were considering it not restricting. Finally 57% of patients were willing to take
an injectable treatment in order to prevent further hospitalization.
Conclusion. — This study brings us a better understanding of patients’ and relatives’ experience
of relapse. These results demonstrate the potential impact of relapse on the patients and their
relatives and highlight their motivation to avoid further relapses. Also revealed, the lack of
importance given to the link between compliance and relapse by patients and relatives. These
results underscore the complexity of this disease management in which each player has a key
role.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
Dans la pathologie schizophrénique, la rechute est un événement fréquent. Plus de la moitié des patients rechutent
dans les deux ans qui suivent un premier épisode [10]. Les
conséquences délétères sont nombreuses : elles forment un
obstacle à une amélioration durable et à une vraie rémission, elles constituent pour le patient un véritable retour
en arrière. Enfin, il s’agit également d’un événement très
douloureux et déstabilisant pour les familles. Du côté des
soignants, l’objectif de la prévention des rechutes est une
préoccupation constante et exigeante [1]. Améliorer les pratiques de soins dans l’objectif de réduire la fréquence et la
gravité des rechutes impose de pouvoir s’appuyer sur des
données souvent manquantes. Par exemple, comment mieux
adapter l’information délivrée aux patients et à leur entourage sans connaître leurs représentations et leurs attentes ?
Comment augmenter les ressources et les recours du patient
en cas de rechute ? Comment améliorer l’observance aux
soins et au traitement médicamenteux dont on sait qu’ils
sont une condition nécessaire, sinon suffisante, d’une rémission durable ?
Alors que de nombreux travaux [3,4] ont porté sur la qualité de vie des patients schizophrènes et leur perception de
la maladie et de leur traitement, peu d’enquêtes ont ciblé
plus précisément le vécu, par les patients et par leur entourage, de la rechute et des effets délétères qu’elle induit.
C’est l’objectif de la présente étude, menée en parallèle auprès de patients schizophrènes et de personnes de
leur entourage. Plus précisément, cette enquête se propose
d’apporter des données sur les conditions dans lesquelles les
patients font une rechute, d’identifier les causes principales
de cette rechute, d’appréhender le vécu de cette phase de
rechute et des mesures thérapeutiques prises et de mesurer
les changements ressentis suite à la rechute. L’une des originalités de cette enquête est la prise en compte des proches
des patients, que ces derniers avaient eux même désignés.
Méthodologie
Le comité scientifique d’experts qui a construit cette étude
a élaboré les questionnaires proposés aux patients et à leurs
proches, puis les a fait valider par les deux principales
associations de patients et de familles de patients dans le
domaine des troubles psychotiques : l’Union nationale des
amis et familles de malades psychiques (Unafam) et la Fédération nationale des patients en psychiatrie (FNAPSY).
Les entretiens ont été réalisés sur l’ensemble du territoire par des enquêteurs BVA spécialisés dans le domaine
588
C. Passerieux et al.
de la santé. Les entretiens avec les patients ont eu lieu sur
le site de la consultation hospitalière, face à face et sans
témoin. Les entretiens auprès des proches ont été réalisés
par l’enquêteur qui avait interrogé le patient et par téléphone. Au total, 316 patients et 82 proches ont ainsi pu être
interviewés de décembre 2008 à février 2009.Vingt-quatre
centres ont participé à cette étude.
Sélection des patients
exercé une activité dans le passé mais n’en exerçaient plus
lors de l’entretien et 27 % n’en avaient jamais exercé.
Au moment de l’enquête, l’ensemble des patients prenait un traitement (sous forme de comprimés, sous forme
d’injections, ou sous forme de gouttes).
Un tiers des patients ayant fait une rechute ont accepté
de communiquer les coordonnées d’une personne proche.
Dans 67 % des cas, il s’agissait des parents du patient, pour
12 % d’un de ses frères ou sœurs, pour 10 % de son conjoint,
pour 5 % d’un de ses enfants et pour 5 % d’un ami. Ce proche
était dans 62 % des cas une femme ; 22 % avaient moins de
50 ans, 50 % entre 50 et 65 ans et 28 % plus de 65 ans. Ils habitaient dans 54 % des cas avec la personne schizophrène ; 40 %
exerçaient une activité professionnelle, 31 % étaient à la
retraite.
Les patients inclus dans l’étude étaient des patients souffrant de schizophrénie, suivis en ambulatoire, quel que soit
leur traitement, qu’ils aient présenté ou non des rechutes.
En ce qui concerne la sélection des proches, les patients
déclarant avoir déjà fait une rechute communiquaient à la
fin de l’interview, s’ils le souhaitaient, les coordonnées d’un
proche.
Résultats
Profil des personnes interrogées
Histoire de la maladie
En ce qui concerne les patients :
Les patients interrogés dans cette enquête sont pour la plupart suivis depuis plusieurs années en psychiatrie (13 ans en
moyenne). Ils sont d’une manière générale plutôt lucides
par rapport à leur maladie : plus de huit patients sur dix
déclarent savoir tout à fait pourquoi ils sont suivis dans un
centre hospitalier. Cependant, si plus d’un tiers des personnes interrogées se sentent malades au jour de l’entretien
(39 %), la même proportion déclare ne pas se sentir malade
(40 %). La quasi-totalité des patients (95 %) déclarent avoir
déjà été hospitalisés au moins une fois depuis le début de
leur maladie. Ils ont été hospitalisés cinq fois en moyenne ;
30 % d’entre eux déclarant avoir été hospitalisés six fois ou
plus. L’ancienneté de la dernière rechute est très variable.
Alors qu’elle date de moins d’un an dans un cas sur quatre,
elle remonte à plus de six ans pour un patient sur cinq.
•
•
•
•
•
soixante-six pour cent étaient des hommes ;
trente-quatre pour cent des femmes ;
trente-trois pour cent avaient moins de 35 ans ;
quarante-six pour cent entre 35 et 49 ans ;
vingt et un pour cent plus de 50 ans.
Leur situation familiale était conforme à ce qui est
habituellement décrit dans la littérature pour les patients
atteints de schizophrénie : 50 % vivaient seuls, 33 % en
famille, 7 % en couple et 10 % en structure d’accueil. En
ce qui concerne leur activité, 18 % exerçaient une activité professionnelle, scolaire ou bénévole au moment de
l’entretien, dont 67 % en milieu ordinaire ; 55 % avaient
Figure 1
Nombre de rechutes antérieures.
Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute
Lorsqu’on interroge l’entourage sur le même sujet,
les réponses témoignent d’une bonne concordance avec
l’historique des rechutes tel qu’il est décrit par le patient.
Les réponses de l’entourage corroborent les réponses du
patient, concernant l’antériorité de la dernière rechute ou
le nombre de rechutes au total (Fig. 1). On peut toutefois
noter que les proches déclarent dans 18 % des cas ne pas
savoir le nombre de rechutes qui se sont produites depuis
le début de la maladie, alors que seuls 8 % des patients
déclarent ne pas le savoir.
Histoire de la dernière rechute
Le terme de rechute étant parfois difficile à appréhender par
les patients, il lui a été préféré, pour les questions posées
aux patients, celui de d’hospitalisation : du point de vue du
praticien, en effet, la quasi-totalité des hospitalisations correspondent à une rechute. C’est également le cas pour une
majorité des patients puisque 69 % comprennent que leur
hospitalisation est due à une rechute alors que 24 % pensent
que ce n’est pas le cas. Lorsqu’on interroge l’entourage,
le lien est manifeste entre rechute et hospitalisation : neuf
proches sur dix déclarent que la dernière rechute a entraîné
une hospitalisation. De manière plus générale, deux-tiers
des proches interrogés déclarent qu’une rechute du patient
se termine à chaque fois par une hospitalisation, contre
seulement 5 % qui pensent que le patient n’est jamais hospitalisé lors d’une rechute.
Les rechutes ont des signes avant-coureurs très divers,
que ces signes soient rapportés spontanément ou qu’ils
soient proposés par l’interviewer. Plus de trois proches sur
quatre (79 %) déclarent spontanément avoir remarqué des
signes avant-coureurs d’une rechute avant que le patient
ne soit hospitalisé (Fig. 2) ; parmi les symptômes les plus
fréquents, l’angoisse et le stress, ainsi que les affects
dépressifs, sont majoritairement décrits par les patients ;
Figure 2
589
viennent ensuite la fatigue, les hallucinations et les envies
suicidaires. Leurs proches complètent ces symptômes par un
sentiment d’isolement et de l’agressivité ou de la colère. Les
patients comme les proches citent en moyenne cinq symptômes. Il faut souligner, conformément aux données de la
littérature, que les signes précurseurs de rechute décrits
apparaissent le plus souvent comme des signes non spécifiques.
Enfin, les patients et leurs proches ne citent que très
peu de manière spontanée un arrêt de traitement comme
précurseur de rechute (4 % pour les patients, 7 % pour les
proches). En revanche, lorsqu’on demande spécifiquement
si un arrêt de traitement a précédé l’hospitalisation ou la
rechute, on retrouve un défaut d’observance dans près de
quatre rechutes sur dix, cette proportion étant similaire du
point de vue des patients ou de celui des proches. Cette
mauvaise observance est expliquée, pour la moitié des cas,
par les contraintes et les effets secondaires du traitement et
pour l’autre moitié par le sentiment ressenti par le patient
de ne plus avoir besoin de traitement (Fig. 3).
Lors de la rechute, le dialogue n’est pas rompu dans la
plupart des cas. C’est en priorité avec l’équipe médicale que
les patients se tournent pour parler de leur sentiment de
malaise. Au moment de leur rechute, près des trois quarts
des patients ont fait part de leurs troubles à quelqu’un :
59 % l’ont fait avec l’équipe médicale et 48 % avec leur
famille ou leur entourage. Il ressort de cette étude que
ce rôle de l’équipe médicale est largement sous-estimé par
l’entourage. En effet, les proches pensent être les principaux confidents du malade dans 51 % des cas, alors qu’ils
ne sont que 34 % à penser que le patient en a parlé avec
quelqu’un de l’équipe médicale.
Autre donnée intéressante, les patients sont la plupart du
temps favorables à l’hospitalisation, même s’ils n’en sont
pas toujours les initiateurs : un patient sur trois déclare
avoir été à l’initiative de son hospitalisation (35 %), tandis que 44 % des proches affirment en être eux-mêmes,
Les symptômes d’une rechute, expression spontanée.
590
C. Passerieux et al.
Figure 3
Figure 4
Les raisons de non-observance du traitement.
Les patients et leurs proches face à l’hospitalisation.
ou un autre proche, le demandeur (Fig. 4). Parmi les
patients n’ayant pas demandé eux-mêmes à être hospitalisés, plus de la moitié (55 %) y était tout de même favorable.
Ainsi, au final, sept patients interrogés sur dix déclarent
avoir été favorables à leur hospitalisation. Les proches sont
un peu plus partagés sur ce point, puisque moins de six
proches sur dix (58 %) estiment que le patient y était favorable.
Le vécu de l’hospitalisation
Suite à une rechute, les patients et leurs proches partagent
le même avis concernant l’intérêt de l’hospitalisation :
respectivement 87 et 86 % d’entre eux estiment que
l’hospitalisation était utile. De même, 34 % des patients
et 38 % des proches considèrent qu’elle a été une bonne
chose. L’hospitalisation est jugée difficile mais nécessaire
dans un cas sur deux (53 % pour les patients et 48 % pour
les proches). Seuls 10 % des patients et 10 % des proches
estiment qu’elle n’a servi à rien ou qu’elle a aggravé la
situation.
De l’avis des patients comme de leurs proches,
l’hospitalisation constitue une étape qui permet de résoudre
les manifestations de la rechute : pour 75 % d’entre eux, le
patient est moins stressé à la sortie que lors de l’admission
et pour 70 %, il est moins déprimé. Elle a aussi permis de
diminuer le niveau de fatigue du patient dans plus d’un
cas sur deux (54 % de l’avis du patient, 57 % de l’avis de
l’entourage). Le sentiment d’isolement a diminué pour 46 %
des patients et 52 % des proches pensent également que ça a
été le cas ; toutefois, 10 % des patients se sentent plus isolés
à la sortie que lors de l’admission et 38 % aussi isolés, alors
que seuls 1 % des proches ont le sentiment d’une aggravation de l’isolement et 25 % d’un isolement similaire. Quant
Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute
aux difficultés cognitives (concentration ou mémoire), seuls
un tiers des patients et des proches considèrent qu’elles ont
été améliorées par l’hospitalisation.
Au total, la majorité des patients comme des proches
estiment que l’hospitalisation a eu un impact positif sur
l’envie de faire des choses (58 % pour les patients, 52 % pour
leurs proches), sur le contact et l’ouverture aux autres (53 %
pour les patients, 57 % pour leurs proches), et sur la vie avec
l’entourage (50 % pour les patients, 60 % pour leurs proches).
Seuls une minorité de patients et de proches considèrent
que l’hospitalisation a eu un impact négatif : respectivement 21 et 20 % sur la vie avec l’entourage, 18 et 13 % sur
le contact et l’ouverture aux autres et 15 et 18 % sur l’envie
de faire les choses (Fig. 5).
La prévention de la rechute
Globalement, les données montrent que patients comme
entourage n’ont qu’une confiance limitée dans les soins
pour éviter les rechutes. Près de trois patients sur quatre
(73 %) pensent savoir quoi faire désormais pour éviter une
nouvelle rechute ; mais leurs proches sont moins optimistes, puisqu’ils ne sont qu’une moitié (52 %) à penser
que le patient sait ce qu’il faut faire pour éviter une
rechute. Lorsque des questions plus précises sont posées,
patients comme entourage discernent difficilement les
moyens d’éviter la rechute : 39 % seulement des patients
et des proches estiment que les conseils de leur entourage et de l’équipe médicale auraient permis d’éviter une
rechute, alors que 46 % des patients et 40 % des proches
pensent que cela ne l’aurait pas évité ; 38 % des patients
et des proches estiment qu’une meilleure information sur la
maladie aurait permis d’éviter une rechute, alors que 43 %
des patients et 38 % des proches pensent que cela ne l’aurait
pas évité ; enfin, 36 % des patients et 42 % des proches consi-
Figure 5
591
dèrent qu’une meilleure observance du traitement aurait
permis d’éviter une rechute, alors que 47 % des patients et
40 % des proches pensent que cela ne l’aurait pas évité.
L’entourage reste aussi démuni que les patients par rapport aux rechutes : en effet, plus d’un tiers d’entre eux
(36 %) considèrent qu’un meilleur niveau d’information sur
la rechute et ses conséquences ne leur aurait pas davantage
permis de savoir quoi faire en cas de rechute, contre 43 %
qui pensent le contraire.
La rechute est un événement qui laisse des traces : alors
que la dernière rechute remonte en moyenne à trois ans,
elle reste encore au moment de l’entretien une période
douloureuse pour plus d’un patient sur trois (37 %) ; cela est
ressenti plus fréquemment par les femmes (48 %), et pour
les patients ayant eu de nombreuses rechutes. Un quart
des proches considèrent que le malade a régressé suite
à sa rechute, notamment en termes d’autonomie, qu’il
prend moins d’initiatives, qu’il est plus assisté qu’avant.
Logiquement, la rechute est un événement que les patients
comme les proches souhaitent fortement éviter : 70 % des
patients jugent très important le fait d’éviter une nouvelle
rechute et 21 % le jugent important. Ce souhait est encore
plus fort pour les proches, puisque 95 % pensent que c’est
très important et 5 % important, soit un total important
et/ou très important de 100 % !
Lorsqu’on demande aux patients ce qu’ils sont prêts à
faire pour éviter une nouvelle hospitalisation (Fig. 6), ils
se déclarent à 94 % prêts à prendre des comprimés tous les
jours, 76 % prêts à se rendre tous les jours ou plusieurs jours
par semaine au CMP ou à l’hôpital de jour et 57 % prêts à
participer à des réunions de groupes avec d’autres patients
pour aborder leurs difficultés. Enfin, 57 % se disent prêts à
prendre un traitement injectable.
L’avis des proches quant aux moyens d’éviter une rechute
montre qu’ils s’appuient largement sur l’équipe médicale : 94 % pensent qu’avoir des rendez-vous réguliers avec
L’impact de l’hospitalisation.
592
C. Passerieux et al.
Figure 6
Ce que sont prêt à faire les patients pour éviter une rechute.
Figure 7
Opinion des proches vis-à-vis du traitment injectable.
l’équipe médicale est nécessaire pour l’équilibre du patient,
85 % que des rendez-vous réguliers avec l’équipe médicale
permet d’éviter les rechutes. En ce qui concerne les traitements médicamenteux, 59 % d’entre eux pensent qu’il
est difficile de vérifier qu’une personne schizophrène prend
bien ses médicaments tous les jours contre 37 % qui pensent
l’inverse. Leur opinion vis-à-vis du traitement injectable
paraît plutôt favorable (Fig. 7). Près d’un proche sur deux
(47 %) dit connaître les traitements injectables puisque le
patient a déjà été soigné sous cette forme. Parmi ceuxci, 72 % estiment qu’un tel traitement est rassurant, 69 %
qu’il est plus simple qu’un traitement par voie orale pour
le patient et 67 % pensent qu’il représente la forme la plus
adaptée pour vérifier l’observance. Seuls 31 % considèrent
qu’il est contraignant pour le malade contre 54 % qui le
trouvent peu contraignant.
Globalement, la rechute induit dans l’équipe médicale une attitude de renforcement et de complexification
du traitement psychotrope. En ce qui concerne les voies
d’administration, alors que 35 % des patients prenaient au
moins deux formes de traitement avant leur rechute (83 %
prenaient des comprimés, 15 % des gouttes et 32 % des injections), ils étaient 43 % après la sortie de l’hôpital (91 %
prenaient des comprimés, 13 % des gouttes et 41 % des injections).
Discussion
Les objectifs de l’enquête étaient donc de questionner
des patients schizophrènes et leur entourage sur leur vécu
concernant les rechutes et/ou les hospitalisations, sur leur
représentation des causes de ces rechutes et sur leurs opinions éventuelles concernant leur prévention. Le terme de
rechute est très parlant pour les proches, mais comme les
patients l’acceptent parfois difficilement, les questions qui
leur étaient posées ont utilisé le terme d’hospitalisation, qui
est en effet apparue plus facile à aborder, sans doute parce
qu’elle reste un évènement plus extérieur au patient. Il faut
cependant souligner le biais méthodologique que cette utili-
Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute
sation du terme « hospitalisation » par l’enquêteur au lieu du
terme « rechute », qui était le sujet de l’enquête, biais qui a
pu sans doute influer sur certaines réponses aux questions.
Cette enquête retrouve le fait bien connu de la
grande fréquence des rechutes [10] : ce sont des périodes
auxquelles les patients schizophrènes sont confrontés à plusieurs reprises au cours de leur vie, et qui concernent
pratiquement tous les patients interviewés ; ainsi, la
quasi-totalité des patients interrogés déclarent avoir été
hospitalisés au moins une fois depuis le début de leur maladie, et la plupart d’entre eux ont vécu plusieurs rechutes,
avec une moyenne de cinq. Selon les proches, plus de neuf
patients sur dix ont été hospitalisés lors de leur dernière
rechute ; de manière plus générale, deux tiers des proches
estiment que le patient est hospitalisé à chaque rechute.
Ces chiffres élevés sont bien sûr en lien avec les modalités
de recrutement des patients qui étaient tous, au moment de
l’enquête, inscrits dans un suivi ambulatoire dans un centre
médicopsychologique.
Le second point est la confirmation que les rechutes
sont ressenties aussi bien par les patients que par leur
entourage comme des périodes très difficiles qu’il faut tenter, autant que possible, d’éviter [7,8,13,2]. A posteriori,
les périodes d’hospitalisation restent douloureuses à évoquer pour la majorité des patients et de leur entourage,
même si l’ensemble des personnes interrogées a accepté
de participer à cet exercice de remémoration. Cependant,
l’hospitalisation est également jugée utile par une grande
majorité des patients et des proches : elle est vécue comme
une période de soins qui permet de se rétablir et a une
image positive du fait de son impact sur les principaux symptômes de la rechute dont elle permet ainsi de sortir. Mais la
rechute n’est pas sans conséquences : outre son caractère
traumatisant, elle peut s’accompagner d’une régression
persistante, en particulier sur le plan de l’autonomie et au
niveau cognitif [6]. Une information claire doit donc être
délivrée aux patients comme à leurs familles sur les conséquences de chaque rechute. Enfin, même si l’hospitalisation
en limite les conséquences, tous, patients comme proches,
s’accordent à dire qu’il est important ou très important
d’éviter une rechute.
En ce qui concerne la représentation de leurs difficultés par les patients, plusieurs points ressortent de cette
enquête. Le premier est que 40 % des patients ne se sentent
pas malades le jour de l’entretien — réalisé en centre de
soin ambulatoire, donc à distance de l’hospitalisation — et
21 % se sentent malades seulement à certains moments.
Le deuxième est que les patients font preuve d’une réelle
lucidité en ce qui concerne les signes précurseurs de la
rechute, décrits comme précurseurs de l’hospitalisation et
la reconnaissance de leurs besoins de soins ou d’une partie de ces besoins. Il faut souligner l’accord important
retrouvé entre l’opinion des patients et celle de leur entourage en ce qui concerne ces manifestations initiales de
la rechute et les bénéfices de l’hospitalisation qu’elle a
entraînés. Un autre point essentiel est la place ressentie
par les différents protagonistes dans le processus conduisant à la décision de l’hospitalisation : 35 % des patients
et 44 % des proches pensent avoir été l’initiateur de cette
décision et au total 70 % des patients pensent rétrospectivement avoir été d’accord avec la décision, même lorsqu’ils
n’en étaient pas à l’initiative. Va également dans le sens de
593
cette implication dans leurs soins, au moment même de la
rechute, le fait que près de trois quarts des patients aient
fait part de leur sentiment de malaise, dans 59 % des cas
à un membre de leur équipe soignante et dans près de la
moitié des cas à quelqu’un de leur entourage. La persistance de ce dialogue entre le patient et l’équipe soignante
durant la rechute est d’ailleurs sous-estimée par l’entourage
qui pense avoir été seul confident dans les deux tiers des
cas.
Les questions portant sur les causes et la prévention
des rechutes font apparaître des données plus complexes.
D’une part, patients et proches semblent penser avoir tiré
les leçons de leur expérience passée et ont le sentiment
de mieux savoir comment éviter les rechutes à l’avenir.
D’autre part, ils n’accordent qu’une confiance limitée dans
l’amélioration des soins ou de leur engagement dans ces
soins pour atteindre cet objectif : pour près d’un patient
sur deux, un meilleur niveau d’information sur sa maladie,
le suivi des conseils de son entourage, de l’équipe médicale ou encore une meilleure observance du traitement
n’auraient pas évité la dernière rechute. Cette perception
est globalement partagée par les proches. Bien que ce fait
soit très rarement évoqué spontanément, quatre patients
sur dix confirment que leur rechute a été concomitante
d’une non-observance ou d’une observance partielle de leur
traitement médicamenteux. Ces chiffres sont sans doute
sous-estimés ou sont en tout cas inférieurs à ceux rapportés
habituellement dans la littérature [5,11]. Cependant, globalement à peine un tiers des patients et 40 % de leurs proches
considèrent qu’une meilleure observance aurait pu éviter la
dernière rechute. Ces données contrastent avec une forte
demande vis-à-vis de l’équipe soignante : 85 % des proches
pensent que des rendez-vous réguliers avec l’équipe médicale permettraient d’éviter les rechutes ; dans ce même
objectif, 94 % des patients se disent prêt à prendre un traitement quotidiennement et 76 % à venir plusieurs fois par
semaine dans un lieu de soin.
Ainsi, patients et proches ne souscrivent pas à l’idée
qu’une meilleure information, un meilleur suivi des conseils
ou une meilleure observance du traitement sont les éléments primordiaux de la prévention des rechutes. Cette
réserve explique peut-être pour partie le fait que le
maintien d’une relation avec une personne ressource —
le plus souvent un soignant — et l’identification de signes
avant-coureurs ne permettent pas de prévenir les rechutes.
De même, le sentiment fréquemment rapporté de ne pas
ou plus être malade peut être rapproché du sentiment de
ne pas avoir besoin de traitement, invoqué dans la moitié
des arrêts de traitement. Il semble donc que les patients
ne se retrouvent pas dans la représentation, normative,
de « malade » et que lorsque nous nous adressons à eux,
il pourrait être plus efficace d’utiliser des termes moins
centrés sur le modèle médical, et de cibler des faits plus
proches de leur réalité, comme leur sentiment d’isolement,
leurs difficultés relationnelles, leurs troubles cognitifs et
leurs difficultés quotidiennes en général. Enfin, plutôt que
de conclure de cette confiance limitée dans les soins, qu’ils
ressentent les rechutes comme une fatalité — ce n’est
pas vraiment le cas, puisqu’ils pensent à l’avenir savoir
comment les éviter — les données montrent qu’ils ont une
conception plus complexe ou plus personnelle de la manière
de trouver un état d’équilibre ; cette conception prend
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en compte pour partie leurs besoins de soins, mais ne se
centre pas exclusivement sur ce point.
Par ailleurs, si les causes principales de la rechute ne sont
pas réellement identifiées dans cette enquête (par exemple,
les facteurs de stress, évènement de vie, perte d’un des
points d’appui du patient dans son environnement personnel
ou soignant. . ., ou tout ce qui peut contribuer à une rupture de l’équilibre personnel du patient), la démonstration
est faite, en revanche, que l’un des maillons de la chaîne
causale conduisant à la rechute est la moins bonne observance, ce que les patients eux-mêmes reconnaissent [9,12].
Il importe bien entendu, dans la démarche d’information
vers les patients et les proches, de faire prendre conscience
des risques liés aux défauts d’observance et de l’importance
de l’accord du médecin pour toute diminution ou interruption de traitement. Cependant, le décalage entre la réalité
et le ressenti des patients et de leurs proches montre la
complexité de cette « éducation thérapeutique ».
Le dernier point porte directement sur la question du
traitement médicamenteux et de son observance. La majorité des proches interrogés estiment qu’il est difficile de
vérifier qu’une personne schizophrène prend bien ses médicaments tous les jours. Globalement, patient et entourage
sont favorables à la mise en place de moyens d’amélioration
de l’observance : contact pluri-hebdomadaire avec l’équipe
soignante pour l’administration d’un traitement per os,
traitement injectable à action prolongée. Deux-tiers des
proches considèrent que le traitement par injection, nécessitant un suivi régulier par l’équipe médicale, est la forme
de traitement qu’ils pensent la plus adaptée pour vérifier
l’observance.
Du côté de l’équipe soignante, la rechute a un impact
sur les pratiques de prescription que l’on devrait sans
doute interroger. En effet, lorsque le traitement médicamenteux a été modifié au décours de l’hospitalisation, cela
a généralement été fait dans le sens d’un renforcement
et d’une complexification (prescription de plusieurs formes
galéniques, en particulier, injectables et orales) en dépit
du rôle de la non-observance ou de l’observance partielle
reconnue ici par les patients eux-mêmes.
C. Passerieux et al.
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