Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute

L’Encéphale (2009) 35, 586—594
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
THÉRAPEUTIQUE
Les personnes atteintes de schizophrénie
et la rechute
Persons suffering from schizophrenia and relapses
C. Passerieuxa,, F. Carolib, E. Giraud-Baroc
aService hospitalo-universitaire de psychiatrie adulte, centre hospitalier de Versailles,
177, rue de Versailles, 78157 Le Chesnay, France
bCentre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75674 Paris, France
cIntersecteur soins et réhabilitation psychosociale, CHS de Saint-Égrève, 3, rue de la Gare, 38521 Saint-Égrève, France
Rec¸u le 15 juin 2009 ; accepté le 1er octobre 2009
Disponible sur Internet le 29 octobre 2009
MOTS CLÉS
Schizophrénie ;
Rechute ;
Hospitalisation ;
Observance ;
Psychoéducation
Résumé Dans la schizophrénie, la rechute est fréquente et intéresse plus d’un patient sur deux
dans les deux ans qui suivent le premier épisode [10]. Le vécu de la rechute par les patients
et leur entourage a cependant été rarement étudié. Pour ce faire, une enquête a été réalisée
auprès de 316 patients schizophrènes et de 82 de leurs proches : concernant la dernière rechute,
seuls 4 % des patients et 7 % des proches citent spontanément l’arrêt du traitement comme cause
de la rechute. Néanmoins, dans près de 40 % des rechutes, le patient reconnaît avoir arrêté ou
ralenti son traitement juste avant d’être hospitalisé ; concernant le vécu de l’hospitalisation,
87 % des patients et 86 % des proches estiment que l’hospitalisation a été utile ; concernant
la prévention de la rechute, 91 % des patients et 100 % des proches jugent important le faite
d’éviter une nouvelle rechute. Cinquante-neuf pour cent des proches ont déclaré qu’il était
difficile de vérifier la prise du traitement par le patient. Soixante-douze pour cent des proches
ont estimé le traitement injectable rassurant, 69 % qu’il était plus simple qu’un traitement
par voie orale. Ces résultats soulignent la sous-estimation du défaut d’observance dans les
causes de la rechute et l’importance d’une prise en charge concertée du patient atteint de
schizophrénie.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Schizophrenia;
Relapse;
Hospitalisation;
Summary
Introduction. — In schizophrenia, relapse is a common event that affects more than half the
patients within 2 years after a first episode [10]. It is a real setback for them and their relatives.
Surprisingly, we do not have much information on how patients and their relatives experience
the relapse.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Passerieux).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2009.10.005
Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute 587
Compliance;
Psychoeducation
Method. — A national survey was conducted among 316 schizophrenic outpatients treated with
antipsychotics, and 82 of their relatives. The survey assessed the following four aspects: disease
history, last relapse history, hospitalization experiences, and relapse prevention.
Results. — Regarding the disease history, the average psychiatric follow-up was 13 years and
patients had been hospitalized five times on average. Relatives reported approximately the
same history. Regarding the last relapse, 9/10 of relatives reported that this relapse led to
hospitalization and 69% of patients understood that their hospitalizations were due to relapse.
4% of patients and 7% of relatives identified the end of the treatment as a precursor to relapse.
While a lack of compliance was found in about four relapses out of 10. It has also been shown
that patients confided primarily in the medical team and the relatives thought to be the first
confidant of patients. Regarding the experience of hospitalization, 87% of patients and 86% of
relatives judged the hospitalization useful. For both, hospitalization represented a solving step
to manifestations of relapse. Regarding the relapse prevention, almost three patients out of four
thought they knew what to do in order to avoid a new relapse, while only 52% of the relatives
thought patients knew what to do for this matter. For more than one third of the patients, the
last relapse (3 years ago) was still a painful event. Avoiding a new relapse was considered very
important or important by 91% of patients and 100% of relatives. Relatives felt that regular
appointments with the medical team helped avoid relapses. Fifty-nine per cent of relatives
have said it was difficult to verify whether or not the treatment was taken by a schizophrenic
patient. Relatives’ opinion on the injectable treatment was favorable and approximately 50%
of the patients declared knowing of injectable treatments. Among these 72% felt that such
treatment was reassuring, 69% said it was simpler than oral therapy, and 67% thought it was
the most suitable to check the compliance. Only 31% considered it restricting for the patient,
against 54% who were considering it not restricting. Finally 57% of patients were willing to take
an injectable treatment in order to prevent further hospitalization.
Conclusion. — This study brings us a better understanding of patients’ and relatives’ experience
of relapse. These results demonstrate the potential impact of relapse on the patients and their
relatives and highlight their motivation to avoid further relapses. Also revealed, the lack of
importance given to the link between compliance and relapse by patients and relatives. These
results underscore the complexity of this disease management in which each player has a key
role.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
Dans la pathologie schizophrénique, la rechute est un évé-
nement fréquent. Plus de la moitié des patients rechutent
dans les deux ans qui suivent un premier épisode [10]. Les
conséquences délétères sont nombreuses : elles forment un
obstacle à une amélioration durable et à une vraie rémis-
sion, elles constituent pour le patient un véritable retour
en arrière. Enfin, il s’agit également d’un événement très
douloureux et déstabilisant pour les familles. Du côté des
soignants, l’objectif de la prévention des rechutes est une
préoccupation constante et exigeante [1]. Améliorer les pra-
tiques de soins dans l’objectif de réduire la fréquence et la
gravité des rechutes impose de pouvoir s’appuyer sur des
données souvent manquantes. Par exemple, comment mieux
adapter l’information délivrée aux patients et à leur entou-
rage sans connaître leurs représentations et leurs attentes ?
Comment augmenter les ressources et les recours du patient
en cas de rechute ? Comment améliorer l’observance aux
soins et au traitement médicamenteux dont on sait qu’ils
sont une condition nécessaire, sinon suffisante, d’une rémis-
sion durable ?
Alors que de nombreux travaux [3,4] ont porté sur la qua-
lité de vie des patients schizophrènes et leur perception de
la maladie et de leur traitement, peu d’enquêtes ont ciblé
plus précisément le vécu, par les patients et par leur entou-
rage, de la rechute et des effets délétères qu’elle induit.
C’est l’objectif de la présente étude, menée en paral-
lèle auprès de patients schizophrènes et de personnes de
leur entourage. Plus précisément, cette enquête se propose
d’apporter des données sur les conditions dans lesquelles les
patients font une rechute, d’identifier les causes principales
de cette rechute, d’appréhender le vécu de cette phase de
rechute et des mesures thérapeutiques prises et de mesurer
les changements ressentis suite à la rechute. L’une des origi-
nalités de cette enquête est la prise en compte des proches
des patients, que ces derniers avaient eux même désignés.
Méthodologie
Le comité scientifique d’experts qui a construit cette étude
a élaboré les questionnaires proposés aux patients et à leurs
proches, puis les a fait valider par les deux principales
associations de patients et de familles de patients dans le
domaine des troubles psychotiques : l’Union nationale des
amis et familles de malades psychiques (Unafam) et la Fédé-
ration nationale des patients en psychiatrie (FNAPSY).
Les entretiens ont été réalisés sur l’ensemble du terri-
toire par des enquêteurs BVA spécialisés dans le domaine
588 C. Passerieux et al.
de la santé. Les entretiens avec les patients ont eu lieu sur
le site de la consultation hospitalière, face à face et sans
témoin. Les entretiens auprès des proches ont été réalisés
par l’enquêteur qui avait interrogé le patient et par télé-
phone. Au total, 316 patients et 82 proches ont ainsi pu être
interviewés de décembre 2008 à février 2009.Vingt-quatre
centres ont participé à cette étude.
Sélection des patients
Les patients inclus dans l’étude étaient des patients souf-
frant de schizophrénie, suivis en ambulatoire, quel que soit
leur traitement, qu’ils aient présenté ou non des rechutes.
En ce qui concerne la sélection des proches, les patients
déclarant avoir déjà fait une rechute communiquaient à la
fin de l’interview, s’ils le souhaitaient, les coordonnées d’un
proche.
Profil des personnes interrogées
En ce qui concerne les patients :
soixante-six pour cent étaient des hommes ;
trente-quatre pour cent des femmes ;
trente-trois pour cent avaient moins de 35 ans ;
quarante-six pour cent entre 35 et 49 ans ;
vingt et un pour cent plus de 50 ans.
Leur situation familiale était conforme à ce qui est
habituellement décrit dans la littérature pour les patients
atteints de schizophrénie : 50 % vivaient seuls, 33 % en
famille, 7 % en couple et 10 % en structure d’accueil. En
ce qui concerne leur activité, 18 % exerc¸aient une acti-
vité professionnelle, scolaire ou bénévole au moment de
l’entretien, dont 67 % en milieu ordinaire ; 55 % avaient
exercé une activité dans le passé mais n’en exerc¸aient plus
lors de l’entretien et 27 % n’en avaient jamais exercé.
Au moment de l’enquête, l’ensemble des patients pre-
nait un traitement (sous forme de comprimés, sous forme
d’injections, ou sous forme de gouttes).
Un tiers des patients ayant fait une rechute ont accepté
de communiquer les coordonnées d’une personne proche.
Dans 67 % des cas, il s’agissait des parents du patient, pour
12 % d’un de ses frères ou sœurs, pour 10 % de son conjoint,
pour 5 % d’un de ses enfants et pour 5 % d’un ami. Ce proche
était dans 62 % des cas une femme ; 22 % avaient moins de
50 ans, 50 % entre 50 et 65 ans et 28 % plus de 65 ans. Ils habi-
taient dans 54 % des cas avec la personne schizophrène ; 40 %
exerc¸aient une activité professionnelle, 31 % étaient à la
retraite.
Résultats
Histoire de la maladie
Les patients interrogés dans cette enquête sont pour la plu-
part suivis depuis plusieurs années en psychiatrie (13 ans en
moyenne). Ils sont d’une manière générale plutôt lucides
par rapport à leur maladie : plus de huit patients sur dix
déclarent savoir tout à fait pourquoi ils sont suivis dans un
centre hospitalier. Cependant, si plus d’un tiers des per-
sonnes interrogées se sentent malades au jour de l’entretien
(39 %), la même proportion déclare ne pas se sentir malade
(40 %). La quasi-totalité des patients (95 %) déclarent avoir
déjà été hospitalisés au moins une fois depuis le début de
leur maladie. Ils ont été hospitalisés cinq fois en moyenne ;
30 % d’entre eux déclarant avoir été hospitalisés six fois ou
plus. L’ancienneté de la dernière rechute est très variable.
Alors qu’elle date de moins d’un an dans un cas sur quatre,
elle remonte à plus de six ans pour un patient sur cinq.
Figure 1 Nombre de rechutes antérieures.
Les personnes atteintes de schizophrénie et la rechute 589
Lorsqu’on interroge l’entourage sur le même sujet,
les réponses témoignent d’une bonne concordance avec
l’historique des rechutes tel qu’il est décrit par le patient.
Les réponses de l’entourage corroborent les réponses du
patient, concernant l’antériorité de la dernière rechute ou
le nombre de rechutes au total (Fig. 1). On peut toutefois
noter que les proches déclarent dans 18 % des cas ne pas
savoir le nombre de rechutes qui se sont produites depuis
le début de la maladie, alors que seuls 8 % des patients
déclarent ne pas le savoir.
Histoire de la dernière rechute
Le terme de rechute étant parfois difficile à appréhender par
les patients, il lui a été préféré, pour les questions posées
aux patients, celui de d’hospitalisation : du point de vue du
praticien, en effet, la quasi-totalité des hospitalisations cor-
respondent à une rechute. C’est également le cas pour une
majorité des patients puisque 69 % comprennent que leur
hospitalisation est due à une rechute alors que 24 % pensent
que ce n’est pas le cas. Lorsqu’on interroge l’entourage,
le lien est manifeste entre rechute et hospitalisation : neuf
proches sur dix déclarent que la dernière rechute a entraîné
une hospitalisation. De manière plus générale, deux-tiers
des proches interrogés déclarent qu’une rechute du patient
se termine à chaque fois par une hospitalisation, contre
seulement 5 % qui pensent que le patient n’est jamais hos-
pitalisé lors d’une rechute.
Les rechutes ont des signes avant-coureurs très divers,
que ces signes soient rapportés spontanément ou qu’ils
soient proposés par l’interviewer. Plus de trois proches sur
quatre (79 %) déclarent spontanément avoir remarqué des
signes avant-coureurs d’une rechute avant que le patient
ne soit hospitalisé (Fig. 2) ; parmi les symptômes les plus
fréquents, l’angoisse et le stress, ainsi que les affects
dépressifs, sont majoritairement décrits par les patients ;
viennent ensuite la fatigue, les hallucinations et les envies
suicidaires. Leurs proches complètent ces symptômes par un
sentiment d’isolement et de l’agressivité ou de la colère. Les
patients comme les proches citent en moyenne cinq symp-
tômes. Il faut souligner, conformément aux données de la
littérature, que les signes précurseurs de rechute décrits
apparaissent le plus souvent comme des signes non spéci-
fiques.
Enfin, les patients et leurs proches ne citent que très
peu de manière spontanée un arrêt de traitement comme
précurseur de rechute (4 % pour les patients, 7 % pour les
proches). En revanche, lorsqu’on demande spécifiquement
si un arrêt de traitement a précédé l’hospitalisation ou la
rechute, on retrouve un défaut d’observance dans près de
quatre rechutes sur dix, cette proportion étant similaire du
point de vue des patients ou de celui des proches. Cette
mauvaise observance est expliquée, pour la moitié des cas,
par les contraintes et les effets secondaires du traitement et
pour l’autre moitié par le sentiment ressenti par le patient
de ne plus avoir besoin de traitement (Fig. 3).
Lors de la rechute, le dialogue n’est pas rompu dans la
plupart des cas. C’est en priorité avec l’équipe médicale que
les patients se tournent pour parler de leur sentiment de
malaise. Au moment de leur rechute, près des trois quarts
des patients ont fait part de leurs troubles à quelqu’un :
59 % l’ont fait avec l’équipe médicale et 48 % avec leur
famille ou leur entourage. Il ressort de cette étude que
ce rôle de l’équipe médicale est largement sous-estimé par
l’entourage. En effet, les proches pensent être les princi-
paux confidents du malade dans 51 % des cas, alors qu’ils
ne sont que 34 % à penser que le patient en a parlé avec
quelqu’un de l’équipe médicale.
Autre donnée intéressante, les patients sont la plupart du
temps favorables à l’hospitalisation, même s’ils n’en sont
pas toujours les initiateurs : un patient sur trois déclare
avoir été à l’initiative de son hospitalisation (35 %), tan-
dis que 44 % des proches affirment en être eux-mêmes,
Figure 2 Les symptômes d’une rechute, expression spontanée.
590 C. Passerieux et al.
Figure 3 Les raisons de non-observance du traitement.
Figure 4 Les patients et leurs proches face à l’hospitalisation.
ou un autre proche, le demandeur (Fig. 4). Parmi les
patients n’ayant pas demandé eux-mêmes à être hospitali-
sés, plus de la moitié (55 %) y était tout de même favorable.
Ainsi, au final, sept patients interrogés sur dix déclarent
avoir été favorables à leur hospitalisation. Les proches sont
un peu plus partagés sur ce point, puisque moins de six
proches sur dix (58 %) estiment que le patient y était favo-
rable.
Le vécu de l’hospitalisation
Suite à une rechute, les patients et leurs proches partagent
le même avis concernant l’intérêt de l’hospitalisation :
respectivement 87 et 86 % d’entre eux estiment que
l’hospitalisation était utile. De même, 34 % des patients
et 38 % des proches considèrent qu’elle a été une bonne
chose. L’hospitalisation est jugée difficile mais nécessaire
dans un cas sur deux (53 % pour les patients et 48 % pour
les proches). Seuls 10 % des patients et 10 % des proches
estiment qu’elle n’a servi à rien ou qu’elle a aggravé la
situation.
De l’avis des patients comme de leurs proches,
l’hospitalisation constitue une étape qui permet de résoudre
les manifestations de la rechute : pour 75 % d’entre eux, le
patient est moins stressé à la sortie que lors de l’admission
et pour 70 %, il est moins déprimé. Elle a aussi permis de
diminuer le niveau de fatigue du patient dans plus d’un
cas sur deux (54 % de l’avis du patient, 57 % de l’avis de
l’entourage). Le sentiment d’isolement a diminué pour 46 %
des patients et 52 % des proches pensent également que c¸a a
été le cas ; toutefois, 10 % des patients se sentent plus isolés
à la sortie que lors de l’admission et 38 % aussi isolés, alors
que seuls 1 % des proches ont le sentiment d’une aggrava-
tion de l’isolement et 25 % d’un isolement similaire. Quant
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!