M I S E A U P O I N T L’immunité innée : la face cachée de l’immunopathologie sous les feux des projecteurs Première partie : immunité innée et environnement microbien Inate immunity under the highlights: the role of the microbial environment © La Lettre du Rhumatologue 2005;315(Suppl.):5-6. ● J. Sibilia* actualité est riche, avec la découverte de nombreuses nouvelles pièces du grand puzzle de l’immunopathologie. La compréhension du rôle de l’immunité innée a constitué une avancée majeure pour mieux comprendre les affections inflammatoires chroniques. Cette immunité, qui est la première barrière de notre organisme (en dehors des barrières mécaniques), joue aussi un rôle fondamental dans la régulation de l’immunité acquise (ou adaptative), qui comprend les défenses cellulaires et humorales (anticorps). Cette immunité est régulée par des mécanismes complexes dont le dysfonctionnement provoque des maladies inflammatoires chroniques (1). L’ L’immunité innée établit des relations avec notre environnement microbien pour nous défendre, mais aussi pour réguler différents mécanismes physiologiques immunitaires Cette immunité comprend plusieurs mécanismes de défense mettant en jeu des cellules (macrophages, monocytes, polynucléaires, mastocytes, cellules dendritiques et diverses cellules résidentes) et des médiateurs solubles (cytokines, chémokines, facteurs de croissance, complément, protéines antibactériennes). Ce système a pour objectif principal d’éliminer l’agresseur potentiel, mais aussi de réguler différents mécanismes physiologiques. Schématiquement, l’immunité innée est fondée sur l’interaction entre des agents ou des débris microbiens appelés PAMP (pathogene associated molecular patterns) et des récepteurs présents à la surface de nombreuses cellules de l’immunité innée, les PRR (pattern recognizing receptors) (figure). Parmi ces récepteurs, la famille des récepteurs toll-like (TLR) semble particulièrement importante, car elle permet la synthèse de molécules indispensables à la survie, comme les cytokines, les chémokines, les enzymes. ● L’orchestration de toutes ces réactions et leur interaction avec l’immunité acquise sont à l’origine de nombreux travaux. L’une * Service de rhumatologie, CHU de Strasbourg. 8 Une avancée fondamentale : la découverte de l’immunité innée ! Environnement Microbes PPRs C1q Microbes PAMP α/ß TLR Mannose MBL R NF-κß MAPK CR MBL Activation complément Activation/Inhibition Apoptose Rôle dans les maladies inflammatoires ? Figure. Schéma de l’immunité innée. L’immunité innée est la conséquence d’interactions entre les PAMP bactériens et les récepteurs PRR présents sur de nombreuses cellules de l’immunité innée. des découvertes les plus intéressantes est celle de la présence des récepteurs de l’immunité innée (les TLR) sur les lymphocytes B. De façon plus précise, il a été démontré dans un modèle murin (souris MRL/lupus) que les lymphocytes B autoréactifs produisent des auto-anticorps (facteurs rhumatoïdes) s’ils sont stimulés par des immuns complexes (nucléosomes-antinucléosomes) qui se fixent sur les récepteurs BCR (récepteurs de l’antigène des lymphocytes B), mais aussi s’ils sont costimulés par des débris bactériens (ADN hypométhylé avec des motifs CPG) qui se fixent sur des récepteurs TLR9. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que l’hydroxychloroquine, utilisée dans de nombreuses maladies auto-immunes, est un inhibiteur du TLR9 (2, 3). ● La symbiose entre l’homme et l’environnement s’explique par l’interface qui s’établit grâce à l’immunité innée. Il s’agit d’un phénomène fondamental qui existe dans le monde vivant, des insectes aux mammifères. Le rôle de cette immunité innée est d’abord de La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 1 - janvier-février 2006 nous défendre en éliminant l’agresseur, mais elle a aussi de nombreuses autres actions, dont certaines nous sont bénéfiques. ✓ L’observation, issue d’un travail récent, d’une symbiose entre une bactérie et un petit calamar hawaïen est instructive. Euprymna scolopes est un petit céphalopode hawaïen dont les nouveau-nés ne peuvent se développer que s’ils sont “contaminés” par une bactérie (Vibrio fischeri) présente dans l’eau de mer. Cette bactérie qui infecte les hémocytes de ces petits calamars va permettre leur morphogenèse en induisant la régression de cellules épithéliales de structure appelées chromatophores. Cette “toxicité” épithéliale s’explique par différents mécanismes : induction d’apoptose, libération de NO et de cytokines et inhibition de la synthèse d’ADN. Ces phénomènes sont induits par une toxine qui est un monomère de peptidoglycanes appelés TCT (tracheal cytotoxine). Il est intéressant d’observer que cette TCT est analogue à celle impliquée dans les infections humaines à Bordetella pertussis et Neisseria gonorrhoae. Dans ces deux maladies, elle agit presque de la même façon, en entraînant une mort des cellules épithéliales de la trachée (coqueluche) et des trompes (stérilité tubaire) (4). ✓ Chez l’homme, le monde microbien a aussi des effets positifs. L’exemple le plus spectaculaire est certainement la découverte du rôle bénéfique de certains constituants bactériens dans la maladie de Crohn (MC). La MC, qui a été découverte en 1913, semble avoir une incidence de plus en plus élevée dans les pays occidentaux. Cela pourrait être lié au mode de vie, en particulier à l’hygiène domestique ou à l’intervention de facteurs environnementaux. L’épidémiologie de la MC suggère une hypothèse pathogénique originale. Cette maladie serait apparue avec le développement du frigidaire ! En effet, des bactéries psychotrophiques (c’est-à-dire capables de croître à une température de – 1 à + 10 °C) pourraient avoir un rôle dans la pathogénie de la MC. Parmi ces bactéries, Yersinia enterocolitica, Yersinia pseudotuberculosis, Listeria monocytogenes et certaines mycobactéries sont de bons candidats (5). Cependant, l’histoire de la pathogénie de la MC vient de rebondir grâce à une découverte fondamentale qui permet de mieux la comprendre. Les macrophages, et certainement d’autres cellules présentatrices de l’antigène, possèdent des récepteurs susceptibles d’être activés par des débris bactériens (PAMP). Ces récepteurs sont des TLR (notamment TLR2), qui sont stimulables en particulier par le peptidoglycane bactérien. Cette activation entraîne une intense réponse pro-inflammatoire macrophagique, laquelle va se traduire par la synthèse de grandes quantités d’interleukine 12 entraînant la prolifération de lymphocytes T CD4 Th1. Ce système pro-inflammatoire est normalement régulé par une deuxième voie, découverte très récemment. Il s’agit de la voie NOD2/CARD15, qui est capable d’inhiber l’activation de la voie de NF-kB induite par la stimulation du récepteur TLR2. L’un des éléments les plus étonnants est que cette voie NOD2 est également activable par des PAMP bactériens, en particulier par le muramyl dipeptide. Ainsi, en cas d’infection bactérienne, les PAMP sont capables d’activer les macrophages intestinaux, mais aussi de contrôler leur comportement inflammatoire via la voie NOD2/CARD15 (6). La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 1 - janvier-février 2006 Quelle est l’importance de ce système dans la maladie de Crohn ? Il a été découvert, avec une certaine surprise, que près de 40 % des MC avaient une mutation du gène NOD2/ CARD15, ce qui entraîne un défaut de fonctionnement de cette voie inhibitrice. En conséquence, toute stimulation microbienne des macrophages intestinaux peut provoquer une intense inflammation intestinale qui ne sera pas contrôlée. Il est possible que ces mutations aient été acquises assez récemment dans l’histoire humaine, peut-être lors des grandes épidémies de peste du Moyen Âge. Sous la “pression” de cette infection, qui a sévi de façon endémique pendant des centaines d’années, sont apparus des sujets “mutants” capables d’éliminer les bactéries. Ainsi, les mutations de NOD2/CARD15 pourraient représenter un avantage par leur capacité à développer une inflammation intestinale (qui ne peut être inhibée) fortement antimicrobienne. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle est intéressante ! Ainsi, la pathogénie de la MC semble en partie décryptée… Cependant, il reste des interrogations. D’une part, toutes les MC n’ont pas ces mutations et, d’autre part, il existe d’autres maladies, en particulier le syndrome de Blau qui se caractérise également par des anomalies de NOD2/CARD15. Cette découverte fondamentale illustre l’originalité d’un nouveau groupe de maladies appelées “auto-inflammatoires”, qui se définit par un dérèglement d’origine génétique de la cascade de l’inflammation. ● La prise de conscience du rôle bénéfique d’éléments microbiens est à l’origine de l’émergence d’une théorie dite “hygiéniste” de l’auto-immunité. En effet, l’observation d’une plus grande prévalence des maladies auto-immunes dans les pays occidentaux a permis de suggérer que la réduction de la pression de l’environnement microbien (liée à l’éloignement de l’homme de son élément naturel) pourrait influencer l’éducation du système immunitaire. Moins de pression microbienne pourrait faciliter l’émergence de phénomènes d’auto-immunisation. Cette théorie a également été évoquée pour expliquer l’augmentation des maladies allergiques (7). ■ La deuxième partie (“Le rôle de la cellule dendritique”) sera traitée dans le prochain numéro. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Sibilia J. Novel concepts and treatments for autoimmune disease: ten focal points. Joint Bone Spine 2004;71:511-7. 2. Leadbetter EA, Rifkin IR, Marshak-Rothstein A. Toll-Like receptors and activation of autoreactive B cells. Curr Dir Autoimmun 2003;6:105-22. 3. Leadbetter EA, Rifkin IR, Hohlbaum AH et al. Immune complexes activate autoreactive B cells by co-engagement of S Ig M and toll-Like receptors. Nature 2002;416:603-7. 4. Koropatnick TA, Engle JT, Apicella MA et al. Microbial factor-mediated development in a host-bacterial mutualism. Science 2004;306:1186-8. 5. Hugot JP, Alberti C, Berrebi D et al. Crohn’s disease: the cold chain hypothesis. Lancet 2003;13(362):2012-5. 6. Watanabe T, Kitani A, Murray PJ, Strober W. NOD2 is a negative regulator of toll-like receptor 2-mediated T helper type 1 responses. Nat Immunol 2004; 5:800-8. 7. Bach JF. The effect of infections on susceptibility to autoimmune and allergic diseases. N Engl J Med 2002;347:911-20. 9